Bonjour à toutes et tous !
Quelle misère, je suis encore en retard pour cette publication... Mais enfin, au moins, je la poste la bonne semaine ! Par contre, j'espère n'avoir pas trop laissé de fautes car j'ai eu moins de temps pour le retravailler que d'habitude...
Bref, bonne lecture et à bientôt !
Chapitre 40 - La Montagne
- Aller, rentre bien, vieux.
- Ouais. Merci Maes. C'était chouette de vous voir. Vous êtes bien installés.
- Reviens quand tu veux. Ah ! Et n'oublie pas de voir avec tu-sais-qui pour la montre.
- Ouais, ouais. Je te tiens au courant.
Maes lui fit une accolade et Roy la lui rendit avant de se détacher pour monter dans son train et s'affaler sur la première banquette venue. La cabine était vide et elle le resta. Tant mieux.
La semaine avait été épuisante. Maes était énergivore. Les réunions à Central barbantes. Les regards qu'on lui lançait dans les couloirs du quartier général n'avaient rien d'engageants. Et puis, il y avait cette histoire de montre.
- C'est compliqué, à Central, lui avait expliqué Maes. Avec l'histoire d'Eric Ford, tout le monde est sur les nerfs. Tu te souviens des entretiens que vous avez tous passé à East City, au moment de la guerre en septembre ? Je n'y ai pas eu droit parce que j'étais en congés paternité. Et heureusement. À Central, ils sont obsédés par cette histoire de montre d'alchimiste d'Etat qui a permis à la Voix du Paysan d'accuser Eric Ford d'être de mèche avec le gouvernement. Si tu veux mon avis – et si tu veux m'épargner des problèmes – ce serait pas mal qu'Ed la détruise, cette montre. Parce que c'est quand même moi qui l'aie dégotée, et mon contact me donne pas mal de fil à retordre.
- C'est qui, ton gars ?
- Rudolf Hess. Il a été viré du service administratif qui délivrait, entre autres, les montres d'alchimistes d'Etat à cause de ce qu'il s'est passé en mai de l'an dernier. Alors qu'il n'y a même pas de preuve physique qu'Eric ait jamais eu de montre.
Le rapport d'Envy est la seule preuve dont ils aient besoin.
- Du coup, il s'est fait viré de l'armée, comme tous ses collègues, d'ailleurs, et se retrouve sans travail à devoir élever deux enfants. Depuis que je suis à Central, il me harcèle pour en savoir plus sur ce qu'est devenu Eric Ford.
- Il t'a pas dénoncé ?
- Nan. C'est pas un mauvais bougre. Il est persuadé qu'Eric s'est fait arrêter, voire tuer sans procès. Ce n'est pas étonnant vu tout ce qu'il continue de se passer par là-bas : je sais pas combien de personnes ont été arrêtées pour rébellion mais il y en a un paquet. Bref, comme je suis dans l'armée, Rudolf me harcèle pour que j'aille fouiller dans les archives et récupérer la preuve qu'Eric est en prison ou au cimetière. Bien sûr je m'approche pas des dossiers du sud : j'ai déjà eu une sacrée chance parce que personne n'a pensé à m'interroger après mon retour, ce n'est pas pour recommencer.
- Mais pourquoi il veut ces dossiers ? Et pourquoi il te vend pas ?
- Il vient du sud, à la base. Il est pro-Voix du Paysan. Sa sœur a été portée disparue sur le front de Marco. Du coup il veut déménager dans le sud pour rejoindre un groupuscule qui se monte à Rush Valley. Pour le moment c'est rien de très gros, un truc qui s'appellerait le « Groupe Ocre ». L'avantage d'avoir cet homme sur le dos, c'est que j'ai plein d'informations sur ce qui se fait dans l'ombre.
- Le problème, c'est que si le gouvernement retrouve la montre, il pourra connaître son matricule et arrêter ton homme pour l'interroger de manière musclée.
- Et là, je serai dans la merde.
Roy ne voulait pas que Maes soit dans la merde. Alors il était temps qu'il rentre et qu'il règle cette histoire.
Arrivé à la gare d'East City, il ne perdit pas une minute pour héler un taxi qui le déposa directement devant le portillon de chez eux. Son visage s'éclaira. Chez eux. Adieu, boite aux lettres vide, maison silencieuse et nuit solitaire. À chaque fois, il se réjouissait.
Edward est rentré chez nous.
Égayé par cette certitude, il entra dans le jardin pour pousser la porte d'entrée avec enthousiasme.
- Je suis rentré !
Il vit Edward sauter à pied joint sur le canapé, bondir et atterrir de l'autre côté dans un élan pas exactement naturel.
- Roy ! s'enthousiasma-t-il en appuyant ses fesses contre le dossier du sofa au-dessus duquel il venait tout juste de sauter. C'est… Cool de te voir !
Il avait le même sourire, à la fois insolant et coupable, que le Fullmetal. Il avait l'air détendu, avec les jambes croisées, mais Roy connaissait suffisamment bien ses traits pour reconnaitre une certaine crispation.
- … Qu'est-ce que tu as encore fait ?
- « Encore » ? Non mais ! Pourquoi est-ce que j'aurais fait quoi que ce soit de mal ?!
- Ed.
- Ca fait une semaine qu'on s'est pas vu, et, forcément, j'aurais fait quelque chose ! Tu ne veux pas dire « bonjour », comme tout… colocataire qui se respecte ?
- Colocataire… ?
- Bref, tu manques de savoir-vivre !
Roy soupira et déposa sa valise au pied de l'escalier.
- Tu vas pas pouvoir me cacher ce que tu me caches longtemps, lui fit remarquer Roy en approchant.
Edward fit un bond en avant, comme pour l'empêcher d'avancer davantage dans le salon.
- Ok, ok. Peut-être qu'il s'est passé quelque chose.
- Sans blague ? ironisa Roy.
- Il se trouve que ce n'est pas exactement de ma faute.
- Aller, dis-moi ce qu'il se passe. Qu'on en finisse.
Edward avait le regard fuyant.
- C'est que… Tu te souviens de cette histoire de… cycle.
- De cycle ?
- Oui. Euh… Compréhension, déconstruction, reconstruction. La vie et la mort font partie de tout ça dans un cycle perpétuel qu'on ne peut changer.
- … Tu sais que je suis alchimiste, n'est-ce pas ?
- On avait émis l'hypothèse que-
- Va droit au but s'il te plait, j'ai pas l'énergie de réfléchir à tes énigmes.
Edward s'éclaircit la gorge.
- C'estquetuvoisGabinestarrivé.
- Quoi ?
- Gabin est là.
- Tadah !
Le gamin surgit de derrière le canapé qu'Edward avait vaguement voulu dissimuler à la vue de Roy. Ce dernier se décomposa.
- Oh purée, souffla Edward, passant sa main sur son sourire raidi. Gabin, je t'ai dit de me laisser le temps de lui parler.
- Je pensais que c'était bon…
- Non, c'était pas bon, s'exaspéra Ed. S'il te plait, va dans ta chambre.
- « Dans ta chambre » ?! s'étrangla Roy.
- Attends, je vais t'expliquer !
- Tu… Oh merde, Ed ! Tu n'es pas sérieux !
- Je t'ai dit que j'allais t'expliquer ! Gabin, s'il te plait.
Le gamin fila à l'étage tandis que Roy haussait le ton :
- Il n'y a rien à expliquer ! Il est venu te retrouver parce qu'il a trouvé la réponse à ton énigme à la con qui, soit dit en passant, est vraiment débile ! Et maintenant il dort dans ton labo et tu lui apprends l'alchimie !
Edward ouvrit la bouche mais se rendit compte qu'il n'avait rien à ajouter. Alors il haussa les épaules.
- Tu… tu n'es pas… possible ! Bordel de merde ! Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour te faire comprendre que… Rah !
Roy se laissa tomber sur les marches d'escaliers et fourra sa tête dans ses mains. Comment cet homme pouvait-il avoir cette capacité à lui donner littéralement envie de s'arracher les cheveux ? Il ne pouvait pas le laisser seul cinq minutes sans qu'il ne se passe quelque chose. Et maintenant, il le savait, il aurait beau critiquer, râler, s'époumoner ou même exploser, Edward ne changerait rien du tout à la situation.
- Roy, c'est pas si grave, faut pas en faire toute une montagne…
- Je vais me barrer, en fait.
- Hein ?
- Je vais me barrer. Au moins j'aurais plus à subir tes caprices à la con, là. Ca y est, tu m'as gavé. Je crois que c'est la goutte d'eau.
- Quoi ? N'importe quoi.
Edward s'approcha du bas de l'escalier et s'agenouilla près de lui pour se mettre à sa hauteur.
- Roy, je comprends que tu sois contrarié, mais tu peux pas te casser pour ça…
- Essaie même pas de me mettre au défi.
- Je ne te mets pas au défi ! Bon sang, Roy, tu exagères. Je-
- J'exagère ? J'EXAGÈRE ?! Mais tu te fous de QUI là ?! Tu te rends compte de ce que tu m'imposes ?!
- Il s'est imposé tout seul, marmonna Edward dans sa barbe.
- Oh, pitié, c'est quoi cette excuse pourrie ? Tu as provoqué cet évènement alors n'essaie même pas de te dédouaner d'une quelconque manière et règle ça.
- Mais comment tu veux que je règle ça ?!
- Je m'en fous. Tu te démerdes. C'est lui ou moi.
Edward fut interloqué. Au moins, il avait fait mouche.
- T'es pas sérieux ? piqua Ed.
- On ne peut plus.
- T'es putain de ridicule !
- Si t'as envie de le penser, grand bien te fasse. Mais je veux juste pas d'autres problèmes dans ma maison !
- Notre maison !
- Oui, ben, en attendant, je suis le seul à payer un loyer, donc c'est moi qui décide !
- Ah ouais ?! Tu veux sérieusement jouer au plus con ?!
- J'ai déjà perdu à ce jeu, ça c'est clair !
- Tu sais quoi ? C'est pas toi qui te casse, c'est moi. Puisque môsieur est dans SA maison, on va la lui laisser ! brailla Ed en se levant. GABIN !
- Aller casse-toi ! Et avant tu me rendras ta montre !
- C'est toi qui l'as, ma montre !
Roy se leva, fouilla dans son manteau, sortit l'horrible gousset de sa poche, ouvrit la porte d'entrée et la lança de toutes ses forces. Elle disparut dans la haie de jardin.
- Tiens ! Va la chercher ! Donne-moi l'autre !
- Putain de bâtard ! Tu sais que tu viens de balancer le cadeau que tu dois m'offrir, connard ?!
- Comme si j'avais envie de t'offrir quoi que ce soit ! DONNE-MOI CETTE FOUTUE MONTRE !
- VA LA CHERCHER TOI-MÊME !
- JE TE PARLE DE CELLE DES ALCHIMISTES D'ETAT !
- J'AI AUCUNE FOUTRE IDEE D'OÙ ELLE EST !
- QUOI ?!
- JE L'AI PAUMÉE !
- Comment ça tu l'as paumée ?
- T'ES SOURD ?! JE L'AI PLUS ! ON EST QUITTE PUISQUE T'AS PAUMÉ MON BRIQUET !
- Ca n'a rien à voir, Ed ! paniqua soudain Roy. Est-ce que tu sais où est-ce que tu l'as perdue ?
Edward fulminait, mais il se rendait bien compte que Roy était passé de la rage à l'angoisse. Il souffla un bon coup, écrasant ses yeux sous ses doigts restants.
- J'en sais rien. Je me suis réveillé sans chez le médecin. Je crois.
- Le médecin… ?
- A Marco.
- Tu ne l'as pas revue depuis Fosset ?
- Nan.
- Bordel.
Roy referma la porte d'entrée, agité, puis disparut dans le salon pour y faire les cent pas. La colère d'Edward n'était pas tout à fait redescendue, mais voir le brun aussi troublé le pacifia un peu. Gabin, qui était arrivé en haut de l'escalier lorsqu'Edward l'avait appelé, ne bougea pas.
- Je peux repartir si je pose problème, proposa-t-il d'une petite voix mal à l'aise.
- Nan, attend. Il se passe un truc. Reste là-haut, ordonna Ed sans lui jeter un seul coup d'œil. Roy, c'est quoi cette histoire de montre ?
Comme il faisait des rondes en se rongeant les pouces sans lui répondre, Edward l'intercepta, abattant ses deux mains sur ses épaules.
- Roy.
Ses profonds yeux noirs se plongèrent dans son regard. Ils étaient brouillés et, s'il commençait à s'inquiéter, Edward ne put s'empêcher de se dire qu'il ne pouvait pas vivre sans ces yeux-là.
Quelle dispute inutile.
Comme s'ils pouvaient se séparer une seconde.
Un sourire s'immisça sur ses lèvres, léger, à peine perceptible. Il était un peu pour lui-même. D'ailleurs, Roy ne sembla pas le remarquer.
- Roy, qu'est-ce qu'il y a ?
- Elle est dangereuse, cette montre. Maes m'a dit que tout le service administratif qui gère les dossiers des alchimistes d'Etat et qui, du coup, délivre les montres a été remplacé et tout le personnel viré en mai dernier.
Edward fronça les sourcils sans comprendre.
- Si le gouvernement retrouve cette montre, ils auront le matricule. S'ils ont le matricule, ils pourront en déduire qui l'a délivré à Maes et Maes sera, tôt ou tard, impliqué dans toute cette histoire avec Eric Ford.
L'homme aux cheveux cuivrés ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Il sentait progressivement l'inquiétude le gagner.
- Je ne savais pas qu'il y avait des matricules sur nos montres, annonça-t-il stupidement.
- Visiblement, il y en a.
- Merde.
- Comme tu dis.
- Et donc c'est Hughes qui te l'a déniché à la base ?
- Je pensais pas que tu deviendrai l'ennemi public numéro 1.
- Putain.
- Bon, pas de panique, décida Roy en se dégageant des mains d'Edward. On va réfléchir à où elle peut être.
Il se dirigea vers son bureau, juste sous la fenêtre du salon, et récupéra une feuille et un stylo. Edward le suivit ensuite jusqu'à la cuisine où ils s'assirent tous les deux.
- Bon. C'est quand la dernière fois que tu l'as vu ?
- À Fosset. Dans ces eaux-là…
- Une fois je t'ai appelé et tu m'as dit que tu avais encore la montre. Pour berner les militaires qui s'étaient infiltrés comme civils dans la ville.
- Ah oui, ça devait être avant le 16.
- La nuit du 16 au 17 c'est le jour où le train est arrivé.
Roy écrivit. Edward déglutit. Isabelle était morte le 17 au matin…
- Je me suis occupé d'En-… Bref, ce sale con, je l'ai transmuté aux alentours du… 13 ? Je ne sais plus. C'est très flou, pour moi, Fosset. J'ai tellement rien dormi. T'as dû m'appeler la veille. Ce qui laisse une plage-horaire entre, disons, le 12 et le 17. Peut-être le 18. Je me suis réveillé sans, mais elle était peut-être dans la voiture. Peut-être qu'elle a cramé avec elle… Je sais pas du tout ce qu'il s'est passé à ce moment-là. Tout est très vague.
- Appelle ton morveux.
Edward se figea le temps de saisir l'information. Puis, il eut envie de rire. De dire : « Tu vois, c'est bien qu'il soit là ». Mais il s'en abstint et se leva pour appeler Gabin qui, de toute évidence, n'attendait que ça. Lorsqu'il déboula dans la cuisine, se fut pour se confondre en excuses :
- Pardon. Je ne voulais pas déranger tout à l'heure. Je ne veux pas que vous vous disputiez à cause de moi. Je peux retourner à Skiela si vous voulez.
- T'es pas très obstiné pour un disciple de ce con-là, grogna Roy qui avait décidé d'être désagréable. T'es sûr que t'as envie de devenir alchimiste ?
- J'apprendrai autrement, le contredit Gabin avec aplomb. Je veux juste pas que vous vous fâchiez.
- T'inquiète, on se dispute tout le temps, le rassura Ed en lui tapotant le dos. Et on a plus urgent. Dis voir, tu te souviens de ma montre d'alchimiste d'Etat ?
- Celle qui a fait qu'on t'a traité de traître ?
- Oui. Est-ce qu'elle était sur moi quand tu m'as emmené à Marco ? Quand j'étais inconscient et blessé ?
- Je crois pas… Je t'ai pas fouillé.
- Et dans la voiture ?
- Ah, elle, on a regardé dedans. Y'avait rien.
- Mais tu n'es pas sûr que je ne l'avais pas ?
- Non. Peut-être que M. Franz l'a récupéré mais ça m'étonnerait qu'il l'ait gardé sans le dire.
Edward resta songeur tandis que Roy prenait froidement la parole :
- Et ta sœur, elle l'avait pas sur elle ?
Edward et Gabin sursautèrent de la même manière et, de la même manière, leur expression s'assombrit. Roy regretta.
- Non.
Gabin avait la gorge serrée. Roy n'insista pas.
- On pourrait appeler Franz, fit Ed au bout de quelques lourdes secondes.
- T'as son numéro ?
- Non.
- Son nom de famille ?
- Non…
- Alors il faut aller directement sur place.
Ni Edward, ni Roy ne pouvait faire le déplacement.
- Merde, jura Ed.
- Je peux y aller, si vous voulez ?
Il était candide, Gabin.
- Tu peux pas, le contredit Ed. T'as déjà pris suffisamment de risques en venant jusqu'ici. T'es aussi recherché que moi, je te signale.
- Pas autant, quand même.
- N'empêche qu'on peut pas prendre le risque.
- Et pourquoi pas ? attaqua Roy.
- Ta gueule.
Ed était froid. Son regard dangereux. Roy eut envie de s'énerver mais il était en faute, cette fois-ci. Il se contenta donc de se laisser aller sur le dossier de sa chaise, soutenant le regard doré de son acolyte.
- Hehhmm, fit Gabin pour attirer l'attention. Et les gens qui nous ont emmené au chalet ? Ruth ? Et Madeleine.
- Madeleine, c'est mort, contesta Edward.
- Hors de question de demander ça à Madeleine, réfuta Roy en même temps.
- Ah… ?
- Tu veux qu'elle vienne nous trucider ? Non mais… C'est bon, elle en a suffisamment fait. Et Ruth alors ?
- Faudrait que je contacte Madame Christmas.
- Tu la connais comment, d'ailleurs, cette bonne femme ?
- C'est ma mère adoptive.
Edward le fixa avec des yeux ronds. Il avait cru que Roy n'avait pas de famille, qu'il était orphelin. Ou alors qu'il était en froid avec ses parents. Quelque chose comme ça. Il l'avait tellement toujours connu à l'armée qu'il n'avait même pas eu la présence d'esprit de lui poser des questions personnelles sur son enfance. Un jour, Hawkeye lui avait dit qu'il avait été le disciple de son père, mais voilà tout ce à quoi les jeunes années de Roy pouvaient ressembler : un adolescent pas franchement sérieux qui apprenait l'alchimie auprès du paternel de son amie d'enfance. Mais peut-être qu'il avait tout faux. Sur toute la ligne.
- Ta mèr-
- Bref, coupa Roy. Je vais l'appeler pour voir si elle peut pas contacter Franz.
- Qu'est-ce qu'il y a, avec cette montre ? demanda Gabin.
- Ils risquent de remonter jusqu'à nous si on ne la trouve pas avant eux, expliqua Edward sans détourner son attention de Roy.
- Ils, c'est… ?
- Oui.
Malgré son apparence calme, Roy vit Edward jeter un œil par-dessus son épaule avant de refocaliser son attention sur le morceau de papier qui rappelaient des dates pénibles.
- Hughes doit savoir son nom, finit par faire remarquer le faux roux.
- Je ne veux pas impliquer Maes.
- Il est déjà impliqué : s'il peut nous faire gagner du temps, c'est la meilleure chose qu'on ait à faire.
- Mm.
Roy était contrarié mais n'ajouta rien de plus. Il resta quelques secondes les bras croisés, puis se leva et quitta la pièce pour décrocher le combiné. De la cuisine, Edward et Gabin entendirent la rumeur du début de la conversation : « Bonjour Gracia, c'est Roy – Oui, bien rentré, merci – Il va bien également – Volontiers, oui. Merci – Salut mon vieux – Non, mais j'ai quand même besoin de toi. Dis-moi, est-ce que- »
- T'inquiète pas, sourit Edward en remarquant que Gabin se mordait les lèvres, le regard vague. Il est grognon, mais il va finir par accepter que tu restes.
- Je pensais pas que ça se passerait comme ça.
- Ce n'est qu'une question de temps.
- Je peux peut-être dormir à l'hôtel ? Avec de l'argent transmuté, ce serait gratuit.
- On finirait par se rendre compte de quelque chose, le contredit Edward. Cela dit, ça nous éviterait ses crises de nerfs.
- De toute façon, je vais devoir te laisser ta chambre de nouveau, maintenant qu'il est là.
- Oh, je ne pense pas que ça le dérangera si on dort ensemble.
- C'est vrai qu'on avait l'habitude au chalet.
- N-non. Je veux dire : si je reste dormir dans son lit.
- Ah. C'est vrai que vous dormiez toujours sur le canapé.
- Oui…
Edward n'était pas certain de ce qu'il devait dire. Au chalet, tout le monde avait dû remarquer que Roy et lui, ce n'était pas seulement une histoire d'amitié. Pourtant, Gabin semblait encore l'ignorer. Peut-être qu'il était dans le déni, mais s'il devait vivre avec eux, il allait bien falloir qu'il l'apprenne d'une manière ou d'une autre.
- Bon ! coupa Roy en faisant de nouveau irruption dans la cuisine. Maes m'a donné son nom de famille. Où est l'annuaire ?
- Je vais le chercher, il doit être quelque part dans mon labo.
Edward se leva et revint avec ledit annuaire. Ils retrouvèrent le nom du médecin et Edward appela.
- Allô ? demanda une voix d'enfant au bout de quelques sonneries.
- Bonjour. Je cherche à contacter Franz Bauer.
- Papa est pas là. Maman a dit qu'il était parti.
- Parti ?
- Oui, pour rejoindre une bonne cause, elle a dit. Mais j'ai pas le droit d'en parler.
- Quoi… ? Passe-moi ta maman.
- D'accord ! Maman !
Il attendit une minute, le cœur battant. Franz était parti ? Pour rejoindre « une bonne cause ». Et si ce coup de fil était imprudent ? Et si l'homonculus n'était pas loin ? Et s'il était chez eux, attendant justement qu'il appelle pour le localiser ? Et si la femme de Franz collaborait avec eux ? Et si elle le trahissait ? Si elle…
Edward raccrocha brusquement, des sueurs froides coulant le long de ses tempes. Il essuya son front ; ses mains tremblaient. Derrière lui pesaient l'attention des deux autres. Comment leur expliquer ? Comment éviter de passer pour le bâtard de lâche qu'il était ?
Putain, arrête d'avoir les pétoches comme ça !
- Alors… ? l'encouragea Roy qui voyait bien son immobilisme.
- C'est compliqué, bredouilla Edward d'une voix qu'il aurait voulu assurée.
- Tu veux que je rappelle ?
Il a compris. Je suis qu'une merde.
- Je sais pas. Je sais pas ce qu'il se passe.
- Je rappelle.
- Non !
Edward déglutit après s'être retourné vers eux et prit une inspiration qu'il espéra ne pas trop montrer son angoisse.
- Non, répéta-t-il, plus posé. On va utiliser une cabine téléphonique.
Roy fronça les sourcils mais finit pas accepter d'un bref hochement de tête. D'un mouvement commun, ils attrapèrent leurs vestes et déboulèrent dans la rue, suivis de Gabin qui trottinait derrière eux.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? s'enquit-il.
- On ne sait pas, justement, s'inquiétait Edward. Toi, reste à la maison.
Gabin voulut protester mais les deux alchimistes lui envoyèrent un regard si noir qu'il capitula et fit demi-tour. Au bout de dix minutes, ils trouvèrent une cabine. Ce n'était pas la plus proche, mais Roy n'avait pas réfléchi plusieurs fois avant de s'éloigner de leur domicile. Le militaire entra et composa le numéro de téléphone.
- Allô ?
C'était la voix d'une femme.
- Madame Bauer ?
- C'est moi.
- Excusez-moi, nous avons été interrompus lorsque j'ai eu votre enfant au téléphone.
- Il n'y a pas de problème.
- J'aurais voulu parler à votre mari.
- Elle m'a dit, oui. Malheureusement il n'est pas disponible pour le moment.
- Je peux lui laisser un message ?
- Non.
- … Je ne veux pas vous déranger, mais c'est au sujet d'une opération…
- Monsieur, mon mari est recherché partout dans le sud pour complicité avec les terroristes de Fosset. Je sais que cela fait six mois que l'affaire est passée, mais certains sont encore touchés par les évènements et veulent se rebeller.
- … Vous n'en faites pas partie, j'espère.
- Bien sûr que non. Mon mari ne remettra jamais les pieds à mon domicile.
Roy fronça les sourcils. La seule personne qui pouvait être une alliée semblait leur tourner le dos. Pourtant, Edward, qui le collait dans la cabine pour essayer d'écouter la conversation, secoua négativement la tête. Le militaire décida de lui faire confiance.
- Me voilà rassuré. Ces personnes-là sont dangereuses. J'ai eu de la chance d'avoir été opéré convenablement.
- Malgré ses orientations politiques, Franz a toujours été excellent dans son métier.
- Peut-être que vous pourrez m'aider, cependant. J'ai peut-être oublié un objet lors de mon passage à son cabinet.
- J'ai tout récupéré, je peux en effet vous renseigner.
- Il s'agit d'une montre.
- … Une montre ? Non, je n'ai aucune montre.
- Bon, eh bien, merci beaucoup. Je vous souhaite bon courage pour la suite. Au revoir madame.
- Au revoir.
Roy raccrocha. Edward était livide.
- Elle est sur écoute et n'a aucune idée d'où est passé Franz, conclut-il d'une voix blanche.
- Si on veut en savoir plus, il va falloir qu'on envoie quelqu'un l'interroger directement à l'abri des regards indiscrets, soupira Roy.
- Comment ça se fait que tu n'étais pas au courant de ça ? lui reprocha Ed. S'il s'est enfui, c'est qu'ils ont su qu'il m'a sauvé la vie.
- Je ne regarde pas tous les journaux du pays, s'agaça Roy. Je le faisais avant que tu ne reviennes à la maison, mais maintenant j'ai d'autres chats à fouetter.
- Putain, grommela Ed en jetant un coup d'œil nerveux par-dessus son épaule. Va falloir que j'aille faire un saut à la bibliothèque : je trouverai surement des choses dans les archives. Rentre à la maison, je reviens.
Roy lui saisit le bras. Ce n'était pas pour le retenir. C'était pour constater la moiteur de sa peau et les tremblements involontaires dont il était la proie. Edward se dégagea, fébrile.
- Non, le contredit Roy malgré le regard incendiaire que cela lui valut. On va rentrer, se remettre de nos émotions et réfléchir correctement à tout ça.
Edward recula d'un pas, défiant. Roy savait que ce n'était pas vraiment contre lui mais contre lui-même. Depuis les évènements de Fosset, Edward n'était plus ce qu'il avait été et il se détestait pour ça. Il détestait aussi les moindres marques de douceur ou d'attention. Il ne voulait aucune trace de compassion. C'était sans doute parce qu'il avait pitié de lui-même alors que les autres, eux, ne souhaitaient que l'aider à surmonter cette épreuve.
- Ed, s'il te plait, supplia Roy. Je viens de rentrer. On s'est disputé ; maintenant on se retrouve à devoir faire une enquête pour retrouver une montre… Je crois qu'on peut se poser deux minutes pour envisager ce qu'on doit faire, non ? Et être ensemble deux secondes.
- Tu voulais te barrer, il me semble !
- Bien sûr que je veux pas me barrer ! s'impatienta Roy. Tu me fais perdre mes moyens, tout le temps, à chaque seconde, et je ne sais juste plus quoi faire avec toi ! Tu agis comme ça te chante et, moi, je dois suivre, mais c'est pas facile de te suivre, tu sais ? Je le ferai. Toujours. Sauf que, parfois, il faut que tu acceptes le fait que ce soit à toi de me suivre un peu.
Il tendit une paume ouverte vers le ciel. Edward lui fit l'effet d'un animal farouche.
- Aller, viens, osa timidement sourire Roy. On va trouver une solution ensemble.
Edward grommela quelque chose dans sa barbe fournie et accepta finalement la main tendue. Sa peau était fiévreuse et Roy l'attira vers lui pour l'enlacer. Il avait envie de lui dire que tout irait bien, qu'il était là pour gérer la situation, pour le soutenir et pour régler ses problèmes. Mais Edward n'accepterait jamais ça ; se renfermerait dans sa carapace et s'éloignerait encore de lui. Alors il se tut et le serra jusqu'à ce qu'il se dégage.
- Bon, on y va ? grogna-t-il en ouvrant la marche.
- T'es pudique, maintenant ? le taquina Roy en le suivant.
- Ca va pas la tête de me prendre dans tes bras en pleine rue ? Non mais. Pourquoi tu m'embrasses pas tant que t'y es ? C'est toi qui devrait être un peu plus raisonnable.
- Oh, tu vas me faire une leçon sur ce qu'il est raisonnable de faire ou non, maintenant ?
- Ca se pourrait bien, oui.
Roy adorait lorsqu'il était espiègle.
- C'est l'hôpital qui se moque de la charité, soupira-t-il, faussement lassé.
- On dit « qui se fout ».
- Non, c'est juste toi qui es vulgaire.
- Nia nia nia.
- Non mais t'as quel âge ?
- Le dernier arrivé est un souffleur du sud !*
- Hein ?
Edward était déjà parti en courant lorsque Roy comprit l'insulte. Il le poursuivit aussi vite que possible et parvint à le retrouver lorsqu'il atteignit la haie qui entourait leur jardin. Edward sauta par-dessus le portique aussi aisément qu'un athlète en pleine compétition et se précipita jusqu'à la porte d'entrée tandis que Roy, moins agile, se fit distancer. Il le rattrapa pourtant à l'intérieur de la maison où il le ceintura pour le plaquer au sol et, contre sa joue, il sentit sa poitrine le secouer d'un éclat hilare. Le militaire se redressa au-dessus de lui, les sourcils artificiellement plissés.
- Tu triches, l'accusa-t-il, boudeur.
- Tu devrais revoir ton langage hermétique*, se moqua Edward.
- Comme si j'avais que ça à faire.
- C'est à cause des gens comme toi que le mot « souffleur »* existe.
- Oh, arrête ! C'est plutôt à cause des gens comme notre cher généralissime.
- C'est pas ce que tu aspires à devenir ?
- Oh ! Toi !
Les yeux d'Edward brillaient de malice et les entrailles de Roy fondirent. Ces sensations-là s'imposaient à lui avec une force qu'il ne pouvait contenir. Il se pencha pour déposer ses lèvres sur les siennes, la main calleuse d'Edward se perdit sur sa nuque et il frissonna : une tonne de papillons se mit à voleter dans sa poitrine ; il se sentit respirer de nouveau. Dire qu'il s'était engueulé avec lui au sujet de-
Oh.
Il rompit le baiser pour relever la tête vers le salon. Les paupières d'Edward s'ébattirent quelques secondes avant qu'il ne finisse par lever le menton pour observer le séjour à l'envers. Gabin, sur le fauteuil, les fixait bouche-bée, le souffle suspendu.
- Ah… fit Ed.
- Ca tu peux le dire, oui, « ah », railla Roy.
- Aller dégage, bâtard.
Roy se releva à contrecœur tandis qu'Edward se retournait pour faire face à un Gabin blafard.
- Bon, fit Edward, maladroit. J'espère que tu avais compris…
Gabin ne bougeait toujours pas, visiblement choqué.
- Hey… Ca va ? s'inquiéta Ed en se redressant.
- Mais… bégaya le garçon. Mais…
- Ah… Tu n'avais pas compris, donc.
- Comprendre quoi ?
- … Que, Roy et moi, tu vois, on est pas que amis.
- … Hein ?
- Gabin, sérieusement, tu nous as vu dormir ensemble, nous chamailler et tout et tout. Je veux dire… Ca se voit, non ?
- Mais… Pourquoi vous vous êtes embrassés ? Et ta copine ?
- … Ok. Bon, c'est simple Gabin. Il n'y a pas de copine. Ma petite-amie, c'est en fait un petit-ami. Et c'est Roy. On vit ensemble. C'est lui qui m'a envoyé les lettres à Skiela.
- … Mais… T'es… On dirait pas que t'es… pédé.
Edward ouvrit la bouche sans savoir quoi dire et bégaya quelque chose d'incompréhensible qui, de toute manière, fut couvert par Roy qui s'était mis à pouffer sans pour autant lui venir en aide. Mieux que ça, il avait croisé les bras et observait la scène avec autant d'enthousiasme que s'il s'était agi d'un spectacle comique.
- Je suis pas… Je suis pas comme ça ! Et on dit pas « pédé », on dit « gay », ou bie-
- Bien sûr que tu l'es, l'enfonça Roy à qui Ed envoya un regard noir.
- Non ! C'est juste avec Roy que ça me fait ça. Écoute, Gabin, y'a des choses, dans la vie, qui s'expliquent pas. Ça, ça en fait partie. On est ensemble. Maintenant tu sais. Voilà.
Le regard de Gabin passait de l'un à l'autre, visiblement mal à l'aise avec cette idée. Ce qui avait paru drôle à Roy de prime abord se transforma en incertitude. Non pas qu'il soit particulièrement touché par la manière dont pouvait bien le juger ce gamin opportuniste et squatteur, mais il percevait dans l'expression d'Edward une sorte de halte caractérisée par un souffle retenu. Roy passa une main légère dans son dos :
- Respire, lui suggéra-t-il doucement.
Et puis, si le gosse ne pouvait pas accepter ça, au moins, il s'en irait.
Pourvu qu'il se barre…
- Est-ce qu'Isa le savait ? articula finalement Gabin avec incertitude.
- … Oui. Elle savait tout.
- Elle a dit quoi ?
- Elle était contente pour moi.
- Depuis quand… ?
- Depuis quand elle savait ? Depuis qu'on s'est revu chez Madeleine.
- Ah…
- Tu sais, il y a plus grave que ça, tenta de minimiser Edward.
- Ce n'est pas grave, corrigea Roy. C'est comme ça. C'est la vie.
- Oui, approuva Edward qui ne savait plus vraiment comment s'exprimer. Pardon. Ce que je veux dire, c'est que… putain, qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Valentin, à la limite, ça aurait pu lui faire faire une crise cardiaque que ça m'aurait pas étonné. Mais toi, franchement… Faut être ouvert à tout, et puis c'est tout. Avec toutes les merdes qui se passent dans ce pays, s'il y a du bonheur à prendre quelque part, faut le saisir. C'est pas comme l'alchimie, ça. Ça se transmute pas. Tu verras quand tu seras plus grand.
- Je tomberai jamais amoureux ! se défendit aussitôt Gabin.
- Oui, ben, on verra ça, se moqua Ed en levant les yeux au ciel.
- Bon, coupa Roy. Maintenant que plus personne n'a plus de secret à révéler à personne, est-ce qu'on ne pourrait pas revenir sur cette histoire de montre ?
- Oh ! fit Gabin en sortant une montre qui était dans sa poche. J'ai récupéré celle-ci dans la haie. Par contre, je crois qu'elle est cassée.
Edward s'avança pour la récupérer et le remercia. Il ouvrit le couvercle ouvragé dans ce style particulier qu'il aimait pour constater que la glace était fissurée et que les aiguilles avaient cessé de tourner.
- Bah bravo, grommela Ed en jetant un coup d'œil accusateur à Roy.
- Ça va, dédramatisa le militaire. Un coup d'élixirologie et elle sera comme neuve. Ce sera une bonne leçon pour ton morveux d'apprenti.
- Hey… ! se défendit ledit morveux sans trop d'assurance.
- Je vais la ranger dans mon bureau, soupira Edward en montant à l'étage.
Roy l'écouta partir, puis se tourna, sévère, vers Gabin.
- Je te préviens, avisa Roy qui prit l'avantage du départ d'Edward et du malaise évident du gamin. Si tu restes ici, ça ne va pas être une partie de plaisir. Non seulement tu devras me rendre des comptes sur ton apprentissage – et si tu n'es pas assez doué, je te vire -, mais en plus tu vas devoir payer ton loyer. Ménage, cuisine, jardinage… Tout. Le moindre faux pas et tu t'en vas. C'est compris ?
Un peu plus et Roy aurait pu voir des sueurs froides apparaître sur le front blême de l'adolescent. Il en tira une certaine satisfaction qu'il dissimula sous un masque sérieux.
- O… Oui, monsieur, bredouilla le blond.
- Bien. Et, bien sûr, tu ne sors pas d'ici. Et si tu dois le faire, c'est avec ton déguisement, et le plus discrètement possible. J'ai déjà eu des réflexions de la part voisinage au sujet de la présence d'Edward, alors si vous vous mettez à vous multiplier, ça ne va pas le faire. Pas d'alchimie dans le jardin. Pas de cri. Pas de-
Roy entendit des pas dans les escaliers et conclut rapidement avant qu'Edward ne réapparaisse :
- Bref. Tu te tiens à carreaux.
Gabin hocha vivement la tête, la mâchoire serrée, tandis qu'Edward frappait sans ses mains sans s'être rendu compte de la tension ambiante :
- Bon, alors ! fit-il avec enthousiasme. Il nous faut un plan.
Le plan fut constitué d'une première étape relativement simple : Edward devait faire son enquête dans les journaux archivés de la bibliothèque publique d'East City et ainsi comprendre ce qui était arrivé à Franz Bauer. Cela se révéla relativement ardu puisque tous les médias, s'ils en parlaient, ne donnaient pas toutes les informations essentielles. Comme si le cœur du sujet avait été censuré. L'affaire ne remontait pas à loin : un mois auparavant, William Ermberg avait été mis en état d'arrestation pour collaboration avec le groupe terroriste Ocre, partisan des agissements d'Isabelle Alstatt. Cela n'avait rien d'étonnant puisque William n'était autre que le parrain de la jeune femme. Ce fait-divers avait fait polémique pendant quelques jours, puis avait été étouffé par d'autres arrestations qui, de toute manière, sévissaient plus que régulièrement dans la région sud. Celle de William Ermberg paraissait anecdotique au milieu de tout ce chaos.
Malgré tout, Edward s'était senti coupable de n'avoir pas fait attention aux actualités. Après tout, c'était grâce aux contacts de William et à ses talents d'aiguilleur qu'ils avaient pu détourner le train de marchandise vers Fosset afin d'en évacuer la population. Mais il avait déjà été arrêté, puis relâché, au mois de septembre. Cette nouvelle arrestation ne faisait que prouver l'activité « criminelle » qui avait toujours lieu dans le sud et qui se revendiquait au nom d'Eric Ford et d'Isabelle Alstatt.
Il apprit par ailleurs que les journalistes parlaient d'elle au présent. Comme si elle n'avait pas été tuée, comme si elle était l'instigatrice de tout ceci. Pourtant, il avait lu, dans les journaux clandestins, des témoignages qui affirmaient le contraire. William Ermberg avait par ailleurs été le premier prévenu avec le retour de Gabin à Marco et le sauvetage d'Eric Ford. Il avait sans doute vu son cadavre, avait probablement aidé à l'inhumer.
Alors qu'Edward, lui, dormait profondément dans le cabinet de Franz Bauer.
Son cœur l'étouffa. Il aurait voulu être là, creuser pour l'enterrer, être présent jusqu'au dernier moment, assumer la responsabilité de cette perte.
Dans la bibliothèque, Edward laissa échapper un soupir saccadé et se remit à feuilleter les autres documents. Ce n'était pas le moment de se laisser aller à la culpabilité : il avait le moyen d'aider ceux qui étaient encore en vie, alors il n'avait aucun temps à perdre. Et puis, les lieux publics, ce n'était plus vraiment son fort. À tout moment, il pouvait être reconnu. À tout moment, les gens chuchotaient dans son dos, pointaient son déguisement foireux, l'armée l'emportait dans un tourbillon bleu et l'homonculus dévoilait ses dents dans une grimace victorieuse. Et alors, que révèlerait-il entre ses mains ? Hurlerait-il son véritable nom ? Se saboterait-il au péril du pays ? Trahirait-il Roy et Gabin qui se croyaient en sécurité dans leur maison ? Parlerait-il comme William Ermberg avait parlé ?
Son poing se crispa sur l'article de journal. Il ne mentionnait pas le nom William Ermberg, mais la brève ne pouvait accuser que lui : « Aiguillés par un terroriste arrêté depuis peu à Marco, les militaires ont pénétré le domicile de Franz et Kathrin Bauer. Ils y ont trouvé des preuves de l'appartenance de l'homme au groupe terroriste Ocre, mais le criminel avait lui-même déserté les lieux. Chirurgien exerçant dans le village de Leipzig, près de Marco, depuis dix-sept ans, Franz Bauer est accusé d'avoir accueilli et caché Eric Ford et Isabelle Alstatt après leur fuite de Fosset, le 17 septembre dernier ».
Alors voilà : Franz avait fui lorsque William avait été arrêté et il avait bien fait. Maintenant, Alice Ermberg et Kathrin Bauer étaient sûrement surveillées et leurs courriers lus. Pour les contacter et discuter avec elles, c'était mission impossible.
- Je m'en occupe, assura Roy lorsqu'Edward lui rapporta toute l'histoire. Et je vais essayer de voir où en est le procès de William mais je ne te promets rien.
Edward n'avait en effet rien trouvé à ce propos. À vrai dire, tous les procès restaient obscurs dans la presse. Beaucoup de gens étaient emprisonnés ou condamnés à mort et cela ne plaisait pas à l'opinion publique. Mieux valait donc taire les décisions de la justice ou, en tout cas, ne pas trop insister sur les verdicts rendus. Les rapports étaient bien entendu disponibles au grand public, mais leur consultation incluait la présentation d'une carte d'identité et ce n'était jamais bon signe d'avoir son nom marqué quelque part dans les affaires gouvernementales. Surtout lorsque, comme Edward ou Roy, on avait quelque chose à se reprocher.
- Tu crois que je devrais en parler à Gabin ? hésita Edward.
- Il n'est plus à ça près, avait vaguement argumenté Roy.
Alors, Edward lui avait anoncé. Gabin l'avait remercié pour son honnêteté mais s'était assombri. Alice Ermberg, la femme de William, était sa marraine. La raison principale pour laquelle ils étaient désormais dans la mire du gouvernement n'était autre que lui-même. Après tout, c'était lui qui était allé les voir pour leur demander de l'aide, pour sauver Éric, pour ressusciter sa sœur.
- Ce n'est pas de ta faute, avait souri Edward avec douceur. Les responsables, c'est le gouvernement et tous ceux qui se cachent derrière. On va gérer ça, ne t'en fait pas. Il nous faut juste un peu de temps. Aller, viens. On va s'entrainer dans le jardin.
D'aussi loin qu'Edward se souvienne, il avait rarement vu une personne aussi médiocre dans l'art du combat. Certes, Gabin n'avait que treize ans. Mais il avait une bonne endurance, une constitution physique meilleure que la sienne au même âge, une taille avantageuse et il apprenait vite. Le problème, c'est qu'il retenait ses coups et commettait toujours des erreurs stupides qui l'envoyaient tout droit au tapis.
- Enfin, Gabin ! Mets-y un peu de nerfs !
- C'est pas de l'alchimie, ça !
- L'alchimie, c'est l'union du corps et de l'esprit ! Il faut que tu tiennes la route, mon grand !
Gabin se relevait, retentait quelque chose, passait la majorité de son temps à esquiver les coups qu'Edward lui assenait et finissait la tête sous l'eau, dans la cuisine, essoufflé et couvert de bleus.
- Je vois que tu t'es encore prit une raclée, remarqua Roy, déposant sa veste militaire sur une chaise.
Le garçon sursauta, se cogna le crâne contre le robinet et releva un visage dégoulinant vers le militaire qui se laissait tomber sur sa chaise.
- Je vais m'améliorer ! bafouilla Gabin en s'essuyant maladroitement. Je fais de meilleurs progrès en alchimie.
- Vous en êtes où ?
- On a fini l'apprentissage des signes des métaux, déglutit Gabin. Maintenant, on apprend les combinaisons dans les cercles.
- Toujours pas de transmutation ?
- Non, mais ça va venir !
- Mm, sourit Roy.
Le garçon était presque au garde-à-vous et le militaire ne pouvait s'empêcher de trouver un malin plaisir à l'intimider de cette manière. À vrai dire, il ne s'attendait pas à s'amuser autant de la présence de l'adolescent. Il semblait qu'il lui avait fait une forte impression et il lui vouait une forme de respect à laquelle il ne s'attendait pas. Cela lui donnait l'avantage de lui mettre la pression par sa simple présence et il se plaisait également à observer sa retenue lorsqu'il se permettait certains gestes envers Edward. Roy n'était pas du genre démonstratif, surtout pas devant les autres, mais depuis que Gabin était arrivé, il ne se gênait plus. Juste pour l'emmerder.
- Où est Ed ? interrogea-t-il d'ailleurs.
- Dehors. Je crois qu'il finit de s'entrainer tout seul.
Malgré la mauvaise volonté dont il faisait preuve pour paraître agréable, Roy devait reconnaître qu'Edward avait changé depuis que le morveux était arrivé. Il était toujours la même personne, bien sûr, mais il lui semblait qu'il avait retrouvé une gaieté qu'il avait perdue depuis qu'ils étaient revenus en ville. Son attention s'attardait moins sur les ombres de la maison, ses yeux ne se focalisait plus aussi régulièrement sur le vide et, surtout, son sommeil s'était apaisé. Il lui arrivait désormais de passer des nuits entières sans se réveiller en sueurs.
- Tu me files un verre d'eau ? demanda Roy.
Gabin s'exécuta.
J'y suis peut-être allé un peu fort, avec lui…
Roy le remercia et but une gorgée d'eau tandis que Gabin tentait de s'esquiver hors de la pièce, loin de lui.
- Tu sais, l'arrêta Roy après un instant d'hésitation. Ed est un très bon combattant. Même moi, alors que je suis militaire et que je m'entraine régulièrement, je n'arrive pas à le battre. Je ne sais même pas si je ferai le poids s'il avait ton âge…
Le Fullmetal était en ville, en ce moment. Il l'avait vu pas plus tard que le matin et il avait dû traiter son rapport. Pour une fois, il n'avait pas détruit la moitié d'une ville, mais les personnes qu'il avait arrêtées étaient dans un sale état. Le garçon n'avait pourtant pas utilisé l'alchimie contre eux. Il s'était contenté de les frapper.
- Peut-être que tu ne le battras jamais, rassura Roy avec un sourire un peu lointain. Mais ça ne veut pas dire que tu es nul.
Il y eut quelques secondes de flottement, puis les yeux de Gabin pétillèrent de fierté.
- Merci, s'égaya-t-il avec un tel entrain que le cœur de Roy manqua un battement.
Il va croire que tu l'encourages, espèce d'idiot !
- Aller, va réviser, grommela le militaire en détournant les yeux vers la porte-fenêtre.
Il entendit le morveux s'éloigner et il se pinça l'arête du nez lorsqu'il monta les escaliers. Il avait l'impression d'être entouré de gamins partout où il allait et ça ne faisait pas du bien à son cœur de pierre. Il n'avait jamais aimé les gosses. Et maintenant, il se retrouvait avec l'un d'eux comme subordonné, un autre dans sa maison, et un dernier à qui il devait parler quotidiennement au téléphone sous prétexte qu'il était son parrain. Elysia ne savait même pas parler, en plus.
- Oh, tu es rentré, constata Edward tandis qu'il poussait la porte, une serviette autour de son cou trempé de sueur.
- Tu as fini ton entrainement ?
- Ouaip ! Ça fait du bien ! Mais Gabin ne fait aucun progrès.
- Ca ne fait même pas deux semaines qu'il est là.
- Trois semaines. Et tu le défends, toi, maintenant ?
- Quoi ? Non. C'est juste un constat.
- Mm… sourit Ed d'un air plein de sous-entendus.
- Oh, m'emmerde pas, je suis pas d'humeur.
- C'est facile, comme pirouette, tient.
- En plus le Fullmetal est dans les parages alors fais gaffe, je pourrais vite m'énerver contre toi.
- Qu'est-ce que j'ai en- qu'est-ce qu'il a encore fait ?
- Pour une fois, ça va. Mais il est d'une violence, ce gosse. Et insolent, en plus. Qui aurait pu deviner qu'un aussi petit machin pouvait causer tant de problèmes ?
- Le « petit machin » fait ce qu'il peut dans ce monde d'adultes pourris, grommela Edward qui se passa un coup d'eau sur la figure.
- Tiens, d'ailleurs, j'ai ramené son rapport. Il y a un passage que je comprends pas du tout, et Hawkeye non plus, d'ailleurs. Je me suis dit que tu pouvais peut-être m'aider à décoder.
- Ca va, minimisa Edward en levant les yeux au ciel. C'est pas des hiéroglyphes, non plus.
Ils s'attablèrent autour du rapport pendant un moment pendant lequel Edward ne mit pas une minute à « traduire » ce que le commun des mortels n'était visiblement pas capable de décrypter. Le reste du temps se résuma en un Roy qui essayait vainement de lire des mots qui ressemblaient littéralement à des lignes aussi plates que le sont celles d'un électrocardiogramme de mauvais augure :
- Regarde, là, insistait-il. Ce n'est même pas un mot !
- C'est écrit "voierie", gronda Edward qui commençait à perdre patience. Ce n'est quand même pas si compliqué !
Gabin entra dans la cuisine à ce moment-là et Roy le prit aussitôt à partie :
- Gabin, tu tombes à pic. Viens voir. Tu arrives à lire ce mot, toi ?
Gabin se pencha sur le rapport et lu avec incertitude.
- Ouarle… ?
- Voierie !
- Tu n'aurais même pas besoin de coder tes carnets alchimiques !
- Achetez-vous des yeux, bordel ! Gabin, qu'est-ce que tu fais ?
- Je voulais aider à faire le repas, répondit-il en jetant un bref coup d'œil à Roy qui sourit en passant un bras par-dessus les épaules d'Edward.
- T'inquiète pas pour ça, va. On va s'en occuper, assura Edward avant de tourner son attention vers Roy. Qu'est-ce que tu fous ?
- J'ai pas le droit de mettre ma main dans ton dos ?
Edward plissa les yeux. Il n'était pas dupe. Il avait surpris, plusieurs fois, l'attitude de Roy envers Gabin, lorsqu'ils se retrouvaient seuls tous les deux. Il avait quelque chose de cette arrogance agaçante, de cette supériorité nonchalante dont le Colonel avait fait preuve avec lui, jeune. Lorsqu'il était là, Roy se montrait affable, mais son attitude puait l'hypocrisie et, surtout, la provocation.
D'un geste naturel, Edward se dégagea de ce bras cajoleur qui n'avait d'autre but que d'embarrasser. Roy était très fort pour jouer au con. Mais Edward rivalisait aussi, dans ce domaine. Ses lèvres s'étirèrent et, indûment innocent, il lança une bombe naïve qui ne pouvait qu'ennuyer le militaire sous son visage aimable.
- Tu ne travailles pas ce weekend, Roy, si ? J'en ai un peu assez de rester enfermé ici. Et si on allait tous les trois à la campagne ? Au bord d'un lac. On pourrait pêcher. Passer du temps ensemble au grand air. Ça vous permettrait de mieux vous connaître, tous les deux.
Roy allait refuser, mais Edward, impérieux, le devança : super, c'est tout décidé. Ça nous fera du bien à tous. Rester en ville autant de temps, ce n'est pas une vie. Ah, ça me fait plaisir ! Je vais préparer tout ça.
Il voulait les réunir, leur permettre de créer un lien plus sain et, contre toute attente, son plan fonctionna bien. Trop bien. Sitôt qu'il se mit à les lever avant l'aube pour les faire courir tous les deux – « Ouais, t'es peut-être pas mon élève, mais si t'es pas capable de me battre alors que t'es Colonel, tu mérites autant que lui ton entrainement, bâtard ! » - et entreprit de leur faire subir toutes sortes d'exercices physiques, Roy fit de Gabin son allié. Ce weekend, changé en camp d'entraînement par Edward, se mua très vite en une colonie de vacances où des adolescents particulièrement diaboliques se mirent à en faire voir de toutes les couleurs au seul animateur de l'organisation.
D'un côté, Edward espérait que cela se passerait ainsi, mais il était loin de s'imaginer que les deux autres passeraient leurs journées à lui faire des crasses de gamins, à l'empêcher de dormir, à ricaner dans son dos et à inventer des jeux puérils pour le rendre chèvre. Roy apprit même à nager à Gabin dans le simple but de pouvoir se moquer d'Edward le lendemain matin :
- Bah alors, tu viens pas faire ton entrainement aquatique matinal avec nous ? Qui aurait pu croire que le graaand alchimiste Edward Elric était incapable de nager ? T'as quel âge ? Deux ans ?
- J'ai un automail, espèce de débile mental !
- Oh, des excuses, toujours des excuses…
- Tu fais exprès d'aller sur ma ligne de pêche, en plus ?! Enfoiré, je vais te mettre la raclée !
- Et comment tu vas faire ? Couler jusqu'à moi ?
- C'est pas comme si tu pêchais grand-chose, de toute façon, fit remarquer Gabin.
- Te la ramènes pas, toi. Je t'ai pas fait subir l'entrainement que mon maître m'a fait subir, mais il est pas encore trop tard… !
- Oh, t'es si mignon quand t'es tout rouge de colère.
- Berk.
- Reviens sur la plage, tu vas voir ce qu'il va te faire le micro-nain-si-mini-qu'on-ne-le-remarquerait-pas-au-milieu-d'une-colonie-de-fourmis-rouges !
- J'en ai pas tant dit mais le surnom est juste.
- Raaah !
Une canne à pêche brisée plus tard, Gabin se retrouva à devoir attraper du poisson à la main tandis que Roy essuyait dans le bois d'à côté un châtiment plus brutal – quoique pas franchement déplaisant. La nuit tombée, ils mangèrent du brochet qu'Edward prit sans grande difficulté là où Gabin avait passé l'après-midi les pieds dans l'eau sans réussir à harponner ne serait-ce que le miroitement de l'un de ces animaux aquatiques. Roy avait apporté une bouteille de whisky et les deux hommes se mirent rapidement à déblatérer des stupidités ponctuées d'éclats de rires ; et plus l'alcool coulait, plus leurs esprits embrouillés empruntaient des routes aléatoires que Gabin s'efforçait de suivre à grand-peine. À la fin, l'alchimie revint sur le tapis et Edward décréta soudain qu'il était temps pour Roy de faire une démonstration flamboyante à laquelle il ne rechigna même pas. Les pupilles du garçon s'étrécirent face au phénomène de ces particules dans l'atmosphère, zigzagant en éclairs clairs pour déchirer l'espace et exploser en un tourbillon de flammes. Leurs cheveux volèrent sous l'ombre des étincelles, modestes particules courant mourir sur la surface d'huile du lac. Les yeux d'Edward pétillaient. Il aimait l'alchimie. Il la sentait courir dans ses veines, emprisonnée dans une pièce sans issue. L'élixirologie était là, mais…
- Alors, comprit Gabin, ému. C'est comme ça que tu rentres chez toi ? Tu ouvres le ciel avec cette foudre et tu t'engouffres dans le temps ?
Roy se laissa tomber sur le sol, admirant la silhouette obscure d'un horizon perdu entre la lune et les étoiles. Son regard flou laissait deviner l'absence de son esprit, laissant là ses traits tirés en un sourire perdu.
- J'en sais rien, marmonna Ed. J'ouvre un chemin.
- Quand est-ce que tu vas partir ? insista l'apprenti.
- Tais-toi. Sûrement jamais. Et n'en parle pas à Roy, chuchota-t-il avant de reprendre, plus fort. Aller, c'est à toi de faire de l'alchimie.
- Sérieusement ? J'en ai jamais fait !
- Il faut bien une première fois à tout.
Edward ramassa un bâton et le tendit à Gabin avant de s'approcher de la plage, mélange de galets et de feuilles mortes que l'hiver avait laissées là. Il s'accroupit, nettoya un bout de rivage.
- Ici, grommela-t-il en se laissant tomber sur les fesses. Fais ton office, alchimiste.
Gabin s'approcha, un peu raide, et entreprit de dessiner plusieurs cercles qu'Edward approuvait où non d'un grognement rendu pâteux par l'alcool. Lorsqu'il lui sembla que tout était prêt, le petit blond s'accroupit auprès des formes tracées et déposa ses doigts sur les bordures du cercle. Il connaissait la théorie. La force de la terre, la tectonique des plaques, la compréhension de la matière, son appropriation, sa décomposition, sa reconstitution. C'était tellement abstrait, et pourtant tellement vrai. Il avait vu la grange du chalet se dresser en quelques minutes. Il avait vu l'étincelle de Roy embraser l'air du soir.
- Ce caillou, intervint Edward en saisissant une pierre abandonnée sur la plage. Il y a un temps inimaginable, il était sous nos pieds, aussi chaud que le soleil. Il est remonté à la surface : c'était une montagne. Le vent, la pluie, les tempêtes… Tout ça, ça a fini par la rabougrir. Et puis, maintenant, il n'y a plus que des collines autour de nous, et ces bouts de roches minuscules. Elles étaient peut-être un sommet, autrefois. Demain, elles seront seulement du sable, retourneront dans la terre, fusionneront avec le feu. Et puis, elles composeront d'autres montagnes. C'est un cycle éternel. Il faut le comprendre. Il faut, plus qu'y croire, le savoir. L'être. Cette force tellurique, tu peux la sentir. Saisis-là. Transforme ces galets en montagne.
- « L'être » ? Tu as déjà été ce que tu as transmuté ?
Edward fronça les sourcils. Ses paroles dépassaient sa pensée. Et pourtant…
- Avec l'élixirologie, je crois bien que oui…
- Alors pourquoi est-ce que tu m'apprends l'alchimie ?
- Parce que je sais faire. Parce que je la comprends mieux. Et parce qu'elle est sûre.
- Et si je veux apprendre l'élixirologie ?
- Alors tu iras à Xing. May est un excellent maître, même si j'ai jamais rien pigé à son blabla.
Gabin pouffa. Edward partagea son amusement en dévoilant ses dents à la nuit.
- Bon, tu l'actives, ce cercle ?
Le blondinet hocha la tête et se concentra de toutes ses forces. Roy trébucha jusqu'à eux, s'installa sur un tronc d'arbre tombé non loin de son compagnon. Ses doigts cherchèrent les siens et se lièrent. Gabin aurait sûrement aperçu cette proximité si des éclats électriques n'avaient pas commencé à mordre la poussière pour éclairer la rive. La terre se souleva sous ses mains, grandit dans une fusion de roche, s'éleva d'une dizaine de centimètres avant que la lumière ne s'estompe.
- Hey, s'enthousiasma Roy. Bien joué, le morveux.
- Hé ! s'exclama Edward en bondissant sur ses pieds. C'est qui le meilleur des maîtres, hein ?!
- J'ai réussi ? articula Gabin, dépassé.
- Je crois bien que oui, sourit Edward en se baissant pour admirer l'œuvre. Qu'est-ce que tu as voulu transmuter ?
- Une montagne… ?
- Ah ! se moqua Roy. Eh ben, t'es modeste toi. Et ta montagne aussi, remarque. Mais dix centimètres, c'est une grosse montagne pour les fourmis.
- Te moque pas ! s'indigna Gabin.
- L'important, ce n'est pas ce que tu as fait, sourit Ed. C'est comment tu l'as fait. Maintenant que tu as ouvert cette porte, tu ne vas plus pouvoir la refermer. T'es fichu, mon grand.
D'une main gauche, il ébouriffa les cheveux de son jeune élève. Son sourire se perdit dans le noir et Gabin étouffa un cri de joie qui le poussa dans les bras de son maître. Ils glissèrent dans l'eau, éclatèrent d'un rire qui ricocha sur le lac, eurent froid et se réfugièrent dans leurs tentes, au fin fond de leurs sacs de couchage. Dans les bras de Roy, Edward ferma les yeux et s'assoupit au moment où le bonheur effleura son âme.
*Les alchimistes ont très tôt développé un langage codé pour parler des différents concepts qui régissent l'alchimie et pour éviter que n'importe qui ne s'approprie leur savoir. Ce langage est dit "hermétique". Le sud représente l'élément Feu en alchimie. Le mot souffleur, quant à lui, désigne une personne qui se dit alchimiste et qui chercher à transmuter le plomb en or par tous les moyens. Le mot souffleur est donc une insulte, désignant ainsi un faux alchimiste, une personne qui fait de la mauvaise alchimie. Lorsqu'Edward traite Roy de "souffleur du sud", il le traite en fait de (très) mauvais alchimiste du feu.
