Drago était comme hypnotisé.

Il avait été stupide de penser que son homosexualité pouvait le protéger des charmes de la créature.

Il vit avec horreur les muscles bouger à l'intérieur d'une patte avant, comme si elle repliait le bras à l'intérieur d'une manche à la fois galbante et lâche… Le membre retomba sans vie sur le sol tandis qu'un bras fin mais musclé, pâle et brillant s'en extrayait. Elle posa sa main délicate aux ongles longs et noirs sur le sol, et il ne put s'empêcher de la fixer avec effroi. Ces choses avaient déchiré le corps d'une orque d'un seul geste.

Le deuxième bras suivit, puis sa poitrine opulente se révéla entre eux, avec la peau blanche et nacrée et les mamelons roses et scintillants comme des perles d'eau douce. Elle leva les mains vers son visage et repoussa en arrière la tête de phoque qui tomba dans son dos, révélant la longue chevelure noire et ondulée, les lèvres épaisses et souriantes, les yeux rieurs aux longs cils et à la forme d'amandes… Une jambe, longue, délicate, musclée, se déplia lentement tandis qu'elle se redressait en position debout, magnifique, dans le plus simple appareil.

Elle s'approcha d'un pas.

Il était encore temps de fuir.

« Tu vois ? Je suis presque humaine, tout comme toi. Inutile d'avoir peur. Viens. »

Il hésita. Elle se rapprocha, doucement, souriant toujours, et il était incapable de détourner les yeux.

« Tu as froid. Tu te sens lourd. Viens. Dans la mer, il n'y a plus ni poids, ni température. »

Elle lui prit délicatement la main et l'entraîna. Elle n'eut pas à l'obliger ou à montrer sa force : Il la suivit sans résister.

« Tu es fatigué. Tu souffres. Il n'y aura plus ni fatigue ni souffrance. Je te le promets. »

Il la croyait.

Il parvint tout de même à s'arrêter, juste avant que ses pieds ne touchent l'eau.

« Je ne dois pas, marmonna-t-il. La cape. Ce n'est pas la mienne. »

Elle le considéra un instant avant d'éclater d'un rire cristallin. Sa gorge était magnifique et ses dents tranchantes comme des rasoirs.

« Ne t'inquiète pas, répondit-elle doucement. On va te déshabiller. Tu seras plus à l'aise. »

Il frissonna tandis qu'elle dénouait les lacets sur son torse et laissait tomber le vêtement à terre.

« Tu vois ? Tu te sens déjà plus léger. » Sa voix était envoutante. Sa beauté ensorcelante.

Elle s'accroupit légèrement devant lui pour saisir les bords de sa robe et la faire glisser le long de son corps. Il resta immobile.

« Lève les bras. »

Il obéit.

« C'est bien. Tu es magnifique. Viens… »

Elle lui saisit à nouveau les mains, et recula. Il la suivit en traînant des pieds.

Il savait qu'il était loin d'être magnifique. Il ne l'avait jamais été, et à présent que son visage était déformé, il était plus hideux que jamais.

Il rassembla toute sa volonté pour protester à nouveau :

« Ça ne marchera pas. Pas avec moi. Il faudrait que tu chantes. »

Elle rit à nouveau.

« Oui, je vois que tu résistes ! Est-ce que tu veux m'entendre chanter ? »

Pendant quelques secondes, ce fut comme si elle avait levé le charme : Il vit la gourmandise dans ses yeux rieurs, il vit la voracité dans son sourire. Il vit qu'il avait pénétré l'eau jusqu'aux genoux. Il sentit le froid sur sa peau, se souvint de la douleur dans sa main.

C'était toutefois la seule occasion qu'il aurait jamais d'entendre une Selkie chanter. Il était curieux. Il se demandait s'il serait capable d'y résister, et sa volonté de savoir affronta sa volonté de vivre de façon farouche. Il pensa à Potter. Le sorcier lui avait déjà proposé un dilemme semblable : Choisir entre obéir ou se trouver forcé à obéir. Qu'avait-il choisi à l'époque ? Et comment cette histoire s'était finie, déjà ?

« Il sera inquiet », marmonna-t-il, peu sûr de lui.

« Il t'oubliera. Les humains oublient. »

C'était vrai, les humains oublient.

« Chante… » demanda-t-il.

Son sourire s'élargit. Elle ferma les yeux, arrondit ses lèvres parfaites, et une note s'éleva dans les airs.

Il s'était attendu à entendre quelque-chose ressemblant à une chanson humaine, probablement dans une langue qu'il ne connaissait pas, mais son chant ressemblait à celui des baleines. Un son grave, presque inaudible, montant doucement en crescendo, avec une pulsation lente et envoutante, rassurante et mystérieuse. Des variations dans la tonalité, dans le rythme, dans la puissance vocale donnaient à la mélodie une richesse indescriptible. D'un autre côté, certains motifs se répétaient, tel le battement régulier d'un tambour, créant une symphonie hypnotique.

Sans hésitation, il la suivit lentement dans l'eau.

C'était vrai : il n'y avait plus de poids, plus de température, plus de souffrance, plus de fatigue. Les humains oubliaient. Il ferma les yeux et se laissa sombrer doucement.

Il y eut soudain une note dissonante dans la mélodie. Des cris désagréables et du mouvement.

Le chant cessa.

Une main s'enfonça douloureusement dans son épaule et il se retrouva tiré en arrière. Il entendit « expulso », et il fut rejeté plus loin encore. Son dos heurta les roches volcaniques de l'île, et il en eut le souffle coupé. La douleur à nouveau. Il grimaça, mais se redressa avec difficulté.

Il était sur la plage. Dans l'eau, Mullan l'avait remplacé.

Le contraste entre les deux femmes était saisissant : D'un côté, la Surveillante à la silhouette bonhomme, au visage disgracieux et aux cheveux ternes et plats, et de l'autre, une créature enchanteresse, pulpeuse, gracieuse et scintillante.

Elle se disputaient.

Drago dût faire un effort surhumain pour comprendre les mots qu'elles se jetaient au visage :

« J'ai le droit ! hurlait la Selkie. Il n'a pas de baguette ! Sa robe est grise ! Il porte même la Marque du Seigneur des Ténèbres ! Il est à moi !

– Pas celui-là ! répliqua Mullan. Il appartient déjà au Directeur ! Tous sauf celui-là !

– Et comment suis-je censée faire la différence entre lui et tous les autres ?! Ils se ressemblent tous pour moi ! »

Drago ricana. C'était plus fort que lui. Ils se ressemblaient tous ? Pour sa part, il n'avait jamais vu un homme avec des dents au coin des yeux. La réponse de Mullan fut encore plus saugrenue :

« Il est facile à reconnaître ! Il est le seul à avoir les cheveux longs !

– C'est trop tard ! Je l'ai vu, et maintenant, je le veux ! J'ai faim ! »

Drago se laissa retomber au sol en riant nerveusement. Il leva la main et caressa sa joue et sa mâchoire gauches, avec une espèce de confusion hasardeuse. Sans surprise, il sentit les dents, les bosses, les déformations sous ses doigts. Il trouvait ce détail anatomique plus visible et percutant que la longueur de ses cheveux.

Il était en train de prendre conscience du fait qu'il venait d'échapper à la mort, mais l'idée, loin d'être terrifiante était presque comique. Il avait failli mourir pour pouvoir entendre une chanson.

« Tu ne peux pas manger celui-là !

– Tu ignores ce que c'est que de mourir de faim ! Je souffre ! Tout le temps ! »

La plainte éveilla quelque-chose en lui. Lui aussi savait ce qu'était la faim. Ça n'avait duré que quelques jours, mais il avait la sensation d'avoir ressenti la faim pendant des siècles.

« Pas celui-là ! répéta Mullan d'un ton légèrement radouci. Va chasser, tu peux… »

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase. La Selkie lui coupa la parole :

« Oh oui, je vais partir chasser ! Et peut-être même que je ne reviendrai jamais sur cette île de malheur ! »

Il y eut un bruit d'éclaboussures, et c'en fut fini des cris.

Drago rit à nouveau. Drôle de menace. En ce qui le concernait, la bête pouvait bien ne jamais revenir, ça ne serait pas une grosse perte ! Qu'elle retourne avec ses congénères chasser d'autres créatures encore plus effrayantes et dangereuses qu'elles, et qu'elles s'entretuent.

Il tourna la tête, et vit une masse sombre sur le sol à quelques mètres de lui. Il reconnut, abasourdi, la peau de phoque qu'elle revêtait pour changer de forme. Elle l'avait abandonnée. La texture semblait curieuse : A mi-chemin entre de la fourrure animale et de la peau humaine.

Il tendit le bras pour la toucher.

Il entendit des bruits de pas rageurs dans les pierres, puis une masse lourde et glacée s'écrasa sur lui.

La Surveillante Major s'était assise sur son torse. D'une main, elle lui attrapa le menton pour le forcer à la regarder, et de l'autre, elle lui enfonça sa baguette dans le cou. Soudain, il se souvint qu'il avait peur d'elle. Elle approcha son visage hideux à quelques centimètres du sien et se mit à hurler :

« ESPÈCE DE PAUVRE PETITE MERDE ! JE NE SAIS PAS CE QUI ME RETIENT DE TE NOYER ! JE DEVRAIS TE BALANCER UN SORTILÈGE D'AMNESIE ET TE REFOUTRE AU MILIEU DE TON CORRIDOR, QU'ILS T'APPRENNENT À TE TENIR TRANQUILLE ! »

Drago ne répondit pas, ne bougea pas, ne se défendit pas. Il se contenta d'écarquiller les yeux et de trembler. Il sentait la baguette écorcher la peau de son cou et ses doigts lui écraser la mâchoire. Il sentait sa cage thoracique lutter pour se gonfler, malgré le poids sur son torse.

Mullan émit un dernier jappement, puis elle se leva d'un bond, s'empara de la peau de la Selkie, et partit en direction du château, avec sa démarche brutale et rapide.

Il reprit doucement sa respiration en se massant le cou et en regardant la forme changeante des nuages dans le ciel. Il réalisa qu'il était à demi-nu sur les pierres tranchantes, et qu'il faisait froid. Il ricana à nouveau en se souvenant des plaisanteries virilistes de Potter et Weasley, et se redressa pour parcourir la plage des yeux en claquant des dents. Il retrouva ses vêtements un peu plus loin – Par la grâce de Merlin, ils n'avaient pas été emportés par le vent – et se rhabilla.

Devant la porte en bois de la forteresse, il hésita à tout de même aller jeter un œil aux albatros. Après tout, Mullan ne lui avait pas vraiment interdit de rester sur la plage. Il rit encore, puis admit qu'il avait suffisamment fait de bêtises pour la journée. Il cacha sa joue sous ses cheveux désormais humides, puis rentra.

Il était en train de traverser le hall désert quand il réalisa que Mullan allait certainement avertir Potter de l'accident, et que celui-ci lui interdirait désormais de se promener sur l'île. Impossible de modifier l'opinion de la Surveillante, mais Potter… Avec lui, il était possible de discuter. Il suffisait de lui présenter une version de l'histoire où il avait une bonne raison de ne pas être à sa place. Etant donné les frasques de jeunesse du Survivant, ça ne devrait pas être trop difficile à inventer.

Il fut tiré de ses réflexions par les voix de deux Surveillants. Il tourna la tête et reconnut Hitchin, une espèce d'ivrogne désabusé, mais pas celui qui l'accompagnait. Trop de changements dans le personnel.

« Qu'est-ce que tu fous ici, Malfoy ?! lui aboya Hitchin. Tu as le droit de te promener dans les couloirs, maintenant ? »

Drago faillit hausser les épaules, mais réfréna son réflexe impoli. « Je cherche Potter, prétendit-il.

Monsieur le Directeur, pour toi, grinça le Surveillant.

– Monsieur le Directeur », répéta-t-il sagement.

Le plus jeune des Surveillants consulta la montre à son poignet, puis annonça :

« A cette heure, il vient surement juste d'arriver au hangar.

– Tu sais où est le hangar, Malfoy ? » s'enquit Hitchin.

Drago nia, Hitchin lui indiqua la route. Encore une fois, difficile de comprendre ce qu'il était autorisé à faire, où il avait le droit d'aller… Rien ne semblait plus lui interdire de se promener dans le château sans surveillance…

Drago hocha la tête après les explications du Surveillant, et voulut reprendre sa route, mais ce dernier l'arrêta et écarta le rideau de cheveux sur sa joue pour observer son visage. Il afficha une expression dégoutée à laquelle Drago jura de s'habituer avant de déclarer :

« Par Merlin, on m'avait prévenu, mais c'est répugnant. Regarde ça Drew. »

L'autre Surveillant fit un pas de côté pour voir à son tour et grimaça.

« C'est l'une des malédictions de l'île ?

– Non, il s'est chopé un maléfice, apparemment. C'est ça ? » demanda-t-il à l'intention de Drago qui se faisait l'impression d'être un cobaye dans un laboratoire de potions. Il resta immobile, passif, mais répondit tout de même :

« Si c'est ce qu'on vous a dit, je suppose que c'est ce que vous devez savoir. »

C'était à la limite de l'insubordination, mais… Il les avait prévenus qu'il voulait voir Potter. Oseraient-ils s'en prendre à lui en sachant que la moindre nouvelle marque sur son corps serait remarquée par le Survivant ?

« Très drôle, Malfoy. Tu penses qu'elles repousseront, celles-là, si on les brise ?

– Je l'ignore, Surveillant.

– Tu veux qu'on essaye ?

– Non, Surveillant. »

Hitchin ricana, puis s'écarta.

« Tu devrais arrêter de trop prendre la confiance, Malfoy ! Je doute qu'il s'intéresse encore longtemps à toi avec cette nouvelle tête ! » Puis les deux Surveillants s'en allèrent vaquer à leurs occupations.

Drago replaça doucement ses cheveux sur sa joue, puis partit suivre la route qu'on lui avait indiquée.