Et voici le chapitre 30 ! Je ne vais pas vous cacher que j'ai pris particulièrement plaisir à l'écrire, j'espère par conséquent qu'il vous plaira. On quitte une nouvelle fois l'histoire principale pour de nouveaux points de vue : à vous de découvrir lesquels !

Contrairement à d'habitude, le prochain chapitre ne sera pas publié dans deux semaines. J'ai pris beaucoup de retard sur l'écriture – ou plutôt la réécriture - de cette fanfiction : j'avoue avoir du mal à avancer dans l'histoire, non pas parce que je ne sais pas ce qu'il va se passer (tout est mis dans un plan détaillé depuis bien longtemps), mais parce que l'aventure de nos protagonistes prend une autre tournure et que le récit en est impacté. Je préfère terminer avant de reprendre la publication plutôt que de bâcler un travail qui me tient à cœur. J'espère que tout sera finalisé pour le mois d'août.

Dans tous les cas, n'hésitez pas à laisser des reviews. Ce n'est peut-être pas une habitude pour vous d'en laisser, et je le comprends parfaitement, mais un petit mot fait toujours plaisir, surtout lorsque l'auteur a du mal à avancer dans son récit !

Je vous souhaite une excellente lecture et vous retrouve aussi vite que possible !


Chapitre 30 – Colonel


Riza Hawkeye tremblait de tout son corps. Ses mains étaient parcourues de soubresauts si violents qu'elle n'était pas sûre d'être capable de boire l'eau du verre qu'elle tenait à la main sans en renverser la moitié sur le sol. Pourtant, elle n'avait pas tellement le choix si elle voulait avaler l'antidouleur qui la soulagerait de son mal de crâne.

Et Léto seul savait à quel point elle en avait besoin.

Riza Hawkeye était une personne tempérée. Elle n'avait jamais dit un mot plus haut que l'autre. N'avait jamais agi de manière inconsidérée. N'avait jamais pris de décision sur un coup de tête.

Elle n'avait jamais bu.

Elle n'avait jamais fait l'amour.

Elle s'était efforcée de garder sur sa vie un contrôle absolument total.

Pourtant, en une journée, elle avait brisé tous ses principes. Elle avait brûlé des documents officiels, ce qui lui vaudrait sans doute une visite au tribunal militaire ; elle avait frappé ses collègues de travail, ce qui s'ajouterait surement à sa faute précédente ; elle avait démissionné, alors qu'elle ne savait absolument rien faire d'autre qu'obéir aux ordres de Mustang ; elle avait acheté de l'alcool pour la première fois de sa vie et avait bu l'entièreté d'une bouteille d'un infect liquide brun en moins de vingt minutes ; et, finalement, elle avait entrainé dans son lit la première personne venue s'enquérir de son état mental.

Ce matin-là, du haut de ses vingt-trois ans, Riza Hawkeye expérimentait sa toute première gueule de bois. Elle avait les jambes en coton, les bras lourds, la bouche sèche et pâteuse, la tête coincée dans un étau, le cerveau incapable d'aligner deux pensées cohérentes, le cœur prêt à exploser, la respiration laborieuse, les yeux brûlants entre douleur et larmes, l'estomac prêt à se renverser à tout moment, l'esprit perturbé de vertiges et d'angoisses.

Alors, oui, elle avait vraiment besoin d'avaler ce médicament.

Après l'avoir fait, elle se laissa lourdement tomber sur sa chaise et posa son verre d'eau à moitié vidé sur la table. Malgré sa soif, elle n'arrivait pas à se résoudre de le terminer. D'un soupir, elle enfouit lentement son visage entre ses doigts fébriles, tentant veinement de calmer la panique qui menaçait de lui faire faire de nouvelles absurdités. Comme par exemple de se lever pour se précipiter dans les bras de l'homme qui lui avait tenu compagnie toute la nuit et ainsi déverser tout son désespoir contre sa peau et s'accrocher à ses épaules rassurantes. Serait-il capable de voir chez elle cette forme fragile qu'elle se découvrait elle-même ?

Probablement pas.

Elle-même n'était pas capable d'assumer, ni d'appréhender, ce comportement agité et faible.

Riza balaya cette idée ridicule et respira à plusieurs reprises, autant pour calmer sa nausée que pour oxygéner ses méninges visiblement incapables de fonctionner correctement. Elle n'était pas dans son état normal, et elle devait absolument se ressaisir avant qu'il ne se réveille et ne la rejoigne dans la cuisine. Après une dernière grande inspiration, elle se leva, récupéra une feuille et un stylo avec lequel elle se mit à écrire sa lettre de démission. Les mots formels qui se formaient sur le papier au passage de sa plume tremblotante lui apportèrent une certaine sérénité et, au moment d'apposer sa signature, elle se sentait un peu plus sereine.

-Ha hem, se racla subitement une voix d'homme.

Riza sursauta et se tourna vers la source du bruit pour se retrouver face à un Jean Havoc tout ratatiné dans l'encadrement de la porte de sa chambre, le regard fuyant, habillé d'une chemise débraillée et de son pantalon d'uniforme enfilé à la va-vite. Ses pieds nus se tortillaient sur le sol, incapable de se décider entre le parquet de la chambre et le carrelage de la cuisine.

-Si vous voulez emprunter la salle de bain, elle est par là, indiqua simplement Riza sur un ton professionnel dont elle ne se serait pas crue capable.

Le grand homme lui lança un regard bleu dans lequel perçait une surprise blessée. Il resta un instant immobile, incertain, visiblement un peu perdu, puis hocha la tête et s'esquiva en lui adressant un « merci » discret. Riza fixa un instant la porte de la salle de bain, déstabilisée par le comportement de son collègue. De son ex-collègue. Elle cligna plusieurs fois des yeux, puis décida d'être un peu courtoise et se leva pour faire couler du café. Il fallait qu'elle s'excuse de son attitude de la veille. Ça ne se faisait pas tellement de sauter sur les gens de cette manière-là sitôt qu'ils avaient franchi le pas de votre porte.

Elle rougit en se remémorant la manière dont elle lui avait littéralement ordonné de se taire. Dont elle avait claqué la porte derrière lui pour le plaquer impérieusement contre le mur. Dont elle avait voulu le frapper, hors d'elle. Dont les choses avaient ensuite dégénéré sans qu'elle ne contrôle plus rien du tout. Elle se revoyait faire des gestes qu'elle ne s'était jamais imaginé pouvoir faire, dire des mots qu'elle n'avait jamais prononcé de toute sa vie, se laisser aller sans se soucier des conséquences pourtant désastreuses de ces actions. Elle ne se reconnaissait plus. Elle aurait pu se tirer une balle dans la tête pour moins ça.

L'image lui rappela soudain l'existence de son arme de service et elle se dirigea dans sa chambre sans dessus-dessous pour tirer du placard son semi-automatique. De retour dans la cuisine, elle l'inspecta et constata qu'il était aussi propre que d'habitude. Il fallait pourtant qu'elle occupe son esprit. Elle se rassit donc, munie d'un torchon, pour le lustrer une dernière fois. Son activité cessa lorsqu'Havoc sortit de la salle de bain et qu'il resta planté là, tout gêné.

- Vous voulez du café ? proposa aimablement Riza.

- Je veux bien, accepta le grand blond en approchant dans une démarche hésitante.

Il s'assit sur une chaise, le regard vissé sur le revolver déposé à côté de sa lettre manuscrite, tandis qu'elle lui servait une tasse de café.

- Du sucre ?

- Non merci.

- J'aurais imaginé que vous preniez du sucre.

- Pas toujours.

- Vous avez faim ?

- Pas vraiment.

- Très bien.

Riza se rassit et se mit à plier sa lettre qu'elle mit consciencieusement dans une enveloppe. Après quoi, elle la glissa vers Havoc, tout comme son arme.

- Vous pourrez apporter ça au bureau.

- Lieutenant… Vous ne pouvez pas démissionner.

Elle le fusilla de son regard noisette et il concentra aussitôt son attention sur sa tasse de café. Pourtant, après quelques secondes de silence, il reprit :

- Je n'ai pas bien compris ce qu'il s'est passé…

- Absolument rien, décida Riza avec fermeté. Vous pouvez oublier toute la soirée d'hier et retourner au bureau reprendre vos journées comme d'habitude. Et n'en parlez à personne.

L'homme perdit ses yeux bleus dans le liquide noir qu'il n'avait pas encore touché. Il semblait incapable de répondre à ce que Riza venait de lui dire ; incapable, aussi, de donner sa propre opinion.

-Je suis désolée, se radoucit finalement Riza. Je n'étais pas moi-même, hier soir. Une telle chose n'aurait jamais dû se produire. Je m'excuse de vous avoir entrainé… là-dedans.

Jean Havoc releva la tête vers elle, la bouche entrouverte, confus et incertain de ce qu'il était censé devoir dire. Il la déstabilisa encore plus lorsqu'il lâcha finalement :

-Vous aimez le lieutenant-colonel, n'est-ce pas ?

Malgré elle, Riza eut un rire nerveux.

- Pas du tout, le contredit-elle en toute sincérité.

- Pourquoi est-ce que vous démissionnez, alors ?

- Parce que je me suis laissée emportée : je ne suis plus digne de le seconder.

- Vous savez que c'est faux, dit-il franchement.

Riza voulut protester, mais aucun son ne sortit de sa gorge, trop étonnée de se confronter ainsi à un avis différent du sien en ce qui concernait ses propres décisions.

- Le lieutenant-colonel est perdu, sans vous, continua Havoc. Tout comme le reste de l'équipe, d'ailleurs. On dira pas que vous avez mis le feu aux rapports.

- Ma décision est pourtant prise.

- Vous savez qu'on ne fera rien tant que le lieutenant-colonel ne sera pas revenu.

Il y eut quelques secondes de silence avant qu'Havoc ne reprenne.

- J'ai le droit de fumer à l'intérieur ?

- Je vous dois bien ça, soupira Riza. Attendez que j'ouvre la fenêtre.

Elle se leva pour joindre le geste à la parole, ignorant ses sensations de vertige et la nausée qui lui revenait soudainement.

-Vous auriez un briquet ?

- Je ne fume pas. Donc non. Ah. Si. Attendez, répondit Riza en fouillant dans sa veste d'uniforme duquel elle sortit le briquet en argent qu'elle avait piqué sur le bureau de son supérieur. Tenez.

- Merci, fit Havoc en prenant le briquet d'argent avec lequel il alluma sa cigarette.

- Vous pouvez le garder.

- C'est gentil, mais je ne vais pas prendre vos affaires.

- Je n'en ai pas besoin.

Havoc laissa échapper une volute de fumée, observant d'un air vague les formes qu'elle formait dans l'air. Riza ne put s'empêcher de le détailler, avec son regard rêveur et sa mâchoire carrée, incapable de comprendre pourquoi il était venu lui rendre visite, encore moins pourquoi il l'avait suivi dans sa chambre à coucher pour faire des choses qu'elle n'avait jamais projeté de faire avec qui que ce soit. Elle sentit son visage lui brûler et elle noya sa gêne dans son verre d'eau toujours à moitié vide.

- Je ne savais pas que vous buviez, lâcha soudainement Havoc.

- Je ne bois pas.

- Vous sentiez bien l'alcool.

- C'était une erreur.

- Vous avez dit que c'était la faute de Mustang.

- Je vous ai demandé d'oublier tout ce qui a pu se passer hier soir, sous-lieutenant.

Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais sans doute son ton sec l'empêcha de continuer. Ses lèvres se refermèrent en un pincement contrarié, puis se séparèrent de nouveau pour lui permettre de tirer sur sa clope. L'odeur qui s'échappait de celle-ci provoqua un haut-le-cœur à Riza qui bondit sur l'évier avant même de se rendre compte qu'elle avait agi. Elle reprit alors le contrôle sur son estomac, les mains crispés sur le lavabo, haletante. Derrière elle, elle entendit le bruit d'une chaise qu'on recule, mais aucun pas ne suivit ce son. Riza prit le temps de se reconstituer un masque sérieux avant de se retourner vers Havoc.

Il s'était effectivement levé et, par la même, s'était débarrassé de sa cigarette en la noyant dans le verre de Riza. Il la regardait avec un air de chien battu, penaud. Si les circonstances avaient été différentes et si les organes de Riza ne menaçaient pas de se liquéfier à tout moment, elle aurait probablement souri – signe d'amusement intense chez elle.

- Je suis désolé, s'excusa-t-il. Je ne me doutais pas que vous étiez si mal.

- Je vais bien.

- Gueule de bois ?

- J'imagine.

- C'est la première fois ?

Pour plus de choses que vous pouvez imaginer…

- Oui.

- Il faut vous reposer… Dormir vous fera du bien. Je peux rester, si vous voulez.

Une nouvelle fois, Riza fut complètement pris de cours par cette proposition. Elle bredouilla finalement :

- Vous devez aller au travail : vous allez d'ailleurs finir par être en retard.

- Ce n'est pas bien grave…

- Vous avez de la chance que j'aie démissionné. De telles paroles vous aurait valu un sermon.

- Lieutenant…

- Quoi ?

- Je vais pas pouvoir oublier ce qu'il s'est passé, vous savez ?

- Tant que vous le gardez pour vous et que vous ne m'en reparlez jamais, ce n'est pas mon problème.

Une nouvelle fois, il la regarda avec de grands yeux peinés, mais elle ne cilla pas. Elle le savait romantique et la franchise de ses mots lui brisait probablement le cœur. Pourtant, il n'y avait jamais rien eu dans ce genre-là entre eux, aucun sous-entendus, aucune drague. Elle savait qu'elle l'effrayait plus qu'autre chose, comme le reste de son équipe, d'ailleurs. Les seuls hommes qui avaient osé l'approcher étaient tous des supérieurs hiérarchiques et elle les avait tous envoyé balader sans aucune forme de procès. Heureusement, Mustang avait toujours été là pour la protéger et pour empêcher les plus vexés d'entre eux de la mettre au placard.

Non, décidément, il n'y avait jamais rien eu entre eux. Il se remettrait bien de leur aventure.

Havoc, lui, n'en était pas si sûr. Triste, il retourna dans la chambre où étaient nés des sentiments nouveaux chez lui, récupéra sa veste d'uniforme et ses chaussettes, puis repartit dans la salle de vie pour enfiler ses bottes militaires en silence. Dans sa tête, des milliers de paroles se bousculaient, des déclarations d'amour à n'en plus finir, des gestes tendres qu'il aurait voulu reproduire dans une réalité où l'objet de tout ce romantisme le rejetait une fois encore. Il en avait l'habitude, désormais, mais c'était toujours difficile pour lui de se réfréner. Pour autant, il n'avait pas envie de jeter l'éponge : si Hawkeye démissionnait pour de bon, il n'y aurait plus aucun problème de hiérarchie et il la savait droite et sincère, aussi une relation avec elle le préserverait des infidélités qu'on avait déjà pu lui faire dans son dos. Il stoppa ses pensées à l'instant où il imagina qu'ils pourraient même envisager d'emménager ensemble : il ne voulait pas se créer de faux espoirs, ni la faire fuir en se mettant à aborder des sujets qui n'avaient pas lieu d'être. Pour le moment, le principal problème était tout autre :

- Lieutenant, osa-t-il prononcer au moment où il se levait, prêt à s'en aller. Est-ce que vous allez bien ?

- Oui, répondit-elle du tac au tac.

- Juste… Vous pouvez me parler, si vous voulez… Je n'ai pas bien compris pourquoi vous vous êtes énervée comme ça contre le lieutenant-colonel. Vous savez, c'est un con, mais il a bon fond.

- Je sais.

- Je peux garder le briquet, alors ?

- Je vous en prie.

- Je pourrais venir vous rendre visite de nouveau ?

Il y eut un silence pendant lequel il vit sur le visage de la jeune femme un éclair d'étonnement. Mais la seconde d'après, son expression se ferma et elle répliqua d'un don sec :

-Je n'en vois pas l'utilité. Je rapporterai mes uniformes au quartier général moi-même lorsque je les aurais lavés.

Jean hocha légèrement la tête.

- Prenez soin de vous, Lieutenant, bredouilla-t-il.

- Vous aussi.

Il avait espéré qu'elle le retienne, qu'elle lui laisse une ouverture, qu'elle lui accorde un espoir, mais, voyant qu'il ne bougeait pas, elle se leva, sûre d'elle, s'approcha de l'entrée et ouvrit la porte pour l'inviter à sortir. Elle referma derrière lui, sans hésitation, sans brusquerie, avec une maitrise stricte dont elle avait l'habitude d'user. Par ce geste, elle clôt le chemin qui menait à une relation possible entre eux de manière si professionnelle que Jean en resta figé.

Jean n'avait jamais imaginé qu'une quelconque relation soit possible avec Riza Hawkeye. Elle était l'opposé même de tout ce qu'il aimait chez une femme : dure, stricte, dépourvue d'humour, masculine. Plus que ça, il imaginait mal Riza Hawkeye avec quelqu'un tout court. Elle était d'ailleurs sujette aux interrogations les plus stupides qu'il pouvait formuler avec Heymans, mais aussi l'objet de nombreux ragots qui circulaient dans tout le QG. Si certains pensaient qu'elle et Mustang avaient une relation intime en-dehors du travail, ceux qui la connaissaient un peu plus plaisantaient sur sa frigidité imaginée, sur son incapacité à avoir des sentiments humains, et sur la tyrannie qu'elle imposait au bureau, même à son supérieur. Bien sûr, ils la respectaient en tant que collègue de travail, mais sa vie privée était si drôle à imaginer qu'ils en venaient à la réinventer de manière toujours plus stupide.

Sauf que les choses avaient changées. La veille, lorsqu'elle était sortie du bureau en trombe après avoir mis le feu à la poubelle, toute l'équipe était restée complètement muette. Finalement, Falman avait pris les choses en main et s'était empressé d'aller récupérer de la glace qu'il avait apposé sur l'œil gonflé de Fuery – vestige du coup de coude que lui avait assené le Lieutenant au moment où il avait tenté de l'éloigner de la corbeille enflammée. Ils avaient ensuite tenté de récupérer un maximum de documents calcinés qu'ils avaient étalés sur le bureau d'Hawkeye et d'Heymans puisqu'ils étaient tous les deux absents. Après quoi, ils n'avaient pas vraiment réussi à travailler tant ils avaient été perturbés par le comportement de la seule femme de leur équipe et Fuery avait finalement suggéré qu'ils aillent lui rendre visite pour voir si elle allait bien. Évidemment, personne ne voulait vraiment s'attirer ses foudres et ils avaient décidé de tirer à la courte paille pour savoir qui aurait l'obligation de se rendre chez elle après les heures de service.

Pas besoin d'ajouter qu'avec la poisse légendaire de Jean, Falman et Fuery ne prenaient pas beaucoup de risques à jouer à ce genre de jeux…

En sortant du quartier général, Jean Havoc s'était lentement dirigé vers l'appartement de Riza Hawkeye, la peur au ventre. Il s'imaginait très bien les scénarii qui pourraient lui arriver en toquant à la porte de la jeune femme, et mourir d'une balle dans la tête était le plus probable d'entre eux. Aussi s'était-il arrêté dans un ou deux bars, histoire de boire quelque chose qui pourrait lui donner du courage, et était arrivé un peu plus détendu devant la porte du lieutenant.

Or, tous les scénarii qu'il s'était inventé n'avaient pas pu le préparer à ce qui avait suivi. Riza Hawkeye, ses cheveux mi-longs en bataille, les yeux rougis, le teint pâle, les vêtements désordonnés, lui avait ouvert la porte avec cette expression de désespoir qui lui ressemblait si peu. Jean était entré, désarçonné, tandis que le Lieutenant s'était mis à baragouiner un discours sans queue ni tête dans lequel Mustang était au centre. A mesure qu'elle parlait, l'haleine lourde de rhum, elle s'était emportée, s'était laissée aller à une certaine forme de violence face à laquelle Jean avait été pris au dépourvu. Dans l'état dans lequel elle s'était mise, elle ne représentait vraiment pas une menace pour lui, mais son comportement était tellement à l'opposé de ce qu'il lui connaissait qu'il l'avait laissée faire, incapable de réagir, incapable de comprendre pourquoi elle était hors d'elle, incapable de se souvenir quand, au juste, il l'avait vu si humaine, si émotive, si fragile. Elle avait fondu en larmes après l'avoir frappé et il avait senti son cœur battre étrangement dans sa poitrine lorsqu'elle s'était retrouvée à sangloter dans ses bras. Peut-être avait-il trop bu, lui aussi, avant de lui rendre visite ; ou peut-être s'était-il laissé attendrir par cette soudaine vulnérabilité. Toujours était-il que, le visage couvert de larmes, les traits plus expressifs que jamais, les cheveux sauvages, il l'avait trouvé terriblement belle et il l'avait embrassé.

C'était stupide. Il le savait. Il s'en était rendu compte à l'instant même où il l'avait fait. Mais il n'était pas réputé pour être un homme très fort pour éviter que ce genre de situation n'arrive. Il n'avait pas voulu profiter d'elle : ce n'était pas du tout dans ses intentions. Il la respectait trop et, de manière générale, il respectait trop les femmes pour ça. Mais elle avait répondu sans attendre, l'avait attiré à elle, guidé dans la chambre à coucher, et, sans qu'il n'ait compris comment ni pourquoi, avec la maladresse qui était la sienne, il avait découvert une Riza Hawkeye troublée, marquée, blessée. Une Riza Hawkeye qui était terriblement plus que tout ce qu'il avait pu imaginer. Il avait effleuré les brûlures sur sa peau, parcourut les tatouages sur son dos, embrassé les cicatrices sur son corps et il s'était juré, la poitrine gonflée d'un attendrissement démesuré, d'apprendre à la connaitre davantage pour comprendre qui elle était, d'où elle venait, ce qu'elle avait traversé pour devenir ce qu'elle était, cachée derrière cet épais mur de protection à travers lequel il avait eu le droit, au moins pour quelques heures, de s'engouffrer.

Lorsqu'il s'était réveillé le lendemain matin, il avait rejoint Riza dans la cuisine, prêt à assumer toute la conséquence de ses actes, prêt à s'expliquer et à défendre sa cause, à s'excuser, aussi. Mais, loin de lui en vouloir, et malgré la fatigue que lui procurait sa gueule de bois, Riza l'avait vouvoyé de la manière la plus naturelle du monde et l'avait renvoyé à la salle de bain. Son visage presque impassible lui avait fait croire qu'il avait tout inventé, mais il avait finalement décelé chez elle une certaine hésitation dans ses gestes, une gêne dans sa voix. Toutefois, il la sentait aussi froide et distante que d'habitude et le traitait comme un simple collègue de travail – ce qu'il était, bien entendu. Il aurait pourtant voulu savoir comment elle se sentait, connaître son histoire et les motivations qui l'avaient conduite sous les ordres du lieutenant-colonel Mustang, déceler dans son professionnalisme cette humanité qu'il avait vu en elle la veille eu soir, lorsque toutes ses barrières s'étaient abaissées.

Devant sa porte, il prenait conscience du fait que sa chance était passée et qu'il ne la reverrait plus jamais de cette manière-là. Pourtant, il savait désormais que ce n'était qu'une apparence, un genre qu'elle se donnait pour dissimuler la part la plus intime d'elle-même. Elle aurait beau ne montrer que la dureté de sa personnalité, il saurait qu'elle était mille fois plus que cet automate acharné de travail qu'elle affichait publiquement. Dans la poche de son uniforme, il serra entre ses doigts le briquet d'argent qu'elle lui avait donné. Il lui donnerait le temps qu'il lui faudrait, mais il n'oublierait jamais qui elle était véritablement sous sa carapace d'insensibilité, et qui il avait rêvé qu'elle devienne pour lui.


Jean Havoc arriva un peu en retard au bureau ce jour-là et remit à Falman la lettre de démission ainsi que le semi-automatique du Lieutenant Hawkeye. En l'absence de Mustang, d'Hawkeye et d'Heymans Breda, Jean était le plus gradé du bureau, mais il n'était pas bien doué pour tout le côté administratif et préférait par conséquent laisser une personne plus compétente s'en charger :

- Je vous laisse préparer toute la paperasse qu'il faut, dit-il avec la désinvolture qui le caractérisait. On attendra que le lieutenant-colonel officialise tout ça : c'est pas à moi de prendre cette décision.

- Comment va le lieutenant ? s'inquiéta un Fuery à l'œil gonflé et noir.

- Ce n'est pas la grande forme, mais j'imagine qu'elle changera d'avis, répondit vaguement Jean.

Il s'assit à son bureau, plus déterminé que jamais à compléter son rapport de l'enquête qu'ils avaient résolu. Falman et Fuery ne firent pas de commentaires sur son comportement étrangement sérieux, mais échangèrent un regard complice qui les rassurèrent tous deux sur l'étrangeté de la situation. Jean, lui, ne travaillait pas véritablement : sa soirée tournait en boucle dans sa tête et il se sentait incapable de se concentrer convenablement sur quoi que ce soit. Finalement, à la fin de l'après-midi, il s'autorisa à partir plus tôt pour se diriger vers l'hôpital militaire et rendre visite à Heymans, passant par la cafétéria pour lui apporter des cookies.

Celui-ci l'accueillit joyeusement et engouffra les gâteaux avec ravissement :

- T'imagines pas à quel point ça fait du bien ! La nourriture vraiment pas bonne ici.

- Je suis sûr que tu manges tout quand même : t'as pas perdu un gramme.

- Bien vu, rit Heymans en tapotant son ventre bedonnant avec affection. Faut rester en bonne santé.

- Tu vas comment, d'ailleurs ?

- Bof : seulement quelques côtes fêlées. Le gilet pare-balle m'a bien sauvé les miches.

- Tu vas sortir quand ?

- Normalement dans deux jours, mais j'aurais pas le droit d'aller sur le terrain avant un mois, et j'ai une permission pour deux semaines.

- Quel glandeur.

- T'avais qu'à te prendre des balles, toi aussi ! D'ailleurs, vu que t'es sur pied, pourquoi t'es pas venu me voir plus tôt ?

- Bah, répondit évasivement Jean. Y'a eu un peu d'agitation au bureau hier.

- L'œil du faucon a encore frappé ?

- Ouaip… C'est le moins qu'on puisse dire.

- Vas-y, raconte-moi tout, rigola Heymans en s'installant plus confortablement contre son oreiller, heureux d'avoir un peu de distraction.

- C'est-à-dire… Tu as vraiment loupé quelque chose.

- Ménage pas tes effets : je suis déjà tout ouïe.

- Le Lieutenant n'est pas venue le matin parce qu'elle devait aller chercher Mustang à l'hosto. Sauf qu'il n'y était pas, d'ailleurs il avait dû passer au bureau parce qu'il y avait pas mal de paperasse sur le bureau d'Hawkeye. Enfin bref, elle s'est rendue chez lui. On sait pas ce qu'il s'est passé là-bas, mais quand elle est revenue, elle a même pas dit bonjour, elle a cherché dans les dossiers de la bibliothèque, puis elle est partie en furie pour ne revenir que quelques heures plus tard. Alors là, son comportement avait encore plus changé : on aurait dit un mort-vivant. Elle s'est assise à son bureau en nous ignorant et est restée là sans bouger pendant plusieurs minutes.

Heymans Breda le regardait à présent avec stupéfaction, visiblement peu préparé à avoir ce genre de discours de la part de son meilleur ami. Depuis les trois ans qu'il bossait dans l'équipe du lieutenant-colonel, le lieutenant Hawkeye avait toujours été d'humeur égale, et le récit que venait d'en faire Jean lui ressemblait si peu qu'il demanda :

- C'est une blague ?

- C'est on ne peut plus vrai. Attend la suite : à un moment, elle s'est brutalement levée, a pris le tas de documents qu'avait posé Mustang sur son bureau, est allée prendre la poubelle et elle y a foutu le feu.

Heymans éclata de rire.

- C'est bon, arrête, j'ai compris que tu me mènes en bateau.

- Mais non ! C'est vrai ! On a essayé de l'arrêter. Moi j'ai utilisé un extincteur pour éteindre l'incendie et Fuery s'est pris un coup dans l'œil : il a un vieil œil au beurre noir maintenant.

- Tu déconnes.

- Attends la suite. Parce que c'est pas facile… On a tiré à la courte paille pour savoir qui allait aller la voir pour comprendre ce qu'il s'est passé et, devine quoi, c'est tombé sur moi. Enfin, bon, après le boulot, je suis allé chez elle. Et là… elle m'a rendu son arme de service avec une lettre de démission.

- Mais arrête, c'est pas possible…

- Si, si. Elle était complètement bourrée. Je ne sais pas ce que Mustang lui a fait, mais, en tout cas, elle était vraiment remontée et mal en point. Je l'ai jamais vu comme ça.

- Tu sais dans quelles archives elle est allée voir pour réagir de cette manière ?

Jean Havoc n'y avait pas tellement pensé. Après tout ce qu'il s'était passé, son cerveau avait été déconnecté, et c'était pour ça qu'il était venu en parler à son meilleur ami.

- Tu devrais commencer par ça, commenta Breda après avoir interprété le silence de Jean.

- Je vais aller voir, oui…

- Putain, j'aurais donné cher pour voir un truc pareil. Tu as fait quoi, en la voyant dans cet état ?

Jean n'avait pas prévu de raconter ce qu'il s'était passé entre eux dans l'intimité de sa chambre. D'abord parce que Riza lui avait demandé de ne rien dire. Ensuite parce qu'il allait se prendre des remarques désobligeantes de son ami – à raison. C'était sans compter la trahison de son corps qui fit passer la moindre parcelle de sa peau blanche à rouge pivoine.

-Je suis juste parti, mentit-il en détournant les yeux.

Il y eut un silence pendant lequel Jean sentit Heymans le sonder des pieds à la tête. Le blond resta immobile, le dos voûté, redoutant les foudres de son coéquipier.

- Jean, articula lentement Heymans. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- C'est que… J'avais un peu bu, moi aussi…

- Jean. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Je lui ai promis de ne rien dire ! Tu sais comment elle est ! Elle va me massacrer si elle apprend que j'ai dit quoi que ce soit !

- Jean.

- Heymans, s'il te plait !

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- C'est pas de ma faute ! Tu sais que je suis faible dans ce genre de situation !

Jean se laissa tomber en avant, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains. Seules ses oreilles cramoisies dépassaient de sa tignasse. Il y eut un nouveau silence pendant lequel Heymans resta sans voix, analysant la situation à travers les paroles dites à demi-mots et la posture prostrée par la honte de son ami.

- Tu t'es quand même pas tapé Hawkeye ? murmura-t-il d'une voix blanche.

- Je te jure ! s'écria le grand blond en se redressant d'un bond, les larmes aux yeux. J'ai pas pu résister ! Elle est vraiment mignonne quand elle agit pas comme un robot ! Et puis elle a une poitrine d'enfer !

- Je veux pas savoir ! Putain ! Jean ! Parmi toutes les femmes d'East City, il fallait que tu te jettes sur la seule qui ne t'es pas accessible ?!

- Tu ne l'as pas vu comme je l'ai vu moi !

- Tu t'es juste jeté sur elle parce que tu avais une opportunité ! Tu peux pas calmer tes pulsions, un peu ? Non ?

- C'est pas que ça ! C'était vraiment pas le lieutenant que tu connais… Je…

Le grand blond soupira et se laissa retomber sur sa chaise, démuni et malheureux.

-Je sais bien que j'ai fait une connerie… J'ai jamais pensé au lieutenant de cette manière-là : tu le sais. C'est juste… Je sais pas…

Il laissa échapper un sanglot soudain et s'essuya aussitôt les yeux. Heymans, lui, soupira et se redressa en grimaçant pour poser une main rassurante sur son épaule.

- Aller, ça va aller mon vieux, rassura-t-il. Combien de fois je t'ai dit que les histoires d'amour, ce n'était pas fait pour toi ?

- Mais c'est pas pareil, avec le lieutenant…

- D'après toi, c'est jamais pareil, quelle que soit la personne… Tu radotes, mon petit cœur d'artichaut.

- Arrête de m'appeler comme ça…

- Et toi, arrête de te laisser aller à aimer n'importe qui.


La semaine qui suivit ne fut pas de tout repos pour les trois seuls membres de l'équipe Mustang qui restaient au bureau. Il leur fallait régler l'enquête au plus vite, sachant que le lieutenant ne répondait pas au téléphone, tout comme le lieutenant-colonel Mustang d'ailleurs. Heureusement, Falman avait une mémoire d'éléphant et parvint à régler les différents dossiers de bout en bout, simplement parce qu'il avait été attentif aux échanges et au rangement des différents éléments qui avaient permis à leur équipe de régler l'enquête et d'arrêter les terroristes.

Vint finalement le lundi de la semaine d'après où tous arrivèrent de bonne heure pour se serrer les coudes avant l'arrivée du lieutenant-colonel qui devait désormais reprendre ses fonctions. Tous redoutaient de devoir lui annoncer le départ du lieutenant, mais son arrivée n'eut rien d'angoissant puisqu'il ne les salua qu'à peine, prit une enveloppe sur son bureau sans se soucier du chaos général avant de repartir pour le reste de la journée. Ils ne le virent revenir qu'en fin d'après-midi, un sourire aux lèvres, visiblement extrêmement satisfait.

-Bonjour à tous ! fit-il joyeusement. Comment allez-vous ? Ah ? Fuery, je ne me souvenais pas que vous aviez été blessé à l'œil…

Le coquart que lui avait fait Hawkeye s'était estompé, mais des traces jaunes et vertes persistaient sur la peau tout autour de son œil meurtri.

- C'est-à-dire… bredouilla Fuery.

- C'est un accident domestique, aida Falman.

- Ah, bon. Il faudrait faire un peu attention… Bon, sinon, dommage que le sous-lieutenant Breda ne soit pas de retour pour cette annonce, mais j'ai effectivement quelque chose à vous dire ! Tiens, où est passée le lieutenant ?

Tout le monde resta muet, préférant regarder au plafond, au sol, ou au mur qui semblaient des éléments bien plus intéressants que tout ce qu'il pouvait bien avoir à dire. Roy Mustang leva un sourcil, un peu agacé.

- Je vous parle, indiqua-t-il.

- C'est que… commença Havoc sans savoir comment énoncer le problème.

- Lieutenant-colonel, informa Falman. J'ai disposé sur la droite de votre bureau des documents que le lieutenant nous a laissé. Vous devriez peut-être les lire. Nous n'avons pas réussi à vous contacter chez vous, alors l'information ne vous est pas parvenue avant aujourd'hui.

Roy fronça les sourcils, puis se dirigea vers son bureau sur lequel se trouvait effectivement une pochette assez épaisse de laquelle il sortit l'arme semi-automatique de son lieutenant ainsi qu'une lettre qu'il se mit à lire :

Lieutenant-colonel Mustang,

Je vous informe par cette lettre de ma décision de démissionner de mes fonctions de Lieutenant exercées depuis le 12 octobre 1908 au sein de l'armée d'Amestris.

J'ai bien noté que les termes de mon contrat prévoient un préavis d'un mois. Cependant, et par dérogation, je sollicite la possibilité de ne pas effectuer ce préavis et, par conséquent, de quitter l'armée d'Amestris à la date de la réception de ma lettre de démission, mettant ainsi fin à mon contrat de travail.

Je vous prie d'agréer, lieutenant-colonel Mustang, l'expression de mes salutations distinguées.

Fait le 14 août 1911 à East City,

Signé : Riza Hawkeye.

Roy Mustang resta de marbre jusqu'à la dernière ligne. Puis il releva la tête vers ses subordonnés qui continuaient de regarder partout sauf dans sa direction et brandit le document devant lui :

- Que s'est-il passé ?

- On ne sait pas exactement…

- On pensait que vous pourriez nous aider à comprendre…

Roy plissa les yeux et balaya la salle du regard. Sur le bureau de Riza et de Breda s'étalaient de nombreuses feuilles de papier carbonisées qui n'avaient rien à faire là. Il s'avança lentement vers le bureau de son lieutenant et inspecta les documents silencieusement.

- Ce sont les documents que vous aviez mis sur sa table juste avant de partir, se sentit obligé d'expliquer Falman.

- On s'est dit qu'avec l'alchimie, vous pourriez peut-être les reconstituer…

- Comment ça se fait qu'ils soient brûlés ?

- C'est-à-dire…

- Le lieutenant y a mis le feu avant de s'en aller…

- … Il va falloir que vous me racontiez tout depuis le début.

Falman se chargea donc du récit, expliquant le comportement étrange de Riza après qu'elle soit allée le voir chez lui, ses heures passées dans les archives, puis la folie qui l'avait pris en voyant la pile de documents que lui avait laissé Roy.

-Vous savez ce qu'elle est allée chercher dans les archives ?

- Quelque chose en rapport avec une mission de recrutement que vous avez effectué tous les deux au village de Resembool en septembre 1910.

Roy se figea. Puis il se mit à inspecter fébrilement le bureau de sa subordonnée jusqu'à trouver, rangé au-dessus de toutes les autres piles de documents intacts, une feuille manuscrite où étaient tracés des lettres en pattes de mouche et des cercles élixirologiques qu'il connaissait par cœur. Son sang se glaça.

- Rangez-moi les documents calcinés dans une pochette : je m'en occuperais plus tard. Ne racontez cette histoire à personne.

- Oui, lieutenant-colonel !

Roy s'éclipsa alors, emportant avec lui le document manuscrit, la lettre de démission ainsi que l'arme de service que lui avait rendu son lieutenant. Il traversa le QG, parcourut plusieurs rues et s'engouffra dans un tramway bondé. Après plusieurs arrêts, ils se précipita à l'extérieur et se mit à courir jusqu'à ce qu'il arrive au pied de l'immeuble où vivait Riza Hawkeye. Il entra à l'intérieur, monta les escaliers quatre par quatre et frappa énergiquement à la porte.

Seul le silence lui répondit et il se mit à tambouriner, incapable de rester calme une seconde de plus :

-Lieutenant ! Ouvrez-moi immédiatement ! C'est un ordre ! Ou je défonce cette foutue porte !

Ladite porte ne mit pas très longtemps à être ouverte, découvrant une Riza Hawkeye aux yeux inquiets, ses cheveux mi-longs et humides frôlant à peine ses épaules nues rendues larges par l'entrainement. Roy ne prit pas le temps de se sentir gêné à l'idée qu'elle sortait probablement de la douche : il était déjà entré sans y être invité, tirant une chaise avant de se tourner vers la jeune femme.

-Asseyez-vous.

Riza était restée interdite, la poignée de la porte toujours entre ses mains. Lentement, elle referma l'entrée et se tourna vers son supérieur sans esquisser un seul pas vers la chaise qu'il lui désignait.

- Vous êtes chez moi, ici, fit-elle d'une voix posée. C'est à moi de vous inviter à vous asseoir.

- Vous n'êtes pas en mesure de négocier avec moi, lieutenant.

- Je ne suis plus lieutenant.

Roy sortit la lettre de démission qu'elle avait écrite une semaine auparavant et la posa sur la table avant d'enfiler un de ses gants d'alchimiste et claqua des doigts de telle sorte que la lettre s'embrasa et partit en fumée. A aucun moment il n'avait lâché des yeux la jeune femme qui, elle, restait impassible.

- Vous l'êtes toujours, la contredit Roy.

- Vous pouvez jouer à ce jeu-là autant que vous le voudrez : la situation restera la même. Je souhaite me retirer et ne plus travailler pour vous.

- A cause d'Edmund ? interrogea Roy en sortant de sa poche le papier froissé sur lequel s'étalait l'écriture d'Edward.

- A cause de vos mensonges.

- Ca n'a rien à voir avec notre contrat.

- Si vous ne me dites pas ce que vous faites, je ne peux pas honorer notre contrat.

- Tu ne comprends pas, Riza.

- Je comprends parfaitement, au contraire. Tu as rencontré Edmund le jour où nous sommes allés voir les frères Elric. Tu as alors commencé à mentir : « Non, je n'ai rencontré personne, l'auteur de la lettre n'est jamais venu » ; « Je vous présente mon cousin, Edmund » ; « Il n'a rien de dangereux ». Et moi, ce que je découvre, c'est que tu l'as rencontré à ce moment-là ; qu'il était l'auteur de cette lettre anonyme ; qu'il t'a convaincu de l'accepter chez toi ; qu'il se met dans des situations impossibles qui le mettent en danger, sous tes ordres ; qu'il est, loin d'être un membre ta famille - chose que je savais déjà -, carrément ton amant ; qu'il a quelque chose à voir avec tout ce qu'il se passe dans la région de Fosset ; que tu te remets à picoler dans notre dos, à Hughes et à moi, probablement à cause de son départ on ne sait où ; que je ne comprends absolument plus rien à ce que tu fais, à tes desseins, à tes objectifs ! Je reconnais avoir dépassé les bornes en brûlant les documents qui se trouvaient sur mon bureau, mais je n'ai plus envie de te servir de larbin alors même que je n'ai aucune idée de ce que tu fais.

Roy la toisa un instant, impassible, puis il soupira et s'assit mollement sur la chaise qu'il avait initialement tiré pour elle.

- Tu sais beaucoup de choses, constata-t-il avec lassitude. J'imagine que c'est Maes qui t'as mis au parfum pour Ed et moi.

- En effet.

- Ce n'était pas une raison pour fouiller ma maison, ni pour démissionner. Ce n'était pas notre accord.

- Il n'y a plus d'accord qui tienne.

- Oh que si. L'accord était très simple : il te fallait veiller sur moi, sur mes gestes, sur mes pensées, ma vision du monde, mes décisions. Si je m'éloignais du chemin que je t'avais exposé…

Il prit le revolver semi-automatique que le lieutenant lui avait rendu et, d'un mouvement de pouce habitué, désamorça la sécurité.

-… il fallait me tuer.

Roy l'observa un instant, l'arme chargée dans les mains, prêt à tirer. Riza ne cilla pas, mais son cœur se mit à battre plus fort, incertaine de la tournure que prenaient les choses. Alors, Roy se leva avec lenteur et s'approcha d'elle pour lui confier l'arme à feu avec une certaine douceur, enveloppant ses mains autour des siennes avant de les relâcher.

- A aucun moment il s'agissait de démissionner, fit-il remarquer. Ce n'est pas un poste de l'armée, un grade, un travail, qui nous lie l'un à l'autre : c'est la promesse de rendre le monde meilleur. C'est le passé qui nous unit : ton père et ses travaux, la guerre et ses atrocités. C'est pour que ces choses-là ne se reproduisent jamais ; pour que des innocents puissent vivre sans qu'un malade n'envoie raser leurs maisons et rafler leurs vies. C'est pour-

- Et Edmund, dans tout ça ? coupa Riza, peu encline à écouter ses valeureux discours.

Roy la toisa quelques secondes, pesant visiblement le pour et le contre avant de retourner se rasseoir sur la chaise, de placer ses coudes sur ses cuisses et d'emmêler ses doigts les uns aux autres, juste en-dessous de ses yeux noirs.

- Edmund a le même but que nous et il détient des informations que nous ne détenons pas. Il m'aide dans notre plan.

- Où est-il ?

- Actuellement, il devrait être arrivé dans la ville de Marco.

- Pourquoi ?

- Trouver des alliés pour évacuer Fosset.

La jeune femme lui envoya un regard interrogatif, l'incitant à continuer.

- J'ai épluché des dossiers et exploré plusieurs pistes. Le 23 septembre 1911, le Fürher King Bradley renouvellera sous un autre nom le Décret n°3066 qui enverra l'armée assiéger la ville. Les alchimistes d'Etat postés dans la région sud auront alors le champ libre pour exterminer les hommes et les femmes qui se battent pour leurs droits depuis des années, mais aussi les civils, les enfants, les vieux, et tous ceux qui n'ont rien demandé pour en arriver là. Ça ne te rappelle pas quelque chose, Riza ?

Il n'avait pas besoin d'en dire davantage pour que Riza comprenne que les habitants de Fosset allaient subir ce que les Ishbaliens avaient subi en 1908 sous les ordres du même despote qu'était King Bradley.

- Comment sais-tu tout ça ? murmura Riza, soufflée par les souvenirs qui lui revenait en mémoire.

- Edmund m'a dit où chercher. Je n'avais plus qu'à vérifier par moi-même que ses informations étaient vraies.

- Mais… Comment va-t-il faire, tout seul ?

- Je lui fais confiance pour ça. C'est son rôle. J'ai le mien.

- Qui est ?

- De faire profil bas jusqu'à ce que ce soit à moi d'agir.

Riza l'inspecta des pieds à la tête, cherchant à comprendre comment tout ceci avait pu arriver et surtout…

- Pourquoi ne pas m'en avoir parlé plus tôt ?

- Ton rôle viendra après. Tout comme le mien.

- Je n'apprécie pas d'être laissée ainsi sur le banc de touche.

- Très bien. Te souviens-tu de Solf J. Kimblee ?

- L'alchimiste écarlate…

- Sa force de frappe à Ishbal était terrifiante. C'est parce qu'il avait en sa possession la pierre philosophale.

- Mais… Ce n'est qu'un mythe.

- Si seulement… Et le gouvernement en a créé des tas pendant la guerre d'Ishbal. Le problème est que les ingrédients de la pierre se constituent de vies humaines.

Roy laissa à Riza le loisir de prendre la mesure de cette révélation. Son expression choquée soulignait sa compréhension et, d'une main sûre, elle remit la sécurité de l'arme qu'elle tenait dans la main. Elle s'avança vers la table, posa le revolver et s'assit de l'autre côté de la table, faisant face à Mustang qui reprit :

- Les guerres et massacres qui ont eu lieu ces dernières dizaines d'années, et même depuis la création d'Amestris, ont deux buts distincts : le premier est d'apprendre à créer une pierre philosophale stable grâce à une matière inépuisable en temps de guerre, j'ai nommé des vies humaines ; la seconde était de créer un pays parfaitement rond, ou presque, afin d'achever un projet alchimique complètement fou. Je te laisse deviner de quoi je parle.

- Ne me dis pas qu'ils veulent…

- Précisément. Mais pour cela, il faut faire couler le sang à certains endroits du pays : Fosset en fait partie. Ishbal était également un point important. Notre but, à Ed et moi, n'est pas seulement de sauver les gens qui se trouvent à Fosset, mais bien d'empêcher que le cercle de transmutation à échelle nationale soit achevé.

- Mais c'est complètement absurde… On voudrait sacrifier toute la population d'Amestris ?

- Cinquante millions de personnes, oui.

- Et ce cercle… ? Quand… ? Pourquoi… ?

- La transmutation aura lieu au printemps 1915, pendant l'éclipse de soleil prévue, pour que ceux qui dirigent dans l'ombre s'emparent de la Vérité.

- La… Vérité ?

- Je ne peux pas tellement t'expliquer ce que c'est : seuls ceux qui ont tenté une transmutation humaine la comprenne.

- Alors… Comment sais-tu tout ça ?

- Edmund.

- Qui est-il ?

Roy toisa sa subordonnée pendant un instant, puis ferma les yeux un instant.

- As-tu déjà entendu parler des ruines de Xerxès ?

- Cette ville dont parlent les légendes, qui a disparu du jour au lendemain ?

- Ce n'est pas une légende. Elle a subi la même chose que le destin qui est réservé à Amestris si on ne fait rien.

- C'est absolument horrible…

- Edmund est l'un des seuls descendants de ceux qui ont survécu. Je ne sais pas si tu te souviens de la couleur naturelle de ses yeux : ils sont dorés. Typique de ce peuple mythique.

Il y eut un nouveau silence pendant lequel le cerveau de Riza se mit en branle. De nombreuses questions restaient sans réponses et elle sentait bien que Roy ne disait pas toute la vérité. Personne, sans doute, à part elle, n'aurait pu voir sur son visage impassible l'hésitation qui était la sienne.

- Qui d'autre est au courant ?

- Personne. Il n'y a qu'Ed et moi. D'autres connaissent des fragments, mais rien ne pourrait les mener à comprendre tout ça.

- Pourquoi est-il venu te chercher toi, spécifiquement ?

- C'est une autre histoire, plus longue, plus compliquée encore. Je ne t'ai dit que ce qu'il était nécessaire que tu saches : et c'est un poids suffisant. A moi, il m'a tout raconté. Parfois, je le déteste pour ça. Personne ne devrait connaitre des choses pareilles… J'aimerais t'épargner, Riza. Mais ce n'est possible que si tu me fais confiance… Et j'ai besoin de ta confiance.

Elle soupira et se leva, posant ses mains sur la table.

- Tu veux quelque chose à boire ?

- De l'eau, s'il te plait.

Elle lui servit un verre et commença à faire couler du café. Tout en fixant l'eau couleur d'encre couler goutte à goutte dans la cafetière, elle demanda :

- Est-ce que tu es objectif à son sujet ?

- D'Ed ? Je pense l'être.

- Tu l'aimes ?

- Je comprends tes inquiétudes, mais nous avons tous les deux des points de vue différents et des objectifs qui, s'ils convergent vers le même point, sont tout de même opposés. Aucun de nous ne veut empêcher l'autre de faire ce dont il a envie ou de faire ce qu'il doit faire. Je comprends bien que les sentiments pourraient m'aveugler, ou me faire perdre du temps. Ça a été le cas pour la dernière enquête que nous avons eue à résoudre. Mais si tu penses qu'il peut m'utiliser, sache que c'est tout simplement impossible. Ed est une personne trop vraie, trop brute, trop irréfléchie pour ne serait-ce que penser à faire un truc pareil. Ce n'est clairement pas dans sa nature. Maes l'a compris tout de suite : c'est peut-être pour ça qu'il ne me harcèle pas pour comprendre qui il est vraiment. Et puis, pour être tout à fait honnête, c'est moi qui suis plus à même de le manipuler. Il n'y a pas de souci à se faire de ce côté-là.

Riza se servit une tasse de café et se rassit en face de Roy.

- Pourquoi est-ce que tu as subitement décidé de me dire tout ça ?

- Parce que tu es l'une des rares personnes en qui je fais confiance. Que je sais que tu ne me trahiras pas. Parce que j'ai besoin de toi pour avancer, pour continuer à gravir les échelons. Parce que je ne veux pas te perdre.

Il y avait tant de sincérité sur les traits de son visage, dans le son de sa voix, dans la lumière de ses yeux couleur d'onyx que Riza ne put empêcher un maigre sourire de poindre au bord de ses lèvres.

- Je vais rester, lieutenant-colonel. Vous m'avez convaincue, on dirait.

- Appelez-moi Colonel, sourit Roy, soulagé. Il semblerait qu'on m'ait monté en grade.