J'ai extrêmement galéré pour ce texte (mais c'est loin d'être le seul) au point de demander à une amie de relire pour vérifier que ça restait cohérent.

Je ne me suis jamais autant inspirée de ma personnalité pour écrire xD

Bonne lecture !


La fête était d'un ennui mortel.

Encore une occasion ratée durant laquelle il aurait pu plutôt poursuivre ses recherches qu'assister à cette célébration où il était clairement un élément indésirable. Il lui suffisait de promener ses yeux autour de lui pour que cette conclusion lui saute au visage.

Les gens étaient souriants, détendus, riants entre eux.

Il leur avait fallu moins d'une heure pour se réunir en petits groupes selon les affinités, échangeant bruyamment pour être audibles par-dessus le volume élevé de la musique.

Ils s'étaient vêtus de façon décontractée ou encore élégante, attirant l'attention sur leurs apparences qu'ils tentaient de mettre en valeur, des couleurs attrapant le regard à tout instant, tel un immense kaléidoscope.

Et puis, il y avait lui. Il était planté là comme si la seule action de respirer le même air était une souffrance, montrant très clairement qu'il échangerait tout ce qu'il possédait en ce bas-monde pour fuir cette charmante compagnie et retourner s'enterrer sous ses livres, les échos distants d'une fête anonyme effleurant ses oreilles, telle une mélopée lointaine.

C'était à peu de choses près sa définition du paradis, mais il devait faire une exception pour ce soir, Ash ne le quittant pas des yeux depuis qu'elle l'avait traîné derrière elle pour honorer l'invitation de l'obscur locataire de ces lieux, après l'avoir brillamment menacé comme elle savait si bien le faire.

Parfois, sa langue paraissait plus affûtée que les multiples armes blanches en sa possession.

Alors, à défaut de pouvoir leur fausser compagnie comme l'envie le tenaillait, il prenait son mal en patience, la mort dans les yeux, faisant durer depuis une heure entière son verre, remplie de l'unique boisson non alcoolisée qui était proposée aux invités. Un bon vieux verre d'eau, tirée du robinet de la cuisine avec fortes plaintes.

L'extase la plus totale.

Ash avait tout intérêt à le rembourser à la hauteur du sacrifice, franchement.

Amorçant un énième tour du propriétaire depuis le mur où il était adossé, ses yeux glissèrent sur la décoration fade, la masse anonyme jacassante et bariolée, les enceintes vrombissantes…

Il serait hypocrite de prétendre que personne n'attirait son regard, mais il lui était évident que jamais ceux réunis entre ces murs ne lui offrirait son attention, à moins peut-être de vouloir la direction des toilettes ou l'heure. Mais peu importe.

Après tout, quand vous visitiez un musée, ce n'était pas pour obtenir un rencard avec l'une des statues qui s'y trouvaient.

Malheureusement, les physiques présents n'avaient rien de bien croustillants et l'intérêt s'était rapidement essoufflé vers son troisième ou quatrième espionnage, mais il fallait bien s'occuper, alors il continuait de scruter les détails des vêtements et des accessoires, relevant les erreurs ou les éventuelles références.

Il avait atteint la moitié de la pièce quand un détail qui n'était pas là jusque là surgit dans son champ de vision, faisant retentir toutes les alarmes qu'il possédait en son être.

Pourquoi, parmi toutes les personnes vivant à la Citadelle d'Hyrule, cette personne se trouvait ici ?

Sa tête se tourna si promptement qu'il sentit l'élancement d'un muscle, prémisse d'un possible torticolis, cherchant à tout prix à croiser le regard de son amie sans attirer l'attention de qui que ce soit, et en particulier l'objet de ses pensées. Mais, pour une raison obscure - qu'avait-il bien pu faire aux déesses pour que cela arrive ? - les yeux d'Ash ne tombèrent pas une seule fois dans sa direction et elle rata tous les signaux de détresse qu'il pouvait exprimer en son encontre.

Il était urgent que, lui au moins, puisse quitter les lieux le plus rapidement et le plus discrètement possible.

Hors de question de laver son linge sale en public, d'une part, mais plus encore au milieu de tous ces inconnus, même s'il n'avait pas l'intention de les recroiser une nouvelle fois, quelque fut le contexte.

Malgré sa situation précaire - il restait très visible, contre un mur blanc, entouré par rien ni personne, ses cheveux roux attirant déjà bien l'attention en temps normal - il était primordial qu'il reste le plus furtif possible. Et puis, il était épuisé et n'avait donc pas les nerfs ou la patience nécessaire pour gérer un éclat d'une quelconque nature.

Tant pis s'il devait finir la « soirée » enfermée dans un placard, qu'il en soit ainsi.

Tout entier à ses craintes, il se rendit compte trop tard qu'il avait été finalement repéré et que ce qu'il appréhendait allait survenir, ce n'était plus qu'une question de minutes. De secondes ?

Resserrant sa prise sur son verre, au risque de s'en renverser le contenu dessus, Jehd scruta attentivement ces gens qui se trouvaient non loin, suffisamment désespéré pour envisager de s'insérer dans une de leurs conversations fades et dépourvues d'intérêt, juste pour repousser l'échéance. Peut-être qu'en présence de réels témoins, il parviendrait à désamorcer la bombe qui ne tarderait pas à exploser ?

— Hé, tout va bien ? s'enquérit-on dans son dos.

Faisant volte-face, il se retrouva nez à nez avec un hylien légèrement plus petit que lui mais dont la structure musculaire l'éclipsait franchement, un air intrigué et vaguement inquiet sur le visage. Était-ce de véritables émotions ou faisait-il face à un excellent acteur ? Peu importait la réponse, en cet instant précis, son cerveau tournait à mille à l'heure et il devait prendre l'une des pires décisions de sa vie, qu'il regrettera amèrement jusqu'à ce qu'une suivante la chasse, dans quelques années.

De sa main libre, il l'attrapa par le coude en ce qu'il espérait être une prise naturelle et qui pourrait être interprétée affectueuse. Il se pencha légèrement vers lui, dans un semblant d'intimité, mais surtout pour être audible sans hurler.

— Je suis terriblement navré d'avoir à vous demander pareille faveur, surtout que nous ne nous connaissons pas, mais me serait-il possible d'appeler à votre bon cœur ? Je viens d'apercevoir une personne terriblement malintentionnée en mon encontre et je crains une funeste fin à cette sauterie si je ne détourne pas son attention, de la façon la plus pacifique possible.

Heureusement, son interlocuteur se contenta d'écarquilles les yeux pour exprimer son incrédulité et non pas quelque chose de plus criant comme un mouvement de recul qui aurait ainsi brisé toute cette petite machinerie improvisée.

— En voilà une surprenante requête. Je suis tout ouïe.

Cillant de surprise à cette réponse (il ne l'avait pas rejeté en bloc ? Surprenant), mais aussi à sa structure, il se reprit bien vite, le temps lui manquant.

— Je viens d'apercevoir mon… euh… ami avec qui je me suis quitté en très mauvais terme. Je crains qu'il ne profite de notre soudaine réunion pour faire une scène. Serait-il possible que vous, eh bien, que vous fassiez semblant d'être mon partenaire jusqu'à ce qu'il lâche l'affaire, s'il vous plaît ? Je vous récompenserai à la hauteur de l'inconvénient.

Et tant pis si, pour ça, les bourses dédiées à ses recherches devraient y passer. Sa réputation valait plus que tout, et qui savait qui pourrait finir par entendre parler de ce petit rassemblement.

— Je ne vois aucun inconvénient à sauver les demoiselles en détresse, même quand celles-ci se trouvent être des damoiseaux.

Et comme ça, cet illustre inconnu porta la main reposant contre son coude pour la porter à ses lèvres, déposant un baise-main sur son dos. La caresse légère - à peine un effleurement - provoqua une sensation étrange, comme si son estomac opérait un saut périlleux, mais il chassa la réflexion, se contentant de grimacer un sourire en réaction.

Loin de s'en vexer, il drapa son bras libre autour de ses épaules, l'attirant à ses côtés de la manière la plus naturelle qui soit, comme s'il l'avait fait un millier de fois auparavant, leur différence de taille n'étant plus quelque chose qu'il devait prendre en compte.

Et, tout aussi naturellement, sans marquer de temps d'arrêt, il retourna son attention auprès de sa voisine, réagissant à une phrase qu'elle venait de dire, comme si cette parenthèse n'avait duré que le temps d'un battement de cœur.

Jehd eut l'impression que le sien lui battait dans les oreilles sous la nervosité. Tout dans cette situation lui paraissait si… saugrenue. Déplacée. Fausse. Boiteuse ?

Qui, par Hylia, accepterait aussi docilement de jouer un rôle auprès de quelqu'un qu'on rencontrait pour la première fois, sans même se renseigner plus en avant, autant sur le contexte actuel que sur les possibles retombées, négociant les risques à éviter que ceux à se permettre ? Les limites à imposer et celles à outrepasser ?

Mais, surtout, qui adhérerait à pareille circonstance sans même s'enquérir de son identité ?

La sensation de l'eau contre sa main le sortit de sa rêverie et un simple regard en sa direction lui rappela la présence de son verre, mais surtout de son piteux état. Ce n'était rien de fort, bien sûr, mais il décida d'en finir le contenu d'un mouvement de menton, espérant que ça lui permettrait d'y voir un peu plus clair.

Sauf que, lorsqu'il redressa la tête, non seulement ce ne fut pas le cas, mais en plus il pouvait contempler la face de l'autre crétin qui lui avait faussement conté fleurette pendant l'espace des quelques mois qu'avaient duré leur pathétique relation. Comment avait-il pu tomber dans le panneau pour ces vers minables, mais surtout pour un physique aussi disgracieux ?

Jehd savait parfaitement que c'était dû à tout le ressentiment qui rugissait dans son être qu'il l'enlaidissait, mais c'était plus fort que lui. Loin d'être fraîche, la rupture avait laissé des cicatrices douloureuses, et pas uniquement au figuré. Encore maintenant, appuyer dessus suffisait pour qu'elles se rouvrent.

— Oh, mais qui vois-je ? Le roi des nerds a trouvé le moyen de sortir de sa tanière ? Mais que font les journalistes, c'est un grand jour à marquer d'une pierre blanche !

Accusant le coup, il ne put que serrer les mâchoires à les en rendre blanches et baisser les yeux vers ses chaussures, sa gorge se serrant sur tous ces mots qu'il rêvait de lui balancer la figure. Cependant, il avait très tôt appris à choisir correctement ses combats. Et celui-ci n'en était pas un qu'il lui était possible de remporter. Pire, le prix de sa défaite serait beaucoup trop lourd.

— Quelqu'un de suffisamment valeureux pour me le présenter, cher cœur ?

Le fard fut tellement immédiat que pour le coup, il ignorait s'il résultait de la proximité, de ces mots presque murmurés contre l'anti-hélix de son oreille, du surnom, à quel point celui-ci paraissait découler de l'habitude au même titre que ce bras entourant ses épaules, ou d'un mélange de tout ça. Il était à un tel niveau d'introspection qu'il faillit oublier de répondre.

— Si ç'avait été le cas, tu en aurais entendu parler, je peux te l'assurer.

Pour l'occasion, il sortit son regard le plus méprisant, fixant ce vermisseau de haut, ce qui n'était guère compliqué grâce à leur importante différence de taille.

— Parfait. Bonne soirée monsieur.

Et sans plus lui adresser la moindre attention, il retourna une fois de plus vers son cercle de connaissance, paraissant comme absorbé par les propos d'une autre fille, de légers rires accueillant sa conclusion, mais Jehd ne put en comprendre la cause car l'autre sangsue les avait contourné pour l'attraper par son poignet, tentant de l'extirper hors de la prise confortable qui reposait contre son épaule.

— Mais qu'est-ce qui te prend ? siffla le chercheur en réaction.

Il s'était froissé un muscle plus tôt dans la semaine suite à un faux mouvement en manipulant l'un de ses fragiles mais conséquents recueils, lui imposant un repos forcé qu'il avait eu bien du mal à respecter.

— Toi, qu'est-ce qui te prends ! répliqua-t-il. C'est nouveau, ça, tu t'es trouvé des couilles pour m'ignorer, c'est ça ? Tu te crois trop bien pour moi ? Alors que tu rampais encore après moi, l'autre fois ?

Il se crispait tellement que sa mâchoire fut parcourue d'un éclat de douleur, le forçant à s'arrêter. comme il s'y attendait, cet enfoiré n'avait que faire des convenances et n'avait qu'une hâte : faire un esclandre, et peu lui importait les conséquences.

— Les couilles en question aimeraient bien vous voir déguerpir avant d'avoir à vous remettre à votre place, les interrompit son voisin.

L'observant du coin de l'œil, le chercheur eut la surprise d'apercevoir une véritable colère animer ses traits.

Soit il était tombé sur le meilleur acteur qu'Hylia ait fait, soit il allait devoir gérer de vilaines répercussions. Mais, hélas, une priorité à la fois. Il devait juste croiser les doigts et prier pour qu'Ash n'ait pas à venir identifier son corps à la morgue de la Citadelle.

— Ouais, j'me disais aussi. Toujours pas capable de gérer tes problèmes, tu t'es trouvé une nouvelle nounou pour te torcher et parler à ta place ? Quelle évolution ! En plus, tu as choisi ça ? Tu l'as trouvé où ? En train de faire la manche ?

À ce commentaire, Jehd ne put s'empêcher de se tourner un peu plus franchement vers son potentiel sauveur, balayant du regard cette structure musclée, cette peau bronzée, ces cheveux châtains hérissés autour de sa tête, ces yeux bleus glacés, ces sourcils froncés, toute cette tension qui paraissait bouillonner sous la surface.

Il y avait quelque chose de sauvage là-dedans. Et, au lieu de se sentir petit ou en danger, Jehd se sentait… électrisé. Un papillon hypnotisé par la flamme d'une lanterne.

Un peu sonné, il tira sur son poignet, le récupérant de la prise ramollie de son ex petit ami, se collant pratiquement au faux, comme s'il était à la recherche inconsciente de réconfort.

— Écoute, mec, j'ai pas la moindre idée de qui tu peux bien être, et en fait, je m'en balance. Tu es dans une fête avec une ambiance décontractée et toi, tu trouves rien de mieux que venir emmerder des gens qui ne t'ont rien fait ? Ta vie doit être bien pathétique. Tu m'étonnes qu'il t'ait largué, il devait s'ennuyer à mourir avec toi.

Et, une fois de plus, il se détourna de lui, son bras s'enroulant cette fois autour de sa taille, après avoir glissé le long de son dos d'une manière possessive qui ne dérangea pas Jehd autant qu'il l'aurait cru en temps normal.

Il n'avait jamais vraiment été du genre tactile. Sans fuir les démonstrations physiques, il n'était pas de ceux qui les amorçaient et encore moins de ceux qui les prolongeaient. D'ailleurs, c'était souvent le reproche que ses ex lui assénaient - parmi d'autres.

Mais ce n'était pas le cas.

Non, actuellement, le membre importun qui pesait contre ses reins, cette main chaude sur l'os de sa hanche, cette présence épousant ses côtés, rien de tout cela ne provoquait en lui cette habituelle envie d'y mettre un terme, de se défiler. À vrai dire, il devait même combattre son envie de se fondre dans cette étreinte légère, d'amplifier la zone de contact, d'attraper cette main et d'y enlacer leurs doigts. Qu'est-ce qui lui arrivait ?

Il était tellement troublé par cette révélation qu'il était juste incapable de suivre la conversation autour d'eux, pas qu'il l'ait tenté auparavant. Que lui arrivait-il ? Tout cela ne lui ressemblait pas. S'il n'y avait pas l'autre imbécile, il ne se retrouverait pas dans cette situation…

— Tout va bien ? Vous avez l'air tendu.

Le souffle à son oreille le surprit et il faillit se reculer par réflexe, mais l'étreinte entourant le bas de son dos l'en empêchait alors il se contenta de pivoter légèrement le visage, faisant face à celui de son sauveur au nom inconnu, bien trop proche au vu de leurs méconnaissances, mais pas tant que ça si on se référait à leur prétendue relation.

— Oui, oui, bégaya-t-il. C'est juste…

C'était juste quoi ? Il n'avait que peu croisé son regard et pourtant il avait la nette impression de perdre tous ses moyens dès qu'il plongeait dans cette infinité bleu turquin.

— Rien, finit-il par abandonner.

De toute façon, il lui aurait été impossible d'élaborer plus ses réflexions car l'autre parasite était revenu en force, bien décidé à l'arracher de cette étreinte étrangement tendre qui le remuait beaucoup trop pour qu'il fasse comme si de rien n'était. Si la force qu'il mettait dans son bras était suffisante pour obtenir son résultat, son projet fut mis en péril par ladite étreinte et bien vite, Jehd se retrouva pratiquement déchiré entre ces deux contraintes mais aussi incapable de s'en défaire, soit par volonté, soit par envie. Bien sûr, c'était particulièrement douloureux et ils commençaient à attirer l'attention, mais à la seconde où il acceptera de suivre l'un ou l'autre, le conflit naîtra. Il était important de le repousser autant que possible, avec le faible espoir que l'autre imbécile se lasse le premier.

Déesses, pourquoi n'avait-il pas entretenu son physique, lui aussi ? Il aurait cruellement besoin d'un peu de tonus musculaire pour cette occasion.

Mais, alors qu'il pensait finir écartelé et qu'il devait résoudre cette situation par lui tout seul, il eut la surprise que son nouveau petit ami pour de faux reprenne la parole, se penchant en arrière pour apostropher l'autre crétin.

— Si vous aimez tant son bras pour que vous tiriez dessus aussi fort, je peux vous le mettre dans la gueule. Ça devrait vous faire un joli souvenir.

La menace sous-jacente eut son effet et les deux autres se figèrent aussitôt. L'imbécile avec les yeux écartés semblant enfin saisir la situation de son ensemble, Jehd subitement parcouru d'une chaleur qui lui était moins étrangère que tout le reste, bien que ses occurrences étaient rares.

Peut-être était-ce la nouveau de la situation ? Ou un effet de l'adrénaline que tout ça avait provoqué ? Il avait lu que c'était possible…

Oui, c'était sûrement ça. Il ne devait surtout pas s'enflammer, tout cela s'expliquait par des raisonnements simples et de la biologie. C'était la première fois qu'on le protégeait, cet étranger était attirant, il se trouvait dans une position de détresse, ça ne pouvait que flatter certains bas instincts. Dès que l'autre nuisible aura disparu des radars, ça devrait revenir à la normale.

N'est-ce pas ?

Finalement, l'insecte eut l'air d'enfin comprendre qu'il était loin d'être le bienvenu et il le relâcha une fois pour toute, reculant. Étrangement, ses yeux n'étaient pas sur lui mais paraissaient dirigés derrière lui, mais Jehd n'y prit pas attention, se satisfaisant de cette avancée, et plus encore quand il le vit décamper sans demander son reste.

Il eut l'impression de percevoir un faible grognement, un son grondant dans une poitrine comme une tempête menaçante, sensible à ce que lâchait un prédateur avant d'attaquer, mais personne n'avait amené de chien, n'est-ce pas ? Il devait être trop fatigué pour penser droit, tout bêtement.

Lâchant un soupir de satisfaction, il se détendit subrepticement, se permettant d'accoler sa joue à cette épaule et de fermer les paupières un instant avant de se redresser violemment, se rendant compte de ce qu'il était en train de faire. Ses vis-à-vis faisaient la même tête effarée que lui. Il s'oubliait ! Il ne connaissait pas cette personne - même pas son nom ! - elle l'avait sorti d'un mauvais pas dont il était le coupable, et lui agissait comme si cette relation montée de toute pièce était réelle ! Mais que lui arrivait-il, franchement ?!

Il devait être malade, ce n'était pas possible… Peut-être les petits fours n'étaient-ils pas aussi frais qu'il le pensait. Ou la qualité de l'eau, peut-être ?

Au loin, une porte claqua un peu fort et un rapide tour d'horizon lui permit d'espérer que c'était peut-être l'élément perturbateur et qu'il pouvait donc retourner à son agonie de tantôt. Qui aurait pu croire qu'elle lui manquait ? Au moins n'avait-il pas à se retourner le cerveau sur des réactions étranges de son corps…

— Il est partit, déclara son voisin.

Tel un ressort qu'on relâchait, Jehd se redressa plus encore, quittant le demi-cercle rassurant ceignant ses reins et cette douce chaleur, plongeant pratiquement dans une courbette, gêné au possible.

— Mille mercis pour votre aide, je suis votre débiteur.

S'assurant de bien éviter le moindre regard, il fouilla rapidement dans ses poches pour en sortir sa carte de visite qu'il lui fourra pratiquement dans les mains.

— Voici mon numéro professionnel, n'hésitez pas à me contacter une fois que vous aurez décidé le montant de votre salaire. Je vous souhaite une bonne soirée.

Le regard toujours rivé au sol, il salua d'un mouvement de tête le petit groupe avant de prendre la fuite en direction de là où il avait vu pour la dernière fois Ash. Heureusement pour lui, elle n'avait pas bougé d'un pouce. Il n'eut qu'à l'attraper par la manche pour qu'elle se tourne vers lui. Il devait faire une drôle de tête car elle ne lui demanda rien, le saisissant par le poignet et le tirant après elle.

La foule se fendait devant eux, personne ne tenta de les arrêter et ils finirent bien vite à l'extérieur, l'air froid venant inconfortablement leur piquer le visage.

— Raconte, ordonna-t-elle sur un ton sombre. Et ne me mens pas.

Comme si la possibilité lui avait effleuré l'esprit…


— Historien, alors ?

Alors qu'il s'endormait sur sa cinquième tasse de thé fort, Jehd se réveilla brutalement au son incongru d'un autre être vivant entre les murs surchargés de son bureau. Qui pouvait bien être assez fou pour franchir le pas de sa porte ?

Relevant des yeux injectés de sang dus à sa troisième nuit blanche consécutive en direction de l'outrecuidant, il eut la surprise de le reconnaître. Celui qui l'avait sauvé d'une honte publique !

Il s'emmêla si bien avec le rangement hasardeux de ses recherches, les pieds de la chaise et sa propre personne, que le meuble chut bruyamment au sol et que des feuilles s'envolèrent, tandis qu'il se levait, tentant de se recoiffer vaguement et de lisser sa tenue, bien qu'il était sûrement trop tard. Ce charmant Hylien avait sans aucun doute eu tout le temps du monde pour contempler son apparence bien peu soignée, si loin de ce qu'il lui avait présenté à leur dernière rencontre.

Il allait peut-être penser avoir pris la défense du mauvais parti…

— B… Bonjour ! Excusez-moi pour tout ce désordre, je ne pensais pas voir qui que ce soit aujourd'hui !

— Repos soldat, rit-il. Pas de problème, c'est toujours amusant de découvrir l'habitat naturel des rats de bibliothèque !

Il possédait un rire profond qui paraissait prendre cœur au centre de son torse pour mieux le traverser et se nicher dans le sien. La chaleur sur ses joues provenait sûrement de son aura solaire, rien d'autre !

— Je… je peux vous être utile, peut-être ?

Au lieu de lui répondre, l'intéressé agita la carte de visite légèrement froissée et écornée qu'il lui avait forcé dans la main.

— Je suis venu chercher ma récompense.

— Ah. Bien sûr. Prenez donc place.

Triturant son nœud papillon en un tic nerveux mille fois répétés, Jehd lui tourna le dos alors qu'il s'installait, rangeant quelques dossiers pour faire bonne mesure et aussi déblayer un peu le plateau. Peu importe le montant de la somme qu'il lui réclamera, il était important d'en garder une trace écrite, on ne savait jamais dans quel engrenage on mettait le doigt…

Il lui refit face alors qu'il s'asseyait à son tour, s'éclaircissant la voix avant de reprendre la parole. Mais son toussotement s'approfondit quand il prit pleinement conscience de l'apparence de son vis-à-vis et une quinte plus appuyée le secoua alors qu'il cherchait à reprendre son souffle.

— Par Farore, vous avez besoin d'aide ?! Vous voulez quelque chose à boire ?!

À cette suggestion, Jehd vida le fond de sa tasse en camouflant son dégoût alors que le liquide refroidit libérait tout son amertume mais lui permit au moins de lui libérer les bronches. Était-il porteur d'une malédiction, voué à se ridiculiser éternellement dès qu'il se retrouvait en compagnie de cet éphèbe ?

— Décidément, vous devez me trouver bien pathétique, marmonna-t-il en détournant le regard.

Prétextant avoir besoin d'une nouvelle feuille, il creusa dans ses tiroirs pour se donner le temps de se reprendre, tirant une page aléatoire quand il le jugea bon.

— Comme je vous l'ai dit à cette occasion, je vous suis très reconnaissant pour votre aide. Je ne vous cacherai pas que mes moyens sont assez limités mais je mettrai tout en œuvre pour pleinement vous satisfaire.

Son stylo était bien quelque part, non ? Il était sûr de l'avoir utilisé pas plus tard qu'il y a dix minutes. Ou trente. Était-ce une heure ? Oh là là que le temps passait vite, dis donc !

Une fois la main mise sur le vilain fugueur, Jehd concentra tout son courage pour relever la tête et, enfin, lui faire face. Et, une fois de plus, il se sentit comme étourdi en prenant pleinement conscience de la beauté brute qui en exsudait.

S'il avait fait des efforts d'habillement pour la réception, il avait clairement mis moins d'effort pour aujourd'hui, étant donné le maillot sans manche - qui mettait en valeur ses bras musclés - le capri légèrement bouffant porté sous plusieurs couches de tissus colorés ceints à la taille - la marquant d'autant plus - et… était-ce des sandales ? Bon, okay, même lui avait des limites. C'était assez décevant et pourtant, il semblait plus séduisant encore dans ces vêtements clairement usés et portés à nombreuses reprises.

Et au-dessus de tout ça, il y avait ces grands yeux bleus, ces mèches châtain clair plus ébouriffées que la dernière fois et son foutu sourire enjoué.

Qui, à la capitale, pouvait encore sourire ? Où trouvait-il cette joie de vivre suffisamment importante pour l'exprimer par cette courbe de ses lèvres pleines ?

Par les Trois Dorées, aurait-il affaire à un arnaqueur professionnel ?

Il resserra sa prise sur le corps de son stylo, l'effroi le submergeant.

Très loin de ses pensées, son interlocuteur appuya son avant-bras sur le bureau, se penchant imperceptiblement en avant, son sourire toujours en place. Il continuait de jouer avec le petit carton, d'une manière nonchalante.

— Je m'appelle Link, je crois que nous n'avons pas été présenté, même si je connais le vôtre, Jehd.

— En… Enchanté. Comment puis-je vous être utile ?

Il prit un air pensif, la carte de visite tapotant son menton.

— Eh bien, nous pourrions commencer par un vrai rencard, qu'en penses-tu ? Faire connaissance autour d'un verre dans un cadre qui te convient bien mieux et sans la présence d'un gêneur qui te détourne de moi… Ça te dirait ?

Malgré ses deux licences de langues et sa connaissance élargie, Jehd se retrouva bien incapable de répondre de manière compréhensible.


La tenue à la fin de Link, c'est celle qu'il porte à Toal, sa "tenue de berger".

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