Lorsque Stannis Barathéon a reçu le titre de Sire de Peyredragon, il a décidé d'intégrer dans sa maisonnée mestre Cressen, qui occupait à l'époque le poste de mestre d'Accalmie. Cela se comprend, les deux hommes sont familiers l'un avec l'autre depuis la plus tendre enfance du lord – mais cela n'en a pas moins laissé une vacance dans le propre siège de pouvoir des Terres de l'Orage.

Après mûres délibérations, la Citadelle a décidé d'envoyer Alfred. Probablement en guise de punition, pour avoir l'esprit un peu trop critique, des antécédents et contacts vaguement douteux parmi les mercenaires et saltimbanques, ainsi qu'une langue parfois trop caustique qui n'épargne même pas les archimestres. À tous les coups, ses confrères s'attendaient à ce que Bruce Barathéon le chasse à grands coups de pied au derrière ou le précipite dans la Baie des Naufrageurs du haut des remparts de sa forteresse.

Au lieu de ça, le suzerain fraîchement nommé des Terres de l'Orage a haussé un sourcil lors des présentations, et a depuis laissé son nouveau mestre se charger de son courrier, de sa bibliothèque, de l'éducation des rejetons mâles de la famille et des corbeaux – fréquemment de l'intendance, Cortnay Penrose s'entendant plus aux affaires martiales qu'économiques malgré toute sa bonne volonté et fidélité envers les cerfs.

« Vous n'êtes pas du genre à déformer les faits pour me plaire ou parce que ça vous dérange » a déclaré le second frère du roi pour seule justification. « Vous ferez l'affaire. »

Là-dessus, Bruce est indiscutablement le cadet de Stannis Barathéon, même s'il ne va pas si loin qu'il introduirait un contrebandier issu du caniveau parmi ses bannerets. Peut-être Alfred se montre-t-il légèrement hypocrite sur le sujet, étant lui-même sorti d'une ruelle crasseuse, mais au moins a-t-il consacré plusieurs années à dissimuler la crasse sous un vernis d'instruction.

Bien entendu, il a étudié diverses matières comme il sied à un chevalier de l'esprit, mais il admet avoir intégré davantage et étudié plus en profondeur le savoir du compte et de la monnaie, l'art de guérir, l'histoire et les secrets de la forge. À l'occasion, il contemple les maillons de sa chaîne et songe que la Citadelle devrait fonder une discipline entièrement neuve, qui serait l'art de s'occuper des enfants.

Peut-être s'avère-t-il injuste ; si cela se trouve, les enfants de la famille Barathéon sont tout simplement plus incontrôlables que la norme, ce qui serait on ne peut plus plausible pour qui est conscient des tempéraments produits par cette lignée. Mais les faits demeurent : Alfred est chargé de veiller sur et d'instruire des gamins qui s'efforcent de lui rendre la tâche impossible.

Renly Barathéon est incapable de s'asseoir sagement plus de quelques secondes avant de se mettre à se trémousser, gribouiller sur la table ou faire des grimaces. Il proclame ne voir aucun avantage à apprendre à lire lui-même puisqu'il aura de toute façon un mestre pour s'en charger à sa place, ce à quoi son frère aîné a brutalement répondu qu'en tant que quatrième fils, il n'héritera probablement ni terres ni châteaux qui l'autoriseraient à disposer d'un mestre.

Alfred a tout d'abord cru que le jouvenceau était d'une nature plus encline à l'apprentissage physique, mais Gordon lui a rapporté que Renly n'excelle pas non plus pour ce qui est du maniement des armes. Là aussi, il semble incapable de se concentrer sans grand effort – à moins qu'il ne joue la comédie. Sur ce point, le garçon est un fantastique acteur capable de tisser les histoires les plus amusantes, arrachant plus d'un sourire au Sire d'Accalmie pourtant si taciturne.

Peut-être le gamin décidera-t-il de s'enfuir afin d'errer sur les routes et de gagner son pain en divertissant les foules par ses contes et ses pantomimes, ce ne serait pas le pire des scandales à se produire dans les Sept Couronnes.

Timo Barathéon, brièvement Storm, est un étudiant tout aussi déplorable mais s'y prend dans le sens complètement inverse : il réfléchit trop pour un enfançon d'à peine trois ans d'âge, parlant déjà comme s'il était deux fois plus vieux que cela et posant des questions sur des sujets dont il ne devrait pas soupçonner l'existence avant d'atteindre la puberté.

Jamais de sa vie, Alfred n'aurait imaginé qu'un élève excessivement intelligent pourrait être tout aussi calamiteux que le pire des imbéciles. Le propre père du petit en demeure niais, incertain de comment gérer cette progéniture née avec une âme trop vieille pour son visage poupon.

L'enfant s'en rend compte, malgré leurs tentatives pour dissimuler leur gêne ainsi que leur agacement. C'est étonnamment douloureux de voir l'incompréhension et la détresse présentes dans ces larges prunelles bleues, demandant silencieusement une réponse que personne ne peut fournir.

Avec ces désastres jumeaux sur les bras, Alfred n'a pas bondi de joie lorsque Bruce Barathéon a signalé qu'il s'apprêtait à intégrer son premier-né dans sa maisonnée. Qui sait à quelle sauce le tourmentera ce troisième marmot, après tout ?

Dickon Grayson lui est présenté en grande cérémonie par ses deux terreurs d'élèves le surlendemain de son arrivée, après avoir passé la journée d'hier à visiter Accalmie afin de ne pas risquer de se perdre dans les couloirs. S'il arbore l'allure Barathéon typique, son expression méfiante constitue un certain changement dans l'habituelle galerie de grimaces renfrognées et de sourires rayonnants de ses oncles.

« Je sais compter et tenir les registres » déclare-t-il aussi crânement que possible, « et j'arrive à lire une carte tout seul. Et les étoiles aussi. »

Ce serait plus étonnant qu'un garçon jusque là élevé par une troupe de ménestrels ambulants ignore ces quelques savoir-faire, si essentiels à leur profession : si un baladin ne peut pas compter son argent, impossible pour lui de s'en servir correctement ou de le conserver, et si un saltimbanque ignore où il se trouve, il court vite le risque de s'égarer dans un milieu hostile.

« Et savez-vous lire également, jeune homme ? » interroge posément Alfred, les bras croisés sur la poitrine.

Le garçon renifle.

« C'est les nobles qui lisent. Je suis juste un acrobate. »

« Vous êtes aussi le fils du seigneur de ce château, ce qui vous accorde le droit à une éducation. »

Dickon apparaît proprement incrédule lorsqu'il entend cela. Il faut admettre que la plupart des grands de Westeros n'investit dans l'éducation de sa progéniture que si celle-ci est légitime, trop heureuse d'ignorer ou de négliger les bâtards. À ce titre, les irréductibles cœurs saignants tels qu'Eddard Stark font figure de tache incongrue sur la nappe.

Abasourdi par la perspective d'une instruction, le nouvel élève d'Alfred se laisse faire docilement alors que le mestre entreprend d'évaluer son niveau sur les sujets qu'il a avoué connaître. Il y a bien entendu des trous, le garçon est complètement perdu regardant la géographie de provinces où il n'a jamais mis les pieds comme Dorne et le Nord et la manière dont il dépeint l'astronomie tient plus de la superstition populaire que de la vraie science, mais sa maîtrise des mathématiques est assez impressionnante pour l'imaginer forger un maillon d'or jaune en un an à peine.

La base étant présente, il reste à consolider les fondations avant de bâtir la forteresse proprement dite. Alfred ne se rappelle guère ses études architecturales, mais il n'a pas oublié qu'un bâtiment ne tiendra jamais debout si le pied est instable – combien de fois Durran a-t-il reconstruit Accalmie avant de comprendre cela ?

Le même principe s'applique à l'éducation.