Et voilà, on est Lundi, c'est le moment de publier un nouveau chapitre. Maintenant que le mystère est levé sur le corps d'Edward, vous allez pouvoir en apprendre un peu plus dans ce chapitre, en espérant que ça réponde un peu à vos questions. Bon, je sais, le chapitre précédent était une grosse surprise... J'espère quand même que vous vous en remettrez !

Sinon, comme pour les chapitres précédents, je vous ai fait une petite illustration que j'ai postée sur DeviantArt. Je vous conseille d'aller la voir après la lecture du chapitre, histoire de pas être spoilés ;) (c'est un conseil qui vaut de manière générale pour toutes les illustrations à venir).

Voila voila, je pense avoir dit l'essentiel, j'espère que ce chapitre vous plaira ! Bonne lecture !


Chapitre 7 : L'innocence perdue (Winry).

- Tu crois que ça ira, pour Gracia ? demanda Alphonse en regardant le paysage défiler à travers les vitres du train.

- Je pense... Tu sais, elle est très forte. Et puis... Elysia lui donne une raison d'avancer.

Je le savais de source sûre, puisqu'elle me l'avait dit de vive voix, la veille du départ. J'avais longuement lanterné avant que l'on se décide à partir, partagée entre la peur de la gêner et la honte de l'abandonner. L'avoir côtoyée dans ces moments difficiles avait créé entre nous un lien d'une force étonnante. Je sentais que je n'irais plus à Central City sans venir la voir… et dans les jours à venir, j'allais souvent penser à elle.

Malgré tout, nous avions fini par quitter la demeure des Hugues, pour plein de raisons. J'étais partie en catastrophe de Resembool, laissant en plan Pinako avec des chantiers d'automails en cours, mais son dos la faisait souffrir et l'empêchait de travailler aussi vite qu'elle l'aurait voulu. Elle était impatiente de me voir rentrer et lui prêter main-forte par ailleurs, j'avais le sentiment que la situation pesait beaucoup à Al, et qu'il avait besoin de quitter Central, la maison endeuillée et les nuits troublées par les pleurs d'Elysia.

Il s'était calé contre la fenêtre du train, regardant filer les arbres et les champs avec un regard plein de lassitude, lâchant de temps à autre un soupir. Je devinais que le désespoir de la fillette avait dû lui remémorer sa situation d'orphelin. Après tout, moi aussi, j'y avais repensé. Mais faute d'avoir retrouvé les corps, nous n'avions jamais eu d'enterrement digne de ce nom pour mes parents. Je me demandais toujours si ce n'était pas encore pire.

En le voyant avec sa stature d'enfant, son air mélancolique, et en repensant à tout cela, je me dis que lui et Edward, je les connaissais bien mal, finalement. En repensant à l'époque où ils avaient tenté de ressusciter leur mère, je me souvenais que je n'avais pas la moindre idée de ce qui se tramait. Les en aurais-je empêché ? J'aurais sans doute essayé, sentant confusément qu'il y avait quelque chose de dangereux à avoir ce genre de souhaits mais je ne me doutais de rien. Je vivais ma vie paisiblement entre l'école et l'apprentissage de la fabrication d'automails tandis qu'ils suivaient leur propre enseignement auprès d'Izumi Curtis, ne donnant que rarement des nouvelles, tant ils étaient occupés. La curiosité dévorante des deux frères pour l'alchimie et les découvertes en tout genre avaient quelque chose qui m'avait toujours un peu effrayée. J'avais souvent eu l'impression qu'ils allaient tomber dans le gouffre de leur appétit insatiable, et je n'avais pas tout à fait tort quand on en faisait le bilan aujourd'hui.

Alphonse avait été amputé de quatre ans de sa vie. De tous les moments qu'il avait vécu enfermé dans cette armure, il n'en gardait aucune trace. Celui qui se réjouissait à l'idée de pouvoir serrer de nouveau les autres dans ses bras et sentir leur chaleur s'était évanoui, et celui qui était revenu parmi nous était plus orphelin que jamais.

Quant à Edward... il avait perdu son bras et sa jambe, et maintenant, il ne reconnaissait même plus son propre corps... Je baissais les yeux en y repensant. Comment allait-il ? Arrivait-il à s'habituer à ces bouleversements ? Je n'en avais aucune idée, il ne m'avait redonné aucune nouvelle depuis son coup de téléphone. J'aurais dû y être habituée, mais je ne parvenais pas à m'y faire. Pourquoi fallait-il qu'il soit aussi renfermé ? A chaque fois que je pensais à lui, j'étais assaillie de sentiments contradictoires.

Est-ce qu'ils arriveront à retrouver son corps d'antan ? A chaque fois qu'ils se frottent à la transmutation humaine, ils en ressortent dévastés. J'aimerais mieux qu'ils ne prennent pas plus de risques et qu'ils se contentent de ce qu'ils ont... mais peut-on vraiment s'habituer à ça ?

Je me remémorais la conversation que nous avions eue il y a deux semaines seulement, quand il m'avait appelée, peu de temps après que j'avais découvert une vis oubliée lors de ma réparation. Il m'avait horrifiée en m'annonçant que ces automails allaient devoir être intégralement reconstruits, et j'avais pris le premier train pour Central, abandonnant mamie Pinako et toutes les réparations prévues, la rage au ventre...


J'arrivais dans les couloirs de l'hôpital, bouillonnant d'un mélange de peur et de colère. Je n'arrivais pas à comprendre comment il avait pu mettre ses automails en miettes deux fois de suite. Cette unique vis ne pouvait pas avoir fait autant de dégâts !

- Où est le monstre qui a détruit mon chef d'œuvre en moins de temps qu'il ne m'a fallu pour le construire ? Prépare-toi à subir les flammes de l'enfer ! m'exclamai-je en entrant, ignorant la présence d'autres personnes dans la pièce.

Mes craintes furent vérifiées quand je le vis terré au fond d'un lit d'hôpital. Je sentis le sang refluer de mon visage quand le je vis dans cet état. Ce n'était pas tant les blessures qu'il avait subies, il était tellement casse-cou que ça ne me surprenait plus vraiment ce n'était pas non plus la présence d'une militaire aux cheveux courts, l'arme au côté, qui me fixait d'un œil attentif non, ce qui m'alertait vraiment, c'était son regard fixe, vidé de toute émotion, et l'apathie dans laquelle il semblait plongé. Je n'avais pas vu ce regard depuis qu'il s'était retrouvé infirme après la transmutation ratée de sa mère. Que s'était-t-il passé pour le mettre dans cet état ?

En m'entendant arriver, il avait tourné la tête vers moi et m'avait adressé un pauvre sourire qui sonnait creux. Je sentis me cœur se serrer violemment, et les derniers restes de colère s'évanouirent.

- Je suis là, murmura-t-il d'une voix rauque, un peu étrange.

- Mais qu'est-ce qui t'est arrivé ? m'exclamai-je, en me précipitant près de lui, les larmes aux yeux. Tu es blessé, et... c'est de la faute de mon automail ? !

- Nonon, ce n'est pas ça, j'ai pris beaucoup de risques, reprit-il d'un ton un peu plus vif, secouant une main face à moi comme pour me calmer. Ce n'est pas de ta faute si...

Il s'arrêta au milieu de sa phrase et se figea, comme débordé par un trop plein qui le terrifia. Il s'était passé quelque chose, quelque chose de grave. Et comme d'habitude, il allait ne pas m'en parler. Je me sentis irritée par son silence, plus encore que d'habitude. Quelle était la gravité de ses blessures ? L'étendue des travaux à faire ? Qu'est-ce qui le faisait souffrir comme ça ?

Où était Al ?

- Ou est Al ?

- Je suis là, répondit immédiatement une voix d'enfant.

Je tournais la tête, et baissais les yeux, me sentant chanceler. Derrière moi, si discret que je ne l'avais pas remarqué en entrant, il y avait un enfant. Et cet enfant, c'était Alphonse. Il était exactement comme la dernière fois que je l'avais vu en chair et en os, les cheveux châtains et épais poussant naturellement de biais, les yeux grands ouverts, le visage rond. En chair et en os. L'émotion me laissa chancelante, et je laissai tomber mon sac de voyage qui s'écrasa au sol dans un fracas de ferraille sans que j'y accorde la moindre attention. Je tentai de marcher vers lui mais mes jambes se dérobèrent sous moi, et je tombai à genoux devant lui, le serrant dans mes bras, incapable de retenir mes larmes.

- … Winry ? fit-il d'un ton hésitant.

En entendant la voix fluette d'Alphonse, je m'essuyai les yeux et m'écartai pour le regarder plus attentivement. Dans ses yeux à la couleur subtile, je lus une perplexité qui fit naître un sentiment inconfortable. Quelque chose n'allait pas. Je réalisai que bien qu'étant à genoux et lui debout, il n'avait pas tellement besoin de se pencher pour me voir. Il était beaucoup trop petit, ce n'était pas normal. La conclusion logique s'imposa dans mon esprit de manière brutale.

Il a le même âge... Il a le même âge que quand il a disparu.

Est-ce qu'il a tout oublié ?

Est-ce qu'il a vécu ces quatre dernières années ?

Les questions se bousculaient dans ma tête, mais je choisis de les chasser pour ne pas gâcher les retrouvailles. J'aurais tout le temps après, pour avoir des explications.

- Tu n'as pas changé, fis-je simplement en passant une main dans ses cheveux, contre sa joue, émue malgré tout.

- Toi, tu as changé, Winry, répondit-il simplement, avec une expression un peu gênée et incertaine, confirmant mes craintes. Mais je suis content de te revoir.

Il avait ponctué la fin de sa phrase d'un des sourires plein de douceur dont les deux frères avaient le secret. Je le serrai une nouvelle fois dans mes bras, avec un peu plus de retenue cette fois, et me relevai pour me tourner vers Edward, toujours alité. Nous n'étions plus que tous les trois dans la chambre, sans doute la militaire avait-elle traversé la pièce et fermé la porte derrière elle, nous laissant un peu d'intimité.

- Edward, que s'est-il passé ?

- C'est une longue histoire, et je n'ai pas envie de la raconter maintenant, répondit-il simplement, exprimant toute sa lassitude à travers cette remarque.

- Tu me dois quand même des explications. J'aimerais savoir quel est ton truc pour faire disparaître des automails, comme ça, fis-je en claquant des doigts.

- J'ai fait un rejet, je crois. Il y a eu une transmutation, j'ai cru que j'allais retrouver mes membres, mais ça n'a pas marché, fit-il évasivement. Et quand je me suis réveillé, tout était en miettes.

- Attends... Tu veux dire que les ports de tes automails sont endommagés ? fis-je, blême.

- Je crois bien, oui, marmonna-t-il.

- Montre.

- Hors de question, répondit-il avec un regard de défi, bien plus présent qu'il ne l'avait été depuis le début de notre conversation.

- Montre-les-moi, que je sache ce que j'ai à faire comme travail, fis-je d'une voix grondante, sentant la colère monter en moi.

- Non, pas maintenant en tout cas, répondit-il d'un ton ferme mais nerveux.

- Ne fais pas l'enfant, je viens de Resembool en urgence pour te soigner, il y a des gens qui m'attendent là-bas, je ne vais pas attendre la pleine lune ! Allez !

- NOON ! hurla-t-il tandis que m'escrimais à lui ôter le haut de pyjama qu'il tentait de garder, assez difficilement en l'absence de son bras manquant.

A ce moment-là, je réalisai. Je réalisai que sa voix était plus aiguë que d'habitude, que la fébrilité de ses gestes cachait peut-être autre chose que sa honte d'avoir explosé mes automails. Et surtout, je réalisai que sous ma main plaquée sur son torse se trouvait quelque chose de totalement incongru. Un volume, moelleux, dont je reconnaissais parfaitement la douce chaleur à travers le tissu. Un sein. Il y avait un sein sur le torse d'Edward et étant donné la manière dont son pyjama se déformait, le deuxième était bien là, juste à côté.

La scène se figea quelques secondes, l'information s'ancrant dans mon cerveau tandis que nous nous étions immobilisés, nez à nez, dans une position très équivoque. Dans ce laps de temps, son visage vira de vermeil à pourpre, et puis il me repoussa aussi fortement que possible et s'effondra dans le lit, son bras valide dissimulant mal son expression dévastée. Je restai assise au bord du lit, figée dans une expression de stupéfaction gênée.

- Oh... C'est nouveau, ça... fis-je, d'une voix hésitante après un long silence.

- C'est... c'est tout ce que tu trouves à dire ? ! Tu pouvais pas me, me lâcher la grappe ? ! bredouilla Edward, étouffé d'indignation, le visage niché dans le creux du coude, incapable de me regarder en face.

- Bah... t'es une fille maintenant ? fis-je en me tournant vers lui, interdite.

- Non ! Enfin en quelque sorte. Plus ou moins.

- Tu es une fille ou pas ?

- J'ai un corps de fille, c'est tout ! lâcha-t-il d'une voix hachée. C'est un accident, et laisse-moi te dire une chose, c'est provisoire ! Il est hors de question que je reste dans ce corps dégueulasse et moche et... je suis pas une fille !

- … C'est possible de faire ça avec l'alchimie ?

J'étais tellement prise au dépourvu par ma découverte que je ne pris pas le temps d'indigner sur la manière dont il décrivait le corps féminin, si énervant que ce soit pour moi à entendre. Après tout, on pouvait comprendre sa réaction, surtout que c'était un accident. Il y avait de quoi être choqué. Je ne pouvais pas dire comment j'aurais réagi à sa place...

- Il te faut quoi de plus, comme preuve ? grommela-t-il, boudeur.

- … Je sais pas, c'est juste que... C'est bizarre...

- Sans blague ? lâcha-t-il d'un ton sarcastique.

Il ? Elle ? Voilà quelque chose qui me prenait bien au dépourvu. Comment devais-je l'appeler ?

Non mais Winry, si tu te mets à parler de lui au féminin, même si c'est juste techniquement, il va t'étriper ! La question ne se pose même pas !

Ed, c'est Ed, et puis c'est tout !

Le silence s'appesantit, et même si j'étais assez désarçonnée par la nouvelle, je ne pouvais pas rester comme ça. Je sentais mon ami s'enfoncer dans la morosité, il fallait que je trouve la phrase qui l'empêcherait de couler vraiment, la réplique qui le ferait rire, ou au moins sortir de ma morosité. Je m'affalai sur le lit à côté de lui, me retrouvant à quelques centimètres de son visage toujours caché par les plis du tissu de sa manche. Il sentit que je m'étais approchée et souleva son bras pour regarder dans ma direction, me jetant un regard furieux.

- Tu croyais vraiment que tu pourrais me dissimuler un truc pareil ? Je suis ta mécanicienne, ton corps n'a pas de secret pour moi ! ajoutai-je d'un ton taquin, osant même lui faire d'un clin d'œil.

Il eut un mouvement de recul tel qu'il manqua de tomber du lit et m'inonda de jurons en pestant que je devais être une abrutie pour dire un truc aussi déplacé. Rassurée de le voir monter sur ses grands chevaux, je ris de bon cœur, alimentant son insatisfaction. Le rire un peu grêle d'Al m'accompagna bientôt, achevant de faire bisquer Ed qui s'allongea à plat ventre dans une tentative pour fixer le mur. Mais ses bouderies un peu surjouées étaient toujours mieux que l'indifférence avec laquelle il m'avait accueillie.

- Bon, dans ce cas, je vais peut-être te demander de sortir, Al.

Son rire s'arrêta net.

- Je sortirais bien moi-même si ça pouvait l'aider à se sentir mieux, mais je vais avoir du mal à l'examiner si je ne suis pas dans la pièce.

Il hocha la tête et sortit sans un regard, mais son expression laissait bien comprendre à quel point il quittait la pièce à contrecœur.

Lui aussi, il doit se sentir mal, pensai-je en le regardant partir. Il faudra que je lui parle...

- Bon... je me retourne le temps que tu enlèves ton haut de pyjama, tu n'auras qu'à t'allonger sur le ventre pendant que j'examine ton bras, comme ça je ne verrai rien.

Devoir faire attention à ne pas froisser sa pudeur était une idée totalement nouvelle pour moi, mais j'avais déjà eu des clients timides et pensais savoir quand même comment m'y prendre.

- … Ok, fit-il tandis que je lui tournais le dos, le laissant surpris que je respecte sa pudeur.

C'est quand même bizarre, pensai-je en attendant poliment qu'il m'autorise à me retourner.

- C'est bon.

Je fis volte-face et contournai son lit par la droite, m'approchant de son épaule en sentant l'expression de mon visage se décomposer malgré moi.

Dire qu'il ne restait plus grand-chose de son automail était un doux euphémisme. Il avait comme explosé de l'intérieur, coupant de façon très malpropre le bras à sa base. La plaque métallique qui recouvrait et protégeait la fusion entre le corps et le métal et les connexions nerveuses était complètement tordues, comme si quelqu'un s'était amusé à essayer de l'arracher de son corps à coup de pieds de biche.

- Ta jambe est dans le même état ?

- Elle est plutôt pire... marmonna-t-il.

Je soupirai, aucune phrase ne me paraissait assez forte pour exprimer toute l'étendue de mon incrédulité et de ma lassitude. Quand quelque temps auparavant, il avait réussi à revenir avec son bras explosé, je m'étais dit qu'il ne pouvait pas faire pire.

C'était maintenant chose faite.

- Ça ne te fait pas trop mal ? demandai-je d'un ton inquiet.

- Pas vraiment.

Je m'assis délicatement sur le bord du lit et tâtai les reliefs déchirés de son automail. Le métal terni avait perdu toute solidité, et s'émiettait presque sous mes doigts. La plaque entière était foutue, et peut-être que certaines fixations et connexions en dessous l'étaient aussi. On pouvait difficilement savoir sans démonter le tout. J'étais tellement mortifiée que je constatais ses transformations physiques d'un œil presque indifférent. Oui, il avait les épaules plus étroites, le corps un peu plus fin, la taille un peu plus marquée... Il ne s'en fallait pas de beaucoup pour changer de sexe, finalement. Si j'avais eu le moindre doute au début, je ne pouvais nier qu'une fois torse nu, les transformations sautaient aux yeux.

- Ça ne ressemble à rien... Je ne pensais même pas que c'était possible de maltraiter un automail à ce point.

- Je n'en ai pas fait exprès.

- Encore heureux ! m'exclamai-je. Si c'était le cas, je ne te le pardonnerais pas !

- Bon, dis-moi tout, fit-il avec une petite grimace. Combien de temps je dois attendre ?

- … Il faut que je répare tes ports... Je ne sais pas combien de temps cela va prendre au juste, ça dépend des dégâts sous la plaque, mais il faut bien compter une journée et demi au mieux, et ça risque d'être éprouvant. Quant aux automails eux-mêmes, comme ta morphologie a changé, il faut que je revoie les plans de fond en comble pour l'adapter, sinon tu seras déséquilibré. En comptant la pose des automails, il faut compter au moins une semaine.

- Une semaine ?! Tu ne peux pas faire moins ?

- Eh, je ne sais pas si tu te rends compte, mais un mécanicien habituel t'annoncerait un délai d'un mois minimum pour ce genre de travail, répondis-je d'un ton agacé. Je vise déjà au plus court en te disant ça ! Si ça ne te convient pas, je peux aussi rentrer à Resembool et te laisser trouver quelqu'un d'autre.

- C'est bon, j'ai compris, grommela-t-il. Va pour une semaine. Je suppose que tu vas m'expliquer qu'il me faut six mois de rééducation, aussi ?

- Ça, ça dépend de l'état des ports d'automail, je ne peux pas voir avant d'avoir démonté les coques.

- Super, grommela-t-il.

- Ce genre de choses, c'est pour ton bien.

- Je sais, mais ça reste pénible quand même...

J'attrapai le drap pour recouvrir son dos nu et me relevai avant de m'accouder à la fenêtre à persiennes.

- Qu'est-ce qui s'est passé, avec Al ? fis-je d'une voix aussi douce que possible.

- … Je ne sais pas exactement... Je n'étais pas vraiment moi-même, à ce moment-là.

- Comment ça ?

Il se retourna et resta un instant silencieux, fixant le plafond.

- Sans trop rentrer dans les détails, je suis rentré en contact avec de la pierre philosophale incomplète, en très grande quantité. Et quand c'est arrivé, j'ai... j'ai plus ou moins perdu conscience. En tout cas, je n'ai pas un souvenir précis des transmutations que j'ai pu effectuer à ce moment-là. J'étais complètement dépassé. Le fait est que... quand je me suis réveillé, mon corps était comme ça, et Al était revenu.

- Tu dois être heureux qu'il soit revenu.

- C'est compliqué... Je suis heureux qu'il ait retrouvé son corps, mais... je ne pensais pas qu'il serait amnésique. Ce n'est pas vraiment les retrouvailles que j'imaginais.

- Ça fait beaucoup de changements pour toi.

- Oui... et beaucoup de changements pour lui aussi.


Après cette discussion évasive, il avait passé plusieurs jours dans un état de mal-être palpable, alternant des moments de frénésie où l'idée de rester allonger dans un lit lui était insupportable, et d'autres ou il sombrait dans l'apathie la plus totale, ne prenant même pas la peine de lâcher une syllabe en réponse à nos questions. Suite à la manière dont j'avais découvert son secret, il avait supplié les infirmières de l'aider à se bander la poitrine en permanence pour que personne d'autre ne la remarque lors des visites que lui faisaient ses collègues militaires. Au fil de mes discussions, j'avais compris que seule Maria Ross, la militaire qui était présente à son arrivée et qui l'avait amené à l'hôpital, et celles et ceux qui le soignaient était au courant de son pénible secret. Les visites étaient courantes, mais personne dans son entourage ne parvenait à le dérider. Je voyais bien sa détresse, mais à part en travaillant à l'automail pour qu'il soit prêt au plus vite, que pouvais-je faire ? Alphonse était aussi désarmé que moi.

Maes Hugues nous voyant régulièrement lors de ses visites, avait fini par nous proposer de nous loger chez lui pour avoir plus d'espace et de confort le temps de faire les réparations. C'est ainsi qu'Alphonse et moi avions installé un atelier improvisé dans le garage de leur maison, disposant de l'ensemble de la pièce ainsi que d'outils parfois très utiles. Al s'était autoproclamé assistant, et malgré son peu de connaissance en la matière, s'était avéré d'une aide précieuse pour faire les tâches les plus simples, me gagnant beaucoup de temps.

Nous étions tantôt chez eux, tantôt à l'hôpital, faisant de notre mieux pour tenir compagnie à Edward tout en avançant les travaux, et nous partagions la plupart des repas avec la famille Hugues. A l'époque, ces trois-là rayonnaient de joie de vivre au point d'être contagieux, et à l'idée que cette famille fut maintenant brisée, je sentais encore mes mains se crisper de colère contenue. Le souvenir de cette nuit-là allait rester longuement gravé dans ma mémoire.

Le paysage qui défilait derrière les vitres du train, ensoleillé mais couvert de zones d'ombres, ne parvenait pas à me remonter le moral. Je pensais à Gracia, en larmes, à Elysia, se réveillant chaque nuit en pleurant je pensais à Al, et le décalage qu'il devait ressentir sans arrêt avec tous ceux qui l'entouraient et je pensais à Ed, parti seul en mission dans une ville inconnue, sans le soutien de son frère, avec la peur au ventre à l'idée qu'un autre malheur arrive en son absence, et en plus de tout cela, devant dissimuler le secret de son corps féminin.

Quand je lui avais demandé pourquoi il se faisait bander les seins en permanence alors que c'était aussi inconfortable, il avait simplement répondu « hors de question qu'une personne de plus le sache. »

Je n'avais pas osé lui répondre que ce n'était pas le genre de choses qu'on parvenait à dissimuler éternellement.