Et voici le nouveau chapitre ! Je remercie les reviewers pour leurs messages : c'est un réel plaisir de vous lire et me motive à continuer à écrire et améliorer les chapitres à venir !

Pour ce chapitre, une illustration est disponible sur mon compte instagram : croquis_de_walyn. Si cela vous intéresse, je vous conseille d'aller y jeter un coup d'oeil après la lecture pour éviter tout spoiler !

Sur ce, je vous souhaite une excellente lecture et vous retrouve la semaine prochaine pour le chapitre 19.


Chapitre 18 - Idamie


La réponse du gouverneur de la région sud ne mit pas trois jours à arriver. Il le fit par l'intermédiaire du journal national et ce que lurent les habitants de la région sud d'Amestris ne leur fit pas plaisir : ils avaient été traités de meurtriers, de collaborateurs qui cachaient dans leurs rangs des monstres capables des pires atrocités. Aucun d'eux ne respectaient la loi ainsi que les droits et les devoirs qu'elle attribuait aux Amestrians. Le gouvernement ne ferait rien avant que le responsable du meurtre du militaire, lors de la manifestation, ne leur soit livré.

Bientôt, les lettres fusèrent chez Yves et Vivianne. Toutes souhaitaient qu'ils fassent quelque chose : Idamie était la responsable de leur défaite dans la voie diplomatique. Il fallait la dénoncer pour espérer recevoir des réponses positives. Ils se rendirent donc chez elle et son conjoint qui ne les laissa même pas entrer dans l'enceinte de son domaine : elle ne se rendrait pas. Alors, la réunion qui devait réunir les quinze responsables de la révolte fut avancée. Idamie s'y montra fièrement bien que la majorité décidât de l'accuser. La lettre de dénonciation fut envoyée le soir même.

Cette décision jeta sur la ferme une atmosphère glaciale. Yves et Vivianne semblaient complètement abattus d'en arriver à de telles extrémités, d'autant qu'Idamie était leur amie.

- Ce n'est pas exactement l'éducation que je voulais donner à mes enfants, soupira Yves alors qu'il discutait avec Edward et Isabelle. Dénoncer quelqu'un, c'est tout de même renoncer à certains principes. Quand c'est une connaissance, c'est encore pire ; une amie, c'est une trahison. Je n'ai pas envie que mes enfants se comportent ainsi si une situation semblable devait se présenter dans le futur.

Edward comprenait son raisonnement, d'autant que le gouvernement d'Amestris condamnait plutôt facilement ses citoyens à la peine de mort. Idamie avait tué quelqu'un, et s'il ne l'appréciait pas particulièrement, il n'avait pas non plus envie qu'elle paye ses agissements de sa vie. Et puis, il était bien placé pour savoir que les condamnations à mort n'en étaient pas réellement, dans ce pays : elle serait probablement livrée dans un laboratoire où elle serait soumise à des expérimentations contre lesquelles il ne pouvait strictement rien faire pour le moment. Un frisson d'horreur le parcourut et, cette nuit-là, il fut incapable de fermer l'œil sans que l'image de Nina ne vienne le hanter.

C'était assez courant qu'il fasse des cauchemars, que ce soit de Barry où de n'importe lequel de ses traumatismes. Il devait probablement faire du bruit, laisser échapper des gémissements où des cris, puisque, lorsqu'il descendait à l'étage inférieur pour boire un peu d'eau et oublier les images qui l'avaient réveillé, Isabelle le rejoignait presque systématiquement. Ils discutaient alors et elle avait envers lui des gestes discrets mais rassurant auxquels il n'avait pas la force de se dérober. Il ressentait parfois le besoin de se confier, de lui dire ce dont il rêvait, surtout lorsque, dans ses yeux, il percevait cette lueur si semblable à la bienveillance d'Alphonse. Pourtant, il restait muet, incapable de lui dire les horreurs qu'il avait vécu, de lui raconter son passé, pour la simple et bonne raison qu'il n'en avait pas le droit : ils ne vivaient pas dans la même temporalité et Eric Ford n'était qu'un imposteur.

Quelques jours après que la lettre de dénonciation contre Idamie ait été envoyée, Edward, Adrien et Isabelle, qui avaient pris pour habitude de se promener avec les enfants lorsqu'ils finissaient de travailler, virent la lumière des gyrophares de police scintiller sur les coteaux montagneux. Le destin d'Idamie fut ainsi scellé.

Cependant, ils apprirent bien vite dans le journal que les agents des forces de l'ordre ne l'avaient pas trouvé chez elle, tout comme son conjoint, d'ailleurs. Le gouvernement accusa alors les agriculteurs de l'avoir caché et d'avoir tenté le bluff. Ils ne collaboreraient pas avec eux et n'accepteraient aucune de leurs revendications.

Les quinze responsables de la cause paysanne, réduits au nombre de quatorze, se réunirent de nouveau et il fut décidé qu'il fallait désormais commencer à mettre en place le plan B. Dès le lendemain, Yves et Vivianne cessèrent d'exporter leurs produits et Edward se retrouva avec du temps libre. Il se mit donc à aller presque tous les jours au village pour appeler Roy. Si leurs conversations téléphoniques avaient jusque-là été formelles, elles devinrent soudain beaucoup plus frivoles. Comme les horaires hors travail de Roy n'étaient pas pratiques, Edward appelait au QG et ils passaient parfois des heures au téléphone.

- Riza doit te détester, riait Edward au combiné.

- Arrête, elle va t'entendre, chuchotait Roy. Elle me regarde déjà.

Edward riait et Roy lui répondait. Isabelle, quant à elle, ne comprenait pas pourquoi Edward passait son temps à faire de la monnaie ou à en demander. Elle trouvait également suspect qu'il passe ses journées à faire du sport à l'extérieur alors que le temps n'était franchement pas des plus clément.

- Il pleut vache qui pisse. Tu veux sérieusement aller courir par un temps pareil ?

- Si je me relâche, je vais tout perdre. Je me suis blessé à la jambe et au bras il y a quelques temps : il faut absolument que je continue de me renforcer.

Un jour, elle voulut assouvir sa curiosité en le suivant de loin. Elle ne fut pas tellement surprise de le voir arrêter de courir seulement une demi-heure après avoir quitté la maison, et encore moins de le voir entrer dans une cabine téléphonique. Il l'avait distancé, et, le temps de s'approcher, elle n'entendit que la fin de la conversation. C'était pourtant suffisant pour comprendre.

- Tu es terrible, disait Edward en riant. Je n'ai pas hâte de rentrer à la maison... Ah, tu es acheté un nouveau canapé ? ... C'est vrai, ça m'était sorti de la tête... Comment ça je n'ai "que ça à faire de mes journées" ?! C'est toi qui glandouilles au travail en répondant à mes appels... Un appartement avec un jardin ? Ça pourrait être chouette oui, avec les beaux jours qui arriveront... Tant que tu cuisines ça me va... Je vais pas rentrer pour faire la bonniche, t'as cru quoi ? ... Je te rappelle que tu m'avais promis de me laisser tranquille à mes études... Je l'interprète comme je veux ! Ahahah... Non... Attends, je dois remettre de la monnaie... Oula, je n'ai plus que vingt cenz... Il va falloir que je te laisse... Passe une bonne journée... Oui, oui... Oui bien sûr... Aller, vraiment... Bon courage avec Riza.

Il raccrocha le combiné, tout sourire.

- C'était qui ?

Isabelle était juste derrière lui et il sursauta en l'entendant.

- Tu m'as fait peur, souffla-t-il après lui avoir fait face.

Elle avait l'air contrariée.

- Tu vas t'en aller ? C'est quoi cette histoire d'appartement ? Tu ne vis pas à la campagne, à la base ?

Edward resta muet. Il n'avait pas vraiment prévu de se retrouver dans ce genre de situations. Mais c'était si logique : il passait son temps à disparaitre pour être avec Roy au téléphone.

- Je suis ici pour vous aider. Je retournerai à mes occupations plus tard.

- Qu'est-ce que ça veut dire, ça ?

La blonde semblait prête à exploser. Edward essaya de bredouiller quelque chose, mais seuls des sons inaudibles sortirent de sa bouche. La jeune femme réfléchissait à toute allure, et elle finit par demander.

- C'était ta petite amie ?

Edward rougit brusquement tandis que le visage de la jeune femme se décomposait petit à petit. Roy, sa petite amie. Edward ne savait pas si cette idée était gênante, parce qu'il avait tout de même fui East City pour éviter que quoi que ce soit de ce genre ne se fasse ; ou drôle, pour l'improbabilité de cette hypothèse. Il aurait voulu éclater de rire, mais l'expression sérieuse de la jeune femme en attente de réponse le poussa à contrôler ses nerfs.

- Oui.

C'était trop facile de s'en sortir comme ça.

- Elle habite en ville. Elle vient de mon village, à la base, mais elle est partie parce qu'elle ne se destinait pas à l'agriculture. Elle n'aime même pas le citron.

Il avait voulu plaisanter, mais Isabelle ne rit pas.

- Tu vas aller t'installer en ville ?

- Oui, avoua Edward.

- Pourquoi tu nous aides, alors ?

- Pourquoi ? s'indigna Edward. Alors parce que je quitte la campagne, que mes parents ont fait faillite et que ma petite amie est partie ailleurs, je ne devrais plus me soucier des personnes de ma région et des problèmes qui persistent dans ce pays ? Tu me prends pour qui, au juste ?

- Pourquoi tu n'as pas dit la vérité ?

- Je ne voulais pas qu'on me juge comme toi tu le fais.

Isabelle sembla piquée. Edward regrettait un peu de la faire culpabiliser en mentant, mais elle semblait le croire. Il était pourtant un piètre menteur.

- Je suis désolée, souffla-t-elle.

- Ce n'est pas grave, lui sourit Edward.

Elle sembla hésiter. Lorsqu'elle le regarda de ses yeux verts, elle semblait décidée.

- Je ne savais pas que tu avais une petite amie, avoua-t-elle. Je pensais qu'il y avait quelque chose entre nous.

Edward ne put cacher sa surprise. Comment pouvait-elle imaginer cela ? Il n'avait rien laissé paraître. Et puis, elle ressemblait trop à Alphonse pour qu'il pense à elle de cette manière-là. Sans compter que ce genre de choses ne l'intéressaient que peu, et que, dans la situation actuelle, toute relation était compromise.

- Je suis désolé si je t'ai laissé l'impression que je ressentais quelque chose pour toi.

Elle fit non de la tête.

- Ce n'est pas de ta faute.

- Rentrons, proposa doucement Edward.

Elle hocha la tête et ils rentrèrent à pied jusque chez eux. En deux heures de marche, ils eurent largement le temps de discuter et, lorsqu'ils arrivèrent, tout était redevenu normal entre eux. Pendant les semaines qui suivirent, Edward tenta de se rendre moins souvent à la cabine téléphonique. De toute manière, il n'avait presque plus d'argent, et encore moins de monnaie. Personne ne gagnait plus rien, et ils vivaient simplement de troc avec les fermes alentours et de conserves. La seule chose dont ils ne manquaient pas était de pain. Edward devint d'ailleurs bon boulanger et apprit aussi à faire des pâtes.

Les articles de journaux se succédaient : certains journalistes prenaient le parti de défendre la cause paysanne, d'autres hurlaient à l'outrage. Apparemment, les villes commençaient à manquer de nourriture et les gens râlaient. Un gros titre parut dans la presse le 22 février : "MAIS QUE FAIT LE GOUVERNEMENT ?".

C'était exactement le genre de titres qu'Edward et les autres agriculteurs attendaient. Pourtant, il n'eut pas l'effet escompté. Edward eut Roy au téléphone ce jour-là, et il ne lui apportait pas de bonnes nouvelles.

- Ils vont couper les lignes d'électricité et d'eau courante, prévint-il. Ils vont vous mettre la pression.

Edward se hâta de prévenir les autres, et Yves envoya des lettres aux autres porte-parole des "zones" de la région. Tous se mirent à faire couler l'eau, remplissant toutes les cuves vides, les pots, les sceaux, les réservoirs et autres contenants. Il n'avait pas plu depuis presque dix jours, et la plupart des réservoirs qui auraient dû contenir de l'eau étaient vides. Pendant deux jours et deux nuits, l'eau coula sans cesse. Pourtant, elle finit par s'arrêter et les lampes s'éteignirent.

Edward alla alors trouver le journaliste qui était devenu leur porte à la presse. Il avait écrit un article à l'avance puisqu'il savait ce qui allait arriver. Il s'agissait d'une lettre ouverte incriminant le gouvernement et ses lois : quel pays pouvait laisser des milliers d'habitants d'une région aride sans eau et sans électricité ? Quel pays le faisait consciemment, simplement pour avoir le dernier mot sur une situation pourtant facile à résoudre ? D'autant plus que les agriculteurs avaient fait leur part : ils avaient vendu Idamie, et même si elle s'était enfuie, ils avaient tout de même dévoilé son identité afin d'obtenir des droits que le gouvernement avait pourtant promis de considérer.

Il sembla que la lettre fit son effet car des manifestations eurent lieu dans tout le pays. Certains demandaient au gouvernement de céder aux demandes des agriculteurs ; d'autres voulaient seulement retrouver une vie normale ; les derniers en profitèrent pour dénoncer d'autres abus. Yves se mit à recevoir de nouveaux courriers : il s'agissait parfois d'encouragements, d'autres fois de menaces. A la mi-mars, le gouverneur du sud promis "de prendre les mesures nécessaires afin de calmer la crise » qui sévissait dans tout le pays.

- Le Général Grumman m'a dit que ça irait probablement en la faveur des agriculteurs, avait assuré Roy, confiant, lorsqu'Edward était allé à la cabine téléphonique et l'avait alimenté en électricité à coup d'élixirologie.

S'il avait eu pas mal de temps libre en janvier et en février, les travaux aux champs recommencèrent lentement en mars et il passait son temps à l'extérieur, s'assurant de la bonne pousse du blé et du mil. Il fallait également élaguer les quelques arbres fruitiers et les haies de l'immense propriété. Les tâches qui lui étaient confiées étaient d'autant plus difficile que tous les appareils électriques et tous les engins agricoles étaient désormais inutilisables : tout devait donc être fait à la main. Aussi fut-il bien occupé. Pourtant, le soir venu, Edward ne se relâchait pas : il avait pris l'habitude de pratiquer l'élixirologie une fois qu'il était seul dans sa chambre ou lorsqu'il partait courir suffisamment loin pour se retrouver à l'abris des regards indiscrets. Il avait fait quelques progrès, même s'ils n'arrivaient pas à la cheville de ses talents alchimiques perdus. La difficulté avec laquelle il parvenait à s'améliorer l'inquiétait pourtant : la pratique de l'élixirologie était aussi difficile que s'il avait dû se mettre à marcher sans son automail. Il savait donc que, s'il voulait progresser, il lui faudrait emprunter une autre voie qu'il ne pouvait, pour le moment, pas mettre en pratique.

Fin mars, les quatorze représentants de la Voix du Paysan furent conviés à South City pour rencontrer le Général en charge de la région. Il y eut des pourparlers qui durèrent plusieurs jours et pendant lesquels le gouvernement proposa des solutions pour mettre tout le monde d'accord. Edward ne put se rendre sur place mais lorsqu'Yves revint de la capitale sud, au début du mois d'avril, il était tout sourire.

- Je crois que nous sommes parvenus à un accord, indiqua-t-il. Le Général Richter a négocié et, selon les productions de chacun, nous allons obtenir des augmentations. Nos accords doivent encore remonter à Central City pour être acceptés par l'ensemble du gouvernement mais, dans l'idée, nous devrions avoir de bonnes nouvelles avant la fin du mois.

- Et nous, qu'est-ce qu'on fait, en attendant ?

- On reprend l'exportation, du moins en partie. Il a été convenu que nous envoyions la moitié de ce que nous envoyons d'habitude afin d'éviter des disettes dans le pays, puis que nous reprenions l'export normalement une fois les accords signés. En échange, l'eau et l'électricité devraient être restaurés dans les heures ou les jours qui arrivent.

La facilité avec laquelle les accords s'étaient faits sans qu'aucun conflit n'éclate rendait Edward perplexe. La guerre serait déclenchée en mai : le Père préparait son plan depuis si longtemps qu'il était impossible qu'il laisse son plan être gâché à cause d'un simple accord diplomatique. Et pourtant, tout semblait indiquer que les choses allaient reprendre leur cours et qu'aucun bain de sang n'aurait lieu. Parfois, il lui semblait qu'il devenait complètement dingue et doutait de son propre passé, craignant d'avoir inventé les complots des homonculus ou imaginé certains évènements. Ses incertitudes grandirent d'ailleurs à mesure que les jours succédèrent au retour d'Yves : l'électricité et l'eau courante revint dans les foyers des alentours de Fosset, le travail et les exports reprirent presque à plein régime et la bonne humeur des habitants de la maison ne faisait que souligner l'optimisme de la situation. La seule personne à qui il pouvait en parler était Roy, mais il n'était pas exactement sûr d'avoir le droit de se reposer sur ses épaules : si lui-même se mettait à douter de ses propres souvenirs, son colocataire se mettrait rapidement à penser qu'il n'était pas fiable et qu'il avait écouté les propos d'un dément depuis le début.

Ses incertitudes, pourtant, furent balayées une semaine plus tard tandis que le journal rapportait l'assassinat du Général Richter. Des terroristes s'étaient emparés du wagon de train dans lequel il se trouvait pour se rendre à Central et l'avaient tué sans autre forme de procès. Edward trouva en cet évènement une espèce de soulagement malsain : si le Général Richter, celui qui s'était porté garant des accords avec les agriculteurs, était décédé, les homonculus pouvaient désormais mettre un militaire fidèle à Bradley aux commandes de South City. Les accords prendraient plus de temps avant d'être acceptés et mai arriverait alors. La guerre serait déclenchée et il obtiendrait la confirmation de le véracité ses souvenirs. Cela dit, il était venu pour empêcher cette guerre d'avoir lieu, et cet espoir sinistre le culpabilisait au plus haut point. Il était sans doute le seul de toute la maisonnée à ne pas déborder d'optimisme, aussi Isabelle ne tarda-t-elle pas à le questionner.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? demandait-elle régulièrement avec patience.

- Je t'assure que je vais bien, répondait-il toujours.

Pourtant, un jour qu'ils venaient de coucher les enfants et qu'ils se retrouvaient tous les deux, elle insista et son regard sincère et sa voix inquiète le poussèrent à se confier, comme il aurait pu le faire avec Alphonse.

- Je crois que quelque chose de terrible pas arriver. J'ai un très mauvais pressentiment. Et je n'ai pas envie qu'il vous arrive quoi que ce soit.

- Ce n'est pas parce que le Général Richter est mort que les accords ne vont pas se faire, tu sais ? Ça va juste prendre un peu plus de temps que prévu.

- Je te parie ce que tu veux que cette mort va nous retomber dessus d'une manière ou d'une autre.

- Mais enfin, qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Il la fixa un instant, pesant le pour et le contre. Il ne pouvait pas tout lui expliquer, mais mentir pour lui exprimer le fond de sa pensée n'était pas impossible.

- Ma copine m'a dit que l'ambiance, en ville, à cause de cette situation, n'était pas des meilleures qui soient. Ce n'était pas franchement de l'avis de tout le monde que d'accepter de vous donner plus de droits, au contraire. La mort du Général Richter n'en est qu'un exemple de plus : j'ai peur que nous n'ayons perdu notre seul et unique allié.

Sa crainte fut confirmée quelques jours plus tard : l'enquête policière qui avait suivi le meurtre était arrivé à la conclusion que les meurtriers faisaient partie de la Voix du Paysan. L'un d'eux, le fils de Louis, avait été arrêté. Même s'il niait avoir participé à cet acte terroriste, les caméras de surveillance du wagon dans lequel le Général de South City avait trouvé la mort ne laissait trace à aucun doute quant à son identité. Ses deux acolytes, cependant, restaient très flous et il était difficile de les reconnaitre sur les enregistrements. Comme le suspect continuait de plaider non coupable, il ne dénonça personne et endossa la responsabilité de tous. En une semaine, à peine, il fut jugé et condamné à la peine capitale.

- C'est complètement n'importe quoi ! s'était insurgé Adrien. Je connais bien François, et ce n'est pas du tout son genre ! Il est aussi gentil que son père, il ne ferait pas de mal à une mouche… Et puis, lui, il ne voulait même pas faire de revendications, au départ !

L'évènement fut interprété par les journalistes. Rapidement, l'opinion publique fut presque unanime : les agriculteurs ne voulaient pas vraiment des accords qui avaient été convenus avec le Général Richter et cherchaient juste à affaiblir le pays pour prendre leur indépendance, voire déclencher une révolution. Après tout, cette partie du pays avait été annexée seulement deux cents ans plus tôt et il n'était pas rare que certains veuille proclamer leur indépendance.

Complètement pris au dépourvu, le Conseil de la Voix du Paysan tenta de se défendre pour éviter que la situation ne s'envenime. Le Conseil voulait s'entretenir avec le nouveau gouverneur mis en place à South City afin de renouveler les accords dans les termes prévus. Les productions continuèrent à être exportées en signe de bonne foi et il fallut bien admettre qu'en-dehors de l'acte terroriste, aucun agriculteur n'avait tenté quoi que ce soit de violent. On les reçut une nouvelle fois dans le chef-lieu de la région et les accords furent renouvelé, bien que diminués. Si les agriculteurs avaient fait quelques concessions, la situation ne semblait pas s'envenimer. C'était par ailleurs une excellente nouvelle puisque la mort de François avait déprimé tout le monde et les agriculteurs désiraient simplement mettre fin à cette situation délicate. Les accords remontèrent jusqu'à Central City sans encombre et, le 30 avril, ils furent signés par King Bradley.

Edward se demandait comment il avait pu réussir à changer aussi facilement le passé, mais il en était ravi. Il criait presque victoire avant l'heure. Yves était optimiste, comme le reste de sa famille, Isabelle et Gabin. Ce soir-là, ils s'éclairèrent à la bougie et sortirent plusieurs bouteilles de vin qu'ils ouvrirent pour trinquer à de jours meilleurs. Enfin, la vie allait reprendre son cours normal et le labeur des travailleurs serait reconnu. Ils allèrent tous se coucher, le ventre plein, le cerveau embrumé par l'alcool et des espoirs plein le cœur.

Edward avait cependant toujours le sommeil agité et le moindre bruit le réveillait. En proie à un nouveau cauchemar, il se réveilla en sursaut et ne put se rendormir. Les yeux grands ouverts, il regardait le plafond en tentant de penser à autre chose. La lumière qui entrait dans sa chambre, par la fenêtre, dansait sur les murs en une lueur irrégulière. Un peu jaune, elle vacillait. Edward ne réagit cependant que lorsqu'il entendit un crépitement. Alors seulement il sauta de son lit et, sans prendre le temps de s'habiller, il courut à la fenêtre qu'il ouvrit. Le spectacle qu'il vit tétanisa son corps. La grange, pleine à craquer des récoltes de l'été, était en proie à des flammes qui s'élevaient si haut qu'elles masquaient les étoiles. La maison, quant à elle, commençait elle aussi à être rongée par le feu.

Edward sortit de sa chambre en trombe et sa mit à taper les murs et les portes qui se trouvaient sur son chemin.

- REVEILLEZ-VOUS ! SORTEZ DEHORS ! IL Y A LE FEU !

Il ne fit pas attention à ce que tous se réveillent. Déjà, il était à l'étage du dessous et se précipitait à l'extérieur. Courant jusqu'à l'une des quatre citernes remplies d'eau, il mordit son pouce au sang et se mit à dessiner un cercle elixirologique. Il n'était pas sûr de parvenir à faire ce qu'il voulait, mais il lui fallait essayer pour sauver la maison.

Le cercle terminé, il plaqua ses mains entre elles - c'était un réflexe dont il n'arrivait pas à se débarrasser - avant de les poser dessus. Des éclairs de transmutation apparurent presque aussitôt. De la citerne jaillit un tuyau qu'il fit grandir jusqu'à l'incendie. Une valve apparut également. Ça n'avait rien à voir avec ce dont il était capable de faire auparavant, mais il s'agissait là d'un résultat correct. Il sauta ensuite sur la valve et l'ouvrit. L'eau jaillit du tuyau et se mit à couler dans les flammes.

A ce moment, les autres se mirent à se précipiter à l'extérieur. Edward ne vit pas exactement ce qu'il se passait, trop concentré pour regarder ce que les autres faisaient. Il se précipita sur une autre citerne et refit le même cercle elixirologique. Une double fontaine se mit à recouvrir les flammes qui semblaient pourtant ne pas vouloir faiblir.

Les autres réservoirs se trouvaient de l'autre côté de l'incendie. Il délaissa les autres qui semblaient totalement pris au dépourvu pour contourner la bâtisse avec précipitation. Il était prêt à faire son cercle elixirologique, mais il fut arrêté net. A une distance raisonnable des flammes se trouvait une femme à la chevelure flamboyante. Elle regardait le feu, un sourire satisfait aux lèvres. Edward ne pouvait pas s'y tromper : Idamie avait surement déclenché l'incendie dans un acte de folie. Pendant un instant, il fut saisi par cette terrible vision. La silhouette de cette femme, belle, éclairée par les feux destructeurs se détachait de manière presque irréelle dans le décor sombre de la nuit. Sa jupe volait autour d'elle, dévoilant ses jambes fines et lisses. C'est alors qu'Edward vit un détail qui changea toute la donne. Sur le dessus de sa cuisse gauche, marqué comme dans ses souvenirs, se trouvait le signe de l'Ouroboros.

Envy.