Chapitre 8

Le poisson cuit, les courgettes frémissent et la sauce se réchauffe doucement. La table du salon, plus grande que celle de la cuisine, est dressée et nos invités sont sur le point d'arriver. Enfin, les invités de Charlie. Ça fait longtemps que je n'ai pas vu Billy, j'avais 8 ans et demi, la dernière fois et il était si grand que je me disais qu'il lui serait si facile de m'enlever mais j'étais petite à l'époque... maintenant, je suis presque aussi grande que lui alors il aura plus de mal à mettre ses plans en œuvre. Enfin, il a dû passer à autre chose, depuis le temps, non ? Ça toque à la porte et je repose la cuillère en bois sur le plan de travail. Je devrais peut-être cracher dans les courgettes pendant qu'il en est encore temps ?

« Bells, tu peux ouvrir ? Crie Charlie depuis l'étage.

Je vais ouvrir et découvre Jacob en bas des trois marches à côté d'un cinquantenaire en fauteuil-roulant. Bon, il aura même plus de mal à me kidnapper que prévu. Je leur souris et les salue.

« Bonjour Bella, me salue Billy sans répondre à mon sourire.

Jake pour sa part est plus enthousiaste.

« Salut Bella, sourit-il. Tu peux décaler ?

« Ouais, bien sûr.

Je me recule, Jake fait tourner le fauteuil de Billy et lui fait grimper les trois marches en reculant.

Le repas est bizarre. Charlie discute avec Billy, Jake discute avec moi mais le regard de Billy semble toujours revenir sur moi et j'ai l'impression qu'il veut entendre tout ce que je peux dire. Bien sûr, ni Jake ni Charlie ne remarquent son petit jeu et je me demande s'il a encore l'idée de me kidnapper, surtout maintenant que je suis grande et que ce serait, du coup, un peu moins grave. Je veux dire, mes parents ont eu le temps de profiter de ma présence, alors... je soupire, j'aurais dû cracher dans les courgettes.

Charlie et Billy s'installent pour regarder le match et je suis mal à l'aise de rester dans la même pièce que mon potentiel futur kidnappeur alors je propose à Jake de sortir faire un tour.

« Il est tard, lance Billy.

Jake et moi nous tournons vers lui, le regard de Billy est sérieux.

« On va juste prendre l'air, précisé-je.

« On ne sait pas ce qui rôde dehors, la nuit.

Est-ce que maintenant, il essaye de me protéger ? Ou de protéger Jacob de moi ? Je ne suis qu'une menteuse, je n'ai jamais blessé personne. Ou alors... c'est une menace... un genre de message cryptique pour me faire comprendre qu'il finira par m'enlever, un jour.

« Il n'y a pas de criminalité à Forks, déclare Charlie. Le pire que nous ayons eu ces dix dernières années, c'est un chat coincé dans un arbre et la disparition de la voiture de Mme Sanders qu'elle avait garée dans la rue d'à côté.

« On ne devrait plus laisser Mme Sanders conduire, à son âge.

« C'est pourtant elle qui conduit le mieux dans cette foutue ville, rit Charlie. Laisse les jeunes sortir, ils sont trop vieux pour passer la soirée avec leurs pauvres parents.

Jake et moi attendons l'assentiment de Billy, il finit par hocher la tête. Je souris pendant que Jake les remercie.

« On dirait que ton père a peur de te laisser seul avec moi, commenté-je alors que nous descendons la route.

« Ouais... pour une raison que j'ignore, il ne te fait pas confiance.

Je grimace, consternée.

« La dernière fois qu'il m'a vue, j'avais 8 ans et demi et il était déjà bizarre avec moi. Comment tu peux ne pas faire confiance à une gamine de 8 ans et demi ?

« Il est vieux et con, laisse tomber. Je pense qu'il est trop influencé par nos légendes.

« Vous avez des légendes ?

« Une, en fait mais on peut la séparer en deux légendes distinctes, la seconde découlant de la première.

« C'est quoi ?

« Je ne suis pas supposé en parler aux visages pâles.

« Mais... ce ne sont que des légendes, non ?

« Ouais mais... de toute façon, si on cherche bien, elles sont trouvables dans un livre.

« Évite-moi ces longues recherches, le supplié-je.

Il ricane.

« Je ne vais certainement pas raconter tout ce que je sais mais mon peuple est proche des loups.

« Loups qui ont visiblement désertés votre forêt.

« Ouais, en effet. Mes ancêtres auraient pu, selon la toute première légende, transvaser leur esprit dans celui des loups afin de chasser, tu sais, loups et hommes ensemble, dans le même corps.

« Et donc ? Ton père pense que je suis responsable de la disparition des loups dans les environs ?

« Qui sait ? Ricane-t-il. C'est juste que mon père est très superstitieux et le jour de ta naissance, beaucoup de serpents sont sortis de leur nid autour de Forks.

« Et genre quoi ? Il a pensé que du haut de ma première minute de vie, je contrôlais les serpents ?

« J'en sais rien. Les anciens de ma tribu sont très sensibles aux signes et parfois, ils en voient là où il n'y en a pas.

« C'est pour ça que ton père passe sa vie à me fixer bizarrement chaque fois qu'il me voit ?

« Il fait ça ? Grimace Jake. Désolé pour lui, c'est un ancien et avec ses superstitions... peut-être qu'il pense que t'es une sang-froid.

« C'est quoi, ça ?

« Je sais pas, il ne m'a jamais dit. Je sais juste que les sang-froids sont les ennemis des loups.

« Comme les serpents ? Ils ne sont pas ennemis des loups mais ils ne sont pas copains non plus et ils ont le sang froid.

Il hausse les épaules.

« Ce ne sont que des légendes.


Après le départ de Billy et Jake, j'ai fait la vaisselle, pris une douche et je suis maintenant couchée dans mon lit sans arriver à dormir. Ma discussion avec Jake me trotte dans la tête. J'écarte ma couverture en soupirant et m'assois dans mon lit, j'allume ma lampe de chevet et prend mon livre de Nálson duquel je retire la sur-couverture. C'est juste une coïncidence, n'est-ce pas ? Les serpents de ma naissance, les serpents de la couverture ? Bien sûr que c'en est une.

Je repose mon livre et allume mon ordi portable. Je fais une recherche sur la signification du serpent. Pour la mythologie nordique, il est signe de morts et d'enfer. Pas étonnant que les serpents soient sortis de leur tanière puisque Forks est l'enfer sur Terre. Il est aussi symbole de connaissance, de fertilité, de cycle perpétuel, de guérison, de danger, de terreur, d'immortalité, de sexualité et de renaissance. Il est l'image du bien autant que du mal.

Un peu tout et n'importe quoi, en fait. Je ferme l'ordi et me recouche. Je ne vais pas laisser un vieux superstitieux m'embrouiller la cervelle.


En dernière heure du lundi matin, j'ai à nouveau bio aux côtés d'Edward, ce qui fait trois heures en tout. Il m'ignore parfaitement alors je me cale sur lui et l'ignore, moi aussi. Sauf que vers la fin du cours, je n'arrive pas à me retenir davantage.

« Je n'ai pas peur de toi, tu sais ?

Il me lance un regard de travers.

« Tu as essayé de me faire peur, l'autre jour mais je n'ai pas peur.

« Alors, tu le regretteras, murmure-t-il sombrement.


Après la fin des cours, je remarque qu'il y a quelqu'un dans la voiture d'Edward. Quand je m'approche, je me rends compte que c'est lui qui a dû finir plus tôt que ses frangins. De la musique classique s'échappe à travers la fenêtre entrouverte. Je grimace en me rendant compte que je vais devoir faire semblant d'aimer la musique classique, aussi. Qu'est-ce qu'il a avec tout ce qui est classique, celui-là ? Des goûts pareils, normal qu'il soit seul, il mérite. Malgré ses préventions, je n'ai aucune intention de changer de cible, je manipulerai Edward, quoi qu'il m'en coûte.

Je m'installe dans mon monstre rouge et attends moi aussi. Ses frangins arrivent finalement et montent tous dans la Mercedes. C'est comme s'ils envoyaient un gros "fuck" à leur frère qui les a attendus. Je démarre quelques secondes plus tard et suis les deux voitures car il faut que je découvre où ils habitent. Les deux voitures quittent la ville. Merde, Charlie va me tuer s'il se rend compte que j'ai quitté la ville sans lui demander ou le prévenir. La Mercedes s'arrête à la station service mais la Volvo continue la route et j'ai bien l'impression que je retourne à Port Angeles ce soir. À moins qu'ils habitent au milieu de nul part ou dans l'une des petites bourgades dispersées entre Forks et Port Angeles.

La conduite d'Edward est fluide mais sportive, il me force à dépasser les limites de vitesse, non pas que ça me dérange mais je ne sais pas si le monstre est capable de le suivre. J'ai déjà l'impression de tirer sur ses dernières forces et il est possible que mon épave finisse par se démanteler morceau par morceau. Au bout d'une trentaine de minutes, je soupire, il semble qu'Edward aie prévu une virée à Port Angeles, ce soir. Je vais encore devoir faire le plein avant le lycée, demain matin, ou ce soir en rentrant. Après 45 minutes au lieu des 60 habituelles, nous arrivons dans la ville et à cause d'un foutu feu rouge, je perds la voiture d'Edward de vue. Je tourne dans les rues à sa recherche mais je me rends compte que c'est foutu pour cette fois. Je me demande ce qu'il vient faire ici.

Histoire de ne pas être venue pour rien, je décide d'acheter mes livres de cours et me dirige vers la boutique qui est indiquée sur le post-it. Je me gare et regarde vite fait sur la map de mon tel et le range avant de sortir de mon véhicule. Ce n'est pas si loin alors autant y aller à pied. Je me dirige vers la zone industrielle où se trouve le magasin. Un coup de vent assez violent ébouriffe mes cheveux, je m'arrête devant la vitrine d'un magasin fermé pour me recoiffer.

Je me rends compte que je suis seule et que tout est fermé mais le magasin est ouvert jusqu'à 18h d'après Google, il faut juste que je le trouve. Un magasin éclairé apparaît entre deux boutiques fermées au loin, je m'y dirige. J'ouvre la porte mais elle est verrouillée. Les lumières à l'intérieur sont allumées pourtant. Sur la vitre, il y a une feuille blanche "fermeture exceptionnelle à 16h pour inventaire". Génial, c'est bien ma veine.

Un tissus qui pue le produit chimique est comprimé sur mon nez et ma bouche, j'essaye de me libérer de la poigne de l'homme avant de m'étouffer mais mes gestes sont anarchiques, le produit brouille ma vue, me donne le tournis et ma vision se noircit.


Quand je me réveille, j'ai mal au crâne et mes poignets sont attachés par un lien de serrage en plastique.

Billy a fini par m'enlever.

Je me redresse en position assise et regarde mon corps, je n'ai pas été déshabillée, je porte même toujours ma veste. Le lit sur lequel j'ai été posée n'a pas de matelas, je suis à même les lattes du sommier. Mon kidnappeur aurait pu se contenter de me laisser au sol, ça aurait été la même chose mais il a décidé de m'allonger sur un lit sans matelas. Ça veut dire qu'il me considère un minimum. Je crois. Je me déplace pour m'asseoir en travers du lit et pose mes pieds au sol. Il y a une armoire désarticulée contre le mur en face du pied du lit et un grand miroir sale posé au sol contre le mur, face à moi.

Je me lève, la porte se trouve sur le même mur contre lequel le miroir est posé mais qu'elle soit déverrouillée serait étonnant. Je ne veux pas vérifier, pas encore, pour ne pas prévenir de mon réveil. Je me tourne et voit la fenêtre qui aurait pu être mon issue de secours s'il n'y avait pas des planches clouées en travers, pas assez espacées pour que je puisse passer. Ce n'est pas Billy qui m'a enlevée, il est en fauteuil-roulant, il n'aurait pas pu donc je le raye de ma liste de suspects. La seule autre personne sur ma liste est...

Edward Cullen.

Il m'a prévenue qu'il était dangereux, il m'a prévenu que je le regretterai. Il sera déçu quand je lui dirai que je ne regrette rien. En tout cas, pas pour l'instant. Il est malin, il a dû voir que je le suivais et m'a entraînée dans sa tanière.

Et maintenant ?

Je m'approche de la porte, prête à signaler mon réveil en essayant d'ouvrir. J'ai hâte de parler à Edward, ça nous donnera au moins l'occasion de discuter et me donnera, par là-même, celle de le manipuler. Je tends ma main vers la poignée mais me stoppe en entendant des pas, de l'autre côté. Je me recule et retourne m'asseoir en travers du sommier. Je fixe mon reflet, assise, les poignets attachés et mes poings collés l'un contre l'autre. Dans les films, c'est le moment où la fille kidnappée du héros s'affole mais moi... moi, je n'ai pas peur. Mon reflet sourit, sa tête penche légèrement en avant, lui donnant un air machiavélique et mes bras, enfin, ceux de mon reflet s'éloignent et ses mains se posent sur le bord du sommier, comme si je n'étais plus attachée. Je ne souris pas, ma tête est restée droite et mes mains sont toujours attachées sur mes cuisses quand je baisse le regard. Mon reflet penche la tête sur le côté avec un sourire malicieux.

J'ai été droguée.

Un bruit sec me sort de ma contemplation, le bruit de la serrure qui vient de se déverrouiller. Mon regard revient brièvement sur mon reflet et il reflète ma position normale à nouveau. Je fixe la porte, je vois le loquet se baisser et la porte s'ouvre doucement en grinçant.


Nda :

Guest : Merci à toi d'avoir pris le temps de laisser un petit mot.