J'ai écrit cette fiction un week-end passé dans un cimetière il y a trois ans (ouais, j'ai des week-end bizarres parfois) sur un cahier avant de tout recopier et compléter sur ordinateur mais je pense qu'il en est sorti quelque chose de bien... Je suis revenue sur la même tombe il n'y a pas longtemps & j'ai pensé qu'il était vraiment temps de publier... J'ai peu de temps donc elle a à peine été relue je vous demande de m'en excuser ...
Merci pour votre patience, votre fidélité... Je ne sais pas quand est-ce que je posterai la suite-fin de Diabolique est mon ange mais ça arrivera... Promis.
Bonne lecture à vous tous !
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The shadow in the Graveyard.
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Et si le fantôme qu'elle voyait errer et terroriser tous ceux qui osaient encore s'approcher du cimetière n'en était pas un ? Et si Emma voyait ce que les autres ne pouvaient plus voir depuis des années ?
( Ouais, je sais, le résumé est pourri mais faites moi confiance ;) )
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Longtemps elle avait eu peur. Enfant encore lorsqu'elle avait aperçu pour la première fois la créature dont on parlait dans les coursives des servants. La silhouette encapuchonnée qui errait inlassablement dans le cimetière. Debout sur une chaise pour atteindre la haute fenêtre de sa chambre, jumelles volées à son père fermement fixées devant elle, elle avait observé des centaines de fois l'étrange phénomène.
Toujours à la nuit tombée. Eté comme hiver. Sur un tapis de feuilles mortes ou de neige glaciale… Rien ne semblait empêcher le rituel de la chose qui avait élu domicile avec les morts.
"On raconte qu'un seul regard et elle peut vous changer en pierre" avait-elle entendu comme pour justifier les étranges statues qui semblaient trôner ça et là dans le cimetière.
Emma était allée les voir. Le jour. Avec l'étrange impression d'être observée mais rassurée parce que non la créature ne se montrait pas à la lumière du soleil. D'ailleurs n'était-elle pas comme ces vampires dont on parlait parfois ?
Mais non… la blonde l'avait vue un jour marcher au milieu des tombes alors que l'astre se levait à l'est, insensible aux rayons qui faisaient miroiter la cape d'un noir profond. Un instant une main était apparue et la jeune fille avait eu le temps d'y voir l'éclat d'une bague avant qu'elle ne retourne à l'abris d'une poche. Mais la créature n'avait pas crié. Pas brûlé.
Pas un vampire donc…
Mais pas non plus un être vivant lui soufflait une petite voix lorsqu'elle observait la silhouette glisser entre les sépultures comme suspendue à quelques centimètres du sol avec la grâce d'un ange. Ou plutôt d'un démon disait la légende…
- Tu crois pas qu'on devrait demander à mon père d'aller y faire un tour pour nous ?
- On a peur ? ricana-t-elle.
Malgré sa claire tendance à désobéir aux ordres de ses parents, Emma avait rarement enfreint l'interdiction de sortir hors de l'enceinte du château à la nuit tombée. Surtout depuis qu'elle avait entendu parler de Rumplestiltskin, le monstre qui s'échappé du donjon dans lequel on l'avait enfermé des années durant. Si le démon n'avait pour l'instant pas paru vouloir se venger, tout le monde savait qu'il le ferait tôt ou tard…
Mais ce soir Cannelle avait échappé à sa surveillance et c'était bel et bien dans le cimetière qu'ils avaient vu le chat beige et noir se faufiler.
- J'ai pas peur ma grande, mais je...
- Tu as peur, coupa-t-elle l'excuse qu'allait certainement lui délivrer August.
Le jeune homme faisait partie des rares connaissances qu'elle avait gardées au fil des années. Le fils du menuisier avait été son principal complice dans tous les délits qu'elle avait pu commettre.
Ce soir ne dérogerait par à la règle décida-t-elle en franchissant le portail en fer forgé le pas à peine plus prudent que lorsqu'ils avaient été sur le sentier principal. Le gravier entre les tombes crissait presque comme de la neige sous leurs pieds et ils s'arrêtèrent en un même frisson lorsqu'au loin un chat hurla sa colère contre un de ses congénères.
- Peureuse, se moqua son acolyte.
- Pas du tout. Je me suis arrêtée pour repérer d'où ça venait. C'est peut-être Cannelle qui se fait courser parce qu'elle est en chaleur !
Son mensonge ne fut pas relevé, plissant leurs lèvres en une même grimace au souvenir d'une nuit passée au chevet de la petite chatte deux étés plus tôt lorsqu'il avait fallu l'aider à mettre bas.
- Cannelle ! appela-t-elle une énième fois en s'enfonçant dans le dédale de tombes qu'elle connaissait peu.
Bien sûr, elle n'obtint aucune réponse, le regard clair fouillant le paysage éclairé à la lumière de la lune à la recherche d'une quelconque silhouette. Mais rien... Pourtant un crissement autre que celui de leurs pas la fit tendre l'oreille, le cœur battant dans ses tympans. Trop lourd pour être celui d'un simple chat. Pas assez pour être celui d'un homme.
- Bouh !
- Bon sang August ! s'écria-t-elle peu fière du couinement qui lui avait échappé.
- Quel langage Princesse, se moqua à son tour l'intéressé entre deux rires.
- Tu sais ce qu'elle te dit la Princesse ?
- Qu'elle a...
- Cannelle !
Le chat avait déboulé comme s'il avait eu le diable aux trousses en une masse de fourrure qui avait sauté dans les bras qu'elle lui tendit. D'habitude peu câlin, l'animal se lovait déjà dans le col de son manteau lorsque August poussa un cri de pure panique.
- Qu...
Sa voix mourut quelque part dans sa gorge lorsqu'elle aperçut ce qui avait effrayé son animal de compagnie. Un loup aurait-elle dit au premier coup d'œil. Sauf que les loups ne se tenaient pas sur leurs pattes arrières. Pas un loup garou non plus... Emma avait vu des centaines de fois Ruby se changer sous ses yeux lorsque son père et elle partaient à la chasse.
- N'approchez-pas, ordonna-t-elle avec tout le courage qu'elle put trouver.
La main tremblante, elle observa la créature suivre des yeux jaunâtres le mouvement qu'elle fit pour atteindre la lame qu'elle portait à sa ceinture. Pouvait-elle au moins la comprendre ?
Oui, devina-t-elle à l'intelligence qu'elle voyait briller au fond des pupilles verticales. Pourtant son ordre ne fut apparemment pas suffisant à éloigner la créature dont les babines se retroussèrent sur des crocs qu'elle n'avait définitivement pas envie de sentir sur elle.
A ses côtés August avait dégainé la seule arme qu'il portait en permanence sur lui. Et si le couteau dont il se servait pour sculpter du bois pouvait certainement faire des dégâts, elle doutait de ses talents de combattant. Contrairement à elle, le jeune homme n'avait pas été entraîné à l'art de la guerre. Mais s'il y avait une seule chose qu'ils savaient tous les deux c'était bien de ne jamais tourner le dos à un animal prêt à bondir.
- Vous n'avez rien à faire ici. Les White n'autorisent que le clan des Lucas sur leurs terres et vous n'en faites pas partie, reprit-elle.
Elle aurait pu jurer voir un sourire se dessiner sur le visage lupin.
- Partez et je ne vous dénoncerai pas à ma mère.
La proposition ne sembla pas tenter la créature dont les mâchoires claquèrent à plusieurs reprises avant qu'elle ne fasse deux pas de plus. Dans ses bras le chat s'agita à nouveau et elle dut le lâcher lorsque des griffes labourèrent son épaule au travers du manteau qu'elle portait.
- Ok... murmura-t-elle tandis que la chose continuait son avancée et qu'ils reculaient de quelques pas pour maintenir une distance entre eux.
C'était le moment de mettre en pratique ce qu'on lui apprenait dans la cour du château deux fois par semaine. Après tout Ruby lui avait déjà montré comment se battre contre elle lorsqu'elle utilisait ses pouvoirs, ça ne devait pas être plus difficile que ça non ? Entre ses doigts la lame arrêta de trembler et elle repoussa les pans de son manteau pour se mettre en position, ignorant le grondement sourd de la bête.
- Em... Emma ?
- T'inquiète.
En face d'elle la créature s'était immobilisée et la blonde fit tourner son épée d'un mouvement de poignet, tentant de paraître plus confiante que ce qu'elle l'était.
- Alors ? eut-elle même le culot de narguer parce qu'elle se serait attendue à ce que son adversaire se jette sur elle en premier.
Mais ce ne fut pas le cas et elle eut un petit rire lorsque le loup abandonna sa pose presque humaine pour reculer à son tour à quatre pattes avant de détaler la queue entre les jambes.
- Eh bah voilà...
- Emma ?
Il y avait une angoisse toute nouvelle dans la voix de son ami qui lui fit faire volte-face, l'arme à nouveau levée. Parce que ce n'était pas d'elle que la créature avait eu peur...
Là, en face d'eux, à quelques mètres seulement se tenait la silhouette qu'elle avait souvent observée depuis les hauteurs du château. La figure humaine enveloppée dans une immense cape lui donnait toujours l'impression de flotter à quelques centimètres du sol en gravier mais aujourd'hui s'ajoutait quelque chose qu'elle n'avait jamais pu apercevoir de si loin...
La lourde aura d'une magie noire qui la fit frissonner. Et elle avait beau été prête à se battre tout à l'heure, la nouvelle présence lui donnait plutôt l'envie de tomber à genoux pour implorer la pitié qu'autre chose... L'épée qu'elle avait jusque là tenue devant elle lui échappa et à ses côtés August tomba littéralement à terre avec un cri étranglé.
- August !
- On s'en va, on s'en va ! paniqua-t-il en reculant sur la paume des mains.
Le spectacle fit battre son cœur un peu plus fort, la peur communicative. Pourtant en face d'eux l'autre n'avait toujours pas bougé et Emma se perdit quelques secondes dans la contemplation de la chose qu'elle avait si souvent observée de loin. La capuche en velours luisant cachait presque parfaitement la vision qui s'offrait à elle mais la jeune femme put tout de même discerner l'angle d'une mâchoire et la courbe de lèvres qu'elle attribua immédiatement à une femme.
L'espace d'un instant, le temps se figea et la Princesse tenta d'imprimer l'image dans sa mémoire, les yeux clairs traquant le moindre détail jusqu'à la fissure d'une cicatrice sur la bouche qui se déforma en un rictus malfaisant. Le grondement qui leur fut adressé était presque inhumain. Mais contrairement à celui de l'animal qui avait failli les attaquer, celui ci était uniquement destiné à les faire fuir comprit-elle quand elle eut le temps d'apercevoir un petit sourire moqueur lorsqu'ils détalèrent d'un seul mouvement.
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Ce soir-là, leur course ne s'était arrêtée qu'à la porte de la chambre de ses parents dans laquelle ils s'étaient introduits en un grand fracas. Elle qui s'était attendue à être punie pour leur insubordination fut surprise de voir le couple royal tout mettre en œuvre pour traquer la bête qui avait manqué de les attaquer. C'était Ruby et sa meute qui l'avait retrouvée et Emma avait vaguement entendu parlé d'un animal sous les ordres de Rumplestiltskin... Et si le mage noir ne s'était pas montré, son ombre avait plané des mois durant sur le château...
Quant à celle qui hantait toujours le cimetière, Emma avait dû jurer sur tout ce qu'elle possédait qu'elle était la seule et unique raison pour laquelle elle n'avait pas eu besoin de se battre contre le loup. Trop de fois, avait-elle repassé la scène en boucle, allongée les yeux ouverts sur le plafond de son lit à baldaquin. La silhouette n'avait clairement pas apprécié leur présence mais n'avait jamais cherché à les attaquer.
- Tu y penses encore ? lui avait demandé August un soir de pleine lune alors qu'il s'était postés sur l'une des tours d'astronomie.
Contrairement à lui, Emma avait dirigé sa longue vue sur le cimetière où elle avait observé la silhouette se déplacer de tombe en tombe avant de s'arrêter au-dessus d'une stèle. Un mouvement de la main avait fait naître un bouquet de roses noires, confirmation que l'inconnue était bien dotée de magie. Pas qu'elle ait vraiment eu besoin d'une confirmation se souvint-elle...
Deux ans plus tôt lorsqu'elle avait été confinée dans sa chambre jusqu'à ce qu'on découvre pourquoi un loup avait manqué de les attaquer, la blonde était restée la nuit entière devant la fenêtre où le front plissé elle avait vu sa mère drapée dans un manteau blanc se diriger vers le cimetière. Debout face à celle qui portait son éternelle cape d'un noir profond, elles avaient fait une étrange vision et un instant l'éclat immanquable d'une boule de feu avait brûlé dans la main de la plus grande des deux.
La Princesse s'était tendue, le cœur battant à tout rompre mais quelques secondes avaient suffi pour que le feu s'éteigne d'un mouvement désinvolte. Quelques mots avaient semblé être échangés avant que la mystérieuse silhouette ne tourne les talons et disparaisse dans la nuit.
- Oui, finit-elle par répondre à son ami.
- Moi aussi, sembla-t-il avouer. J'ai... Je fais encore des cauchemars...
- Des cauchemars ?
- Oui, j'ai... Son visage, tu sais... C'était... Horrible, finit-il avec un frisson.
- Ah bon ? s'étonna-t-elle en raffermissant sa prise sur les jumelles.
Même en agrandissant au maximum la visée, elle ne voyait que le miroitement de la lune sur le tissu brillant de la cape que l'autre portait. C'était pour ça alors que la femme se cachait sous le couvert de son immense capuche qui se parait parfois de fourrure lorsque la neige recouvrait les sentiers... La cicatrice qu'elle avait vu fendre la lèvre pleine n'était peut-être pas la seule qu'elle arborait ?
- Prête pour demain ?
- Non, répondit-elle immédiatement.
Les bals n'étaient vraiment pas son truc. Surtout quand on savait que depuis plusieurs années sa mère lui présentait prétendant sur prétendant sans succès. Personne n'avait jamais attiré son regard. Et lorsque cela avait été le cas, les brèves aventures s'étaient toujours terminées dans les cris révoltés de ses parents ou les sourcils froncés de Bleue. Mais énerver son professeur d'étiquette était une de ses activités favorites alors cela ne pouvait pas vraiment compter...
D'ailleurs c'était pour ça qu'elle avait choisi une robe rouge le lendemain. De toute manière, sa réputation n'était plus à faire. A vingt ans la Princesse n'était toujours pas mariée, connue pour avoir eu plusieurs aventures, monter à cheval comme un garçon et parfois même se battre auprès de son père. A un tournoi organisé par le royaume d'Aurore, elle avait caché son identité jusqu'au dernier moment où elle s'était inclinée devant la Princesse avec qui elle avait gagné le droit de passer la soirée.
Il ne s'était rien passé mais les rumeurs étaient allées bon train, amplifiées lorsque Snow avait osé lui présenter des jeunes femmes.
Mais rien à faire. Emma préférait sa liberté à la brève distraction d'une relation naissante.
- Oh mon dieu, vous allez encore faire faire des cheveux blancs à la Reine ! s'exclama sa dame de chambre lorsque les dernières touches de maquillage eurent été étalées sur son teint pâle.
Ce soir, les cheveux remontés dévoilaient un décolleté plus avantageux que d'habitude qu'elle avait orné d'une parure en or et rubis trouvée dans un coffre de ce qu'elle appelait la salle aux trésors. Découverte à l'occasion d'une partie de cache-cache lorsqu'elle n'avait qu'une dizaine d'années, la salle l'avait toujours fournie en tout genre d'objets dont elle avait eu besoin.
- Tant mieux, sourit-elle à la femme dans le reflet du miroir où elle s'était contemplée.
Emma n'était pas vaniteuse mais à force de se l'entendre répéter, elle avait fini par comprendre que sa beauté était réelle. Et ce n'était pas les regards qu'elle sentit peser sur elle ce soir-là qui auraient pu lui faire changer d'avis...
- Tu as vu la jeune femme près du buffet ? lui glissa August après qu'elle se soit excusée auprès d'un émissaire qui avait marché à plusieurs reprises sur ses pieds.
- Elle est saoule, rejeta-t-elle la proposition avant même qu'elle eut été formée à haute voix.
- Et le fils du Roi Eric ? Tu l'as vu ? Il a de ces yeux bleus... presque aussi beaux que les miens.
- Non.
- Pas aussi b...
- Non, il ne m'intéresse pas.
- Personne ? sembla donc conclure son ami avec une petite moue.
- Personne, confirma-t-elle en balayant une nouvelle fois la salle de bal d'un regard clair.
Il y avait bien quelqu'un qui avait attiré son attention. Un jeune homme aux cheveux à peine coiffés et au sourire en coin qui laissait à penser qu'il n'avait pas sa place dans la cour d'un château. Ce n'était pas son physique qui l'avait intéressée mais plutôt l'assurance désinvolte qui émanait de lui. Un peu comme de la magie...
D'ailleurs, c'en était peut-être qui la força à faire les quelques dizaines de pas qui la séparaient de l'intéressé qui l'accueillit avec un éclat brillant au fond des pupilles.
- Je croyais que vous ne viendriez jamais.
- Princesse, exigea-t-elle de lui le titre dont elle n'avait d'habitude que faire.
- Je croyais que vous ne viendriez jamais, Princesse, se corrigea-t-il sans se départir de sa superbe.
Emma ne savait pas très bien si elle avait envie de l'étrangler ou de lui sourire.
- Qui êtes-vous ? Je ne vous ai jamais vu ici.
- C'est que c'est la première fois que je viens...
- Et votre nom ?
- Vous pourrez facilement le trouver sur la liste des invités Princesse.
- Vous n'étiez pas invité, devina-t-elle à son air supérieur.
- Je suis toujours invité. L'avantage d'être un fils de...
- Fils de qui ? pressa-t-elle sa main se refermant avec impatience sur la coupe en or qu'elle tenait.
- Que diriez-vous d'aller faire un tour dehors ?
La jeune femme ne lui répondit pas tout de suite, observant l'inconnu avec l'étrange sentiment de vivre un instant décisif. A l'autre bout de la pièce August haussa un sourcil lorsqu'elle lui adressa un petit hochement de tête qui passa inaperçu auprès de son interlocuteur.
- D'accord, accepta-t-elle en refusant de prendre son bras pour le devancer vers la sortie et l'air frais qui la fit frissonner.
A l'extérieur, aucun mot ne fut échangé avant qu'ils aient dépassé la cour où avait été garé les nombreux carrosses que quelques hommes en blanc et bleu surveillaient d'un air sérieux.
- Alors ? reprit-elle lorsqu'ils furent sur la terre battue d'un jardin entretenu par les doigts de fées de toute une armée de jardiniers.
- Rumplestiltskin, fut la réponse à laquelle elle s'était presque attendue.
Le nom la fit tout de même frémir. Lui seul suffisait à invoquer chez soi la bête que personne n'avait vue depuis des années. Vingt au total puisque le démon s'était échappé de sa prison quelques mois après sa naissance.
- J'ignorais qu'il avait un fils.
- On ignore beaucoup de choses à propos de mon père.
- Et tout de vous...
- Je suis là pour vous apprendre.
- M'apprendre quoi ?
- Que je pourrais être la personne que vous cherchez.
La réponse lui arracha un petit rire mais le regard on ne peut plus sérieux qu'il portait sur elle le tarit presque aussitôt. Lâchant la rose dont elle avait été en train de caresser les pétales, elle reprit son chemin là où ses pas la menaient naturellement.
- Le cimetière ? Drôle de lieu pour un premier rendez-vous vous ne trouvez-pas ?
- Ce n'est pas un premier rendez-vous.
- Quoi alors ?
- Une audience. Je croyais que vous aviez quelque chose à me proposer ? Je vous écoute... Ici au moins personne ne vous entendra mentir mis à part moi.
- Je ne mens jamais.
Encore une affirmation qui la fit sourire. Elle ne connaissait pas une seule personne qui ne lui avait pas menti au moins une fois dans sa vie.
- Allez-y. Dites-moi quelques vérités...
- Vous avez de la magie. Vos parents vous mentent quand ils disent que l'aile ouest du château a été détruite dans un incendie. J'ai voyagé dans des univers où les Princesses comme vous ne survivraient pas une journée dans la rue. Mon père a écrit une prophétie sur vous. Vous me plaisez énormément.
- Je sais tout ça, mentit-elle.
- Vraiment ? Et vous avez tout de même accepté de vous retrouver seule avec moi ?
- Et c'est certainement en me menaçant que vous pensez vous faire une place dans mon lit ? ricana-t-elle cette fois.
- Ce n'est pas mon but premier mais... pourquoi pas ?
- Quel est votre but premier ?
- Vous.
Un sourcil clair s'arqua, ridant de moquerie le front de la Princesse.
- Vous êtes si différente des autres... comme moi. Ensemble nous pourrions être libres. Mon père se fera un plaisir de demander votre main à vos parents pour moi.
Cette fois la phrase la fit frissonner. Combien avaient-ils été à essuyer ses refus ? Mais pouvait-on dire non au Ténébreux ? Ses parents auraient-ils le moyen de la protéger de lui ? Ou serait-elle obligée de fuir ? Un instant la perspective parvint à la faire sourire. Enfant, les aventures de la jeune Snow White racontées au coin du feu l'avaient toujours fascinée alors bien sûr qu'elle se sentait prête à mettre les pieds dans les traces de sa mère.
- Votre père n'aura qu'à inscrire votre nom sur la liste d'attente, répondit-elle finalement au bout de quelques secondes.
- Quelle liste d'attente Princesse ? S'ils n'ont pas la décence de retirer leurs offres, je vous assure que mon père trouvera les arguments nécessaires à faire fuir tous les autres.
- Votre père... votre père... que ce mot à la bouche. Vous me faites penser à ces petits Princes qui ne sont rien sans leurs parents.
La pique toucha sa cible, l'éclat fauve de la colère éclairant les yeux du jeune homme qui avait jusque-là réussi à garder un calme presque fascinant.
- Attention à vos paroles, Princesse.
- Attention aux vôtres, fils de Rumplestiltskin. On ne me gagne pas à coup de menaces.
Et si elle crut un instant que l'agacement qui avait peint ses traits était dû à sa réplique, la blonde sentit un poids tomber le long de sa gorge et s'écraser au fond de son estomac lorsque des volutes de fumée d'un rouge aussi sale que du sang naquirent au milieu du gravier blanc. Les dents serrées, la jeune femme observa le nuage prendre forme humaine et les yeux d'un vert reptilien la clouer un instant sur place.
Elle avait été assez bête pour prononcer le nom de celui que personne n'osait plus invoquer.
- Je suis surpris de l'invitation, sembla avouer la voix qu'elle ne s'était pas attendue à trouver si chantante.
- Je ne voulais pas que votre fils se perde sur le chemin du retour, trouva-t-elle à répliquer.
En face d'elle, elle était surprise de découvrir qu'à l'exception d'un peau écailleuse aux reflets aussi verts que ses étranges iris, l'homme n'était pas aussi difforme que ce à quoi elle s'était attendue. Mais après tout, aucune représentation n'en était faite dans les livres qu'elle avait pu lire à son sujet. La blonde eut tout de même un petit frisson lorsque les lèvres fines se déformèrent en un rictus agacé sur des dents aussi aiguisées que celles d'un piranha.
- Dois-je comprendre que la proposition de mon fils ne vous intéresse pas ?
- Autant que celles de tous les autres, répondit-elle facilement.
- Mauvaise réponse.
Le pas menaçant qu'il avait fait vers elle la fit reculer de la même distance. Avec lui, il n'était pas question de jouer les effrontées. Le démon possédait tous les pouvoirs suffisants pour mettre fin à sa vie en un claquement de doigts. Pourtant aussi vite qu'il avait semblé perdre son calme, le Ténébreux se figea.
Elle mit quelques secondes encore à reconnaître la sensation qui agrippa ses chevilles avant de remonter en rampant le long de son corps et si elle avait encore eu un seul doute, l'expression horrifiée qui s'était peinte sur les traits du jeune homme qui ne lui avait toujours pas donné son nom aurait été un indice suffisant.
Avalant sa salive avec précaution, la blonde resta immobile, fascinée par la façon dont le mage noir se redressa, soudain intéressé par ce qu'il se passait derrière elle. Lui, n'avait pas l'air d'avoir peur de ce qu'il voyait mais la fascination morbide qui brillait dans ses yeux laissait clairement à penser que le spectacle n'aurait pas été agréable pour qui que ce soit d'autre.
- Nous reprendrons cette conversation plus tard Princesse, soyez-en certaine, eut-il l'air de lui faire ses adieux.
Mais ce ne fut pas à elle qu'il adressa un semblant de révérence avec un sourire sardonique qui lui donna, elle ne savait pourquoi, l'envie de l'étrangler. La seconde d'après un tourbillon de fumée avait emporté ses interlocuteurs et la jeune femme resta immobile encore de longs instants, la respiration de plus en plus agitée.
Il fallait qu'elle parte.
- Ne vous retournez-pas.
L'ordre délivré par une voix basse l'immobilisa aussi implacablement qu'un sort, le cœur battant la chamade dans le décolleté de sa robe rouge. Derrière elle, le gravier crissa à plusieurs reprises, anéantissant sa théorie selon laquelle la silhouette qu'elle avait souvent observée ne se déplaçait pas comme un être humain. Le bruit qui s'était rapproché lui semblait assourdissant dans le silence de la nuit mais la voix qui parla directement dans son oreille éclipsa tout le reste.
- Les yeux fermés.
Elle s'en voulut de trouver les trois mots presque déplacés. Délivrés par la voix hypnotique de l'inconnue elle aurait presque pu les imaginer dans un autre contexte. Sans surprise, la blonde obéit et il y eut quelques secondes encore pendant lesquelles il lui sembla que l'autre attendait de voir si elle garderait les paupières résolument closes.
Une éternité plus tard, le gravier crissa à nouveau et elle étouffa un gémissement pathétique derrière ses dents quand le velours d'une cape effleura ses bras ballants. La chose était en train de la contourner et elle eut un sursaut lorsque deux doigts remontèrent son menton comme pour l'observer, la suspicion confirmée lorsqu'elle fut forcée à se montrer de profil.
- Em-ma White ... Deux fois déjà que nous nous croisons ...
- Oui, répondit-elle d'une petite voix après avoir été incapable de cacher le frisson que l'autre avait provoqué.
Il n'y eut rien d'autre mais les doigts descendirent le long de sa gorge, saccadant sa respiration d'une peur viscérale. Si elle ouvrait les yeux maintenant, elle se serait certainement retrouvée face à la vision d'horreur qui hantait August depuis deux ans déjà et semblait affoler n'importe qui.
- Mon collier, fut finalement les deux mots qui tombèrent des lèvres qu'elle avait brièvement aperçues la dernière fois, les doigts frappant un coup quelques centimètres au-dessus du bijou qu'elle avait choisi ce soir-là.
- A... Ah bon ? Reprenez-le si vous voulez.
Aucune réponse mais le contact disparut et si elle n'avait pas senti la magie potente aussi proche d'elle, la Princesse se serait peut-être risquée à ouvrir les yeux. Au lieu de ça, elle finit par baisser le visage, inspirant l'air en de grandes bouffées où s'engouffrait un parfum trop agréable pour appartenir à un monstre.
- Baelfire avait raison. Vous avez de la magie.
Baelfire ? C'était donc le nom du fils du Ténébreux ? Et cette femme le connaissait ?
- Je sais, répondit-elle après un temps.
- Mais vous ne l'utilisez pas ?
- Euh n... non. Pas encore. Je suis pas très douée.
Elle aurait juré avoir entendu un ricanement étouffé et un instant elle dut se faire violence pour ne pas protester à haute voix. Elle n'était peut-être pas très douée mais quelque chose lui disait que sa magie ne rodait jamais bien loin. Comment expliquer sinon que les yeux fermés, son odorat et son ouïe semblaient pallier de façon quasi surnaturelle à sa cécité momentanée ? Si son interlocutrice lui avait laissé le temps, elle était presque certaine d'être capable de pouvoir discerner certains détails de sa personne. Mais avant qu'elle ait pu reprendre ses esprits, le contact qu'elle avait perdu quelques secondes plus tôt refit surface, des doigts frais courant sur la peau nue de son décolleté.
- Ce collier doit être retourné où il était dès que vous rentrerez au château, c'est compris ?
- Oui. Prom...
- EMMA !
La voix de sa mère eut-elle le temps de reconnaître avant d'entendre la cacophonie du pas de course de plusieurs hommes sur le gravier du cimetière. Certainement avaient-ils été alertés par August et elle aurait voulu leur dire que tout allait bien mais avant que le moindre son n'ait pu franchir la barrière de ses lèvres, son ouïe capta celui d'une corde que l'on lâchait.
- Non !
Le cri qui lui échappa comme au ralentit sembla se suspendre dans la nuit où elle entendit avec clarté le bruit de la flèche qui fusa. Ses bras se tendirent par réflexe, les doigts se refermant sur du velours d'une douceur extraordinaire avant qu'elle ne pivote d'un mouvement souple qui échangea leurs positions.
Des ongles labourèrent sa poitrine, la douleur presque aussi vive que celle du fer qui transperça son épaule mais une autre main réussit à ralentir sa chute à terre. Le choc de ses genoux sur le gravier ouvrit ses yeux et sa respiration se bloqua quelque part dans sa gorge en feu. Le geste avait dû désarçonner l'inconnue, la silhouette d'habitude presque irréelle soudain plus palpable.
Et peut-être était-ce la flèche qui avait percé un chemin dans sa peau ou peut-être était-ce tout autre chose mais Emma sentit quelque chose se fissurer en elle. A quelques centimètres d'elle, la capuche avait glissé révélant une cascade de boucles brunes et le visage le plus parfait qu'il ne lui ait jamais été donné de voir.
Les yeux d'abord, d'un brun profond où de la colère fit progressivement place à une surprise paniquée. Des joues pleines et un teint qu'elle devinait plus hâlé que le sien malgré la lueur fantomatique de la lune. Pas une once de maquillage mais les longs cils qui battirent sous l'effet de son examen lui semblaient plus parfaits que les siens après des heures passées devant sa coiffeuse. Un nez droit, une mâchoire comme coupée au couteau et non ... Aucune cicatrice.
- Je... V...
- Chut.
Les pupilles d'un noir abyssal se zebrèrent de violet comme un éclair aurait fendu un ciel orageux et la Princesse sentit une magie aussi glaciale que brûlante se frayer un chemin tout au fond d'elle. La douleur qui l'avait rongée se dissipa en même temps que l'impression de plénitude qu'elle avait eue. Autour d'elle, les cris reprirent forme lorsque la femme finit par la lâcher. Les yeux clairs restèrent accrochés au regard dévorant jusqu'à ce que la capuche soit rabattue et à genoux sur le gravier devant la haute silhouette, elle eut soudain la certitude de n'être qu'une simple mortelle en adoration devant la figure d'une déesse.
- Emma !
Quelqu'un - sa mère - se précipita à ses côtés tandis que l'inconnue reculait d'un pas et il y eut un frisson collectif lorsque la cape s'affaissa dans le vide, les pans en velours se transformant en une envolée de corbeaux avant d'avoir pu toucher le sol.
Emma s'était évanouie.
##
Elle n'était plus dans le cimetière lorsqu'elle se réveilla, la forme souple et brûlante de Cannelle moulée à son flanc. Dans son lit donc, supposa-t-elle en ouvrant brièvement les yeux sur le décors de sa chambre plongée dans l'obscurité grâce à de lourdes tentures d'un beige doré.
La jeune femme avala précautionneusement sa salive, elle sentait encore le fantôme d'une magie qui ne lui appartenait pas un peu partout en elle. L'inconnue l'avait sauvée. Bon, d'accord, elle avait sauvé l'inconnue la première en se jetant sur la flèche qui lui était destinée mais l'autre lui avait rendu la pareille en la soignant dans les secondes qui avaient suivi.
Le sourire qui se dessina lentement sur ses lèvres sèches s'étendit sur tout son visage. Elle avait eu raison deux ans plus tôt. La silhouette les avait bel et bien sauvés du loup contre lequel elle avait failli se battre. Et mon dieu qu'elle était belle... rien à voir avec ce dont August lui avait parlé ...
- Emma ?
La voix enrouée de son père la fit sursauter. Il était là depuis un long moment à en juger par la couverture enroulée autour de lui et le livre encore ouvert qui la fit sourire. David n'aimait pas lire... Mais le sourire ne dura qu'une fraction de seconde, les sourcils froncés du Roi la ramenant à une dure réalité.
- Elle m'a sauvée ! s'écria-t-elle en se redressant sur les coussins en plumes.
- Pardon ? Emma tu vas bien ?
- La femme ! La femme m'a sauvée de Rump... Du Ténébreux ! Il y avait son fils et puis... J'ai dit son nom sans faire exprès, il est apparu et il allait... je sais pas, il allait... Faire quelque chose mais elle est arrivée et il est parti.
- Je sais, fut la réponse qui coupa son affolement.
- Qu... quoi ? Mais pourquoi est-ce que vous lui avez tiré dessus ?! se révolta-t-elle.
- Emma, elle... Elle avait la main sur ton cœur... Gauvin a cru qu'elle allait l'arracher...
- Qui... Qui est-elle ?
L'ombre qui passa sur les traits de son père la fit se redresser un peu plus en avant sur le lit à baldaquin. Il y avait là toute une histoire dont elle n'était pas au courant devinait-elle.
- Papa, insista-t-elle avec une moue qui avait l'habitude de lui gagner les faveurs de tout le monde.
- Une... Une sorcière très puissante. Quelqu'un de dangereux.
- Pourquoi ? insista-t-elle.
- Parce que c'est la Méchante Reine, Emma ! s'emporta-t-il soudain.
Mais aussi vite qu'elle était montée, la colère se dissipa, laissant son père en proie à quelque chose qui ressemblait presque à de la culpabilité. Une gêne qu'elle n'aurait pas pu comprendre. Elle savait peu de choses sur la terrible sorcière qui avait menacé la vie de sa mère dans sa jeunesse. Elle avait entendu parler des meurtres, des massacres entiers de villages pour avoir hébergé la fugitive, d'une magie si noire qu'elle aurait pu tout détruire sur son passage et d'une malédiction... Une malédiction qui n'était jamais venue.
Qu'était-il arrivé à la Reine ?
- Pourquoi la laissez-vous dans notre cimetière ?
- C'est son domaine, fut la réponse donnée avec un rire amer. Elle ne peut exister qu'au milieu des morts.
- Elle... Elle est morte ?
- Quelque chose comme ça.
Il n'en savait pas plus devina-t-elle à son air contrit. Ce serait donc à sa mère qu'il faudrait poser des questions la prochaine fois qu'elle la verrait. La blonde se laissa à nouveau choir sur les épais coussins.
- J'ai faim, réclama-t-elle, tirant sans surprise un large sourire à son père.
Elle était restée inconsciente toute la nuit et une partie de la matinée apprit-elle de la dame de chambre qui lui apporta le plateau qu'elle dévora comme quelqu'un qu'on aurait affamé. Et elle avait beau ne pas être sortie des quatre murs de la pièce qui lui était exclusivement réservée, la jeune femme n'avait aucun mal à sentir l'effervescence qui s'était emparée de sa demeure.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé pendant que je dormais ? Et où est ma mère ?
- Dans la salle du trône avec les chevaliers Princesse. Le Ténébreux a demandé votre main pour son fils.
La nouvelle lui fit serrer les dents, repoussant le plateau presque vide qui avait tenu en équilibre sur ses genoux. Le démon n'avait pas perdu une minute...
- Je devrais me lever, réfléchit-elle à haute voix.
- Vous ne pourrez pas accéder à la salle, elle a été scellée de l'intérieur par Bleue, l'informa la jeune fille qui avait deviné ses intentions. On ne lésine pas avec la sécurité avec le Ténébreux...
- C'est ridicule, je suis la première concernée, je devrais être là-bas...
- Vos parents ont toujours écouté vos choix Princesse... Ils feront tout pour vous éviter ce mariage.
- Tout, répéta-t-elle avec dédain... Qu'est-ce qu'on est censé pouvoir faire contre le magicien le plus fort de tous les temps ?
- Princesse, le Ténébreux n'est pas invincible. Ayez confiance en vos parents.
L'intéressée ne lui répondit pas. Elle s'était levée d'un pas encore un peu engourdi pour aller se poster à la fenêtre. Au loin, son regard se porta immédiatement sur le cimetière. En plein jour elle n'avait aucune chance d'y voir la silhouette mais elle ne put s'empêcher de la chercher entre les tombes qu'elle apercevait à peine.
- Que sais-tu de l'aile ouest du château ?
- Elle... elle était hantée ? Et puis il y a eu un feu...
- Hantée ?
- Je ne sais pas Princesse mais quand j'étais petite ma mère me racontait toujours qu'on entendait souvent des hurlements quand on passait devant et que les enfants qui n'étaient pas sages y étaient envoyés...
La menace lui arracha un petit rire, se détournant de la fenêtre pour aller dans le dressing où elle s'empara d'un simple pantalon et d'un chemisier qu'elle enfila sous le regard placide de la jeune fille.
- Où allez-vous Princesse ?
- Là où vont tous les enfants désobéissants, lança-t-elle par-dessus son épaule en sortant de sa chambre.
##
Elle avait beau ne pas avoir été une enfant sage, Emma n'avait jamais eu droit à la menace de l'aile ouest du château. Mais si elle y réfléchissait bien, elle pouvait encore revoir les hautes flammes qui avaient dévoré des jours durant les murs en pierre l'hiver de ses six ans. Pourtant aujourd'hui quand on le regardait, le palais était immaculé. Aucune trace de l'incendie qui avait depuis ce jour été le prétexte à ce que personne n'approche des lieux.
Pensant l'endroit accidenté, la Princesse ne s'y était jamais aventurée, peu tentée par la porte en bois massif dont s'échappait encore une odeur calcinée. Mais cet après-midi-là il était hors de question qu'elle trouve autre chose à faire qu'explorer les éventuels décombres.
La porte mit plusieurs minutes à céder sous l'assaut des outils qu'elle avait empruntés chez le père d'August et qui ne manquaient jamais de l'aider à forcer les serrures qui lui résistaient. David avait été catastrophé le jour où il avait découvert que sa fille préférait passer des soirées entières à tenter de forcer l'entrée d'échoppes plutôt qu'à relire ses cours.
- Je t'ai eue, fanfaronna-t-elle lorsque la serrure céda en un claquement sonore dans le silence de lieux.
Elle dut se servir de ses deux bras pour parvenir à faire pivoter le battant en bois derrière lequel elle découvrit un décor qui ressemblait à celui de tout le reste du château avant que Snow n'ait commandé de grandes rénovations. Les rares rayons de soleil qui filtraient au travers des tentures rouges et or tombaient sur des tapis délavés et des meubles où Emma chassa une épaisse couche de poussière du bout des doigts.
- Il y a quelqu'un ? s'entendit-elle demander la voix résonnant dans le vide parce qu'elle n'avait pu s'empêcher de penser que c'était peut-être là que se terrait la femme lorsqu'elle n'arpentait pas le cimetière.
Seul l'écho de ses pas lui répondit dans l'allée qui donnait sur plusieurs portes qu'elle ne chercha pas à ouvrir. Au fond de la coursive, la jeune femme pénétra dans une immense salle qui avait apparemment servi de salle à manger à en croire la table où une assiette semblait encore attendre qu'on la remplisse. Dans un coin un fauteuil avait été renversé au milieu de débris de verre qui avaient dû être un vase où un bouquet de roses s'était fané.
Les lieux lui donnaient envie de frissonner, emplis d'une solitude déplaisante qui lui fit quitter la pièce, revenant sur ses pas pour explorer le reste. Plusieurs chambres, un bureau qui n'avait pas l'air d'avoir servi et une salle de bains dans laquelle elle s'attarda suffisamment pour remarquer que l'intégralité des miroirs y avaient été saccagés.
Partout les surfaces glacées semblaient avoir été victimes d'une rage incontrôlable. Mais ils n'étaient pas les seuls remarqua-t-elle lorsqu'elle pénétra dans la bibliothèque. La pièce était peut être celle qui avait l'air d'avoir été la plus utilisée avec ses monceaux de livres éparpillés à terre et des feuilles arrachées où une main tremblante avait dessiné à l'encre noire des visages déformés sans grand talent.
Mais ce qui avait surtout attiré son attention étaient les tableaux. Semblables à celles qui ornaient leur salon dans lequel elle allait parfois, les grandes toiles qui représentaient les membres de la famille royale avaient été attaquées à l'arme blanche. Sur l'une d'entre elles, la blonde fut momentanément surprise de reconnaître le portrait de sa mère encore enfant avant de se rappeler que la Méchante Reine avait été une mère de substitution pour Snow White.
Tirant un lourd fauteuil sur le plancher qui n'avait pas été verni depuis une bonne décennie, Emma s'éleva sur la pointe des pieds pour tenter de redresser les lambeaux de toile qui avaient été déchirés. Peine perdue comprit-elle les bras tendus au-dessus de sa tête lorsqu'elle prit connaissance de l'œuvre. Trois personnes. Le Roi, son grand-père Léopold qu'elle reconnaissait pour l'avoir vu sur d'autres tableaux, sa mère et une dernière personne dont le visage avait d'abord été barré à l'encre noire avant d'être attaqué à coups de couteaux qui dévalaient le long de la robe grise et blanche que l'inconnue portait.
Son regard cascada sur le corps svelte de la Reine, tentant de se remémorer celui de la femme qui l'avait sauvée la veille. Mais seul lui revenait le visage à la beauté tétanisante. Les yeux clairs parcoururent le reste de la pièce, tombant sur d'autres œuvres où la sorcière posait notamment à côté d'un cheval ou sur un trône. Même dénué de visage, le corps imposait sa prestance dans la manière de se tenir et l'aura que le peintre avait su capter.
- Regina a refusé de lancer la malédiction quand le Ténébreux lui a dit qu'il faudrait qu'elle sacrifie son père.
La voix la fit sursauter, manquant de basculer en arrière dans l'équilibre précaire où elle était encore. Elle n'avait pas entendu sa mère marcher sur les vieux tapis poussiéreux mais elle était bien là, adossée à l'embrasure de la porte.
- Henry était un brave homme. Toujours là pour moi quand j'avais eu besoin de lui, toujours là pour tout le monde... Il n'a pas supporté la punition que le Ténébreux a infligé à sa fille.
- Quelle punition ?
- Pour ne pas avoir lancé la malédiction... Il s'est échappé des donjons quelques mois après ta naissance. Et sa vengeance a été terrible. Pour Regina du moins... Et son père.
- Qu'est-ce qu'il leur est arrivé ?
- Henry est devenu fou. De chagrin surtout mais parfois... Parfois il avait des crises de panique, de... D'horreur. Regina m'a prié de l'héberger et je l'ai fait... Mais il n'a pas tenu longtemps... Il la voyait partout...
- L'incendie c'est lui ? Il a mis le feu ici ?
- Non. Henry s'est suicidé, une femme de chambre l'a retrouvé... pendu dans sa chambre.
- Oh... et le... le feu ?
- Je suppose qu'il était la dernière chose qui rattachait Regina à un semblant d'humanité... On a tout essayé mais même la magie de Bleue n'a pas réussi à faire cesser les flammes. Elles ne se sont arrêtées que lorsque nous l'avons enterré.
- Ici ? C'est pour ça qu'elle est là tous les soirs ? Pour être auprès de son père ?
- Bien sûr Emma, fut la réponse délivrée d'une voix éteinte où l'intéressée discerna une culpabilité triste.
- Tu ne lui en veux plus ? devina-t-elle.
- Emma, je... J'étais jeune quand j'ai fait une erreur qui l'a beaucoup fait souffrir et je crois qu'aujourd'hui... Aujourd'hui elle souffre assez pour tout le mal qu'elle a fait.
- Elle m'a sauvée, tint-elle à lui rappeler. Deux fois.
- Je sais ma chérie. Moi aussi elle m'a sauvée quand j'étais plus jeune. Regina était une femme très complexe.
- Pourquoi était ?
- On ne peut pas vraiment dire qu'elle soit encore vivante, tu ne crois pas ?
- C'est un... C'est un fantôme ? se trouva-t-elle bête à demander à haute voix.
- C'est une morte qui marche au milieu des morts, fut la réponse comme répétée de quelqu'un d'autre.
- C'est elle qui t'a dit ça n'est-ce pas ?
- Oui... Pourquoi... pourquoi est-ce qu'elle t'intéresse tant que ça Emma ? Tu ne devrais pas t'en faire, elle ne peut pas t'atteindre ici.
- Non ! Non, je ne m'en fais pas... je... Elle m'a sauvée ! Tout le monde dit que tu es la Reine de la miséricorde, pourquoi est-ce que tu ne lui tends pas la main ? Elle pourrait avoir une vie normale ici !
- Une... une vie normale ? Même si nous trouvions le moyen de lui faire quitter le cimetière je ne pense pas que ce soit possible avec ce qu'elle est devenue... Non, je ne suis même pas sûre que Regina veuille côtoyer qui que ce soit... Elle qui était si belle...
- Qu... Quoi ? bégaya-t-elle à voix basse.
"Je fais encore des cauchemars ... Son visage, tu sais ... C'était ... Horrible" se rappela-t-elle les paroles d'August. Et l'horreur qui s'était peinte sur les traits du fils de Rumplestiltskin lorsqu'il avait vu la silhouette derrière elle. Sa confusion devait être claire devina-t-elle à l'inquiétude qui avait froncé le sourcils de la Reine qui s'approchait d'elle à pas prudents alors qu'elle se laissait choir sur le fauteuil dont l'assise manqua de se trouer.
- Maman je... Je comprends pas, je... Je l'ai vue et...
- Oh, je suis désolée ma chérie.
- Non ! s'empressa-t-elle de contrer parce que l'idée que quiconque puisse être désolé qu'elle ait pu voir beauté pareille la dérangeait. Non, elle... C'est une très belle femme.
Quelque chose qui ressemblait à un hoquet de surprise se bloqua dans la gorge de la Reine qui la dévisagea un instant avec incompréhension avant que les pupilles rétrécissent sous le coup d'une émotion qu'elle ne parvint pas à discerner.
- Maman ?
- Je reviens. Je reviens ! s'écria Snow White partant en courant plus vite qu'elle ne l'avait vu faire depuis des années.
##
Elle n'était pas revenue. Et Emma ne l'avait pas attendue bien longtemps, profitant des forces qu'elle avait retrouvées pour s'intéresser au sort de la proposition de Rumplestiltskin. Elle n'était pas étonnée de la décision collective de refuser le mariage mais tout comme elle, l'ensemble du conseil ne semblait pas penser que le royaume serait en mesure de résister bien longtemps si le Ténébreux le voulait...
Assise devant son bureau, la jeune femme avait sorti d'une cachette le cahier dans lequel elle avait inlassablement dessiné des dizaines de version d'un visage encapuchonné et de lèvres tordues en un rictus menaçant. Aujourd'hui, elle avait enfin pu coucher sur le papier les traits qui lui semblaient déjà gravés dans sa mémoire. Deux doigts caressant distraitement la griffure que des ongles courts lui avaient infligé juste au-dessus du cœur, la blonde avait comme beaucoup de fois le regard perdu vers le cimetière lorsqu'elle remarqua la silhouette qui s'y dirigeait dans la pénombre de la soirée, une lanterne à la main.
Les yeux plissés elle ne mit pas plus de quelques secondes à reconnaître la démarche de sa mère et à peine quelques de plus pour sortir en courant de sa chambre. Si une conversation devait avoir lieu, elle voulait l'entendre. Aussi dévala-t-elle la pente qui menait au cimetière qu'elle atteignit le souffle court. Sur le gravier, la Princesse fit preuve de plus de discrétion, allant jusqu'à se déplacer de tombe en tombe, marchant sur le marbre pour éviter le crissement des petites pierres.
Les deux silhouettes étaient déjà face à face lorsqu'elle arriva à portée de voix, constatant que Snow White avait gardé les yeux rivés sur la lanterne qu'elle tenait dans la main.
- ... fils du Ténébreux tu sais ?
- Et ?
L'unique mot qui avait été prononcé fut suffisant à lui rappeler ô combien elle avait trouvé la voix hypnotique. Et si son souffle était encore court, la respiration qu'elle s'efforçait de prendre en petite bouffée pour ne pas se faire entendre se bloqua quelque part dans sa gorge lorsque le visage toujours encapuchonné sembla se pencher sur le côté. Comme la première fois elle ne distinguait pas plus que la courbe d'un menton mais le demi sourire moqueur qui lui fut adressé ne laissa aucun doute sur le fait que la femme l'avait repérée.
Heureusement, le témoignage passa inaperçu aux yeux de sa mère, toujours rivés sur la flamme de la lanterne.
- Une armée entière ne l'arrêterait pas.
- Et ? répéta l'autre sans sembler la lâcher du regard.
- Que sais-tu de Baelfire ?
- Rien.
- On dit qu'il avait fui son père, qu'il le retient auprès de lui de force. Il n'est peut-être pas comme lui... Rumple m'a promis de leur laisser le temps de se connaître si c'était nécessaire.
À ça, la sorcière eut l'air de ricaner, sa silhouette se détournant et Emma sentit le poids du regard se dérober. Snow venait-elle souvent s'adresser à son ex-belle-mère pour de tels conseils ? Combien de rendez-vous tels que celui-ci avait-elle manqués ?
- Emma... Emma m'a tellement fait faire du souci. Elle... C'est une jeune femme extraordinaire mais elle n'a jamais... Elle n'a jamais aimé. Enfin mon dieu, elle a eu des... des aventures.
La Princesse sentit ses joues s'empourprer, maudissant sa mère pour de tels détails.
- ... Et même avec des servantes Regina. Des servantes !
Cette fois, si la silhouette encapuchonnée resta toujours résolument tournée vers la tombe qu'elle avait semblé observé, Emma crut qu'elle allait mourir de honte mais l'autre continuait déjà...
- Quand elle est née, il avait parlé d'une prophétie et si... je veux dire... Et si il participait à son destin en lui présentant son fils ? Qu'est-ce que tu en penses ? Est-ce que tu penses que Baelfire est quelqu'un de bien ?
- J'en pense que la pomme ne tombe jamais loin de l'arbre Snow, fut la réponse après quelques secondes de délibération.
Emma en fronça les sourcils. La Méchante Reine n'était-elle pas connue pour son affection pour les pommes empoisonnées ? La réplique fut d'ailleurs écartée d'un soupir désabusé de la part de sa mère qui resta silencieuse de longues secondes avant de reprendre.
- Tu sais, elle... Emma t'a vue.
- Je sais.
- J'en ai parlé avec Bleue et... ce n'est qu'une enfant mais...
- Je sais.
- Je ne voulais pas dire... Enfin si tu croyais encore...
- L'amour est une faiblesse Snow White, fut-elle coupée. Regarde où il m'a menée. Condamnée à errer parmi les morts, à leur ressembler.
- Pas pour elle.
- Tu es une idiote si tu crois plus d'une seconde que je me servirais de cette petite exception pour autre chose que ma propre vengeance.
C'était définitivement la Méchante Reine qui venait de parler, devina-t-elle. La voix tombant d'un octave dans le registre d'une menace qui la fit frissonner.
- Alors tu ne nous aideras pas ?
- Soyons honnêtes Snow White, tu es uniquement là parce que tu crois que ce que tu viens d'apprendre me pousserait à défendre ta fille du Ténébreux. Qu'est-ce que tu comptes faire ? Lui tendre un guet-apens ? L'amener dans mon domaine pour que je me charge de lui ? Et tout ça en l'échange de quoi ? Quelques moments passés avec quelqu'un qui me voit encore comme la femme que j'étais ? Non merci.
L'offre rejetée avec véhémence brisa quelque chose en elle et la jeune femme se força à avaler sa salive, refusant aux larmes le droit de couler.
- Ce n'est pas...
- Bien sûr que si.
- Ce n'est pas une exception. Tu sais très bien de quoi je parlais ! Je viens pratiquement te... T'offrir ...
Elle sentit la magie éclater avant même que l'effet n'en soit visible. De la nuit, la sorcière sembla tirer une noirceur encore plus abyssale, les ombres dansant dans l'éclat de la lanterne avant de se précipiter toutes ensembles en un tourbillon qui emmena directement Snow White aux pieds de son ex belle-mère qui avait tendu un bras. Peut-être aurait-elle dû intervenir pensa-t-elle furtivement avant que la voix dégoulinante de venin ne se fasse entendre en un murmure incendiaire.
- Tu n'offres rien Snow White. Tes cadeaux sont plus empoisonnés que toutes les pommes de mon royaume. Si je veux quelque chose, je le prends. Je n'aurais qu'un doigt à lever pour attirer ton petit oiseau dans mes filets, ne me fais pas l'affront de me donner ton autorisation.
Elle fut momentanément surprise du manque de réponse mais comprit l'instant d'après que ce n'était pas les mots qui avaient strié les joues de sa mère d'épaisses larmes. La main qui s'était refermée sur le menton de la petite brune avait forcé son visage à affronter celui de l'autre et la vision qui s'offrait visiblement à elle était suffisante pour la réduire au silence horrifié d'un enfant apeuré par un cauchemar.
La position fut maintenue de longues secondes encore qui s'égrainèrent en un silence pesant avant que la silhouette encapuchonnée ne laisse s'effondrer au sol le corps qu'elle avait jusque-là maintenu en joug.
- Disparais, lui ordonna-t-elle avec le ton d'une sentence sans appel. Retourne chez les tiens et laisse les morts où ils sont.
Tétanisée elle observa sa mère d'habitude si posée ramper à même le gravier pour atteindre la lanterne qui s'était écrasée au sol avant de bondir comme une biche qu'un chasseur aurait laissée partir.
- Satisfaite ?
La voix toujours basse la fit reporter son attention sur la silhouette qui avait retrouvé l'aspect fantomatique qui l'impressionnait toujours mais ne lui faisait plus vraiment peur.
- Pas vraiment, répondit-elle en sortant de sa cachette pour épousseter un pan de son manteau.
Elle n'avait pas besoin de voir les yeux dont elle se rappelait très bien pour deviner qu'ils étaient en train de la juger d'un regard supérieur et un instant elle faillit s'en indigner. D'habitude, personne n'osait se livrer à un tel examen critique.
- Pourquoi êtes-vous là ?
- Pour vous remercier, trouva-t-elle à dire parce que ce n'était pas vraiment un mensonge.
- Considérez la tâche accomplie.
La phrase digne d'une Reine la fit sourire.
- Je sais qui vous êtes.
- Étiez, la corrigea l'autre.
- Êtes, insista-t-elle. J'aurais aimé... pouvoir faire quelque chose pour vous remercier.
- Inutile et non désiré. Retournez dans vos chaumières, une Princesse comme vous n'a rien à faire ici.
- Je ne suis p...
Elle eut à peine le temps de voir une main baguée sortir d'un pli de la cape en velours avant de sentir la magie l'envelopper d'un épais nuage noir qui la lâcha un mètre au-dessus de son lit où elle atterrit avec un cri apeuré.
##
Ce n'était pas un peu de magie qui allait l'effrayer avait-elle décidé et si dès le lendemain matin sa vie avait semblé reprendre son cours, elle avait bien remarqué les deux gardes qui la suivaient partout désormais. Comme il avait été impossible de manquer les émissaires de différents royaumes qui n'avaient eu de cesse de passer en coup de vent au château.
- Tu crois qu'ils sont tous là pour retirer leurs propositions de mariage ? ne put-elle s'empêcher de demander à August.
Assise dans la cour principale où elle venait de s'entraîner avec la garde royale, Emma observait un énième chevalier partir au galop en direction de la forêt sous le regard interdit de ses parents. Le couple échangea quelques mots à voix basse avant de se diriger vers eux.
- Peut-être, lui répondit finalement son ami. Pourquoi ? Blessée dans ton amour propre ?
- Non, nia-t-elle avec un rire.
Mais au fond d'elle quelque chose lui disait qu'au plus la liste était maigre, au plus les risques de voir Rumplestiltskin refaire apparition étaient grands...
- Emma ma chérie va te laver, lui conseilla son père quand il arriva à leur niveau. Chloé est en train de faire ton sac, nous partons dans une heure.
- Quoi ? Où ?
- A l'ouest.
- La forêt noire ? demanda August avant qu'elle ait pu faire le calcul.
- Entre autres.
- Pourquoi faire ?
- Trouver des alliés ma chérie. Et il est hors de question de te laisser seule ici.
Et pour une fois, la raison lui convenait. Peut-être était-il hors de question de la laisser seule mais au moins voyagerait-elle en même temps que tout le cortège au lieu de se morfondre dans un château où elle était assignée à résidence.
- Attends-moi ! fut obligé de crier son acolyte lorsqu'elle bondit vers la grande porte où les gardes la regardèrent passer avec un sourire.
Les hommes avec qui elle passait plus de temps que les Princes et Princesses que ses parents avaient toujours tenté de lui présenter, étaient devenus des amis au même titre que le fils du menuisier. Aussi ce fut avec eux qu'elle choisit de faire le voyage, juchée sur Kratos, l'étalon que sa mère lui avait offert pour ses dix-huit ans. Le destrier qui avait l'air de pouvoir écraser n'importe quel fantassin sous ses pattes n'avait pas montré un seul signe de fatigue durant la traversée de la forêt et sur les terres où Emma n'était jamais allée.
Et quand bien même essuyaient-ils refus sur refus, la jeune femme n'avait eu de cesse de s'émerveiller sur les paysages si différents des plaines auxquelles elle était habituée chez elle. Pourtant rien n'attira plus son attention que le palais construit tout en hauteur qui de loin lui avait fait penser à un amas d'épées tendues vers le ciel.
- Le palais de la Reine...
- La Méchante Reine, la corrigea un soldat qui avait entendu sa réflexion à voix basse.
Elle ne releva pas le surnom qu'elle comprenait sans pour autant l'approuver, tapant nerveusement son pied sur l'étrier pour forcer Kratos au trot et rejoindre le haut du cortège où son père et sa mère avait été en train de parler à voix basse.
- Qui vit ici ? voulut-elle savoir.
- Maléfique, fut la réponse immédiate de David.
- Celle qui se change en dragon et avait maudit Aurore ?
La petite grimace de Snow fut suffisante à confirmer ses dires et aucun autre mot ne fut échangé sur le reste du trajet qui les mena sur le parvis du château après avoir traversé des jardins qui ne devaient pas avoir été entretenus depuis des années. D'ailleurs le château en lui même semblait déserté et si une puissante aura n'en avait pas émané, Emma l'aurait certainement pris pour une simple demeure abandonnée.
Personne ne les accueillit dans le grand hall gardé par des statues de sentinelles trop belles pour être autre chose que des soldats pétrifiés. Ici aussi de nombreux miroirs avaient été réduits en miettes, remarqua-t-elle lorsque son regard clair parcourut les lieux poussiéreux, s'arrêtant sur les cadres calcinés qui devaient autrefois avoir abrité des peintures à l'image de la maîtresse des lieux.
- Snow White et son Prince Charmant, ricana une voix sans qu'ils puissent voir sa propriétaire.
- Je suis Reine aujourd'hui Maléfique et Charmant est mon époux, fut la réponse de sa mère.
Lorsqu'elle remontait le menton comme ça, les phalanges blanchies sur l'arc doré qui ne la quittait jamais, Emma comprenait pourquoi on disait souvent qu'elle ressemblait à Snow White. De son père, elle n'avait pris qu'un charme dont elle s'amusait mais le réel héroïsme qui l'avait poussé nombre de fois sur des champs de bataille où elle n'avait rien à faire, c'était à sa mère qu'elle le devait.
Aujourd'hui, il n'avait pourtant pas l'air de faire peur à la sorcière qui se dévoila en un nuage de fumée rosâtre. Là où la Princesse s'était attendue à une femme d'un certain âge, elle en découvrit une qui avait même l'air plus jeune que ses parents malgré le grand sceptre sur lequel elle s'appuyait lourdement. Un regard délavé se posa sur elle et eut un frisson.
- Et leur Princesse...
Le titre avait l'air d'une insulte dans la bouche de la blonde qui l'observait d'un œil critique qui ne lui plaisait pas mais quelque chose d'autre attira son attention. Un autre regard qu'elle sentit peser sur elle et traqua jusque dans le reflet d'une vitre sale. Dans une brume bleue, un homme d'une quarantaine d'année la dévisageait gravement.
- ... prêts à oublier ce qu'il s'est passé avec la Reine Aurore.
Le prénom lui ôta le poids du regard de la sorcière dont les yeux se strièrent d'une méchanceté plus profonde que celle avec laquelle elle les avait accueillis.
- Oublier ? répéta-t-elle avec autant de venin qu'une vipère avant d'éclater d'un rire qui mourut en une quinte de toux.
- Vous êtes malade ? demanda-t-elle avant d'avoir pu s'en empêcher.
- Malade de vivre Princesse. Qu'est-ce que Rumplestiltskin veut faire avec un si joli minois que le votre ? Son petit rat de bibliothèque est mort ?
- Belle va très bien !
L'intervention de Snow fut chassée d'un geste agacé de la main et la sorcière fit quelques pas pour se rapprocher de la jeune femme qui serra les dents pour supporter l'examen qui était fait d'elle.
- Vous avez rencontré mon amie Princesse...
- Votre amie ?
- Regina ? Ou ce qu'il en reste... Elle a utilisé de la magie sur vous, je la sens encore...
- Elle m'a sauvée.
- Oh vraiment ? Et pourquoi vient-on me chercher si quelqu'un de bien plus puissant protège déjà votre fille ?
- Regina a refusé de s'opposer au Ténébreux, répondit Snow vers qui l'autre s'était à nouveau tournée.
- Pas étonnant quand on voit ce qui s'est passé la dernière fois qu'elle l'a fait...
Elle n'écouta pas le reste de la conversation, dérangée plus que jamais par le regard de celui qui l'observait depuis le reflet terne d'une des grandes fenêtres qui découpaient la pierre du château. Le pas prudent, la blonde s'éloigna de quelques mètres, feignant d'admirer une des statues qui avait définitivement dû être un garde à une autre époque.
- Qui êtes-vous ? murmura-t-elle à la silhouette brouillée de l'homme.
- Le génie de la Reine, Princesse.
- Son espion ? Vous êtes là... Elle vous a demandé de m'espionner ?
Quelque chose qui ressemblait fort de la tristesse passa sur les traits fatigués du génie.
- La Reine ne m'a plus demandé quoi que ce soit depuis des années... Elle m'a chassé et confié à son amie.
- Pourquoi ?
- À cause de la malédiction...
- Pour vous aussi elle ressemble à un monstre ?
Elle n'obtint aucune réponse mais la colère qui irisa de bleu les yeux de l'homme la fit sourire. Elle n'avait pas pu apprendre grand-chose de la Reine dans les livres qu'elle avait empruntés, mais assez pour savoir que le plus puissant de ses espions était aussi son plus fervent fidèle. Aujourd'hui, la savoir dans cet état devait certainement lui faire du mal.
- Elle m'a sauvée, répéta-t-elle alors comme si une bonne action pouvait redonner un peu d'espoir au génie.
- Je ne vois pas pourquoi, fut pourtant la réponse immédiate et amère qu'elle reçut accompagnée d'un regard désapprobateur.
- Moi non plus, avoua-t-elle. Mais j'aimerais... j'aurais aimé trouver un moyen de la remercier... Savez-vous qu'est-ce qui lui ferait plaisir ?
A ces mots, l'homme la regarda comme si elle était devenue folle et elle allait tourner les talons quand la réponse qu'elle n'attendait plus lui fut fournie.
- Ma Reine aimait les chevaux plus que tout mais je doute que vous en trouviez un qui veuille l'approcher...
Les chevaux ? En effet, Emma ne l'avait jamais vu en compagnie d'un quelconque animal à l'exception des corbeaux qui rodaient dans le cimetière... Mais une idée était déjà en train de germer dans son esprit.
- Merci ! s'exclama-t-elle avec un des sourires radieux dont elle avait le secret.
- Emma ? À qui tu parles ma chérie ?
La voix de sa mère la fit sursauter mais le visage auquel elle s'était adressé avait disparu de la surface vitrée lorsqu'elle fit volte-face.
- Oh euh... personne. Je me disais juste que j'avais hâte de rentrer à la maison.
- Bientôt mon ange...
##
Le bientôt avait tout de même pris plus d'une semaine pendant laquelle elle s'était efforcée tous les soirs d'entraîner Kratos à un nouvel exercice. L'étalon avait été nerveux les premières heures passées avec les œillères qu'elle avait elle-même fabriquées pour recouvrir ses yeux mais fidèle à ses habitudes, le cheval de guerre s'était laissé guider au son de sa voix jusqu'à ce qu'il ne rechigne plus à la vue des morceaux de cuir qui lui annonçaient toujours une cécité momentanée.
Quelque chose comme de l'impatience s'était tranquillement lové dans le creux de son ventre lors des dernières heures de route qu'ils avaient fait de nuit et elle n'était pas parvenue à prendre son mal en patience lorsqu'ils étaient enfin arrivés en vue du château familial. Se séparant du groupe, Emma s'était directement rendue au cimetière qu'elle avait pour la première fois arpenté juchée sur son destrier.
- R... Majesté ? appela-t-elle au bout de quelques minutes de recherches infructueuses.
Seul le battement d'ailes d'un corbeau lui répondit dans le silence glaçant des lieux où une légère couche de pluie menaçait de se transformer en glace sur les stèles faites de marbre.
- J'ai... j'ai un cadeau pour vous, tenta-t-elle malgré le silence effronté qui lui répondait.
Le souvenir de leur dernière entrevue la fit froncer les sourcils. La sorcière avait beau eu la renvoyer sans avertissement dans ses chambres, elle ne se serait pas douté d'une telle réaction aujourd'hui. Elle avait presque envie d'être outrée. Après tout, elle était une des rares voire peut être même la seule personne à chercher la présence de cette femme et la brune osait la lui refuser ?
A ses côtés Kratos vint taper son museau contre son épaule et elle se rapprocha de sa chaleur corporelle pour rester encore de longues minutes dans le froid ambiant où son souffle se cristallisait en épais nuages blancs.
La Reine ne viendrait pas comprit-elle les épaules voutées par la déception.
Deux soirs de suite, la Princesse quitta la chaleur du château pour aller se poster sur la tombe d'Henry Mills, livre en main et lanterne procurant assez de lumière pour lui permettre une lecture plus ou moins efficace. Elle savait que postée à cet endroit, elle empêchait certainement l'ancienne Reine de faire ce qu'elle appréciait le plus et rester auprès de la tombe de son père. Ce n'était donc qu'une question de temps avant qu'elle ne cède …
A moins qu'elle n'ait réussi à quitter le cimetière ? Et l'idée nouait son estomac d'une déception à laquelle elle refusait de réfléchir.
- Combien de nuits comptez-vous encore passer dans un tel froid Princesse ?
L'intéressée dut cacher un grand sourire derrière une cascade de mèches dorées, prenant le temps d'effacer les traces de son contentement avant de répondre à celle qui était apparue à ses côtés en un silence de mort.
- Ne vous inquiétez pas pour moi, je suis bien couverte.
- Je ne m'inquiète pas pour vous, c'est le cheval qui me préoccupe. Ce n'est pas humain de laisser un animal dans un tel froid quand il pourrait être à l'abri dans les écuries.
- Oui eh bien vous n'aviez qu'à vous montrer un peu plus tôt, répondit-elle plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu parce qu'elle prenait soudain conscience que l'autre avait raison.
Son emportement la fit brièvement paniquer, tournant la tête pour découvrir avec soulagement un sourire en coin peint sur les lèvres qu'elle pouvait apercevoir sous le couvert de l'éternelle capuche.
- Vous vous êtes maquillée ! ne put-elle s'empêcher de remarquer à haute voix.
Cette fois les lèvres laquées d'un rouge profond se pincèrent en une moue agacée qui brûla un chemin jusque dans son ventre.
- C'est pour moi ? continua-t-elle malgré elle.
- Une femme ne peut-elle pas se maquiller pour son propre plaisir ?
- Si ! J'ai… J'ai jamais dit ça mais je pensais… Je pensais que vous…
- Que je ? la pressa l'autre qui avait détourné son regard de Kratos pour la fixer.
La Princesse dut se faire violence pour ne pas lever une main et tenter de faire tomber la capuche qui lui cachait le visage dont elle avait souvent rêvé. La vision la laissait incapable de fixer autre chose que les lèvres peintes à la perfection et la petite cicatrice qui la fascinait.
- Comment vous êtes-vous fait cette cicatrice ? demanda-t-elle d'ailleurs.
- Un éclat de miroir, fut la réponse qu'elle n'attendait pas.
- Oh, j'ai vu votre génie ! se souvint-elle.
- Vous avez vu Maléfique ? eut l'air de déduire la brune.
- Oui. C'est votre amie n'est-ce pas ?
- C'était.
La correction plissa ses lèvres en une moue désabusée et la jeune femme ferma son livre. Le bruit sec qui se répercuta dans le cimetière attira l'attention de son destrier qui fit quelques pas à l'aveugle dans leur direction.
- Vous l'avez… Il est…
La surprise momentanée qui avait fait perdre de sa superbe à la sorcière la fit sourire, admirant la confusion qui en émanait.
- Votre génie m'a dit que vous aimiez les chevaux… J'ai entraîné Kratos à se fier à son cavalier même lorsqu'il est privé de sa vue... Je pensais… que ça vous ferait peut-être plaisir.
Son explication n'obtint aucune réponse mais la plus âgée sortit de son immobilité pour rejoindre l'animal et quelques secondes Emma l'observa presque subjuguée tendre une main pour effleurer l'étalon.
- C'est mon cheval, trouva-t-elle utile de préciser en se rapprochant elle aussi. Il est grand comme ça mais très docile.
- Kratos, c'est ça ?
- Oui.
Elle s'attendait à d'autres question et aurait prévenu la Reine de faire preuve d'une quelconque prudence avec lui mais l'intéressée avait déjà levé un pied pour atteindre un étrier. A sa plus grande surprise, l'équidé n'eut aucun mouvement de recul lorsque la brune s'y installa avec une grâce qui parlait d'années et d'années de pratique.
A la lumière de la torche qu'elle avait amenée avec elle, Emma put distinguer un peu plus du visage de l'autre, la courbe d'une joue, son nez et des yeux dont le regard la brûla jusqu'à la faire visiblement frissonner. Forcée de baisser le regard, la blonde eut brièvement le temps d'admirer des cuisses moulées dans du cuir ouvragé et des bottes à talons avant que l'un d'entre eux ne tape dans le flanc de son destrier.
- Attention ! voulut-elle s'écrier quand le cheval cabra mais la cavalière avait déjà maîtrisé l'animal qui partit au galop entre les tombes, lui arrachant un petit hoquet de stupeur lorsqu'elle le fit sauter par-dessus une stèle en marbre.
Quelques secondes encore, la jeune femme demeura immobile, interdite tandis qu'au loin la silhouette de son cheval galopait, dirigé d'une main de maître. Elle qui avait à peine osé le faire trotter au milieu de ses congénères réalisait soudain tout le potentiel qu'elle n'avait pas exploité. Lentement, la Princesse se laissa choir sur la tombe la plus proche où elle resta immobile de longues minutes.
Combien d'autres hommes ou d'autres femmes cette Reine avait-elle fascinés de son temps malgré la noirceur de la magie dont elle se servait pour terroriser ses ennemis et décimer des villages entiers ? Et pourquoi était-elle apparemment la seule à la voir telle qu'elle était aujourd'hui ? Ce devait forcément avoir un lien avec la magie qu'elle avait en elle… Celle née de l'amour véritable de ses parents… Lui permettait-elle de voir les gens pour ce qu'ils étaient vraiment ?
Plongée dans ses pensées, elle entendit au dernier moment le fracas des sabots se rapprocher avant que l'immense destrier ne s'immobilise en un puissant hennissement à moins d'un mètre d'elle. Quasiment assise à même le sol, la blonde fut à nouveau submergée par l'impression de n'être qu'une simple mortelle, surplombée par la beauté qui sauta à terre en un bond agile.
- C'est un très bon cheval Princesse.
- Je sais.
La fierté avec laquelle elle prononça les deux mots lui valut un petit sourire moqueur qu'elle commençait à bien connaître mais le silence se réinstalla aussitôt entre elles. L'attention de la brune semblait toujours focalisée sur l'animal dont elle profitait de la présence.
- Vous devriez partir, lui conseilla-t-elle finalement.
- Je sais, répéta-t-elle en laissant encore s'écouler de longues secondes pendant lesquelles elle observa interdite des doigts bagués caresser la robe sombre de son étalon. Mais si vous voulez, je pourrai le ramener...
La proposition n'obtint aucune réponse et ce fut finalement le froid qui la fit se décider. Non pas pour elle mais parce que la monture qu'elle affectionnait plus que tout donnait les premiers signes d'impatience qui lui signifiaient qu'il était temps de regagner les écuries. Le « Bonne nuit » qu'elle murmura ne lui fut pas retourné et elle s'éloignait lorsque la voix la fit faire volte-face.
- Emma ?
Son nom ne sonnait pas pareil que lorsqu'il était prononcé par qui que ce soit d'autre remarqua-t-elle en attendant la suite.
- Je… Merci, Princesse.
Le mot qu'elle n'avait pas attendu la fit dévoiler ses dents en un sourire disproportionné qu'elle chassa d'un haussement d'épaules faussement désinvolte. Son pas fut lent sur le chemin du retour, sans jamais se retourner malgré le regard qu'elle sentit brûler un point quelque part dans son dos.
##
L'hiver qui s'était installé dans la forêt enchantée était encore plus rude que les précédents mais rien ne semblait inquiéter la silhouette encapuchonnée qu'Emma admirait souvent à la nuit tombée. En cette saison où le soleil se couchait beaucoup plus tôt, la jeune femme avait d'autant plus l'occasion d'observer le manège mais n'avait toujours pas trouvé le prétexte de retourner sur place.
Enfin si… Elle en avait un. Un prétexte sur lequel elle avait passé des heures de travail et des dizaines de feuilles de papier et qui dormait paisiblement sous le couvert de quelques livres sur son bureau. Un portrait dont elle ne savait même pas si elle avait le courage nécessaire pour le donner à celle qu'il représentait. Plusieurs fois elle avait imaginé le laisser sur la tombe d'Henry Mills en espérant qu'il y soit trouvé par celle à qui elle le destinait mais quelque chose la retenait encore.
- Emma ? Tu es prête ma chérie ?
La voix de sa mère l'arracha à la contemplation de son reflet. Ce soir comme beaucoup de soirs depuis plus d'un mois, Rumplestiltskin et son fils s'étaient invités dans leur château. Le sorcier qui semblait curieusement prêt à quelques efforts avait proposé son aide au royaume, protégeant les récoltes de la neige verglacée tandis que Baelfire redoublait d'inventivité pour la distraire.
Et elle devait avouer que le manège marchait. Le jeune homme avait réussi à lui faire miroiter nombre de choses qui lui étaient interdites auprès de ses parents à commencer par un goût prononcé pour l'aventure qu'ils semblaient partager. Pourtant, Emma ne pouvait s'empêcher d'éprouver un certain malaise lorsqu'elle était en sa compagnie. Quelque chose qu'elle attribuait à la confiance infinie qu'il semblait avoir en lui et l'air narquois qu'elle le surprenait toujours à porter avant de le masquer derrière un sourire.
- J'arrive, répondit-elle enfin en lissant les plis de sa longue robe bleue nuit.
A l'étage inférieur, la grande salle avait été décorée de rouge et or pour les festivités de fin d'année et elle fut bien évidemment placée aux côtés du fils du Ténébreux qui s'était levé à son arrivée.
- Alors, ce petit livre que je t'ai offert ? lui murmura-t-il dès qu'elle fut assise.
- Je ne peux pas dire que je fasse de réels progrès, rougit-elle en pensant à ses maigres tentatives de réussir un quelconque tour de magie grâce au grimoire que le jeune homme avait dérobé chez son père.
Aujourd'hui elle arrivait tout de même à ouvrir des portes sans l'aide des outils du père d'August ou à allumer la flamme d'une bougie d'une simple pensée, mais de plus gros exploits lui étaient tout simplement impossibles. Surtout lorsqu'elle devait s'entraîner dans le secret...
- J'aurais quelque chose à te montrer après le repas... Tu m'autoriseras à te voir en privé ?
Leur dernière entrevue seul à seule s'était malencontreusement conclue par l'explosion d'un flacon de l'établi de la fée bleue qu'ils avaient dû fuir lorsque la pièce avait commencé à brûler. Leur folle course les avait menés jusqu'aux écuries où ils s'étaient écroulés en riant quand des servants les avaient dépassés sceaux d'eau en main.
- Oui, bien sûr, l'autorisa-t-elle sans trop de mal parce qu'il n'avait jamais rien tenté de plus que les quelques baisers volés qu'elle l'avait distraitement laissé prendre.
- Génial.
Le sourire qu'ils échangèrent fut couvé d'un regard bienveillant par ses parents dont la naïveté faillit lui faire lever les yeux au plafond. Avec le temps, elle se serait attendue à ce qu'ils reconnaissent les rares fois où quelqu'un parvenait à piquer son intérêt. Mais non... La semaine dernière, David avait encore semblé tomber des nues lorsqu'elle leur avait demandé à ce que l'une de ses femmes de chambre soit affectée au service de quelqu'un d'autre dans le château.
Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle était forcée d'éloigner des jeunes gens dans le genre. Ils avaient été nombreux à tenter leur chance auprès d'elle quand les rumeurs s'étaient répandues. Mais non, Emma se contentait de profiter de ce qu'on lui offrait lorsqu'elle en avait envie avant de renvoyer ceux qui réchauffaient brièvement ses draps dans l'anonymat d'un poste au cuisines, les jardins ou les écuries...
- Maintenant ? entendit-elle Baelfire lui proposer alors que tout le monde parlait autour d'un verre après le dessert.
Quelque chose qui ressemblait à de l'angoisse passa dans les yeux du jeune homme, surprenant Emma au point qu'elle accepte immédiatement d'un signe de tête.
- Écoute... Je sais que j'ai accepté de te laisser du temps la dernière fois qu'on en a parlé, commença-t-ils lorsqu'ils furent seuls.
A peine les mots prononcés, la Princesse regrettait déjà de l'avoir conduit à l'écart. Ces derniers temps, elle avait presque oublié la menace qui planait au dessus d'elle et elle avait la désagréable impression qu'elle allait soudain être mise à exécution.
- Baelfire, je ...
- Non, s'il te plaît, écoute moi d'abord.
Debout près de la rambarde en pierre du balcon de la salle de bal, la jeune femme ne donna pas tout de suite sa permission. Le regard clair s'était perdu au loin, comme souvent. A une centaine de mètre, la flamme d'une torche avançait entre les tombes en marbre. Sans sa longue vue, elle était incapable de deviner la silhouette encapuchonnée qui devait la tenir mais Emma sentit tout de même son cœur avoir une ratée lorsque la tâche brûlante s'immobilisa.
La sorcière pouvait-elle sentir son regard depuis là où elle était ?
- Je t'écoute, se força-t-elle à dire en reportant son attention sur celui qui attendait diligemment son autorisation.
Pour la première fois depuis qu'elle le côtoyait, le jeune homme avait l'air d'appréhender ce qui allait suivre. L'assurance qu'il affichait d'habitude avait disparu pour révéler une timidité qu'elle aurait pu trouver touchante si elle n'avait pas eu peur de ce qui allait suivre.
- J'ai... Je suis au courant de pas mal de choses depuis que je suis de retour auprès de mon père Princesse. Même si je ne peux pas en parler, je connais les projets qu'il a pour votre Royaume, je sais ce qu'il serait prêt à faire si notre mariage lui échappait...
- Notre mariage ?
- Moi non plus ça ne m'enchante pas de devoir me marier Emma ! répliqua-t-il avec une hargne qui la fit froncer les sourcils.
- Je te demande pardon ? Un mariage avec l'Héritière du Royaume Blanc, ne t'enchante pas ?
Son amour propre n'avait pas pu s'empêcher d'en prendre un coup. Le fils du Ténébreux n'avait jamais mentionné être intéressé par quelqu'un d'autre et elle savait qu'elle lui plaisait. Quelles raisons avait-il de ne pas vouloir d'un mariage ?
- Je te l'ai dit, j'ai voyagé dans des pays, dans des univers où bien des choses sont différentes... Un mariage ne me fait pas autant rêver que vous ici dans la forêt enchantée. Mais mon père m'y retient à ses côtés pour l'instant et... Et un mariage pourrait tout changer.
- Comment ? voulut-elle savoir pour se donner le temps de reprendre de la contenance.
- Si tu acceptes de te marier et d'utiliser la magie pour nous unir, j'échapperai à l'emprise de mon père. Je pourrai partir d'ici. On pourra partir, je sais que tu as toujours rêvé de voyager...
- Et mes parents ? Mon Royaume ? Qu'est-ce qu'il leur arrivera une fois que ton père s'en rendra compte ?
- J'y ai réfléchi. Le jour du mariage, il faudra passer un marché avec lui.
- Lequel ?
Passer un marché avec le Ténébreux était toujours compliqué. Peu s'y aventuraient encore aujourd'hui...
- Il sait que tu ne veux pas te marier mais je lui ai fait comprendre que je ne voulais pas te forcer... Il m'écoutera si je lui dis que le seul moyen pour que tu acceptes c'est qu'il promette de ne pas s'en prendre à votre Royaume. On trouvera les mots...
"On trouvera les mots"... Avait-elle envie de les trouver ? Ces derniers temps, elle s'était laissée bercée par l'illusion que le mariage ne viendrait pas et pourtant quasiment plus aucune demande n'avait subsisté après celle formulée par le Ténébreux... Contrairement à ce qu'avait l'air de penser Baelfire, elle ne faisait pas partie de ces jeunes femmes qui avaient rêvé d'un mariage toute leur vie... Sans doute avait-elle autant envie d'aventure que lui mais quel choix avait-elle ?
A nouveau ses yeux dérivèrent vers la flamme qui brûlait quelque part dans le cimetière. A sa place habituelle. Durant leur conversation, la sorcière avait dû rejoindre la tombe de son père et une énième fois la blonde se demanda comment la Reine y occupait inlassablement son temps.
Pas à échafauder un quelconque plan pour l'aider en tout cas. Emma l'avait clairement entendu refuser d'apporter le moindre soutien à sa cause et elle ne pouvait pas s'empêcher d'y voir une trahison qui la blessait plus que de mesure.
- Emma ? entendit-elle l'autre l'appeler doucement.
L'intéressée mit de longues secondes encore à parvenir à détacher son regard du jardin de stèles, son cœur s'arrêtant pour une deuxième fois de la soirée lorsqu'elle finit par faire face à celui qui s'était rapproché. Pas pour l'embrasser. Pas comme tous les autres qui l'avaient tenté un jour ou l'autre... Non, Baelfire sautait toutes les étapes en lui tendant le petit écrin noir.
La bague en or blanc était sertie d'un diamant qui lui semblait presque trop gros, flanqué de deux rivières de pierres dont la couleur lui faisait penser à...
- Elles sont de la même couleur que tes yeux. Tu peux pas savoir le mal que je me suis donné pour les trouver...
L'information réussit à peine à la faire sourire, la gorge nouée tandis que ses doigts tremblants s'emparaient du bijou pour l'observer de plus près. Aucune trace de magie, elle l'aurait senti et pourtant elle mit encore un moment avant d'oser l'enfiler sous le regard quasi anxieux du jeune homme.
De son fiancé, se corrigea-t-elle lorsque l'anneau argenté trouva finalement sa place.
- Ça ira Emma, fais-moi confiance, on va réussir.
##
Les félicitations avaient été sans fin. Emma avait cru mourir étouffée dans les bras de ceux qui se pressaient à ses côtés pour lui souhaiter une fin aussi heureuse que celle de ses parents. Une fin heureuse... Pourquoi ne parlait-on pas d'un commencement heureux d'abord ?
Elle avait dû prétexter une migraine pour s'échapper de la salle de bal mais les heures étaient passées sans que le sommeil vienne. Quelque part dans sa chambre, August qui était venu lui tenir compagnie s'était endormi sur un fauteuil près de la fenêtre où Emma était comme d'habitude postée.
A force d'y rester fixé, son regard s'était brouillé plusieurs fois de larmes mais la blonde refusait de quitter des yeux la petite tache de lumière à l'autre bout du domaine. Le désir qu'elle éprouvait d'être auprès de la sorcière n'avait rien de rationnel. Pour quoi faire ? Pour quoi dire ? Pourquoi avait-elle autant envie de se confier à quelqu'un qui ne s'intéressait pas à elle ?
Non, il fallait que cela cesse, qu'elle oublie ce fantôme et qu'elle passe à autre chose. Partir loin d'ici y contribuerait certainement. C'était pour ça aussi que la proposition de Baelfire était si tentante... Mais avant de partir, avant de tourner la page il lui restait une dernière chose à faire. Un projet sur lequel elle avait trop travaillé pour l'abandonner comme elle allait abandonner ses sentiments irrationnels.
Vérifiant à peine qu'August dormait encore, la Princesse troqua sa robe de bal contre un pantalon lacé et un chemiser avant d'enfiler une cape assez chaude pour la protéger de l'air encore froid. Sa main n'hésita pas avant de s'emparer du parchemin roulé dans un de ses tiroirs.
Presque pas.
Beaucoup moins que lorsqu'elle arriva aux portes du cimetière où la flamme de sa torche fut soufflée par une bourrasque. La magie qu'elle tenta d'utiliser à plusieurs reprises lui demanda plus d'efforts qu'elle ne l'aurait cru pour raviver la lumière incandescente qui finit par la guider jusqu'à la stèle désormais bien familière.
Aucune trace de celle qu'elle était venue voir mais elle savait que la sorcière avait dut la repérer depuis qu'elle était sortie du château et elle était prête à attendre jusqu'à l'aube s'il le fallait. Aussi, s'assit-elle aussi confortablement qu'elle le put sur le marbre froid, les yeux rivés sur la flamme qu'elle tenta de faire grossir d'une simple pensée.
Elle avait presque réussi à en faire doubler le volume lorsqu'une nouvelle bourrasque l'éteignit et elle allait pester à haute voix quand le feu fut réanimé en une gerbe bien plus puissante qui la fit lâcher prestement la torche.
- Pu...
- Voyons Princesse...
La voix la fit brièvement se figer mais elle aurait dû se douter que le petit tour de magie n'avait rien à voir avec ses propres pouvoirs. La rebuffade avait tout de même réussi à lui clouer le bec suffisamment longtemps pour que la silhouette sortie de nulle part s'avance d'un pas encore pour lui adresser un regard significatif auquel elle ne répondit pas.
Elle ne savait pas par quoi commencer. Elle qui était venue pour des adieux se retrouvait bien bête, le ventre noué par le désir de ne jamais quitter cette présence fascinante.
- Venue montrer le joli cadeau que vous avez reçu pour les fêtes ? fut la question qu'elle ne comprit pas tout de suite avant que l'autre ne clarifie avec agacement. Votre bague Princesse. De fiançailles, si je ne m'abuse.
- Oh ! Euh, pas vraiment, c'est un service rendu à un ami...
Un instant elle crut que le silence allait reprendre, la brune immobile une seconde de trop avant de reprendre avec un pas vers elle.
- Depuis quand le rejeton du Ténébreux fait-il partie de vos amis ?
- Depuis quand est-ce que ça vous regarde ? répondit-elle un peu trop précipitamment.
Mais l'impertinence qu'elle regrettait déjà étira les lèvres rouges en un sourire amusé.
- Vous avez raison.
- Non, je... J'étais là pour...
- Des leçons de magie ? tenta de deviner l'autre.
- Non !
- Vous en auriez besoin. Quand je pense que Rumple avait osé dire que vous seriez la Sauveuse destinée à briser la malédiction... Même pas capable d'allumer un peu de feu...
- La malédiction que vous deviez lancer ? se rappela-t-elle.
Et comme d'habitude, elle avait parlé trop vite comprit-elle lorsque la silhouette se tendit visiblement avant de lui tourner le dos, le regard apparemment résolument fixé vers la lune.
- J'ai un cadeau ! se précipita-t-elle d'avouer ce pour quoi elle était réellement là.
- Gardez-le.
- Ça fait un moment déjà que je le garde Majesté mais... Je me suis dit que c'était peut-être le moment... Avant que je parte.
Les derniers mots attirèrent suffisamment l'attention de la brune pour qu'elle lui fasse à nouveau face.
- Vous comptez vraiment épouser le fils du Ténébreux ?
- Il en a besoin pour se débarrasser de son père et il m'a promis de m'amener dans d'autres univers... J'ai toujours rêvé de voyager.
- Pas de trouver l'amour véritable ?
- Qui sait, peut-être que je ferai d'une pierre deux coups ?
- Hum... fut la réponse énigmatique qui n'avait pas l'air convaincue.
- Et euh... mon cadeau, vous allez le prendre ? osa-t-elle au bout de quelques secondes de silence en tendant le parchemin roulé.
Une main baguée émergea d'un pli de la cape, les longs doigts aux ongles laqués de noir refermant leur prise sur le morceau de papier qu'elle eut du mal à lâcher. Et si elle n'appréciait pas son dessin ? Et si elle l'avait mal représentée ? Et si comme partout ailleurs, la sorcière y voyait la représentation horrifique de ce que la malédiction avait fait à son visage ?
Mais la Reine avait déjà tiré d'un coup sec pour dégager l'objet de son emprise et Emma sentit son estomac se nouer d'anticipation tandis qu'elle déroulait d'un geste élégant le portrait qu'elle avait conservé des semaines caché sous des piles de livres. De longues secondes s'écoulèrent, une torture silencieuse durant laquelle la jeune femme serra les dents au point d'en avoir mal.
- Je... c'était vraiment... de mémoire et..., balbutia-t-elle quand elle ne tint plus.
- Je vois...
Si simples soient-ils les mots chargés d'émotion prononcés par la voix rauque la firent fondre. Elle voyait. Mais quoi exactement ? Comment était-elle censée interpréter l'immobilité totale de la femme qui ne semblait même plus respirer ? L'anxiété était progressivement en train de faire place à un honte qu'elle n'avait pas éprouvée depuis des années. L'émotion qui rongeait ses entrailles eut raison d'elle et elle était déjà en train de tourner les talons lorsqu'une main de fer attrapa son avant-bras pour lui faire faire volte-face.
Elle aurait pu jurer sentir son cœur se briser lorsqu'elle remarqua la larme qui avait coulé jusqu'à la commissure des lèvres qu'elle entrevoyait sous le couvert du velours brodé d'argent que la femme portait. Les mots de remerciement auxquels elle se serait naturellement attendue ne vinrent pas, l'étreinte prolongeant le silence tendu jusqu'à ce qu'elle ose faire le geste dont elle avait souvent rêvé.
Sa respiration se bloqua quelque part dans sa gorge en un hoquet de stupeur lorsque le lourd tissu qu'elle avait poussé du bout des doigts tomba en arrière pour révéler le visage parfait. Les traits étaient plus durs que ceux dont elle se rappelait. Maquillés juste assez pour rehausser les courbes déjà existantes et donner encore plus de profondeur aux deux orbes d'ébène qui l'observaient avec fascination.
- Respirez, Princesse, fut le conseil qui comme par magie délivra ses poumons.
L'air chargé d'un parfum entêtant manqua de faire flancher ses genoux. Soudain, elle était consciente du rythme de la respiration qu'elle avait reprise, du battement affolé de son sang partout dans son corps et jusque dans ses joues qui auraient pu rougir sous l'intensité du regard qui la dévorait. Elle mit quelques secondes encore à reconnaître ce qui avait commencé à tordre son ventre et lui commandait d'attirer la sorcière à elle.
Du désir, comprit-elle à retardement en l'apercevant brûler au fond des pupilles de celle qui la toisait avec une supériorité appréciative. Pour toutes les fois où elle avait pensé à la brune dans le passé ou plus récemment, l'envie semblait lui revenir plus terrible qu'aucune autre.
- Est-ce que... Est-ce que vous êtes en train d'utiliser de la magie ?
Sa question peut-être un peu trop innocente provoqua un rire rauque dont les quelques notes cascadèrent sur elle en un torrent brûlant.
- Non, Princesse, mes victimes ont tendance à savoir exactement ce que je fais avec ma magie lorsque je l'utilise...
Ses victimes... L'horreur qui la frappa dut se voir sur son visage, l'émoi étirant les lèvres pulpeuses d'un sourire condescendant.
- Exactement, sembla-t-elle vouloir lui confirmer ses pensées. Et je suis loin du petit Prince qui cherche un bon mariage ou de la servante ingénue alors je vous conseille d'arrêter de me regarder comme ça.
- Sinon quoi ? trouva-t-elle le courage de répondre.
Un sourcil parfaitement dessiné s'arqua avec amusement et elle crut défaillir lorsque le peu de distance qui avait été maintenu entre elles disparut. Des ongles courts vinrent immobiliser son menton, le souvenir de leur première confrontation. Mais cette fois elle avait les yeux ouverts pour voir les autres la dévorer avec une intensité inédite.
- Ne jouez pas les effrontées Emma. Vos parents s'évanouiraient s'ils savaient quel démon vous êtes en train de tenter...
- Je ne suis pas comme mes parents ! protesta-t-elle.
Elle n'aurait peut-être pas dû, comprit-elle en voyant passer une lueur de folie dans les yeux sombres. Mais les siens se fermèrent de leur propre chef l'instant d'après quand des lèvres effleurèrent sa mâchoire avant de remonter vers son oreille avec un grondement sourd.
- Mais vous ne feriez toujours pas le poids, se moqua ouvertement l'autre quand elle eut un frisson.
Rien comparé à ce qui éclata en elle lorsque les lèvres refermèrent leur étau brûlant sur le lobe de son oreille à lui en faire flancher les genoux. Cette fois le petit rire dont elle fut gratifiée alluma un tout nouveau feu en elle. Du désir peut-être, mais définitivement de la colère. Un mélange qu'elle n'avait jamais expérimenté et qui la poussa d'instinct à reculer, levant une main pour frapper celle qui osait se moquer d'elle.
Le claquement de sa paume sur la joue de la sorcière résonna comme un coup de fouet dans le silence relatif du cimetière. En face d'elle les yeux où elle aurait juré pouvoir voir du caramel virèrent au noir, le visage si parfait s'assombrissant d'un courroux plus terrible que ceux dont elle n'ait jamais pu être témoin.
C'était ça, la Méchante Reine, comprit-elle quand une main referma sa prise sur sa gorge, les ongles courts abîmant sa peau pale.
- Lâchez-moi, gronda-t-elle avec une panique grandissante avant que l'autre n'ait pu rugir sa furie.
Encore ce rire... Encore l'impression totalement étrangère d'être considérée comme une moins que rien... Était-ce vraiment comme ça que la brune regardait tous les autres ? Personne ne lui arrivait donc à la cheville ?
- Je ne crois pas non, fut la réponse sur un ton mielleux alors qu'elle s'était attendue à des cris. Tu ressembles à ta mère Em-ma... Une petite écervelée qui se croit tout permis...
Le tutoiement lui parut encore plus dangereux que toute autre forme de menace et elle avait raison comprit-elle lorsque la suite vint.
- Tu sais ce qui se passait si d'aventure quelqu'un osait lever une main sur moi ?
Les yeux où dansait la flamme d'une folie meurtrière la forcèrent sans un mot à hocher la tête de droite à gauche.
- Personne ne touche une Reine sans son autorisation. Pas sans y perdre sa main.
- Alors c'est votre langue qu'il faudrait couper. Vous n'aviez pas mon autorisation.
Sa réplique lui valut un sourire presque fier auquel elle ne s'était pas attendue mais si la Reine était impressionnée, ce fut le seul signe qu'elle s'autorisa à montrer.
- Depuis quand la Princesse s'est-elle transformée en Reine ?
- Qu'importe le titre, on ne touche pas une femme sans son autorisation Majesté ! se défendit-elle.
Cette fois quelque chose d'autre passa dans les yeux sombres, une lueur qu'elle n'eut pas le temps d'identifier avant d'être lâchée, ses jambes se dérobant sous son poids pour finir à genoux dans le gravier gelé du cimetière.
- Apprenez à maîtriser votre désir dans ce cas Princesse, la façon dont vous me regardiez était une invitation suffisante.
- Ce n'est pas parce que vous ne m'inspirez pas du dégoût comme tous les autres que mon regard est une invitation, rétorqua-t-elle avec rage.
Son mensonge fut accueilli d'un haussement de sourcil hautain et l'instant d'après la sorcière s'accroupissait devant elle pour atteindre son niveau. A nouveau, des doigts frais soulevèrent son menton mais la remontrance à laquelle elle s'était attendue ne vint pas. Au lieu de ça, les yeux sombres continuèrent de la fixer avec une intensité qui fit battre son cœur un peu plus vite.
L'inspection aurait pu durer quelques secondes ou une éternité durant laquelle elle sentit toutes les cellules de son corps s'éveiller. Un feu embrasa le creux de son ventre et atteignit ses joues lorsqu'en face les lèvres pulpeuses s'étirèrent en un sourire entendu.
- Ça, eut l'air de lui signaler l'autre en faisant courir son pouce sur la courbe de son menton.
- Ça quoi ? demanda-t-elle d'une voix où elle eut presque honte d'entendre son désir.
Elle parvint de justesse à réprimer le frisson qui avait voulu secouer sa colonne vertébrale lorsque la sorcière se rapprocha encore pour aller murmurer dans son oreille.
- Cette façon de me regarder, de respirer... Une invitation.
Elle ne l'avait pas touchée, son souffle effleurant à peine la surface de sa peau mais le simple contact aggrava son état, la poussant à des folies qu'elle ne se serait jamais permises avec un quelconque membre de la royauté. Pourtant la brune s'accommoda tout à fait de la violence avec laquelle elle fondit sur elle pour un baiser qu'elle ne s'était pas attendue à se voir retourné.
Les lèvres qu'elle avait écrasées s'étirèrent en un nouveau sourire qu'elle effaça d'un coup de langue pour plonger à la rencontre de celle de la sorcière. Mais c'était une erreur comprit-elle lorsque les dents se refermèrent sur elle. Une erreur punie jusqu'au sang, la douleur la faisant glapir quand elle s'arracha à elle.
Plus le moindre sourire sur le visage si proche du sien l'instant d'après. La brune, dont la respiration était à peine plus maîtrisée que la sienne, l'observait avec un air prédateur qui la fit frissonner à la limite de la peur. Le temps se suspendit quelques secondes encore où elles continuèrent de s'affronter en un silence pesant avant que la plus âgée ne bondisse.
Cette fois aucun doute sur l'identité de l'agresseur. La main qui l'avait rapprochée par le col de son manteau avait réussi à griffer la peau de son cou mais sa protestation mourut en un gémissement lorsque l'autre en profita pour envahir sa bouche. Aucune compassion, aucune douceur dans la bataille qui lui fut livrée mais était-elle vraiment perdante si un simple baiser lui faisait éprouver ce que personne avant n'avait pu susciter en elle ?
Une main guida la sienne autour d'une taille cintrée et elle eut à peine le temps de savourer le contact avant de sentir une magie glaciale les envelopper. La seconde d'après elle avait été plaquée contre la surface rugueuse d'un mur et toute question concernant leur localisation disparut quand des doigts intransigeants s'arrimèrent aux lacets qui fermaient son pantalon.
Visiblement la sorcière n'avait aucune intention de perdre du temps, les fines lanières de cuir déjà dénouées. Elle fut tout de même surprise de ne pas la sentir immédiatement fondre entre ses jambes mais contourner ses hanches avant de plonger sous le tissus pour refermer une main plus que possessive sur une de ses fesses.
Le grondement qu'elle émit lui valut un nouveau rire et elle aurait pu protester si la bouche qui avait retenu la sienne prisonnière n'avait pas soudain migré dans son cou. Les dents qui s'y plantèrent la firent carrément gémir, trop dépassée par les événements pour avoir honte de la façon dont ses hanches bondirent sous le corps de la sorcière. Pourtant l'instant d'après l'intéressée s'était soudain écartée et le souffle court elle l'observa admirer la marque qu'elle avait laissé dans son cou. À en croire le sourire débordant d'autosatisfaction, la brune se délectait de la preuve de son passage.
Les perles d'ébène brûlèrent un chemin le long de sa mâchoire, ricochant sur ses lèvres tremblantes avant de retrouver ses yeux. Il y avait un certain ravissement qui la rassura dans les iris quasiment éclipsés par la lune noire des pupilles dilatées. La preuve que la Reine n'était pas tout à fait insensible à ce qu'il se passait. Loin de là.
- Que dirait votre mère, Princesse ...
- Certainement quelque chose que je n'écouterais pas ...
C'était la bonne réponse à en croire le rire satisfait qu'elle lui soutira avant que son menton ne soit immobilisé pour forcer leurs regards à se rencontrer. Quelques secondes s'écoulèrent en une éternité pendant laquelle la brune se laissa admirer mais le désir qu'elle devait voir sur son visage finit par avoir raison d'elle.
Les lèvres pulpeuses eurent tôt fait de retrouver le chemin des siennes, deux mains puissantes abaissant son pantalon sans ménagement pour passer un genou entre ses cuisses. Si la sorcière lui en avait laissé le temps, elle aurait certainement eut honte de la façon dont elle se cambra au tout premier contact mais la plus âgée semblait au contraire ravie de sa réaction à en croire le sourire qu'elle sentait contre elle.
- Hey ! protesta-t-elle quand elle sentit une magie glacée la débarrasser du dernier morceau de tissu qui l'avait protégée du genou de la sorcière.
Elle ne savait plus si elle devait savourer les lèvres sur les siennes ou la peau qui glissait entre ses jambes en un préliminaire qui ne dura que quelques secondes. L'instant d'après, les doigts qui avaient déjà plongé en elle lui volèrent toute pensée cohérente. Quelques va-et-vient et ce qu'elle sentait tordre son ventre ressemblait déjà à ce que d'autres mettaient d'habitude de longue minutes à provoquer. Non, c'était même mieux, réalisa-t-elle les larmes aux yeux. Le plaisir terrassant au point d'en devenir violent, un véritable incendie dont elle sentait les flammes se propager à une allure folle.
- Je...
Elle n'était même pas sûre de ce qu'elle avait bien voulu dire mais les mots lui étaient arrachés par ce qu'elle sentait étreindre tous ses muscles jusqu'à contracter sa gorge pour l'empêcher de parler. Etait-ce de la magie ?
- Vous ne semblez plus si sûre de vous, se moqua l'autre près de son oreille.
Mais elle n'avait pas la force de lui répondre, se demandant encore comment elle tenait debout contre ce mur où les doigts qui entraient inlassablement en elle l'acculaient de plus en plus.
- Vous n'avez pas l'habitude n'est-ce pas ? D'être celle qui ne sait plus ce qu'il se passe ? Je veux vous entendre crier Princesse… montrez-moi ce que vous êtes vraiment.
Qu'était-elle vraiment ? Elle aurait voulu comprendre quelle insulte exactement la brune avait voulu lui adresser mais l'instant d'après les doigts s'étaient recourbés en elle. La paume de sa main trouva la boule de nerf qui la fit perdre le contrôle et elle obéit, la gorge déchirée par un premier cri quand l'orgasme explosa quelque part dans son ventre. Les jurons qu'elle ne parvint pas à retenir firent ricaner son amante mais elle n'en était plus à ça près décida-t-elle, se contentant d'enfouir des mains tremblantes dans la masse de cheveux sombres pour attirer l'autre en un baiser furieux.
La sorcière n'avait visiblement aucune envie de s'arrêter comprit-elle lorsqu'elle fut entraînée quelques mètres plus loin sur un lit où elle fut jetée sans ménagement. Elle avait gémi, déçue, lorsqu'elle avait perdu le contact mais celui qui revint éclipsa tout le reste. Les doigts étaient plus nombreux, plus puissants appuyés par les coups de reins que la brune donnait derrière elle. Et elle avait beau pouvoir se vanter de nombreuses aventures, c'était bien la première fois que quelqu'un se permettait de la prendre comme ça.
D'habitude c'était toujours elle qui dominait ses partenaires d'un soir et les quelques exceptions qu'elle avait pu accepter n'avaient jamais ressemblé à ce qui était en train de se passer. A quatre pattes sur un lit aussi grand que le sien, c'était elle qui avait l'impression d'être une servante dans les bras de celle qui jouait avec son corps comme si elle l'avait pratiqué depuis des années. Le plaisir qu'elle éprouvait était proche de la torture et ce n'était pas la douleur que pouvaient provoquer les va-et-vient mais plutôt la façon dont ils l'emplissaient sans fin d'un plaisir qui ne cessait d'enfler sans jamais éclater.
Et c'était sans doute ce que voulait la plus âgée à en croire ses gestes sûrs qui s'arrêtaient aux portes de son orgasme. Le grondement agacé qu'elle voulut lui adresser se transforma en quelque chose qui ressemblait à un sanglot lorsque la main qui avait agrippé une de ses hanches traça un chemin empreint de magie jusqu'à sa gorge. Un instant, la blonde se tendit dans l'attente d'une douleur qui ne vint pas. A la place, elle fut surprise d'être guidée presque avec douceur contre le velours de la cape que l'autre portait toujours.
- Quel joli pantin, se moqua pourtant la voix de la Reine dans le creux de son oreille quand elle l'eut attirée, à genoux, contre son torse.
- Allez vous f... Aïe !
Visiblement anticipée, l'insulte lui avait valu la morsure des dents qui ne quittèrent pas le creux de son cou quand les va-et-vient reprirent. La seule main qui l'avait encore retenue migra plus bas et entre ses jambes pour appuyer la torture en une caresse presque douce comparée aux doigts qui travaillent en elle. Et ce furent eux qui eurent raison d'elle. L'orgasme qui lui avait semblé hors de portée explosa quelques secondes plus tard, déchirant ses poumons au nom de la sorcière qui eut un grondement en guise de réponse avant de se retirer et la laisser choir sur l'épais matelas.
Le souffle coupé, Emma mit quelques secondes avant de reprendre ses esprits. Suffisamment pour commencer à s'indigner du recul qu'avait soudain pris la brune. Elle s'était presque habituée à l'entendre la rabaisser mais ses actions n'avaient jamais coïncidé avec les insultes savamment déguisées.
- Vous vous donnez bien du mal pour que je parvienne à voir le monstre, hein ? finit-elle par comprendre à haute voix en se retournant pour faire face à celle qui était restée debout, négligemment appuyée contre une commode.
La Reine aussi avait le souffle court, quelques mèches brunes en désordre malgré son air suffisant et ses chevilles croisées. Pourtant, elle eut le temps de voir les yeux presque noirs flasher de colère avant que le visage ne redevienne impassible.
- Vous n'y arriverez pas, reprit-elle en tentant d'ignorer qu'elle était nue et scrutée par un regard qui savait la déstabiliser. Je vous vois. Et pas que votre visage. Je vois vos regrets, la beauté de votre magie, votre amour pour votre père... J'ai vu votre sourire quand vous avez pu monter Kratos et j'ai lu tous les registres du royaume à l'époque où vous étiez Reine. Une bonne Reine.
- Une Méchante Reine, fut-elle corrigée en un aboiement.
Elle avait presque l'impression de la comprendre. Cachée sous les masques qu'elle avait portés trop longtemps. L'illusion lui donna le courage de se lever, rassurée par le désir qui assombrit un peu plus les perles d'ébène fixées sur elle. Les quelques pas qu'elle fit furent épiés, la surprise succédant à l'attirance lorsqu'elle se laissa tomber à genoux devant l'autre.
- Une bonne Reine, répéta-t-elle une fois de plus, étonnée lorsqu'elle ne fut pas empêchée de toucher au cuir encore frais du pantalon que portait l'intéressée.
La sorcière ne lui donna pas l'impression de vouloir lui donner tort cette fois mais son expression n'avait pas changé et elle eut du mal à trouver le courage nécessaire à continuer. Pourtant, rien ne l'arrêta lorsqu'elle retraça du bout des doigts les arabesques gravées dans le cuir noir. Elle eut tout de même le droit à un haussement de sourcil lorsqu'elle concentra toute la magie qu'elle sentait courir dans ses veines pour parvenir à faire disparaître le tissu brillant et atteindre la peau aussi douce que ce à quoi elle s'attendait.
Malgré des années passées dans un cimetière, la Reine n'avait rien perdu de ce qu'elle avait dû être. Elle avait du mal à croire que quiconque puisse voir en elle autre chose qu'une créature digne de tous les compliments.
- Vous êtes sublime, affirma-t-elle donc en dépit de l'air impassible que l'autre portait toujours.
Le masque s'effrita pourtant à l'instant même où elle osa se rapprocher, déposant des lèvres tremblantes sur le seul morceau de tissu qui la séparait de l'endroit où elle avait envie d'être. Les perles sombres qui l'avaient guettée prirent feu malgré la retenue que la brune semblait vouloir exercer et Emma eut un sourire.
- Et vous avez envie de moi.
Cette fois Emma n'attendit pas que son affirmation soit réfutée, préférant la prouver d'une autre manière. Et le stratagème fonctionna à la perfection à en croire la main qui se précipita dans ses cheveux lorsque sa langue osa la caresser.
- Utilisez donc cette bouche pour faire autre chose que parler Princesse.
Et malgré l'ordre agacé, la jeune femme ne put s'empêcher de sourire à nouveau. La Reine ne l'avait pas contredite. De toute façon elle n'aurait pas pu. Pas quand la blonde en avait la preuve irréfutable. Au-dessus d'elle le corps svelte se tendit au premier passage de sa langue sur le seul morceau de tissu qui les séparait encore avant d'être chassé d'un mouvement agacé des doigts bagués. Et si elle avait eu l'intention de prendre le temps que son amante n'avait pas pris avec elle, la main qui agrippa ses cheveux lui signifia clairement que ce n'était pas ce qui était attendu d'elle.
Mais qui était-elle pour s'en plaindre ? Forçant au silence la petite voix qui lui réclamait de savourer le privilège qui lui était accordé, la Princesse laissa son instinct prendre le dessus, redevenant l'espace de quelques instants celle qu'elle était avec tous les autres. Mais ce soir-là, elle était encore plus fière que d'habitude lorsque le corps de la brune se tendit sous ses caresses, tremblant si violemment qu'Emma crut qu'elle s'effondrerait. Mais la Reine tint bon, y compris lorsqu'elle ajouta le va-et-vient de ses doigts à ceux de sa langue.
A peine parvint-elle à lui arracher une protestation qui ressemblait à son prénom lorsqu'elle s'écarta pour la mener vers le lit où elles avaient été quelques instants plus tôt.
- Je veux vous entendre.
Ce qu'elle aurait voulu ordonner ressemblait plus à une supplique et le petit rire auquel elle eut le droit en guise de réponse la contraria davantage encore. Le vieil orgueil qu'elle avait cru réveillé tout à l'heure éclata quelque part dans sa poitrine et cette fois elle ne laissa pas le choix à son amante. Les cuisses perchées sur ses épaules tremblaient si fort qu'elle avait dû les tenir d'une main, incapable de retenir les hanches qui ne voulaient pas rester en place.
Malgré les ongles qui labouraient son cuir chevelu, c'était elle qui avait le pouvoir maintenant comprit-elle. Celui de maintenir ce corps parfait au bord du précipice ou de le faire tomber. L'orgasme qu'elle avait attendu s'abattit aussi bien sur elle que sur sa victime et elle faillit lâcher prise lorsque la brune se cambra traversée par le plaisir et une vague de magie qui lui avait sans doute échappée.
Dans la pièce, tout se figea un court instant avant que le temps ne semble reprendre son cours, arrachant un soupir soulagé à la blonde. Les yeux rivés sur la femme étendue devant elle, Emma laissa sa langue courir sur ses lèvres encore trempées. Les perles claires dévorèrent un chemin le long des cuisses qui lui étaient offertes, le ventre et la poitrine animées par une respiration saccadée jusqu'au regard qui accueillit le sien avec quelque chose de nouveau.
Une fragilité qui fit battre son cœur un peu plus fort encore. La sorcière n'en était que plus belle et la jeune femme ne parvint pas à résister à l'élan qui la fit remonter le long du corps parfait, ses doigts effleurant un chemin jusqu'à son visage avec révérence. Le maquillage avait coulé à l'angle des yeux toujours aussi sombres, l'imperfection lui arrachant un sourire admiratif.
- Quoi ?
Le ton brusque emplit de reproches ne fit qu'aggraver son sourire. Pire, elle avait envie de rire, réalisa-t-elle. Rire avec Elle. La bulle de bonheur qui menaçait d'éclater la fit retrouver les lèvres de la brune avant de commettre l'irréparable. Mais elle ne s'était pas attendue à la magie qui inonda la pièce. Une vague si puissante qu'elle faillit la renverser, l'éloignant de là où elle avait été avec une panique grandissante.
Et Emma avait beau ne rien partager avec toutes ses Princesses qui rêvaient de leurs Princes venus les sauver d'une vie d'ennui, il était impossible qu'elle ne reconnaisse pas ce genre de baiser... L'Amour Véritable ? Avec la Méchante Reine ? L'occurence la fit reculer d'un pas supplémentaire. Tout ce qu'elle avait éprouvé pour elle n'était qu'une machination du Destin ? Le regard clair empli d'horreur chercha celui de la sorcière et elle fut étonnée de n'y voir aucune surprise. Les yeux toujours si sombres l'observaient avec une attention sévère. Avait-elle été au courant ?
Les émotions qui avaient mis tant de temps à faire sens avaient-elles étaient claires pour la sorcière depuis le début ? Pourquoi l'avoir traitée de la sorte ? Sans jamais se soucier de l'avenir qu'elle envisageait avec le fils du Ténébreux ? Tout désir oublié, elle s'empara d'un drap pour l'enrouler autour d'elle et allait poser ses questions quand elle retrouva le regard qui la couvait.
En quelques secondes, il s'était fait plus dur encore mais pire, Emma y discerna quelque chose qui lui glaça le sang. La façon dont elle se faisait toiser... Comme une enfant qui venait de faire une erreur à laquelle on s'était attendu.
- Je...
Le désir de s'expliquer fut interrompu par la main que la brune leva. Etait-ce de l'ennui, de la déception ? Ou du mépris ? se demanda-t-elle quand elle s'adressa finalement à elle en premier.
- Ne vous fatiguez pas, Princesse. Moi non plus, je ne voudrais pas de ça à votre place.
Oh non... c'était bien pire. Sa surprise et son choc avait été interprétés tout autrement par la sorcière et comment l'en blâmer ?
- Non, je...
- Non.
La sorcière n'avait même pas l'air intéressée par ce qu'elle aurait pu avancer et elle sentit une nouvelle peur étreindre son estomac quand une main qui avait été sur elle quelques instants plus tôt se leva. Et elle eut beau anticiper la magie, elle fut incapable de lutter contre les ténèbres qui engloutirent son champ de vision et la silhouette en face d'elle.
##
Non non non non. Elle n'avait pas fait ça. Elle n'avait pas été idiote à ce point. Le lit sur lequel elle venait d'atterrir n'avait rien à voir avec celui dans lequel elle avait été quelques instants plus tôt. C'était dans sa chambre que les volutes de fumée noire l'avaient transportée et elle eut du mal à se relever, jambes encore tremblantes pour atteindre la double porte fenêtre de son balcon.
- Non, répéta-t-elle à voix basse en ignorant la morsure du froid.
Le cimetière d'habitude si paisible semblait pris dans sa propre tempête et la Princesse eut un sursaut lorsque la haute silhouette d'une statue fut frappée d'un éclair violet. Un orage qui n'avait rien de naturel.
- Emma ?
Le spectacle l'avait accablée au point d'en ignorer le bruit des portes qui s'étaient ouvertes derrière elle mais la jeune femme parvint à peine à resserrer la couverture qui la couvrait. La voix de son père lui parvint à nouveau, plus proche. Et cette fois la blonde eut un frisson lorsqu'une main se referma sur son épaule. Elle était presque certaine que s'il l'observait avec attention, le Roi n'aurait aucun mal à deviner ce qu'elle avait été en train de faire quelques minutes plus tôt. La sorcière s'était assurée de laisser trace de son passage.
- Ta mère et moi nous disons tout, tu sais ?
Emma ne répondit pas. Ses yeux s'étaient emplis de larmes et qu'importe ce que son père pensait savoir, rien ne pourrait la pousser à la confession.
- Emma, ma chérie, regarde-moi.
L'intéressée mit quelques secondes encore à obéir, dévoilant un visage strié de larmes sur lequel le souverain porta un regard attristé. Le sentiment sembla muer en quelque chose de plus profond, une colère que la jeune femme ne lui connaissait pas lorsque l'examen tomba dans son cou où elle ne fut pas assez rapide pour cacher ce qu'elle savait être là.
- Elle n'a rien fait de mal, le devança-t-elle. C'est moi... C'est moi qui l'ai blessée. Je crois.
- Ce n'est pas ce que je vois.
- Ça ne te regarde pas, se rebella-t-elle en s'éloignant de lui pour retourner au spectacle qui déchaînait les éléments à une centaine de mètres du château.
Elle n'était pas la seule que le vacarme avait attirée dehors malgré le froid. Du coin de l'œil, elle pouvait distinguer la lueur de plusieurs torches sur les balcons des étages inférieurs. Demain, les domestiques auraient sans doute chacun leur version des faits. Une éternité s'écoula en silence et elle croyait être à nouveau seule lorsque la magie sembla s'apaiser.
- Je suis désolée, murmura-t-elle pour personne.
- Et moi aussi.
Les trois mots lui auraient fait tellement de bien s'ils étaient sortis de la bouche de quelqu'un d'autre que son père mais la Princesse les accepta tout de même. Pour la première fois depuis bien des années, Emma ne protesta pas lorsque deux bras encore puissants se refermèrent sur elle. La tendresse était bienvenue après ce qu'elle venait de vivre et la jeune femme dut même retenir de nouvelles larmes.
Elle n'avait plus froid lorsque le premier rayon de soleil incendia l'horizon. La tempête s'était calmée depuis longtemps déjà, laissant place à celle des servantes déjà à l'ouvrage. Elle avait rendez-vous avez Baelfire un peu plus tard dans la journée se rappela-t-elle. Ensemble, ils devaient encore planifier leur départ le jour du mariage et trouver les mots exacts avec lesquels ils parviendraient à duper le Ténébreux.
- Qu'est-ce que tu fais encore là ? finit-elle par demander à celui qui ne l'avait pas quittée. Tu n'as pas un royaume qui t'attend ?
- Mon royaume reposera sur tes épaules un jour ma Princesse. Je suis en train de m'occuper de lui à l'instant même.
Maladroite, l'attention la fit tout de même sourire. Comment réagiraient-ils tous s'ils découvraient qu'elle s'apprêtait à les abandonner ? Bien sûr, elle s'assurerait que Rumplestiltskin ne puisse pas s'en prendre à eux mais elle ne pourrait pas les empêcher de souffrir ... La blonde avait déjà tenté de préparer une lettre. Mais le sujet de la sorcière qui hantait ses jours et ses nuits revenait trop souvent. Il fallait bien l'avouer pourtant, c'était à cause d'elle qu'Emma avait accepté de fuir dans les bras d'un presque inconnu.
Quelques jours plus tôt encore elle aurait tenté de se cacher la vérité mais elle lui avait éclaté au visage aujourd'hui. Impossible de confondre la magie qui avait envahi la pièce où elles se trouvaient. En quelques mois, la curiosité qu'elle avait toujours éprouvée à l'égard de l'inconnue s'était transformée en quelque chose de beaucoup plus puissant. Beaucoup plus dangereux. Pour quelqu'un qui avait longtemps refusé de croire au grand amour que lui contait sa mère, elle pouvait presque le sentir battre dans sa poitrine. Aussi déchirant que la lame d'un poignard.
Elle aurait certainement dû accueillir la nouvelle avec toute la joie réservée aux chanceux qui découvraient leur âme sœur mais la Princesse ne pouvait s'empêcher de se sentir une nouvelle fois prisonnière. Bêtement, sûrement. Au point d'en prendre peur devant la pire personne à qui le montrer. A sa place aussi, elle s'en serait voulu. D'ailleurs, elle s'en voulait. C'était bien ça, de la colère, qui remplaçait progressivement sa tristesse.
Celle qui l'habitait depuis toute petite. Bridée par son rang de Princesse, bridée parce qu'elle était une fille. Bridée parce qu'elle était assez idiote pour croire que quelques frasques l'affranchissaient de tous les interdits qui l'avaient toujours entourés. Non. Ce n'était pas ça être libre. La Méchante Reine, elle, avait dû être libre en son temps. Avant de se faire rattraper par l'amour qu'elle éprouvait pour son père.
- Pas moi, décida-t-elle à haute voix en se dégageant à nouveau de la présence du Roi.
Son cœur eut une ratée lorsqu'une sensation familière l'enveloppa brièvement mais ce n'était que sa propre magie qu'elle avait senti changer le simple tissu qui l'entourait en une tenue plus chaude. Dans son dos, le Roi s'étonna de son talent soudain mais la jeune femme l'ignora.
- Prévenez-moi quand Baelfire sera là. Les préparatifs sont loin d'être terminés.
- Emma...
Non. Hors de question de tomber dans le piège de l'auto apitoiement. Il ne servait à rien de perdre du temps à essayer de retrouver celle qui l'avait chassée. La blonde savait que Regina refuserait sa présence des semaines encore s'il le fallait. Malgré tout, elle avait l'impression de la connaître. Aujourd'hui plus que jamais, de la comprendre.
- Tu devrais aller rassurer Maman. Ne vous inquiétez pas pour moi, dans quelques semaines tout sera redevenu comme avant.
C'était une promesse dans le vent. Rien ne redeviendrait plus jamais comme avant mais au moins l'inquiétude qu'elle voyait strier le front de ses parents aurait disparu d'ici là. Le mariage les libèrerait tous et c'était bien mieux ainsi.
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Malgré toutes ses bonnes résolutions, elle n'avait pu s'empêcher de passer de nombreuses heures à sa place habituelle. Trois fois seulement en presque un mois elle avait aperçu la silhouette encapuchonnée se recueillir sur la seule tombe toujours fleurie du cimetière. La ventre noué, elle avait espéré, redouté, le moment où la sorcière s'apercevrait de sa présence et relèverait la tête vers elle. Mais comme si elle était à présent insensible à elle, la Reine déchue ne lui avait jamais accordé la moindre attention.
Emma lui avait écrit une lettre. A elle aussi. En plus de celles qu'elle avait préparées pour ses parents et August. Il fallait que tout le monde comprenne. Pourquoi elle devait partir. Pourquoi c'était mieux ainsi et quelle joie elle se ferait de vivre enfin, libre.
Le jour tant attendu était enfin là. A l'aube, les carrosses commenceraient à arriver de tous les royaumes avoisinants et demain à la même heure... Elle ne serait plus là. Depuis quelques jours déjà, leur terres avaient été envahies de curieux, des nobles de tous les continents qui espéraient pouvoir se faufiler dans la salle du trône pour la cérémonie historique qui allait y avoir lieu. L'union entre la Princesse du Royaume Blanc et le fils du Ténébreux. Des bardes y avaient vu une poésie toute particulière et Baelfire et elle avaient ri des chansons qui circulaient déjà.
- Qu'est-ce qu'elle va faire tu crois ?
La voix de l'intéressé la fit frémir. Bien qu'elle ne l'ait toujours pas autorisé à faire plus que tenir sa main en public, le jeune homme et elle étaient devenus proches. Assez pour qu'elle le laisse se faufiler dans ses chambres pour de nombreuses soirées comme celle-ci. Pourtant Emma l'avait presque oublié, accaparée par la vision de la silhouette qui déambulait dans le cimetière. Mais ce n'était pas d'elle dont son fiancé parlait.
Muni d'une petite lanterne, quelqu'un faisait chemin en direction du dédale de stèles et la blonde eut une moue en finissant par reconnaître une des capes ouvragées de sa mère.
- Si elle intervient et qu'elle fait tout capoter, je...
- Elle n'y arrivera pas, coupa-t-elle.
Elle retenait pourtant son souffle lorsque la femme atteignit le domaine de la sorcière. Jumelles collées aux yeux, Emma parvint à distinguer un bref salut qui ne fut pas retourné. Il y avait quelque chose de désespéré dans la posture de la Reine qui laissait à penser qu'elle était en effet venue pour une dernière supplique. Sans espoir si on se fiait à l'indifférence de l'autre qui eut même le culot de lui tourner le dos. La Princesse sentit son cœur s'emballer. C'était certainement la dernière fois qu'elle voyait la brune et ses mains se resserrent sur l'objet qu'elle tenait, brûlant du désir irrationnel de tenter de la retenir.
Comme si elle avait éprouvé la même chose, Snow sembla oublier sa peur pour se précipiter à la suite de son ex belle mère. La témérité fut de courte durée mais assez pour forcer la fugitive à faire volte face, le mouvement provoquant la chute du tissu qui avait caché son visage. Les traits déformés par la rage lui arrachèrent une exclamation, seul son à franchir la barrière de ses lèvres.
Aucune émotion ne pourrait jamais altérer la beauté de cette femme. Se l'avouer lui faisait mal, constatant que l'attirance qu'elle avait éprouvée était loin de disparaître.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? voulut savoir le jeune homme qui se tenait à ses côtés, incapable d'être témoin des évènements de la même façon qu'elle.
- R... Rien.
C'était peut être un des plus gros mensonges qui n'ait jamais franchi la barrière de ses lèvres. En contrebas, elle assistait à un spectacle effarant. Alors qu'elle avait semblé paralysée par la peur la dernière fois qu'elle l'avait vu faire face à la sorcière, il y avait quelque chose de nouveau chez Snow White. Et rien à voir avec un certain courage... Non... C'était du désespoir qui teintait la colère qui venait de pousser sa mère à lever la main sur l'autre. Un geste sur lequel Regina ne porta qu'un regard empli de dédain, encaissant le coup comme un simple effleurement.
De là où elle était, Emma n'aurait pas pu deviner ce que la Reine de la forêt enchantée était en train de crier mais sa colère rayonnait assez pour la faire se tendre.
Pas autant que le regard noir qui la trouva l'instant d'après. Malgré la distance, la sorcière ne semblait pas avoir le moindre mal à la distinguer et la blonde sentit son cœur s'emballer à nouveau. Tout en elle lui criait de rejoindre les deux autres. Regina lui avait manqué réalisait-elle. Elle se serait contentée de quelques mots, quelques secondes même s'il lui fallait se retenir de tenter de se confondre en excuses... Le manque était là, vivant dans sa poitrine comme un monstre dont elle sentait les tentacules étreindre sa gorge.
En revanche, impossible de deviner ce à quoi l'autre était en train de penser. Si le regard quasiment noir la dévorait, il semblait paradoxalement vide. Elle aurait presque été agacée et c'était peut-être exactement ce qui passa par la tête de Snow lorsqu'elle osa lever une nouvelle fois la main sur celle qui ne lui accordait plus son attention. Emma eut le temps d'apercevoir un bref éclair violet dans les perles d'ébène avant que la vitre de la porte fenêtre ne se zèbre d'une multitude de fissures quand la paume d'une main s'écrasa sur sa joue. A ses côtés, le fils du Ténébreux eut un mouvement de recul mais la Princesse ne se laissa pas impressionner par le petit tour de magie.
Rien ne suivit pourtant et la blonde observa, stupéfaite, l'attention de la sorcière se reporter sur la Reine de la forêt enchantée qui s'était précipitée sur elle avec une violence peu commune. La gifle avait peut être eu l'effet escompté mais sa mère donnait l'impression de le regretter. A présent qu'elles s'affrontaient à nouveau, Snow avait l'air de fondre sous le regard qui lui était lancé. Ou peut être était-ce l'horreur de la vision qu'elle devait supporter de si près qui la faisait déjà reculer. La sorcière choisit de l'aider, levant à son tour une main pour déchainer la magie qui désarticula la silhouette de son adversaire.
- Il ne faudrait pas intervenir ?
Emma n'y avait pas pensé une seconde. Malgré sa réputation, malgré la folie dont elle avait pu être témoin, elle restait persuadée que Regina ne mettrait pas à exécution ses menaces.
- Non, répondit-elle donc malgré le nuage de magie noire qui s'enroulait autour de sa mère.
La fumée qui se dispersa sur un cimetière vide ne l'inquiéta pas. Elle était prête à parier qu'à l'étage inférieur, sa mère venait de reparaître dans ses chambres comme elle y avait été congédiée elle même dans le passé. Aussi, préféra-t-elle reporter son attention sur celle qui la méritait. Seule, désormais, la sorcière semblait figée dans sa colère froide mais un frisson eut l'air de chasser le trouble et Emma dut à nouveau retenir sa respiration lorsque le regard sombre retrouva le sien. Quelles questions pouvait-elle bien se poser ? Elle aurait offert toutes les réponses mais l'autre préféra visiblement couper court à l'échange, s'évaporant en un tourbillon violet.
Où était-elle partie ? Sans oser y remettre les pieds, Emma avait cherché dans tous les plans du cimetière sans y trouver trace d'un caveau où elle avait pu les amener ce soir-là...
- Cette femme est terrifiante... Je comprends pourquoi est-ce que mon père avait peur d'elle avant.
- Avant ?
- Avant qu'il ne lui lance sa malédiction. Que veux-tu qu'elle fasse maintenant sans quitter son cimetière ?
- Tu n'avais pas l'air bien fier lorsqu'elle vous a menacés toi et ton père il y a quelques mois...
- J'aimerais t'y voir toi ! C'est un cauchemar ambulant !
Cette fois la Princesse ne répondit pas, ravalant la colère qui lui dictait de défendre les intérêts de celle qu'elle considérait sûrement comme la plus belle femme du royaume.
- Tu devrais aller te coucher, finit-elle par lâcher à haute voix en abandonnant ses jumelles sur une commode.
L'autre ne l'écouta pas et elle l'observa du coin de l'œil s'emparer de l'objet pour tenter d'observer quelque chose. L'agacement qu'elle éprouvait manqua de se transformer en quelque chose de plus violent. Quelque chose qu'elle remarquait de plus en plus ces dernières semaines et une raison de plus de fuir cet univers où elle détenait finalement plus de pouvoirs qu'elle n'en aurait dû.
- J'étais sérieuse Baelfire.
Sa voix était plus froide que d'habitude. Sèche au point de faire se figer son compagnon qui n'hésita pas un instant à reposer ce qu'il avait emprunté avec un sourire gêné.
- Désolé. Tu as raison, demain va pas être facile mais on est prêts, pas vrai ?
Il avait plus l'air de tenter de rassurer mais Emma lui accorda un faux sourire confiant.
- Bien sûr, Baelfire.
Le mensonge eut l'air suffisamment convaincant et il ne tarda pas plus de quelques secondes de plus avant de la laisser à la solitude de sa chambre. Ce soir elle ne recevrait pas la visite d'August, trop occupé pour les préparatifs du lendemain. D'ailleurs elle devait être une des rares personnes dans le château censée dormir à cette heure là, tout le personnel en ébullition. Mais la Princesse savait déjà que le sommeil ne viendrait pas facilement.
Allongée dans son lit, la blonde repassa une fois de plus dans sa tête le plan élaboré pour les festivités du lendemain. Ce serait à elle de mentir à Rumplestiltskin en réclamant à corps et à cri un mariage liant son fils et elle d'une magie qui la faisait grimacer. Censée reposer sur un amour véritable, le charme ancrait une infime part de l'âme de chacun dans son partenaire. Mais c'était le prix à payer pour que Baelfire s'affranchisse de l'emprise de son père. Ensuite il faudrait encore qu'elle joue les faibles Princesses effarouchées pour soutirer la promesse qu'un mariage lui assurerait qu'il ne s'en prenne jamais plus à sa famille ni au royaume.
La blonde interrompit sa réflexion, se rendant compte avec surprise qu'elle était en train de jouer avec une minuscule boule de feu du bout de ses doigts. La magie envahissait son quotidien à une allure inquiétante. Mais la sensation qu'elle éprouvait toujours à son contact était enivrante. Différente du manque qu'elle s'efforçait d'ignorer dès qu'elle pensait à la sorcière, mais beaucoup plus puissante.
- L'amour est une faiblesse, répéta-t-elle à haute voix.
La phrase que la Reine avait adressée à sa mère lui revenait sans cesse ces derniers temps. C'était la seule leçon qu'elle devait retenir de ce qui lui était arrivé. Et pourtant, elle la trouvait plus dure à apprendre que toutes celles inculquées par ses professeurs ces dernières années.
Chassant les idées noires, la jeune femme referma son poing sur la seule source de lumière dans la pièce, préférant ignorer la douleur et plonger sa main sous les couvertures là où la chaleur la fit frissonner plus agréablement. Même si elle l'avait voulu, impossible de penser à quelqu'un d'autre que la brune qui hantait ses jours et ses nuits lorsque ses doigts effleurèrent la peau de son ventre. Le feu qu'elle avait étouffé avait élu domicile entre ses jambes en un instant. Trop vite pour être naturel mais Emma ne s'en soucia pas, se réfugiant dans la sensation qui commençait à devenir familière.
Le plaisir n'avait rien à voir avec celui qu'Elle avait réussi à lui donner mais ce fut tout de même son nom que la Princesse gémit dans la pièce déserte. Un nom qu'elle avait crié bien plus fort quelques semaines plus tôt mais qui contenait toujours autant de magie. Aujourd'hui, il eut le mérite de l'embraser quelques secondes avant que l'euphorie ne retombe sur une chambre vide où seule sa respiration un peu trop bruyante la guida dans les bras de Morphée.
##
Le matin était arrivé trop tôt à son gout. Pas une seconde de répit entre l'heure où sa femme de chambre la réveilla et celle où elle se retrouva seule au milieu d'une armée de servantes pour l'habiller et la coiffer sous le regard bienveillant de sa mère. Malgré ses sourires, elle avait tout de même discerné l'inquiétude de la Reine mais les questions qu'elle avait posées étaient restées sans réponse.
- J'espère juste que tu seras heureuse ma chérie, s'était-elle à peine vu répondre.
Snow avait-elle comprit ce qu'elle préparait ? Comment ? Non, impossible qu'elle la laisse faire preuve d'autant d'imprudence...
- Tu es allée au cimetière hier soir.
La phrase qu'elle avait répétée des dizaines de fois dans sa tête avait fini par sortir et la blonde se mordit l'intérieur de la joue pour se punir. En face d'elle, sa mère ne fut pas aussi douée pour masquer sa surprise et Emma dut attendre quelques secondes encore que l'autre se reprenne pour consentir à lui accorder quelque chose.
- Oui.
- Pourquoi ? enchaîna-t-elle tout de suite.
Elle avait une foule de questions qui brûlaient et à présent qu'elle était lancée, elle était sûre qu'elle allait devoir se contenir.
- Pour voir si Regina avait changé d'avis, lui répondit l'autre en une vérité relative.
- Elle n'a aucune raison d'avoir changé d'avis.
Une nouvelle fois, son ton avait été un peu trop sec mais l'autre ne sembla pas s'en formaliser et elle eut le droit à un sourire triste qui la fit frissonner. Sa mère savait quelque chose. Mais quoi ?
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle donc un peu gauchement en chassant une main qui avait tenté de resserrer le corset de la robe qu'elle ne voulait pas porter.
- Tu lui ressembles.
- A qui ? A R... A Elle ?
Le nom qui avait failli lui échapper lui valut un nouveau sourire. Pourtant il n'y avait aucune joie sur le visage de la plus âgée. Malgré le maquillage et la tenue de cérémonie qu'elle portait, la Reine de la forêt enchantée semblait plus triste que jamais. Emma dut serrer les dents pour éloigner les élans d'empathie qui lui commandaient de prendre dans ses bras celle dont elle s'était éloignée ces dernières années. Il fallait être forte. S'affranchir de tous ces sentiments qui l'affaiblissaient.
- Tu délires, préféra-t-elle donc reprendre. Tu devrais rejoindre Papa en bas et t'occuper des invités. De toute manière Rumplestiltskin ne va pas tarder.
Elle avait fait exprès de prononcer son nom malgré le dégout que sa magie provoquait en elle. En face, la brune eut un froncement de sourcils, sa posture changeant du tout au tout lorsque la fumée d'un rouge sale se matérialisa dans la pièce.
- J'espère que tu sais ce que tu fais Emma, l'entendit-elle seulement la prévenir tandis que les servantes se dispersaient.
Personne ne voulait être en présence du Ténébreux et pourtant la blonde n'avait pas hésité à l'appeler, sentant sa présence alors même qu'elle avait gardé le dos délibérément tourné à la pièce. Le regard clair chercha quelques secondes le jardin de stèles en contrebas et les larmes dont elle avait besoin ne se firent pas prier.
- Tu peux nous laisser, pria-t-elle sa mère en se retournant finalement.
L'intéressée s'assura encore quelques secondes que c'était bien là ce qu'elle voulait avant de prendre congé en silence, ignorée par le mage qui était resté figé en une fausse révérence depuis qu'il était apparu.
- Ne me dites pas, Princesse, que vous doutez de votre décision, fut-il pourtant prompt à susurrer lorsqu'ils furent seuls.
Emma avait envie de le tuer. On racontait que celui qui voulait y parvenir devait détenir sa dague mais elle se serait bien servie de la magie qu'elle sentait bouillonner sous la surface de sa peau.
- C'est qu'on raconte tellement de choses...
La voix qu'elle avait prise ne lui ressemblait pas mais il ne la connaissait pas assez pour le deviner et elle ne fit pas attention aux yeux qu'il leva au ciel en un clair agacement. Quelques pas vers elle et cette fois elle ne réprima pas le frisson que sa présence provoqua si près d'elle.
- Je crois avoir été clair pourtant, Princesse. Mes attentes sont honorables et je crois savoir que mon fils vous plaît bien. Que vous faut-il de plus ?
Son fils... Avec Belle, la fameuse bibliothécaire, Baelfire était sa seule faiblesse et la jeune femme comptait bien s'en servir. Lentement, elle s'autorisa à faire papillonner ses longs cils maquillés pour l'occasion. Elle avait un rôle à jouer. Le rôle de sa vie.
- P... Promettez-moi que jamais vous ne tenterez de nous arracher ce Royaume, que vous ne vous en prendrez jamais à notre famille.
En incluant le fils du Ténébreux à l'équation, elle avait gagné des points, elle le voyait au fond des yeux d'un vert reptilien. Ses mots eurent l'air de faire réfléchir l'homme. Etait-ce le Mal qui lui avait offert cette intelligence qui y brillait si vivement ou bien en avait-il toujours eu le don ?
- Je ne crois pas vous avoir donné la moindre raison de me craindre Princesse... Pourquoi tant... d'assurances ?
- Vous... vous êtes le Ténébreux, répondit-elle un peu bêtement.
Tant pis, c'était son rôle. Et la simplicité de son raisonnement lui valut un sourire en coin presque attendri.
- Et pour quoi d'autre suis-je connu mon enfant ?
Le terme la fit à nouveau frissonner, le sourire carnassier qui lui était adressé dérangeant la moindre cellule de son corps.
- Vos contrats.
La réponse parut satisfaire l'intéressé qui reprit ses distances et s'éloigna même le pas presque dansant. Il était fou. Possédé par quelque chose d'inexplicable. Une force qu'elle était sûrement folle de tenter d'affronter seule.
- Votre premier né.
- Pardon ?
Les trois mots serrèrent un point dans son estomac.
- Vous m'avez très bien compris. Cessez votre mascarade Princesse. Vous n'êtes pas celle pour qui vous tentez de vous faire passer. Vous empestez la magie noire et pas la mienne. Regina n'a pas voulu de vous alors vous tentez le tout pour le tout.
C'était sa magie qui la maintenait debout, elle en était sûre. Ses jambes n'avaient plus la force de la porter et pourtant la jeune femme se redressa. Pourquoi avait-elle pensé pouvoir duper le Ténébreux ?
- D'accord, répondit-elle pourtant.
L'autre ne s'était visiblement pas attendu à ça à en croire le regard fou qu'il lui adressa. L'espoir qui y brillait la dégoûta mais elle ne démordit pas. Elle pouvait bien promettre un nouveau né qu'elle n'aurait jamais.
- D'accord ? répéta-t-il d'ailleurs, suspicieux.
- Le premier né d'un mariage sacré qui héritera de la magie de l'Amour Véritable qui coule dans mes veines. Que demander de plus ?
- Un mariage sacré ? sembla tiquer l'autre.
C'était la dernière étape. Un mariage consacré par une ancienne magie qui arracherait Baelfire à celle qui l'emprisonnait auprès de son père. Un service qu'elle consentait à lui rendre en échange des promesses qu'il avait faites.
- Etes vous bien sûre de ce que cela représente pour vous, Princesse ?
Baelfire et elle avaient lu l'ouvrage un mois plus tôt et à l'époque la blonde n'y avait pas vraiment fait attention mais depuis plus d'une semaine les mots qu'elle y avait lus revenaient la hanter. Se délester d'une partie de son âme et accepter de la remplacer par celle de son époux réduiraient à néant toutes les chances qu'elle pouvait avoir de partager quelque chose avec sa véritable âme soeur. S'il était utilisé avec la bonne personne, le procédé n'avait rien de barbare mais elle comprenait l'horreur depuis peu. Et en face d'elle le Ténébreux semblait s'en douter.
- Pensez plutôt à l'enfant qui naîtra d'une telle union et arrêtez de me torturer, cracha-t-elle presque, étonnée du venin qu'elle avait conservé en face de lui.
Un instant le Ténébreux garda la silence et elle crut qu'elle avait perdu, sursautant lorsque des coups furent frappés à la grande porte en bois qui leur accordait un moment d'intimité.
- Princesse ? Il faut descendre maintenant, entendit-elle vaguement une voix réclamer de l'autre côté.
En face d'elle le sorcier était toujours figé mais la réflexion ne lui prit pas plus de quelques secondes et Emma eut un mouvement de recul lorsqu'il agita une main pour faire apparaître le morceau de parchemin noirci d'une écriture alambiquée. Tout était là. Noir sur blanc et la jeune femme sentit son cœur s'emballer, cherchant une plume pour apposer sa signature.
- Une goutte de sang suffira Princesse.
Le titre qu'elle avait trop entendu la fit gronder mais elle s'exécuta tout de même juste à temps pour que son père ne voit rien de ce qu'il venait de se passer lorsqu'il déboula dans la pièce avec une inquiétude non dissimulée.
- Tout va bien ? s'empressa-t-il de demander.
- Pour le mieux ! répondit avant elle celui qui disparut l'instant d'après en un tourbillon rouge sang.
Quelques secondes, Emma profita de son départ pour respirer à nouveau, s'accordant le droit à un moment de panique avant de sentir la main de David se poser sur son épaule.
Il était temps.
- Tout va bien ? répéta son père.
- Oui. Oui, tout va bien.
Tout irait mieux dans quelques heures en tout cas se rassura-t-elle intérieurement en prenant le bras du Roi qui la conduisit fièrement à l'étage inférieur sous le regard ému des servants qui s'étaient eux aussi mis sur leur trente-et-un. Emma eut un froncement de sourcils en remarquant les gardes qui stationnaient devant la porte de la salle du trône où aurait lieu la cérémonie. Des hommes habillés tout de noir sans le moindre emblème.
- Qui est-ce ? ne put-elle s'empêcher de demander à son père en désignant l'un d'eux dont le regard glacé posé sur elle n'avait rien de rassurant.
- Des hommes du Ténébreux.
- Il a... depuis quand le Ténébreux a une armée ?
- Le Ténébreux a tout ce qu'il veut ma Princesse, ce n'est qu'un moyen de plus de nous le prouver.
Les paroles la firent avaler nerveusement sa salive. Si elle s'en sortait, elle serait sûrement fière d'avoir pu survivre à un tel tyran.
Les trompettes en or arrêtèrent son cœur de battre l'espace d'un instant et elle crut que ses jambes allaient refuser d'avancer lorsque les battants en bois sculpté s'ouvrirent sur elle mais une main tout sauf amicale la fit bondir en avant avec un regard noir pour le soldat qui avait osé la toucher.
##
Elle n'avait jamais vu la salle du trône aussi pleine et partout où les yeux clairs se posaient, la jeune femme rencontrait curiosité, joie et inquiétude en un mélange étrange. Tous avaient fait le déplacement depuis les royaumes avoisinants et dans l'assemblée Emma reconnut tout de même des visages familiers. Princes et Princesses à qui elle avait accordé des danses, amis de la famille et jusqu'à August debout près d'une alcôve. Mais quelque chose d'autre finit par attirer son attention. Ou plutôt quelqu'un.
La silhouette habillée d'un rose violet était toujours appuyée sur un long sceptre mais elle semblait bien plus alerte que la dernière fois qu'elle l'avait vue. Maléfique avait fait le déplacement et l'observait avec un intérêt dévorant qui la fit frémir. Avait-elle changé d'avis ? Ses parents avaient-ils réussi à lui faire rallier leur cause ? Comme si elle avait pu lire dans ses pensées, la sorcière lui adressa un sourire moqueur qui ne lui disait rien qui vaille mais elle dut masquer son inquiétude en arrivant à hauteur de son fiancé.
Contrairement à d'habitude, le jeune homme se montrait meilleur acteur qu'elle, quasiment imperturbable malgré le sourire encourageant qu'elle lui adressa tandis que le silence se faisait dans la salle.
- Majestés, Souverains et Souveraines qui avez fait le voyage jusque chez nous, soyez les bienvenus dans la forêt enchantée pour célébrer en ce jour le mariage notre Princesse.
Pour l'occasion la fée Bleue avait revêtu sa plus belle robe pailletée mais Emma n'arrivait pas à lui trouver la moindre beauté. Elle était encore en train de faire un examen critique de son apparence lorsqu'un frisson parcourut la salle. Tout comme elle, l'assemblée devait avoir perçu la magie soudain alourdir l'atmosphère et elle sentit son cœur faire une embardée lorsque les lourdes portes en bois par lesquelles elle était entrée s'ouvrirent à la volée.
Emma n'écouta pas la rumeur qui enflait. Paralysée, elle dévora des yeux celle qu'elle avait l'habitude de voir dans un tout autre décor. Là, sur le seuil de la pièce, le soldat qu'elle avait croisé tout à l'heure avait une lame sur la gorge, tenu en joug par une haute silhouette encapuchonnée. Il y eut des cris lorsque le poignard ouvrit une plaie nette pour mettre fin aux jours de celui qui s'effondra à terre en une marre de sang mais personne ne sembla oser fuir.
- Désolée, je suis en retard.
La voix inimitable qui avait résonné dans la pièce fit bondir tous les organes de son corps. La panique qui était en train de gagner les invités en un murmure agité aurait pu la faire trembler. A une dizaine de mètres d'elle, la sorcière lâcha sa victime, avançant négligemment dans la marre de sang qui s'était accumulée. La blonde eut le temps de distinguer des talons aiguilles avant que sa vision ne soit obstruée par la silhouette du mage qui avait osé sortir de l'assemblée.
Entendre Rumplestiltskin rire n'était jamais de bonne augure mais l'occurrence fit se taire l'intégralité de la salle. Un instant il sembla que les deux vieux ennemis se jaugeaient avant que le Ténébreux ne prenne la parole en premier.
- Ce n'était pas la peine de te déplacer Regina. Je ne suis même pas sûr que tu aies reçu une invitation.
- Snow l'a délivrée hier soir.
- Et combien de braves hommes as-tu déjà tué pour pouvoir te frayer un chemin jusqu'ici ?
Maintenant qu'il le relevait, Emma se demandait comment la sorcière condamnée à vivre parmi les morts avait bien fait pour atteindre la salle du trône. Comme pour lui donner l'explication qui lui manquait, l'intéressée poussa d'un pied négligeant le cadavre de sa victime avec une force qui le fit avancer à quelques mètres à peine de là où Baelfire et elle se trouvaient.
Elle s'était ouvert un chemin crut-elle comprendre lorsque l'ancienne Reine profita de la traînée de sang pour s'enfoncer à sa suite dans la pièce.
- Un seul Rumple. Mais dis un mot et je me ferai un plaisir d'allonger cette liste.
Comme s'il jugeait plus sage de ne pas arguer avec l'autre, l'intéressé eut un pas en arrière, semblant inviter la nouvelle arrivante à prendre la place qu'il avait occupée au premier rang. Mais ...
- Non. Tu ne penses quand même pas que je suis là pour le spectacle dis moi ?
- Tu es le spectacle, sembla-t-il anticiper la tournure de ses pensées.
D'ailleurs, le jeu de mot arracha un sourire à la silhouette encapuchonnée et Emma se prépara au pire lorsque la brune leva une main pour se débarrasser de ce qui la cachait. Si jusque là, elle n'avait pu apercevoir qu'un menton et des lèvres familiers, tout le monde allait bientôt découvrir l'horreur à laquelle elle avait été condamnée.
Aussi ne fut-elle pas étonnée des nouveaux cris qui retentirent dans la grande salle, rebondissant sur les murs ornés de fleurs qu'elle avait envie de voir se faner. Mais ce fut la réaction du Ténébreux qui la surprit plus que tout.
Alors qu'il avait semblé fasciné la dernière fois qu'elle les avait vus se confronter, le sorcier avait lui aussi reculé. Comme si pour la première fois, Regina était parvenue à lui faire peur. La vision dégagée lui permit de croiser le regard sombre qui l'avait attendue et Emma crut qu'elle allait perdre l'équilibre. Elle avait envie de se jeter à genoux et supplier d'être sauvée mais son amour propre la fit serrer les dents.
- Regina !
La voix de sa mère contenait toutes les suppliques qui ne franchiraient pas la barrière de ses lèvres mais la nouvelle arrivante n'y accorda pas la moindre attention. Sûrement malgré elle, la brune avait le don de lui donner l'impression que rien n'existait mis à part elle quand elles étaient en présence l'une de l'autre.
- Qu'est-ce... qu'est-ce qu'elle fait là ? entendit-elle vaguement Bleue s'étonner.
- Oui tiens, Em-ma, qu'est-ce que je fais là ?
Pour une fois, la voix emplie de sarcasme ne parvint pas à attirer son regard, la Princesse préférant le faire courir sur l'assemblée. De la peur, oui. Tout le monde ou presque affichait une peur non dissimulée mais personne, personne parmi eux ne semblait véritablement horrifié par ce qu'il voyait. Et soudain tout ce qu'il s'était passé ces derniers temps prit enfin sens.
- J'ai brisé la malédiction, réalisa-t-elle à haute voix. La prophétie. Ce n'était pas la malédiction que vous deviez lancer mais celle que le Ténébreux lancerait sur vous.
La confirmation qu'elle chercha sur le visage de l'intéressée étira les lèvres pulpeuses d'un sourire condescendant mais le Ténébreux fut plus rapide.
- Non !
Ils étaient plusieurs à avoir crié lorsque le mage noir se retourna pour s'emparer d'elle et ce fut à son tour d'être tenue en joug par la lame d'un poignard sur son cou. Tout s'était passé trop vite pour qu'elle puisse réagir et si dans la foule l'action sembla outrer plus d'un invité, Regina se contenta d'en rire.
- Oh vraiment Rumple ? Tu crois que j'aurais pris la peine de venir ici sans... assurance ?
Le terme fit écho à celui qu'il avait employé quelques minutes plus tôt lorsqu'ils avaient été seuls deux étages plus haut et, malgré la panique, la Princesse ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Comment aurait-elle pu les espionner ? Son génie ?
- Tu ne...
- Tourne-toi, coupa l'autre en un ordre sans appel qui les fit tous les deux pivoter presque imperceptiblement dans la direction de celui qui était resté en retrait.
Depuis qu'elle était entrée dans la pièce, Baelfire n'avait pas bougé. Pas d'un centimètre. Et si Emma en fronça les sourcils, le Ténébreux sembla en conclure quelque chose de bien plus terrifiant à en croire le grondement sinistre qui émana de sa poitrine.
- Libère-le.
- Libère-la.
- Je ne me répèterai pas Regina. Je tuerai jusqu'au dernier de ces pauvres gens s'il le faut m...
- Et tu crois m'impressionner avec ces imbéciles alors que je tiens le cœur de ton fils dans ma main ?
Elle avait volé le cœur de son fiancé ? Quand ça ? Et depuis quand ?
- Ta Princesse ne le pardonnerait pas.
- Oh... Tu croyais que cela allait m'importer n'est-ce pas ?
Le sarcasme lui fit plus mal que la lame qui écorcha la peau de son cou mais les yeux sombres s'allumèrent d'une lueur fauve lorsqu'une première goutte de sang alla tacher le blanc immaculé de sa robe.
- Arrêtons de jouer, tu veux ? De nous deux il n'y en a qu'une qui n'a pas été capable de tenir son rôle de Méchante jusqu'au bout.
Le soulagement qu'elle éprouva brièvement lorsque le Ténébreux la lâcha fut de courte durée et dans la salle l'assemblée paniqua enfin lorsqu'un mouvement du poignet invoqua une armée de lances, épées et dagues en tout genre dirigées sur elle. Son père fut un des rares à braver la foule qui s'enfuyait pour tenter de se jeter sur le mage noir qui l'écarta pourtant d'un revers de la main. Snow, quant à elle, avait les yeux rivés sur son ex belle-mère comme si elle en attendait un miracle.
C'était sans doute le cas d'ailleurs. Il fallait bien quelqu'un pour sauver sa Princesse en détresse. L'idée la fit grincer des dents, retrouvant assez d'esprit pour tenter de lutter contre la magie qui avait fait d'elle une cible immobile. Comme s'ils avaient pu sentir son effort, les yeux d'ébène retrouvèrent le chemin des siens avec quelque chose qui ressemblait à de l'amusement. Etait-elle en train de se moquer ?
La pointe de rage qui la transperça suffit à réveiller sa magie et même Rumplestiltskin eut le mérite de paraître surpris lorsqu'une vague d'énergie fit trembler les armes pointées vers elle suffisamment fort pour finir par les faire tomber à terre. Leur fracas résonna quelques secondes dans la grande pièce presque vide à présent et Emma sentit son cœur s'emballer lorsqu'elle eut le droit à un véritable sourire de la part de la sorcière qui semblait fière de ce qu'elle venait d'accomplir.
- Terrassé par la magie d'une débutante, se moqua-t-elle pourtant l'instant d'après. Aurais-tu perdu la main Rumple ?
- La magie d'une débutante ou ta magie ?
- Quelle importance désormais ?
Le sourire qu'adressa la sorcière au Ténébreux avait quelque chose de tellement provocateur que même Emma en frissonna. L'intéressé quant à lui émit un son qui lui rappela celui d'une bête sauvage, seul indice avant que sa magie ne se déchaîne.
- Emma !
Cette fois, elle n'aurait rien pu faire contre les armes qui s'animèrent à nouveau mais les lames précipitées sur elle ne firent que la traverser comme un écran de fumée.
- Soyez un peu plus attentive Princesse.
La voix dans le creux de son oreille la fit sursauter. L'instant d'avant, la Reine avait encore été au centre de la pièce mais c'était bien elle qu'elle sentait à présent derrière elle. Dans le creux de ses reins, la main qui l'avait sauvée la contourna avec juste assez de pression pour la forcer à se retourner et l'affronter du regard.
- Si vous voulez que je mène votre bataille, il va me falloir votre magie j'en ai peur.
- Ma... ma magie ?
Leur proximité l'enivrait plus que jamais et pourtant, la brune, elle, n'en semblait pas affectée.
- Vous ne pensiez pas être devenue douée en un claquement de doigts n'est-ce pas ? Ces derniers jours je vous ai laissé vous servir autant de fois que vous le vouliez... A votre tour de me prêter main forte.
- Je... comment ?
- Ne luttez pas.
A peine la consigne délivrée à voix basse, Emma eut un hoquet de surprise. Pourquoi la sorcière s'était-elle imaginé qu'elle pourrait lutter contre ce qu'elle était en train de ressentir ? Depuis la première fois où elles s'étaient croisées, la Princesse avait appris à reconnaître la magie de l'inconnue. Glaciale et brûlante à la fois. Mais aujourd'hui, les pouvoirs avaient un tout autre effet, envahissant le moindre centimètre carré de peau en un fourmillement brûlant. La sensation lui rappelait presque ce que la femme avait réussi à lui faire éprouver dans ses draps et un instant la blonde en rougit.
- Donnez-moi un instant Princesse et tâchez de ne pas vous faire blesser, hum ?
L'intéressée aurait voulu protester mais la Reine l'avait lâchée et la sensation soudaine lui coupa autant le souffle que la magie qui déferla lorsque la sorcière se précipita sur le Ténébreux. Comme s'il s'était soudain souvenu ne pas être venu seul, le mage qui venait de parer le premier coup de son adversaire appela d'un geste de la main les hommes qui s'étaient sans doute tenus à distance dans le hall du château.
- "Tâchez de ne pas vous faire blesser" hein ? répéta-t-elle d'une voix basse que personne n'entendit.
Hors de question qu'elle reste immobile. Emma s'empara d'abord du glaive qui lui sembla le plus approprié pour le lancer à son père avant de ramasser parmi toutes les autres armes une épée assez légère pour elle. Dans sa robe de mariée, elle devait faire un bien triste spectacle mais même David n'osa lui en faire la remarque lorsqu'elle croisa le fer sous ses yeux.
Au centre de la pièce, le combat avait nul pareil. Rien à voir avec ce dont elle avait pu être témoin sur les champs de bataille. Ces deux là auraient sans doute pu anéantir toutes les armées qu'elle connaissait d'un claquement de doigts.
Et dire qu'une partie de la magie qui avait alourdi l'atmosphère lui appartenait...
- Tu fais une grave erreur Regina. La Princesse ne t'appartient pas, entendit-elle vaguement le sorcier crier par dessus le vacarme d'un sort qui venait d'exploser.
La jeune femme eut l'impression que la remarque provoquait une moue agacée sur le visage de la brune mais l'intéressée ne daigna pas répondre à la pique qui lui avait été adressée. Au lieu de ça, le combat reprit de plus belle et la blonde dut éviter de justesse l'épée d'un soldat qui finit empalé sur la sienne.
Seul Baelfire semblait insensible à ce chaos, toujours immobile là où elle l'avait laissé, près de l'autel où reposaient les anneaux censés les unir. Un instant la vision l'attrista avant de lui rappeler le pari fou qu'elle avait réussi un peu plus tôt dans la journée. Elle n'eut pas le temps de demander à son père de la couvrir lorsqu'elle s'élança et son cœur eut une ratée lorsqu'un poignard la frôla. Stoppée dans sa fuite, elle eut la surprise de remarquer que l'arme qui venait de finir sa course dans la poitrine d'un garde avait été lancée par sa mère.
A l'autre bout de la pièce, la Reine qui semblait avoir du mal à tenir debout depuis qu'elle avait été bousculée par la foule des invités lui adressa un simple sourire qu'Emma lui rendit faiblement avant de bondir sur l'estrade.
- Désolée de pas pouvoir te redemander ton avis, s'excusa-t-elle auprès de celui qui avait perdu son cœur et tout libre arbitre.
Évidemment, elle n'obtint aucune réponse, l'intéressé la regardant simplement avec l'air de ne pas comprendre ce qu'elle était en train de faire. Ils s'étaient pourtant renseignés sur la cérémonie et si Rumplestiltskin avait tenu sa promesse, chaque anneau contenait l'équivalent d'un accès à une partie de l'âme de l'autre. Un lien magique qui scellerait leur mariage et avec lui la promesse que le Ténébreux avait faite de ne plus jamais s'en prendre à sa famille. Et même Regina en faisait partie si elle y faisait bien attention.
C'était le seul moyen qu'elle voyait là pour arrêter ce qui était en train de se passer.
- Certainement pas, fut-elle pourtant surprise d'entendre murmuré près d'elle par celle qui venait d'apparaître en un nuage de fumée noire.
L'anneau qu'elle s'était apprêtée à enfiler à son doigt lui fut confisqué et la protestation qu'elle voulut élever tue d'un regard incandescent.
- Si quelqu'un doit avoir droit à une partie de votre âme, ce sera moi, Princesse.
La phrase délivrée sur le ton d'un reproche avait fait bondir son cœur mais les lèvres qui se refermèrent sur les siennes le firent carrément exploser. Tout à l'heure elle avait eu l'impression de sentir la magie de la brune s'insinuer dans la moindre cellule de son corps et à présent c'était la sienne qu'elle pouvait sentir s'éveiller pour se précipiter à la rencontre de celle qui était restée plaquée contre elle. Le baiser qui n'avait dû durer qu'un bref instant lui sembla durer une éternité, déchirée lorsque l'autre s'arracha à elle, emportant toutes ses forces et les pouvoirs qui s'échappèrent en une puissante vague déferlante.
Les perles d'ébène étaient noyées dans un océan d'or lorsqu'elle les croisa brièvement avant que la sorcière ne la quitte pour s'emparer de celui dont elle fit apparaître le cœur dans le creux de sa paume.
- Assez joué, Rumple. On sait tous que les Ténèbres n'ont aucune chance face à ce genre de magie.
Qu'avait-elle fait ? S'était-elle emparé de la magie qui coulait dans ses veine à cause de l'Amour Véritable de ses parents ? Ou bien avait-elle enfilé l'anneau qu'elle avait destiné à Baelfire pour puiser plus facilement dans ses pouvoirs ? Pourtant, Emma ne le voyait pas à ses mains, uniquement ornées de ses habituelles bagues. Sous ses yeux effarés, la brune replaça l'organe palpitant dans la poitrine du jeune homme qui sembla se réveiller, agité soudain malgré la main toujours en lui qui le maintenait en place.
- C'est l'occasion où jamais, mon cher. Si tu veux prouver à ton fils que tu tiens à lui c'est maintenant.
Emma avait du mal à croire qu'elle était prête à le tuer et tout comme elle le Ténébreux avait l'air d'être sur le point d'émettre des doutes lorsque les vitraux de la salle explosèrent sous la force d'un puissant choc. L'immense silhouette ailée qui s'engouffra dans la pièce fit se courber tout le monde à l'exception de l'ancienne Méchante Reine qui accueillit le dragon d'un sourire. La Princesse, elle, mit quelques secondes pour comprendre qu'il s'agissait de Maléfique, admirant les reflets violets sur la cuirasse noire.
La créature n'était visiblement pas là pour les attaquer mais partie intégrante d'un autre plan que personne n'avait vu venir. Emma dut faire un écart quand la gueule aux crocs acérés lâcha ce qui ressemblait à un flacon qui alla s'écraser au sol en marbre. Ce n'était pas une bombe à en croire l'impassibilité de la sorcière qui n'avait toujours pas bougé malgré le vortex bleu qui tourbillonnait non loin d'elle.
Un portail, reconnut-elle avec appréhension.
- Un sentiment de déjà-vu, Rumple ?
Le sarcasme fit gronder le Ténébreux en un quasi-hurlement mais son fils ne lutta pas lorsque Regina finit par le lâcher, poussant son corps dans le vide. Un instant la jeune femme croisa le regard de son fiancé, surprise de ne pas y trouver la moindre peur. Elle devait avouer qu'elle avait eu du mal à croire toutes les histoires de ses voyages mais à présent qu'il semblait si serein face à cet inconnu dans lequel il allait être envoyé, Emma pouvait presque l'imaginer traversant toutes les épreuves qu'il avait énumérées.
Et pourtant, l'horreur vint quand même. Un flash qui déforma les traits de son visage en un rictus qui le fit brièvement ressembler à celui qui venait de se jeter à sa rencontre pour le retenir d'un bras tremblant malgré l'immensité de ses pouvoirs.
- Bae !
Le Ténébreux avait presque l'air humain dans son désespoir mais la Princesse n'eut de pitié que pour celui qu'il tentait de retenir à ses côtés. Ce qui n'était visiblement pas le cas de Regina à en croire son véritable sourire et les mots qu'elle prononça.
- Ta magie ou ton fils Rumple ? Combien de fois est-ce que tu vas devoir faire l'erreur ?
Elle n'attendait certainement aucune réponse, levant une main où les doigts recourbés semblèrent commander le vortex dont la taille commença immédiatement à réduire. Emma, comme ses parents, ne fit qu'observer la scène. Elle savait qu'elle devait se retenir d'intervenir et ignorer l'instinct lui criant d'aider Baelfire à échapper à son père. Mais agir c'était aussi faire tomber tout le plan de la sorcière qui était en train de les sauver. Et de toute façon Regina l'avait vidée de toutes ses forces. Seul un hoquet parvint à la secouer lorsqu'une aile écailleuse la frôla quand le dragon, plus pressé que les autres, utilisa le revers de sa queue pour précipiter le corps du Ténébreux à la suite de celui de son fiancé.
Un instant, le temps s'arrêta. Le tourbillon bleu mourant sur lui-même avec un bruit infernal qui lui fit serrer les dents.
Et puis plus rien.
Un silence pesant dont Maléfique profita pour abandonner sa forme animale et renaître en un froissement de velours violet et noir. Emma balaya la pièce des yeux. Il ne restait presque plus rien du mariage qui avait failli s'y tenir. Quelques couronnes de fleurs encore accrochées au hauts plafonds, des bancs cassés et le corps inerte de Bleue, inconsciente. La fée n'avait servi à rien.
Les yeux clairs cherchèrent brièvement ceux de sa mère et son père, fièrement debout au milieu d'une vingtaine de gardes à terre avant de se reporter sur leur véritable Sauveuse qu'elle fut surprise de trouver plus proche que l'instant d'avant. Regina s'était vraisemblablement avancée pour l'aider à se relever à en croire la main qui lui était tendue. La jeune femme envisagea de la refuser avant de capituler, soulagée de sentir la magie et ses forces réinvestir son corps dès le premier contact.
L'éclat doré qui avait habité les perles d'ébène s'estompa jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien mais la Princesse resta clouée sur place. Elle avait du mal à croire que tout soit fini.
- Eh bien, je peux me tromper, mais je crois que c'est une interruption réussie !
La voix de l'autre sorcière les fit s'écarter, la plus âgée la lâcha subitement avec un regard pour son amie.
- Bien mieux que celle de notre mariage, rajouta Snow à quelques mètres.
Étrangement, l'anecdote fit sourire tous les protagonistes mais Emma en frissonna. Elle se sentait seule soudain. Seule et ridicule dans sa robe de mariée au milieu de ce chaos.
- Emma !
L'intéressée ne se retourna pas lorsque la voix de son père retentit dans la grande salle et personne n'osa s'élancer à sa suite quand elle en sortit, slalomant entre des corps pour atteindre le grand escalier qui menait aux étages.
##
La Princesse n'avait pas quitté sa chambre de la journée, acceptant à peine la venue d'August dans les bras duquel elle avait fini par fondre en larmes. Bien qu'elle soit consciente de ses défauts, la jeune femme avait accepté le futur qu'elle s'était construit. Sûrement parce qu'elle avait enfin eu l'impression de maîtriser quelque chose. Mais une fois de plus quelqu'un était arrivé et avait tout balayé d'un revers de la main. Non pas qu'elle en veuille à la sorcière de les avoir sauvés... mais tout de même...
Un peu plus tôt, son meilleur ami lui avait annoncé que ses parents avaient réussi la prouesse de transformer ce mariage raté en festivités pour la disparition du Ténébreux. Et l'héroïne du jour avait eu le droit de rester avec eux, disparaissant apparemment de longues heures dans la salle de guerre pour une réunion qui avait regroupé les plus grands.
Que s'y était-il décidé ? Une fois de plus tenue écartée des débats, Emma avait dû se contenter de tenter d'imaginer des traités de paix et des promesses à tenir. Et puis comme personne n'aimait faire durer ces longs conciliabules, la fête avait vite commencé et la Princesse avait fui ses appartements et les bruits de célébrations.
Elle était presque étonnée de l'endroit où ses pas l'avaient menée. Ces dernières années, c'était le cimetière qui était devenu son refuge mais la blonde qui n'avait toujours pas trouvé la force de se débarrasser de sa robe blanche n'avait pas osé quitter l'enceinte du château. Aussi s'était-elle rendue là où elle ne risquait de croiser personne. L'aile fantôme du domaine où le décor poussiéreux l'avait accueillie comme une vieille amie.
Assise à la grande table de l'unique salon, elle écoutait distraitement les échos de la fête et les aboiements des chiens de chasse dans leurs enclos en contrebas. Emma était en train d'envisager de revêtir quelque chose de plus chaud pour les rejoindre lorsqu'un mouvement attira son regard du coin de l'œil.
A quelques mètres d'elle, un homme venait de s'asseoir dans le fauteuil qu'elle n'avait osé prendre en tête de table. La soixantaine et les cheveux grisonnant, il n'aurait rien eu d'effrayant si tout son être n'avait pas été d'une transparence inquiétante. Celle d'un fantôme à n'en point douter. Celui qu'elle s'était attendue à rencontrer ici la première fois qu'elle y avait mis les pieds.
Un autre mouvement derrière elle la fit se raidir. Elle n'avait pas entendu les pas étouffés par les vieux tapis mais c'était bien sa Sauveuse qui se trouvait non loin d'elle. La brune avait elle aussi le regard fixé sur l'apparition et Emma comprit qu'il n'avait rien d'un fantôme. Les fantômes n'existaient pas.
- Votre père ? demanda-t-elle avec une voix rauque d'avoir gardé trop longtemps le silence.
Les deux mots réussirent à faire frissonner l'autre. Le visage parfait s'ombra d'une gravité qu'elle aurait voulu effacer mais l'instant d'après tout avait disparu d'un geste de la main. La vision s'était évanouie comme balayée d'un coup de vent et les traits avaient repris leur masque impassible.
- Le souvenir que j'aimerais en garder, fut pourtant la réponse sincère à laquelle elle eut le droit.
Elle ne s'attendait pas à d'autre explication mais la jeune femme eut un hoquet de surprise lorsque la magie familière envahit la pièce pour y semer des flammes qui paraissaient si réelles qu'elles la firent bondir. Elle aurait pu parier que l'aile entière venait de s'embraser.
Mais ce n'était pas ce qui lui fit le plus peur. Une plainte glaciale provenait de la pièce adjacente. Une lamentation qui l'attira malgré elle, comme prisonnière d'un sort qui la fit dépasser la sorcière pour approcher de la bibliothèque où la silhouette d'un homme était en train de s'affairer à défigurer un tableau. Celui là n'avait rien à voir avec celui qu'elle avait aperçu toute à l'heure. Comme un vieillard, le patriarche était vouté, maigre, les bras aux mains presque décharnées tachées d'un liquide noir avec lequel il s'efforçait de cacher le visage de sa fille.
- Arrêtez, s'entendit-elle demander à elle ne savait qui.
Évidemment, l'homme ne pouvait pas y réagir et Emma observa, impuissante, la vision continuer son œuvre jusqu'à s'affaisser, en larmes. La Princesse était sur le point de tenter de l'approcher quand il fut pris d'un sursaut, hurlant comme apeuré par elle ne savait quoi. Ce fut elle qui eut un cri lorsqu'il se leva, la maigre silhouette se précipitant sur elle comme si elle n'existait pas pour sortir de la pièce.
Elle serait tombée si deux mains ne l'avaient pas retenue par la taille.
- Mais la vérité, c'est que mon père a fini sa vie comme un pauvre fou, hanté par des visions d'horreur parce qu'il avait osé me regarder dans les yeux.
Emma, quant à elle, avait fermé les siens et elle fut soulagée de retrouver le décor poussiéreux quand elle les rouvrit.
- Ce… ce n'était pas de votre faute, tenta-t-elle pourtant le souffle court.
- Si. Tous ceux qui ont eu le malheur de m'aimer finissent par mourir, Princesse. Je comprends très bien que vous ne vouliez pas subir le même sort mais vous auriez pu trouver quelqu'un de mieux que le fils du Ténébreux pour compagnon.
- Non, je …
L'explication qu'elle allait tenter de donner n'avait pas l'air d'intéresser son interlocutrice qui lui fit faire volte face d'une simple pression de sa main. De si près, impossible d'ignorer la beauté à côté de laquelle elle était passée quelques minutes plus tôt.
Les longues boucles avaient été relevées en un chignon élégant. Le cou dégagé orné d'une petite rivière de diamants qui rappelait ceux incrustés dans la robe d'un bleu nuit qu'elle portait. Rien à voir avec la silhouette encapuchonnée à laquelle elle s'était habituée. La Reine était de retour.
Les yeux sombres l'enveloppèrent brièvement et la blonde crut sentir ses genoux flancher quand un anneau bien familier fut glissé au doigt qui aurait dû l'accueillir quelques heures plus tôt.
- Je ne suis pas quelqu'un de bien Emma. Je suis désolée que le destin nous ait lié d'une telle façon mais je ne regrette jamais ce que je fais. Tant pis si vous vous étiez amourachée de ce Baelfire. Son père et lui sont des menaces en moins ici.
- Qu'est-ce que ça peut v...
- Moi aussi j'ai été à votre place. Là où ma mère voulait que je sois. Sans jamais se soucier de mon avis et regardez où ça m'a menée...
- A jouer le même rôle et prendre des décisions pour quelqu'un d'autre sans se soucier de son avis ? hasarda-t-elle avec un sarcasme qui fit se durcir l'autre.
La sorcière la lâcha comme si elle avait été brûlée et Emma l'observa, les dents serrées, s'éloigner pour faire quelques pas dans la pièce. Le regard d'ébène sautait de tableau en tableau et elle crut même discerner que sa main tremblait lorsqu'elle la leva dans les airs. La magie répondit à l'appel en un miroitement qui redonna aux œuvres leur aspect d'antan.
La blonde qui avait essayé de les deviner des semaines plus tôt sentit la surprise entrouvrir ses lèvres. Si elle n'avait pas déjà été amoureuse, elle aurait tout à fait été capable de le devenir en croisant le regard immortalisé par l'artiste. Le talent avait figé les traits parfaits en une beauté froide. Emma y découvrait une jeune femme qui devait avoir son âge mais dont le visage avait perdu toute innocence, remplacée par la supériorité qu'elle lui connaissait. Et quelque chose d'autre. Une menace qu'on sentait roder. Un bref aperçu de ce qu'elle allait devenir.
- Vous sembliez avoir fait votre choix l'autre soir, je n'ai fait que le respecter.
Les quelques mots l'arrachèrent à sa contemplation. Elle avait envie d'être en colère. La brune était en train de choisir la facilité mais pouvait-elle vraiment lui en vouloir ?
- J'étais paniquée, se défendit-elle. Ça n'a rien à voir avec vous enfin ! Vous vous êtes vue ?!
- Je vous demande pardon ?
La sorcière s'était retournée et le regard qui avait cherché le sien était dur.
- Vous êtes sublime ! contra-t-elle sans tenir compte de l'interruption que lui avait valu sa maladresse. Vous êtes tellement sublime que ç'en est impressionnant. Et votre réputation ! Une Méchante Reine avec plus de morts sur la conscience qu'une grande guerre. Quelqu'un qui fuit l'amour et dont tout le monde dit qu'elle collectionne les amants ! Comment pourriez-vous accepter une âme sœur comme moi ?
Elle ne savait pas comment ni pourquoi elle avait révélé avec autant de facilité ses insécurités mais il était trop tard pour les retirer. En face d'elle, Regina avait le mérite de ne pas avoir l'air amusée mais le silence auquel elle eut le droit la fit frémir.
- Vous n'avez aucune idée de votre propre valeur, lui répondit-elle finalement alors qu'elle était sur le point de s'élancer pour rejoindre ses quartiers.
- Oh si. On est venu des quatre pôles pour demander ma main. Je suis l'héritière du plus grand royaume de la forêt enchantée. Avec un peu d'entraînement, ma magie ferait de moi une machine de guerre. Il n'y a pas plus prisée que moi ici.
Cette fois, la sorcière ne cacha pas son amusement et elle allait s'en défendre à voix haute lorsque son indignation fut arrêtée.
- Vous avez hérité de la bravoure de vos parents mais pas de leur idiotie. Vous êtes vive, intelligente malgré votre inconscience. Contrairement à moi, vous vous souciez des autres, vous faites attention à leurs besoins et vous les défendez quand vous le trouvez juste.
- Vous... vous m'aimez bien ? crut-elle tirer de la liste de compliments qui l'avait faite rougir.
- Bien sûr, idiote !
- Je croyais que je n'étais pas idiote !
- Je ne vous connais visiblement pas encore assez.
Elle, en revanche, commençait à connaître suffisamment la brune pour deviner qu'il s'agissait d'un trait d'humour en dépit de la gravité de son visage. Elle avait envie de lui sauter au cou et son enthousiasme devait être flagrant.
- Est-ce que vous en avez envie ?
Sa question maladroite fit se hausser un sourcil moqueur mais la Princesse tint bon. Y compris lorsque la sorcière se rapprocha d'elle.
- Envie de ? lâcha-t-elle quand elle fut arrivée assez près sans égard pour son espace personnel.
- De me connaître ?
- Chaque centimètre carré, fut-il murmuré contre elle. Sur le bout de mes doigts.
L'instant d'après Regina avait refermé ses lèvres sur le lobe de son oreille et Emma faillit défaillir. Le baiser brûlant descendit dans son cou, les dents l'effleurant en une promesse qui la fit trembler.
- Oh mon dieu, gronda-t-elle pourtant en échappant au bras qui avait tenté de s'enrouler autour de sa taille.
La Reine avait l'air vexée quand elle osa la regarder.
- Ne me regardez pas comme ça ! Vous... vous êtes en train de me distraire. Vous ramenez tout à ce que nous faisons mais je... Ce n'est pas ce que je veux.
- Vous ne savez pas ce que vous voulez Emma ...
- Je sais parfaitement ce que je veux ! s'emporta-t-elle sous l'œil amusé de la plus âgée.
Il y avait un défi dans le regard d'ébène qui la couvait avec une attention dévorante. Celui d'oser avouer ce qu'elle voulait certainement. Elle. C'était elle qu'elle voulait. Avoir le droit de la connaître. Son véritable Elle. Pouvoir devenir sa complice, son amie, son amante. Profiter de ce coup du destin pour espérer que ce qu'elle éprouvait n'était pas l'enthousiasme d'un premier amour mais celui du Véritable Amour.
Et elle avait beau se l'être répété des centaines de fois. La vérité qui ne pouvait être ignorée lui faisait toujours aussi peur. Suffisamment pour la faire fuir la pièce, ouvrant à la volée les portes d'un balcon où elle regretta d'être sortie à l'instant même. En contrebas, le bruit avait attiré le regard de quelques cochés et pire, Emma croisa le regard de certains amis de la famille sortis prendre l'air.
Figée, elle affronta les regards interloqués qui se firent plus lourd quand l'air se chargea d'une autre aura à ses côtés. Tout le monde avait encore peur de la grande Méchante Reine...
- Je sais ce que je veux, se reprit-elle. Je ne suis juste pas assez brave pour vous le dire.
L'air frais et la présence des autres lui redonnaient du courage. Lorsqu'elle était seule avec la sorcière, elle avait tendance à ne plus se sentir elle-même.
- Mais suffisamment pour le reconnaître.
Elle n'était pas sûre qu'il s'agisse d'un compliment. Pourtant, le ton était presque rassurant et cette fois elle ne fit rien pour chasser les doigts qui se faufilèrent entre les lanières de son corset et dans le creux de ses reins.
- Combien de temps encore comptez-vous garder cette robe ?
Jusqu'à ce que vous me l'enleviez.
- J'ai refusé la visite des servantes et je ne peux pas l'enlever toute seule, expliqua-t-elle avec un haussement d'épaule désinvolte malgré la voix intérieure qui lui suggérait des folies.
- Oh ? Et moi qui croyais que c'était de la nostalgie ...
- Pourquoi ? Parce que vous pensez vraiment que je tenais à ce mar... Qu'est-ce que vous faites ?!
La panique qui avait teinté ses derniers mots lui valut un petit rire mais les doigts qu'elle avait senti s'attaquer aux lanières de son corset y restèrent complètement indifférents. Prise de panique, le regard clair chercha sans le vouloir celui des invités en contrebas. Pouvaient-ils voir quelque chose de là où ils étaient ? Et que voulait dire la Reine ? Toutes les questions qui affluaient refusaient de passer la barrière des lèvres qu'elle dut serrer un peu plus fermement pour étouffer un gémissement. Le corset avait lâché et ses poumons prirent feu quand la sorcière caressa distraitement la peau marquée par les liens trop étroits.
- Non, parvint-elle pourtant à l'arrêter quand la main se faufila plus loin sous le tissu.
- Non ?
- Pas tant que vous ne m'aurez pas dit la vérité.
- Quelle vérité ? Celle qui vous a fait fuir la dernière fois ?
L'amertume palpable la fit frissonner malgré la présence brûlante à ses côtés. Regina avait les yeux résolument fixés en contrebas elle aussi. Comme si elle cherchait à éviter son regard en préférant porter le sien sur les curieux qui leur jetaient des coups d'œil sans savoir ce qui se tramait.
- Je ne fuirai pas une deuxième fois, assura-t-elle quand la sorcière daigna enfin lui accorder son attention.
Un instant elle crut que cela ne suffirait pas, les perles d'ébène la dévisageant un long moment avant de retourner vers l'immensité de la forêt au loin.
- Je me suis doutée que vous étiez mon âme sœur dès la première fois que nos regards se sont croisés Emma... mais vous avez refusé d'y croire bien plus longtemps que moi puisque vous n'avez brisé la malédiction que tard ce soir-là... je ne sais même pas pourquoi d'ailleurs...
- J'étais heureuse, se rappela-t-elle. Et j'ai... j'ai compris...
- Vous étiez surtout terrifiée et ce n'était pas ce dont j'avais besoin. Mais il était hors de question que votre petit plan fonctionne Emma... si je ne peux pas vous avoir, croyez-moi, personne ne vous aura.
La possessivité fit trembler quelque chose en elle et la Princesse en serra les dents pour ne pas montrer son égarement.
- J'ai quitté le cimetière, je suis retournée chez moi auprès de Maléfique et nous avons... réfléchi ensemble à tout ce que vous avez pu voir aujourd'hui.
- Et ma mère ? Hier soir, que vous a-t-elle dit ?
- Des vérités qui n'étaient pas les siennes à dire... mais vous pourrez sans doute la remercier, sans ça je me serais contentée de ruiner votre mariage et repartir...
- Quelles vérités ? s'affola-t-elle.
Que diable sa mère avait-elle pu dire pour faire pencher la balance en sa faveur ? Connaissant ses antécédents, Emma savait qu'elle avait de quoi s'inquiéter. Et cela devait se voir à en croire le sourire en coin auquel elle eut le droit avant que la sorcière ne se tourne vraiment vers elle pour lui répondre.
- Que sa fille était obsédée par moi depuis des années, qu'elle passait presque toutes ses soirées à m'observer même après qu'elle eut appris qui j'étais... qu'elle n'avait jamais voulu croire en l'amour véritable mais que quiconque la connaissait savait que cela faisait des mois au moins qu'elle était tombée amoureuse...
Maudire sa mère allait devoir attendre. La voix basse était venue mourir contre ses lèvres et malgré leurs éventuels témoins Emma fut incapable de résister à la tentation de s'emparer de celles de la sorcière. Comme tout à l'heure, la magie était à nouveau au rendez-vous, une tempête dans sa poitrine. Et Regina était la seule à laquelle elle pouvait s'accrocher, les mains tremblantes cherchant une amarre. Quelque part, dans son cou, sur ses épaules, sa taille ou le creux de ses reins où elle finit par atterrir.
Le souffle coupé, elle avait au moins une excuse pour ne pas répondre mais elle avait l'impression que le regard sombre qui la couvait de si près pouvait lire en elle.
- J'ai envie de vous, préféra-t-elle avouer avec l'espoir que la conversation se tarisse d'elle-même.
- Je croyais que je devais attendre de vous avoir dit la vérité ?
- La votre, pas la mienne...
Un instant les yeux sombres la sondèrent à la recherche d'elle ne savait quoi avant de tomber sur ses lèvres. La voir hésiter lui donnait un air presque fragile qui lui serra le cœur. Pourtant quand elle reprit sa voix était sûre et ce fut Emma qui en trembla.
- J'ai toujours senti votre regard peser sur moi... depuis des années...
Elle s'était éloignée pour la contourner, et les deux doigts qui effleurèrent un point au milieu de sa nuque lui firent serrer les dents pour ne pas gémir.
- Là.
Le corps de la brune s'était plaqué contre le sien, une source de chaleur contre le dos qu'elle avait libéré de sa robe étriquée un peu plus tôt. Cette fois elle n'eut pas le cœur à lutter contre la main qui en profita pour passer sous le tissu et caresser la peau de ses hanches.
- Je vous ai vue... et puis vous m'avez vue. Votre regard, le premier à m'admirer depuis si longtemps... j'ai voulu croire que c'était cela qui m'avait manqué mais c'était vous dont je me languissais...
Elle avait le souffle court à présent. A cause de la main qui était descendue jouer avec le tissu satiné de son sous-vêtement mais aussi parce que Regina lui parlait enfin. Se confiait. Et elle avait beau avoir le destin avec elle, savoir qu'au moins une partie de ce qu'elle ressentait était réciproque la rassurait plus que de mesure.
- J'ai passé des heures à me faire violence pour ne pas vous rejoindre quand vous cherchiez ma compagnie. J'ai maquillé mes lèvres pour y sentir votre regard et vous ne pouvez pas savoir quelle rage j'avais à vous penser avec le fils de ce monstre.
- Jamais, parvint-elle à gémir presque parce que les doigts s'étaient crispés sur elle, possessifs et fantôme d'une colère qu'elle sentit jusque dans le grondement qui fut étouffé dans son cou.
Elle aurait voulu trouver le courage de lui demander de les emporter dans une chambre, l'assurance qui lui manquait soudain pour exiger qu'elles arrêtent cette torture et se retrouvent dans un lit où elle pourrait enfin profiter d'elle. Mais rien ne passa la barrière de la gorge contre laquelle la brune vint poser ses lèvres. Lentement mais sûrement ses doigts s'étaient débarrassés de ce qui les gênait et elle eut un nouveau frisson lorsque deux d'entre eux glissèrent de chaque côté de la boule de nerf qui l'électrifia.
- Regina...
Le prénom était une invitation à laquelle l'intéressée répondit en se rapprochant davantage. Plaquée entre elle et la rambarde, elle aurait tout de même pu tomber si elle ne s'était pas agrippée à la pierre du balcon. L'incendie qu'avait su causer en elle la sorcière la dernière fois qu'elles s'étaient vues était à nouveau là. Elle était incapable de décider si elle voulait fuir ou aggraver la caresse trop légère qui la torturait.
- Vous êtes trempée...
Elle le sentait oui, à la facilité qu'avaient ses doigts à jouer avec elle et la rendre assez folle pour répondre.
- Vous n'avez pas idée du nombre de fois où j'ai joui votre nom depuis la dernière fois.
Un grondement animal et elle se sentit happée en arrière et vers l'intérieur du château où elle fut immédiatement plaquée contre le mur le plus proche. Elle espéra brièvement que personne n'avait eu les yeux levé pour voir ce qui aurait pu ressembler à une agression mais le regard qui la dévorait lui fit tout oublier. La pression accéléra encore sa respiration, le souffle déjà court quand la brune fondit sur elle avec une violence qui ressemblait presque à leur premier baiser.
Presque. Elle avait envie d'y sourire de soulagement et de bonheur. Etait-ce parce qu'elle s'était confiée que soudain elle pouvait sentir quelque chose de plus profond derrière chaque coup de dents et de langue ? Rien aurait pu la déranger, même la façon dont elle s'attaqua à son cou, marquant sa peau aussi efficacement que les ongles qui la griffaient en finissant d'ôter sa robe sans ménagement.
Sans effort, elle fut soulevée et posée sur une commode que Regina avait débarrassée d'un geste du poignet et elles gémirent toutes les deux en se retrouvant, la blonde refermant ses cuisses autour d'elle au moment où deux doigts entrèrent en elle. Elle n'aurait pas pu opposer la moindre résistance, à peine capable de ramener la sorcière vers ses lèvres pour étouffer ses gémissements et les suppliques qu'elle ne voulait pas offrir. Le plaisir avait tout rongé sur son passage, il ne restait plus que cette impression que quelque chose de terrible se terrait dans son ventre en une menace aussi agréable que le serait son dénouement.
Au bord du précipice, un doigt rejoignit les autres, sans la pénétrer mais pour imiter leur mouvement contre son clitoris et son corps se cambra malgré elle en un gémissement qui sembla embraser son amante.
- Emma...
Quoi qu'elle ait été sur le point de dire, quelque chose l'arrêta. Un appel au loin qui teinta de colère le regard déjà presque noir. Peut-être était-ce ça ou la menace soudaine qu'on les découvre mais Emma sentit ses entrailles se tordre. En face d'elle la brune en gronda, sa magie éclatant un peu partout autour d'elle et dans l'aile du château où la Princesse entendit les portes claquer les unes après les autres.
- Personne ne t'entendra, je te le jure. Crie pour moi, j'en ai besoin...
Elle ne chercha pas à savoir si elle devait lui faire confiance. Elle aussi en avait besoin. Après des semaines de manque, des semaines à tenter d'imiter ce qui s'était passé cette nuit-là... Après la torture de ses doigts, l'urgence avec laquelle ils avaient repris leur mouvement et la façon dont elle venait de s'adresser à elle... Emma n'avait plus le choix. Elle céda aux flammes, le sang en lave alors que son corps se cambrait pour chercher le contact plus violent tant qu'elle pouvait le supporter. Le nom qu'elle gémit plusieurs fois lui valut le passage des ongles sans merci dans le creux de ses hanches mais le cri de douleur mua en plaisir quand enfin l'orgasme éclata.
Partout dans son corps et plus intense encore que les dernières fois, la délivrance fut terrible. Et trop courte. Elle en voulait encore. Elle voulait une éternité passée à se consumer pour Regina et d'après le regard que lui lançait l'intéressée, elle n'était pas la seule à qui cela n'avait pas suffit. L'autre aussi avait le souffle court, les lèvres entrouvertes et un instant elle n'eut plus aucun mal à croire qu'elle avait eu besoin de l'entendre crier. Le besoin était encore là sur son visage.
Au loin, une porte grinça mais les mots qu'elle allait tenter de dire furent interrompus par les doigts humides qui virent sceller sa bouche. Quelques secondes elles s'observèrent en silence, incapable d'ignorer ce qui se rapprochait. Et pourtant la plus âgée vint remplacer ses doigts par ses lèvres pour un baiser qui embrasa jusqu'à son âme à l'en faire gémir de déception lorsqu'elle finit par s'éloigner un tant soit peu.
- Ne me faites pas faire des folies Emma.
L'avertissement murmuré par des lèvres qui caressaient les siennes ressemblait pourtant à une invitation. Mais une magie presque familière désormais les entourait déjà, l'habillant d'un costume de cérémonie qu'elle ne connaissait pas avant de remettre un peu d'ordre dans leur apparence.
- Emma ? Regina ?
C'était la voix de sa mère et la Princesse faillit en rougir.
- Elle ne vous a pas entendue, sembla deviner l'autre. Rien que moi.
Les trois derniers mots réussirent à la faire frissonner une nouvelle fois et les yeux sombres la couvèrent d'un regard qui semblait lui promettre de s'attendre à ce qu'elle ne s'en contente pas. Mais l'instant d'après, la Reine s'était détournée, allant à la rencontre de celle qui les avait retrouvées.
- Ici, Snow, l'entendit-elle appeler d'une voix plus ferme que celle qu'elle lui avait réservée.
Dans le couloir, la silhouette de l'intéressée se figea et Emma fit son possible pour adresser un sourire rassurant à celle qui chercha son regard avant de se tourner vers la sorcière.
- Tout le monde vous cherche mais personne n'osait venir ici...
- Tant mieux, Emma avait besoin d'un moment je crois.
- Ca va mieux ?
Les mots échangés comme si elle n'était pas là la firent se redresser, entamant quelques pas pour les rejoindre mais un regard en arrière de la part de Regina fit battre son cœur un peu plus fort.
- Je crois oui, finit-elle pourtant par répondre à son ex belle-fille.
Les deux s'éloignaient déjà et la blonde dut accélérer le pas pour les rattraper, arrivant à leur hauteur pour entendre sa mère reprendre :
- J'ai rêvé ou ce sont tes armoiries sur la veste que porte ma fille ?
L'intéressée ne l'avait même pas remarqué mais c'était bien un pommier dont le tronc avait été remplacé par la lame d'une épée qui était brodé sur le côté droit de sa poitrine. Pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas, la présence du blason réchauffa ses entrailles d'une chaleur différente. Différente encore de celle qui s'y installa quand Regina s'empara de son bras, les ongles courts s'enfonçant dans le tissu de sa manche comme pour la retenir à ses côtés.
- Tu ne rêves pas Snow...
La réponse délivrée d'une voix basse et pleine d'assurance lui fit se mordre la lèvre pour ne pas sourire. Pour la première fois de son existence, elle avait hâte de rejoindre une salle de fêtes...
Et voilà, c'est "tout" pour le moment mais plus de 34k mots tout de même... je vais "essayer" d'en publier d'autres (je sais, je dis ça à chaque fois... avec un peu de chance cette fois sera la bonne !). Merci pour votre passage dans tous les cas !
