En ce qui concerne les bouleversements au sein de la nouvelle famille royale, l'an 286 n'est visiblement pas satisfait de s'en tenir à un bâtard refaisant surface pour être confié à son père suite au sordide assassinat (même si personne n'emploie ce mot à voix haute) de sa mère saltimbanque.
En ce qui concerne Bruce, c'est l'évènement qui lui fait le plus plaisir. Il déplorera toujours les circonstances ayant conduit Dickon à rejoindre Accalmie, mais une quinzaine à peine depuis l'installation de son premier-né sous son toit et il réalise qu'il mourrait si jamais il venait à le laisser partir.
Pour sa part, Dickon semble s'acclimater à merveille. Il fait encore le deuil de sa famille maternelle (Bruce comprend intimement ce chagrin et lui laisse autant d'espace que possible) mais entre ses accès de mélancolie, le garçon explore la cour du château, court sur la plage avec Renly et Timo en quête de crabes et de flaques pour patauger, et escalade les murs au risque de tomber et de se rompre le cou.
La rumeur prétend que les bâtards grandissent plus vite et plus impétueux que les enfants légitimes, mais Bruce repense à sa propre enfance, à Robert et Stannis tels qu'il s'en souvient et que mestre Cressen les a décrits à maintes reprises, et n'y voit pas de grande différence. Peut-être que tous les enfants traversent une phase où ils ne peuvent s'empêcher de se fourrer dans les jambes de tout le monde, ou peut-être s'agit-il uniquement des tempêtes bouillonnant dans le sang des Barathéon.
Sa très chère belle-sœur ne perd pas de temps pour critiquer sa décision de recueillir son fils, bien entendu, alors que son accouchement récent devrait lui accorder une perspective fraîche sur les relations entre parent et progéniture. Cela dit, c'est de Cersei Lannister qu'il s'agit : Bruce a eu le déplaisir d'interagir avec elle une poignée de fois, et il faudrait vraisemblablement une intervention directe des Sept pour redresser un caractère aussi tordu.
Si les Enfers existent, voudront-ils seulement de la lionne qui se proclame une reine, ou la jetteront-ils à la porte pour avoir dépassé les limites de l'odieux ? Grande question.
Bruce n'a pas eu l'opportunité de rencontrer son neveu, se bornant à recevoir un courrier l'informant de la naissance du prince héritier, Joffrey Barathéon – un prénom attribué au premier roi Andal de la maison Lannister, ainsi qu'à l'un des fils supposés bâtards de Rhaenyra Targaryen. Ça ressemble furieusement à une insulte longuement ruminée, et le tempérament fielleux de Cersei signifie que c'en est probablement une.
Bruce est partagé. D'un côté, il devrait s'indigner au nom de Robert, par solidarité fraternelle et par loyauté envers son roi. D'un autre côté, ce n'est pas comme si Robert ne cherche pas un peu l'hostilité de sa famille, à piétiner constamment là où ça enrage et fait le plus mal.
Témoin ce qui s'est passé le jour même des noces de Stannis, plus tard dans l'année. Très sincèrement, le second frère Barathéon n'est pas le genre à se marier – trop maladroit, trop gauche avec autrui pour se sentir à l'aise avec ce type particulier d'intimité – mais il fallait casser l'emprise des Tyrell sur le Bief, et les Florent ne demandaient qu'à aider dans cette entreprise du moment qu'une de leurs filles recevait un époux avantageux.
Et voilà comment Stannis se retrouve marié à une femme que la perspective du mariage semble rebuter autant que lui. Au moins auront-ils cela en commun, c'est déjà un pas vers un possible rapprochement. Quoique, Selyse Florent aurait au moins pu s'épiler un peu mieux la moustache pour le grand jour.
Mais ce qui ruine abjectement l'humeur est la découverte de Robert étrennant le lit nuptial avec la propre cousine de la mariée, Delena Florent. Stannis rage après Robert, ser Colin Florent gifle vigoureusement sa fille sur les deux joues en présence de tous les invités, Selyse et Cersei font figure de statues de divinités vengeresses et Bruce ne peut que bénir Alfred pour avoir expédié les enfants au lit trois heures plus tôt – il n'aurait plus manqué que de les laisser voir ça.
Même Renly est trop jeune pour assister à la débauche de son frère aîné. Et Tim n'a pas besoin de se faire des idées fausses concernant la fidélité conjugale et le déroulement des cérémonies nuptiales, tant pis s'il va s'unir à la future Princesse régnante de Dorne. La Vipère Rouge en personne ne s'adonnerait pas à ce genre de caprice embarrassant pour son propre frère et suzerain.
Bruce ne hait pas Robert, pas réellement, mais son roi ne lui facilite vraiment pas la tâche, surtout dans ces moments-là. Surtout lorsqu'il refuse de présenter ses excuses à Stannis, disant qu'il fallait bien utiliser le lit et que laissé à lui-même, le Sire de Peyredragon n'aurait même pas touché son épouse du bout des doigts.
C'est juste cruel d'accuser Stannis de la sorte, surtout pour qui sait la vérité, pour qui est conscient que Stannis n'est pas à l'aise avec lui-même depuis sa plus tendre enfance et que devenir un homme fait n'a rien arrangé. Robert n'a jamais été là pour le voir, n'a jamais voulu être là pour le voir, mais Bruce était présent, lui. Bruce a grandi avec un frère aîné qui paniquait à la perspective d'une étreinte affectueuse, qui pouvait à peine supporter qu'on lui tienne la main pour le réconforter.
C'est sans doute difficile à imaginer pour Robert, lui qui adore les caresses et les embrassades vigoureuses, lui qui assène bourrades enthousiastes et taloches excédées comme il respire, lui qui pince sans hésiter et s'adresse aux gens de si près qu'il pourrait les toucher et le fait fréquemment. Ça ne veut aucunement dire qu'il a le droit de refuser de se mettre à la place des autres, surtout son propre cadet.
Bruce ne hait pas Robert. Bruce ne veut pas détester Robert, mais Stannis est également son frère, celui qu'il a souvent singé dans son enfance et qui comprend ses propres silences sans le besoin de lui imposer des mots qu'il n'a ni réclamé ni choisi. Stannis est celui de ses frères qui a toujours été là, tandis que Robert ne cherche que des prétextes pour se sauver d'Accalmie et loin de sa famille par le sang.
Les Barathéon ont déjà été fracturés par la mort, et menacent maintenant d'être brisés par une nonchalance cruelle à force d'indifférence. Et le pire est que Bruce ne peut même pas riposter – impossible de protester quand votre frère est également votre roi, si vous tenez à conserver votre tête. Alors il doit se contenter de fulminer et de grincer des dents.
Il est presque méchamment soulagé que Robert néglige de s'intéresser à Renly et à ses neveux par Bruce – une intonation hargneuse lui susurrant à l'oreille que Robert ne mérite pas de connaître les enfants, puisqu'il n'est déjà pas capable de se montrer un bon frère. Et peut-être même vaut-il mieux pour les bâtards de Robert d'ignorer jusqu'à leur lien de parenté avec lui.
Il ne devrait pas plaindre le prince héritier des Sept Couronnes, mais la pitié lui serre les entrailles alors qu'il s'imagine Joffrey Barathéon grandir avec un père comme Robert et Cersei Lannister en guise de génitrice. Pareils ingrédients, cela ne peut qu'aboutir à un baril de feu grégeois instable et le premier venu pourra vous dire que le feu grégeois ne manque jamais d'exploser. Et de pulvériser le pâté de maisons environnant pour faire bonne mesure.
Peut-être Bruce devrait-il s'installer à Dorne avec les enfants une fois Tim uni à Arianne Martell. Histoire de ne pas se situer à proximité du désastre.
