Bonjour à tous ! Voici le chapitre 25 qui, comme vous allez le voir, sort un peu des sentiers battus. J'espère malgré tout qu'il vous plaira et espère avoir vos avis dans les reviews ! En attendant, je vous souhaite une excellente lecture et vous revoie dans deux semaines pour le prochain chapitre !


Chapitre 25 - Exilés


Les flammes rougeoyaient et projetaient sur la cour de gravier une lueur tremblotante. Elles lézardaient le long des murs, léchaient le toit, luisaient sur les tuiles, caressait la végétation alentours qui flétrissait à son contact, comme pour lutter contre leur invasion pourtant inévitable. Ce décor, de nuit, avait quelque chose de terriblement irréel tandis que l'éclat cinabre du feu perçait violemment l'ambiance monochrome de la propriété.

Tout se déroulait au ralenti, dans un silence superficiel que seul un esprit blessé est capable de créer. Pourtant, à bien y regarder, l'agitation alentour était réelle et des traits d'eau puissants s'écrasaient sur les flammes, avalés, disparaissaient dans la bâtisse brûlante, se contentant seulement d'apporter un maigre espoir aux rescapés. Mais l'espérance fut balayée lorsque la toiture s'effondra sur elle-même, emportant dans un craquement effroyable la chaleur d'un foyer, les vies qui y étaient restées et l'insouciance de l'enfance.

Isabelle se réveilla en sursaut, la peau ruisselant de sueur et le cœur affolé. Sur les draps blancs de son lit, un rayon de lune passait, lui permettant de percevoir en noir et blanc les contours de la pièce. Elle laissa retomber sa tête entre ses mains, ramena ses cheveux moites en arrière pour, finalement, rester immobile, prostrée, exténuée. Cela faisait plusieurs nuits, maintenant, qu'elle refaisait toujours les mêmes cauchemars. Elle pensait en avoir fini avec tout cela, mais depuis le nouvel incendie…

La jeune femme releva la tête dans un sursaut d'incertitude. Une fois ses pieds entrés dans ses chaussons, elle traversa la pièce, puis le couloir au parquet qui craquait pour finalement se retrouver devant une porte entrebâillée. Elle l'ouvrit lentement et découvrit une chambre désordonnée dont le lit défait et vide ne laissait place qu'à la déception : Eric était parti, c'était la triste réalité.

Elle traversa la pièce avec lenteur, ses pas étouffés dans le silence. Elle s'assit sur le lit, qui grinça légèrement, s'y allongea, se perdit dans les couvertures, dans les oreillers qui portaient encore son odeur rassurante et l'énergie de sa présence.

Elle lui en voulait pour ses mystères. Elle lui en voulait de ne pas lui avoir fait confiance. Elle lui en voulait de lui avoir tout caché. Elle lui en voulait de lui avoir menti encore et encore alors qu'elle s'ouvrait à lui, corps, âme et cœur. Elle se souvenait du choc que ça avait été, pour elle, de le voir courir en caleçon, avec cette jambe de métal dont elle ignorait l'existence, ses cicatrices beaucoup trop nombreuses sur sa peau, et ses éclairs alchimiques qui l'entouraient lorsqu'il traçait sur le sol des cercles formés à l'aide de son propre sang. Elle avait eu terriblement peur de lui lorsqu'elle l'avait vu frapper Idamie avec la rage d'un démon et la force d'un monstre tandis que, dans ses yeux, ne perçait que la haine. Elle ne l'avait jamais vu comme ça. Elle ne le reconnaissait pas, elle ne le connaissait plus.

Malgré tout, elle n'avait pu s'empêcher de lui faire confiance, de l'aider s'évader, de le laisser disparaitre dans la nature. Il semblait avoir de bonnes raisons d'avoir fait tout cela. Mais elle ne savait pas qui il était. Elle aimait un fantôme, une personne inconnue, qui n'existait probablement pas. Elle aurait voulu comprendre, elle aurait voulu être sa confidente, elle aurait voulu être pour lui, sinon la personne qu'il aimait, la sœur qu'il recherchait, l'amie à l'oreille attentive dont il avait besoin. Elle lui en voulait de ne pas lui avoir dit la vérité, certes, mais une fois que sa colère s'était estompée, elle avait démêlé le vrai du faux : peut-être qu' « Eric Ford » n'était pas son véritable nom, mais la manière dont il agissait, dont il souriait, dont il riait, dont il s'inquiétait était on ne peut plus réelle. Elle ne pensait pas qu'il ait pu lui cacher ça. Son comportement, au moment de leurs adieux, avait d'ailleurs été identique à celui qu'elle lui connaissait, même s'il était peut-être plus grave. Il était trop transparent, trop sincère, trop impulsif pour pouvoir mentir sur sa nature profonde : et c'est peut-être ça qui lui avait plu chez lui. Cette force couplée d'une simplicité presque naïve. Il était peut-être plus vieux qu'elle, mais sous plusieurs aspects, elle l'avait trouvé plus jeune.

Isabelle se retourna dans ces draps qui n'étaient pas les siens et soupira. Ce n'était pas la première fois qu'elle s'enroulait ainsi dans son parfum, mais elle n'arrivait pas à s'en empêcher, même si cela paraissait stupide et peut-être aussi un peu dérangeant. Elle espérait que personne ne le saurait jamais. Mais qu'importe, elle se sentait un peu plus rassurée, et c'était tout ce qui comptait après ce qu'il s'était passé. Cela lui donnait un peu l'impression qu'il était là, comme s'ils avaient pu se retrouver en pleine nuit, comme ils le faisaient souvent, dans la cuisine, à discuter, de tout, de rien, juste pour oublier que la vie était difficile et qu'elle les rattrapait tous deux dans leurs sommeils. Elle s'était habituée à ce rituel, et maintenant qu'il n'était plus là, les soirées étaient plus longues et assez épouvantables. Mais elle avait eu de la chance de pouvoir encore se trouver dans un lit aujourd'hui.

Eric n'était pas parti très discrètement. Isabelle et Gabin s'étaient réfugiés dans la tente où ils logeaient avec toute la famille juste avant que le camp ne s'éveille, alerté par les pétarades d'un véhicule mal maîtrisé. Les agriculteurs et autres travailleurs avaient été furieux de voir la disparition d'Eric Ford et ils avaient tenté de le retrouver toute la journée et de dénicher le traître qui avait pu le laisser s'échapper. Après quoi, ils avaient déclaré la guerre au gouvernement pour avoir envoyé un alchimiste d'Etat semer le trouble dans leur organisation et pour avoir orchestré la destruction des fermes les plus importantes de la région de Fosset. Cependant, le gouvernement avait repris en main les médias et leur lettre publique n'avait jamais été publiée : à la place, le nouveau Général en charge de la Région Sud inculpa les agriculteurs. Il les accusa d'avoir mis le feu à leurs propres fermes pour déclarer la guerre tout en faisant porter le chapeau aux dirigeants du pays. Tout le monde avait été abasourdi par l'absurdité de cette déclaration fabulée. Quoi d'étonnant, ensuite, de voir qu'Aerugo n'avait pas tardé à proposer de nouveau des armes aux personnes de la Voix du Paysan, proposition qu'elles avaient acceptée puisque, de toute évidence, les militaires allaient être déployés sous peu.

- Isabelle ?

La jeune femme sursauta et sortit du lit d'un bond, s'empêtrant dans les draps, manquant de s'écraser au sol tandis que le parquet grinçait et signalait sa présence dans cette chambre où elle n'aurait pas dû se trouver. Elle maudit sa discrétion pachydermique, rejeta les couvertures qui la recouvraient encore, avant de lever la tête vers la porte ouverte de la chambre. Adrien, impassible, l'observait, et l'avait sans doute vu se dépêtrer des obstacles de la literie. Le rouge lui monta aux joues et elle remercia la pénombre de masquer sa gêne.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Il avait posé la question comme si la réponse importait peu. Adrien était comme ça, et elle avait d'abord eu du mal à le cerner avant de comprendre simplement qu'il était une force de la nature, difficilement atteignable, toujours calme et posé. Elle ne l'avait même jamais vu s'énerver, ne l'avait jamais entendu dire un mot plus haut que l'autre. Sauf peut-être lorsque François avait été condamné à mort. Sans doute cette injustice l'avait-elle fait sortir de ses gonds.

- Rien, répondit Isabelle.

- C'est toi qui l'as fait partir, n'est-ce pas ?

Elle soupira et s'assit sur le bord du lit, déjà épuisée par la conversation. Sans attendre de réponse, Adrien vint simplement s'asseoir à côté d'elle, fixant le mur d'en face rendu noir par la nuit.

- Tu étais pourtant en colère, analysa-t-il.

C'était vrai, peut-être qu'elle avait vaguement laissé entendre qu'elle aurait souhaité qu'il soit mort. C'était avant de se rendre compte qu'il était absurde de penser qu'il avait pu mettre le feu à la grange.

- Je crois qu'il n'est coupable de rien, avoua finalement Isabelle.

- Je ne pense pas non plus.

Elle tourna vers lui des yeux surpris, mais le visage impassible du jeune homme fixait toujours le mur d'en face. Il faisait si sombre que les traits de son visage s'effaçaient, lui donnant une allure de mannequin à laquelle la neutralité de sa voix n'arrangeait rien.

- Je l'ai entendu parler avec Idamie, expliqua Isabelle. Ce n'était pas elle. Elle parlait de plans, de guerre… Comme quoi elle aurait dû arriver en janvier, mais qu'Eric s'était interposé. Je n'ai pas tout compris.

- Comment ça, « ce n'était pas elle » ?

- Je… Elle avait la même tête, le même corps, mais la manière dont elle parlait et dont Eric lui répondait… J'avais l'impression qu'il la connaissait, mais il ne parlait pas à Idamie. C'était quelqu'un d'autre, et elle l'a plus ou moins avoué. Eric sait plus de choses qu'il n'en a dit. Je sais aussi qu'Eric Ford n'est pas son vrai nom. Et aussi qu'il m'a laissé une adresse pour que nous nous enfuyions car il pense qu'une guerre va avoir lieu. Il a parlé d'un massacre.

- Mes parents sont sur le front.

Après les évènements qui avaient eu lieu, Yves et Vivianne avaient décidé de se battre dans les rangs de la Voix du Paysan et avaient renvoyé leurs enfants à la ferme, laissant à Isabelle et Adrien le soin de s'occuper d'eux et de reprendre les rênes de la ferme pour, au moins, espérer passer l'hiver prochain. Ce n'était déjà pas facile, alors si personne ne faisait rien, ils allaient simplement mourir de faim. Isabelle avait accepté de rentrer, trop dépassée par l'entièreté de la situation pour protester, et Adrien n'avait pas bronché non plus, prenant sa responsabilité de grand-frère. De toute manière, il n'aimait pas tellement cette idée de guerre et n'avait jamais vraiment eu d'avis sur cette histoire de révolte, même si sa loyauté envers ses parents l'avait poussé à les encourager.

- Où est Idamie, si ce n'était pas elle ? demanda soudainement le jeune homme.

- Je me pose la même question. Je voulais aller chez elle, pour voir. Mais, honnêtement, vu ce qu'a dit Eric, j'ai très peur d'y aller toute seule.

Cela faisait un moment qu'elle y pensait, mais la peur la clouait sur place et elle n'avait pas eu le courage de le faire. Elle avait songé y aller avec Gabin, mais elle doutait que les choses qu'elle trouverait sur place ne soient pour un enfant de son âge. Alors, maintenant qu'Adrien était au courant, peut-être accepterait-il de venir avec elle.

- Allons-y, fit le jeune homme en se relevant.

- Quoi ? Maintenant ?!

- Le soleil sera levé quand nous atteindront sa maison.

La peur qui lui avait pris les tripes pétrifiait Isabelle sur le lit tandis que son regard effrayé suivait le jeune homme, déjà vers la porte, beaucoup plus résolu qu'elle. C'était stupide d'avoir peur comme ça quand Yves et Vivianne étaient sur le front, quand les multiples cicatrices d'Eric attestaient d'une vie de combats, quand son frère et sa famille de cœur avaient besoin d'elle. Forte de cette gifle mentale, elle se redressa à son tour et partit à la suite d'Adrien qui avait déjà disparu à l'extérieur. Dehors, le ciel sombre laissait place à quelques traits plus clairs qui découpaient les montagnes à l'horizon. Le fond de l'air était doux et il fallait s'attendre à une journée très chaude en cette fin du mois de juin. Le regard d'Adrien se perdit sur la gauche et Isabelle suivit sa direction pour butter sur les ruines carbonisées de ce qui avait été la grange de la maison. Un miracle que toute la ferme ne soit pas partie en fumée.

- J'ai un mauvais pressentiment, déclara Isabelle en arrivant à sa hauteur.

- Moi aussi, approuva Adrien. Peut-être qu'on devrait s'équiper.

- S'équiper ?

- Prendre de quoi nous défendre.

- Oh…

Si la personne qui se faisait passer pour Idamie était capable de mettre le feu ainsi, en plein milieu de la nuit, sans se soucier de ceux qui se trouvaient à l'intérieur, il se pouvait en effet qu'ils courent un certain danger si l'imposteur, ou de possibles acolytes, se trouvait encore sur place.

- Tu as raison, approuva Isabelle en repartant à l'intérieur de la maison tandis qu'Adrien, lui, ne quittait pas des yeux les ruines de sa maison.

Elle revint, plus décidée que jamais, quelques minutes plus tard. Dans une main, elle portait l'un des deux fusils de chasse qu'Yves leur avait laissé en cas de problème ; de l'autre main, elle apportait avec elle de grands couteaux de cuisine.

- Je pense qu'on peut aussi prendre une pelle, réfléchit-elle en revenant au niveau d'un Adrien immobile. Ou un râteau. Ça peut être une bonne arme. Je te donne le fusil ?

- Tu es meilleure tireuse que moi.

- Alors je le garde.

Il hocha la tête, et décrocha finalement ses yeux des vestiges de la bâtisse. Il se retourna pour s'avancer vers les tracteurs qui, depuis longtemps, n'avaient plus de carburant pour fonctionner. Il en retira une longue pelle, revint vers Isabelle et lui pris un couteau qu'il coinça soigneusement dans sa ceinture. La jeune femme l'imita et, silencieusement, les deux jeunes adultes s'engagèrent sur le chemin de terre en direction du mont Vagne sur lequel la silhouette sombre des vignes commençait à apparaitre. Elles se découpaient dans une noirceur brouillonne que la distance ne permettait pas encore de distinguer complètement. Mais plus ils avançaient, plus le soleil montait et révélait leur véritable forme. Ils s'y engagèrent, remontant la colline à pas prudents, évitant les mauvaises herbes et les branches anarchiques qui, depuis longtemps, n'avaient plus été taillées. Ça n'avait rien d'étonnant puisqu'Idamie avait déjà dû fuir ce lieu depuis presque six mois déjà, chassée par la police. Mais son conjoint, Christophe, lui, n'avait jamais été soupçonné. Il avait pourtant dû partir avec elle, vu l'état catastrophique du vignoble et le silence radio dont il avait fait preuve. Sans qu'ils n'aient besoin de parler, leur tension monta progressivement. Ils se rendaient compte, chacun de leur côté, que certains indices auraient pu leur mettre la puce à l'oreille bien plus tôt : l'implication d'Idamie dans la révolte, l'absence de Christophe depuis plus longtemps encore que l'arrestation de sa compagne, la présence de celle-ci sur le lieu de l'incendie, son absence totale d'hospitalité, son changement de comportement... Certes, Idamie avait toujours eu des avis assez tranchés et elle était assez connue pour son côté rustre, mais, parfois, elle invitait tout de même ses voisins et savait ouvrir les portes de sa maison lorsqu'on daignait se déplacer jusqu'à ses portes. Or, la dernière fois, elle n'avait même pas ouvert les grilles de sa propriété.

Mais comment auraient-ils pu deviner quoi que ce soit, alors qu'ils étaient pris par leurs occupations collectives, par la révolte en cours, par les coupures d'eau courante, d'électricité, de gaz, par la disparition de l'import et de l'export ? Ils s'étaient contentés d'essayer de survivre dans les meilleures conditions possibles sans se soucier de leurs voisins discrets. Trop discrets, peut-être.

« ARRÊTEZ-LE ! IL VA VOUS TUER ! »

Ces mots résonnèrent soudain dans l'esprit d'Isabelle, la faisant tressaillir. Elle crispa un peu plus ses mains, rendues moites par l'effort et la peur, sur son arme à feu. C'était Eric qui avait prononcé ces mots, quelques semaines plus tôt, tandis qu'Yves le prenait à bras le corps pour l'éloigner d'une Idamie impuissante, ensanglantée, victime d'une violence qu'Isabelle n'imaginait pas possible. Elle s'était précipitée vers elle sans se soucier des mots insensés que prononçait Eric, l'avait couverte, l'avait soignée, l'avait dorloté. La colère et la haine les avaient tous rendu aveugles, au point que personne n'avait remarqué que, le lendemain, Idamie n'avait plus rien du tout et déambulait sous leurs yeux dans cette démarche victorieuse qu'Isabelle n'avait perçu qu'après l'avoir vu quitter la cave où Eric était enfermé.

Qui était cet individu ? Ce « il » capable de tuer ? De pendre l'apparence exacte d'une femme qu'elle avait pourtant connue ? Où était la véritable Idamie ? Qui était Eric ? Qui était Edward ? Comment savait-il tout cela ? Quel était son but véritable ?

Ses pensées se dissipèrent lorsqu'elle entendit la grille du jardin grincer, poussée par un Adrien attentif. Ils traversèrent la propriété abandonnée, lançant des coups d'œil inquiets partout autour d'eux, guettant le moindre mouvement, tandis que le chant matinal des oiseaux accompagnait leur marche préoccupée. Pourtant, rien ne vint troubler leur passage, et même s'ils avançaient lentement, ils arrivèrent bien vite à la porte de bois massif sur laquelle le heurtoir, une tête de lièvre en bronze, attendait sagement qu'un visiteur l'utilise pour déclarer sa présence. C'était peut-être stupide, mais Adrien et Isabelle se jetèrent le même regard interrogatif, hésitant à frapper poliment avant d'entrer. Ils restèrent ainsi sur le pas de la porte pendant quelques instants, avant qu'Isabelle ne se décide finalement à entrer sans se signaler, tournant la poignée avec autant de discrétion que possible. Lorsque, finalement, les rayons du soleil levant pénétrèrent l'espace sombre de la salle à manger, ce fut pour révéler une pièce plongée dans le chaos : la table en chêne avait été repoussé, coupée en deux, les bancs retournés, les chaises brisées en mille morceaux. Le carrelage, par endroit, avait été éclaté et, ailleurs, il était recouvert de marques sombres qui s'étendaient jusque sur les murs. Isabelle claqua aussitôt la porte tandis qu'Adrien, derrière elle, retenait son souffle. Le cœur de la jeune femme battait si fort qu'elle en avait mal à la poitrine. Sa gorge nouée l'empêchait de déglutir.

Ils ne savaient pas à quoi s'attendre en venant jusqu'ici, mais une scène de crime était au-delà de tout ce qu'ils avaient pu imaginer.

- Il faut qu'on appelle la police, dit stupidement Isabelle sans avoir réfléchi.

Elle n'eut pas besoin qu'Adrien réponde pour comprendre qu'il était absurde d'attendre une aide extérieure : l'armée avait déserté la région, les habitants du coin étaient devenus ses ennemis et, de toute manière, la police était déjà venue sans rien trouver.

La police est déjà venue sans rien trouver.

Elle se souvint, dans un flash, de cette soirée où Adrien, Eric et elle-même se promenaient avec les quatre enfants, non loin du mont Vagne, et avaient vu les gyrophares apparaitre au sommet des vignobles. Quelques jours plus tôt, la Voix du Paysan avait choisi de dénoncer Idamie pour avoir tiré sur un militaire et l'avoir tué lors de la manifestation à Fosset. Eric avait aussi laissé entendre qu'Idamie n'était déjà plus elle-même à ce moment-là. Alors, la scène de crime devait déjà avoir eu lieu. Mais le journal n'avait pas parlé de cela. Il avait simplement dénoncé les agriculteurs d'avoir couvert Idamie et de les avoir empêchés de l'arrêter.

Alors, quoi ? Les gyrophares étaient-ils une mise en scène ? Qui donc avait fait une chose pareille ? Pourquoi le gouvernement s'acharnait-il à vouloir prouver leur mauvaise foi ?

- François a été condamné à mort sans avoir rien fait, déclara Adrien d'une voix qu'elle sentit tremblante.

Il avait été condamné à mort. Les caméras de surveillance montraient clairement son visage. Il n'y avait aucun doute sur son identité. Ses acolytes n'avaient jamais été retrouvés. Mais ça n'avait aucun sens. François n'était pas un militant, et il ne l'avait jamais été.

- Ce n'est pas seulement l'apparence d'Idamie qu'il a usurpé, comprit Isabelle, le cœur au bord des lèvres.

Ses jambes se dérobèrent sous son poids et elle se laissa tomber à genoux devant la porte de la ferme, lâchant le fusil de chasse qui roula sur la pierre dans un bruit clair.

Ce n'est pas possible. Ça n'a pas de sens.

Des caméras de surveillances dans un train, il n'y en avait pas. Il n'y en avait jamais. Alors pourquoi, précisément à ce moment-là, au moment où ils allaient avoir gain de cause, une personne prenant l'apparence de François avait assassiné leur seul allié, à visage découvert, devant des caméras qui n'auraient pas dû se trouver là. Comment était-il possible que quelqu'un puisse avoir les mêmes traits que quelqu'un d'autre ?

Tout était prévu.

Que recherchait la personne qui avait manigancé une chose pareille ? Pourquoi voulait-elle la guerre ?

« Il va y avoir un massacre. »

Pourquoi quelqu'un voulait-il d'un massacre ? Comment cette personne pouvait-elle avoir accès à des véhicules de police pour venir jusqu'ici et parfaire sa comédie, pour faire voir à tous les paysans du coin qu'ils étaient réellement venus ? Comment la situation avait-elle pu en venir à de telles extrémités ?

- Il faut qu'on entre, informa soudainement Adrien, décidé.

Isabelle n'avait pas du tout envie d'entrer. Elle ne voulait pas voir ça. Elle n'était pas prête à voir des corps et n'avait jamais demandé à se retrouver dans une telle situation. Elle voulait seulement plus de droits, un peu d'argent pour pouvoir rebâtir une maison sur le terrain que lui avaient légué ses parents, reprendre l'entreprise familiale en leur mémoire et subvenir aux besoins de son petit frère dont elle avait désormais la garde. Elle ne voulait pas de la guerre, elle ne voulait pas de meurtres, elle ne voulait pas de quelque chose d'aussi compliqué pour perturber sa vie déjà terrassée par la perte tragique de sa famille, de sa maison, de tout ce qu'elle avait connu avant la ferme d'Yves et de Vivianne.

- Si tout ça est prémédité depuis le début, qu'est-ce qu'il va arriver à Yves et Vivianne ? gémit Isabelle dans un sanglot qui désarçonna ses cordes vocales.

- On va aller les chercher. Mais il faut qu'on en sache plus.

Le jeune homme la contourna alors, ouvrit la porte et s'engouffra dans la bâtisse sans sembler hésiter une seconde tandis qu'Isabelle, elle, mura sa vision sous ses paupières. Mais son imagination était sans doute pire que la réalité et elle se força à se retourner, dos à l'ouverture, pour balayer des yeux le jardin déserté de toute activité humaine, cherchant dans ce paysage naturel un peu de réconfort. Derrière elle, elle entendait la démarche précautionneuse d'Adrien et elle frissonna tout entière en songeant au spectacle auquel il devait faire face… seul. Alors que c'était elle qui l'avait embarqué dans cette histoire.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? s'estomaqua soudain le jeune homme.

Isabelle se releva vivement et entra d'un bond dans la maison tandis que le moindre de ses poils se dressaient sur sa peau, comme pour la protéger, pour l'empêcher de voir, de vivre ce qu'elle s'apprêtait à vivre, de sentir l'air vicié qui envahit ses poumons. Mais elle ne pouvait pas se voiler la face, pas lorsqu'Adrien était avec elle, pas lorsque tant de questions se bousculaient dans sa tête, pas lorsque son esprit humain, naturellement curieux, la poussait à résoudre les problèmes qui s'étaient imposés. Il fallait comprendre.

Ses yeux découvrirent alors toute l'horreur des restes d'un combat acharné. Isabelle ne fut d'abord pas capable de dépasser la première impression du chaos général de la pièce, aussi se dirigea-t-elle vers Adrien qui étudiait avec une certaine attention les tâches noires ou marrons qui tapissaient le sol et les murs. Elles étaient irrégulières, étalées, et les traces qui s'y incrustaient laissaient deviner une lutte désespérée qui s'était terminée à coup de poings et de pieds. Isabelle eut soudain un haut-le-cœur quand elle réalisa que ces trainées ne pouvaient être rien d'autre que du sang. Énormément de sang. Beaucoup trop de sang.

- Ce n'est pas possible, murmura-t-elle pour elle-même.

- Regarde ici, indiqua Adrien en désignant un endroit précis où les tomettes de briques étaient particulièrement recouvertes de sang.

Elle fixa l'éclaboussure desséchée sans la regarder vraiment. Tout ce sang, et toute la violence qu'il représentait, l'épouvantait. Pourtant, à force d'attarder son regard sur les marques noirâtres, elle perçut ce que l'esprit d'Adrien ne parvenait pas à comprendre : il y avait, au milieu de ces stigmates barbares de lutte, l'empreinte d'une main. Mais ça ne pouvait pas être la main d'Idamie, ni même celle de Christophe. Elle était au moins dix fois plus grande qu'une main normale. Elle aurait pu prendre sa tête et la lui broyer tant elle était gigantesque.

- Ce n'est pas possible, répéta-t-elle, incapable d'analyser la situation. On dirait…

- … une main, termina Adrien.

- Personne ne peut avoir une main pareille, haleta Isabelle.

- Personne n'est capable de prendre l'apparence exacte de quelqu'un d'autre, renchérit Adrien.

Alors, quoi ? Ils avaient à faire à un monstre ? Personne n'était censé pouvoir prendre la forme de quelqu'un d'autre. Personne n'était supposé pouvoir avoir une main si grande. Personne ne pouvait prétendre pouvoir être tabassé quasiment à mort et n'avoir plus rien le lendemain matin. Et Eric, qui ne semblait pas surpris, qui semblait savoir à qui il avait à faire.

- Il faut que j'aille voir Eric, décida soudain Isabelle.

- Il faut que j'aille récupérer mes parents, déclara Adrien.

- Et tes frères et soeurs ?

- Prends-les avec toi.

- Ca ne va pas être très discret.

- Je ne veux pas qu'ils restent ici, à proximité d'un endroit pareil. Et si… cette chose… revenait ?

Isabelle hocha la tête. Elle ne se sentait plus en sécurité non plus. Peut-être que partir était finalement la meilleure des choses à faire. Et elle connaissait suffisamment Eric pour savoir qu'il serait prêt à accueillir tout le monde. Enfin… En tout cas, l'Eric qu'elle connaissait ferait cela. Le fait qu'Edward lui laisse une adresse où se rendre prouvait qu'il n'était pas si différent de lui. D'ailleurs, il leur avait dit de s'en aller, leur avait proposé de partir avec lui.

C'est sa copine qui va être contente de se retrouver avec une flopée de gamins sur les bras.

Isabelle prit une grande bouffée d'air, puis releva les yeux pour regarder alentours. Maintenant qu'elle s'était globalement habituée à l'ambiance sordide du lieu, il lui semblait moins difficile de détailler les alentours. En tout, cas, c'était moins macabre que de regarder les monstrueuses empreintes qui tapissaient le carrelage. Elle traversa la pièce, passant outre l'ameublement dévasté, pour finalement ouvrir les fenêtres et dégager les volets de l'ouverture afin de laisser entrer la lumière d'un soleil désormais bien visible. L'air frais lui fit du bien : elle se sentait étouffer dans l'atmosphère rance de cette maison restée trop longtemps close. Le jour n'arrangeait rien aux restes de la scène terrifiante qui s'était déroulée ici, mais, au moins, Adrien et Isabelle voyaient plus clair et découvrirent bien vite, dans la même pièce, des impacts de balles dans les murs. La porte de la cuisine était restée ouverte, et ils découvrirent là d'autres impacts de balles et des éclaboussures sur le vaisselier. Des bris de verres gisaient partout sur le sol et se mêlaient à une nouvelle quantité non négligeable de cet ancien liquide sombre, aujourd'hui réduit à un dépôt de fer brunâtre.

La suite de la visite se fit avec moins de réticence, comme si, sans un mot, ils avaient tous les deux admis l'impossibilité de cette situation pour simplement s'occuper de jeter un œil partout, machinalement, redoutant à chaque porte de tomber sur pire encore. Mais ils ne trouvèrent rien de pire. Seulement les traces d'une lutte acharnée, quelques meubles détruits et encore un peu de sang, mais la scène principale s'était visiblement déroulée dans la pièce à vivre, au rez-de-chaussée. Adrien fut celui qui découvrit le cadavre décomposé d'un chat, à l'étage, juste derrière la porte, qui était visiblement mort de faim et de soif à force d'être resté enfermé ainsi dans la chambre. Mais aucun autre corps n'avait élu domicile dans aucune autre salle et ils ressortirent une demi-heure plus tard, presque soulagés de n'avoir rien trouvé d'autre.

Ils redescendirent du mont Vagne en silence, incapables de mettre un mot sur ce qu'ils venaient de vivre, chacun digérant à sa manière ce qui avait été sous leurs yeux depuis tant de temps. Arrivés chez eux, ils mirent la table, sortirent le petit-déjeuner dans des gestes automatiques. Personne ne s'était levé en leur absence, ou, alors, ils en profitaient peut-être pour se reposer dans leurs lits. Ce n'était pas plus mal, il leur faudrait être en forme pour partir.

- Le chat était dans un état de décomposition avancé, lâcha Adrien, sous le choc. Ça fait au moins six mois…

- Et on a rien vu… Comment est-ce qu'il pouvait y avoir autant de sang ?

- Ils se sont défendus.

- Ils devaient être nombreux.

Isabelle se laissa tomber sur un tabouret, soudain dévastée. Adrien vint s'asseoir à côté d'elle et, en le regardant pour la première fois depuis qu'ils étaient entrés dans la ferme du mont Vagne, elle remarqua à quel point il était pâle. Le froncement de ses sourcils broussailleux trahissait son angoisse et ses lèvres pincées ne semblaient plus pouvoir laisser échapper un seul son. Adrien était de plusieurs années son cadet, et elle se sentit soudain coupable d'avoir eu besoin de son aide : elle aurait mieux fait de se traumatiser toute seule. Doucement, elle passa un bras autour de ses épaules larges et le ramena contre elle. Il n'opposa aucune résistance et, sans attendre, il se tourna vers elle, enfuit son visage dans le creux de son cou, ses mains calleuses autour de sa taille, et ne bougea plus du tout.

Seul le pendule de la grande horloge en bois massif troublait encore le silence, et aucun des deux ne souhaitait que ce moment s'estompe : ils leur semblaient qu'ainsi, le visage caché contre la peau de l'autre, plus rien ne pourrait plus les atteindre, et que leurs pensées pourraient ainsi s'évaporer, laissant leurs cerveaux amorphes, incapables de réfléchir à ce qu'ils devraient faire ensuite. Et c'était très bien ainsi.

- NAAAAAAAAAAN !

Isabelle et Adrien sursautèrent et se retrouvèrent sur leurs pieds, hébétés, en voyant Valentin débarquer dans la cuisine en courant, poursuivie de Margaux qui hurlait. Il leur fallut un moment avant de comprendre et d'analyser la situation.

- Val, rend sa poupée à Margaux, ordonna Adrien d'un air sombre.

- T'as rien à dire, t'es pas mon père ! répondit Valentin avec insolence.

- RENDS-LA MOI ! JE VAIS LE DIRE A MAMAN QUAND ELLE RENTRERA !

- Nananère ! s'amusa le garçon.

- TU M'ENERVES TROP ! JE VAIS TELLEMENT TE TAPER !

- Oh oh, avec tes petits poings ? Essaie un peu, minus.

Maintenant, Valentin laissait la peluche pendre à bout de bras tandis que la fillette sautait, tentant, les larmes aux yeux, de la rattraper. Et, contemplant l'improbabilité de cette scène enfantine, Isabelle ne put empêcher un sourire de fleurir sur ses lèvres.

- J'ai mal aux pieds !

- On arrive quand ?

- J'ai faim…

- Arrêtez de vous plaindre, bon sang ! s'exclama Isabelle.

En tête de file, elle tenait les rênes du cheval de trait de la ferme, un Comtois nommé Limonade, sur le dos duquel elle avait harnaché un nombre raisonnable de bagages empaquetés : couvertures, tentes, vêtements, nourriture, eau. Gabin, Valentin, Violette et Margaux suivaient en trainant des pieds, se plaignant de la chaleur, de la marche, de la fatigue, de l'ennui. Et ce n'était que le premier jour.

D'après la carte qu'elle avait étudiée, il leur faudrait marcher presque deux cent vingt kilomètres pour atteindre Xoporor, la ville la plus proche de chez eux dont le réseau ferroviaire fonctionnait encore. Elle avait espoir de pouvoir monter à bord d'une voiture une fois qu'ils auraient atteint la région ouest après avoir marché au moins sept jours avec un rythme relativement soutenu. Mais, avec la chaleur de l'été, le jeune âge de Violette et Margaux, et la mauvaise volonté de Valentin, il fallait admettre qu'il y avait de quoi être découragé. Vingt kilomètres par jour, c'était peut-être un peu ambitieux. Même pour le premier jour.

- Il faut qu'on avance, expliqua Isabelle le plus calmement possible, ce qui n'était pas facile depuis que sa capacité à garder son sang-froid avait été sapé par la vision d'une scène de crime. Plus vite on avancera, plus vite on sera arrivés.

- Mais moi je voulais pas partir, pleurnicha Violette.

- Et papa et maman, ils vont faire comment pour nous retrouver ? demanda Margaux.

- Adrien est allé les chercher pour qu'on se retrouve. Mais il faut être courageux et marcher.

- Mais pourquoi ils nous rejoignent pas à la maison ?

- Tu te souviens du grand feu qu'il y a eu dans la grange ? La maison est dangereuse, on ne peut plus y rester, sinon il pourrait se passer quelque chose de grave.

- Mais c'est notre maison…

- Je sais, mais on y retournera et on la reconstruira comme il faut. Seulement, pour le moment, ce n'est pas possible. Oh, regardez ! Une rivière ! Si on avance, on pourra se baigner !

- Oh, chouette !

Les deux fillettes retrouvèrent soudain leur énergie et se mirent à dévaler la pente, soulevant la poussière du sol aride derrière elles.

- Attendez-nous pour vous baigner ! s'époumona Isabelle, inquiète de les voir s'éloigner aussi rapidement.

- Je vais avec elle, déclara solennellement Valentin, protecteur.

Isabelle soupira en voyant les trois enfants s'éloigner sur le chemin, soulagée de les voir avancer malgré tout. C'était toujours ça de pris.

-On va ou, exactement ? demanda Gabin.

Il était resté près d'elle et ne s'était pas plaint une seule fois depuis le départ, quatre heures plus tôt. Adrien les avait quittés la veille, mais Isabelle avait jugé plus raisonnable de laisser dormir les enfants dans un bon lit avant de s'éloigner définitivement du foyer familial. Les enfants savaient seulement que leur frère ainé était allé chercher leurs parents et qu'il les ramènerait plus tard à un point de rendez-vous assez éloigné. Isabelle avait promis à Gabin et Valentin de leur expliquer la situation plus en détail lorsque les filles seraient endormies ou, en tout cas, éloignées, mais l'occasion ne s'était pas encore présentée jusque-là.

- On va à Oysixayxe, indiqua Isabelle.

- C'est là où Eric nous a dit d'aller si on voulait le rejoindre ? demanda le garçon, incertain.

- C'est ça.

- Valentin ne va pas être très content.

- Je sais, mais il va falloir qu'on lui explique que c'est plus ou moins pour la bonne cause.

Gabin laissa planer la phrase d'Isabelle, songeur, avant de reprendre.

- Pourquoi est-ce qu'on va le rejoindre maintenant alors qu'il y a plus d'un mois, on l'a laissé s'en aller sans nous ?

- Je crois qu'il nous a caché des choses et qu'il faut qu'il nous les raconte pour que l'on puisse comprendre la situation.

- Bien sûr qu'il nous a caché des choses. Mais c'est normal : tu sais, il m'a dit qu'Alphonse, l'alchimiste de ses histoires, c'était lui. S'il pouvait pas dire qu'il était alchimiste, il doit avoir une raison.

- Alphonse, c'est Eric ? répéta Isabelle.

Si c'était vrai, en admettant que ses histoires ne soient pas exagérées, il devait en avoir vécu, des choses. Mais traquer les méchants à coup de poings alchimiques pour les mettre en prison tenait un peu trop du conte et du super héros pour qu'elle envisage que ses récits soient inspirés d'une quelconque réalité. Et puis, un alchimiste qui parcourait le pays pour faire le justicier et aider la plèbe, elle en aurait entendu parler.

Cela dit, il avait une jambe en moins, des cicatrices partout, un passé inconnu… Peut-être avait-il enjolivé des faits violents et compliqués en histoires abordables pour les enfants. Elle regrettait soudainement de ne pas avoir été plus attentive à ce qu'il racontait, contrairement à Gabin qui, lui, avait les yeux qui pétillait dès qu'il ouvrait la bouche pour commencer une nouvelle aventure. Comme maintenant.

- Tu l'aimes bien, hein ? constata Isabelle.

- Si tu étais un garçon, et que tu étais cool, peut-être que je t'aimerais bien aussi, la taquina Gabin.

- Non mais… j'y crois pas ! gronda Isabelle en lui assenant une petite tape sur la tête. Quel sale gosse.

Gabin partit dans un grand rire, puis se mit à dévaler la pente, jouant avec l'effet de la terre sèche qu'il soulevait dans son sillage, et Isabelle le regarda rejoindre les autres, une expression attendrie sur le visage.

Isabelle n'avait pas prévu que la route serait si longue, que la boue ralentirait leurs pas, que les intempéries les empêcheraient d'avancer, que l'humidité les obligerait parfois à s'arrêter plusieurs jours d'affilés, que les enfants, même en y mettant de la bonne volonté, seraient complètement épuisés, que Limonade se rebellerait à force de marcher autant, que passer les frontières de la région Ouest serait si difficile, que des militaires les empêcheraient de passer, qu'il faudrait traverser clandestinement, qu'ils auraient faim, chaud, froid, soif en permanence. Isabelle aurait pu se débrouiller toute seule, marcher beaucoup plus loin et beaucoup plus vite, mais elle n'avait pas prévu à ce point-là la logistique et ce n'est que deux semaines plus tard qu'ils trouvèrent finalement l'hospitalité dans un corps de ferme à une bonne soixantaine de kilomètres de Xoporor.

Les propriétaires, Marie et Louis, étaient deux soixantenaires tellement horrifiés de l'état dans lequel ils étaient arrivés chez eux qu'ils leur avaient interdit de repartir avant qu'ils ne soient totalement reposés. Comme Isabelle se sentait coupable de s'imposer ainsi, elle se mit à les aider à récolter les courgettes et les tomates qu'ils cultivaient : Gabin se joignit à la tâche, tout comme Valentin qui le fit un peu à contrecœur. Au bout de trois semaines, ils n'étaient toujours pas repartis et Isabelle commençait sérieusement à s'inquiéter des dates : à l'heure qu'il était, Adrien avait sans doute rejoint ses parents, et ils auraient déjà pu être à Fosset où elle était censée les rejoindre. Cela aurait probablement été plus simple pour eux de se donner rendez-vous directement à Oysixayxe, mais ils craignaient qu'Adrien fasse une mauvaise rencontre et ne finisse par guider leur ennemi monstrueux jusqu'à Isabelle, les enfants, Eric, et les connaissances chez qui il les envoyait.

Lorsqu'elle déclara au couple qu'il était temps pour eux de s'en aller, ils décidèrent de les escorter jusqu'à Xoporor et leur payèrent leurs billets de train. Isabelle se confondit en excuses et en remerciements avant de finalement leur confier Limonade, qu'ils ne pouvaient pas emporter avec eux, et de s'en aller. Le voyage fut alors beaucoup moins fatiguant et les enfants, revigorés par leur longue halte, s'émerveillèrent de ce nouveau moyen de transport qu'ils n'avaient jamais pris auparavant.

Isabelle fut tout aussi surprise qu'eux de découvrir une ville comme Oysixayxe, toute entourée de forêts et construite presque entièrement en bois. Chez eux, les habitations étaient d'avantage bâties de briques et de pierres. Le bois était généralement utilisé l'hiver pour allumer des feux dans les cheminées ou pour la construction d'outils. Mais ils n'eurent pas tellement le loisir de s'attarder puisque le mauvais temps revenait et que l'adresse indiquée sur le morceau de papier déchiré qu'avait marqué Eric n'était pas dans la ville même. Ils durent ainsi patauger dans la boue jusqu'à atteindre une bâtisse perdue au milieu de nulle part qui prenait, entre la pluie, le ciel sombre et les arbres, des allures de maison hantée. Pourtant, Isabelle n'hésita pas très longtemps avant d'aller toquer à la porte, motivée par les torrents d'eau qui leur tombaient sur la tête.

Son geste fut suivi d'un aboiement et elle supposa qu'un chien venait de se précipiter à l'entrée, prévenant ses maîtres de la venue d'un visiteur. C'était peut-être bête d'y penser à ce moment-là, mais elle se rendit compte qu'elle ne savait pas tellement ce qu'elle allait dire, ni ce qu'elle allait faire maintenant qu'elle était ici. Elle ne savait même pas qui lui ouvrirait la porte, ni si cette personne serait au courant de leur possible venue. Cette réalisation lui noua l'estomac tandis que le chien, de l'autre côté de la porte, continuait d'aboyer. Une voix féminine ne tarda pas à lui répondre : « Oups, pousse-toi de là. Calme-toi, bon sang… J'ai compris qu'il y avait quelqu'un ».

Isabelle eut un mouvement de recul, juste avant que la porte ne s'ouvre en grand sur une femme poussiéreuse, peut-être à peine plus âgée qu'elle, aux cheveux bruns attachés à la va-vite, dont le visage fin était marqué de traits sévères. Elle écarta son chien de la porte d'entrée, empêchant l'énorme boule de poil rousse de sauter directement dans la boue pour dire bonjour aux voyageurs, et leva vers elle des yeux assez froids. Elle la scruta, puis jeta un coup d'œil aux gamins et à leurs baluchons, puis retourna son attention sur Isabelle qui, jusque-là, n'avait pas osé dire un mot, terriblement intimidée par cette femme.

- Oui ? s'agaça finalement la brune.

- Euh… Je… Pardon, s'excusa Isabelle, confuse. Je… Edward m'a dit de venir ici… Si je voulais le contacter.

- Pardon ?

- Je… Je suis peut-être à la mauvaise adresse. Un certain Edward, avec les cheveux noirs, des lunettes, des yeux gris…

- Je connais pas.

- Ah. Je… Vous êtes sûre ? insista timidement Isabelle en lui tendant le morceau de papier sur lequel figurait son adresse. C'est… Il a une jambe de métal, aussi.

Les yeux verts de la propriétaire s'attardèrent sur le papier, puis, elle finit par le prendre sèchement avant de dévisager Isabelle avec une expression méfiante.

- Qu'est-ce que vous lui voulez, à Edward ?

- Je… Il nous a dit de venir jusqu'ici si nous avions des problèmes. On vient de la région de Fosset. Il n'a pas voulu donner directement son numéro, de peur qu'on le retrouve.

- Qu'est-ce qu'il a foutu… ? s'exaspéra la femme à mi-voix, grommelant davantage pour elle-même. Bon, eh bien, restez pas sur le pallier, vous allez choper la mort.

Elle s'écarta du passage, laissant le jeune attroupement entrer dans sa demeure, non sans grogner après leurs chaussures pleines de boue et leurs vêtements trempés. Sans que personne n'ait vraiment eu le temps de dire quoi que ce soit, ils se retrouvèrent tous dans un salon décoré à la mode xinoise, les pieds au chaud dans d'épaisses chaussettes de laine, leurs vêtements pendus devant le feu et une tasse d'eau brûlante entre les mains.

- Vous m'excuserez, mais je n'ai pas grand-chose d'autre à vous proposer, fit la brune en s'asseyant à son tour dans un fauteuil.

- C'est parfait, l'excusa aussitôt Isabelle, les mains autour du mug qui la réchauffait à ce simple contact.

- Ca sent très bon, confirma Gabin.

- C'est juste de la menthe, cassa leur hôte.

Un silence gênant s'installa dans la pièce. La jeune femme qui les avait accueillis ne semblait pas s'en apercevoir, profondément plongée dans ses pensées. Valentin en profita pour jeter un regard interrogatif à Isabelle et articuler silencieusement un « c'est qui, Edward ? ». Isabelle répondit d'un haussement d'épaules au moment où leur hôte rompait le calme inconfortable qui régnait dans la pièce.

- Vous le connaissez comment, Edward ?

- C'est un peu compliqué. En fait, il ne s'est pas présenté à nous sous ce nom-là.

- Tiens donc, ironisa-t-elle.

- Il a dit qu'il était venu pour arrêter la guerre qui est en train de se dérouler dans le sud. Sauf que ça n'a pas fonctionné comme il le prévoyait et tous les gens de la Voix du Paysan – ceux qui se soulèvent actuellement contre le gouvernement – ont voulu le condamner à mort. Alors, avec mon frère, Gabin, on a décidé de l'aider à s'enfuir, parce qu'il était innocent et –

- Quoi ?! s'insurgea soudain Valentin, faisant sursauter ses deux sœurs et Gabin. Tu parles d'Eric, là ?!

- Oui, je parle d'Eric.

- Il est ici ?! gronda-t-il.

- Calme-toi, Valentin. Il y a beaucoup de choses qu'on ne sait pas à son sujet et c'est pour ça qu'on est ici.

- Tu parles ! Il a brûlé la maison, et c'est bien suffisant.

- Ce n'est pas lui qui a mis le feu, Val.

- Ah bon, qui, alors ?!

- Est-ce qu'il y a une pièce où les deux petites pourraient jouer ? demanda Isabelle à leur hôte qui les écoutait avec attention.

- Mais on veut voir Eric, nous ! clama Margaux.

- Mais c'est un méchant, non ? demanda Violette.

La brune se leva alors et claqua dans ses mains, comme pour retrouver le silence. Son autorité naturelle sembla fonctionner sur tout le monde et elle tendit les deux mains vers les deux fillettes.

- Venez avec moi, je vais vous montrer un endroit plus sympathique. Les discussions pour adultes ne sont pas très intéressantes pour vous.

- C'est quoi ton nom ? demanda Violette qui saisit sa main aussitôt.

- Madeleine.

- Comme le gâteau ?

- Oui, c'est ça, acquiesça la jeune femme en s'autorisant un sourire qui la rendit soudain, aux yeux de l'assemblée, un peu plus chaleureuse.

- Mais moi je veux rester pour savoir où est Eric, protesta Margaux.

- Je vais aller l'appeler au téléphone, rassura Madeleine. Il pourra peut-être venir ici.

- C'est vrai ? s'exclama la gamine dont le visage s'était illuminé.

- Oui, mais suivez-moi.

Ladite Madeleine partit avec les deux fillettes, laissant Isabelle avec les deux garçons. Valentin n'attendit pas une seconde de plus pour exploser.

- Je n'arrive pas à croire qu'on soit parti de la maison pour ça ! gronda-t-il. Vous êtes complètement à la masse ! Et puis… COMMENT ÇA VOUS L'AVEZ LAISSÉ PARTIR ?!

- Valentin, tu vas te calmer tout de suite ! s'impatienta Isabelle. Ce n'est pas lui qui a brûlé la maison, ce n'est pas un alchimiste d'Etat, ce n'est pas notre ennemi !

- Oh, et comment tu peux en être si sûre ?!

- Idamie, ce n'est pas Idamie, intervint Gabin. Elle a parlé avec Eric quand on était là-bas, et elle avait l'air de bien se moquer de lui.

- Idamie et Christophe sont morts depuis longtemps, compléta Isabelle. La personne qu'Eric a attaqué au moment de l'incendie n'était pas Idamie : seulement une personne déguisée.

- Quoi ? Comment ça « Idamie et Christophe sont morts depuis longtemps » ? demanda Gabin, horrifié.

Isabelle prit une grande inspiration et entreprit de leur raconter ce qu'il s'était passé, incluant dans son récit ce que Gabin savait déjà puisqu'il avait lui-même été acteur de l'évasion d'Eric. Madeleine revint au milieu du récit, mais ne l'interrompit pas, cherchant au contraire à comprendre la situation dans laquelle ces étrangers s'étaient retrouvés à cause d'Edward. A la fin du long monologue d'Isabelle, Valentin resta sans voix, le regard sombre, tandis que Gabin, lui, tentait de trouver des explications rationnelles à tout ce qu'avaient pu voir Adrien et Isabelle dans la ferme d'Idamie et de Christophe.

- On va appeler Edward, décida soudain Madeleine dont le ton ne présageait rien qui vaille. La blonde, tu viens avec moi.

Elle se leva et sortit du salon sans attendre tandis qu'Isabelle lui emboitait précipitamment le pas, légèrement inquiète par la tournure que prenaient les choses. Madeleine traversa un grand couloir jusqu'à ce qu'elle atterrisse dans une grange. Elle avait été aménagée en un grand atelier envahi par le bois et dont le sol était presque entièrement recouvert de sciure. Les outils étaient encore sortis, comme si on avait interrompu la personne qui travaillait dans sa tâche. A bien y regarder, c'était peut-être le cas : Madeleine dégageait une forte odeur de bois et était recouverte d'une poussière qu'Isabelle n'avait jusque-là pas identifiée. Elle continua d'ailleurs sa course jusqu'à un bureau un peu excentré du reste et se mis à farfouiller au milieu des feuilles de commande, des cahiers tapissés d'une écriture irrégulière, de dossiers vite abandonnés sur le côté, jusqu'à ce qu'elle tombe finalement sur un petit annuaire téléphonique qu'elle ouvrit aux noms de famille commençant par la lettre « E ». Son doigt s'arrêta sur « Edmund », un prénom dépourvu de filiation, puis elle se mit à composer le numéro sur un téléphone rendu gris par la saleté qui régnait dans l'atelier.

- Edward ? fit-elle durement après un moment d'attente. Oui c'est moi. … Tu veux dire : en-dehors du fait que tu envoies des immigrés clandestins chez moi et que j'ai appris par eux que, non seulement, tu n'as pas encore trouvé de solution pour rentrer chez toi, mais qu'en plus, tu te mêles de choses qui ne te regardent pas ? … Il y a une jeune femme blonde, son frère, et d'autres gamins qui t'appellent "Eric" et qui sont venus pourrir mon ménage en squattant pour te parler. … Je le fais : mais tu me dois des explications.

Elle se tourna, énervée, vers Isabelle, et lui tendit le combiné téléphonique. La jeune femme, qui se sentait coupable après le discours qu'avait tenu Madeleine au téléphone, hésita un instant, son cœur s'emballant soudain à l'idée de savoir qu'elle allait reparler à Eric. Son appréhension était due à une colère sourde mêlée d'une joie sincère qu'elle avait du mal à discerner. Mais l'agacement évident de Madeleine la décida rapidement et elle porta l'appareil à son oreille avant d'appeler, incertaine :

- Eric ?

- Oui, c'est moi.

C'était sa voix, grave, assurée, chaude, rassurante. Une bouffée d'espoir envahit soudain la jeune femme qui déballa, sans réfléchir :

- Il faut absolument que tu m'expliques. Je ne comprends absolument rien, c'est complètement fou, ce qu'il se passe. Ce qu'il s'est passé.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? répondit sa voix sérieuse.

- La police, chez Idamie, ce n'était qu'une mise en scène. Pour François aussi. Et… Eric, c'est bien toi ? Dis-moi que c'est bien toi.

Elle venait de se rendre compte qu'il pouvait être un imposteur, que tout ceci pouvait être vain. Elle craignit un instant d'être tombée dans la gueule du loup, de s'être fait avoir une nouvelle fois. Les images de la maison d'Idamie lui revinrent en tête et elle se sentit perdre le contrôle de sa voix tandis que des trémolos l'empêchaient de parler correctement.

- Bien sûr que c'est moi, rassura Eric d'une voix douce, de celle qu'il utilisait lorsqu'ils se trouvaient tous les deux lorsque la nuit les étouffait et les incitait à se confier l'un à l'autre dans un mélange de confidence bienveillante et de respect pour les secrets que l'autre n'arrivait pas encore à dévoiler. Qu'est-ce que tu racontes ?

- Je ne sais pas comment c'est possible, répondit Isabelle, incapable de ne pas croire à cette voix-là.

Et elle lui raconta tout. Elle essaya d'être prudente, de s'assurer qu'il s'agissait bien de lui, mais elle aurait été incapable de faire la différence. Elle était simplement heureuse de l'entendre de nouveau, de savoir qu'il allait bien, d'entendre qu'il allait venir, de réaliser qu'elle n'était plus seule face à tous les évènements incompréhensibles qui s'étaient déroulés ces derniers-temps. Enfin, elle allait connaitre la vérité.

- Limonade, répondit-elle en pensant au Comtois lorsqu'il lui demanda de lui donner un mot de passe qui pourrait soi-disant lui permettre de savoir si c'était bien elle ou non.

- Limonade ? s'étonna-t-il d'une voix un peu moqueuse. Bon, si tu veux. Va pour limonade. On se voit demain.

Il raccrocha immédiatement après, laissant Isabelle seule avec Madeleine dans l'atelier silencieux. Cet appel lui avait fait du bien et elle reposa le combiné téléphonique avec le sourire aux lèvres.

- Quoi ? Il a raccroché ?! s'indigna Madeleine, la sortant de sa bulle.

- Oh… Je suis désolée, je ne pensais pas que vous vouliez lui parler…

- C'est peut-être mieux ainsi, grommela Madeleine. Ça me permettra de lui en mettre une lorsqu'il se pointera ici.

- Ne soyez pas si énervée contre lui : on peut s'en aller, s'il n'y a que ça.

- Oh non, vous restez. C'est à lui que j'en veux, pas à vous. Il n'était pas censé partir se balader comme ça : ce n'est pas pour ça que j'ai signé.

Isabelle réalisa soudain qu'elle ne connaissait rien de Madeleine et le mot « signé » lui fit un indescriptible pincement au cœur. Elle chercha à trouver une alliance à son doigt, mais n'en vit pas. Puis, elle se souvint qu'Eric avait dit que sa petite amie était en ville et qu'ils habitaient ensemble un appartement. Ou quelque chose du genre. Dans tous les cas, Madeleine correspondait peu à la description.

- Eric… Qui est-il ? demanda subitement la blonde.

- Il vous le dira lui-même s'il est suffisamment stupide pour le faire, marmonna Madeleine. Mais il vaudrait mieux pour vous ne pas trop en savoir sur lui.

- Il est dangereux ?

- S'il continue à se mêler des affaires des autres, il pourrait l'être, oui. Je vous conseille de garder son existence pour vous et de ne parler de lui à quiconque. Ca pourrait tout changer.

Perplexe, Isabelle ne sut pas quoi répondre. Elle imaginait mal qu'Eric puisse « tout changer » connaissant la simplicité avec laquelle il vivait et faisait les choses. Mais elle oubliait Edward, l'alchimiste, ou quoi qu'il puisse être, capable de tabasser à mort ses ennemis. Isabelle était soudain beaucoup moins assurée de vouloir le revoir.

- Je vais vous préparer des chambres, grogna Madeleine. Vous venez m'aider ? Isabelle, c'est ça ?

- Oui. Isabelle.

- Je ne dirais pas que je suis ravie de faire votre connaissance étant données les circonstances, mais, en tout cas, bienvenue chez moi.