Chapitre 15 - Manifestation à Fosset
Edward arriva à South City tard ce soir-là. Mustang lui avait réservé une chambre d'hôtel et il s'y rendit sans encombre. L'air était doux malgré l'hiver qui annonçait janvier et Edward fut presque tenté d'ôter son long manteau noir avant d'arriver jusqu'à son hébergement. La plupart des personnes qu'il croisait n'étaient d'ailleurs pas chaudement vêtues. Il fut chaleureusement accueilli par ses hôtes qui lui servirent un repas après lui avoir montré sa chambre. Après avoir mangé, il demanda le téléphone et appela Mustang.
- Je suis arrivé, indiqua-t-il d'emblée.
Il y eut un court silence. La voix de Mustang ne répondit qu'après, moqueuse.
- Je ne pensais pas que tu m'appellerais si tôt, remarqua-t-il. Je te manque déjà ?
Le teint d'Edward rosit.
- Non, je voulais juste te dire que j'étais bien arrivé, qu'il n'y avait pas eu de problèmes !
- Je suis heureux de voir que tu as pensé à me prévenir. Ça me fait plaisir. Tu faisais ça, aussi, lorsque tu étais plus jeune et que tu étais sous mes ordres ? le taquina-t-il.
- Bien sûr que non !
A l'autre bout du fil, Mustang sourit. Il avait envie de lui demander : "Qu'est-ce qui a changé ?". Et d'entendre la réponse d'Edward : "On en est plus à ce genre de relations, maintenant". Peut-être lui parlerait-il même de sentiments inavoués, inavouables.
- Enfin bon. Je te laisse, je vais me coucher. J'ai une "mission" à accomplir demain, mieux vaut que je sois frais et dispo. Bonne nuit, Roy.
- Bonne nuit, Ed. Merci d'avoir appelé.
- Mm.
Edward raccrocha, puis monta au lit. Il ne savait pas pourquoi au juste il avait ressenti le besoin de le contacter. Peut-être parce qu'il était seul, désormais. Roy était une ancre à cette réalité qui n'était pas la sienne. Il se retourna et plaqua son oreiller sur sa tête, comme pour étouffer ses pensées. Bientôt, se furent les bras de Morphée qui l'accueillirent dans un sommeil agité, imprégné de sang et de peur.
Le lendemain matin, fatigué par ses cauchemars, Edward se contenta d'éplucher les articles de différents journaux et de se promener dans la ville, l'oreille tendue et attentive. Il se mit à chercher un maximum d'informations pour savoir où aller ensuite, et qui rencontrer pour entrer dans les rangs de ceux qui voudraient se soulever contre Amestris. Il ne lui fut pas difficile de trouver plusieurs articles de journaux qui parlaient des paysans frontaliers et de leur mécontentement. Tous parlaient d'un groupement, la Voix du Paysan, qui était à l'origine de cette révolte. Il dénicha même un article qui indiquait qu'une manifestation aurait lieu une semaine plus tard dans la ville de Fosset, loin du chef-lieu de la région sud.
C'est donc naturellement qu'Edward se rendit là-bas pour attendre l'évènement. Il en informa Mustang, puis profita simplement de visiter la ville pendant les jours restant, buvant des cafés en terrasse que le temps doux lui permettait d'occuper. Il avait presque l'impression d'être au début du printemps, bien que les plantes n'aient pas encore commencé à fleurir.
Edward avait déjà mis les pieds à Fosset, après le Jour Promis. Il s'agissait alors d'une ville pauvre et dévastée, affublée de bidonvilles importants. Les locaux s'étaient affairés à la reconstruire grâce aux aides du nouveau gouvernement en place et la ville avait par ailleurs retrouvé une allure fière, emprunte d'une culture particulière. Contrairement à ce dont il s'était attendu, il ne trouva pas une ville morne et triste, accablée par le poids de la pauvreté, mais plutôt une cité resplendissante de vie, habillée de citronniers et d'oliviers que les parcs et les collines alentours exhibaient fièrement. En se promenant, il identifia quelques quartiers pauvres ainsi que des bidonvilles principalement peuplés d'Ishbals. Mais, en-dehors de cette cicatrice que laissait la guerre à laquelle Roy avait participé, tous semblaient vivre plus ou moins aisément.
Ce n'est que le jour de la manifestation venu qu'il put commencer à entrevoir le pourquoi d'une future guerre. Par milliers, des hommes et des femmes arrivèrent dans la ville et occupèrent ses rues. Ils se mirent à défiler, les poings levés, les traits tirés, réclamant de meilleures conditions de travail et des revenus à la hauteur de leur labeur. Edward ne tarda pas à entrer dans cette foule, marchant avec eux et revendiquant les mêmes droits. Dans les rues adjacentes, il vit s'amasser avec sérieux des militaires, tous de bleu vêtus, surveillant la marche et ses éventuels dérapages. A mesure que le temps passait, Edward remonta le long de cette mer humaine dans le but de rejoindre les premiers rangs et, peut-être, d'apercevoir ceux à qui il faudrait parler : les leaders de ces revendications collectives.
Mais à peine atteignit-il les premières lignes que la manifestation s'arrêta. Le quartier général de la ville s'élevait en face d'eux. Son opulence contrastait avec les manifestants qui portaient leurs habits de travail parfois sales, souvent rapiécés. Une ligne de soldats bleus, bien rangés, leur barraient la route et les empêchaient de souiller les locaux où le Général en charge de la ville se terrait silencieusement. La foule continuait de scander. Edward semblait être le seul qui la constituait à comprendre que tous, autour d'elle, étaient sourds.
Le bruit de la foule ne diminua pas pendant plusieurs minutes, plusieurs heures. Edward n'aurait pas su dire combien de temps s'écoula dans ce brouhaha de colère incessante. Il se contentait de se déplacer, cherchant avec espoir une personne qui lui semblerait diriger la foule. Mais celle-ci semblait ne former qu'un seul homme et il ne trouva pas de chef évident, du moins pas avant qu'il n'entende le son soudain d'un coup de feu. La foule se mit alors à se mouvoir, à la fois paniquée et révoltée. Les revendications des manifestants se firent plus fortes encore lorsque le bruit courut qu'un militaire était tombé. C'était l'un d'entre eux qui avait tiré. Les militaires ne se laissèrent cependant pas faire : bientôt, la foule fut dispersée à grand renfort de matraques et de menaces proférées à bout portant. Allant dans le sens contraire du groupement en fuite, Edward fut rapidement sur le front. Plusieurs manifestants étaient à terre et s'étaient rendus tandis que d'autres voulaient en venir aux mains avec les militaires. Une femme à la chevelure de feu dardait un fusil de chasse sur des soldats qui emportaient sur le côté l'un de leur collègue inconscient, laissant derrière eux une trainée rouge. Une autre partie des militaires braquaient leurs armes sur la femme armée, l'incitant à baisser son arme et à se rendre. Son expression, pourtant, n'était pas celle d'une personne prête à jeter l'éponge.
- Arrêtez ! se mit soudain à hurler Edward. Arrêtez !
Si certains levèrent la tête vers lui, la plupart continuèrent de se battre. Sans réfléchir, Edward parcourut la distance qui le séparait de la rousse et lui sauta dessus au moment où elle appuyait sur la détente. Tous les regards se tournèrent alors dans leur direction et les militaires répondirent à ce coup de feu par une rafale de balles qui s'abattit sur eux. Edward emporta l'inconnue dans sa course et, par chance, ils se retrouvèrent au sol, protégés par une voiture garée là.
- Vous êtes complètement cinglée ! l'engueula Edward. Vous voulez déclencher une guerre, ou quoi ?! Vous vous seriez faite canarder si je n'avais pas été là !
Elle lui lança un tel regard de haine qu'il en frissonna. Pourtant, il ne se laissa pas déstabiliser car son esprit, déjà, analysait la situation. Non loin de là se trouvait une ruelle dans laquelle ils pourraient s'engouffrer en quelques secondes lorsque les tirs auraient cessé. Cela ne tarda pas, d'ailleurs, et sans attendre une seconde, il saisit le bras de la femme et ne la lâcha plus tandis qu'il prenait ses jambes à son cou. Derrière eux, des militaires se jetèrent à leur poursuite. Ils étaient pourtant désarmés, maintenant, mais ils représentaient une menace et la femme avait déjà blessé l'un des leurs. Sans lâcher la main de la personne qu'il venait de sauver, Edward se perdit à toute allure dans le dédale des rues étroites de la ville, les militaires à ses trousses. On lui ordonna de se rendre, mais il n'en fit rien. Comme il avait arpenté les ruelles la veille, il avait repéré certains passages qui pouvaient lui être utiles : il en profita donc pour s'engouffrer dans ces chemins de traverse. Malheureusement pour lui, aucun n'était méconnu des hommes en bleu, et pour cause : c'était leur ville.
Alors qu'il pensait être rattrapé, une main solide le tira soudainement par la manche et il tomba à la renverse dans le couloir d'entrée d'un immeuble. Dans sa chute, il lâcha la main de la femme au fusil et elle tomba non loin de lui, emportée dans son sillage. La porte se referma derrière eux et il sentit des bras forts le relever. Il vit vaguement des silhouettes aider son acolyte à se relever également.
- Avancez, vite !
On les pressait, et il se remit à courir, suivant des ombres qui se déplaçaient dans l'obscurité de l'immeuble. Il entendit derrière lui la porte d'entrée craquer. Sans savoir où il allait, il continua de courir, le souffle court. Il parvint finalement à la sortie où le soleil lui brula les rétines.
- Montez, aller !
Obéissant aux ordres, il entra dans un véhicule, aveugle, et se retrouva entassé sur la banquette arrière avec plusieurs autres personnes qui parlaient sans discontinuer. Il ne sut pas combien de temps s'écoula avant qu'il ne se retrouve hors de la ville, ni comment il avait fini par monter à l'arrière de cette voiture. Toujours est-il que, lorsqu'il eut repris son souffle, il put enfin détailler le visage de ses sauveurs. A gauche se trouvait un homme massif, aux boucles aussi noires que l'était sa barbe. Ses bras devaient être au moins deux fois plus volumineux que ceux d'Edward - alors qu'il n'était pas le moins musclé des hommes. Sur sa gauche se trouvait la petite femme rousse qui avait tiré les coups de feu. Son nez retroussé et ses tâches de rousseurs ne la dénuaient pas d'un certain charme. La personne qui conduisait était une femme blonde à la peau bronzée et son passager était un garçon, à peine un adolescent, qui avait les cheveux courts et blonds. S'il n'avait pas eu les yeux verts et la peau mate constellée de tâche de rousseurs, Edward aurait pu dire qu'il était le sosie d'Alphonse à son âge. Tout le monde parlait en même temps et il fallut qu'on s'adresse à lui pour qu'Edward réussisse à comprendre la conversation.
- Mais t'es qui, à la fin ? demanda le plus jeune de cette drôle d'assemblée.
Edward s'éclaircit la gorge.
- Eric. Eric Ford. Je viens d'Aiglargile.
- Connait pas.
- C'est un tout petit village, un hameau même, à la frontière d'Aerugo.
- Qu'est-ce qu'il t'a pris de tirer ? beugla la blonde qui conduisait. Pourquoi est-ce que tu as emporté une arme pareille ?!
La petite rousse renifla avec dédain.
- A la guerre comme à la guerre, se justifia-t-elle.
- Ce n'est pas avec de la violence qu'on arrivera à quelque chose, la prévint le costaud.
- Pourquoi pas ? s'amusa le gamin.
- Tu ne sais pas ce que tu dis, s'énerva la conductrice en tapant derrière la tête de l'adolescent.
- Aïeuh ! Ça fait mal, Isa.
- Ne dit pas de bêtises.
- T'es pas maman, d'abord.
- Je suis déjà gentille de t'avoir emmené, espèce de bon à rien.
- Tu veux qu'on te dépose quelque part ? proposa le costaud, tandis que les deux de devant se chamaillaient.
Edward réfléchit à toute allure et répondit finalement par une autre question.
- C'est vous qui êtes à l'origine de la manifestation ?
- Bien sûr que non. C'est juste un ras-le-bol général.
- C'est où, ton patelin ? demanda la conductrice.
- Loin d'ici. Je n'y retourne pas.
- Ah bon ?
- Non. La ferme de mes parents a dû fermer. Ça n'était plus rentable.
Tous lui lancèrent un regard compatissant. Des histoires comme ça, ils avaient dû en entendre des tas.
- On t'emmène avec nous, alors ? demanda la blonde.
Edward ne pensait pas que ce serait si facile. Il fut pris de court et la rousse intervint avant lui.
- On va pas se trimballer tous les morts-la-faim du pays.
- On est tous des "morts-la-faim". Si on se serre pas les coudes, comment veux-tu qu'on s'en sorte ?
- Je veux aider, indiqua Edward. Je n'ai plus de travail, et je veux faire changer les choses.
- Bienvenue dans la troupe, alors, l'accueilli aussitôt l'homme massif à ses côtés. Moi, c'est Yves. Là, tu as Idamie, Isabelle qui conduit, et puis le mioche, c'est Gabin.
- Je suis plus un mioche ! se défendit ledit Gabin.
Les deux à l'avant se remirent à se chamailler et Edward déduit de leur conversation qu'ils étaient frère et sœur. Le paysage changea sous ses yeux à mesure que le véhicule avalait les kilomètres. Au bout d'une heure, le terrain se fit plus plat et des champs à la terre vierge apparurent jusqu'à l'horizon. Derrière, ils laissèrent les basses montagnes cultivées en terrasse pour accueillir des vignobles. Isabelle s'engouffra soudain dans un chemin de terre qui fit s'élever la poussière derrière eux. Ils dépassèrent un portail et finirent par se garer au bord du chemin, non loin d'un grand corps de ferme entouré d'une dizaine de véhicules. Yves sortit de la voiture et libéra Edward qui commençait à se sentir serré entre ses deux compagnons de fortune. Il s'étira brièvement et suivit les quatre paysans jusqu'à la ferme. Là, ils se dirigèrent vers la grange dans laquelle ils pénétrèrent. Un brouhaha les accueilli et Edward ne mit pas longtemps à comprendre ce qu'il se passait : une trentaine d'agriculteurs discutaient, un verre de bière à la main, débriefant sur la manifestation qui avait eue lieu toute la matinée et le début d'après-midi. Lorsqu'ils entrèrent, il y eut des éclats de voix enthousiastes et on se mit à les applaudir.
- Alors Yves, on a cru que vous vous étiez fait chopper !
- Vous en avez mis, du temps !
- Idamie, c'est vrai que tu as tiré ?
- Tout le monde est arrivé ?
- Il ne manquait qu'eux.
- Je crois que Lucien et sa femme se sont fait prendre.
- C'est vrai qu'on les a pas vus.
- Bah, ils finiront bien par être relâchés.
Les conversations continuèrent de fuser jusqu'à ce que Yves finisse par monter sur une chaise. Il dépassait pourtant déjà tout le monde d'au moins une tête.
- Votre attention s'il vous plait !
Les discussions cessèrent rapidement.
- On va faire un briefing, comme prévu, sur la manifestation. Vivi, tu notes ?
- Oui patron, répondit une femme à lunettes qui s'était assise à une table avec un carnet de note et des stylos.
- Bon, je commence. De notre côté, ça s'est plutôt bien passé même si Idamie a tiré sur un gars.
- Bonne initiative ! s'exclama quelqu'un.
Plusieurs personnes approuvèrent bruyamment, mais Yves reprit.
- Le but n'était pas d'utiliser la violence : c'était notre première manifestation et ce n'était vraiment pas une bonne idée de tirer sur qui que ce soit. Si on veut parvenir à se faire entendre à South City, il faudrait déjà que nous ayons une bonne réputation.
Certains approuvèrent, d'autres non.
- Quoi qu'il en soit, on a recruté un nouveau, Eric.
Edward leva la main timidement et un nouveau brouhaha s'éleva. Un autre homme se mit sur une chaise.
- Il a empêché Idamie de tirer une deuxième fois ! On a pu se casser parce que tous les bleusards se sont mis à leur courir après !
Il y eut des applaudissements et des sifflements. Yves attendit qu'il redescende de sa chaise pour terminer.
- Je pense que les gens, à Fosset, sont plutôt sympathisants de notre cause. J'en ai vu plusieurs, sur les balcons, qui réclamaient les mêmes choses que nous.
- Au bout de la manifestation, la plupart des personnes présentes était des citadins, approuva une dame aux cheveux grisonnants et au dos vouté.
- C'est bon à savoir, indiqua Yves, visiblement satisfait. Nous, on le sait parce qu'il y en a qui nous ont ouverts leurs portes. On a pu partir de la ville sans encombre, comme ça.
De nouveau, des conversations au ton positif emplirent la grange.
- Je crois que c'est tout ce que j'ai à dire. Y'en a d'autres qui veulent parler ?
Certains se manifestèrent et racontèrent leur version de la manifestation. Quelqu'un indiqua que le policier qui avait été touché par Idamie était mort. Plusieurs mentionnèrent les coups de feu comme un point positif puisque les "bleusards", comme ils appelaient les militaires, s'étaient détournés d'eux pour aller ailleurs. Edward, lui, tenta d'expliquer sa version : à savoir que, sans son intervention, Idamie se serait fait exécutée sans aucune autre forme de procès et qu'il fallait vraiment que la suite des évènements se passe sans imprévus comme celui-là : quelle aurait été la réaction des paysans si l'un d'eux avait été abattu ?
A la fin de cette réunion peu disciplinée, tous continuèrent à boire et du pain, du fromage et de la viande séchée fut servie autours de tables qu'on avait décollé du mur. Edward remarqua alors que la grange était beaucoup plus grande qu'il n'y paraissait de prime abord. L'espace que les manifestants occupaient n'était que minime : le reste était consacré à plusieurs centaines de sacs qu'il identifia comme étant des sacs de blé. Après que tous aient bu et mangé, la salle se vida petit à petit et Vivi, la femme aux lunettes qui avait fait office de secrétaire, s'approcha d'Edward.
- Eric, c'est bien ça ?
- Oui, lui sourit Edward.
- Mon mari, Yves, m'a expliqué ta situation. Tu es le bienvenu dans cette maison : je vais te préparer une chambre. Demain, c'est debout à quatre heures. T'étais dans quoi, avant ?
- Les agrumes. On faisait pousser des citronniers et orangers.
- Rien à voir avec ce qu'on fait nous, mais t'apprendras.
Edward approuva et la remercia. Le lendemain, à quatre heures du matin, sa nouvelle vie commença.
La suite lundi prochain, comme d'habitude ! N'hésitez pas à laisser vos commentaires !
