Finie seulement hier, la cervelle en bouillie
Quelques petits trucs : malgré les deux confinements, je fais partie de la frange de la population qui l'a très bien vécu. Masseuse alors, j'ai été au chômage technique juste au moment où toute l'équipe était juste épuisée, ça a été donc accueilli comme des vacances pour la première. Pour la seconde, je venais d'acheter ma maison, donc pile poil pour les travaux et le déménagement.
Les deuils que j'ai vécu n'étaient que très lointainement liés au COVID, je ne l'ai moi-même pas eu (bien que j'ai été vacciné) et si on oublie que je me suis bloquée le dos à en devoir être portée aux urgences, ça s'est bien passé dans l'ensemble.
Et c'est donc pour ça, en plus de ne jamais avoir eu d'emploi bureaucratique, que j'ai eu autant de mal à me mettre dans la peau des personnages. Il y a sûrement des zones de flou, c'est sans doute approximatif et erroné, mais j'étais encore plus dans l'inconnu que pour le bal royal ^^'
Hulul est issu de Skyward Sword !
Bonne lecture !
8- Relation établie / longue distance
Jehd se réveilla en sursaut, l'angoisse lui tordant l'estomac efficacement. Quand son regard flou tomba sur l'écran de son réveil, son état empira à l'heure affichée et il se précipita dans la salle d'eau pour prendre une douche express, se coupant pratiquement alors qu'il se rasa, froissant sa chemise en l'enfilant, manquant de peu de s'étaler alors qu'il sautillait dans son pantalon, lançant la bouilloire alors qu'il trébuchait dans la cuisine, se battant avec sa vaisselle peu coopérative et manquant de se brûler avec son thé.
Il était extrêmement en retard.
Évidemment, qui disait empressement disait enchaînement de trucs stupides qui empiraient la situation et le temps perdu dessus, c'était inévitable.
Jehd était presque arrivé à sa voiture quand il remarqua qu'il portait deux chaussures différentes et que sa cravate était restée à l'intérieur, le forçant à y retourner pour rectifier ça. Sur le chemin, il croisa sa voisine de pallier qui en fut bien surprise.
— Mais que faîtes-vous donc dehors, monsieur Maidson ?
— Je vais au travail, comme tous les matins, madame. D'ailleurs, je suis en retard, si vous voulez bien m'excuser…
— Mais, n'êtes-vous pas confiné, vous aussi ?
La confusion sur son visage était clairement ce qui poussa la jeune femme à élaborer ses propos.
— Rappelez-vous, le gouvernement a déclaré l'état d'urgence, nous ne devons sortir qu'en cas d'urgence, comme les courses. Et seuls les métiers considérés comme essentiels continuent. Ne m'avez-vous pas parlé de vos difficultés à utiliser Zoom ?
Lentement, tout lui revenait, au même titre que l'embarras, son visage s'empourprant lentement, au même rythme que le traitement des informations.
C'était pour ça que son réveil n'avait pas encore sonné. N'ayant plus le - long - trajet à parcourir, il s'était permis de s'offrir quelques dizaines de minutes de répit. Et étant donné le concert qui l'accueillit alors qu'il passait son entrée dans l'autre sens, il fonctionnait parfaitement bien. Ce n'était juste pas la bonne heure.
Piteusement, il reposa ses affaires et retourna dans les pièces à travers lesquelles il avait trébuché ce matin, mettant de l'ordre et offrant un peu plus de soin à sa tenue, se permettant un vrai petit-déjeuner, soupirant alors qu'il s'asseyait enfin.
Au moins, il l'avait réalisé avant de prendre la route. Il ne sera pas en retard et il n'y aura pas eu trop de témoins, même s'il doutait d'être le seul dans cette situation.
À l'heure dite, Jehd était devant l'ordinateur de l'entreprise, sa théière préférée fumant à côté, tapotant nerveusement le bout des doigts sur sa tasse.
Il avait réceptionné le mail du service informatique un peu plus tôt, cliquant sur l'adresse le menant à la salle de réunion virtuelle où il était attendu, et maintenant il patientait autant calmement qu'il le pouvait.
La veille, il avait assisté à une réunion avec les différents chefs de départements pour se mettre au diapason pour les semaines à venir, même si on sentait bien qu'un peu tout le monde était perdu, particulièrement les plus âgés et ceux les moins à l'aise avec la technologie. Lui-même s'en sortait tout juste, alors il croisait intérieurement les doigts pour qu'aucun souci nécessitant une intervention du service technique ne survienne.
Initialement, il était sensé rencontrer un nouveau collaborateur, embauché depuis peu, et ainsi le former puis l'ajouter au projet en cours. Les ordres n'avaient pas changé, uniquement le moyen de communication. Et cette situation, plus que tout le reste, était une source de préoccupation sans fin.
Jehd était quelqu'un d'assez social dans l'ensemble. Il avait toujours un mot gentil pour tout le monde, s'enquerrait de leur santé et leur souhaitait un bon anniversaire, acceptait chaque invitation pour traîner après le travail, bref, d'un point de vue extérieur, personne n'avait rien à dire sur cet aspect. Bon, il n'était pas toujours le plus souriant des collaborateurs, parfois perdu dans ses pensées, mais les résultats étaient là et il était sans le moindre doute l'employé apparaissant le moins parmi les rumeurs ou les notes de service. Il vivait sa petite vie en attirant le moins possible les projecteurs sur lui.
Link Lon n'était pas la première personne qu'il aura à former, loin de là, et il avait toujours eu des compliments ou des félicitations au sujet de ses recrues. Il y avait bien eu quelques couacs, mais soit il leur trouvait alors un référent plus compatible, soit ils travaillaient tous les deux sur le problème jusqu'à sa résolution.
Mais la situation était différente.
C'était sans doute idiot, mais qui dit visioconférence, disait aussi intrusion dans son espace privé.
Idiot, n'est-ce pas ?
Surtout que le petit espace qu'il avait dédié à son bureau était parfaitement convenable et n'offrait ni matière à commérer ni à s'extasier. La caméra ne donne accès qu'à un mur vide peint en blanc cassé, en plus de son visage, et il s'était assuré que l'angle ne descende jamais plus bas que ses clavicules, gardant un anonymat et une distance entre personnel et professionnel. Rien d'inquiétant ni d'intrusif.
Mais c'était ainsi qu'il ressentait cette situation. Comme inviter un inconnu dans sa petite bulle de confort et que plus rien ne sera comme avant.
Distraitement, il confirma son entrée et attendit les cinq dernières minutes avant l'heure prévue pour que ça débute. Il eut l'agréable surprise d'être rejoint alors qu'il restait encore deux minutes, un sourire rassuré adoucissant ses traits anxieux.
Ils allaient pouvoir commencer.
Link Lon rebondissait pratiquement sur sa chaise, au grand malheur de celle-ci s'il devait se fier aux gémissements plaintifs de ses vérins, mais il ne pouvait s'en empêcher.
Fraîchement diplômé, il avait envoyé sa candidature sans trop y croire, plus pour la frime et pour marquer le coup que par réel espoir de décrocher un entretien. Et encore moins un poste.
Et il était là.
Il ne s'y attendait tellement pas qu'il avait été pris de court quand il avait remporté tout ça et qu'il comprit qu'il devait quitter son village natal pour rejoindre la capitale afin de pouvoir se rendre tous les jours à son nouveau bureau. Sauf que, en gamin impulsif qu'il était, il n'avait pas pensé aussi loin.
Par bien des aspects, l'ordre royal de confinement général et la dématérialisation de son travail était une bénédiction. Il lui permettait de profiter encore de sa famille - bien qu'il ne vivait plus avec eux depuis quelques années - mais aussi de repousser les recherches de logement, jusqu'au moins la fin de sa période d'essai. Définitivement, un don du ciel.
Bien sûr, il n'était pas assez égocentrique pour hurler sa bonne fortune sur tous les toits, conscient que cette bénédiction allait de pair avec cette épidémie qui mettait à mal bien trop de gens, allant jusqu'à la mort. Mais comme le lui répétait sa mère adoptive, il fallait apprécier chaque petit bonheur qui venait à soi.
Pour le moment, il fixait le mail qu'il avait ouvert un peu plus tôt, contenant le lien qui le mettrait en contact avec le manager, fébrile. Il alternait avec l'heure affichée sur sa barre des tâches, trépignant.
Malgré tous ses meilleurs efforts, il finit par cliquer avant l'heure dite, n'en tenant plus. Et il fit bien car il fut accueilli par un visage souriant et accueillant.
Les dés étaient jetés.
Une routine confortable s'était installée entre eux deux. Ils se retrouvaient à l'heure dite, Jehd le guidait à travers les diverses tâches attachées à son poste. Il y avait un petit côté pesant dû au fait qu'ils ne coupaient pas leur visio avant l'heure de la pause-déjeuner et la fin de la journée, mais ça permettait au moins de rendre les questions plus naturelles et, surtout, Link n'hésitait pas à les poser, oubliant parfois de réfléchir un peu avant, mais jamais il ne dépassa la limite et était toujours conseillé correctement.
Franchement, si on oubliait ce qui se passait à l'extérieur de leurs appartements respectifs, il y avait un petit côté paradisiaque.
Plus d'une fois, Jehd avait dû le reprendre quand il se mettait à siffler un peu trop fort dans le micro ou quand il se perdait un peu trop longtemps dans ses pensées, celles-ci s'envolant dans l'étendue d'herbes vertes qu'il apercevait à travers sa fenêtre, mais il ne le lui reprochait jamais pour autant, affichant parfois un petit sourire amusé, presque attendri alors qu'il retournait à son travail.
Link se rendit compte qu'au lieu de se sentir contrit, il avait pratiquement envie de reproduire, juste pour le plaisir de revoir ce sourire, sans même vraiment savoir pourquoi.
Ils en étaient à la troisième semaine et Link pensait avoir fait le tour de tout ce dont il avait besoin, de plus en plus autonome sur ses dossiers personnels. Il ferait la connaissance - virtuelle - des membres de sa future équipe la semaine suivante et pourrait bientôt travailler plus en solo, ses séances avec Jehd étant déjà établies dans son futur planning.
— LINK, NON !
Sorti de son petit train de pensées très violemment, le jeune toalien manqua de peu de rencontrer son bureau en pleine face, son coude glissant sur le plateau.
Il se redressa très rapidement, tirant sur les plis de sa chemise et manquant de peu de redresser sa cravate avant de se souvenir de son absence.
Luxe du distanciel, le dressing code avait pu être assoupli.
Retournant à l'écran pour faire face à son supérieur et à ses remontrances, il eut la surprise de faire face à une étendue de poils sombres et un tout petit bout de son référent. Celui-ci avait l'air de lutter avec ladite étendue de poils en ayant l'air de ne pas trop savoir comment s'y prendre.
— Tout… tout va bien ?
— Oh, navré M. Lon, Mon chat a décidé de sauter sur mon bureau et j'ai toujours un peu de mal à me faire obéir. Allez, descend de là, je travaille.
Il poussa contre l'échine de l'animal mais il était évident que lui-même n'était pas enthousiaste. Il manquait ce petit quelque chose dans son ton qui lui permettrait d'être obéi sans discuter, sans pour autant être autoritaire.
Ce n'était pas très charitable, mais Link ne put s'empêcher de sourire à ce spectacle, amusé, même s'il s'assura de garder son visage vierge de toute trace de sourire. Il avait trop bien travaillé pour ne pas tout perdre à cause d'un chat !
Suite à cet incident, Link le chat fit irruption à plusieurs reprises, s'invitant sans la moindre gène à leurs échanges, au point que plus aucun des deux ne releva sa présence, Jehd allant jusqu'à le caresser machinalement alors qu'il lui expliquait une nouvelle directive, le guidant pas à pas au rythme des ronronnements.
Avec son arrivée, c'était parfois le signal d'une pause, aussi, d'une respiration durant laquelle leurs conversations quittaient le cadre de leurs postes, se centrant sur leurs quotidiens et comment ils le vivaient.
— Ce qui me manque le plus, c'est les longues promenades. J'ai vécu ici toute ma vie et la nature est un vaste terrain de jeu. Les forêts à perte de vue, les champs innombrables… J'ai pour habitude de passer toutes mes journées dehors, au contact des animaux.
— Ça paraît si bucolique, soupira envieusement son référent. Ça me rappelle des poèmes…
Link avait été surpris de sa capacité à citer de mémoire de longs textes, mais il ne l'arrêtait jamais, découvrant ou redécouvrant des œuvres qu'il avait pu croiser lors de ses études ou de ses propres lectures. Sa voix avait quelque chose d'apaisant, un peu comme si elle le berçait.
Après ces moments-là, souvent après qu'ils s'aient salué, alors qu'il se détendait, se préparait à manger ou s'offrait quelques minutes à l'extérieur pour s'aérer l'esprit, des phrases lui revenaient et il devait stopper la pensée galopante qui l'emmenait toujours trop loin.
Mais lors des heures du coucher, il lui était bien plus compliqué de le faire et bien souvent s'endormait-il avec ce ton enthousiaste et enflammé, récitant des vers dont il ne se souvenait pas toujours l'exactitude, mais la magie opérait.
Il n'en prit l'exacte ampleur que le dimanche matin, alors qu'il se fit la réflexion qu'il avait moins bien dormi que les jours précédents, son esprit embrumé parvenant à la conclusion que c'était dû à l'absence de cette étrange berceuse à laquelle il s'était habitué bien vite.
Le lundi ne fut jamais autant redouté que celui-ci.
En plus de cette réalisation, Link avait fini l'encadrement personnel et allait débuter sa première réunion avec l'équipe au complet, et ainsi faire leur connaissance, aussi étrange que cela puisse paraître par écran interposé.
Autant dire qu'il avait été encore plus nerveux et plus ponctuel que les premiers jours, droit à se briser la colonne vertébrale, à deux doigts de l'apoplexie. Mais, heureusement, tout se passa bien et il s'aperçut même rire à une pique cinglante d'une collègue. Cette fois-ci, alors que leur journée s'achevait, il ne se déconnecta pas tout de suite mais resta avec toute la petite équipe, à bavarder. S'ils avaient été sur site, nul doute qu'il aurait été invité à prendre un verre après le travail. Mais il fallait s'adapter.
Jehd s'excusa assez rapidement, sous les piques d'Ash qui, décidemment, avait un caractère bien trempé et une langue acérée, et les salua en leur rappelant que ce n'était pas parce qu'ils étaient déjà chez eux qu'ils pouvaient s'enivrer. Demain n'était que le deuxième jour de la semaine, après tout !
Faire ainsi plus ample connaissance avec ceux constituant le groupe avec lequel il travaillera à partir de maintenant était une bonne idée et Link alla se coucher le sourire aux lèvres et plus apaisé encore.
Répondre à cette offre d'emploi était définitivement la meilleure chose qu'il avait fait de sa vie, surtout si les autres jours ressemblaient à celui-ci !
— Link, tu descends de là !
Personne ne releva les yeux ou la tête de sa tâche à cette interpellation, et encore moins le nouveau collaborateur. Déjà un mois qu'ils étaient confinés et opéraient en distanciel, et c'était loin d'être la première occurrence. Le chat de leur manager avait l'amusante manie de lui sauter sur les genoux ou le clavier selon ses envies, réclamant son attention avec une obstination qui rappelaient les chèvres de Fahd au Toalien, bien qu'il préféra garder l'anecdote pour lui.
Il avait déjà été charrié plus d'une fois sur son accent typique de la région de Latouane, mais toujours de manière affectueuse et sous le regard d'aigle de Jehd qui s'assurait que personne ne dépassait de limite confortable. Vu l'amusement des autres, ça devait être son comportement habituel et non un quelconque traitement de faveur de sa part.
— Ce pauvre animal ne doit pas comprendre ce que tu fais sur son fauteuil préféré, ricana Lise, une fois. N'as-tu donc pas honte ?
— Ah, j'ai entendu parler de ce phénomène, s'amusa à son tour Reynald en sirotant son café. Avec l'obligation de rester chez nous, les animaux de compagnie sont confus par la présence constante de leur maître et doivent apprendre à composer avec. Les chats sont les plus coriaces. Ils ont un peu tendance à être réfractaires à tout changement sur leurs territoires. Je te souhaite bonne chance avec Link.
Un soupir de fin du monde lui servit de réponse alors que Jehd comprenait que son combat ne faisait que commencer.
— D'ailleurs, vous avez des nouvelles sur la fin de tout ça ? soupira à son tour Lafrel. J'ai l'impression qu'à chaque nouvelle locution de sa majesté, la date s'éloigne de plus en plus.
— Étant donné l'état des hôpitaux et autres centres médicaux, le plus tard est le mieux.
Les stylos étaient pratiquement tous abandonnés alors que la conversation se centrait sur leur triste actualité.
— Si tu savais combien je t'envie, Link, pleurnicha faussement Ash. Mon appartement est minuscule et il m'est impossible de m'exercer comme j'en ai l'habitude. Non seulement mes voisins sont de vieux grincheux qui râlent au moindre éternuement, mais je manque toujours de jeter au sol les meubles quand j'ai le malheur de vouloir m'exercer.
Ancienne escrimeuse de haut niveau, elle avait déjà mentionné à plusieurs reprises cette restriction. À cela avait suivi une longue diatribe de quasiment toute l'équipe, tous vivant à la capitale dans des logements de taille variée, mais combinant à la claustrophobie avec leur situation inédite.
De son côté, si le jeune Toalien était sujet aux mêmes restrictions, il était vrai qu'il habitait dans une maison assez vaste bien qu'incongrue - il ne leur avait pas encore mentionné ce… détail - et pouvait largement parcourir tous les kilomètres qu'il voulait, tant qu'il respectait les mesures sanitaires vis-à-vis des villageois. Personne ne viendrait vraiment le contrôler, le tout reposant sur la confiance. Après tout, les trois-quarts d'entre eux ne pouvaient se permettre de rester bien sagement chez eux. Avec leur fonctionnement en autarcie, il était inimaginable d'abandonner le travail de la terre ou les animaux en attendant que tout se tasse. Si le commerce avec le reste du pays leur était pratiquement interdit pour l'instant, il fallait quand même continuer de faire tourner la machine !
— Et en te concentrant uniquement sur les échauffements ? proposa-t-il avec sympathie.
— C'est pas suffisant.
Le hasard de leurs conversations leur avait permis de découvrir leur passion commune pour le sport et il leur arrivait de s'échanger quelques conseils, même en-dehors des heures de bureau. Ça lui faisait bizarre. Même s'il avait été à l'université avec des étudiants provenant des quatre coins du royaume - et même au-delà - il avait passé la majeure partie de sa vie avec les vingt même personnes ou presque. Se présenter ou parler de lui était un exercice bien étrange quand tout le monde savait tout de toi bien mieux que toi-même.
— Si je devais être égoïste, c'est de ne pas avoir pu assister à la conférence du Dr Borville, reprit Reynald. J'étais enfin parvenu à obtenir l'autorisation de la part de la RH. Mais bon, comme je le disais, c'est un souhait égoïste. Je suis suffisamment heureux d'avoir eu le temps de retrouver ma fille.
Il avait fait parti de ceux qui n'étaient pas chez eux lors de la décision du confinement général et avait donc dû rester là où il se trouvait. Plus chanceux que les autres, c'était la maison de ses parents, à Cocorico, ce qui faisait de lui la deuxième personne la mieux installée, après Link.
— Et moi donc, soupira dramatique Jehd. Mon auteur préféré organisait une lecture publique avec séance de dédicaces. Ça fait cinq ans qu'il ne donnait aucune nouvelle, travaillant sur son nouveau livre, l'excitation était palpable à cette annonce. Quand je pense au mal que je me suis donné pour obtenir un billet et un congé exceptionnel…
Le souvenir devait être assez important car il s'affala pratiquement sur son bureau, ne laissant plus que son dos et l'arrière de son crâne de visible à la caméra, ignorant les sourires en coin de ses subordonnés et leurs regards entendus.
Lise gloussa dans le gâteau qu'elle mangeait alors que Lafrel secouait la tête avec compassion.
— Mais quelle reine du drama, râla ouvertement Ash. Elle sera reportée comme tous les événements dans ce genre, arrête de te poser en victime.
— Tiens, ça me fait penser que j'avais aussi prévu de me rendre à la capitale pour cette occasion, commenta pensivement Link. J'avais pensé que c'était une bonne idée si j'avais la chance de décrocher ce boulot. Le trajet est long depuis ici, mais vu que j'aurais été sur place…
— Oh, toi aussi ? Quelle amusante coïncidence !
— Vraiment Link ? Je ne t'aurais pas imaginé du type grand lecteur. En tout cas, pas au même niveau que notre cher nerd attitré !
— Le nerd attitré se trouve être ton supérieur, Ash, fais attention à tes propos.
Loin d'en être inquiète, elle balaya la réprimande d'un mouvement de main impatient, curieuse de la réponse.
— Comme vous le savez, Toal est assez reculé, les distractions sont assez rares. En plus des livraisons de fromages et de potirons, nous avons parfois une petite caravane itinérante passant sur un horaire non fixe. Avant Internet, c'était bien notre seul réel lien avec le reste du monde. Et c'est auprès de ces marchands qu'il est possible d'acheter des livres. Je leur prenais un peu tout et n'importe quoi, l'essentiel était de pouvoir occuper les longues veillées d'hiver et autres heures d'attente. C'est comme ça que j'ai découvert Hulul.
La réaction inattendue de Jehd surprit absolument tout le monde. Il se redressa tel un diable s'éjectant de sa boîte, et nul doute qu'il se serait jeté au cou de leur nouvelle recrue s'ils s'étaient trouvés en face à face.
— Hulul ! Tu connais Hulul ?!
— Euh, oui ?
— C'était justement à sa lecture que je devais me rendre !
— Oh, que les déesses nous prennent en pitié, marmonna Ash. Ils sont deux, maintenant.
Hochant sentencieusement la tête en accord, ses collègues coupèrent leur connexion, laissant les deux fans entre eux et protégeant ainsi leurs esprits des divagations habituelles de leur manager. Avec un peu de chance, il n'effrayerait pas leur cher bleu et ils seraient ainsi épargné du sujet de son conversation préféré.
Le grand écrivain Hulul et ses sacro saintes recherches sur le peuple des Célestiens.
Ils pouvaient pratiquement citer ses travaux à la virgule près à force de subir les divagations de Jehd à son sujet.
Suite à cette conversation, Jehd et Link s'étaient un peu rapprochés et il n'était pas rare qu'une fois leur journée de travail achevée, ils se retrouvent pour discuter de façon plus décontractée, que ce soit pour échanger sur leur auteur préféré ou sur d'autres sujets.
Il y avait un confort, quelque chose de pratiquement domestique, alors qu'ils bavardaient tout en préparant leur dîner séparément de leur côté.
— Tu as déjà vu Toal ? lança un soir Link.
— Non, jamais. Je n'ai quasiment jamais quitté la Citadelle. Je me suis déjà rendu quelques fois à Cocorico et c'était déjà un long périple. Quelques déplacements dus à mon poste, aussi, mais rien de touristique.
— Si tu veux, un de ces jours, je peux te faire visiter grâce à la caméra ! J'ignore si ce sera aussi vivant que si tu étais sur place, par contre…
Link avait vite perdu le vouvoiement quand ils n'étaient qu'eux deux, son accent épais revenant le forçant parfois à ralentir ou à répéter après quelques réactions confuses de la part de son interlocuteur, mais aucun des deux n'émit le moindre jugement en-dehors de ça, Jehd étant même assez amusé par son caractère si naïf et entier, bien qu'il savait qu'il le reprendrait à la seconde où ce comportement déborderait dans le cadre professionnel.
Il avait subi bien assez de taquineries sur le prénom de son chat et encore maintenant Ash et Lise concourraient pour sortir la phrase la plus graveleuse possible tout en sous-entendu en direction de l'animal, juste pour le plaisir de provoquer une réaction d'embarras auprès de leur nouveau collègue, le rouge s'étendant jusqu'à la pointe de ses oreilles.
Ce serait mentir que de prétendre qu'il ne ressentait pas d'amusement à cette vision, lui donnant la furieuse envie d'accroître sa gène, mais aussi de tirer sur ce col pour constater jusqu'où la couleur pouvait s'étendre. Généralement, il se forçait à stopper là ses pensées intrusives, les jugeant inopportunes et irrévérencieuses. Mais avec le temps passant…
Le pire étant sans doute qu'il n'avait pu cacher son intérêt grandissant au reste de l'équipe, celle-ci le connaissant depuis bien trop longtemps, et aucun n'avait vraiment raté sa réaction quand Link les avait quitté précipitamment - et avec sa permission - après qu'un jeune adolescent soit venu le chercher afin de rattraper des chèvres, s'il avait bien compris.
Le jeune Hylien s'était alors précipité à une échelle pour la redescendre tout aussi vite, un pantalon du style capri menaçant de quitter ses hanches alors qu'il tentait d'attacher plusieurs couches de tissus autour de ses hanches à l'aide d'une ceinture, elle aussi en tissu, le torse dépouillé de tout habit, ce qui fut salué par quelques sifflements appréciateurs de la part des demoiselles, mais aussi d'un rougissement prononcé pour sa part, alors que Link se précipitait au-dehors, l'air concentré.
Ses subordonnés profitèrent de l'absence du sujet de sa réaction pour le taquiner jusqu'à l'écœurement, ou du moins, jusqu'à ce qu'il quitte la communication, l'arrêtant pour tout le monde dans la foulée. Il ne la rétablit qu'au retour paniqué de Link, prétendant une connexion instable. Il fut bien le seul à croire ça, au vu des sourires en coin affichés par les autres. Au moins tinrent-ils leurs langues.
— Et puis, quand le confinement sera levé et que les restrictions de déplacement seront levées, tu pourras venir, aussi ! Mes parents ont hâte de faire ta connaissance, tu sais ?
Jehd crut se sentit défaillir à cette révélation sortant de nulle part, mais Link avait détourné son visage plus tôt, rendant impossible la lecture de celui-ci. Était-une plaisanterie ? S'inventait-il un sens plus profond que celui utilisé ?
Ce ne fut pas l'unique fois où il se retrouva à se questionner la portée réelle des invitations ou des propositions de son subalterne, se retournant tard la nuit dans son lit, son cerveau somnolant décortiquant la moindre phrase au sens légèrement ambigu pour en extirper le plus possible de réponses.
Ça faisait déjà deux mois qu'ils se voyaient pratiquement tous les jours, deux mois que le confinement national avait été promulgué et les activités « non essentielles » avaient été gelées ou adaptées comme dans leur cas,
Sur leurs jours de congés, ils décidaient parfois de s'envoyer quelques messages en-dehors du canal professionnel. C'était principalement Link qui partageait des photos du paysage de son village natal ou enregistrait le chant des oiseaux. La plupart d'entre eux étaient publiés dans la conversation de groupe à leur demande, mais il arrivait qu'il en sélectionne certains pour l'adresser uniquement à sa personne avec parfois quelques commentaires.
Comme il l'avait promis, il lui faisait découvrir la région qui l'avait vu grandir au travers de photos mais aussi d'anecdotes et pour lui qui était enfermé dans son petit appartement à la bordure de la Citadelle avec son chat et le droit à une seule promenade de dix minutes hors nécessité par jour, c'était le plus proche qu'il avait d'une profonde bouffée d'oxygène après en avoir manqué pendant trop longtemps.
Il n'était même pas envieux de la liberté dont jouissait son collaborateur, juste impatient que tout cela finisse pour pouvoir fouler à son tour cette herbe grasse et si verte…
Après un début de soirée passé à discourir sur les sources avoisines, mais plus particulièrement celle de Latouane et ses bienfaits curatifs, avec démonstration à l'appui s'il vous plaît !
Jehd avait bien cru prendre feu quand il avait retiré ses habits sans le prévenir, puis sauté dans le bassin peu profond, après avoir pris soin de caler son téléphone pour qu'il continue de profiter de la vue.
Et pour en avoir profité… Que les déesses le damnent.
Tout aussi naturellement que leurs échanges strictement professionnels avaient fini par dériver en-dehors des heures de bureau, puis sur leurs temps de congé, il leur arrivait aussi de marmonner depuis leurs lits respectifs, dans l'attente d'un sommeil qu'ils repoussaient de toutes leurs forces afin que ce moment ne finisse jamais, mais toujours perdaient-ils, leur réveil les extirpant inconfortablement de leurs songes.
— Qu'as-tu l'intention de faire quand tout reviendra à la normale ? avait soufflé un soir Link.
— Prendre le premier transport pour Toal, voyons. J'ai cru comprendre qu'il y avait un bol de soupe de potiron avec mon nom dessus qui m'attendait depuis trop longtemps.
— Non, sérieusement.
Cette précision, ajoutée à son ton posé et calme, lui fit retenir son souffle alors qu'il prenait conscience de l'ampleur de la question et tout ce qui se trouvait derrière. Toute une montagne de non-dits, un piège dans lequel il pourrait perdre jusqu'à son nom, sa petite vie bien rangée, sa réputation…
— Je n'ai jamais été plus sérieux de toute ma vie, déclara-t-il d'un ton solennel qu'il s'ignorait.
— Oh. Alors j'ai hâte que tout cela finisse, bien que je t'attendrai aussi longtemps qu'il le faudra.
C'est avec le même sourire niais qu'ils raccrochèrent, bien qu'ils l'ignoraient, s'endormant avec une impatience qu'ils n'avaient pas ressenti depuis deux mois.
"Deux personnes se rencontrent pour la première fois pendant la distanciation sociale. Elles travaillent dans des départements ou des villes différentes.
Au début, ils sont habillés de façon décontractée et gardent une attitude professionnelle.
Puis, un jour, un animal de compagnie apparaît et la conversation devient moins formelle.
Ils commencent à échanger des conseils sur la façon de faire de l'exercice dans un petit appartement. Ils s'apitoient sur le manque d'aliments ou d'activités préférées. Il s'avère qu'ils devaient tous deux se rendre à un événement qui a été annulé.
Finalement, ils se retrouvent tous les deux en pyjamas. La journée de travail est terminée, mais leur appel a maintenant lieu le soir. Ils préparent le même repas, regardent un film ensemble. Quand cet enfermement prendra fin ?
Tant de potentiel pour se languir. Tant de regards nostalgiques. De collègues en appel vidéo à amis à amants." Idée trouvée sur le Tumblr de ao3commentoftheday
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