Chapitre 41 – La montre
Roy eut des nouvelles de Katrin Bauer et d'Alice Ermberg dans le courant du mois de juillet. Madeline, une des filles de Mme Christmas, était allée discuter avec la première tandis que Ruth s'était chargée de la seconde.
Le militaire n'était pas habitué à tant de lenteur. Deux mois pour obtenir les informations de deux personnes. C'était trop lorsque la sécurité de son meilleur ami était mise en cause, lorsque la santé mentale d'Edward partait régulièrement en vrille sous la pression de l'ignorance, lorsqu'il fallait faire bonne figure au sein du gouvernement alors que lui-même hébergeait deux réfugiés peu discrets.
Les voisins leur avait fait peur. Une fois, il y avait même eu un contrôle de police pendant lequel Gabin s'était planqué sur le toit. Edward avait ouvert, fait bonne figure. On l'avait averti de l'inquiétude des voisins, des fumées nauséabondes qui s'échappaient parfois de la maison, des éclats lumineux qui animaient les fenêtres, des bruits de lutte dans le jardin. Edward s'était justifié calmement : mon cousin est militaire, vous comprenez, et c'est l'alchimiste des flammes. Le héros d'Ishbal. Il a bien besoin de s'entrainer… Un collègue à vous - Ah, oui, bien sûr, vous comprenez, on ne fait que notre travail. Ce quartier est résidentiel, vous savez, en fonction des voisins qu'on a… - Oui, les activités qui sortent de l'ordinaire, ça fait jaser – Oui, si vous saviez, c'est notre quotidien d'aller vérifier que tout se passe bien lors de ce genre d'alertes…
Ils étaient repartis. Edward avait voulu s'enfuir, déménager, virer Gabin. Il n'avait plus dormi pendant une semaine, avait brodé des cercles maladroits sur des gants immaculés, attendu que les homonculus viennent le chercher. Roy avait stabilisé la situation, insisté pour que son apprenti reste, l'avait apaisé sans être serein lui-même. Si Edward partait, les choses aurait pu s'arranger, mais, de toute manière, si une enquête était ouverte sur Edmund Ford, il ne faudrait plus beaucoup de temps pour faire le rapprochement avec Eric Ford, et alors Roy serait condamné. Le militaire regretta qu'Edward ne soit pas resté dans les montagnes de Briggs et se mit à s'investir dans ses recherches sur les voyages temporels. Il était temps qu'il trouve une solution pour rentrer, désormais. Non pas qu'il veuille qu'il s'en aille, mais il avait le sentiment qu'il s'agissait d'une question vitale.
- Tu as pensé à l'ADN ? interrogea un jour Roy. Pour une transmutation humaine, la théorie veut que la signature génétique retrouve l'âme du défunt. Est-ce que tu ne pourrais pas retrouver ton chemin avec ça ?
- Écoute, Roy, je ne sais pas pourquoi tu te mêles de mes recherches maintenant, franchement. Ça fait presque deux ans que je cherche une solution, alors bien sûr que j'y ai pensé. Tu veux vraiment que je te fasse un compte-rendu de mes études ? Tu vas juste me faire perdre du temps.
Malgré son aplomb, Edward fuyait son regard, s'agitait anarchiquement dans la véranda dérangée – devenu son nouveau laboratoire depuis que Gabin dormait dans celui initialement prévu à cet effet - et empilait des dossiers les uns sur les autres, les renversait, et le sol jonché de feuilles volantes fit perdre à Roy le peu de considération qu'il avait encore pour son mutisme. La solution était peut-être quelque part marquée sur l'un de ces papiers, mais elle était perdue, Edward ne savait pas où elle était et il ne voulait pas l'admettre.
- Dis-moi la vérité, Ed.
L'élixirologue déglutit, les yeux vagabondant sur l'amas de notes, ses doigts crispés dans sa chevelure de feu.
- La vérité ? Quelle vérité ?
- Tu doutes de toi, tu n'arrives pas à mettre de l'ordre dans tout ça. Ça fait presque deux ans que tu cherches, et tu commences à perdre confiance.
Ses mèches rousses retombèrent sur ses iris dissimulées de vert. Son regard se leva vers lui, incertain.
- Ce n'est pas grave, que tu n'y arrives pas, rassura Roy. Seulement, je suis alchimiste et je peux t'aider. Peut-être que je ne m'y connais rien à l'élixirologie, mais on peut quand même en parler. Ça pourrait te donner des idées. Tu me parles souvent d'Alphonse. Vos discussions te stimulaient. Je pourrais jouer ce rôle-là.
Edward se mordit la lèvre, baissa une nouvelle fois son attention sur le sol.
- Roy, ce n'est pas vraiment ça, le problème…
- Alors, quoi ?
- Je… J'aimerais t'en parler mais… Je… Tu vas m'en vouloir.
- Je ne vais pas t'en vouloir, enfin. J'aimerais juste comprendre. Tu passes ton temps dans l'élixirologie, à faire des recherches dessus ou à l'enseigner à Gabin-
- C'est l'alchimie que je lui apprends.
- Peu importe. Si tu as une piste, dis-là moi.
- C'est-à-dire… En fait…
Il souffla. Il allait lui dire, oui. Et puis le téléphone sonna. C'était Ruth qui lui parla d'Alice Ermberg.
Ruth s'était rapproché d'Alice Ermberg en liant avec elle une amitié factice qui lui aurait permis, à un moment donné, d'obtenir des informations sur ce que devenait son mari, William. Le processus avait pris du temps et lorsque les deux femmes avaient pu se retrouver seules, à l'abris des regards indiscrets, Ruth avait exposé la véritable raison de son rapprochement et n'avait rien reçu d'autre que des insultes. Elle était revenue à la charge plusieurs fois jusqu'à ce qu'Alice accepte, à condition d'avoir la preuve qu'elle était bien ce qu'elle était, et non pas une espionne à la botte du gouvernement. Ruth avait parlé de la tombe inconnue où avait été enterrée Isabelle. Elle avait accepté de parler.
William Ermberg était actuellement emprisonné à South City. Alice n'avait aucun droit de visite et savait seulement qu'il était encore en vie grâce au seul coup de fil par semaine qu'il avait le droit de lui passer. Il avait sous-entendu que Franz Bauer était en danger. Alice avait aussitôt prévenu Albert, son médecin de famille, qui avait fait passer le mot. Franz avait pu s'en aller, laissant femme et enfants derrière lui, quelques jours avant la descente de l'armée à son domicile et à son cabinet. Les militaires avaient tout retourné sans rien découvrir de réellement suspect. Le chirurgien avait probablement eu le temps de prendre ses dispositions avant que William ne le dénonce finalement contre son gré.
Edward décida d'en toucher un mot à Gabin sans lui avouer les possibles tortures ni les conditions probables d'emprisonnement dans lesquelles se trouvait le parrain de sa sœur. Dans tous les cas, ils ne pouvaient rien faire pour lui. Pour le moment. Il faudrait attendre des nouvelles de Kathrin Bauer.
Madeline appela deux semaines plus tard. Elle avait pu parler avec la femme de Franz dans le même processus compliqué que Ruth. Probablement davantage, même, car cette pauvre femme se sentait suivie partout où elle allait et n'arrivait jamais vraiment à trouver la paix. Du coin de l'oeil, elle hallucinait des ombres, des yeux, qui la surveillaient sans cesse. Elle se faisait suivre psychiatriquement pour les cauchemars qui la cernaient partout. Madeline s'était fait passer pour une infirmière dans l'institut où elle se rendait régulièrement. Edward serra les poings en imaginant son enfer ; elle croyait perdre la tête là où Pride l'espionnait indubitablement.
Kathrin avait confirmé l'absence de la montre d'alchimiste d'Etat sur Eric Ford. Il était arrivé sans, et elle avait tenu cette version devant tout le monde. Elle ne pensait pas que son mari l'ait récupéré non plus et, si c'était le cas, il n'avait pas été assez stupide pour la garder. De ce qu'elle savait, Franz avait quitté la région pour rejoindre le groupe Ocre et se rapprocher d'Erwin Stein, à Rush Valley. Elle ne connaissait pas les détails de cette affaire, mais il y avait un endroit de rassemblement là-bas.
Roy appela Maes qui contacta Rudolf Hess qui lui-même contacta sa sœur. Elle lui donna une adresse et une date, le 6 septembre, dans l'espoir qu'Eric Ford se décide à y pointer le bout de son nez. Tout le monde était persuadé qu'il était encore en vie et qu'Isabelle ne l'était pas. Franz avait donc dû réussir à rejoindre les résistants pour leur donner ces dernières informations.
Edward focalisa son attention sur le rendez-vous. Le militaire regretta d'avoir été aussi précis dans son compte-rendu à l'élixirologue. Il aurait dû anticiper qu'Eric Ford ne pourrait que reprendre du service avec une telle information. Pourtant, c'était probablement la seule chose à faire s'ils voulaient tenter de se faire des alliés et de retrouver la montre étatique. Elle semblait s'être évaporée dans la nature. Ce point désolait Roy qui imaginait, sans le dire, le pire. Alors, le 5 septembre, Edward quitta la maison pour se rendre à Rush Valley au volant de la voiture d'Hawkeye que la jeune femme avait, soit dit en passant, vendu à Roy durant l'été.
Gabin avait insisté pour venir avec lui mais n'avait pas obtenu gain de cause, aussi se retrouva-t-il seul avec Roy, destiné à s'entrainer et à étudier tout seul tandis que le militaire se voyait forcé à superviser son apprentissage. C'était une occasion, pour Gabin, de tenter de glaner des informations sur l'alchimie du feu – même si Roy demeurait muet lorsqu'il abordait le sujet.
Edward roula toute la journée, mangea un sandwich à la tombée de la nuit et somnola sur la banquette arrière du véhicule après s'être garé à quelques kilomètres de la ville, à l'abris des regards indiscrets. Il se reposa peu et mal, les mains gantées, prêt à user d'élixirologie si besoin où à dégainer le couteau de chasse logé entre ses bras. Il avait été incapable de se séparer ce ces armes, même s'il n'était pas exactement certain de parvenir à user de ses cercles élixirologiques. Cela faisait dix mois qu'il n'avait pas pratiqué. Roy, s'il l'avait su, ne l'aurait probablement pas envoyé tout seul dans la région Sud.
Le lendemain matin, il enfonça un chapeau sur sa tête, fourra son couteau dans un sac et plongea ses mains dans ses poches. Ses cheveux étaient rouges sous le soleil aride et sa barbe, plus longue que celle de son père, rousse d'henné, constituait à ses yeux son meilleur déguisement. C'était un avantage face aux forces de l'ordre, mais un inconvénient lorsqu'il faudrait rejoindre les militants. Il espérait qu'Edwin ou Franz le reconnaisse, mais onze mois s'étaient écoulés depuis les évènements de Fosset. Rien n'était sûr.
Rush Valley était aussi animée que d'habitude. Il ne manquait plus que Winry pour égayer l'endroit, et il aurait pu croire que le temps était redevenu ce qu'il aurait dû être. Mais l'atelier de Garfiel n'avait pas encore été ouvert, Paninya ne lui vola pas sa montre d'argent – ni ne lui rendit, d'ailleurs – et personne ne l'attendait nulle part ni ne le reconnut. Sans encombre, il s'enfonça dans une ruelle d'un quartier éloigné du centre-ville, proche des falaises qui dominaient la cité. Un instant, il se revit creuser le calcaire, le changer en marbre. C'était le même type de roche. Les doigts d'Isabelle effleurèrent son dos. Il n'aurait pas survécu sans elle.
Il était seul.
Il prit une grande inspiration. Edward Elric n'avait peur de rien et affrontait tout. Il fonçait tête baissée, combattait jusqu'à la fin, jusqu'à vaincre Dieu d'un coup de poing. Il avait été cette personne et redeviendrait cette personne. Le temps était venu où il devait revenir de celui qu'En-
Oui, lui.
Envy.
Qu'Envy avait enfoncé au fond de lui-même d'un tir trop juste.
Si c'était un piège, il ne parlerait pas, il lui cracherait dessus, il l'enverrait en enfer et s'y précipiterait avec lui s'il le fallait. Mais jamais il n'aurait quelqu'un d'autre que lui. Roy, Gabin et tous les autres resteraient en-dehors de ça.
Une grande inspiration.
Son cœur bat trop fort.
Souffle.
Il ne sent pas des milliers d'âmes.
Envy ne peut pas être là.
Il frappe à la porte.
Je suis stupide. Je ne sais même pas quoi dire. Il doit y avoir un mot à annoncer. Une énigme à résoudre.
La porte s'ouvre sur une adolescente au teint marbré. Elle a un léger bec de lièvre sur lequel Edward s'attarde malgré lui.
- Oui ?
Il prend un temps, puis enlève son chapeau.
- Je viens pour la réunion.
- Vous êtes qui ?
- Certains pourront me reconnaître.
- Écoutez, il n'y a pas de réunion ici. Je ne sais pas ce que vous voulez.
Edward se mord la lèvre. Il est peut-être au mauvais endroit. Il n'est peut-être pas à l'heure. Il s'est peut-être trompé de jour. Il n'entrera peut-être pas. C'est peut-être un piège. Il ne peut pas se dévoiler si facilement.
- S'il y a un chirurgien, remerciez-le pour moi. J'aurais dû mourir, avant Leipzig. Deux doigts, ce n'était pas un grand sacrifice pour survivre ; et c'est vrai que je ne l'ai pas remercié.
Il sort sa main droite et ôte le gant qui le couvre, dévoilant sa main mutilée. L'adolescente fixe le moignon un moment, puis plante ses yeux dans les siens, assurée.
- Je ne sais pas de quoi vous voulez parler, mais je suis désolée pour votre main. Maintenant, si vous permettez.
Elle referma la porte et Edward se laissa aller contre le mur du bâtiment décrépit. L'air lui manquait. Il avait l'impression d'être stupide, d'avoir perdu du temps et d'être inutile. Pourtant, il ne se lamenta pas plus de trente secondes. On ne savait jamais. Il valait mieux déguerpir. Il remit son chapeau sur son crâne et enfonça sa main dans son gant avant de tourner le dos à la porte d'entrée. Il n'avait pas poussé dix mètres qu'on le héla :
- Attendez !
L'adolescente est dans la rue, une main sur la poignée de l'entrée, l'autre sur le cœur.
- Revenez, suggéra-t-elle d'une petite voix.
Edward reste statique. Avait-il bien senti ? Était-il sûr que les homonculus n'étaient pas là ?
Une grande inspiration.
Il ne sent rien si ce ne sont les âmes quotidiennes peuplant les immeubles alentour.
Souffle.
Il n'y a pas de raison de flipper.
Il acquiesce et se met à avancer vers la jeune fille. Elle lui fait signe d'entrer et il hoche encore la tête en signe de reconnaissance. Le hall décrépit est spacieux ; un escalier sale et duveteux court vers l'étage. On lui indique une ouverture sur la droite et il expire avant d'entrer. La peur n'a rien à faire là. Il est temps de la laisser derrière lui.
Un pas.
Clic.
- Les mains en l'air.
Edward ne respire plus. Il aperçoit à peine un salon rose aux rideaux tirés, ne compte pas le nombre de personnes à l'intérieur, recule d'un bond, tournoie autour de l'adolescente, passe un bras autour de son cou et écrase son dos contre le mur du couloir. La gamine se débat contre son torse et il resserre son emprise sur elle.
- Lâchez-moi ! croasse la gosse, ses mains griffant ses avant-bras.
- C'est par l'intermédiaire de Mme. Hess que je connais cet endroit ! J'ai pas eu plus d'infos, bordel ! Personne tire, j'veux d'mal à personne !
Il y a de l'agitation dans la pièce d'à-côté et des chuchotement inaudibles.
Le cœur d'Edward va exploser.
Il ferme les yeux pour se concentrer. Il ne sent que deux personnes là-bas derrière. Pas d'homonculus. Rien d'insurmontable.
La jeune femme plante soudainement ses dents dans son muscle et il se crispe sur sa gorge qui émet un halètement étouffé.
- Écoutez, fait une voix d'homme. On ne vous veut aucun mal : ma collègue s'est emportée.
- Ça peut être n'importe qui ! le contredit-elle, agressive.
Il lui semble avoir reconnu sa voix.
- Erwin ? appelle Ed.
Un temps.
- Oui.
Ce fut un soulagement et Edward desserra sa prise sur la gamine qui en profita pour lui envoyer son coude dans le ventre. Il la lâcha, plié en deux, et elle se précipita dans le salon. Il prit une grande inspiration avant de dévoiler, saisissant malgré tout son couteau de chasse :
- C'est Eric Ford. Je suis armé. Je vais entrer dans le salon pour vérifier que c'est bien vous. Me tirez pas dessus. Ok ?
- Si c'est bien vous, j'ai aucune raison de vouloir vous contrarier. Je sais ce dont vous êtes capable.
Edward hocha la tête pour lui-même et compta mentalement jusqu'à dix avant d'entrer dans la pièce, aux aguets. Une femme dans la pénombre braquait un flingue à ses pieds, prudente. À côté d'elle, un grand blond aux cheveux courts. Pas de trace de l'adolescente. Elle avait dû se planquer. Edward sourit.
- Vous vous êtes coupé les cheveux, constata-t-il.
Il rangea son couteau, ôta son chapeau. L'ancien militaire le fixa un moment avant de remarquer, incertain :
- Vous avez sacrément changé.
- Je suis ennemi public numéro un. Faut pas qu'on me remarque au premier coup d'œil.
Erwin s'avança vers lui et lui tendit une main qu'Edward serra avec plaisir, les lèvres étirées. Edwin sembla troublé – c'était sans doute à cause de ses doigts disparus. Ce geste contraria la femme, derrière lui, qui abaissa définitivement son arme avec méfiance. Elle avait les cheveux courts, à la garçonne, des piercings sur l'oreille droite et Edward pensa à Winry une seconde. Ses yeux étaient noirs. Quand elle sortit de la pénombre, ils prirent une teinte surprenamment ambrée. Presque dorée. Presque comme Alphonse.
- Elle, c'est Eden, présenta Erwin.
- Ça va pas de donner mon vrai prénom ?
- C'est juste un prénom. Je pense qu'Eric a pris plus de risques que vous en venant ici.
- Si vous continuez à pourrir ma couverture, ça risque de ne pas être le cas bien longtemps.
- Et elle, ignora Erwin en désignant l'adolescente qui s'était redressée timidement derrière le canapé. C'est ma cousine, Sasha.
- Enchanté Sasha, sourit piteusement Ed. Je suis désolé si je vous ai fait peur. C'est juste… Lorsque j'ai entendu le chargement du chien…
- Vous êtes facilement intimidable, cracha Eden.
- J'étais pas certain d'être au bon endroit, attaqua Edward. Sérieusement, j'ai failli crever plusieurs fois à cause de ces conneries, j'ai bien le droit de me défendre quand on s'apprête à me tirer dessus.
- C'est du show. Ça sert à rien d'armer un chien sur un semi-automatique.
- Je m'y connais rien en flingue ! Je sais seulement esquiver les balles !
- Allez, calmez-vous, interrompit Erwin.
- Cet endroit est sûr ?
- Oui. C'est désaffecté. On n'a jamais eu de problèmes lors des autres réunions.
- Ca fait longtemps que vous faites ça ?
- Six mois.
- L'Ouest a rejoint le mois dernier, précisa Eden entre ses dents.
- L'Ouest ?
- Le groupe Émeraude.
- J'avais entendu parler du groupe Ocre, mais…
- Normalement, on devrait avoir un représentant de l'Est aujourd'hui.
- De l'Est… ?
- Oui. Le gouvernement est pourri. Personne n'en peut plus.
Le regard d'Edward passa de visage déterminé en visage déterminé, interloqué. Il savait que le groupe Ocre était en formation, qu'il revendiquerait probablement la justice, mais il ne s'attendait certainement pas à ce que tout le pays se mette à collaborer contre les décisions de Central.
- C'est bien que vous soyez là, approuva Edwin en lui tapotant amicalement l'épaule. Venez vous asseoir. On a besoin d'une figure symbolique pour monter tout ça. C'est parfait que vous nous rejoigniez.
- Attendez…
- On a pas besoin de lui, coupa aussitôt Eden. Isabelle Alstatt est une martyre : c'est mieux. Elle est tout le symbole qu'il nous faut.
Edward se tut, l'estomac serré.
- Eric est une figure vivante et en plus il maîtrise l'alchimie comme personne. Vous n'étiez pas là, à Fosset, mais quand on voit le tunnel qu'il a transmuté, je vous assure qu'on le veut dans notre camp.
- La moitié du sud et tout le reste du pays pense qu'il est un espion d'Aerugo. Andréa Rosseti. N'est-ce pas, Eric ? Il serait temps qu'on ait une explication à ce sujet, d'ailleurs, mm ?
- Je vous ai déjà expliqué qu'il n'avait rien à voir avec cette histoire et qu'il s'agissait seulement d'une manière pour l'armée de trouver un bouc émissaire qui mettrait tout le monde d'accord. En plus, Aerugo n'aurait eu aucune raison d'attaquer comme il l'a fait à Fosset.
- Pour ça, on est bien d'accord. On tourne en boucle, sur cette conversation, Stein. C'est pour ça que votre cher ami ici présent va pouvoir éclairer nos lanternes. Il avait l'air bien au courant de la situation, lorsque vous étiez sur place, non ?
Edward ne s'était pas du tout attendu à devoir rendre des comptes. S'il était venu, c'était uniquement pour pouvoir parler à Franz Bauer et lui demander s'il avait vu sa montre. Il fallait absolument qu'il la retrouve. Mais trois paires d'yeux le fixaient, attendaient une explication.
- Écoutez, essaya d'apaiser Edward. Toute cette histoire avec Aerugo est très compliquée, et malheureusement je ne peux rien expliquer pour le moment.
- Alors pourquoi est-ce que vous êtes venu ? coupa Eden en levant les yeux au ciel.
- Pour parler à Franz Bauer. Il n'est pas là ?
- Pas encore. La réunion est prévue dans deux heures.
- Ah.
- Vous ne voulez pas vous joindre à nous ? interrogea Edwin sans cacher son dépit.
- Je vous avais dit qu'il n'était pas fiable.
- Je suis fiable, bordel ! s'impatienta Edward en tapant du poing sur la table basse. J'ai failli crever pour sauver tous les gens de Fosset et votre putain de « martyre » y est passée pour de vrai ! Vous n'avez aucune idée de la manière dont ça s'est passé là-bas et c'était…
Il ne voulait pas que sa voix se brise, mais elle se brisa. Il jura dans sa barde et se laissa tomber contre le dossier du fauteuil dans lequel il s'était installé, les bras croisés. La poussière s'éleva du velours côtelé et manqua de le faire éternuer. En silence, Erwin invita Eden à s'asseoir. Elle le fit après plusieurs secondes de réflexion, soulevant elle aussi la poussière d'un sofa brun couvert de vieilles fleurs défraichies.
- La dernière fois que j'ai vu Isabelle, c'était pour me faire passer un message que vous lui aviez demandé de me faire parvenir, rappela doucement Erwin. Retourner à Fosset pour ouvrir les portes ; sauver les soldats d'Amestris. Ensuite, elle est partie. Elle avait l'air paniquée. M. Bauer nous a expliqué la manière dont il vous avait sauvé la vie et nous a également confirmé son décès. Nous savions aussi que vous aviez été mené en lieu sûr, mais il n'était pas certain que vous ayez survécu, après tout ça. Pourtant, il n'a pas pu nous dire ce qu'il vous est arrivé, là-bas. Que s'est-il passé ?
Edward déglutit. Il ne pouvait pas répondre à cette question sans parler du cercle national, des homonculus, de tout le complot qui se tramait dans le pays et qui égrainait les morts.
- Après le front de Marco, hésita Edward. Vous aviez un supérieur hiérarchique…
- Celui que vous avez fait disparaitre ?
- Celui-là même. Contrairement à ce que je pensais, je n'ai pas réussi à le faire disparaître complètement. C'est lui qui a ramené les troupes d'Aerugo à nos portes. Il… Il peut être très persuasif. Ses déguisements sont si réalistes… Vous vous souvenez, il avait l'air d'être Isabelle.
Edwin hésita un instant, mais finit par hocher la tête. C'était lui qui avait envoyé la jeune femme dans la chambre où Eric se reposait. Et puis, il avait entendu des cris hystériques, un rire frisant la folie. Il avait retrouvé l'alchimiste dans un état de délire frappant, entre hilarité et injures, et il avait dû le calmer. Isabelle avait disparu et tout ce qu'Eric avait pu lui dire, c'était qu'il n'était pas près de revoir son supérieur. Quant à la jeune femme, il l'avait revu de l'autre côté du tunnel sans l'avoir vu le traverser. À ce moment-là, le temps pressait au milieu de la cohue : il n'avait pas eu l'occasion d'essayer de comprendre. Mais maintenant qu'il avait Eric Ford sous la main…
- J'ai voulu l'arrêter, simplifia Edward. Lorsque je l'ai trouvé, on s'est battu. C'est une sorte d'alchimiste, lui aussi. Il est… extraordinairement fort. Isabelle m'a rejoint. Il… Il lui a tiré une balle dans la tête. Il m'a vaincu, aussi. Au final, c'est le frère d'Isabelle qui m'a sauvé, mais c'était trop tard.
- Gabin ?
- Oui, c'est ça. Gabin…
- Et vous allez nous faire croire que vous avez retrouvé votre homme au milieu d'une bataille ? intervint Eden.
- Il n'était pas à Fosset même.
- Alors où ?
- À un autre point.
- Et comment vous saviez où le retrouver ?
- L'alchimie.
- Elle est bien pratique, cette alchimie, ironisa la trentenaire.
- Figurez-vous que oui, grogna Edward. Grace à elle, je savais combien vous étiez ici, dans cette pièce, et je savais que je pouvais vous massacrer la tronche si vous n'étiez pas des alliés.
- Vous êtes bien prétentieux de croire que vous pouvez vous en prendre à deux personnes entrainées sans rien risquer.
- Vous êtes bien prétentieuse de me parler sur ce ton de merde alors que je pourrais exploser ce bâtiment d'un claquement de doigt.
- Vous vous prenez pour le « héros d'Ishbal » ?
- Je suis meilleur que lui mais, moi, je suis plus du genre à éviter les génocides qu'à les créer.
- Vous êtes alchimiste, vous vous prenez pour Dieu : ça ne saurait tarder.
- Oh, c'est donc ça que vous me reprochez depuis le début ? L'alchimie. Bordel de merde, je suis pas un chien à la botte de l'armée !
- Pourtant, il parait que vous avez une montre d'alchimiste d'Etat.
- Si Mme. Hess fait partie de la réunion, vous devriez savoir que c'est son frère qui me l'a illégalement refourguée. Les gens de l'Ouest sont tous aussi désagréables que vous ?
Entre Eden et Madeleine, Edward commençait véritablement à le croire. Peut-être que la forêt n'avait pas de bonnes vertus sur l'humeur des gens, mais cette bonne femme commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs.
- Bon, ça suffit, coupa Erwin pour éviter qu'Eden ne se mette à lui hurler dessus. On est censés rester discrets alors soyez-le. Eric, comment saviez-vous pour les évènements de Fosset ?
- J'ai des contacts haut placés dans l'armée.
- Ah oui ? intervint aussitôt Eden. Et qui ?
- Ça vous regarde pas. Ils prennent assez de risques comme ça pour que je me mette à évoquer leurs noms à voix haute.
- Et vous êtes dans quelle région ? Ils ne veulent pas rejoindre notre groupe ?
- Je ne vais pas vous le dire et… Non. On a des choses à mettre en place en parallèle.
- Le groupe Ocre pourrait vous aider.
- Oui, et c'est pour ça que je suis là. Mais on en parlera quand tout le monde sera réuni, d'accord ? En attendant, est-ce que vous voudriez bien m'expliquer ce que vous êtes en train d'essayer de monter ?
Edwin hocha la tête et se lança dans un monologue qui ne plut pas à Eden. Visiblement, son avis lui importait peu : c'était lui, avec quelques autres, qui était à l'origine du groupe Ocre. Celui-ci regroupait des civils, mais aussi un certain nombre de militaires peu enclins à réitérer les actions qu'ils avaient dû mener lors de la Seconde Guerre du Sud – car c'était ainsi qu'on la nommait à présent. La plupart des armées du Sud avaient en effet dû commettre des choses indicibles. C'était arrivé d'abord sur le front de Marco. Edwin confirma à Edward que les ordres d'un massacre avaient été donnés par son supérieur hiérarchique – Envy. Tandis que lui se rendait à Fosset en infiltrant les survivants avec son petit groupe de militaires, des fosses communes avaient été creusées sur place et on avait balancé les corps loin de la lumière du jour. Les médias affirmaient qu'il n'y avait eu que très peu de morts et que l'armée n'avait fait que mettre en déroute la Voix du Paysan qui s'était ensuite réfugiée à Fosset. Là, ils avaient commencé le siège pour affamer la population. Si certains avaient voulu se rendre, personne ne l'avait permis. Et puis, il y avait eu ce goulot avec l'armée d'Aerugo et la plupart des Amestrians qui revêtaient l'uniforme bleu avaient péri. Aux rescapés, on avait acheté le silence, où alors ils avaient disparu. On avait ajouté leurs noms à la liste des soldats morts au combat après coup. Tout ceci accumulé ne pouvait que motiver la plupart des militaires à se rebeller. Alors, Edwin, avec quelques autres, avait monté le groupe Ocre.
Eden était arrivée après. Elle venait de l'Ouest mais était militaire elle aussi. Stationnée à Pendleton, elle avait vu les conflits s'envenimer et personne n'essayait de les calmer. Pire que ça, il lui semblait que l'armée remettait de l'huile sur le feu dès que les choses se stabilisaient. À un moment, elle avait gradé et était montée à West City où elle espérait faire changer les choses, mais la mentalité du Lieutenant Général qui gérait la région était pourrie. Alors elle avait fait ses recherches pour rejoindre le groupe Ocre et former un groupe associé dans sa région.
Le but de tout ça ? Mettre en place des actions contre les décisions gouvernementales injustes, éviter que des drames ne se reproduisent, aider les familles des victimes ; pourquoi pas, sur le long terme, lorsque les groupes seraient suffisamment coordonnés, renverser le pouvoir en place pour changer le régime. Ils ne savaient pas trop, encore. Pour le moment, c'était surtout la réunion de toutes les personnes qui en avaient ras-le-bol.
Edward hallucinait. Du haut de ses treize ans, à cette époque, il ne pensait qu'à la pierre philosophale, se plaignait se son supérieur débile, arrêtait qui on lui demandait d'arrêter pourvu qu'il soit financé, aidait les personnes qui en avaient besoin sur son chemin, mais ne cherchait jamais – jamais – à aller plus loin. Sa priorité, c'était Alphonse. Il était loin de se douter que Roy Mustang n'était pas le seul à vouloir faire bouger les choses. À bien y réfléchir, lors du Jour Promis, il s'était focalisé sur ce qu'il se passait à Central. Grumman en avait profité pour faire sa propre révolution. Quant aux autres régions… Oui, il y avait eu des tentatives de coups d'État en même temps, plus ou moins coordonnés et il ne se souvenait pas que les hauts gradés sur place aient voulu changer la version officielle de ce qui avait été publiquement annoncé. Il n'y avait pas eu de sécession. Tout le monde avait été d'accord. Quand il y repensait, cela relevait presque du miracle. À moins que…
La sonnerie retentit. Le temps avait passé, et voilà que les participants de la réunion apparaissaient au compte-goutte. Sa présence surpris tout le monde, provoqua des réactions plus ou moins positives. Mme. Hess, prénommée Anke, lui sauta presque littéralement dans les bras : elle était certaine qu'il viendrait, son frère avait fait du bon travail, c'était vraiment une bonne nouvelle, ça, avec Eric Ford au côté du groupe Ocre, ils étaient certains de faire passer un message fort, un message – et si on prenait le tunnel de Gesundheit comme symbole ? Il y a toutes les victimes, là-bas, et on pense au sauvetage, on pense à tous ces innocents qui ont été évacués par le train pendant que la bataille faisait rage. Mais oui, c'est vraiment une super idée, et Eric Ford porterait la bannière, devant, en première ligne, lorsqu'il faudrait renverser le pouvoir. Ce serait -
- Anke, vous vous emballez, soupira Erwin. On n'en est pas là. Et puis, la gestion militaire, ce n'est pas votre fort.
- Ce n'est pas parce que je suis comptable que je ne peux pas donner des suggestions et participer aux actions !
Franz Bauer fut l'un des derniers à arriver et il serra chaleureusement la main d'Edward :
- Le roux, ça vous donne un drôle d'air. Le blond vous allait bien : ça aurait évité que vous vous teignez les cheveux, Ed. Pourquoi vous n'avez pas gardé votre couleur naturelle.
- S'il vous plait, Franz, ici, je suis Eric.
- Ah, oui. C'est vrai que je vous ai connu sous votre véritable prénom, alors… Excusez-moi. Comment va votre main ? Je peux voir ? Ça a bien cicatrisé et la peau est belle. Vous pourriez envisager de vous mettre un automail, vous savez ? Le nerf est en état, l'opération a laissé une coupure nette. J'y ai pensé, vous savez, quand je vous ai opéré. C'était un risque de faire comme ça, parce que j'aurais pu inciser plus, mais vous n'auriez plus eu vos phalanges et, là, pour mettre un automail, c'est compliqué. Mais pour un combattant comme vous, c'était important d'envisager un automail, d'autant que vous avez l'habitude, avec votre jambe droite.
- Si besoin, mon père est un bon artisan, intervint Sasha. Il fait dans l'automail de combat, avec des armes à feu intégrées. Il y en a tellement depuis Ishbal, alors c'est un bon business.
- Honnêtement, j'aime pas trop les armes à feu… Mais ça peut être une bonne idée. Il faut voir si je peux rester, après.
En tout, ils étaient une douzaine pour la réunion. Edward ne retint pas tous les noms, mais observa particulièrement les deux futurs représentants de l'Est. Le bras droit, Bardo, lui rappelait particulièrement quelqu'un, avec ses yeux sombres, sa barbe naissante, ses cheveux mi-longs, bruns… Mais il pouvait être n'importe qui et, bientôt, son attention fut absorbée par une question primordiale : l'homme qui se faisait appeler Eric Ford avait-il le droit d'assister à la réunion. Eden et deux autres votèrent contre. La majorité décida qu'il pouvait rester.
- Bon, commença Edwin. L'ordre du jour, c'est, pour commencer, et comme d'habitude, le compte-rendu de la situation actuelle dans les régions sud et ouest. Ensuite, messieurs, vous nous parlerez de l'Est et de vos projets. Après, on laissera la parole à Eric : vous pourrez parler de vos plans et de ce qui a bien pu vous mener ici. Enfin, on parlera de l'action qui se prépare à South City pour l'attaque de la prison. Est-ce que quelqu'un veut rajouter quelque chose ?
La réunion débuta. Edwin fit un état de lieu de la situation dans le Sud et Edward n'apprit rien de plus qu'il ne savait déjà. Eden, parla ensuite de l'Ouest en s'attardant sur Pendleton et sur sa difficulté qu'elle avait à recruter des personnes en-dehors de cette ville-là. West City était une véritable catastrophe du point de vue militaire et elle voyait mal comment se mettre des dirigeants dans la poche, si ce n'était avec le chantage. Elle avait déjà fait quelques dossiers qui lui permettraient d'actionner des leviers le moment venu mais il ne s'agissait pas des hauts gradés les plus intéressants.
Les deux invités de l'Est prirent ensuite la parole et mirent en avant la misère sociale des Ishbals, condamnés à vivre dans des bidonvilles autour de certaines villes de l'Est ou à fuir dans le désert. Ils mirent en cause les actions de Grumman, insultèrent ses choix – saviez-vous qu'il avait récemment promu Colonel le Flame Alchemist, l'un de ceux qui a le plus participé au génocide des Ishbals ? D'ailleurs, sa petite fille, Hawkeye, l'œil du Faucon, est sous les ordres de cet enfoiré : ils font la paire tous les deux -, soulignèrent l'abandon de certaines villes aux mains de militaires véreux. Ils avaient été choqués de ce qu'il s'était passé à Fosset, interloqués par le nombre inexpliqué de portés disparus. Alors, oui, il fallait agir. C'est pourquoi ils voulaient rejoindre le mouvement et créer un groupe à l'Est. Ils déblatérèrent longuement de la manière dont ils allaient s'y prendre – avaient-ils déjà des adeptes, un quartier général, un champ d'action… ? - et finirent par voter leur nom : ils s'appelleraient le groupe Azur et en feraient baver à ce Grumman.
Edward prit la parole après toutes ces interventions, mal à l'aise. Il savait que Grumman faisait du mieux qu'il pouvait et se rangerait du bon côté le moment venu et les insultes sur Roy le plongeaient dans une dualité étrange. Il savait qu'il était bon, qu'il voulait le bien et qu'il n'avait rien à lui reprocher ; pourtant une sorte de colère ancienne remontait en lui, celle qu'il avait éprouvé contre le Colonel pour des raisons qui n'avaient plus lieu d'être mais que tout le monde, ici, partageait avec son jeune lui.
Il ignora ses sentiments et ses réflexions pour exposer son problème : bien entendu, les actions que prévoyaient les différents groupes avaient tout son soutien. Pour autant, il ne souhaitait pas s'investir pleinement dans ces organisations terroristes parce que lui-même avait ses propres projets qui, par ailleurs, serviraient les différents groupes dans un avenir proche. Il avait des amis militaires et ils les aideraient depuis l'intérieur sans pour autant se joindre officiellement à ce qu'ils faisaient. Anke Hess faillit intervenir pour donner le nom d'Hughes mais Edward la coupa immédiatement, insistant sur l'importance de garder anonymes les personnes qui pouvaient encore l'être. Par ailleurs, c'était justement pour préserver cette discrétion qu'il était venu.
- Franz, votre femme m'a déjà donné une réponse à cette question, mais je voulais tout de même en être certain : lorsque vous m'avez soigné, avez-vous trouvé une montre d'alchimiste d'Etat sur moi ?
- Je crains que non.
- Dans ce cas, et je sais que cela peut paraitre parfaitement égoïste de ma part quand je ne souhaite pas rejoindre votre organisation, je voudrais vous demander une faveur. Si cette montre est retrouvée avant moi par les mauvaises personnes, mon réseau risque d'être démantelé – ce qui inclut votre frère, Anke – et je n'ose imaginer les conséquences que cela pourrait avoir sur les personnes impliquées et sur l'avenir de ce pays…
On lui posa des questions auxquelles il répondit vaguement. Finalement, on décida de reporter le vote à la fin de la réunion. Après le dernier sujet. Il s'agissait en effet d'une action particulièrement musclée qui ferait connaître le nom du groupe Ocre dans le pays entier. Plusieurs personnes qui avaient aidé les projets d'Eric Ford à Fosset avaient été arrêtées – c'était le cas de William Ermberg – et il était temps de les libérer avant que leur sort ne s'avère définitif. Deux gardiens de prison étaient dans le coup, dont un qui n'était pas exactement fiable. Il était temps de choisir une date et de mettre en œuvre le plan. Il fut décidé que le tout serait planifié pour la première semaine d'octobre, encore fallait-il pouvoir se coordonner. Edward serra les poings. C'était pour sauver William. Il devait bien ça à Gabin.
- J'aimerais bien participer.
Le visage d'Erwin s'illumina.
- Avec un alchimiste comme vous, on est certain d'y arriver. Si vous pouviez creuser quelques tunnels de marbre, ce serait un message vraiment incroyable. Tout le monde en parlerait. On aurait de nouveaux révoltés pour nous rejoindre, c'est certain. Et puis, ça voudrait dire que vous êtes en vie, libre, prêt à en découdre.
- Il faut encore que je voie si ça peut être compatible avec ce que j'ai prévu, mais…
La pièce fut plongée dans un brouhaha terrible. Tout le monde parlait en même temps, s'enthousiasmait de cette perspective. Quelqu'un sorti un plan de la prison, un autre sorti une carte des égouts de la ville. Avec de l'alchimie, il y avait tellement plus de possibilités, tellement plus de facilité à réaliser quelque chose.
Edward observa ce spectacle avec horreur. Il avait parlé trop vite. Il n'était même pas certain de pouvoir réitérer l'exploit qu'il avait accompli à Fosset. Ces tunnels interminables, la fatigue harassante, ses mains et ses bras brûlées par l'élixirologie, l'air empoisonné, tous ces morts, les homonculus. Il devait bien y en avoir un à South City à gérer la situation. Cela dit, les évènements étaient déjà loin. Peut-être qu'il pourrait agir sans les avoir sur le dos. Peut-être…
Ses poings se serrèrent sur ses paumes moites. Était-il encore capable de faire de l'élixirologie, au moins ? Pourquoi ce blocage ? Pourquoi cette appréhension irrationnelle à chaque fois qu'il y pensait ?
Si ton frère te voyait dans cet état, mon pauvre vieux…
Après la réunion, Sasha invita Edward à se joindre à elle pour dormir à son domicile. Il rencontra ses parents et son père examina sa main. Il lui faudrait deux semaines pour assembler les pièces – pour l'automail lui-même et pour le port. Ensuite, s'il le souhaitait, il pourrait procéder à l'opération. Gratuitement. Si, si, gratuitement. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut aider le héros du peuple.
Edward ne savait pas qu'on lui donnait ce surnom. Encore. Quoi qu'il fasse, il n'arrivait pas à s'en débarrasser. Un instant, il crut que les choses étaient revenues à la normale. Mais non. Tout le monde l'appelait encore Eric. Et puis, y avait-il une réalité plus réelle qu'une autre ? Il était tellement ancré, maintenant…
- Allo ? appela la voix de Roy.
Edward sourit dans sa cabine téléphonique, ravi de ne pas l'avoir manqué avant son départ au travail. Il avait dû attendre le lendemain matin pour trouver un moyen de communication et se fondre dans la foule.
- C'est moi.
- Ah ! T'aurais pas pu appeler plus tôt ? Tu vas bien ?
- Si j'ai pas appelé, c'est que j'ai pas pu. T'es marrant, toi. Tout se passe bien à la maison ?
- Oui, oui. J'ai torturé Gabin hier et je vais recommencer ce soir. Ca me plait, comme job, superviseur.
- Le pauvre.
- Il est pas si malheureux. Déjà, il a un toit au-dessus de sa tête. C'est plus que beaucoup de monde, tu sais ?
- Tu lui fais à manger, j'espère ?
- J'ai fait une quiche hier soir. T'as vu comme je me décarcasse pour ton morveux ? Sérieusement, tu me fais faire de ces trucs… Bon, par contre je dois partir au travail : dis-moi ce qu'il s'est passé.
- Pour te faire un résumé : les femmes de l'Ouest sont toutes aussi agréables que Madeleine ; le groupe Ocre commence à s'agrandir et s'ouvre à l'Ouest et à l'Est ; je pense que tout ça a quelque chose à voir avec les coups d'Etat qu'on a vu naitre dans le pays lors du Jour Promis ; ils me veulent comme figure de proue mais j'ai dit « non » ; aucune idée d'où se trouve la montre mais on va monter quelque chose pour mener l'enquête ; Erwin organise une évasion de la prison de South City pour secourir des gens – dont William Ermberg, le parrain d'Isabelle. Je me suis proposé pour les aider.
- … Quoi ?
- C'est pas encore sûr mais-
- Hors de question, Edward. Je savais que c'était pas une bonne idée de t'envoyer là-bas. Rentre à la maison, maintenant.
- J'ai encore des choses à voir avec Erwin. Et peut-être que je vais me faire poser un automail mais ça va prendre au moins deux semaines.
- Un automail ? Mais pour quoi faire ?
- Pour remplacer mes doigts.
- T'en as pas besoin de tes doigts !
- Ce serait plus pratique s'il faut que je me batte. Tu sais, je pourrais les transmuter en lame. Ou alors en planquer à l'intérieur, tu vois…
- Tu n'es pas allé là-bas pour te battre, Ed ! Concentre-toi sur cette putain de montre. Tss, il faut vraiment que j'y aille. Rappelle-moi ce soir, il faut qu'on parle de tout ça. Et pas de décisions inconsidérées, d'accord ?
- Oui, oui… soupira Edward en roulant les yeux. T'inquiète.
- Si, justement, je m'inquiète. Bref, appelle-moi, sinon j'envoie quelqu'un pour te récupérer, okay ?
- Je t'ai dit oui !
- Bon. Passe une bonne journée.
- C'est ça, ouais.
Roy raccrocha, sérieusement agacé.
- Ça va ? interrogea Gabin qui finissait de boire un bol de chocolat chaud sur le canapé.
- Non, ça va pas. Ton abruti de maître est déjà en train de monter des plans dangereux tout seul. Bon, je règlerai ça plus tard. Toi, en attendant, tu files dans le labo et tu bosses sur les exercices qu'Ed t'a donné à faire. Okay ?
- T'es pas obligé d'être aussi méchant, grommela le gamin en posant le bol sur la table basse.
- Et tu laves ça. Je suis pas ta boniche. Aller, passe une bonne journée.
- Toi aussi, Roy ! sourit le morveux en agitant sa main en guise d'au revoir.
Roy claqua la porte derrière lui et partit pour une journée de folie. La visite du Général Harouko n'aidait en rien l'inquiétude qui s'était installé en lui depuis le départ d'Edward. Pourtant, il devait faire bonne figure et se faire bien voir. C'était la première fois qu'il le rencontrait et, si quelqu'un pouvait faire levier pour l'aider à être muté à Central, c'était bien lui. New Optain, bien qu'elle soit une ville secondaire de la région Est, avait encore plus d'influence qu'East City pour sa proximité géographique et politique avec Central.
- Détendez-vous, Colonel, suggéra Hawkeye de son habituelle voix austère.
- J'aimerais bien vous y voir, vous.
- Nous avons fait des choix de vie différents, Colonel. Ne venez pas vous en plaindre.
Elle lui parlait sans doute d'Edward, mais il ignora parfaitement son cynisme tandis que la voiture du Général s'ouvrait en bas des escaliers. Grumman descendit, salua Harouko et fit son discours. Le Général passa ensuite vers les différents hauts-gradés, serra des mains ; la sienne en faisait partie.
La journée fut, si elle n'était pour une fois pas ennuyeuse, longue. Trop longue. Il ne fut libéré que tard dans la soirée. Il détestait les repas mondains, surtout ceux en lien avec le travail, même s'il excellait en la matière. Faire bonne figure, sourire à tout va, charmer les femmes de ses supérieurs, rires aux blagues de vieux rabougris… Tout ça, il savait faire. Mais, ce soir, il avait d'autres chats à fouetter. Comme répondre au possible coup de téléphone qu'était censé lui passer Edward.
Lorsqu'il arriva finalement chez lui, ce fut pour trouver Gabin effondré sur le canapé, assoupi en boule entre les coussins. Roy se sentit étrangement coupable de l'avoir laissé là tout seul et s'accroupit près de lui pour lui secouer l'épaule :
- Hey, morveux… Va dans ton lit, va. Tu seras mieux.
- Oh… Pardon, je me suis endormi…
Il bailla en se redressant sur un coude, le regard embrumé.
- Ed a appelé, marmonna-t-il. Il a dit qu'il restait là-bas pour le moment.
- Merci Gabin.
- Il rappellera demain, il a dit.
- D'accord.
- J'ai fait des exercices. Ils sont dans la véranda…
- T'inquiète. Aller, va au lit.
Le blond se frotta les yeux après s'être redressé, bailla, enlaça Roy qui ne sut pas comment réagir, puis disparut à l'étage pour aller, probablement, s'effondrer dans son lit. Malgré lui, le militaire se sentit plus détendu et décida de fuir cette sensation en se dirigeant vers le nouveau laboratoire de son conjoint.
Faut qu'il arrête d'être tactile comme ça, ce gosse…
Il n'avait pas du tout envie de dormir, alors il se servit un verre de vin et alla s'attabler avec les exercices que Gabin avait fait pendant la journée. Il corrigea les quelques erreurs, bu son verre, et se retrouva assis au beau milieu de la nuit sans avoir plus rien à faire. Dormir était une option, bien sûr, mais étant données les circonstances, le sommeil ne serait certainement pas bon. De toute manière, c'était toujours la même chose lorsqu'Edward n'était pas là – et qu'il ne le savait pas en sécurité.
Il laissa échapper un soupir, posa son front contre le bois de la table et perdit ses doigts dans ses cheveux. À ce rythme, il allait avoir des cheveux blancs avant la trentaine ; et ce n'était pas bon pour son image publique. Ou alors, justement, ce pourrait être un avantage. Tout le monde lui reprochait son âge. Avoir l'air plus vieux lui permettrait peut-être d'être mieux accepté dans les rangs d'élite du gouvernement militaire.
Non, il ne voulait pas vieillir. Tant pis pour l'acceptation. Vraiment, la tignasse poivre et sel, ce n'était pas fait pour lui.
Il laissa glisser ses mains à l'autre bout de la table, s'étira comme un chat avant de bailler. Le lendemain serait une nouvelle journée, peut-être aussi chargée que la précédente. Il était vraiment temps qu'il aille retrouver sa chambre. Aussi se leva-t-il, mais la perspective de trouver son lit vide poussa de nouveau ses pas dans la véranda. Son sourire s'étira à la vue du chaos qui régnait dans la pièce et, lentement, il se mit à déambuler au milieu des gribouilles et pattes de mouche, des boules de papiers échouées au sol, des fioles, des alambics, des cercles de transmutation tracées ci et là. De temps en temps, il saisissait une feuille, la déchiffrait distraitement ; prenait un flacon, en reniflait son contenu.
Sa promenade s'acheva sur le siège de bureau d'Edward. Ses doigts parcoururent l'office, ou plus exactement tout ce qui l'encombrait. Les documents, ici, semblaient plus complexes que précédemment. Il s'agissait sans doute de ses recherches vaines sur les voyages temporels puisque la plupart des cercles qu'il découvrait relevaient de l'élixirologie. N'empêche que, même en se concentrant de toutes ses forces, il ne parvenait pas à comprendre un traitre mot de ce qui était écrit. Il lui faudrait des jours pour déchiffrer le code, traduire tous les noms de villes, transformer ses fausses notes de voyage en recherches compréhensible par le commun des scientifiques. Un instant, il se surprit à admirer l'intelligence qui transparaissait sous chaque ligne tracée et il laissa ses traits s'attendrir.
Roy resta ainsi un instant, puis s'étendit contre le dossier de la chaise et se mit en quête de crayons et de papier vierge. Il passa l'heure suivante à décrypter les hiéroglyphes, à déchiffrer les signes présents dans les cercles xinois, à décoder les notes d'Edward. L'alchimiste qui était en lui ressurgit petit à petit, ravi d'être dépoussiéré, lui qui avait été relégué au second plan depuis que l'armée avait fait de lui un gratte-papier. Il ne vit pas les aiguilles courir sur le cadran de l'horloge, ni ne ressenti le besoin de rejoindre sa chambre. La seule chose qui l'arrêta fut son crayon à papier dont la mine se brisa dans un geste négligent.
- Merde…
Edward ne devait pas être le genre de type à posséder un taille-crayon. Il l'imaginait plutôt récupérer un couteau dans la cuisine pour hacher le bois et découvrir le charbon. L'image le fit sourire, mais il chercha néanmoins dans les tiroirs s'il ne possédait pas un taille-crayon classique. Dans le deuxième casier, il vit rouler un objet argenté. Un instant, il pensa avoir retrouvé le gousset d'alchimiste d'Etat et il le saisit avec espoir. Mais non. Il s'agissait de la montre qu'il était censé offrir au Fullmetal, décoré avec un goût que seul Edward pouvait apprécier.
Roy soupira, déçu. Son regard s'attarda sur le démon gravé dans l'argent. La créature semblait diabolique, tout droit inspirée des chimères que les alchimistes tentaient de transmuter. Edward lui avait dit qu'il en rencontrerait quelques-unes, mais il avait du mal à le croire. Les chimères ne portaient pas leur nom sans raison : elles étaient des rêves, des cauchemars dont personne ne voulait vraiment. Pourquoi lui avait-il offert une montre aussi laide, d'ailleurs ?
Non, la véritable question, c'était « comment ». Il doutait que quiconque ait pu un jour construire une chose pareille. C'était une insulte au monde de l'horlogerie. Roy gloussa, puis ouvrit la montre, dévoilant ses aiguilles d'argent qui parcouraient le cadran.
Roy fronça les sourcils. La vitre était cassée et, après quelques secondes d'attention, il remarqua que les aiguilles ne bougeaient plus. C'est vrai qu'il l'avait lancée dans la haie de jardin dans un moment de colère, il y avait de cela quelques mois. Mais, avec l'alchimie – ou l'élixirologie -, il n'y avait rien d'irréparable. Pourquoi Edward l'avait-il laissée au fond de son tiroir sans la remettre en état de marche ? Ça ne lui ressemblait pas. Et il avait toujours une montre sur lui, d'habitude.
Il passa un moment à méditer sur ces questions, se perdant entre les lignes et la géométrie des graphismes du fond. Ils formaient des traits étranges sous le verre brisé, s'entremêlaient et se rejoignaient pour créer des formes abstraites franchement peu esthétiques.
En fait, il resta si longtemps ainsi qu'il lui sembla que la fatigue reprenait le dessus sur la crainte qu'il avait d'aller se coucher seul. Pourtant, un détail le tira soudain de sa léthargie : au milieu de tous ces traits, caché au cœur des dessins, était tracé un minuscule cercle de transmutation.
C'était un cercle de transmutation basique, et il rit en le voyant. Si Edward l'avait vu, il n'avait probablement pas dû apprécier la blague. Privé de son alchimie, même ça, il ne pouvait pas l'activer.
Son rire, pourtant, fut de courte durée. Il se redressa en sursaut. Les yeux grands ouverts. Non. Ce n'était pas n'importe quel cercle de transmutation : c'était le premier qu'il avait réussi à réaliser dans la maison de Berthold Hawkeye. Le premier en rapport avec l'alchimie du feu.
Roy retint son souffle, le cœur soudain emballé. Il ne savait pas ce que cela signifiait, et il n'était pas sûr de vouloir le savoir. En fait, cette montre, il n'avait pas dû la trouver par hasard, et elle n'avait pas dû lui faire penser à Edward. Non. Il l'avait faite. Avec un talent qu'il ne se connaissait pas, mais il n'y avait pas d'autre explication à tant de détails.
Il hésita.
Finalement, il posa son doigt sur le minuscule cercle et l'activa. Derrière le verre qui formait le fond du cadran, le papier aux formes stylisées se consuma et le feu le mordit pour le réduire en poussière. Derrière, très fine, se trouvait une autre couche de glace. Un nouveau décor s'offrit aux yeux de Roy : celui d'un papier jaunit sur lequel des lettres manuscrites avaient été étalées à la hâte. Choqué, Roy dû s'y reprendre à plusieurs fois pour lire les mots tremblants qui étaient marqués. Si le subterfuge l'interloquait, l'écriture familière fit autant chanceler ses mains que son esprit et le message percuta son buste si fort qu'il crut avoir oublié comment respirer.
« Après Fosset : ne change plus les choses. J'ai déjà essayé. C'est pire. Ed sait comment rentrer chez lui. Il doit absolument le faire avant le 25 novembre 1912. Sinon, il meurt. RM »
