Et here we come la grosse discussion de la tristesse...


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— Midoriya mon garçon ! Je suis bien heureux que tu m'appelles ! Comment vas-tu ?!

Comme toujours, votre engouement m'arrache un sourire. Pas une once de ressentiment dans votre ton, je sais que vous êtes sincère, quand bien même cela fait pratiquement un mois que nous ne nous sommes pas parlé.

— Bonjour All Might... Oui, ça fait longtemps. Je vais bien. Et vous ?

— Je suis ravi de l'entendre ! Je n'ose imaginer comme les dernières semaines ont dû être compliquées pour toi, avec les examens... Mais je suis ravi de pouvoir te féliciter de vive-voix pour ton titre : bravo, Midoriya mon garçon ! Tu es enfin devenu le héros que tu voulais tant devenir !

L'heure n'est pas aux réjouissances pourtant, j'apprécierais que vous arrêtiez de me faire sourire de cette manière. Mais je sais que vous n'en savez bien. Vous n'avez probablement aucune idée de la bombe que je suis obligé de vous envoyer dans les dents. Vous n'avez aucune idée du déchirement intérieur qui gronde en moi, à cet instant. De mes pensées qui tentent à tout prix de s'accrocher à l'image de Shôto pour ne pas me dérober.

Vous n'avez aucune idée de l'état dans lequel je risque de vous mettre dans peu de temps. Du fait que c'est peut-être bien la dernière fois que nous nous parlons.

Complètement abattu à cette idée, je ne peux pas empêcher mon sourire de rester collé à mon visage et de me gorger de votre bonne humeur de toute mon âme.

J'ai envie de profiter à fond de cette dernière fois.

— C'est beaucoup grâce à vous, All Might... ne puis-je m'empêcher de rappeler, car c'est la vérité vraie et je suis toujours trop modeste pour mon propre bien. Vous m'avez inspiré et vous m'avez donné une chance inespérée…

— Une chance que tu as méritée, mon garçon ! Toi, ton grand cœur, et ton âme vaillante, héroïque, même... Ç'aurait été dommage de gâcher un héros avec un tel potentiel ! Je déplorerais toujours les terribles épreuves par lesquelles tu as dû bien trop vite passer, mais je-

— All Might, vous interrompé-je à mon tour. Merci. Énormément. Vous y êtes tout de même pour beaucoup dans ma réussite et je vais m'évertuer à poursuivre mon rêve et à devenir un grand héros. Peut-être même encore plus grand que vous.

Vous riez. Je sais que vous débordez de joie et de fierté de m'entendre dire ça. Cela ne fait pas longtemps que je pense de plus en plus à tenter de vous dépasser, par tous les moyens, et vous adorez l'idée.

Sûrement plus grand que moi. Tu y arriveras, mon garçon. J'ai une confiance aveugle en toi.

Mon sourire se tord.

Vous ne devriez pas, pourtant.

— Mais raconte-moi donc comment se passent tes premières journées de pro-héros ! As-tu déjà fait revoir ton costume par des professionnels en dehors de Yuei ?

— Non, mais c'est en cours. Je vais continuer à travailler avec Mei Hatsume, comme je vous l'avais déjà dit. Elle est complètement partante pour l'idée. Je pense même que la plupart des gens de notre promotion vont continuer avec elle.

— Elle a parfaitement réussi sa comm', what a genius ! riez-vous de bon cœur. Je ne doute pas que les prochaines modifications de ton costume vont être incroyables !

— Elles le seront certainement, oui... Mais pour le moment, je suis en stand-by, je ne vais pas commencer tout de suite.

— Comment ça se fait ?

— Je n'ai pas... encore fait mon choix définitif quant à l'agence que je vais rejoindre, vous annoncé-je, aux antipodes de ce que je vous avais dit la dernière fois que nous en avions parlé.

— Vraiment ?! Tu ne comptes finalement pas suivre Todoroki dans sa reprise de l'agence d'Endeavor ? Ça serait pourtant pour le mieux : l'agence ne souffre pas vraiment de la réputation de leur ancien leader, vous pourriez-

— J'ai changé d'avis, vous coupé-je encore et ça commence à faire beaucoup en un seul appel, venant de moi qui suis si respectueux en temps normal. J'hésite finalement à travailler avec Shôto, et... Je suis désolé, il s'est passé beaucoup de choses ces dernières semaines.

— Je me doute, soufflez-vous, plus sérieux d'un seul coup. Est-ce que tu veux m'en parler, mon garçon... ?

Je ris jaune.

Non, je ne veux pas vous en parler.

Mais je le dois.

Je le dois pour Shôto. Pour moi. Et même pour vous. Je vous dois la vérité, même si elle fait mal.

Mais je me surprends évidemment à hésiter. Mes mots restent bloqués sur ma langue. J'ai beau avoir retourné cette conversation dans ma tête une dizaine de fois, je ne vois pas comment je suis censé vous dire ça.

— Tu n'es plus avec Todoroki... ? vous impatientez-vous, le timbre de votre voix bien plus inquiet. Je suis désolé si c'est le cas, mon garç-

— Je dois vous avouer quelque chose, me décidé-je enfin, les larmes aux yeux et les paupières douloureusement closes. Quelque chose dont j'ai pris conscience très récemment, et pas de la plus douce des manières, et-... Je suis désolé All Might, je ne sais pas vraiment comment vous le dire avec subtilité... Sans compter que...

Je prends une grande inspiration. Je suis soulagé que vous me laissiez finir.

— ... J'ai peur des conséquences que cet aveu va avoir. Je vais probablement vous... Vous faire peur. J'en suis désolé.

— Midoriya, mon garçon... Tu me fais déjà peur... tentez-vous d'ironiser, mais sans le moindre amusement dans la voix.

Mon sourire bancal s'élargit une dernière fois avant de se briser.

Vous faites bien.

— ... Déjà, je voulais vous redire à quel point j'étais désolé de... toutes ces fois où j'ai eu des sautes d'humeur et que j'ai arrêté de vous parler soudainement... Je suis désolé de vous avoir reproché d'être parti en me laissant derrière. Et je suis désolé de... ruiner ce qu'on a actuellement. De le ruiner encore.

— Mon garçon...

Je vous sens navré aussi. Mais je ne préfère pas vous laisser finir. En réalité, aussi heureux et soulagé suis-je de vous parler encore, cet appel est une torture. Il n'aura pas un millier de fins imaginables : vous allez être horrifié. Vous allez juger plus sain pour tout le monde de nous arrêter là et me dire au revoir pour de bon. Et vous auriez bien raison.

C'est pour le mieux. C'est pour le mieux. Je le fais pour Shôto, pour vous, pour moi.

— Je me suis rendu compte... que je vous aime, je crois.

Un blanc suit ma phase, mais j'enchaîne, incapable d'empêcher des larmes silencieuses de rouler sur mes joues.

La honte me pénètre par tous les pores jusqu'à l'os, aussi douloureuse que des tentacules glacés.

— Non, je ne le crois pas : j'en suis sûr. Je suis amoureux de vous All Might, depuis un bon bout de temps, probablement. Et je ne sais pas quoi faire de ce sentiment. Il fout tout en l'air, pas vrai ? Il a ruiné ma relation avec Ochako, il a failli ruiner la nôtre plusieurs fois, et je suis en train de ruiner celle que j'ai avec Shôto à cause de lui... Et je ne peux plus me le permettre, n'est-ce pas ?

Je m'attendais à vous laisser sans voix. C'est pourtant probablement la première fois que je vous entends avoir le sifflet coupé à ce point-là.

Je ne vous en tiens pas rigueur.

— Je suis désolé, couiné-je pour de bon, plus capable de masquer mes sanglots maintenant. Je ne peux plus me permettre de... continuer cette mascarade. C'est... incorrect, pour tout le monde. Et c'est incorrect surtout envers vous. J'ai la sensation de vous avoir menti. Je suis vraiment désolé, All Might...

— ... Mi-... Midoriya... bafouillez-vous à votre tour. Est-ce que... tu te rends bien compte de ce que tu dis... ?

— Oui, réponds-je amèrement, un sourire sans joie couvrant mes dents serrées par un début de colère. C'est terrible, pas vrai ? J'ai 19 ans à peine, vous en avez plus de 50. Sans compter que je pensais sincèrement, depuis tout ce temps... que je vous voyais plus comme un père qu'autre-chose...

L'un n'empêche pas l'autre, me murmure soudainement une voix vicieuse tout au fond de moi.

Je la balaie.

C'est déjà assez compliqué comme ça.

Et vous êtes encore long à répondre. J'ai bien conscience de la violence de ce que je viens de vous avouer, mais mes larmes redoublent sous la honte et la culpabilité et c'est le moment où vous êtes censé dire quelque chose. N'importe quoi. Me recadrer. Me dire que je ne suis qu'un gamin stupide qui a pris ses rêves pour une réalité. Être l'adulte.

J'écrase mon t-shirt dans mon poing serré, au niveau de ma poitrine. Mon cœur me fait tellement mal. Je me sens étouffer pour de bon.

— Je suis tellement désolé, m'étranglé-je de plus belle, écrasé par la puissance de votre silence.

— ... Ne le sois pas, Midoriya, répondez-vous enfin et je crois que je n'ai jamais entendu votre voix si basse ; votre ton si grave. Ce genre de choses ne se contrôle pas... Et tu es probablement loin d'être le seul en tort.

Je rouvre les yeux brutalement, ne comprenant pas le sens de cette phrase.

— Je-... hésitez-vous encore. Nous avons toujours eu une relation particulière, et encore plus ces derniers mois... J'aurais pu... Non, j'aurais le voir venir...

Non.

Pitié, ne faites pas ça, All Might.

Ne rejetez pas la faute sur vos épaules. Pas encore. Pas pour ça.

— Qu'est-ce que vous racontez... reniflé-je pitoyablement. Personne n'aurait pu prévoir une idiotie pareille. Même moi, j'ai mis des années pour le réaliser tellement c'est ridicule...

— Ce n'est pas ridicule, Midoriya, me rabrouez-vous maintenant et j'écarquille les yeux. Ne pense jamais que ce que tu ressens est ridicule. Tes sentiments et tes émotions sont ce que tu es, et... pour des personnes sensibles comme nous, ils sont parfois difficilement contrôlables...

Je vous entends soupirer, chercher encore vos mots. Je ne m'attendais pas à une réaction aussi calme, je dois le reconnaître. Ça apaise mes larmes et heureusement, même si ça ne ralentit pas les battements inhumains de mon cœur.

— Je suis désolé mon garçon, je ne sais pas quoi te dire... Je ne sais pas ce que je suis censé te dire. Je suis... totalement pris au dépourvu...

... Comment ça, « vous ne savez pas ce que vous êtes censé me répondre » ?

All Might... C'est vous l'adulte, ici.

Vous êtes censé me dire, au mieux, qu'aussi adorable soit ces sentiments miteux, je dois tout faire pour les refreiner. Je dois les faire disparaître. Je dois me concentrer sur Shôto et continuer juste de vivre ma vie loin de votre ombre, et...

— Je... continuez-vous, même si le grondement dans ma tête rend votre voix un peu plus lointaine. Je me suis posé la question plusieurs fois, pour être totalement honnête avec toi... J'espérais me tromper...

Une tonne de plomb me tombe dessus.

Évidemment, que vous vous en doutiez. Si Shôto l'a senti, si même Tôya l'a compris, comment vous, le premier concerné, auriez pu passer au travers... ?

— Je-je sais que je suis censé te dire ce qui est le mieux à faire maintenant, mais je-...

Vous êtes en train de paniquer, je l'entends clairement. Cela me tue un peu plus, mais c'est assez déconcertant pour me secouer. Je ne vous ai pas souvent vu paniquer. Vous qui avez un sang-froid à toute épreuve.

— Le-... le mieux à faire, entamé-je lentement, las. Je... je n'en ai pas envie, mais je devrais juste... arrêter de vous appeler...

Je suis soudainement épuisé, un peu plus abattu de devoir annoncer cette nouvelle nécessité à votre place. Vous auriez dû le faire à ma place.

Mais vous êtes encore silencieux et je commence à me poser des questions. C'est bien normal que vous soyez choqué. C'est bien normal que vous paniquiez un peu...

Mais ce n'est pas normal que vous paniquiez à ce point.

— Oui, annoncez-vous pourtant résolument. Oui, tu as... Tu as raison. Évidemment, c'est la meilleure chose à faire... Je suis désolé de t'avoir freiné de cette manière, mon garçon... Je suis désolé que ma présence dans ta vie t'ait apporté autant de... mauvaises choses.

Ne dites pas ça... Vous savez bien que c'est faux.

Mes larmes reprennent. Vous continuez, toujours alarmé mais le ton bien plus confiant, presque pressé.

— C'est... Il n'y a pas d'autre solution, j'en suis bien conscient. Oui, tu as raison. Navré, j'aurais dû le dire tout de suite. Nous devrions... arrêter de nous parler, prendre nos distances - enfin, encore plus que maintenant j'entends, tu as compris... Et... Surtout, je voudrais te demander de prendre soin de toi Midoriya, d'accord ?

Un sanglot reste douloureusement coincé dans ma gorge. Je renifle pitoyablement pour tenter de le chasser et vous répondre. Un misérable « oui » étranglé sort.

On y est, alors. Les véritables au revoir.

Vu la situation, je n'ai aucune idée de si nous allons nous reparler un jour. Encore moins de si nous allons nous revoir.

Tout comme il y a presque deux ans, quand vous avez quitté le Japon, je vous ai encore au bout du fil mais vous me manquez déjà. Terriblement.

La puissance de mes sentiments m'explose au visage. Comment ai-je pu être aussi aveugle tout ce temps ? Comment ai-je pu me voiler la face à ce point alors que c'était si évident ?

Cette douleur à l'idée de devoir vous quitter, elle est beaucoup trop vive. Je sens déjà ce début de vide revenir, le même que votre absence dans ma vie m'a infligé lors de votre départ. Si je pouvais encore me contenter de simples coups de téléphone, à cet instant, je ne sais pas comment je vais survivre à un rien. Comme si vous n'existiez plus dans cette vie. Comme si vous étiez réellement mort.

Je lâche une longue plainte sonore sans vraiment m'en rendre compte. Je me trouve tellement ridicule. Tellement stupide. Tellement faible à l'idée qu'un simple au revoir me fasse tellement, tellement mal.

— Prends soin de toi, Midoriya, me répétez-vous malgré tout et j'entends que votre gorge s'est serrée à votre tour. Profite de la vie, tu es encore tellement jeune, et... j'aurais aimé t'apprendre plus, mais tu as déjà toutes les cartes en main pour devenir un immense héros...

Mes sanglots redoublent et remplissent ma chambre pour de bon en entendant votre voix trembler. En comprenant que vous vous retenez de ne pas m'imiter.

Même les coups de Shigaraki ne m'ont jamais fait aussi mal que ça.

— Au revoir, Midoriya, mon garçon... Tu vas énormément me manquer...

Et c'est ainsi que j'entends votre voix pour la dernière fois.

Peut-être la toute dernière fois.

Mon écran de portable éclate sous la pression que j'exerce dans mes doigts. Mais je suis trop aveuglé par ma douleur pour vraiment le relever.

Ma mère déboule en catastrophe dans ma chambre, affolée, me prenant dans ses bras. Elle me demande en boucle ce qui m'arrive, ce qui me met dans un tel état. Je n'arrive pas à lui répondre. Je n'arrive qu'à pleurer et pleurer encore pour tenter d'extérioriser cette souffrance.

Vous allez me manquer énormément aussi, All Might.