Stiles n'irait pas jusqu'à dire qu'il était prêt à tout abandonner, mais presque. Disons qu'il n'y avait aucun doute sur le fait qu'il était terminé, fini… Que la preuve de sa folie était là, sous ses yeux. Elle prenait la forme d'un reflet qui n'était pas le sien, reflet d'un double pas vraiment censé exister… Du moins, pas dans un miroir.
Il éclata d'un rire sans joie sous le regard effaré de son clone. Et ce rire… Cloua tout simplement Thomas sur place.
- Alors, comment ça se passe au loft ?
Si la question pouvait paraître anodine, elle ne l'était pas. Mentalement, Stiles était réellement en train de péter les plombs d'autant plus qu'encore une fois, il reconnaissait le décor du loft… La dernière fois, il s'agissait de la pièce à vivre : cette fois-ci, c'était la salle de bain, qu'il voyait. Il n'y était pas allé souvent, mais suffisamment pour être capable de la reconnaître.
Face à cette question réellement délicate, Thomas ne sut que dire… Pour la simple et bonne raison que la santé physique de Stiles avait commencé à décliner – c'était visible. Il avait les joues bien plus creuses que la dernière fois qu'il l'avait « vu », le teint si pâle qu'il lui paraissait maladif, l'apparence plus fine encore. Mais le pire restait pour lui son regard : vide de toute étincelle, bourré de lueurs malsaines.
- Et toi ? Articula-t-il, la gorge serrée.
L'état de Stiles, Thomas le reconnaissait autant qu'il le comprenait. S'il n'était jamais arrivé jusqu'à ce stade, il en avait vécu les prémices – pour lui, c'était suffisant.
Stiles rit, encore, sans jamais le regarder dans les yeux.
- Je suis en train de mourir, mais je pense que tu le sais déjà, lâcha-t-il en haussant les épaules, un sourire sans joie étirant ses lèvres. C'est la belle vie à Beacon Hills, n'est-ce pas ?
Stiles se savait étrange. Persuadé que Thomas n'était rien de plus que le fruit de son imagination, il continuait de lui parler comme s'il était réel… Tout aussi réel que Newt. Dans sa tête, il avait un schéma tout tracé pour expliquer tout ce qui pourrait hypothétiquement expliquer et résumer leur situation. Thomas et lui avaient tout simplement échangé leur place par il ne savait quelle sorcellerie. Le fait est qu'il semblait avoir pris sa place à Beacon Hills et lui, lui… Ne faisait, au final, rien de plus qu'attendre son heure dans un monde où la vie avait cessé de primer, d'exister en tant que telle.
- C'est… Calme, avoua Thomas.
Stiles accusa le coup, s'efforça de ne pas hurler à son homologue que l'endroit dans lequel il avait atterri n'était pas juste calme. A côté de ce monde de désolation qui était en train de détruire l'hyperactif, la ville de Beacon Hills, pourtant très active sur le plan surnaturel, lui faisait l'effet d'un petit coin de paradis dont il avait fait l'erreur de ne pas profiter. Et en même temps, comment aurait-il pu savoir ce qui allait se passer ? Comment aurait-il pu deviner qu'il allait finir ses jours dans ce trou à rats, en compagnie d'un jeune homme de son âge qui, comme lui, se mourait ? L'état physique de Newt était sans doute le pire dans cette histoire et Stiles ne parvenait toujours pas à concevoir qu'il puisse survivre à sa mort.
Alors oui, dans un sens, Stiles en voulut à Thomas. Il lui envia avec une jalousie presque maladive le fait qu'il se trouve à Beacon Hills, près de tous ses amis à lui. Avec son père. Tout le monde.
A sa place.
Ainsi, Stiles ne se mit pas à celle de Thomas, ne pensait pas à ce qu'il avait enduré ici, ni au nombre de proches qu'il avait dû perdre, qu'il avait dû voir se transformer en ces monstres ignobles. Disons que l'hyperactif n'avait pas la force d'être altruiste, empathique – Newt était le seul à qui il pouvait réserver cela. A leur manière, les deux jeunes hommes s'aidaient l'un l'autre, parce qu'ils se savaient seuls, et uniques piliers de l'un et de l'autre. Pourtant, ils ne se seraient pas choisis naturellement, si les circonstances étaient différentes. Ils n'auraient pas non plus couché ensemble, dormi dans le même lit… Ne se seraient pas rapprochés au point d'être intimes, mais sans amour, sans aucun sentiment. Ils étaient l'exemple-même du désespoir, d'une fin déjà connue d'avance.
- Tu ne te rends même pas compte de la chance que tu as, cracha Stiles. Là où tu es… Tu ne peux pas être mieux loti. Tu as de la chance et cette chance… Elle était à moi !
Sa gorge s'était soudainement serrée, elle lui faisait mal et sa vue, elle, se brouillait déjà. Quand cette existence prendrait-elle fin ? Face au bien-être apparent de Thomas, Stiles sentait sa propre souffrance se décupler. En cela, sa folie semblait s'amenuiser tant son double lui paraissait réel et tant ses émotions l'étaient. Qu'imaginer Thomas soit un moyen de déchaîner tristesse et frustration refoulés, soit. Disons qu'à travers cela, il se sentait quelque peu… Exister, légitimait, dans un sens, toutes ces souffrances qu'il endurait ici. La solitude, les privations. Le danger permanent, la peur. Puisqu'il ne s'autorisait pas réellement à le faire devant Newt… Ça sortait tout seul devant son double.
- Je sais, souffla Thomas, l'air complètement déboussolé.
- Non, tu ne sais pas, rétorqua Stiles en essuyant ses yeux d'un geste à la fois rapide et rageur. Tu… Tu ne peux pas imaginer tout ce que tu as gagné, ni même la chance que tu as de te retrouver là où j'étais. Mes amis, j'ai… J'ai trimé des jours et des nuits pour eux, je me suis même rendu à ce putain de Nemeton pour eux. Et qu'est-ce que j'ai gagné ?! Une mort imminente… Et je regrette… Je regrette parce que si je m'étais montré un peu égoïste, si j'avais pensé à moi ne serait-ce qu'une seconde, si j'avais refusé d'aller surveiller ce Nemeton de merde…
Stiles se prit la tête dans les mains. On ne l'écoutait jamais… Et à force, il ne s'écoutait plus non plus. Pourtant, il savait que son instinct était le bon, qu'il se révélait parfois meilleur que celui de ses amis les loups-garous. Disons que Stiles, en être plus « fragile » de par sa nature humaine, faisait davantage attention aux détails, à tout ce qui pouvait s'avérer dangereux pour autrui. Les loups, eux, se reposaient beaucoup sur leurs capacités, ce qui anesthésiait quelque peu leur instinct de survie. Le pouvoir aveuglait, dans un sens.
- Stiles…
L'hyperactif secoua la tête. Il n'avait pas envie de relever les yeux vers son double – plus il le regardait, plus il le trouvait réel. Que préfèrerait-il, au fond ? Se savoir complètement dingue, ou bien se dire qu'au moins… Thomas vivait dans un monde meilleur ? D'un autre côté, si c'était réellement le cas, l'hyperactif savait qu'il ne pourrait jamais réellement s'empêcher de lui en vouloir, de le jalouser jusqu'à ce que la mort mette fin autant à sa vie qu'à ses réflexions morbides. Dans un sens, Thomas lui volait sa vie, sa famille, sa ville, ses proches.
- Je sais que ça peut paraître déplacé, mais… Il faut que tu m'écoutes.
Si Stiles était d'accord et pouvait hypothétiquement accepter l'idée, il décida de garder la tête baissée. Ses larmes avaient beau ne pas être très nombreuses, il n'empêche qu'elles étaient là : que Thomas soit une hallucination ou pas, Stiles avait profondément honte qu'il le voie craquer, pleurer, s'effondrer… Car il n'y avait pas de mot plus juste pour décrire la façon dont sa psyché se déchirait à l'heure actuelle
- Si on a pu échanger nos places… Il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas le faire à nouveau.
La remarque piqua Stiles en profondeur alors même que ce n'était pas là son but. Malgré la honte, il releva un regard empli de colère dans sa direction.
- Ne me fais pas croire que tu aimerais revenir ici, railla l'hyperactif. Au fond, cet échange t'arrange bien…
Hyperactif qui avait envie – besoin – de rire, encore, de cacher cette tristesse qui inondait ses joues par à-coups. La colère l'y poussait, ne serait-ce que pour continuer de le faire tenir debout et surtout, survivre.
- Je n'étais pas… Exactement là où tu te trouves. Je ne me trouvais pas dans une ville, lui apprit Thomas.
C'était dingue comment sa voix était claire, nette, assurée. Dépourvue de toute crainte, de toute colère, de tout mépris. Stiles avait beau le jalouser par la force des choses, il ne pouvait nier ce qu'il voyait et entendait. Thomas ne lui faisait pas l'effet d'un miraculé profitant à outrance de ses privilèges. En fait, il ne cherchait même pas à se moquer de lui, à le descendre d'une quelconque manière. Pourtant, Stiles se savait pathétique en cet instant, pitoyable à pleurer, à être en colère, à le railler… Si Thomas gardait un air profondément perturbé, il n'haussait pas le ton, ne riait pas. Et son homologue hyperactif, épuisé, n'eut plus envie de rien dire. La colère et la jalousie… Il avait réellement ressenti le besoin de les exprimer, mais… Maintenant ? Stiles se sentit soudainement vide.
- J'étais sur une île, commença Thomas après un moment de silence. Il n'y avait que moi… Des proches, et quelques survivants. On avait quitté la ville parce que c'était invivable… Et parce qu'on le pouvait.
Légère pause.
- Je ne vais pas être hypocrite en te disant que j'aimerais quitter ton monde parce que le mien est mieux, ce serait mentir. Pour autant, je… Ce n'est pas le mien. Ça a beau être plus tranquille, ce n'est pas le mien, Stiles. Ce n'est pas là que j'ai appris à vivre, que j'ai ma… Famille.
Stiles osa enfin le regarder dans les yeux et eut envie de se mettre à creuser sa tombe sans attendre. Malgré son bouleversement apparent, Thomas transpirait le calme et la réflexion. Sa voix restait posée malgré la douleur qu'il sentait dans chacun de ses mots, elle semblait embaumer la pièce par sa simple présence. Stiles comprit enfin ce que voulait dire Newt lorsqu'il lui parlait de Thomas. C'était lui… Différent. Plus calme, plus fort, plus sûr de lui. Plus débrouillard aussi, sans doute. Ténébreux, dans un sens… Un Stiles, version Derek. La comparaison, faite innocemment, n'eut rien d'autre pour effet que de lui briser davantage le cœur. Et alors, il repensa malgré lui à Newt, à tout ce qu'ils avaient partagé. A leurs amours mutuels manqués, à ce à quoi ils n'auraient jamais droit ni l'un ni l'autre. Stiles devrait d'ores et déjà avoir rayé Derek de son esprit. Autant il était à deux doigts d'accepter le fait qu'il soit peut-être actuellement en train de discuter avec son double d'un autre monde, autant il était persuadé que le Derek qu'il avait aperçu dans l'autre miroir était un faux né des méandres les plus sombres de son esprit.
- Ecoute, je… Je ne sais pas comment ça fonctionne, comment on fait pour se parler, mais… On va chercher une solution.
Stiles commença à secouer la tête en riant tristement, cessant ainsi de regarder son double. Pour lui, l'espoir était caduc. D'ailleurs, il peinait à croire que Thomas veuille réellement quitter Beacon Hills – à ses yeux, ça ne faisait pas sens. Des proches dans un monde apocalyptique pouvaient-ils rivaliser avec une paix comme celle-ci ?
- On va la trouver, Stiles. Je te jure qu'on va la trouver.
