Le chapitre 12 est arrivé ! L'occasion pour vous de savoir comment les choses vont tourner maintenant qu'Edward est tombé dans la gueule du loup. Je profite de ce petit mot d'introduction pour répondre à la remarque de Matsuyama dans sa dernière review (postée en guest donc je ne pouvais pas répondre par MP) : ouais, je sais que le chloroforme, dans la vraie vie, ça marche assez mal... mais ça reste pratique dans les histoires ! :D J'assume cette facilité scénaristique (même si je ne compte pas en faire une habitude) et puis, le kidnappeur ne pouvait pas prendre le risque de l'abîmer en l'assommant ! :P

Comme d'habitude, une illustration de chapitre est postée sur Deviantart. Je suis particulièrement contente de celle-là ! De manière générale, je vous conseille de plutôt attendre d'avoir lu le chapitre, pour aller voir l'illustration correspondante, histoire de ne pas être spoilé.

Bref, je vous remercie du fond du cœur de lire, suivre et commenter cette histoire, et je vous laisse découvrir la suite. ;)


Chapitre 12 : Un plan bancal (Roxane)

- Putain, mais il y a combien d'épingles dans ce chignon ?! Ça n'en finit pas !

- Je te rappelle juste que c'est toi qui l'as fait, me rappela June après un bâillement. Tu es bien placée pour le savoir.

- Roxaaaane !

Le cri était à la fois familier et incongru. Il n'y avait pas beaucoup de voix graves dans les coulisses du Angel's Chest. Le temps de reconnaître la voix de Tommy, il avait déjà déboulé dans la pièce avec un bouquet de fleurs à la main, provoquant quelques cris de la part de Flora et Dorine qui étaient encore en train de se changer. Elles lui balancèrent une ou deux chaussures à la tête mais cela ne lui fit ni chaud ni froid et il fonça vers moi sans un regard pour les filles scandalisées – et un peu vexées.

- Roxane, Iris vient de se faire kidnapper !

- Hein ? ! répondis-je en laissant tomber la couronne de June qui s'en tira heureusement sans dommages. Quand ? Où ? Comment ?

- Derrière, dans la ruelle, j'arrivais pour te voir à la sortie, et là, y'avait un mec – mais alors immense ! – en train de la ceinturer et de la droguer. Il l'a endormie et il l'a portée dans un fiacre noir, qui est parti vers la rue Aloès !

- Bougre de con ! m'exclamai-je, autant pour moi-même que pour le porteur de mauvaises nouvelles. Et tout ce que tu trouves à dire, c'est ça ?

Il me regarda avec des yeux larmoyants, visiblement convaincu d'avoir fait de son mieux. Et en réalité, qu'aurait-il pu faire d'autre ? Je le connaissais assez pour savoir qu'il était incapable de faire du mal à une mouche. J'étais furieuse qu'on soit pris au dépourvu de la sorte. Je me tournai vers la dernière personne fiable de la pièce.

- June, tu vas devoir trouver quelqu'un d'autre pour finir de défaire ton chignon. Et je vais avoir besoin de toi cette nuit.

- Je savais que ça finirait comme ça, marmonna-t-elle d'un ton blasé. Je dois faire quoi ?

- Appelle un dénommé Berry à ce numéro pour prévenir de ce qui se passe. Je vais essayer de suivre la piste du fiacre, on vous rappelle dès qu'on en sait plus.

- Et l'autre ? demanda-t-elle.

Je compris qu'elle parlait d'Edward, et mon cœur se serra. Il était trop tard pour l'avertir, il était déjà aux mains de l'ennemi.

- Je m'en arrange, tu ne peux rien faire à ce niveau-là. Reste joignable, c'est tout ce que je te demande.

- Je vois...

- Merci ! répondis-je en déboulant dans le couloir, attrapant simplement une veste au passage, suivie de près par Tommy. Alors, ils sont partis par où ? Depuis combien de temps ?

- Ils sont partis dans cette rue, ça fait deux minutes à tout casser. Attends un instant ! fit-il, tandis que je me mettais à courir dans la direction qu'il avait indiquée. J'ai mon vélo, monte à l'arrière.

C'est ainsi que je me retrouvais sur le porte bagage de son vélo, cascadant douloureusement sur les pavés de la petite rue. J'espérais qu'il n'était pas trop tard, et scrutais les rues dans l'espoir de voir le moindre indice. Nous avions la chance d'être dans la partie ancienne de la ville, où beaucoup de petites rues envahies par les tables et les fêtards ne laissaient même pas la possibilité à un fiacre de se frayer un chemin. De fait, c'était un quartier que la plupart des gens fréquentaient à pied. Pendant quelques minutes, le chemin s'imposa de lui-même, puis nous arrivâmes à un carrefour plus imposant. Tommy posa le pied à terre et interpella un passant visiblement bien éméché.

- Vous n'avez pas vu passer un fiacre noir ?

- Ah, si, il n'y pas deux minutes, il a tourné à droite, là, répondit l'homme d'un ton affable en désignant la rue en question.

- Merci ! s'écria Tommy en repartant de plus belle.

Pédalant sans relâche et profitant de la pente descendante de la ville, nous avancions à vive allure. Le trajet qui se dessinait me confirmait ce que nous soupçonnions, nous allions droit vers le domaine d'Ian Landry, au nord de la ville, au contrebas de la grande cascade. Les personnes à qui nous demandions la direction étaient suffisamment désarçonnées et alcoolisées pour répondre sans réfléchir, et les indices étaient plutôt encourageants. A certains moments, nous entrevoyions même le fiacre avant qu'il ne tourne au coin d'une rue ou disparaisse dans un virage. Une fois sortis des rues pavées, la course fut quand même beaucoup moins inconfortable. Je pus relâcher un peu Tommy sans craindre pour ma vie. Malheureusement, en sortant de la ville, nous perdîmes aussi l'éclairage des enseignes et des lampions, et bientôt, il n'y eut plus que la lune pour tracer notre chemin. Heureusement, nous suivions une route de terre calcaire, dont la blancheur ressortait suffisamment dans la nuit. Le fiacre n'était plus qu'un mouvement de l'obscurité, mais nous n'osions pas trop nous en approcher de peur de nous faire repérer.

- Ah, ils ralentissent.

- On doit être arrivés.

Sans concertation, Tommy ralentit, et nous descendîmes de vélo, l'abandonnant dans le champ voisin pour finir le trajet à pied, dissimulés dans le fossé et les herbes hautes des bas-côtés. En m'approchant le plus discrètement possible, je me félicitai de cette décision. A l'entrée du domaine ceint de hauts murs, il y avait au bas mot une demi-douzaine d'hommes en blazer, gardant les lieux avec un professionnalisme malsain.

Le kidnappeur sortit du fiacre, portant dans ses bras la silhouette inanimée d'Iris, et traversa le portail que les hommes refermèrent juste derrière lui. A cette vue, je me sentis glacée d'angoisse.

- Et maintenant, on fait quoi ? chuchota Tommy.

- Reprend ton vélo et utilise le premier téléphone que tu trouves pour appeler au Angel's Chest. Berry doit y être arrivé. Attend-le plus tôt sur la route et dis-lui tout ce qu'on a vu. Pendant ce temps, je surveille les lieux et je réfléchis à un plan.

- Ok., souffla-t-il avant de repartir aussi discrètement que possible.

Je me retrouvais seule, accroupie dans le fossé, à moins de cent mètres d'une poignée d'hommes franchement sinistres, au milieu des herbes qui me chatouillaient désagréablement les jambes au moindre souffle. Le coin était fortement exposé au vent, et je me félicitais d'avoir attrapé une veste avant de partir.

Mais ma présence d'esprit s'arrêtait là. Je me maudissais d'avoir été aussi imprévoyante. Et maintenant, je faisais quoi ? Edward était coincé, inconscient, à l'intérieur du domaine, je n'avais aucune idée de l'endroit où il pouvait se trouver, et vu la taille des lieux, autant chercher une aiguille dans une meule de foin. L'image de ce petit corps inconscient, terriblement frêle dans les bras du kidnappeur, me laissa profondément mal à l'aise. Il pouvait lui faire n'importe quoi tant qu'il était inconscient, et même éveillé...Qu'espérait-t-il faire face aux dizaines d'hommes qui se trouvaient sans doute de l'autre côté de ces murs de pierre sèche ?

Aaaaaah bon sang, je m'en veux, je n'aurais jamais dû accepter ce plan à la noix ! Il peut lui arriver n'importe quoi ! Et c'est pas les trois pauvres bras cassés de l'autre côté du mur qui vont être très utiles ! Je sais à peine me battre, Tommy n'a pas inventé l'eau chaude, et à vue de nez, Berry a l'air d'être du genre trouillard. Personne n'a envie de mourir bêtement avant même d'avoir passé les portes du domaine.

Un plan, il me faut un plan, ça ne sert à rien de se lamenter ! On a trois objectifs, sauver Ed, coffrer Landry, et sauver toutes les autres en espérant qu'il ne soit pas trop tard. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Il faut trouver un moyen d'entrer sans se faire avoir, et il faut savoir où sont les filles... Et où peut être Edward...

Je me remémorai fébrilement les discussions qu'on avait eues ensemble. Il m'avait décrit les lieux après la fête qui avait eu lieu-là bas. Il s'était montré naïvement curieux des lieux, posant des questions sur les différents bâtiments, et en avait tiré un plan grossier et lacunaire. Il m'avait indiqué quels espaces avaient été autorisés aux visiteurs pendant la fête, j'en déduisis qu'il était inutile de chercher dans ces lieux. Si j'avais bien suivi, les visites et les fêtes étaient fréquentes, suffisamment pour qu'il évite d'y amener ses victimes, même pour un court moment.

Si j'étais un mafieux et que je devais dissimuler des activités illicites, je les situerais aussi loin que possible du lieu où je recevais les gens. On pouvait supposer qu'il était inutile de fouiller dans la maison principale. Il restait les dépendances, le cellier, le pigeonnier... Je partais du principe qu'il fallait chercher dans un de ces bâtiments. Le plus simple était sans doute de passer par l'arrière du domaine et de remonter au fur et à mesure de nos recherches. Étant donné la taille du terrain, il y avait sûrement plusieurs entrées...

Je revoyais le plan du domaine qu'Edward avait dessiné, stupidement abandonné sur la table, chez moi. Comment avait-on pu être aussi imprévoyants ? Comment j'avais pu être aussi CONNE ? !

Je continuais à remuer des pensées pleines d'angoisse et de culpabilité en construisant des plans fragiles comme des châteaux de cartes qui s'écroulaient les uns après les autres. Nous n'étions pas assez nombreux, pas assez organisés, pas assez habiles pour les idées improbables qui me venaient en tête. Autant dire que je commençais à trouver le temps long et particulièrement désespérant, quand je sentis une main se poser sur mon épaule, me faisant sursauter.

- Ce n'est que moi, souffla Tommy, me soulageant infiniment. Enfin, moi et Berry.

L'homme derrière lui avait les cheveux coupés en brosse, et malgré l'obscurité, je me rendis compte qu'il ne portait que son pantalon d'uniforme et un T-shirt. Il avait dû être brutalement tiré du lit par l'appel paniqué de June.

- Bonsoir, fit-il à mi-voix en me tendant la main, n'oubliant pas la politesse malgré le contexte qui s'y prêtait peu.

- Bonsoir.

- Ils n'ont pas bougé ?

- Non, pas par cette entrée en tout cas, répondis-je.

- Bon, quel est le plan ?

- J'ai bien des hypothèses, mais un plan, c'est beaucoup dire... Il faut déjà trouver comment rentrer.

- Il faudrait distraire l'attention des gardiens pour qu'on puisse entrer. Roxane - tu permets que je t'appelle Roxane ? - Je pense que tu peux rentrer en jouant sur l'innocence, en disant que tu t'es perdue, que tu as un problème, ou quoi que ce soit d'autre... Pour moi, si je veux garder mon arme, je vais devoir faire autrement et rentrer sans me faire repérer.

- Il faut faire diversion, en fait... murmura Tommy. Vous voulez que je m'en occupe ?

Je me retournais vers lui, surprise de sa proposition. Depuis quand était-il aussi assuré ?

- La question, c'est par où on rentre, aussi, lançai-je. Je pense qu'il faudrait entrer par les bâtiments arrière, c'est là où il y a le plus de chance de retrouver les filles.

- Ok... Alors dans ce cas, il faudrait que je passe par ce côté, désigna Berry en montrant. Il y a une autre sortie pas loin de l'angle, qui sera sûrement gardée. Si Tommy fait diversion, je devrais pouvoir passer par là et m'infiltrer par les jardins.

Je me retins de dire que c'était vachement optimiste que d'espérer se faufiler comme ça, et que ça n'indiquait pas ce qu'il fallait faire après.

- Roxane, tu n'as qu'à aller devant l'entrée principale, n'hésite pas à faire du raffut pour détourner leur attention. Si tu ne cherches pas à rentrer mais que tu les distraits, ça sera déjà beaucoup.

Je tâchais de ne pas réfléchir aux risques que pourrais avoir à les « distraire ». Je n'avais pas le temps pour ça. Et tout était de ma faute après tout, il fallait bien que je prenne mes responsabilités.

- Je pourrais faire semblant d'avoir eu un problème avec le vélo, proposai-je en repensant au véhicule de Tommy, abandonné un peu plus loin. Avec un peu de chance, je pourrais peut-être me débrouiller pour entrer ?

- Bonne idée.

- Mais si on fait comme ça, je ne pourrai pas rentrer aussi pour vous aider, par contre... fit tristement remarquer Tommy.

- On va se débrouiller. Et puis, si Edward est déjà à l'intérieur, il devrait bien se débrouiller de son côté.

- Je ne suis pas sûre, annonçai-je, la gorge serrée.

- Allons, c'est le Fullmetal Alchemist, quand même.

- Qui ça ?

Berry tourna vers Tommy un regard stupéfait. Contrairement au militaire, à qui Edward avait réussi à faire gober je ne sais comment qu'il allait se travestir, mon ami d'enfance n'avait rien à voir avec nos plans, et était projeté dans l'affaire totalement par hasard. Il ne savait rien de la double identité d'Iris. J'ouvris la bouche pour lui expliquer en deux mots, puis me ravisai en me rappelant qu'il n'était peut-être pas assez malin pour garder le secret.

- Laisse tomber.

Berry récapitula le programme, et comme je n'avais rien de plus à dire, je hochai la tête, et après quelques discussions, chacun prit son chemin, Tommy et Berry coupant à travers champs, et moi faisant demi-tour vers le vélo. Je tâchais d'effacer de mon esprit que je courais le risque de ne jamais les revoir. Une fois arrivé à sa hauteur, je le soulevai hors des blés pour le ramener sur la route, puis m'arrêtai quelques instants, le guidon à la main.

Faire semblant d'avoir un problème de vélo, hein ?

Je me remémorais mon costume de scène, et décidait qu'il était suffisamment couvrant pour que je puisse prendre ce risque. Après tout, si j'avais la chance d'être encore là demain, les bleus, ça se maquille. Je l'enfourchais, pédalais un moment pour me rapprocher des bâtiments avant de viser sciemment le fossé de droite et de m'étaler dans un grand cri.

Putain, ça fait mal, quand même. Mais ils ont dû m'entendre.

De fait, ils m'avaient tellement entendu que j'entendis des pas accourir. Un homme s'approcha, armé d'une lampe torche, un pistolet à la hanche. Il éclaira le fossé et me découvrit toute endolorie, emberlificotée dans le vélo et les herbes folles. J'avais réellement mal, suffisamment pour qu'il ne croie pas à un coup monté.

- Ça va ?

- Euh, pas tout à fait, bredouillais-je en toute honnêteté. En fait, pas du tout.

- Attendez, je viens vous aider, proposa-t-il aimablement.

Il descendit dans le fossé asséché et me souleva du sol, m'aidant à me relever, puis piocha le vélo qui avait souffert plus que moi dans l'histoire.

Mince... J'ai voilé sa roue... Tommy va me tuer.

J'étais debout, le souffle court, écorchée ici et là, et je m'étais pris le guidon dans la hanche, et je m'étais râpé quelques coudes et genoux en tombant, mais mis à part ça, je n'avais pas trop mal. Mon expérience des vélos m'avait appris à éviter le pire. Néanmoins, comme je me retrouvais là, coincée avec un vigile, endolorie et boiteuse, je ne pus m'empêcher de me dire que des fois, j'avais vraiment des idées à la con.

- Il se passe quoi, John ?

- C'est juste une fille, tombée de son vélo ! répondit-il en criant à son collège, avant de reprendre d'une voix plus douce. Ça va aller ?

- J'ai mal à la cheville, mentis-je, je ne crois pas que je pourrais rentrer chez moi comme ça. Et mon vélo... Je ne sais pas s'il pourra rouler de nouveau... La tuile, alors qu'il est déjà si tard !

- Vous voulez entrer ? On a de quoi vous soigner, on pourra vous ramener chez vous en fiacre après.

- Je veux bien, oui, fis-je d'une petite voix en hochant la tête pour cacher mon expression victorieuse.

C'est donc en boitillant soigneusement que je passais à mon tour les portes aux côtés d'un des gardiens, baignant dans un mélange de fierté et d'angoisse. Je me confondais en excuses, usant un peu de séduction au passage pour attirer leur attention autant que possible. La ruse fit effet, puisque ce n'était pas une personne, mais trois, qui me suivirent jusqu'à la cuisine du manoir, où on me fit m'asseoir en attendant désinfectants et pansements. Les gardiens étaient occupés à me faire la conversation, perdant beaucoup de professionnalisme au passage. Il faut dire qu'ils devaient s'ennuyer ferme, avec l'énorme influence de leur patron, leur rôle était essentiellement décoratif. La preuve, j'étais dedans. Je ne savais pas encore ce que j'allais y faire, mais j'étais dedans. Le troisième larron revint avec la trousse à pharmacie et tout le monde fut aux petits soins pour moi. Même après avoir été désinfectée et couverte de pansements, les hommes s'attardèrent à discuter avec moi au lieu de reprendre leur travail.

- Dites-donc, Louis, tu devrais pas retourner aux grilles ? Si le patron voit ça, on va se faire virer à coup sûr.

- Le patron, il verra rien du tout ce soir, il s'est enfermé dans sa chambre avec une fille, répondit son collègue d'un ton goguenard.

Mon cœur rata un battement. La fille, à coup sûr, c'était Edward, enfin, Iris. Elle était bien partie pour passer à la casserole, surtout si elle était encore inconsciente. La certitude que je devais agir au plus vite me traversa comme un éclair. Hors de question de laisser arriver une chose pareille ! Fullmetal Alchemist ou pas, il y avait des traumatismes à éviter. Maintenant que j'avais une piste, il fallait que je me libère de leur attention pour le retrouver, et aussi que je trouve une arme...

Parmi les cuivres accrochés au mur à côté de moi, j'avisai une grande casserole. Avec ça, je pourrais bien en assommer un... Mais les autres ? Ils auraient le temps de me trouer la peau avant que je fasse quoi que ce soit. Il fallait les séparer. Ils n'étaient que trois, je devrais bien trouver une solution, quand même !

S'il y en a un qui part chercher le fiacre, je pourrais m'occuper de l'autre. Mais le troisième ?

Tout en réfléchissant intensément, je me forçai à respirer d'une manière particulière qui me fit bientôt bailler largement, me mettant presque les larmes aux yeux.

- Bon sang, je suis épuisée, je n'ai pas dormi de la nuit. Heureusement que vous êtes là pour m'aider, fis-je d'un ton complaisant, mais j'espère que ma colocataire ne va pas trop s'inquiéter... Je devrais déjà être arrivée à l'heure qu'il est.

- Vous voulez lui téléphoner ?

- On est pas très riches, nous n'avons pas de téléphone chez nous, grimaçais-je tristement. Mais c'est gentil.

- Je vais aller voir l'écurie, peut-être que le fiacre de tout à l'heure est encore harnaché. Sinon je vais faire préparer un attelage.

- C'est gentil, merci beaucoup ! fis-je avec un hochement de tête.

Bon sang, que je suis lèche-cul... pensai-je honteusement. Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour les brosser dans le sens du poil ! Mais au moins, ça en fait déjà un de moins.

Un bruit lointain de coup de feu se fit entendre, faisant monter mon angoisse. C'était sûrement Terry ou Berry qui en étaient la cause... Mais que se passait-il là-bas ? Aucun moyen de le savoir. Je serrai les mains sur mes genoux pour faire passer silencieusement mon angoisse.

- C'était quoi, ça ? s'exclama Louis, le plus bavard.

- Je ne sais pas, on dirait un coup de feu... Il faudrait peut-être aller voir au cas où il y ait un problème, non ?

- J'y vais, répondit-il immédiatement. Je te laisse avec la demoiselle, compléta-t-il, dégainant déjà son arme en quittant la pièce.

En voyant ça, j'avais le cœur qui battait la chamade. Les autres allaient-ils s'en sortir entiers ? Et moi-même, d'ailleurs ? J'en étais de moins en moins sûre. L'autre gardien s'avança vers la fenêtre et se cala contre la vitre en plaçant ses mains au-dessus des yeux pour essayer de voir à l'extérieur.

Il ne me regarde pas, c'est le moment...

- Vous voyez quelque chose ? demandai-je d'une voix volontairement douce et inquiète.

- Non, rien du tout... Je dirais que le son venait du côté des écuries, mais il avait l'air assez loin... D'ici, on ne voit rien du tout...

- C'est inquiétant, tout de même.

- Oh, notre maître est un homme riche, ce n'est pas étonnant de des personnes tentent de venir le voler. C'est pour ça que nous sommes là. Vous voyez, nous sommes présents jour et nuit pour garder sa demeure, des fois nous devons…

Pendant qu'il me décrivait les détails de son travail avec application, sans cesser de chercher à voir ce qui se passait dehors, je me levai silencieusement de la chaise et empoignai la casserole que j'avais repérée pour la décrocher du mur avec d'infinies précautions. Elle pesait bien plus lourd que ce que je pensais, ce qui me donna un sentiment de puissance tandis que je m'approchais de lui. Quelques pas dans un temps qui me parut infini, et j'étais sur lui. Il eut juste le temps de se retourner vers moi, surpris de constater que je m'étais levée, et il se prit la casserole en pleine tête, assommé sur le coup.

- Désolé, t'étais le plus sympa mais je pouvais pas trop faire autrement ! m'excusai-je en joignant les mains à l'intention du corps inanimé. J'espère que tu n'aurais pas trop mal demain, déjà que tu risques de te retrouver au chômage par ma faute...

Je ne m'attardai pas et me faufilai hors de la cuisine après avoir vérifié que la voie était libre, tenant fermement mon arme, et bénissant ma jeunesse de bagarreuse. Le manoir avait l'air désert, ce qui n'était pas pour me déplaire, je n'avais pas vraiment envie d'assommer d'autres inconnus. J'arrivai jusqu'à l'escalier principal, et gravis les marches à petits pas hâtifs en profitant du tapis rouge qui étouffait les sons.

Maintenant, je ne peux plus faire l'innocente... pensai-je en déglutissant.

J'arrivais au premier étage. Manifestement, le manoir était endormi. Je n'avais aucune idée de la population des lieux, les chambres de l'étage pouvaient aussi bien être toutes vides qu'occupées. Pas moyen de faire irruption dans une pièce au hasard, je risquais de me faire repérer avant même de retrouver la trace d'Edward. Je fixais les portes du couloir, supposant que le propriétaire des lieux s'offrait le luxe de dormir la pièce la plus imposante. Mais comment savoir depuis le pallier ?

J'entendis un hurlement à peine humain et un grand bruit, et reconnus la voix d'Edward. Voilà qui répondait à ma question. Je me précipitai, traînant l'énorme casserole dans mon sillage, dans la direction des cris. J'entendis des coups, comme des bruits de lutte et mon cœur paniqua, cherchant à sortir de tous les côtés. J'arrivais trop tard ? A quel point ? Que se passait-il là-bas ?

L'espace d'un instant, des images horribles me traversèrent l'esprit, et je me demandais si je serais capable de soutenir le regard d'Iris, enfin, d'Edward, après ça. J'étais totalement coupable, jamais je n'aurais dû accepter ce plan bourré de failles, il aurait fallu être parfaitement au point avant d'agir, et si... Si...

Je tentai fébrilement d'ouvrir la porte, qui était évidemment fermée à clé. Alors je n'hésitai pas une seconde et frappai la serrure de toutes mes forces et de tout le poids de ma casserole, une fois, deux fois, tordant la clenche, faisant sauter le verrou, brisant le bois, faisant trembler les murs sans couvrir pour autant les hurlements. Au cinquième coup, la porte s'ouvrit en grand et claqua contre le mur, me laissant débouler dans la pièce, brûlante de panique, débordée d'un affreux sentiment d'urgence, et...

Je me figeai face à la scène.

Iris s'était redressée et rouait Ian Landry de coups en crachant à pleins poumons toutes les insanités dont elle était capable. Des menottes cassées pendaient à ses poignets, cliquetant au moindre mouvement, et la manière dont elle distribuait des coups de pieds à l'homme à terre, son visage cramoisi de colère, associée à sa tenue de jeune fille sage, rendait la scène totalement invraisemblable. Je restai immobile face à ce spectacle, incapable d'assimiler l'idée que ce qui se déroulait sous mes yeux soit bien la réalité. Notre ennemi inatteignable, Ian Landry, s'était recroquevillé sous la pluie de coups, protégeant comme il pouvait sa tête de ses mains, pitoyable de faiblesse face à l'ouragan de rage qu'était devenu l'adolescent. Maintenant qu'il se déchaînait sur notre ennemi, je n'arrivais plus vraiment à penser à lui au féminin, frappé par la violence effrayante dont il faisait preuve.

J'avais beau savoir que je n'avais rien à craindre de sa part, j'eus un sursaut quand le blond tourna la tête vers moi avec l'expression d'un chat sauvage. Soudainement, il me faisait peur.

- Ah, Roxane, tu es là ! s'exclama-t-il de sa voix de garçon, le visage s'illuminant à ma vue, étrangement à l'aise malgré le contexte rocambolesque de la situation. Berry aussi est dans le coin, je suppose ?

- Oui, et Tommy, aussi.

- Cool ! Une recrue de plus !

Je hochai la tête, éberluée, et rassemblai le peu de bon sens qui me restait pour poser la question fatidique.

- Qu'est-ce qui s'est passé ici ? bredouillai-je.

- Bah, je me suis fait enlever comme un bleu, avoua-t-il en se grattant la nuque d'un air gêné, faisant cliqueter la chaîne brisée de sa menotte. Et quand je me suis réveillé ici, ce pervers détraqué essayait de... d'enlever ma culotte. Du coup j'ai un peu paniqué, je l'ai frappé pour me défendre, et... euhm... J'en ai peut-être trop fait... marmonna-il en baissant les yeux vers sa victime ensanglantée qui semblait maintenant inconsciente.

- Il t'a enlevé ta culotte ? demandai-je d'un ton un peu fébrile. Rien d'autre ?

- Bah... ça. fit simplement Edward en désignant son décolleté déboutonné sur son soutien-gorge.

Il avait grimacé de dégoût en prononçant ce mot, mais il en était ressorti indemne et ne semblait pas trop choqué par les événements. En fait, il semblait ne pas avoir parfaitement conscience de ce à quoi il avait échappé de justesse. J'en étais très heureuse. Je me sentis tellement soulagée que je l'attrapai et le serrai largement dans mes bras en l'étouffant à moitié, ce qui acheva de calmer la furie blonde. Une furie qui venait de péter ses menottes à mains nues et castagner énergiquement le plus grand mafieux de la ville.

- Tu crois que j'en ai trop fait ? murmura-t-il d'un ton inquiet, sans se débattre pour échapper à mon étreinte. Il bouge plus... Comment on va retrouver les filles s'il ne peut plus parler ?

- Je crois que c'est ce qu'on appelle un retour de karma, répondis-je en me penchant sur lui avec un regard méprisant. Il n'a eu que ce qu'il mérite.

Je lâchai quand même Edward et m'accroupis pour prendre le pouls de l'homme sous sa mâchoire, et sentis qu'il battait encore.

- Bon, rassure-toi, il est encore vivant on dirait. Tu l'as bien amoché, mais je n'ai pas vraiment pitié de lui. Par contre, il faut aller aider les autres, je ne sais pas du tout comment il s'en sortent de leur côté, et je suis pas très rassurée. Ce ne sont pas vraiment des experts...

- Oui, tu as raison. Mais même s'il ne parlera pas tout de suite, on le récupère, quand même... Pas question de le laisser filer !

- Surtout qu'en cas de problème, il peut faire un bon otage.

- Roxane, j'aime ton esprit pratique, fit l'adolescent en se penchant sur notre ennemi inanimé pour fouiller et lui ôter toute arme. Il lui retira sa veste, puis sortit un opinel de sa poche de pantalon. Il jeta ce couteau dans un coin de la pièce, et me tendit un pistolet qu'il avait tiré de la poche intérieure de la veste.

- Pourquoi moi ? Je déteste ces trucs et je ne sais pas vraiment m'en servir, fis-je d'un ton un peu craintif.

- C'est juste le temps de me changer.

- Te changer ?

A ce moment-là, Edward claqua dans ses mains et les plaqua sur sa poitrine, et la pièce fut envahie d'un éclat de lumière bleue qui l'enveloppa, fusionnant sa robe et la veste qu'il avait au bras pour l'habiller d'un pantalon noir et d'une chemise bleu nuit. Sans doute aplatie sous une bande de tissu serrée, sa poitrine semblait avoir soudainement disparu. En un claquement de doigts, il était officiellement redevenu un garçon. Les menottes brisées tombèrent sur le parquet avec un cliquetis, et j'étais tellement stupéfaite que ma mâchoire inférieure aurait pu les rejoindre. Il les reprit et les transmuta de nouveau pour les refermer sur les poignets de Ian Landry. J'ouvrai des yeux en billes de loto.

- Tu peux faire ça, toi ? lâchai-je, stupéfaite tandis qu'il reprenait le pistolet pour le caler dans sa poche de pantalon fraîchement créée après avoir vérifié que la sécurité était bien enclenchée.

- Je maîtrise l'alchimie à un haut niveau, tu te rappelles ? répondit-il en levant les deux pouces avec un sourire. Enfin, je peux te dire que je me sens quand même carrément plus à l'aise habillé en homme. Allez, on prend le truc au passage, et on rejoint les autres !

Nous nous installâmes de part et d'autre pour soulever le « truc » en question, moi par les bras, lui par les pieds, calant les deux membres sous notre coude avant de repartir à pas vifs. J'étais impressionnée après cette démonstration de force, me rendant compte d'à quel point l'impression de petitesse et de fragilité qu'il pouvait dégager à certains moments était trompeuse. Je comprenais mieux pourquoi il faisait partie de l'armée, c'était une véritable machine de guerre à lui seul, non seulement pour sa force physique mais surtout pour ses talents d'alchimie.

Bien que les cris d'Edward aient rameuté du monde dans le manoir, la suite de notre assaut se fit sans véritable résistance. C'est presque avec nonchalance qu'Edward claquait dans ses mains, gardant les genoux de Ian Landry coincés sous le coude, avant de tendre son bras libre vers le mur pour transmuter le bâtiment à sa guise, sous les yeux ahuris des témoins qui voyaient les murs changer de place, s'abattre sur eux, les portes s'ouvrir et les appliques changer de forme pour donner des coups de poing aux hommes de main d'Ian Landry. Face à son habileté, nos ennemis n'étaient gère plus que des marionnettes. Moi qui n'avais jamais vu de transmutation alchimique jusque-là, je découvris tout le potentiel de cette discipline. J'étais vraiment impressionnée, presque effrayée par la puissance de cette personne avec qui j'avais partagé ma vie depuis une semaine. En le suivant au milieu du champ de bataille, un peu hébétée, je notais mentalement de ne jamais, au grand jamais, m'en faire un ennemi.

Pourtant, malgré le respect vaguement inquiet qu'il m'inspirait à présent, je persistais à me dire que j'étais vraiment, vraiment soulagée qu'il ait échappé au pire.