Stiles n'était pas dans le meilleur état qui soit. Physiquement, il avait mal à cause de la violence à laquelle il s'était charcuté et mentalement… Il peinait à croire qu'il était réellement responsable de ses actes. En fait, il revoyait les images, se les repassait en boucle dans sa tête depuis plusieurs minutes déjà. Pas par fascination morbide ou une autre connerie de ce genre, juste… Pour essayer de comprendre. Parce que cet adolescent qu'il voyait saisir une lame et la presser avec tant d'ardeur sur sa peau… Ce n'était pas lui. Son habitude, avant, c'était de… De se faire une petite coupure de temps en temps quand ça n'allait pas. Il pensait que ça lui changerait les idées et sur le coup, ça marchait, plus ou moins. Parfois, il fallait en rajouter deux ou trois pour qu'il se dise que c'était suffisant. Puis, ça avait commencé à devenir une punition occasionnelle. Dès qu'il faisait quelque chose de mal dans la journée, il avait droit à une petite séance avec sa lame le soir. Mais ça restait… Espacé et léger, si l'on comparait cela à ce qu'il s'était fait bien plus récemment. Là… C'était devenu ingérable. En moins d'une semaine, il s'était massacré. Ses bras, l'intérieur de ses cuisses… Non, Stiles ne se reconnaissait plus et ça le terrifiait. Il n'avait… Même plus confiance en sa propre personne. Comment comprendre ses actes s'il ne se faisait plus confiance ? Était-il capable de s'inventer des excuses, juste pour se justifier ? Ça non plus, il ne le savait pas. Forcément, cela lui créait de nombreux nœuds au cerveau, des nœuds qu'il avait bien du mal à démêler. Sincèrement, il avait essayé de réfléchir objectivement, mais sa tentative s'était révélée plus qu'infructueuse. Il n'avançait pas le moins du monde et n'arrêtait pas de se retourner dans ce lit beaucoup trop grand pour lui. Chaque mouvement qu'il faisait pour se tourner le faisait d'ailleurs grimacer et agissait comme un rappel morbide de ce qu'il avait… Pardon, de ce qu'il s'était fait. Mais surtout, ce qui le perturbait… C'était d'avoir remarqué à plusieurs reprises que cette douleur immense qui montait en lui… Lui était familière. Pas à lui, mais familière. Comme s'il avait déjà plus ou moins vécu ce genre de souffrance mais que celle qui apparaissait d'un seul coup en était le point culminant qu'il n'avait pourtant pas l'impression d'avoir atteindre lui-même. La sensation était étrange. Même là, Stiles se sentait… Bizarre. Mis à part la douleur de ses blessures et son propre mal-être, c'était comme si une brume s'était progressivement développée dans son esprit, pas complètement toutefois.

C'était déjà ça.

Mais Stiles n'était pas rassuré pour autant. En fait, il angoissait. Des heures qu'il était là, dans cette chambre, qu'il n'osait pas en sortir de peur de… De peur de quoi ? D'apparaître comme un adolescent tordu aux pulsions morbides ? De voir le regard de Derek le prendre en pitié ? Et Lydia ? Il savait qu'elle était là, il l'avait aperçue dans un moment où le brouillard l'imprégnait à tel point qu'il ne réagissait plus. Mais il s'en souvenait. Et ce n'était pas forcément une bonne chose car… Forcément, il ruminait, ressassait et ses pensées n'allaient pas en s'arrangeant.

- Stiles ?

L'hyperactif sursauta violemment et se redressa un peu vite. Ses yeux croisèrent ceux de Derek et la honte se mit à la submerger avec une force telle qu'il se remit instantanément sous les draps. Sa tête dépassait, mais il ne s'autorisait pas à plus. Et bien sûr, il réprima certaines grimaces dues à la douleur de ses réactions rapides.

- Hé, tout va bien.

Non, tout ne va pas bien, non. Il l'avait trouvé en sang, dans la pire des situations, l'avait soigné, amené ici… Pourquoi faire, d'ailleurs ? L'empêcher de recommencer ? Ce serait sans doute efficace, oui, parce que Stiles n'avait pas l'air de réussir à s'arrêter seul. Pour l'instant, il ne songeait pas le moins du monde à réitérer l'expérience, au contraire. Il était terrifié à l'idée de perdre à nouveau le contrôle de lui-même, de se faire mal avec autant de violence. Toutefois, savoir que Derek avait découvert son « secret » le mettait sacrément mal à l'aise. Jusqu'ici, il avait réussi à ne rien dire, rien montrer et aucun de ses amis ne se doutait de quoi que ce soit. Le silence lui allait très bien ! Pourquoi avait-il fallu qu'il ait ce stupide élan de… De massacre ? Pourquoi n'avait-il pas pu se contrôler, bon sang ? C'était la deuxième fois qu'il se faisait mal de la sorte et très franchement, il avait peur pour la suite.

Si Stiles avait eu son mot à dire, Derek ne serait déjà plus dans cette pièce, dans cette chambre. En fait, l'hyperactif serait carrément parti s'isoler lui-même ne savait où, juste pour se soustraire au moindre regard pouvant se poser sur lui. Mais il n'avait actuellement pas la force de se lever, ni le cran de dire à Derek de sortir de sa propre chambre. Le loup en avait toujours imposé et le respect qu'il avait pour lui était indéniable. En soi, l'hyperactif n'avait pas son mot à dire dans cette histoire et c'était aussi frustrant que normal. Derek l'avait en quelque sorte sauvé : baignant dans son sang et choqué par ses actes, Stiles aurait mis bien du temps à se soigner. Et du sang, bordel, il en avait perdu. La faiblesse qu'il avait provoquée ainsi se ressentait plus que de raison et l'adolescent se doutait qu'au final… Ce n'était pas passé très loin. Si Derek n'avait pas été là, peut-être que… Eh bien peut-être que les choses auraient pris une autre tournure. Mais Stiles n'avait jamais voulu en arriver là. Être mal dans sa peau et détester certains aspects de sa vie, c'était une chose : mourir, c'en était une autre. Malgré les évènements récents et son appréciation globale de son existence, décéder n'était pas dans ses plans. Non, même si tout n'était pas rose et qu'il vivait plus de déconvenues qu'autre chose, Stiles voulait vivre. La vie, c'était… C'était tout un tas de choses à la fois.

Le problème qui se posait désormais, c'était sa dette, qui avait doublé d'un coup. Non seulement Derek l'avait protégé de Scott la fois où celui-ci était arrivé, furibond, après que Liam l'ait agressé, mais maintenant… Oui, en soi, il l'avait sauvé. Alors, Stiles ne se voyait pas lui imposer quoi que ce soit : ni ses humeurs, ni sa présence en elle-même. En fait, cette dette le poussait déjà à vouloir être honnête avec lui, tout lui raconter. Et en même temps… C'était honteux, merde !

Avec gêne et appréhension, Stiles vit tout autant qu'il sentit Derek s'assoir au bord du lit, de son côté. Il se crispa alors qu'une certaine douleur sourde continuait de se manifester en lui. Toutefois, c'était on ne peut plus supportable et contrôlable. Pour l'instant, ça allait, il était lucide. Oui mais, pour combien de temps ?

- J'aimerais qu'on parle, lui dit doucement Derek du ton le moins abrupt qu'il le pouvait. Est-ce que tu te sens capable de me dire ce qu'il s'est passé ?

La gorge de Stiles s'assécha. Tout compte fait, il n'avait pas envie de lui raconter quoi que ce soit. Parce que… Eh bien… Qu'est-ce qu'il pourrait bien lui dire ? Si la situation elle-même lui inspirait une honte incommensurable, ce n'était pas seulement à cause de son acte en lui-même, mais bien parce que dans un sens, il ne comprenait pas lui-même ce qu'il s'était passé. Comment lui dire que, pour la deuxième fois de sa vie, il s'était retrouvé incapable de contrôler ses pulsions malsaines ? Comment lui dire que d'ordinaire, c'était… Rien ? Comment lui dire que, de manière générale, il lui arrivait de se mutiler de temps à autres parce qu'il s'était embourbé dans un engrenage sans fin, un cercle des plus vicieux ? Comment lui expliquer qu'il ne savait pas comment s'en sortir ni s'il le désirait réellement ? Dans sa tête, tout était bien trop en bordel pour qu'il puisse être cohérent dans ses propos.

Et pourtant… Et pourtant, il en avait envie.

- Stiles, je ne vais pas te juger et puis tu sais, j'aimerais comprendre, continua Derek d'un air hésitant.

- Moi aussi, ne put s'empêcher de lâcher l'hyperactif.

Derek fronça les sourcils et Stiles comprit aussitôt qu'il avait pensé à voix haute. Rouge de honte, il se redressa péniblement mais ne put s'empêcher de grimacer alors qu'il prenait appui sur ses bras pour cela. Le loup vint aussitôt l'aider et plaça les coussins de telle façon que Stiles put rester confortablement assis sans forcer sur les endroits blessés de son corps. Le jeune homme se mordit la lèvre inférieure. Ce que la situation lui était pénible… Néanmoins, il se doutait que Derek ne devait pas être de bien meilleure humeur que lui, et à raison : il devait s'occuper de lui, chez lui, sans oublier qu'il l'avait trouvé baignant dans son sang. Combien de temps s'était-il passé depuis ce moment-là, d'ailleurs ? Deux, trois heures ? Peut-être plus, peut-être moins. Stiles n'avait, pour ainsi dire, pas posé le doigt sur son téléphone, pourtant libre d'accès sur la table de nuit. Derek aurait pu l'en priver par peur d'il ne savait quoi, mais… Non. Sans doute s'était-il dit qu'ainsi, il lui laissait de quoi s'occuper au cas-où.

- Toi aussi ? Répéta Derek, perplexe.

Stiles se sentit obligé d'apporter quelques précisions au loup concernant sa pensée fugitive :

- Moi aussi je… J'aimerais comprendre.

Les sourcils de Derek se froncèrent encore un peu plus, comme si c'était possible. Mais cette fois, il ne dit rien, laissant l'hyperactif parler. Il sentait sa honte grandissante. Toutefois, il ne la releva pas, histoire de ne pas le plonger dans plus un terrible inconfort encore. Stiles, de son côté, aurait bien apprécié ne pas avoir une langue aussi déliée et posséder un filtre l'empêchant de dire certaines de ses pensées à voix haute. Et pourtant, c'était une aubaine. Car s'il ressentait véritablement le besoin de se confier sur ce qui lui arrivait, il n'en avait pourtant pas l'habitude et c'était en partie cela qui le freinait. Néanmoins, sa maladresse verbale lui avait entrouvert un champ des possibles plus que satisfaisants.

- Je… C'était pas ce que tu croyais, balbutia-t-il.

Cette fois, Derek haussa un sourcil, affichant un air clairement perplexe. Le cœur de Stiles se mit à battre la chamade alors même qu'il se rendait compte que sa phrase était idiote et hors sujet.

- Enfin c'est pas ce que je voulais dire, je… Disons juste que la situation… N'était pas vraiment ce qu'elle semblait être, articula-t-il cette fois.

- Dans ce cas, qu'est-ce qu'elle était censée être ? Demanda Derek sur un ton patient.

Bien qu'il était pressé de savoir pour pouvoir démêler tout ça convenablement, le loup savait qu'il n'obtiendrait peut-être pas les réponses à ses questions tout de suite. Cependant, il percevait chez Stiles une brèche qu'il mourait d'envie d'exploiter. Parce que les images le minaient, le hantaient. Le rouge était la couleur qui se rappelait le plus à lui depuis qu'il l'avait trouvé dans cette salle de bain, quelques heures plus tôt. Derek se crispa un instant. Mais oui… Les évènements étaient extrêmement récents. C'était peut-être un peu trop tôt et en même temps… En même temps, c'était grave, il fallait agir. Et pour agir, il fallait connaître les tenants et les aboutissants de cette histoire. Derek n'avait en sa possession que quelques bribes d'évènements, ce qui n'était clairement pas assez pour comprendre et régler tout cela de manière adéquate.

Stiles prit une profonde inspiration et essaya de mettre de côté toute cette honte qui l'habitait.

- Je voulais pas… Tout ça, fit-il en se désignant d'un geste vague de la main.

- Tu ne voulais pas ? Répéta Derek, essayant de comprendre malgré le peu de mots que lâchait son vis-à-vis.

- Non, je… Non.

Derek se rapprocha un peu de lui et fit son possible pour ne pas devenir sourd avec les battements erratiques et trop rapides du cœur de Stiles. Très honnêtement, il aimerait ne pas avoir à l'interroger. Dans son état, il était certain que ce n'était pas la meilleure des choses à faire. Et en même temps, l'hyperactif ne semblait pas fermé à la discussion. Il parlait bien peu, lâchait beaucoup moins de mots que d'ordinaire, mais il montrait une envie claire qui le poussait à continuer. Une part de lui mourrait de pouvoir raconter, se confier sur ce qui était arrivé et c'était compréhensible.

- Alors pourquoi tu t'es fait ça ? Lui demanda le loup du ton le plus doux qu'il pouvait prendre.

Dans sa voix régnait toutefois une certaine confusion. De son côté, il ne comprenait absolument pas ce qui avait pu motiver l'hyperactif à se massacrer de la sorte. Même si ce qu'il avait fait était probablement lié à ce dont Lydia lui avait parlé, il y avait tout de même autre chose, une part d'ombre qui n'appartenait qu'à Stiles. La mutilation, cela ne sortait pas de nulle part. Penser cela le tuait, mais Stiles devait avoir une certaine affinité avec cette pratique. La douleur l'étreignit : il était si jeune… Comment avait-il pu en arriver là ?

Stiles détourna le regard et se mordit la lèvre inférieure avant de lâcher avec une spontanéité surprenante qu'il n'en savait rien. Derek scruta les battements de son cœur.

Il disait la vérité.

L'hyperactif continua :

- Je me sentais juste mal et je… Quand je suis rentré, ça s'est juste… Passé. J'ai rien contrôlé.

Sa voix tremblait et il avait choisi ses mots du mieux qu'il avait pu, essayant d'exprimer avec le plus de clarté possible ce que Derek considérait comme des faits, tout en faisant son possible pour ne pas craquer. Il était au bord de la rupture, cela se sentait. Il était là, dans ce lit, à parler avec un loup de ce qu'il s'était fait, sans même savoir la raison pour laquelle il avait réalisé un tel massacre sur sa propre personne. Il leva un regard extrêmement peu assuré vers Derek, l'homme qui l'avait trouvé dans sa salle de bain, baignant dans son sang. La honte qui l'habitait était très forte et pour tout dire, il avait bien du mal à la contrôler. S'il n'avait pas d'ores et déjà hurlé à Derek de sortir et de le laisser tranquille, c'était parce qu'il le respectait et parce que le loup s'était donné la peine de ne pas l'ignorer malgré l'horreur de la situation. Le plus souvent, fermer les yeux et faire comme si l'on n'avait rien vu était plus simple que d'affronter des situations compliquées. Derek aurait pu venir, sentir l'odeur du sang, puis partir. Mais il ne l'avait pas fait. Il était resté, avait fait le nécessaire pour lui retirer sa lame de la main et l'empêcher de la reprendre. C'était comme s'il ne voulait pas que Stiles se fasse de mal, comme si cela lui importait réellement. Pourtant, Stiles… Stiles n'était rien à ses yeux. Pas un pote, encore moins un ami, juste un collègue de meute. Entre collègue, il était bien de s'entraider, mais personne n'avait l'obligation de le faire, encore moins dans des situations telles que celle-ci. L'hyperactif, qui se ratatinait de plus en plus sur lui-même, avait la désagréable impression de ne pas mériter cette aide que l'ancien alpha lui apportait sans avoir l'air de rien demander en retour. Ne devrait-il pas plutôt le laisser seul avec ses démons ? C'était plus facile et moins embêtant. Il retrouverait sa petite vie tranquille d'aîné de la meute, accueillant de temps à autres les réunions de celle-ci et gérant de temps à autres la sécurité de Beacon Hills.

- Tu te fais ça souvent ? Demanda plutôt Derek, l'air réellement intéressé par la réponse.

La gorge de l'hyperactif s'assécha complètement. Parler de ce qu'il s'était passé, c'était une chose. Se confier sur ce qu'il avait l'habitude de se faire en secret et qu'il cachait depuis des mois en était une autre. Mais parce qu'une force étrange le poussait à être honnête, Stiles céda plutôt rapidement à cette pauvre tentative de résistance pour garder le silence sur le mal qu'il se faisait. Incapable toutefois de mettre des mots là-dessus, il hocha simplement la tête. Oui, il lui arrivait d'exécuter assez régulièrement et avec une habileté fine ces marques qui constellaient ses bras, mais jamais… Mais jamais autant. Ecrasé par la honte qu'il ressentait, Stiles n'osa pas le moins du monde relever les yeux vers le loup qui, il le savait, n'avait pas quitté son côté. C'était fort sympathique de sa part et en même temps un tantinet incompréhensible. A sa place, sans doute Stiles s'en serait-il allé, en quête de quelque chose pour se tranquilliser l'esprit.

- Pourquoi ? Entendit-il.

- Parce que ça va pas, répondit-il avec un naturel étonnant malgré un timbre de voix un peu plus grave que la normale et une fébrilité certaine.

Son cœur ne rata aucun battement. Stiles n'avait pas de justification particulière : son mal-être était le fruit d'un mélange et d'une accumulation d'un certain nombre de choses qui traînaient en lui depuis un moment. C'était venu, naturellement et il n'avait pas su résister à cette tentation sordide. D'abord il s'était servi de cela pour se punir, puis cela avait dérivé pour finir par être utilisé à chaque baisse de moral. Les mauvais traitements qu'il s'infligeait s'étaient transformés en une habitude qu'il se voyait difficilement changer. Si ça n'allait pas, un coup de lame et il pensait à autre chose. Il s'agissait de ce qui lui apparaissait comme une solution certes éphémère, mais qui restait la seule qu'il connaissait.

Ainsi, Stiles était devenu incapable de raisonner autrement.

Pour preuve, si ses cuisses le tiraillaient, ses bras le démangeaient.