Chapitre 2
Une mélodie légère émanait du bureau de Mitch, suivi d'un bruit de volets qui s'ouvrent. Le DRH s'était levé en sifflotant et suivait sa routine matinale qu'il n'avait pas oubliée. Un croc dans une tartine, étendre les caleçons fraichement lavés, une petite partie de Rayman sur GBA, et la dernière vidéo de Dick en sirotant un café.
Retrouver une routine lui faisait du bien. Depuis qu'il avait terminé ses livres, Mitch n'avait plus vraiment de projet auquel se rattacher. Stan avait finalement accepté d'arrêter ses vidéos de vulgarisation débiles, qui fichaient complètement en l'air sa théorie. Mitch avait dû taper du poing sur la table pour remettre Stan sur le droit chemin, et pour qu'il arrête d'utiliser ses idées pour se faire de l'argent sur Internet. La boîte avait finalement retrouvé son orientation d'avant, avec les bilboquets, au prix d'un effort collectif pour apaiser les tensions. Mitch avait retrouvé son ancien poste mais, sans son livre et depuis le succès de L'amour c'est comme un bilboquet, il manquait d'un objectif concret. Et la situation avec Tom n'était pas du genre à lui éclaircir les idées.
Depuis qu'ils étaient ensemble, Mitch était le plus heureux des hommes. Il avait écrit un bouquin révolutionnaire et présenté des dizaines de conférences, pourtant, c'était son combat pour Tom qui l'avait rendu le plus fier. Une psycho-balls thérapie qui s'était transformée en une histoire encore plus belle. Deux mariages ratés, pour le meilleur et pour le pire. Ils avaient bien failli foutre leurs vies en l'air. Deux beaux cons, pensa Mitch. Depuis, ils avaient avancé à petits pas vers une relation de couple assumée.
Enfin, pas toujours. Tom avait beau être libéré de sa garce, il n'en restait pas moins distant. Qui pouvait le blâmer ? Les choses avaient de quoi perturber.
Mitch avait accepté sa bisexualité sans trop de problème. Il était fou amoureux de Tom, mais il ne pouvait nier les sentiments qu'il avait eu pour Hélo, même si ces derniers n'avaient pas la profondeur qu'il pensait. Hélo et lui avaient été heureux, pendant quelques temps, au début. Il ne servait à rien de le nier. Mitch en avait donc conclu qu'il était bi, en toute simplicité. Pas de quoi se creuser la tête. Pour Tom, en revanche, la question avait l'air plus complexe, et Mitch sentait bien que son amant était encore perturbé par la concrétisation de leur idylle. Ils avaient donc décidé de se laisser du temps, sans pression, pour voir où ils iraient ensemble. Pas la peine de se précipiter, après tout.
Pourtant, cette décision devenait de plus en plus difficile pour Mitch. Il n'avait qu'une envie, se jeter tout entier dans une relation passionnée, sans réfléchir, sans limite, sans rien pour les empêcher d'être ensemble. Mitch voulait être proche de Tom… dans tous les sens du terme. Depuis que ses lèvres s'étaient posées pour la première fois sur celles de son pote-collègue-amant, il brûlait d'envie d'aller plus loin. Accepter et assumer ses sentiments pour Tom avait fait sauter toutes les barrières mentales et homophobe qui s'étaient construites dans sa tête. « Oh, on n'est pas pédé, hein ! ». Bien sûr qu'il l'était, il voulait l'être avec Tom et personne d'autre, il voulait faire tomber cette putain de chemise bleu ciel et sentir la chaleur de la peau de Tom contre la sienne.
Sauf qu'il ne pouvait pas penser qu'à sa petite gueule. Tom voulait y aller mollo, ils iraient mollo. C'était d'ailleurs pour ça que Mitch avait repris ses quartiers au bureau : inutile de se mettre toute cette pression. Les choses viendraient en temps et en heure et, d'ici là, ils pouvaient toujours se retrouver chez Tom ou ailleurs, comme un vrai couple qui commence à se fréquenter, en fait. Et pour ce qui est du cul, Mitch n'avait qu'à prendre son mal en patience. De toute manière, son amant n'avait pas l'air de vouloir sauter le cap, et Mitch lui-même ne savait pas comment aborder la question. Attendre.
Ouais. C'était la bonne décision.
Les balls de Tom étaient probablement dans situation délicate, fragilisées par la nouveauté de la situation. A une époque, Mitch aurait pu tenter quelque chose pour retourner ça à son avantage, mais il n'était plus le même homme. Chacun était responsable de ses balls, point. Ses propres balls émettaient des vibrations que celles de Tom n'arrivaient pas encore à capter complètement, mais ça viendrait.
Des sons émanant de l'open space lui indiquèrent que les collègues arrivaient. C'étaient Roxanne et Chris.
- Hey ! les salua Mitch. Café ?
- Volontiers, dit Roxanne avec un sourire.
- Doucement avec le café, choupette, fit Chris. Pense au petit !
Mitch faillit lâcher sa cafetière.
- Quoi ?
- Ben ouais, on va adopter un chien, ce soir. Si tu débarques au chenil complètement sur les nerfs, le pauvre cabot va flipper, Louloute !
Mitch prit une profonde inspiration et expira longuement, puis sourit.
- C'est cool, le chien.
S'en suivit une conversation mouvementée sur le nom du futur chien, Roxanne refusant catégoriquement qu'ils l'appellent Foulcan. Pas assez vendeur pour une mascotte de village, visiblement. Mitch était en plein argumentaire pour défendre son idée de nom (Bilbo), quand Ralph et Tom arrivèrent.
Le sourire que Tom adressa à Mitch fit fondre tous les organes qu'il possédait. Merde, c'était si dur que ça, de mettre un peu de distance ? Pourquoi Tom semblait plus beau que jamais, tout d'un coup ? Leurs regards se croisèrent, et Tom se mordit légèrement la lèvre d'un air gêné. Mitch n'y tenait plus.
- Je dois, euh… les chiottes.
Il battit en retraite vers les toilettes sous le regard interloqué de ses collègues, fonça vers l'évier le plus proche, et fit passer un grand filet d'eau froide sur son visage. Le contact glacé lui remit les idées en place, et il s'essuya en expirant longuement.
- T'as pas l'air bien, Mitch.
Il poussa un cri et sursauta devant Ralph qui se tenait à quelques centimètres de lui.
- Putain, mec !
- Désolé, tu m'avais pas vu. Tu sais, je pense que tu devrais essayer la masturbation au travail, ça pourrait vraiment t'aider à te concentrer, et puis les endorphines ça améliore les capacités de travail, c'est prouvé.
- Merci mon pote, mais j'ai pas envie de me branler au taff…
- Alors fais-le avec Tom. Nous avec Géraldine on planifie un rapport sexuel toutes les trente-six heures, c'est la fréquence idéale pour rester au top de la forme tout en gardant une attirance réciproque suffisante.
Mitch soupira et jeta la serviette derrière son épaule.
- Ouais, on verra. Merci du conseil, Ralph.
- Pas de quoi. Bon, je te laisse, il y a un nouveau produit qui est apparu sur le marché des jeux de société et je dois m'en inspirer sans qu'on me soupçonne de plagier. A plus.
Mitch le regarda s'éloigner en se demandant s'il n'avait pas raison, au fond. La branlette n'avait jamais tué personne. Lui-même s'en donnait à cœur joie avant d'avoir rencontré Hélo.
Il hocha la tête. T'as plus 15 ans, mon vieux. Maîtrise-toi avec Tom, un peu. Rappelle-toi le proverbe : Si c'est pas oui, c'est non. Si c'est non, c'est masturbation.
Quand il retourna dans l'open space, Tom leva vers lui ses yeux verts et brillants en lui tendant une tasse de café. Leurs doigts s'effleurèrent et Mitch ne put s'empêcher de sourire comme un con.
Cul ou pas cul, on s'en foutait. Il était juste profondément amoureux.
