3) Sensory deprivation / Isolation
Le temps sembla passer au ralenti pour Steve qui cherchait à se libérer de l'emprise de la drogue sur lui. La sensation d'être prisonnier de son propre corps le rendait fou, lui qui avait l'habitude de contrôler chacun de ses muscles à la perfection se trouvait incapable d'en bouger un seul de lui-même, il ne pouvait même pas cligner des yeux ou les fermer. Ce fut sur cela qu'il se concentra pendant que les démons s'activaient dans un coin de la salle sans s'occuper de lui. Il mit toute sa volonté dans l'action de fermer les yeux, sans y parvenir.
Il entendait le groupe de créatures discuter à quelques pas de lui sans parvenir à comprendre leurs paroles, ni à savoir s'ils le surveillaient ou non. Leurs mouvements lui semblaient flous, parfois joués en accéléré, parfois au ralenti. Rien ne lui permettait de savoir depuis combien de temps ils le retenaient, depuis combien de temps il tentait de faire bouger ses paupières.
Il se sentait seul, bloqué dans son corps avec comme seuls espoirs de parvenir à contrer les effets de la drogue ou que Danny vienne le sauver.
Le bruit d'une arme qu'on arme attira son attention, son œil droit se dirigea vers le côté et son cœur sauta de joie avant de plonger dans le désespoir. Il était loin d'avoir récupéré l'usage de son corps et la démone armée venait vers lui. Il eut envie d'hurler, de se battre, de la désarmer, de courir, mais tout cela resta prisonnier à l'intérieur de lui. Il ne put rien faire contre la piqûre qui lui réinjecta une dose de poison, contre les murs internes de sa prison corporelle qui s'épaissirent autour de lui, contre l'arme déposée dans sa main, ni contre l'ordre qui lui fut donné et qui l'horrifia.
"Va dans la zone de l'explosion, ramène-moi, une par une, dix personnes qui n'ont pas besoin de soins d'urgence. Je te dirai qui prendre dans une oreillette, tu dois obéir à la voix dans l'oreillette."
Elle lui installa une oreillette et une caméra mobile sur le torse et, contre sa volonté, il avait refermé ses doigts autour de l'arme avant de se mettre en marche. La voix de la démone le guida à travers les couloirs et les escaliers vides, ses pas résonnaient sur le bitume, augmentant son sentiment d'être seul en enfer. Tout droit, à droite, monter les escaliers, aller jusqu'au bout du couloir, monter d'autres escaliers, tourner à gauche, d'autres marches et soudain une porte, derrière : l'apocalypse.
Steve découvrit un monde de gravats et d'éboulements de bitume entrelacés de corps mutilés, vivants ou non, peints de sang, sonorisés de plaintes qui laissaient une odeur et une saveur métallique dans sa bouche. S'il avait pu, il serait tombé à genoux devant cette image, il aurait couru à la recherche de Danny, il aurait appelé les secours, il serait allé aider les survivants, mais il ne pouvait rien faire de tout cela. Ses pieds continuèrent d'avancer vers une jeune femme miraculée qui tentait de libérer un homme d'âge mûr des décombres. Quand le militaire referma sa main libre sur le bras de sa première prisonnière et lui montra son arme pour la convaincre de le suivre, l'homme se mit à lui hurler de la lâcher et la femme se débattit.
"Tue-le."
L'ordre claqua dans son oreillette et le coup de feu suivit avant même que Steve ne puisse essayer de le retenir. L'homme était étendu, inerte, dans sous les gravats, une tâche rouge sur le crâne. La femme était muette, en état de choc et se laissa mener jusqu'à la salle adjacente à celle où étaient réunis les démons. Le militaire continua d'exécuter les ordres et attacha sa victime à une canalisation à l'aide de serflex laissés là dans ce but, puis repartit.
Cette fois, il profita du trajet pour essayer de récupérer un peu de contrôle sur son corps, il ne voulait pas tuer à nouveau quelqu'un qui n'avait rien demandé, un pauvre bougre qui s'était juste trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Pire, il ne voulait pas tuer Danny s'il le croisait, jamais, même en sachant qu'il n'était pas maître de ses mouvements, il pourrait vivre avec l'idée qu'il avait tué l'homme de sa vie.
Dix personnes à ramener, encore neuf trajets sur les lieux de l'explosion, son cœur était serré à l'idée de ce qu'il risquait de faire, mais ni le stress, ni l'angoisse ne l'aidèrent à récupérer le contrôle de son corps ou s'atténuèrent alors qu'il ramenait ses victimes dans leur prison. Il arpentait la salle pour la dixième fois, lorsqu'il reconnut la silhouette de son homme dans sa vision périphérique. Il était assis, semblait blessé et s'était immobilisé en le voyant. Steve sentait son regard sur lui, mais priait pour ne pas avoir à se tourner dans sa direction. Le cœur du soldat battait trop vite, que ce soit à cause du soulagement qu'il ressentit en découvrant Danny vivant ou de sa peur de devoir le tuer. Il n'était toujours pas en contrôle de ses mouvements et fut horrifié de se tourner dans la direction de son partenaire, mais ce ne fut pas vers lui qu'il marcha. Il pointa son arme sur la tempe d'un jeune homme brun, très musclé, typé mexicain qui tentait de libérer un autre jeune homme de sa prison de pierre. Le latino s'immobilisa, adressa un regard appuyé au prisonnier et se redressa. Les deux hommes se jaugèrent du regard, le plus jeune était en train d'évaluer ses chances de survie s'il s'engageait dans un combat contre son agresseur.
