Bonsoir ! Désolé pour l'attente, je poste assez tard, mais je ne vous oublie pas, promis !
C'est l'heure du nouveau chapitre de Bras de fer. Vous allez enfin savoir ce qui est arrivé à Edward... alors, vous avez peur ? XD (comment ça je suis sadique ? Vous n'avez encore rien vu :P) J'espère que ce chapitre sera à la hauteur de l'attente, et que vous l'aimerez autant que moi. Pour ce passage, comme pour le dessin qui vient avec, je sors complètement de ma zone de confort. Oui, je me suis encore fait avoir à viser trop haut pour cette illustration du coup, elle sera en retard, mais je pense qu'elle vaudra largement l'attente. ;)
Je vous remercie du fond du coeur de suivre et commenter cette fic (qui a d'ailleurs atteint 70 reviews aujourd'hui, yay !) Vos retours sont mon carburant ! ;)
Bref, je m'arrête là, et vous souhaite une bonne aventure !
Chapitre 23 : Passage Floriane (Edward)
J'étais dans l'aile Est du bâtiment principale du QG, mon dossier sous le bras, traversant les couloirs d'un pas hésitant. J'avais encore un peu de mal à retrouver où était le bureau où je devais me rendre, car contrairement au quartier général d'East-city que je connaissais comme ma poche, je n'étais familier qu'avec une petite partie des bâtiments d'ici, qui formaient une véritable cité encastrée dans la capitale, avec ses bureaux, ses dortoirs, ses lieux de restauration, d'entraînement, et même de détente. L'architecture, sous son apparence rectiligne, n'avait pas forcément une structure très logique une fois à l'intérieur, et comme tout le monde semblait bien rangé à sa place, je ne croisai personne dans les couloirs qui aurait pu m'aiguiller sur la direction à prendre. Il régnait dans les lieux un silence studieux qui me crispait un peu.
Alors, quand la porte à ma droite s'ouvrit violemment, laissant passer le Colonel et toute son équipe qui sortait de son bureau à pas précipités, je fis un gigantesque bond de surprise.
- Fullmetal, tu tombes bien ! fit-il en me reconnaissant. Viens avec nous, on va avoir besoin de monde !
Il avait fait geste de me suivre tout en parlant d'un ton qui ne souffrait aucune réplique, l'air inhabituellement sévère.
- Je viens... pourquoi ? bredouillai-je, un peu désarçonné.
Ma question tomba un peu dans le vide, car Mustang avait déjà passé le coin du couloir, Havoc et Fuery sur les talons, Breda et Falman un peu derrière. Je me retrouvai seul à côté de Riza, enfin, de Hawkeye, qui fermait la porte à clé d'un geste sûr, prête à les rattraper.
- Qu'est-ce qui se passe ? insistai-je, à la fois irrité et inquiet.
- Une prise d'otages dans le passage Floriane, répondit-elle promptement. Les terroristes ont appelé le QG pour annoncer leurs revendications. Apparemment ils détiennent plus de quarante personnes en otage et sont prêts à les exécuter si on n'obtempère pas.
Elle s'était mise en marche tout en me résumant la situation, me forçant à la suivre à pas rapide pour rester à sa hauteur. J'avais encore mon dossier de rapport, celui-là même que je pensais remettre avant de repartir, cinq minutes après. J'étais censé rejoindre Al qui était resté dans la maison des Hugues pour garder Elysia. Je lui avais promis d'être rapide. J'avais un peu le sentiment de m'être fait avoir, mais maintenant que j'étais là, il était un peu tard pour faire demi-tour. Jamais je ne serais assez sans-cœur pour abandonner des dizaines de personnes à leur sort si je pouvais y changer quelque chose.
- Qu'est-ce qu'ils veulent ? demandai-je du même ton vif.
- Tu te souviens de Bald, le dirigeant du Front de libération de l'Est ?
- Le crétin qui avait tenté de détourner un train pour prendre en otage le Général Haruko et sa famille ? Comment pourrais-je l'oublier, c'est moi qui l'ai arrêté à l'époque, et je suis censé l'escorter pour son jugement dans quelques jours !
- Eh bien, ils demandent sa libération immédiate, ainsi que celle de ses complices.
- Comment savaient-ils qu'il était à Central-City ? Je croyais que les journaux n'en avaient pas parlé.
- Je ne sais pas, et c'est assez mauvais signe. Peut-être ont-ils une taupe dans l'armée. Toujours est-il qu'en frappant Central-city, le mouvement se fera connaître bien plus largement que quand il se cantonnait à attaquer la région Est.
- A leurs risques et périls, commentai-je alors que Fuery nous attendait sur le trottoir, à côté des véhicules de fonction.
Riza lui fit un geste rapide, et il s'engouffra avec nous dans la voiture suivante, manifestement soulagé de ne pas avoir à passer le trajet coincé entre Falman et Breda, dont la carrure faisait un voisin vraiment inconfortable. Riza empoigna le volant et démarra la moteur, s'élançant à la suite du reste de l'équipe.
- Quand je vois comme l'armée a tendance à appliquer une justice expéditive, je ne comprends pas comment Bald peut être encore vivant... J'en viendrais presque à regretter qu'il ne soit pas exécuté, nous n'aurions pas à régler ce genre de problèmes !
Justement, pensai-je. Le Front de libération de l'Est n'a sûrement aucune preuve du complot des Homonculus... Tant qu'ils ne font que des attaques de petite envergure, ils ne font que justifier l'existence d'une armée forte, mais ne menacent pas une seconde le système en place. Au contraire, ils le justifient.
- Les hautes instances ne les considèrent probablement pas comme étant assez dangereux pour être traités au sérieux…
Pas comme Shou Tucker ou le cinquième laboratoire, qu'ils se hâtaient de faire disparaître à tout prix...
Riza conduisait vite et bien, mais, un plus respectueuse du code de la route que son supérieur, elle nous fit arriver un peu plus tard sur les lieux. Le moteur n'était pas encore coupé que je sautai hors de la voiture, me précipitant vers les lieux. Les gendarmes avaient tendu des rubans de sécurité et gardaient l'entrée, visiblement dépassés par la situation. En me voyant arriver, ils se retournèrent, manifestement prêts à m'arrêter pour m'interdire d'entrer. Je sortais la montre de ma poche, sans cesser de courir, et la leur tendit avec une simple exclamation.
- Ne me faites pas perdre de temps !
Comme je ne ralentissais pas et qu'il y avait deux militaires à ma suite, ils obéirent et s'écartèrent pour me laisser passer. Je sautai par-dessus le périmètre de sécurité sans difficulté et arrivai dans la rue, où quelques voitures de l'armée s'étaient garées et deux tables de fortune dressées. Il y avait une foule de gens que les gendarmes peinaient à maîtriser, sans doute des témoins de la scène à qui on allait faire subir un interrogatoire. Reconnaissant la silhouette de Mustang parmi les militaires présents qui parlaient et s'affairaient à quelques pas de l'entrée du passage couvert, je passai un deuxième cordon de sécurité et me dirigeai vers lui, toujours accompagné de mes deux collègues.
- Quelle est la situation ? demanda Riza du ton sévère qui était le sien.
- La zone n'est pas sécurisée, répondit l'un des miliaires. Ils se sont retranchés dans la boutique Vendoeuvre et communiquent leurs réclamations par mégaphone. Ils semblent être lourdement armés.
Je n'écoutais que d'une oreille, m'approchant à grands pas de l'entrée du passage, prêt à en découdre pour que cette affaire se termine au plus vite. Les preneurs d'otage avaient le don de me mettre hors de moi, comme toute personne abusant des plus faibles. C'est pourquoi, trop occupé à bouillonner intérieurement, je ne compris pas tout de suite ce qui se passait.
Des cris de part et d'autre me firent réaliser qu'il y avait un problème sans comprendre immédiatement l'ampleur de mon erreur. Je sentis un bras me barrer la route, sa main se refermant sur mon épaule d'une poigne presque douloureuse pour me tirer brutalement en arrière tandis que des balles ricochaient contre la pierre dans un crépitement assourdissant. Entendant les cris, voyant les éclats de pierre sauter du porche d'entrée, j'ouvris de grands yeux, réalisant à que point la mort m'avait frôlée sans pouvoir m'empêcher de paniquer pour une autre raison. Mon dos était plaqué tout entier contre le torse de la personne derrière moi, son bras barrait ma poitrine et me serra contre lui pendant exactement trois battements de cœur.
Un, l'uniforme militaire, ce gant blanc frappé d'un sceau rouge, cette odeur piquante et épicée, c'était lui.
Deux, s'il n'avait pas été là pour me retenir, je me serais fait trouer la peau, je serais sans doute un cadavre en train de me vider de mon sang sur le trottoir.
Trois, sa main enserrait mon épaule, son bras était contre ma poitrine, je sentais la chaleur de son corps malgré les couches de tissus qui nous séparaient, une chaleur brûlante qui me fit suffoquer. Mes bandages suffisaient-ils à dissimuler la vérité ? Est-ce qu'il avait senti ? J'avais l'impression que mon cœur allait éclater.
Je me dégageai brutalement, paniquant à cette idée, et reculai d'un pas un peu titubant pour me retrouver dos au mur, devinant la silhouette du Colonel sans être capable de lever les yeux vers lui, trop taraudé par la honte et la peur de ce que je pourrai y découvrir. Mon pouls tapait dans ma gorge, trop fort et trop vite, comme si lui aussi martelait cette angoisse. Il sait, Il sait, Il sait…
- PETIT CON ! ! hurla-t-il à plein poumons. QU'EST-CE QUE TU NE COMPRENDS PAS DANS LA PHRASE « LA ZONE N'EST PAS SECURISEE » ? TU VEUX MOURIR AVANT D'ÊTRE MAJEUR OU QUOI ? !
D'habitude, j'aurais réagi au quart de tour à l'insulte, mais jamais je n'avais entendu le Colonel me parler comme ça, et j'étais trop désarçonné pour réagir accessoirement, il venait sans doute de me sauver la vie, râler aurait sans doute été déplacé. L'opération n'avait même pas commencé, et il était déjà furieux contre moi. Débordé par cette idée en plus de la peur d'être découvert, je me sentis tout à coup très mal.
- On sait qu'ils sont lourdement armés, on vient d'en avoir la preuve avec l'imbécile qui me sert de subordonné, continua-t-il en me tournant le dos, s'adressant d'une voix plus normale aux autres personnes présentes. Je compte sur vous pour interroger les témoins, on a besoin de se faire une idée plus précise de ce qui se passe là-dedans ! Prenez les mains courantes, comparez les versions, et occupez-vous de ces gens, ils doivent être en état de choc.
Les gendarmes firent un salut presque servile au Colonel avant de se diriger vers le bout de la rue, manifestement heureux de s'éloigner de la zone de crise. Me tournant le dos comme si je n'existais plus, Mustang continua à donner des instructions aux uns et aux autres, dominant la situation pendant que je le regardais faire, encore adossé au mur, un peu hébété, le coeur ralentissant en même temps que la boucle de mes pensées.
Qu'est-ce qui m'avait pris d'être aussi con ?
Il m'avait protégé.
Il m'avait touché.
J'avais tellement peu l'habitude des contacts physiques, si on excluait Winry réparant mes automails et les combats, que ce simple fait, plus encore que d'avoir échappé aux balles, me faisait l'effet d'un séisme. Sans vraiment m'en rendre compte, j'avais croisé mes bras et mes mains les enserraient comme pour m'empêcher de trembler. S'il ne jetait pas un coup d'oeil dans ma direction, les autres militaires me coulaient des regards curieux, et je ne voulais pas montrer de signe de faiblesse, malgré mon état intérieur.
S'il avait remarqué ma poitrine, s'il s'en était rendu compte ? S'il avait compris ce que je lui cachais depuis des jours ? Si c'était la raison de sa colère ? Je l'épiai de manière peu discrète tandis qu'il dictait des ordres à Fuery, lui demandant de bricoler une ligne d'écoute pour pouvoir en savoir plus sur leurs intentions, et me dis qu'il aurait quand même eu l'air un minimum surpris s'il avait remarqué quelque chose de suspect. Après tout, il suffisait de me souvenir de la tête qu'avait faite Havoc quand il avait découvert la vérité pour être convaincu qu'une chose pareille ne passait pas comme une lettre à la poste. D'un autre côté, j'étais bien placé pour connaître les talents d'acteur de Mustang, lui qui était dans la confidence de l'évasion de Hugues, pour quand même avoir des doutes. Impossible de le demander sans me trahir. Enfin, de toute façon, il avait d'autres chats à fouetter pour le moment.
Au moment où je me fis cette réflexion, me raffermissant un peu, Mustang tourna la tête vers moi et m'apostropha sans douceur.
- Toi ! fit-il d'une voix forte et sévère en me montrant du doigt, m'extirpant de ma confusion. Je t'interdis de mourir sous ma juridiction, ça fait trop de paperasses à remplir. Compris ?
- Compris, murmurai-je d'une voix contrite, les oreilles rougies par la honte.
Il me parle comme à un enfant. Je suis ridicule...
Je repensai dans un flash à Alphonse qui se plaignait quand j'en faisais autant, et réalisai qu'il était sans doute en train de m'attendre avec une inquiétude croissante, tout en gardant Elysia. Qu'est-ce que je fichais ? Il fallait que je me ressaisisse. Non seulement je n'étais pas à ses côtés alors que je l'avais promis, mais en plus j'avais failli mourir, ou du moins être gravement blessé, de la manière la plus stupide qui soit. Je ne pouvais pas me permettre de l'abandonner comme ça. Je devais faire de mon mieux pour rester en un seul morceau.
- Fullmetal, tu vas aller en avant-garde pour les espionner. Fuery est en train de travailler sur le matériel qu'on vient d'apporter. Ta mission sera de les approcher discrètement par les toits pour installer le système d'écoute.
- Bien, Colonel, fis-je d'une voix distante, peinant encore à savoir quoi penser de la situation.
Pourquoi me confier cette tâche alors que je venais juste de faire n'importe quoi ? Il n'aurait pas plutôt dû m'écarter de l'action avant que je commette une nouvelle bourde ? Je levai la tête vers lui et croisai ses yeux noirs et insondables où perçait encore la colère. Sans trop savoir comment, je compris qu'il me faisait malgré tout confiance, et cette prise de conscience qui aurait dû me soulager me mis encore plus mal à l'aise.
Il fallait que je sois à la hauteur.
- Falman a contacté la bibliothèque pour récupérer les plans de construction et chercher d'éventuelles failles qui pourraient nous être utiles, annonça Riza en revenant vers nous après avoir récolté les informations. Fuery a encore besoin d'un peu de temps pour finir son travail.
- Tâche d'utiliser ce temps mort pour te concentrer et être à la hauteur quand ça sera à toi d'agir.
Je hochai la tête en déglutissant péniblement. J'avais la gorge sèche.
- Et vous, Colonel, vous allez faire quoi ?
- La négociation.
Je serrai les dents Mon rôle était négligeable à côté de celui qui lui incombait. Lui allait avoir la vie de dizaines de civils sous sa responsabilité, littéralement. Obéissant, je fis quelques pas pour m'asseoir sur le seuil de l'immeuble adjacent au passage, tâchant de faire le vide dans ma tête pour me concentrer sur ce que j'allais avoir à faire.
Marcher sur les toits, ça ne me faisait pas peur, j'en avais même l'habitude, et c'était sans doute pour ça qu'il me l'avait demandé. Si je devais escalader la verrière, en revanche, ça risquait d'être une autre histoire... Comment ne pas se faire repérer ? Surtout que les structures n'étaient plus toutes jeunes et risquaient de céder sous mon poids. Dans ce cas-là mon avenir ne ferait pas un pli. Il fallait prendre en compte la direction du soleil, pour que mon ombre ne se projette pas dans le passage. Une autre difficulté allait être le fil que j'allais devoir amener avec moi. Allait-il être assez long pour tout le chemin que j'allais avoir à faire ? En plus, il risquait de me gêner dans mes mouvements, ce qui allait m'obliger à être encore plus attentif.
Falman arriva avec les plans et ils furent étalés sur une table de fortune. Je me penchai dessus avec lui, et tentai de trouver le meilleur moyen d'approcher la boutique où ils s'étaient installés, tout en jetant des coups d'œil furtifs au Colonel à qui Riza amenait un mégaphone. Je le vis pencher les yeux vers l'objet qu'il étudia attentivement avant de relever la tête pour échanger quelques mots que je ne pouvais pas entendre d'ici. Son expression sérieuse, presque inquiète, me noua un peu la gorge, et j'aurais voulu entendre leurs échanges, même si ça ne m'aurait sans doute servi à rien. Même en tentant de me raisonner en me rappelant que ma poitrine n'était pas si volumineuse, et les bandages foutrement efficaces, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander s'il avait compris, et de redouter la discussion qui risquait arriver la prochaine fois que nous serions seuls.
- Edward, arrête d'être à côté de la plaque ! balança mon collègue d'un ton irrité. On a besoin que tout le monde soit là à cent pour cent, il y a la vie de dizaines de civils en jeu.
- Désolé, fis-je d'un ton précipité en me sentant rougir, tandis que je baissais les yeux vers le plan.
Falman n'était pas tendre avec moi depuis le début de l'affaire de Barry le Boucher. Il faut dire que nous n'étions pas faits pour travailler ensemble, j'avais du mal avec sa manière d'agir, lui encore plus avec la mienne, et ne se privait pas de me le faire savoir. Pourtant, j'avais senti un certain respect après avoir neutralisé le meurtrier, comme s'il avait compris que nos méthodes, si elles étaient sans doute incompatibles, n'étaient ni meilleures ni pires. Depuis, il mâchait encore moins ses mots, mais paradoxalement, cela me gênait moins. Après tout, il avait souvent raison. Comme maintenant.
Je mis de côté mes questionnements et me replongeai dans l'étude des plans. Ensemble, nous arrivâmes à la conclusion que la meilleure chose à faire était de passer par les toits en arrivant de l'Est, et que je glisse le micro dans le système d'aération. Fuery et quelques autres avaient réquisitionné un appartement au troisième étage, à proximité de la galerie, pour y monter la table d'écoute. Je le rejoignis, laissant à contrecœur Riza et Mustang qui discutaient à voix basse en consultant des rapports qu'ils avaient fait venir de la troisième bibliothèque.
Je perdis de vue cette rue habituellement pleine de vie, pour l'heure vide et baignée par une lumière déclinante de fin d'après-midi dont l'apparence chaleureuse rendait le silence des lieux encore plus glaçant.
Je montai les trois étages à la suite de Falman, serrant les dents. Malgré les soldats qui allaient et venaient fébrilement, le bruit qu'ils faisaient ne meublait pas le profond silence qui régnait en arrière-plan. Plus une voiture, plus un passant, plus un cri d'enfant ne brisait ce vide assourdissant, anormal en pleine ville, si pesant…
Une fois arrivés sur le pallier, nous trouvâmes facilement notre chemin vers la porte de la salle d'écoute improvisée. C'était une simple chambre de bonne à l'aménagement rustique, dont les militaires avaient fracturé la porte pour pouvoir entrer.
La pièce exiguë était manifestement le repaire d'un artiste et comportait une table, un lit, un chevalet portant un tableau inachevé, quelques placards et beaucoup de désordre, le tout éclairé par un large vasistas. Tout était envahi de câbles et de matériel dont je ne comprenais pas parfaitement le fonctionnement. Fuery et les deux personnes qui l'aidaient avaient sommairement poussé le bric-à-brac qui couvrait la table, créant un tas chaotique de livres, pots de pigments et bouteilles de térébenthine, pinceaux et papiers un peu froissés, parmi lesquels une assiette de pain perdu inachevé, et ses couverts s'appuyaient contre le dispositif d'enregistrement dans un équilibre précaire. Il émanait de cette pièce une odeur disparate, pas forcément agréable, mais apaisante ; peut-être parce qu'elle renvoyait à un quotidien tranquille.
Fuery était assis à la table, posé sur un tabouret de bois qu'il avait manifestement piqué là, et manipulait le matériel avec l'assurance de celui qui savait parfaitement où il allait. Avec cette expression concentrée, il était presque méconnaissable pour moi qui étais plus habitué à ses mines presque enfantines.
Au bout de longues secondes, il réalisa notre présence et se tourna vivement vers nous. En me voyant, son visage s'éclaira d'un sourire plus familier.
- Edward, tu es arrivé ! Tu tombes bien, je viens de finir ! Je t'explique ?
- Je t'écoute, répondis-je, me sentant un tout petit peu plus détendu grâce à sa présence chaleureuse.
- Alors, ici, j'ai installé le lieu d'enregistrement : il y a les bandes d'enregistrement, les câbles, les écouteurs... Cette partie-là, c'est nous qui nous en occupons, tu n'as pas à t'en soucier. Toi, ce que tu auras, c'est ça, expliqua-t-il en tendant le doigt vers deux imposants tas de câbles soigneusement enroulés. Le premier, c'est le micro, ce qui nous permettra de les mettre sur écoute pour en savoir plus sur la situation. Pour le deuxième, j'ai préparé un casque et un micro pour que nous puissions communiquer pendant que tu avances, comme ça on pourra te dire si la qualité du son est suffisante ou non et tu pourras aussi être notre témoin oculaire.
- D'accord. Il y a un système de mise en marche/arrêt ?
- Pour notre ligne directe, le contrôle se fait d'ici. Elle marche déjà, mais il faudra lancer l'enregistrement sur bandes quand tu te seras mis en route. Le micro a un bouton que tu devras allumer une fois arrivé sur les lieux, avant de le faire descendre dans le tuyau d'aération.
- Ok. Pour le fil, tu es sûr qu'il y aura assez ?
- Sûr, je ne suis jamais sûr... mais on a quarante mètres pour l'un, trente-cinq pour l'autre, à priori, ça devrait suffire.
- Me déplacer avec des kilomètres de câbles comme ça, ça ne va pas être de la tarte. On ne peut pas avoir une connexion radio pour les discussions internes ?
- On ne sait pas ce qu'ils ont comme équipement, soupira Fuery. On court le risque qu'ils soient équipés en talkie-walkie et puissent nous intercepter. Avec une bonne connexion filaire, il est impossible pour eux de capter nos communications.
- Je vois... tu as vraiment pensé à tout, commentai-je.
Donc... je vais faire le funambule sur les toits avec des kilos de fils sur les épaules en espérant qu'on va pouvoir maîtriser la situation sans qu'il y ait trop de morts. Super...
Je repensai à mon frère. Ça devait bien faire deux heures et demie que j'étais parti avec la promesse de le rejoindre rapidement. Finalement, je pourrais m'estimer heureux si je rentrais en vie. Je poussai un soupir et secouai la tête pour chasser ces idées. Le meilleur moyen de ne pas mourir, c'était encore de rester concentré.
Fuery m'équipa, le casque sur les oreilles, le micro accroché par une pince à l'intérieur de mon col, puis me demanda de chuchoter dedans pour tester la qualité de la communication et faire quelques réglages. C'était très étrange de discuter par radio interposée alors qu'il n'était qu'à deux mètres de moi, mais il valait mieux tester maintenant que sur les toits. Il me fit ensuite enlever ma veste pour faire passer les deux fils qui se joignaient dans le dos en un seul, afin qu'ils ne me gênent pas trop, et fixa les deux câblages à ma ceinture pour éviter que je les perde s'ils se coinçaient quelque part lors de ma progression. Puis je remis ma veste avec un certain soulagement, baissai le casque qui resta posé autour de mon cou et, avec l'aide de ses deux assistants passai de larges boucles du câble du micro sur mon épaule droite. L'ensemble, une fois prêt, pesait plusieurs kilos. Quand je réalisai que pour passer la mansarde, les militaires allaient devoir me faire la courte échelle, je ne me sentis de nouveau mal à l'aise.
Je ne veux pas être touché, pensai-je malgré moi.
Cette idée me mettait mal à l'aise, sans doute parce que la peur d'être découvert, que j'avais réussi à faire taire ces derniers jours, était revenue d'autant plus forte. Mais je n'étais pas dans une situation qui me permettait ce genre de caprices. Je déglutis et posai à contrecœur mon pied droit dans les mains jointes des deux militaires qui étaient venus aider Fuery, et empoignai fermement leurs épaules pour ne pas perdre l'équilibre. Ils me soulevèrent sans difficulté majeure, mais durent lever haut les bras pour que je puisse avoir une prise suffisante pour pouvoir me hisser hors de la pièce. Le vasistas ne pouvant pas s'ouvrir complètement, l'espace pour sortir était un peu étroit, et engoncé dans mes câbles, je me sentais comme un chat qui s'escrimait à vouloir rentrer dans un trou trop petit pour lui. Prenant appui une dernière fois sur la main d'un des militaires, je finis tout de même par m'extraire. Le vent me balaya le visage et me remit les idées en place.
Je posai mes mains et mes pieds bien à plat pour éviter de glisser sur les ardoises du toit, et me penchai vers l'intérieur pour confirmer aux autres que tout allait bien. Le temps était au beau fixe, ce qui allait faciliter mes déplacements, la surface étant beaucoup moins glissante que s'il avait plu. Malgré tout, je savais que j'allais devoir faire attention, je ne serais pas aussi habile que d'habitude en étant chargé de plusieurs kilos de câbles.
Je replaçai le casque sur mes oreilles, qui étouffa tout bruit alentour, compris que je ne pourrais pas rester dangereusement isolé de la sorte, et le calai de guingois, un côté sur l'oreille, l'autre juste derrière. Comme ça, j'entendrais aussi les sons extérieurs, à commencer par le bruit de mes propres déplacements.
- Edward, tu m'entends ?
J'entendais la voix de Fuery, à la fois depuis la fenêtre, et dans une version plus nasillarde et crachotante, dans mon oreille droite. Le dispositif fonctionnait bel et bien. Je tournai la tête, mettant le nez sur le micro de manière peu naturelle pour répondre.
- Je t'entends parfaitement, Fuery.
- Parfait. On te laisse partir en avant-garde. Courage à toi !
- Merci !
- Tiens-nous au courant de ta progression, pour qu'on soit sûrs de garder le contact.
- Ça marche.
J'entamai ma progression le long du toit, un peu en contrebas du faîte, hors de portée de vue de ma cible, la galerie Floriane à ma droite, le vide donnant sur une cour arborée à ma gauche. Pendant quelques mètres, je profitai du jeu laissé par les câbles, mais bien vite, ils se retrouvèrent tendus et je dus défaire les larges boucles qui pesaient sur mes épaules au fur et à mesure que j'avançais, ce qui m'obligeait à m'asseoir sur les tuiles du toit pour éviter de perdre l'équilibre, ralentissant énormément ma progression.
Depuis mon perchoir, j'entendis la discussion au mégaphone entre le Colonel et les terroristes.
- Ici le Colonel Mustang, vous vouliez traiter avec moi ! Identifiez-vous et dites-nous vos intentions !
- Ici Bratt ! Nous sommes du Front de Libération de l'Est, nous avons quarante-huit personnes en otage, nous demandons la libération de Bald et ses associés, sans conditions et sans poursuites.
- Bald est jugé pour ses crimes, vous vous doutez qu'on ne va pas le laisser partir aussi facilement.
- Si vous parlez de l'attaque du train, vous n'avez encore rien vu ! Libérez-les ou nous exécuterons les otages un par un !
- Vous ne ferez qu'aggraver votre cas si vous faites ça !
- Vous nous traitez par le mépris depuis des années et niez notre existence... Aujourd'hui, nous sommes là pour vous montrer de quoi le Front de libération de l'Est est capable ! Libérez Bald et son équipe et nous relâcherons les otages. Vous avez deux heures !
L'échange s'arrêta là, me laissant blême. A quoi jouaient-ils, alors qu'ils n'avaient aucun moyen d'être assurés que Bald soit libéré ? À moins que... qu'ils aient un système de communication particulièrement efficace. A moins qu'ils aient un contact dans l'armée. Reprenant mon avancée, je me dis qu'il avait été sage de choisir un système impossible à capter comme celui-ci, même s'il pesait sur mes épaules... Enfin, il pesait de moins en moins au fur et à mesure que j'avançais.
- Fuery, tu as prévu assez de câbles tu penses ? Parce que j'ai l'impression que je vais vite être à court.
- Oui, je me suis basée sur les plans à l'échelle, donc ça devrait être bon. Au pire, tu me diras, je crois que Havoc a transmis de ramener des rallonges, on devrait pouvoir s'en tirer.
- Ok. Pour l'instant ça va, mais je voulais quand même prévenir. J'arrive à l'angle de l'immeuble, je pense que je vais passer de l'autre côté et me rapprocher. La boutique est bien à l'endroit où la galerie fait un angle à 45 degrés ?
- Oui, c'est ça. Il faut que tu repères la colonne sèche du bâtiment.
- La colonne sèche... marmonnai-je d'un ton désabusé.
- Une sorte de tuyau d'aération qui traverse tous les étages et permet de renouveler l'air dans les appartements et la boutique.
Je poussai un soupir blasé. La dernière fois que je m'étais faufilée dans les conduits d'aération, c'était au cinquième laboratoire, et ça ne s'était pas très bien fini. Je me faufilai, escaladant le toit à quatre pattes en me tenant aussi bas que possible, et jetai un coup d'œil entre les faîteaux formant des arabesques de zinc pour vérifier que je ne risquais rien.
Il n'y avait personne en vue, ce qui était relativement logique. Le deuxième pan du toit plongeait vers la verrière de la galerie marchande, légèrement en contrebas. Si je ne voulais pas être vu, j'allais devoir progresser à quatre pattes, peut-être même à plat ventre. Ils ne semblaient pas avoir prévu qu'on pourrait les attaquer par le dessus, et ne s'étaient absolument pas préparés à ce risque.
Ces imbéciles, ils n'ont rien appris depuis l'attaque du train. Le danger vient toujours d'en haut.
Puis je me rappelai que mon rôle n'était pas d'attaquer mais d'espionner. Je passai précautionneusement pas dessus le faîtage, esquivant les arabesques en forme de fleur de lys, songeant une fois à cheval au-dessus que je moment serait mal choisi pour déraper. Après avoir basculé de l'autre côté, je défis quelques boucles des filins qui me rattachaient à Fuery et au reste de l'équipe. Où en étaient Mustang, Riza, et les autres ? Comment comptaient-ils gérer les choses, alors qu'il y avait un certain nombre de gens enfermés ?
- Fuery, soufflai-je au micro. Tu as des nouvelles du reste de l'équipe ? Ils en sont où ?
- Havoc gère les demandes d'équipement, le Colonel et Hawkeye discutent sur les négociations, Falman étudie la configuration des lieux, et Breda croise les informations données par les témoignages pour en retirer des informations supplémentaires. De ton côté, ça donne quoi ?
- Côté toits, il y a zéro protection. Ça m'étonne qu'ils soient aussi mal préparés d'ailleurs, soufflai-je. Je vais m'approcher, je t'en dis plus très vite.
Joignant le geste à la parole, je roulai à plat ventre et commençai à descendre, plaqué contre le toit, la tête en bas. Une fois au niveau des vasistas, je commençais à voir la verrière en contrebas du toit. Je m'approchai encore, glissai les doigts dans la gouttière pour me faire glisser tout au bord de la toiture, jetant un coup d'œil à la galerie en dessous de moi, les yeux à ras de la pièce d'aluminium.
- Houla, soufflai-je.
- Ça va ? S'inquiéta Fuery
- Je ne suis pas sûr... C'est du sérieux, là dessous.
De là où j'étais, je pouvais voir plusieurs hommes aux habits sombres à l'angle du passage, tous lourdement armés. L'un d'entre eux tenait en joue quelqu'un dans le magasin face à Vendoeuvre, sûrement le propriétaire de la boutique, deux autres étaient plaqués à l'angle du mur, prêts à tirer à coups de mitraillette sur quiconque tentait d'entrer dans le passage. C'était sans doute ceux-là qui avaient failli avoir ma peau tout à l'heure. Un quatrième terroriste, moins lourdement armé, parlait avec eux. Je baissai les yeux pour regarder juste en dessous. Une demi-douzaine d'ennemis en noir se trouvaient au pied du mur, chacun était lourdement équipé. Seul l'un d'entre eux était tourné vers l'intérieur, manifestement en train de parler avec quelqu'un qui était hors de ma vue. De là où j'étais, j'avais tout le loisir de voir les vitrines criblées de balles : les terroristes avaient déjà fait du dégât. J'espérais qu'ils n'avaient pas été aussi brutaux avec leurs prisonniers qu'avec le théâtre de leur attaque.
- Qu'est-ce que tu vois ?
- Face à moi, quatre hommes, l'un tient en joue quelqu'un à l'intérieur de la boutique, deux sont braqués sur l'entrée et le quatrième semble parler. De l'autre côté, juste en dessous de moi, il y a... sept personnes. Il y en a une tournée vers l'intérieur de Vendroeuvre, on dirait qu'il discute avec quelqu'un... Je pense qu'il y a aussi des gens dans la boutique, mais d'ici, je ne peux rien voir. Tout le monde est bien armé.
- Au moins 11 terroristes, fit la voix de Fuery comme s'il parlait à quelqu'un d'autre.
J'entendais des voix plus lointaines dont je peinais à comprendre les mots. Manifestement il y avait d'autres personnes avec lui. Je continuais à fixer la scène à pic, tâchant de saisir la discussion qui se déroulait à distance, quand je vis un mouvement.
- Ah, attendez, il se passe quelque chose ! signalai-je, captant immédiatement leur attention. Le quatrième homme, il rentre dans la librairie... Je ne vois pas bien, il fait sombre... Le deuxième est prêt à tirer...
J'entendis des cris d'indignation, affaiblis par la distance, puis au bout de secondes qui me parurent durer une éternité, l'homme en noir ressorti, traînant avec lui un homme grisonnant dont les bras étaient attachés dans le dos.
- Il ressort avec un otage.
- En parlant d'otage, tu vois quelque chose d'autre ?
- Non, à part lui, il n'y a que des terroristes dans mon champ de vision. Il est en train de traverser le passage... Il rentre dans la boutique Vendoeuvre, je ne le vois plus. Je pense que tous les otages sont à l'intérieur.
- Je vois... souffla la voix familière du Colonel dans le micro.
- Colonel ? ! Vous êtes là ? lâchai-je après un sursaut de surprise qui m'avait fait glisser de quelques centimètres le long des ardoises.
- D'après toi, Fullmetal ? répondit-il d'un ton sarcastique.
- Désolé, grognai-je d'un ton vexé.
- Tu arrives à retirer quoi comme infos de là où tu es ? Tu as pu installer la ligne d'écoute ?
- Pas encore, j'ai commencé par examiner les lieux. De là où je suis, la visibilité est assez mauvaise, mais en passant par l'autre côté on doit avoir une bonne vue sur l'intérieur de la boutique, ça serait un bon poste pour un sniper, je pense.
- C'est noté, je vais envoyer Hawkeye pour le contrôle visuel, passe à la suite, on n'a pas de temps à perdre. Si les choses sont telles que tu le décris, c'est à l'intérieur que tout se passe, il faut qu'on en sache plus.
- Bien, Colonel, fis-je en commençant laborieusement à rebrousser chemin, à reculons, toujours à plat ventre.
Je remontai la pente, puis obliquai à gauche, cherchant où pouvait arriver le conduit d'aération. Il n'était pas si évident de faire le lien entre les plans annotés et les toits inclinés sur lesquels je me trouvais. Malgré tout, une fois remonté un peu plus, je repérai un élément dépassant du toit qui n'était manifestement pas une cheminée. C'était une pièce cubique au sommet fermé dont les quatre côtés étaient fendus pour laisser passer l'air.
- On dirait bien que j'ai trouvé l'aération. Par contre, c'est bien fermé, impossible d'y glisser quoi que ce soit pour l'instant.
- Ah, mince, j'aurais dû y penser ! pesta Fuery de l'autre côté.
- Ne t'inquiète pas, un coup d'alchimie et les choses seront réglées, répondis-je en claquant déjà des mains.
Quelques secondes plus tard, j'étais penché au dessus du trou, les genoux de part et d'autre du conduit, faisant glisser le fil au bout duquel pendait le micro allumé, avec des trésors de précautions.
- Il ne faut pas que le micro se cogne sur les parois, ça risquerait de l'abîmer et surtout de nous faire repérer.
- Je sais, c'est la troisième fois que tu le dis, répondis-je d'un ton un peu cassant.
Je regardais la ligne noire se perdre dans l'obscurité du conduit. Étais-je loin, ou presque en bas ? Je n'en avais aucune idée.
- Vous commencez à entendre quelque chose ?
- Oui, mais c'est très vague, impossible de comprendre quoi que ce soit pour le moment.
- Je vois, soupirai-je. Je continue la descente, mais il ne me reste plus tant de mou que ça. J'espère que ça suffira.
- Moi aussi. Le Colonel espère beaucoup des informations qu'on pourra en tirer.
Je ne savais pas quoi répondre, alors je me contentais de continuer à faire glisser le micro dans sa chute contrôlée.
- Ah ! fit la voix du petit brun dans mes oreilles.
- Quoi ?
- On entend de mieux en mieux. On est sur la bonne voie.
- Super, répondis-je en continuant à descendre le câble, de plus en plus délicatement.
S'il entendait mieux, c'est que le micro risquait de se cogner au fond, c'était le moment d'être prudent.
- On entend parfaitement, tu peux t'arrêter là. On ne va pas tenter le diable
- Ok, répondis-je, immobilisant le fil d'une main, cherchant une des pinces que Fuery avait utilisées pour me harnacher tout à l'heure.
Je sécurisai le système, puis attendis le retour de Fuery, mais seul un long silence me répondit. Les secondes s'écoulèrent avec une lenteur pesante, durant laquelle je sentis le poids de ma solitude, l'inquiétude de savoir si j'avais été démasqué par Mustang, l'air fraîchissant de la fin de journée, la culpabilité d'avoir laissé Al en plan, et surtout la peur qu'on ne puisse pas sauver les otages. Tout cela accumulé rendit vite l'attente insupportable.
- Allo, Fuery, ça va ?
- Ah, désolé Edward, j'écoutais la discussion.
- Ça donne quoi ? demandai-je d'un ton incertain.
- … je te mets sur écoute, c'est plus simple.
J'entendis quelques sons désagréables, crépitements, sifflements, et j'entendis moi aussi le dialogue qui avait plongé tout le monde dans un profond silence.
- ... ssés, du coup, on en fait quoi ?
- Les blessés ? On s'en fout, de toute façon ils n'en réchapperont pas, alors...
- C'est pas faux.
- Ça va être du grand spectacle ! Avec ça, si on ne fait pas la une des journaux, je ne sais pas ce qui leur faut !
- Ça va être un carnage. Heureusement que nous on ne sera plus là à ce moment-là !
- Oui. Dix minutes avant l'assaut, on se casse. Tu as bien la clé du sous-sol ?
- Oui. Je ne suis pas comme tes fous de sous-fifres, je ne tiens pas à mourir pour la cause.
- Il reste combien de temps avant l'attaque ?
- Une heure vingt-trois.
- Tu crois qu'ils vont morde à l'hameçon, les militaires ?
- Ils n'auront pas d'autre choix que d'intervenir quand on va commencer à descendre les otages.
- Peut-être qu'ils se disent que c'est que du flan.
- Peut-être qu'on devrait donner l'exemple. On a qu'à sortir le libraire pour leur faire une démonstration.
- Pourquoi pas, après tout, celui-là nous a donné tellement de fil à retordre... Tu n'auras qu'à dire à Bratt de lui tirer une balle dans l'épaule, histoire de montrer l'exemple.
- Ça marche, je lui dirai ça. Il sera ravi.
Un silence.
- J'ai quand même hâte que ça soit fini... ça me stresse de penser qu'on est à côté d'autant de dynamite.
- Fais pas ta princesse, c'était ton idée de tout faire sauter.
- Je sais, mais je suis un technicien, pas un combattant. Je pensais pas me retrouver là.
- C'est ça, de s'entourer de suicidaires.
- Ouais. Bon, j'ai fini de remonter le détonateur, je ramène ça dans l'entrée, et j'explique le job à Bratt. C'est un taré, mais un taré pragmatique, il n'ordonnera pas de l'actionner avant que les militaires soient entrés dans le passage.
- Faut espérer, sinon on ne sera plus que des confettis. Dans ton prochain speech, négocie Mustang. Le but, c'est de faucher le plus de militaires possible, mais si on ne doit en buter qu'un, c'est celui-là.
- Je sais, Fay, je sais.
Le bruit d'une porte qui s'ouvre et qui se ferme, laissant entendre quelques pleurs et gémissements. Puis le silence, dans lequel on entendit juste le son de quelqu'un qui se réinstalle un peu plus confortablement avant de lâcher un profond soupir.
L'attente.
Au bout de quelques minutes, je compris qu'il n'y avait personne d'autre dans la pièce et qu'on entendrait rien de plus pour le moment. J'entendis un nouveau crépitement, puis la voix de Fuery, moins enjouée que d'ordinaire, revient résonner dans mes oreilles.
- Bon, tu as entendu.
- Ouais.
- Bulter est descendu prévenir le Colonel Mustang, je vais lui faire entendre l'enregistrement. Mais une chose est sûre...
- C'est pas une bête prise d'otage... c'est un attentat-suicide.
- Oui.
- Ça change un peu les choses.
- Ah, attend, le Colonel est revenu, il faut que je repasse l'enregistrement. Je te le remets aussi.
- Ouais.
Un petit remue-ménage auditifs plus tard, j'eus de nouveau dans les oreilles le son du micro que j'avais pendu dans le conduit. D'abord les sons de voie inintelligible, puis une avance rapide, et le début de la conversation que j'avais entendu à l'instant. Je n'appris pas grand-chose de plus, si ce n'est qu'il y avait plusieurs kilos de dynamite en train d'être installés le long de la façade du magasin, et trois personnes responsables de sa détonation au moment de l'attaque. Si le déclenchement avait lieu, le quartier entier pouvait être rasé. C'est seulement en entendant la discussion une deuxième fois que je pris la mesure des dégâts. J'en aurais vacillé si je n'étais pas déjà à plat ventre à ce moment-là.
- Bon. Il faut évacuer le quartier, annonça Mustang d'un ton étrangement factuel.
Comment faisait-il pour ne pas paniquer ? Je n'en avais aucune idée, mais son ton posé me rassura.
- Faites évacuer la zone par cercles concentriques de cinq cent mètres, sur deux kilomètres de rayon, dès maintenant. Emmenez les témoins à la gendarmerie du quartier des théâtres pour qu'ils soient entendus et soignés, le bâtiment sera assez loin pour qu'ils soient à l'abri. Breda, je te laisse gérer les témoins, Havoc, l'évacuation des autres. Il faudra avoir des gendarmes et des militaires pour sécuriser la zone et empêcher les gens d'entrer dans le quartier, et envoyer un pneumatique au QG pour les informer de la situation. Allez-y. Quand à toi Fullmetal, il faut que tu reviennes du côté de la verrière. Hawkeye doit être arrivée de l'autre côté, j'ai besoin que tu puisses communiquer avec elle.
- Elle n'a pas d'équipement ?
- On n'avait pas assez de temps ni de matériel pour installer un deuxième point d'écoute, et traverser la verrière était trop risqué. Comme vous serez en contact visuel, vous pourrez communiquer en morse.
- Bien, Colonel, fis-je en mettant ses ordres à exécution, remarquant immédiatement qu'il avait dit vrai.
Riza était à plat ventre sur le toit, un fusil de précision harnaché sur le dos, et observait la scène, la tête à raz de la gouttière comme je le faisais tout à l'heure.
- Quel est votre plan, Colonel ?
- Ils comptaient s'enfuir par des souterrains... ça nous donne un angle d'attaque.
- Il n'y avait aucun passage indiqué sur le plan, comment peuvent-ils s'échapper ?
- Je pense qu'il y a un passage secret sous le magasin. C'était une pratique courante d'avoir une trappe donnant sur les égouts pendant la prohibition, le meilleur moyen de faire circuler des marchandises sans être pris. Le propriétaire de la boutique a simplement réussi à le dissimuler jusqu'au bout.
Comme Riza ne levait pas la tête, je m'autorisai un petit sifflement pour attirer son attention. Elle releva les yeux en sursautant et sembla vaguement soulagée quand elle me vit. Je mis mes mains devant elle et tapai silencieusement au rythme du morse.
« Q.U.E.. V.O.I.S..TU ? »
- Les points d'attaque, entre la verrière ou Hawkeye peut tirer, les deux entrées du tunnel, et le sous-sol, énumérai-je, on a ce qu'il faut, mais comment s'y prendre pour empêcher la détonation et sauver les témoins ?
« O.N.Z.E..D.E.H.O.R.S..N.E.U.F..D.E.D.A.N.S..B.C..D.O.T.A.G.E.S. »
- Il faut pouvoir séparer les témoins des terroristes. Apparemment, ils sont au moins vingt et un si on compte l'homme qui est probablement resté dans l'arrière-boutique.
« I.L..Y..A..D.E.S..E.X.P.L.O.S.I.F.S », ajouta la blonde, le visage défait par ce qu'elle découvrait.
« J.E..S.A.I.S..E.S.T.C.E.Q.U.E..T.U.V.O.I.S..L.E..DE.T.O.N.A.T. ? »
- Le meilleur moyen serait d'attaquer, ça obligerait les personnes gardant les otages à s'impliquer et détournerait leur attention. Pendant ce temps, on utilise le sous-sol pour évacuer les civils. Et Hawkeye neutralise les personnes chargées de faire tout sauter.
« O.U.I..D.R.O.I.T.D.E.V.A.N.T. »
- Le détonateur est à portée de sa vue, ça doit pouvoir être jouable Dans ce cas-là, il faut quelqu'un pour sauver rapidement les otages pendant ce temps. En passant par le sous-sol, on peut peut-être faire quelque chose ?
« I.L..F.A.U.T..N.E.U.T.R.A.L.I.S.E.R..C.A. » ajouta-t-elle, sollicitant ma concentration. Je levai une main apaisante pour lui faire signe d'attente et reportai mon attention sur ce que disait Mustang.
- Par le passage souterrain ? ! Ça sera beaucoup trop long pour qu'on puisse sauver tout le monde ! Il faudrait pouvoir faire descendre tout le monde d'un coup, c'est ingérable. Sauf si...
- Sauf si ?
- Toi, là ! appelle le lieutenant Armstong d'urgence. … Pas de mais qui tienne, on s'en fout que ce soit son jour de congé ! s'énerva Mustang. Appelez à l'hippodrome de la Haye, il est sûrement là-bas avec sa famille. Débrouillez-vous pour qu'il arrive dans les vingt minutes au plus tard ! Ah, et dites à Falman d'étudier les plans des souterrains pour faire coïncider avec la surface et trouver par où lancer l'attaque. C'est urgent !
Malgré la situation, je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire en entendant Mustang pester. Au moins, j'étais en équipe avec les bonnes personnes.
- Bon, je résume. Riza a pour mission de neutraliser les personnes qui essaient de faire sauter, Tu restes en contact audio pour faire la liaison. Havoc et Breda font l'évacuation, et dès qu'Armstrong est là, on le met au parfum, et on prépare l'attaque.
- Et vous ?
- Moi je négocie. J'ai une valeur spéciale pour eux, sûrement parce que je leur ai mis les bâtons dans les roues plus d'une fois. Je vais tâcher d'obtenir d'eux l'évacuation des blessés, parce que si on les récupère en explosant le plancher, il vaut mieux que tout le monde soit en bon état. S'il le faut, je paierai de ma personne.
- Mais...
Une détonation se fit entendre, assez puissante pour déchirer l'atmosphère silencieuse, coupant court à notre discussion. Aussitôt je me penchai vers le passage, ou résonnait un long cri.
- J'y vais, coupa sobrement Mustang.
Le silence résonna dans mon casque, me faisant sentir seul malgré la présence de Riza, à quelques mètres de moi. Elle regardait en contrebas, l'œil sombre, et j'en fis autant. Un homme, que j'identifiais comme étant le libraire de tout à l'heure, était tombé à genoux, l'épaule en sang. En face, l'un des hommes, peut-être celui qui parlait avec les tireurs dans l'angle, tout à l'heure, mais je n'en étais pas sûr, releva son arme, et empoigna le mégaphone qu'un sous-fifre lui tendait, puis tourna le dos à l'homme qu'il venait de blesser.
- Il reste moins d'une demi-heure, beugla homme d'une voix forte. J'espère que vous avez pris vos dispositions pour libérer nos camarades, ou bien le temps va vous faire défaut !
Le silence lui répondit, sans doute parce que le Colonel n'avait pas eu le temps de descendre tous ces étages aussi vite.
- Répondez, ou je continue à trouer cet homme ! beugla le terroriste.
Comme le silence appesantit, le porte-parole se retourna, rejoignit l'homme à terre en deux enjambées, lui mettant le mégaphone sous le nez tout en empoignant brutalement son épaule blessée. Sans surprise, l'homme hurla de douleur, dans un râle déformé par l'amplification qui me vrilla les tympans.
Vite Colonel, faites quelque chose ! suppliai-je intérieurement.
- Relâchez cet homme !
La voix était ferme et claire. Le terroriste se releva et se tourna lentement vers l'entrée. La silhouette de Mustang se découpait à contre-jour, ridiculement petite et lointaine de là où j'étais. Il aurait été tellement facile pour eux de lui tirer dessus !
- Nous avons contacté le Quartier Général, les démarches pour libérer Brad et ses coéquipiers sont en cours.
Une clameur de victoire résonna, certains terroristes semblaient incapables de dissimuler leur enthousiasme. De mon côté, ou j'avais loupé une énorme marche, ou Mustang bluffait éhontément. Je vis du coin de l'œil que Riza essayait d'attirer mon attention.
« V.R.A.I. ? »
« J.E..N.E..S.A.I.S..P.A.S. » répondis-je, sans doute plus inquiet que je ne voulais le montrer.
- Fuery, c'est vrai ce qu'il dit ?
- On a utilisé la ligne de l'immeuble pour contacter le QG, des ordres ont effectivement été envoyés pour préparer une éventuelle libération. Mais ils attendent notre feu vert pour que la libération soit effective, donc rien n'est fait pour l'instant.
- Il ne va quand même pas le libérer ?
- Aucune chance. Mais il leur donne du grain à moudre.
- Il cherche à gagner du temps en leur faisant croire qu'ils ont gagné ?
- Ca, et surtout à savoir s'il y a une taupe dans l'armée.
- Une taupe ?
- Attends, ça bouge sur l'autre ligne, je dois te laisser.
- Membres du Front de libération de l'Est, continua le Colonel, vous avez une preuve de notre bonne foi. Je vous demande d'en faire autant en laissant partir les blessés.
- Les blessés ? Qui vous dit qu'on a d'autres blessés que cet homme ? gronda l'homme d'un ton mauvais.
- Votre mode opératoire, répondit Mustang du tac au tac, sans se départir de son calme. Je vous demande de nous permettre d'évacuer toutes les personnes que vous avez pu blesser afin de leur apporter les soins nécessaires avant que leur état s'aggrave.
L'homme partit d'un grand éclat de rire.
- Comme si on allait libérer les otages aussi facilement, sans contrepartie ! Colonel Mustang, décidément, vous êtes bien plus naïf que ce que l'on dit de vous !
- Qui a dit que c'était sans contrepartie ? coupa posément mon supérieur.
- Que proposez-vous ?
- Relâchez tous les otages qui ont besoin d'être soignés, et je viens dans la galerie les remplacer.
A ces mots, je levai les yeux vers Riza, et rencontrai un visage blême et horrifié qui devait être l'exact reflet de mon expression. Il partait sciemment au casse-pipe. Pourquoi ?!
Pour gagner du temps, évidemment.
Le porte-parole des terroristes sembla désarçonné. Il se figea, tourna la tête vers la boutique, vers l'entrée de la galerie où se trouvait le militaire, puis jeta son mégaphone à la personne la plus proche avant de s'engouffrer dans la boutique Vendoeuvre.
« I.L..V.A..P.A.R.L.E.R..A.U.X..S.U.P.E.R.I.E.U.R.S. »
- Fuery, tu vas avoir du travail, commentai-je sans être sûr qu'il puisse m'entendre.
Il ne répondit pas, sûrement trop concentré sur la conversation. Je restais figé dans ces interminables minutes. Le soleil bas rasait les toits et projetaient des ombres jaune d'or sur les faîtages et les cheminées. Le crépuscule approchait et menaçait de nous faire perdre toute visibilité.
- Ok. Edward ?
- Oui ? répondis-je en sursautant.
- Les terroristes ont accepté l'offre, d'après ce qui s'est dit, le Colonel n'est pas en danger immédiat, ils comptent le faire, ehm… exploser en même temps que le reste. Par contre, le temps presse, ils risquent de ne plus tarder à commencer à tuer des otages.
- Armstrong est arrivé ?
- Oui, il est arrivé pendant que le Colonel prenait la parole apparemment. Il est en train de s'organiser avec Falman et le reste de l'équipe, ah tient, il arrive, justement ! Je te le passe !
- Ah ?
- Allô, jeune Elric ! s'exclama la voix théâtrale du lieutenant Armstrong dans mon oreille. Il paraît que tu es sur les toits. Toi et le lieutenant, vous pouvez me décrire la situation aussi précisément que possible pour que nous nous préparions ? Si vous pouvez nous dire comment sont placés les otages, les explosifs, les terroristes, pour qu'on soit le plus efficace possible.
Tandis que le porte-parole beuglait qu'il acceptait l'offre, et que lui et Mustang posaient les conditions, je tâchais de me concentrer pour transmettre les informations aussi rapidement que me permettaient les échanges de morse entre Riza et moi. Je ne gardais donc qu'un œil vague sur les mouvements en contrebas, juste assez pour voir quelques silhouettes boiteuses ou portées être transportés vers l'entrée ou se découpait toujours la silhouette de Roy Mustang.
- Ok, on pourra difficilement faire mieux, je vais me mettre en position. Merci pour toutes les infos et faites attention à vous, conclu Armstrong, visiblement soucieux.
Je hochai la tête avant de me rappeler qu'il ne pouvait pas me voir, puis entendit la voix de Fuery revenir se loger dans mon crâne.
- Edward, Riza, préparez-vous, il va falloir agir vite, commenta le militaire d'un ton fébrile.
- Entrez, Colonel, on n'attend plus que vous ! s'exclama l'homme d'un ton presque gourmand, alors que la file de blessés finissait tout juste de passer les portes de la boutique.
Mon supérieur obéit et avança, à pas lents mais altiers, jetant à peine un regard à la dizaine de personnes dont il avait pu permettre la libération, Ces gens boiteux à qui on avait interdit de se retourner. Je supposais que, juste à l'extérieur du passage, des gens allaient se précipiter sur eux pour les entourer d'une couverture et les amener à l'hôpital le plus proche.
Quand je pense qu'il me fait la leçon comme quoi je risquais ma vie, pensai-je en grimaçant, sentant parfaitement le poids des hommes qui pointaient leurs mitraillettes vers lui. Une fois arrivé à la hauteur du porte-parole il leva ses mains dégantées, pour montrer qu'il était désarmé. L'homme le fouilla pour vérifier qu'il était effectivement inoffensif, puis le confia aux soins de ses acolytes qui lui attachèrent les mains dans le dos. A cet instant-là, il leva un instant les yeux vers la verrière. Il ne pouvait probablement pas nous voir, avec la hauteur et le contre-jour, mais ce geste montra à quel point il comptait sur nous. Je sentis mon cœur battre la chamade à cette idée. Puis il avança dans le bâtiment, disparaissant de ma vue
- Tenez-vous prêts, l'attaque est imminente.
- Le Colonel a rejoint les otages, il a les mains attachées dans le dos, commentai-je en faisant signe à Riza de se tenir prête.
Elle se mit aussitôt en joue, prête à tirer. Je compris que je ne pourrais plus l'atteindre, elle était totalement concentrée sur sa cible. Ou plutôt, ses cibles. Les deux personnes que nos observations avaient permis d'étiqueter comme étant responsables des détonateurs étaient maintenant dans sa ligne de mire. Je ne donnais pas cher de leur peau.
- Dans quelques secondes... souffla Fuery.
Je m'aplatissais sur le toit comme si cela pourrait me protéger de l'impact à venir. Je sentis le silence s'appesantir.
- Le temps s'est écoulé ! Alors, quel est votre dernier mot avant que je commence à tuer les otages ? hurla l'homme au mégaphone. Avez-vous libéré nos hommes ?
Trois secondes après cela, le chaos s'abattit dans le passage.
Une pluie de coups de feu, le tintement des vitres volant en éclat, et les murs tremblèrent dans un coup porté à l'unisson.
Dans une synchronisation à peine humaine, tout le monde avait donné l'assaut. Le passage, jusque-là d'un silence de mort quand l'homme ne déblatérait pas dans son mégaphone, était maintenant noyé dans les ricochets des balles et les cris. Impossible de distinguer, au milieu des hurlements, de la fumée et du nuage de poussière provoqué par l'effondrement du sol de la boutique, ce qui se passait. La seule certitude que je pouvais avoir d'ici, c'est que nous n'avions pas sauté. Du moins, pas encore.
Je me sentis totalement impuissant face au combat qui faisait rage au-dessous, ne pouvant que dire ce que je voyais à Fuery, autant dire pas grand-chose. En face de moi, l'œil vide de toute émotion, Riza continuait à tirer. J'étais incapable de comprendre comment elle faisait pour distinguer quoi que ce soit. Je m'acharnais quand même à froncer les sourcils, espérant mieux voir les silhouettes indistinctes s'agitant en contrebas au milieu d'un véritable brouillard de poussière.
L'armée progressait, c'était certain. Le sort de Mustang et des otages restait un pur mystère de là où j'étais, et cette idée me nouait l'estomac. Est-ce qu'il était mort ? Mon cerveau refusait cette idée en bloc. Pas comme ça. Pas maintenant. Il n'avait pas le droit. Face à une attaque aussi brutale, les terroristes, mal préparés et pourtant résolus à se donner la mort eux-mêmes ne pouvaient qu'être en déroute. Je cherchais dans ces mouvements confus à capter des lignes de forces, peinant même à distinguer les terroristes des militaires, jusqu'à ce que la poussière commence à retomber, rendant la situation plus claire. L'armée avait repris le gros du passage, et des uniformes jaillissaient du bâtiment sur lequel je me tenais. Mais je ne vis nulle part la silhouette de Mustang.
Je vis un homme plaqué au mur en face de moi, un homme qui fixait un point en face. Et, sans savoir comment, en un éclair, je compris.
Il regarde le détonateur. Il va tout tenter pour le déclencher.
Il fallait crier, dire à Riza de le tuer. Mais il était dans son angle mort, et toute concentrée sur sa tâche, elle ne pouvait pas entendre mon cri de panique au milieu des sifflements des balles. C'était peine perdue. Je le vis prendre son élan pour traverser le passage, et sans réfléchir une seconde de plus, je me ramassai sur moi-même et bondis pour en faire autant.
Le verre céda dans une explosion cristalline sous mes automails et lacéra tout ce qui en dépassait. Un instant, le temps s'arrêta, me figeant en pleine chute dans un instant de lucidité terrifiant. Je sentis la pince qui tenait mon casque et mon micro se détacher de ma ceinture, ma veste tirée par le fil que j'avais oublié, la tension sur le casque avant que le câble cède, emportant avec lui le micro, et chaque estafilade tracée par les éclats de verre dans ma chair. Mais avant de ressentir une véritable douleur, je m'abattis sur l'homme dans une collision qui tourna au roulé-boulé et s'acheva brutalement contre le mur d'en face. Le choc me coupa le souffle quelques secondes. L'image d'un bâtiment absurde s'imprima un instant dans ma tête, comme si on avait voulu me l'enfoncer d'un coup de maillet, puis, comme si je m'étais soudainement souvenu comment on faisait, je repris mon souffle et le contact avec la réalité dans un cri de douleur.
- PUTAIN, ÇA FAIT MAL !
L'homme en dessous n'allait pas me donner tort. Assommé ou mort, je l'ignorais et je n'étais pas sûr de vouloir le savoir, mais dans tous les cas, hors d'état de nuire. Comme les balles continuaient à siffler autour de moi, je réalisai que j'étais dangereusement exposé et devais décamper au plus vite si je ne voulais pas subir le même sort. Sans me redresser, je me faufilai en rampant dans des gestes aussi fébriles que malhabiles, atteignant la librairie qui ne sentait plus la cire, l'encre et le vieux papier, mais la pierre, la poudre noire et le sang. Je restai là, à plat ventre, pantelant, guettant le détonateur depuis la pénombre de la pièce, à peu près abrité derrière le chambranle et le coffrage de vieux chêne, les yeux exorbités dans ma concentration, refusant de penser à ce qui s'était passé, à ce qui se passait, au fait que des gens étaient en train de mourir à quelques mètres de moi. Refusant de tirer des conclusions de l'absence de la silhouette de Mustang dans mon champ de vision.
Le sifflement des balles et les hurlements me vrillaient les tympans, alors je n'entendis pas tout de suite qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce. Je me retournai juste à temps pour repousser un couteau de mon bras métallique. Je reconnus le porte-parole, cet homme qui hurlait dans le mégaphone quelque temps plus tôt, et qui avait visiblement battu retraite dès que les choses avaient mal tourné. Un coup de pied fit valser son couteau à l'autre bout de la pièce, et le combat s'engagea au corps à corps. Luttant pour ma vie contre un homme qui faisait bien deux têtes de plus que moi, cloué au sol par son poids, je n'avais clairement pas l'avantage. Mes muscles criaient de douleur d'avoir été lacérés par les bris de verre et ébranlés par ma chute, l'adrénaline m'avait usé et rendait mes gestes imprécis, j'avais encore le souffle court, la tête embrumée de douleur. Son odeur de poudre, de sueur et de sang me donnait la nausée, et je sentais que je commençais à perdre pied tandis qu'il pesait sur moi, et que je me débattais vainement. Quand il m'asséna un coup de genoux à l'entrejambe et cogna l'os sans sentir ce à quoi il s'attendait, un éclair dansa dans ces yeux.
Il avait compris. Il savait que j'avais un corps féminin En réalisant cela, en voyant son expression victorieuse, presque méprisante, quelque chose me tétanisa sans que je comprenne pourquoi. Je me sentis soudainement incapable de respirer, de bouger, alors qu'il prenait le dessus, m'écrasant un peu plus, ses mains enserrant ma gorge, son visage tout près du mien, déformé dans un rictus de victoire, m'inondant de sa haine et de sa puanteur. J'étais à sa merci. Noyé dans une terreur que je n'avais jamais connue, suffocant, mes yeux se brouillant sous la douleur, je sentis que j'étais près de m'évanouir, et ne plus trouver l'instinct de me défendre me paniqua d'autant plus.
Je vais mourir.
Cette certitude brisa mon état de stupéfaction et je me débattis de nouveau, en vain, trop bien neutralisé par l'ennemi pour pouvoir retourner la situation. Mon coeur battait contre mes côtes comme s'il voulait s'en échapper, mes oreilles sifflaient et palpitaient douloureusement, et un scintillement envahissait ma vision dans un brouillard gris qui effaçait tout. Je n'étais plus en état de penser, plus en état de comprendre quoi que ce soit, et mon cerveau était incapable d'autre chose qu'un long hurlement de panique intérieure.
Il y eu trois coups de feu plus forts que les autres.
Le regard de l'agresseur se figea, sa prise se relâcha lentement, et il s'effondra sur moi comme une poupée de son. Je sentis la chaleur moite de son sang couler sur ma poitrine et ma gorge. Crachotant, tremblant de tous mes membres, il me fallut plusieurs secondes d'incrédulité avant de comprendre qu'il était bel et bien mort, que j'étais sauvé. Sans parvenir à rependre mon souffle, lâchant un petit cri inarticulé, je le repoussai violemment, emporté par mon dégoût et ma peur, et le jetai à ma gauche où il tomba dans tas de chair molle étrangement inoffensif. Puis je levai des yeux encore embrumés, en tâchant de dissimuler le tremblement incontrôlable qui m'avait envahi à son contact. Je détestais qu'on me touche. Cette phrase tournait en boucle, m'envahissant au point de m'empêcher de réfléchir correctement. Debout, dans l'encadrement de la porte, se tenait une silhouette que j'aurais reconnue entre mille, malgré mes yeux brouillés par les larmes et les scintillements de douleur. Il était là.
Dehors, il n'y avait plus de coups de feu.
A ce moment-là seulement, je compris que l'assaut était fini.
J'appris plus tard qu'il avait duré moins de dix minutes.
