Le jour suivant, Stiles se sentit relativement mieux. Moins lourd. Un peu vaseux et faible cependant, mais il se dit que c'était sans doute normal. Il dormait mal et surtout, par intermittence. Il ne faisait pas particulièrement de cauchemars, juste… Quelque chose le dérangeait et il se réveillait. Parfois, c'était la douleur suite à ce qu'il s'était infligé qui le prenait aux tripes et d'autres fois… Il se sentait juste mal, sans aucune raison apparente. Par chance, il contrôlait ses pulsions autodestructrices. Elles n'étaient pas très fortes, et puis… Il arrivait à ne pas y penser en permanence – et il faisait tout pour.
L'une de ses techniques fétiches était de réfléchir à des problèmes mathématiques. Il étudiait d'ailleurs sérieusement les cours que lui ramenaient Isaac et Lydia – à sa demande. Ses deux amis comptaient déjà les lui faire rattraper mais Stiles tenait à ne pas attendre et s'était considéré apte à s'y mettre. Et puisque l'on était heureux de le voir trouver de l'intérêt à faire quelque chose… On ne l'en empêchait pas. On préférait ça plutôt que de le voir passer sa journée au lit à ne rien faire, à le laisser se morfondre sur quelque chose qu'il ne comprenait pas lui-même.
Cependant, son état commença à se dégrader en fin de journée et si doucement que Derek mit du temps à le remarquer. Stiles commença par montrer des signes d'une attention vacillante et d'une concentration toute relative. Puis, il demanda timidement à Derek de l'aider à retourner dans la chambre qui lui avait été attribuée – il avait étudié dans le salon, trouvant que l'atmosphère y était plus prompte au travail. Derek haussa un sourcil mais n'hésita pas une seconde et le porta. S'il trouvait sa requête étrange ? Oui car au départ, Stiles avait tout simplement voulu se débrouiller seul et c'était ainsi qu'il était arrivé là. Il avait arboré un air frôlant la fierté car même si les vêtements qu'il portait frottaient sur ses bandages et le mettaient donc dans une situation d'inconfort, il avait réussi. Pour lui, c'était une petite victoire car depuis qu'il était ici, c'était la première fois qu'il faisait quelque chose par lui-même et sans aide.
Mais là, il ne se sentait pas de monter les escaliers seul. De marcher seul. De retourner dans sa chambre seul. Il y avait cette faiblesse étrange qui l'habitait et cette impression… De manquer de quelque chose.
De sentir une espèce de fièvre monter doucement en lui.
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Liam pensait qu'il résisterait facilement au manque. Que ce serait facile. Après tout, les loups-garous ne pouvaient pas devenir addicts à quelque drogue que ce soit.
En fait, il n'était pas vraiment accro à l'aconit – d'autant plus que cela faisait trop peu de temps qu'il en prenait et que le poison ne pouvait créer de dépendance. Le problème venait plutôt de sa psyché brisée. Celle qui ne pouvait pas tout supporter. Celle qui avait besoin de mourir par intermittence pour ne pas commettre l'irréparable. Liam aurait dû demander une plus grande quantité d'aconit au vétérinaire et en même temps… Celui-ci se serait sans doute méfié et ne lui aurait rien accordé. Mais que faire, maintenant qu'il était à sec ? Maintenant qu'il était de nouveau en pleine possession de ses souvenirs ? En pleine possession de ses moyens ? Son corps tremblait, il se sentait fiévreux, mais… Il avait assez de force pour faire ce qu'il voulait. Quoiqu'en fait il délirait un peu, parce que ses jambes tremblaient et il était impossible pour lui de se tenir debout et droit. Il suait à grosses gouttes. Ses yeux ne cessaient de lâcher des larmes qu'il pensait taries depuis des lustres.
Mais Liam ne se rendait pas vraiment compte de tout ça. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il n'avait plus d'aconit, qu'il ne pouvait plus phaser sans penser.
Le manque de vide le fit paniquer, pleurer, hurler. Liam s'arracha la peau, se griffa jusqu'au sang. Ne tenta pas de se tuer – il considérait toujours ne pas mériter ce droit – mais il se fit mal. Très mal. Parce que ça, il le méritait. Parce qu'il ne voulait plus faire de mal à Stiles. Ni que Scott le touche.
Liam n'eut pas de chance que ses parents soient absents ce soir-là car peut-être leur présence aurait-elle pu empêcher l'alpha de revenir. Alpha qu'il n'entendit pas arriver.
Mais lorsqu'il perçut le bruit métallique qu'occasionna la boucle de la ceinture tombant au sol, il sut qu'il était trop tard pour espérer. A peine ses blessures commençaient-elles à guérir que Scott lui en occasionna de nouvelles.
Invisibles.
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Stiles refusa de manger et pour être honnête, Derek ne comprit pas pourquoi et insista.
- Non vraiment, je… Je ne peux rien avaler. Penser à la nourriture, ça me… J'ai la nausée, expliqua péniblement l'hyperactif. Demain, je me rattraperai mais là… Je ne sais pas, j'ai dû passer trop de temps sur mes maths.
Il esquissa un frêle sourire en essayant de rendre son humour convaincant. Derek fronça les sourcils et posa sa main sur son front.
- Je ne suis pas malade, soupira Stiles.
- Tu es trop pâle, objecta Derek.
Etonnamment, l'hyperactif n'était pas chaud outre mesure, ce qui signifiait qu'il n'avait pas de fièvre. Pourtant, le loup-garou ne pouvait que constater cette faiblesse des plus marquées. Elle s'imprégnait dans ses gestes, s'ancrait dans ses traits à une vitesse affolante.
- Repose-toi, dit simplement Derek d'un air qui se voulait neutre.
Stiles hocha faiblement la tête et esquissa un sourire si petit et si peu marqué que le loup-garou faillit ne pas le remarquer. Au lieu de le rassurer, il approfondit doucement son angoisse. Néanmoins, conscient qu'il devait continuer de lui laisser un peu d'espace, il se leva et lui fit promettre, comme toujours, de l'appeler s'il avait besoin de quoi que ce soit. Stiles opina du chef et ferma les yeux, l'air faible mais à peu près serein.
Quelques minutes plus tard, Derek l'entendit hurler.
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Stiles.
Isaac sentit ses poumons se vider de leur air d'un seul coup. L'angoisse déferla, forte, incompréhensible. Elle lui fit perdre l'équilibre, s'écraser lourdement au sol. Stiles. Seul dans son petit appartement, il se demanda fugacement quand Lydia allait arriver. Elle devait passer, ils avaient prévu de se retrouver pour voir un film... Pourquoi n'était-elle pas là ? Il avait besoin d'elle. De voir Stiles. D'elle. De… Le manque d'air, cette denrée immatérielle impossible à attraper, lui fit rapidement voir trouble. Stiles. Mais Isaac ne se laissa pas faire. Pas comme les autres fois. Péniblement, il attrapa son téléphone. Ses doigts tremblèrent. Un éclair blanc passa dans son champ de vision, quelque chose qui l'empêcha de voir ce qu'il faisait. Mais il avait eu le temps de… Stiles. Il fallait qu'il le voie. Ça n'allait pas. Il le sentait. Ça n'allait pas du tout. Il paniquait. Il ne comprenait pas, il…
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Derek ne savait pas ce qu'il lui prenait, mais il y voyait rouge. Il se sentait non pas énervé, mais… Furieux. Oui, furieux, alors qu'il serrait Stiles contre lui. Qu'il le maintenait ainsi, l'éloignant de tout danger.
Stiles, qui, à défaut d'avoir quelque objet coupant sous la main, s'était servi de ses ongles pour se faire mal. Des ongles coupés pourtant extrêmement courts mais qui avaient déjà fait des dégâts.
Derek se fichait que le sang de Stiles tâche ses vêtements – ou il trouverait le moyen de les nettoyer, ou il en rachèterait d'autres. Ce qui le dérangeait davantage, c'était plutôt de le sentir trembler de manière aussi violente… Et de savoir qu'il n'avait pas pu l'empêcher de se faire du mal. Bien sûr, il l'avait très vite arrêté : mais que faire quant à ce qui avait déjà eu lieu ? Une fois que Stiles serait calmé, il désinfecterait ses griffures. Sur les joues. Sur les avant-bras. Le ventre.
L'hyperactif avait beau avoir des ongles très courts, il s'était griffé avec une violence inouïe. Une violence frôlant la folie. Et là encore, il en avait envie… Besoin. Ses doigts pleins de sang serraient avec force le tissu fin du haut de Derek. Il voulait recommencer. Il le devait. Il le fallait ! Mais Derek n'était pas d'accord. Lui non plus, au fond… Et il savait qu'il n'y avait que la force qui pouvait l'empêcher de se charcuter. D'aller chercher quelque chose de coupant. De quoi réitérer ce qu'il avait fait dans sa salle de bain et ce, à deux reprises. De laisser libre court à ses pulsions quasi-meurtrières. Celles qu'il était incapable de maîtriser… A moins d'être ainsi, collé contre le torse de Derek. Ici, ses mouvements n'étaient pas seulement limités : Stiles… Arrivait à moins bouger.
Pourtant, au départ, ce n'était pas gagné. Le jeune homme s'était débattu, avait griffé l'ancien alpha. Juste pour qu'il le laisse se faire ce dont il avait tant besoin : mal. Et pourtant au fond de lui, Stiles savait qu'il n'en avait pas vraiment envie et que tout ça… Tout ça, ça le terrifiait.
Et c'était pour ça qu'il tremblait.
Parce qu'il se faisait peur.
S'il sentait la fureur de Derek ? Non. Elle était interne, bien dissimulée derrière le bleu-vert inquiet de son regard. Et puis il y avait ses gestes. Lents. Doux. Patients. Des gestes qui pouvaient se raffermir en cas de mouvement suspect de sa part. Ça, c'était rassurant. Stiles ferma les yeux en poussant un soupir tremblant. Dans sa tête régnait un chaos sans nom. Un mélange de pensées parasites. Elles s'entrechoquaient avec une violence inouïe, une violence qui lui faisait complètement perdre pied.
- Je sais pas ce qui m'arrive… Souffla-t-il.
Et il aimerait s'en excuser. Mais ces mots-là étaient les seuls qu'il se savait capable de prononcer pour l'instant. Parce qu'il était troublé, bouleversé. Incapable de se reconnaître à l'heure actuelle. Incapable de savoir qui il était. A part Stiles Stilinski. Et encore. Il avait l'impression de ne plus avoir qu'un contrôle limité sur son propre corps, de trop le sentir… Et en même temps pas assez. Son mal-être, par contre… Il était clair, même pour lui. Trop fort. Trop intense. Puis il y avait aussi cette espèce de dégoût incompréhensible, un dégoût poussé à son paroxysme. L'impression que plus rien n'allait, qu'il subissait des choses qu'il ne voulait pas… Sans être capable de les identifier, de les nommer. Sa propre ignorance quant à ce qui lui arrivait le terrifiait. Le seul élément tangible dans cette histoire… C'était Derek. Derek, et son étreinte ferme, qui l'empêchait de faire quoi que ce soit. Et c'était tant mieux, il le fallait.
Parce qu'il continuait de trembler et que son état n'allait pas en s'améliorant.
Derek n'en fut que plus énervé, sans être capable d'expliquer d'où venait cette ire. Il lui dit alors d'un ton qui se voulait rassurant, qu'il le savait et que ça allait aller mieux. Stiles hocha péniblement la tête et le crut. Oui, si Derek disait que les choses allaient s'arranger… C'était sans doute vrai, n'est-ce pas ? Stiles se raccrocha autant à cet espoir qu'au haut de Derek. Si le loup le lâchait, il allait définitivement partir en vrille et le pire… C'était qu'il en était conscient… Sans pouvoir en comprendre la raison.
Sauf que les minutes qui suivirent ne servirent qu'à les détromper.
Les choses empirèrent.
