On est lundi, et c'est l'heure de découvrir un nouveau chapitre ! Celui-ci a une place spéciale dans mon petit cœur, vous comprendrez sans doute pourquoi à la lecture ;) J'espère que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j'en ai eu à l'écrire, et que vous me pardonnerez la probable frustration que vous aurez en arrivant à la fin. On arrive au bout de la deuxième partie de l'histoire, ce qui veut dire que dans trois semaines, ce sera l'introduction de la partie trois, qui sera toute petite comparée à un chapitre normal (si on peut dire qu'ils sont normaux). Ne soyez pas surpris !
Et puisqu'on en parle, de la taille des chapitres... vous avez sans doute constaté qu'ils ont sacrément pris du poids ces derniers temps. On m'a fait remarquer qu'ils étaient quand même très longs. Trop longs ? Est-ce que ça vous gène ? Est-ce que vous pensez qu'ils mériteraient d'être coupés en deux pour être moins indigestes ? Je n'aime pas trop cette idée, mais si ça peut prendre votre lecture plus confortable... Bref, je veux bien votre avis, vous êtes les premiers concernés après tout !
Enfin, je serai à Anim'Est à Nancy, ce weekend, sur le stand de Bull'Acide. Si vous y allez et que vous avez envie de me rencontrer IRL, n'hésitez pas, je ne mords pas et je vous accueillerai à bras ouvert (j'aime papoter. vraiment ^^)
Voilà, je m'arrête là pour ce blabla d'introduction un peu plus long que d'habitude et je vous laisse (enfin !) lire ce fameux chapitre !
Chapitre 25 : De retour (Roy)
- Déjà de retour Colonel ?
- Oui, répondis-je sobrement en traversant le bureau de mes subordonnés.
C'était la quatorzième fois qu'on me posait la question depuis que j'avais franchi la grille d'entrée du quartier général. Être convalescent, ça obligeait aussi à être patient.
- Déjà revenu, Havoc ? m'étonnai-je à mon tour en reconnaissant le grand blond qui avait levé la tête vers moi à mon approche.
- Oui, la mission était rapide, nous n'avions que le transfert après tout. J'ai quitté Edward et son frère quand ils ont pris le train pour Resembool pour prendre des vacances.
- Ils l'ont bien mérité... le Fullmetal en a bavé ces derniers temps.
- C'est vrai... mais il n'est pas le seul. Ça va aller, vous ? demanda Havoc avec une sollicitude qui me surprit.
Aux dernières nouvelles, il était censé me détester de l'avoir fait déménager de force et quitter sa copine. Et pourtant, il semblait réellement s'inquiéter pour moi. Havoc était un subordonné en or, et je ne méritais sans doute pas sa compassion.
En plus des écorchures et ecchymoses qui étaient inévitables quand on se tenait sur un plancher en train de s'effondrer, je n'avais qu'une plaie due à une balle passée un peu trop près de mon bras gauche, spectaculaire mais sans gravité pour peu que j'y aille doucement le temps que ça guérisse. Pour cette raison, j'étais exempté de missions extérieures jusqu'à nouvel ordre. C'était logique, c'était raisonnable, mais ça voulait aussi dire passer encore plus de temps que d'habitude à remplir et gérer des paperasses. Et ça, pour le coup, ça n'avait rien de réjouissant.
- Se blesser, ça fait partie des risques du métier. Je ne vais pas me plaindre, je m'en suis très bien sorti, j'ai eu beaucoup de chance, répondis-je.
- Oui, c'est vrai que Watson et Hodgson sont encore entre la vie et la mort. Et quand je pense à ce pauvre Travis...
Tout le monde piqua le nez sur son bureau, ayant une pensée attristée pour le militaire qui n'était pas revenu de cette mission. Il avait laissé derrière lui une médaille, et probablement une fiancée en pleurs.
- C'est vrai que c'est triste, murmura Fuery, plein d'empathie. Mais il nous a aidé à sauver beaucoup de monde. Les choses auraient pu tourner bien plus mal.
Les autres militaires hochèrent la tête, sans trouver beaucoup de réconfort dans cette remarque pourtant vraie. Après notre descente, les démineurs étaient venus pour sécuriser la zone et nous avaient annoncé qu'il y avait assez de dynamite pour tout raser à 700 mètres à la ronde. Si le détonateur avait été déclenché, ça n'aurait pas été un militaire que nous aurions à pleurer, mais des dizaines de personnes et un quartier entier.
Si le détonateur avait été déclenché, nous ne serions plus là pour pleurer.
- Vous avez fait du bon boulot. Je suis fier de mon équipe.
Je lançai un petit sourire, puis rentrai dans mon bureau, les laissant surpris. Il faut dire qu'avec les derniers événements, je n'avais pas été tendre avec eux.
Je repensai à l'assaut, et les souvenirs, beaucoup trop clairs, m'assaillirent.
Au milieu de la panique des otages, bousculé dans les gravats, je sentis quelqu'un détacher mes liens, et je me lançai au combat sans attendre. Avec la foule désorganisée, la poussière et les explosifs, il était hors de question que j'utilise mes pouvoirs alchimiques. J'assommai donc un des terroristes par derrière et récupérai son arme. Pendant que l'équipe d'Armstrong, qui avait emprisonné les terroristes fuyards quelques minutes plus tôt, évacuait les otages par le sous-sol, dirigeant les valides, portants les blessés, leur chef et une poignée d'autres avaient ouvert un tir nourri sur les terroristes, qui étaient pris en tenaille entre les militaires qui investissaient le passage et ceux qui les avaient attaqués par le sous-sol. Au milieu de tout ça, quelques coups de fusil d'une précision redoutable abattaient un terroriste ici ou là. Hawkeye avait vraiment du talent.
Escaladant les gravats tout en les utilisant comme protection contre les balles qui ricochaient de toutes parts, je remontai le gouffre pour me lancer dans la mêlée. La mitraillette que j'avais dans les mains était lourde et peu maniable, moi qui n'étais pas doué avec les armes à feu, je comprenais les difficultés de nos ennemis à répliquer efficacement.
Je m'appliquai à couvrir les civils en visant toute personne qui faisait mine de vouloir s'attaquer à eux. L'arme, peu précise mais brutale, était bien suffisante pour les dissuader. Je tournai la tête vers l'entrée du passage, et vis le détonateur, fixé au chambranle de la porte. Je vis aussi un homme, plaqué contre la vitrine d'en face, en train de le fixer, les yeux exorbités. Je compris aussitôt qu'il allait tout tenter pour nous faire exploser, et pestai en essayant d'orienter la mitraillette qui se coinça dans les gravats, alors que le terroriste s'était déjà lancé au milieu des balles. Je sentis le sang refluer de mon visage, je n'aurais pas le temps d'ajuster le tir, il était déjà trop tard.;
À ce moment-là, une silhouette habillée de rouge surgit comme un boulet de canon tombé du ciel, s'écrasa sur l'homme. Emporté par son élan, ils roulèrent tous les deux jusqu'à la devanture de la librairie, qui s'ébranla sous le choc.
Mon cœur rata un battement. Nous étions sauvés.
Mais lui ?
Je serrai la mâchoire, guettant un mouvement de sa part entre deux tirs, bien plus angoissé que je ne pouvais me l'avouer. J'avais senti des bandages à travers ses vêtements en le tirant en arrière, à croire que Barry le Boucher l'avais plus amoché que je le pensais. Était-il encore blessé ? Je n'avais pas eu le temps de lui poser cette question avant l'assaut… maintenant je n'étais pas sûr de pouvoir la lui poser du tout.
J'entendis vaguement son cri à travers les coups de feu, et le vis ramper à l'intérieur de la boutique pour se protéger. Je lâchai un soupir de soulagement. Il semblait mal en point... mais qui ne le serait pas après une chute de trois étages ? Au moins, il était vivant.
Je repris mon ascension, neutralisai un terroriste qui ne m'avait pas vu en lui tirant dans la jambe. Nous avions pris le dessus, la victoire ne faisait maintenant plus de doute. Il ne restait plus que quelques hommes qui reculaient face aux tirs nourris des militaires, la fin était imminente.
Un mouvement capta mon attention dans la boutique d'en face. J'entrevis des mains, des coudes, comme si quelqu'un se débattait. Il y avait un autre combat qui se jouait dans la librairie, un combat à main nues qui impliquait Edward.
J'attrapai la mitraillette à bras le corps et bondis vers le passage, entendant à côté de moi les cris des derniers résistants qui venaient d'être plaqués au sol ou tués par des militaires. En entrant dans la librairie, je vis l'homme au mégaphone dans la pénombre du magasin, pesant de tout son poids sur Edward, en train de l'étrangler.
Il se prit instantanément trois balles de mitraillette dans les côtes, presque à bout portant, et s'effondra, mort. Après une seconde de stupéfaction, le petit blond lâcha un couinement qui m'aurait paru ridicule à n'importe quel autre moment, repoussa l'ennemi dans un dégoût fébrile, faisant tomber le corps à côté de lui dans un bruit mou, et leva vers moi des yeux brouillés, hoquetant douloureusement.
Il était couvert de sang et de poussière, les vêtements déchiquetés par les éclats de verre, tremblant de tous ses membres, la respiration chaotique, le regard trouble, l'air terrorisé. Quelques larmes éparses avaient tracé de fins sillons dans la saleté qui couvrait ses joues, et son regard semblait me traverser sans parvenir à se fixer sur moi, comme s'il était trop bouleversé pour me reconnaître.
- Ça va ?
Il déglutit péniblement et hocha la tête sans ouvrir la bouche, puis se recroquevilla contre le mur, serrant ses genoux contre sa poitrine, peinant encore à respirer correctement. Je lisais dans ces yeux écarquillés qu'il était en état de choc. En même temps, comment lui en vouloir ? Il avait failli mourir au moins deux fois à quelques minutes d'intervalle.
Après avoir baissé mon arme, je fis quelques pas et posai un genou à terre pour me rapprocher de lui.
- Edward, c'est fini. On a gagné.
Il poussa un long soupir tremblant, et laissa sa tête basculer en arrière, fermant les yeux. Je vis sur sa joue gauche une spectaculaire entaille, sans doute laissée par un éclat de la verrière, qui saignait abondamment et coulait jusque sur sa gorge. Il aurait pu perdre un œil, il aurait pu se tuer... Ses vêtements étaient couverts de déchirures ensanglantées. Dire que je l'avais envoyé sur les toits pour le garder à l'écart de l'assaut !
La pression retombant, je sentis à mon tour une douleur vive et portai ma main au bras gauche. Une balle m'avait un peu trop approché et du sang suintait sur mon uniforme. J'allais devoir être soigné… mais c'était moins urgent que lui.
- Tu es salement amoché, commentai-je. Les secours sont en train d'évacuer la zone, ils vont bientôt s'occuper de toi.
- Je veux... commença-t-il dans un murmure épuisé. Je veux être soigné par le docteur Ross, du service d'urgence de l'hôpital du bois Nivert.
- Mais il est beaucoup trop loin ! Il vaut mieux qu'on t'emmène à l'hôpital le plus proche pour que tu sois pris en charge le plus vite possible.
- Non, Colonel, ça va... mon état n'est pas si grave, souffla-t-il en se tournant vers moi avec un vague sourire. Je suis juste... un peu... sonné.
- Tu parles, tu arrives à peine à aligner deux mots, commentai-je, les dents serrées.
- S'il vous plaît, Colonel, murmura-t-il d'un ton presque suppliant. C'est important pour moi…
Je ne comprenais pas pourquoi il s'entêtait à vouloir aller là-bas, mais il prenait ça tellement à cœur... Et je ne me voyais pas refuser cette requête à quelqu'un qui nous avait tous sauvé la vie quelques minutes plus tôt.
- Bon, ok, je vais prévenir l'équipe des secours qu'il faut t'emmener là-bas, lâchai-je en désespoir de cause.
- Merci, répondit-il en m'adressant un faible sourire, dont la sincérité me bouleversa sans que je sache trop pourquoi.
J'étais tenté de passer une main rassurante sur son front, mais je sentais qu'après sa chute et l'agression qu'il venait de vivre, ce n'était pas une bonne idée… Je me relevai et époussetai mon uniforme.
- Il faut que je retourne gérer l'organisation. Tu te sens de rester seul ici en attendant les secours ?
- Oui.
- Si tu as un problème, il y a des soldats juste à côté.
- Ça me va, répondit-il d'une voix presque apaisée, fermant les yeux.
La panique semblait être passée, le laissant juste épuisé. Il fallut me forcer à revenir sur mes pas pour passer à la suite des opérations. En tant que chef, je ne pouvais pas me permettre à rester parler avec lui trop longtemps alors que les choses étaient loin d'être terminées. Je quittai la boutique à contrecœur, hélant les autres pour glaner des informations et distribuer des ordres. Havoc avait déjà l'appareil photo à la main pour commencer à préparer le dossier d'enquête, et son visage s'éclaira à ma vue. Je réalisai que j'avais moi aussi pris des risques terribles, et que j'avais eu une chance insolente de m'en tirer avec une simple estafilade de balle perdue. Mais ce n'était pas tout. En voyant l'appareil entre les mains de mon subordonné, je pris conscience de la masse de paperasses qu'allait apporter cette affaire, et grimaçai. Autant de rapports à gérer que de militaires présents… De quoi nous occuper des journées entières. Un des militaires de l'équipe d'Armstrong accourut vers moi.
- Je peux vous aider Colonel ?
- Oui. J'ai besoin que vous apprêtiez une ambulance pour amener le Fullmetal Alchemist à l'hôpital du bois Nivert.
- Pourquoi n'est-il pas évacué à l'hôpital Ferrer, comme tous les autres ? s'étonna l'homme.
- Pourquoi vous vous permettez de discuter mes ordres ? renvoyai-je d'un ton froid, le visage soudainement fermé. Vous faites emmener le Fullmetal Alchemist à l'hôpital du Bois Nivert, et vous veuillez à ce qu'il soit soigné par le docteur Ross en personne, compris ?
- Ah, désolé Colonel ! Je vais y aller de suite Colonel ! répondit l'homme confus, qui me salua de nouveau en rougissant avant de se précipiter à l'entrée du passage.
- Edward est blessé ?! s'inquiéta Havoc, délaissant son travail. Je croyais qu'il était sur le toit de l'immeuble durant toute la manœuvre !
- Il a sauté dans la mêlée pour empêcher un homme de déclencher le détonateur, peu avant la fin de l'assaut, et s'est réfugié dans la librairie.
- Merde ! s'exclama-t-il. Je vais le voir !
Le grand blond détala, mais s'arrêta au bout de trois pas pour se retourner et ajouter:
- Je suis soulagé de vous voir en un seul morceau, Colonel !
Son aveu me surprit et me toucha plus que je le pensais. J'avais ouvert la bouche pour lui rappeler qu'il était censé travailler, mais la refermai. A quoi bon ? De toute façon, Edward allait probablement le rembarrer pour rester tranquille, et il allait revenir pour continuer à photographier les lieux. Et dans le cas contraire, les ruines n'allaient pas s'envoler.
Je me dirigeai vers la sortie du passage, au milieu d'un décor de désolation aux murs criblés de balles. Il n'y avait plus une vitre debout, les coffrages de bois étaient parsemés d'impacts ou brisés par les combats au corps à corps. Des éclaboussures de sang sur les murs coulaient et se noyaient au sol dans la poussière, les gravats et les éclats de verres. Le chemin était jonché de cadavres et de blessés auxquels d'autres portaient secours. La chaleur accumulée par la verrière faisait monter l'odeur écoeurante du champ de bataille. Mélange de poudre, de poussière et de sueur, de sang et d'entrailles, qui me projeta des années en arrière, lors des massacres d'Ishbal, et me noua l'estomac. J'arrivai dans la rue et retrouvai Hawkeye et Fuery, qui se précipitèrent vers moi.
-Vous avez des nouvelles d'Edward ? demanda immédiatement la belle blonde, me tirant de mon malaise.
- Il a l'air sonné, mais dit qu'il n'est pas gravement blessé, répondis-je.
Les deux militaires poussèrent un soupir de soulagement à l'unisson. Forcément, ils avaient eu de quoi s'inquiéter en perdant brutalement le contact ou en le voyant sauter. J'imaginais Fuery, criant désespérément le nom d'Edward sans recevoir de réponse, sans savoir ce qui s'était passé.
- Colonel, j'ai fait un bilan provisoire de l'opération, fit Hawkeye, professionnelle malgré ses traits encore tirés par la peur.
- J'écoute.
- Nous avons dénombré vingt-sept hommes parmi les terroristes, dont douze sont morts. Les autres sont sous contrôle, pour la plupart en train de recevoir les premiers soins.
Les soigner pour mieux les exécuter ensuite... l'armée a parfois un raisonnement qui m'échappe, pensai-je avec un soupir. Enfin s'ils sont tous hors d'état de nuire...
- Pour ce qui est des otages durant l'assaut, ils étaient quarante-huit, la plupart ont reçu des blessures légères du fait de notre mode opératoire, et sept personnes ont été reçues en urgence à l'hôpital dans un état grave. Quant à nos troupes, nous avons perdu le sergent Travis. Le pronostic vital des soldats Watson, Hodgson et Blair est engagé, et on dénombre une trentaine de blessés plus légers.
- Je vois... murmurai-je.
Je pris la feuille que me tendait Fuery et tournai la tête vers le cordon de sécurité. Une foule de reporters était sur le pied de guerre, prête à éplucher le moindre mot de ma déclaration. Je poussai un soupir.
- C'est à moi de m'y coller, hein ?
- Vous êtes le plus gradé sur l'opération, répondit simplement Hawkeye.
Je soupirai de nouveau et marchai lentement vers les harpies en lisant le contenu du rapport, tandis que la sirène des ambulances résonnait de l'autre côté de la rue. Durant les pas qui me séparaient des journalistes, les réverbères s'allumèrent, confirmant que la nuit était officiellement tombée. Je tâchai de retrouver l'expression posée et ferme que devait avoir tout personnage public.
- Colonel Mustang, pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui s'est passé ?
- Les rumeurs parlent d'explosifs ?
- Quel est le bilan humain ?
- Que pouvez-vous dire sur les motivations des terroristes ?
Les questions et les flashs fusaient encore plus vite que les balles. Je levai la main pour capter leur attention et les empêcher de parler, puis entamai d'une voix claire.
- L'attaque du passage Floriane par le Front de Libération de l'Est est terminée. Il y avait effectivement une importante charge d'explosifs, mais grâce au travail de mon équipe, les terroristes n'ont pas pu les déclencher. Le bilan provisoire fait état de treize morts, dont douze terroristes, et le pronostic vital de nombreuses personnes est engagé. Nous avons pu éviter le pire, mais chaque mort, chaque blessé est un échec. Une enquête est d'ores et déjà prévue pour mieux comprendre les causes de ces attaques et protéger au mieux les civils.
- Quel est le nom de la treizième personne ? Est-ce un civil ou un militaire ?
- L'identification des morts est encore en cours, pour l'instant, nous pouvons seulement vous dire que c'était un militaire.
C'était faux, bien sûr, mais il était hors de question que ce soit la radio qui annonce aux proches du soldat Travis qu'il était mort lors de l'attaque. Une personne chargée de cette tâche allait les contacter dans l'heure à venir et tâcher de les épauler dans l'épreuve.
- Comment va se dérouler l'enquête ?
- Sera-t-il possible de prendre des photos des lieux ?
- N'y a-t-il pas un risque pour les boutiques du passage Floriane de souffrir des suites de l'attaque ?
- Afin d'éviter les fuites qui pourraient nuire à notre travail, le déroulement de l'enquête restera secret tant que le réseau ne sera pas démantelé. Aucune photographie civile ne sera autorisée tant que les blessés ne seront pas tous évacués et la zone totalement sécurisée. Les démineurs sont actuellement au travail, en équipe avec les photographes de l'armée. Pour obtenir des photographies des lieux, il faudra contacter le bureau des enquêtes pour obtenir une copie de certaines de ces photos et une autorisation de publication, ou faire une demande à la préfecture pour venir sur les lieux sous escorte.
Je repris mon souffle et continuai.
- Ces règles sont bien sûr essentielles pour la préservation de votre sécurité et le bon déroulement de l'enquête. Une fois l'investigation sur les lieux terminée, l'État prendra en charge les frais de restauration du passage Floriane. L'impact économique est plus difficile à mesurer, mais des dispositifs de protection pourront être mis en place à la demande des propriétaires des lieux afin que leurs clients puissent revenir en toute sécurité.
Tout ce baratin, on le retrouvait au mot près dans tous les journaux le lendemain. Le corps hospitalier semblait ravi de soigner des héros, et l'un des militaires pris en charge dans le même service que moi avait vanté d'un ton moqueur ma capacité à être photogénique en toutes circonstances. La peur provoquée par l'attaque avait rendu les gens éperdus de reconnaissance envers nous, ce qui était flatteur mais probablement passager. En pensant à toutes les choses noires qui se tramaient dans l'armée, je me disais que la situation était quand même très ironique.
J'avais passé quatre jours à l'hôpital, stupéfait d'apprendre de la bouche d'Hawkeye qu'Edward en était sorti au bout de vingt-quatre heures seulement pour reprendre les rênes de la mission suivante aussi sec. Moi qui avais déjà commencé à réfléchir à un remplaçant depuis le fond de mon lit, convaincu qu'il ne serait pas en état de faire la mission que je lui avais confié, j'avais exigé qu'il soit accompagné, et Havoc s'était aussitôt porté volontaire. J'avais nommé quelques soldats supplémentaires, dont un volontaire sous les ordres d'un collègue, afin d'avoir une escorte digne de ce nom, et la mission s'était déroulée exactement comme je l'avais prévu.
Et maintenant, j'étais de retour à mon bureau, face à une énorme pile de dossiers, le bras bandé, le moral incertain. J'étais content de penser qu'Edward était rentré chez lui prendre un peu de repos. Entre Barry le Boucher et l'attentat, ses nerfs avaient été mis à rude épreuve dernièrement.
Je pris le premier dossier et commençai à le lire distraitement, avant que l'image d'Edward bondissant du vide pour attaquer le terroriste me revienne en mémoire, puis la manière dont il s'était presque jeté sous les balles à son arrivée. La peur que j'avais ressentie dans ces moments-là m'envahit de nouveau.
Je ne l'avais que rarement vu agir en mission. Je savais qu'il était tête brûlé, puisque je consultais tous ses rapports avec attention... mais entre le savoir et le voir de mes propres yeux, il y avait une marche énorme. A présent, je me demandais comment il avait pu traverser toutes ces années sans mourir, et je sentais que j'aurais du mal à ne plus m'inquiéter pour lui.
Alors l'imaginer à Resembool, au milieu des champs et des bois, était une nouvelle qui me rassurait beaucoup. Pendant quelques jours au moins, je pourrais me dire qu'il était hors de danger.
Cette idée apaisante en tête, je remis le nez dans mon dossier, plus attentif cette fois. Durant mes quatre jours d'absence, beaucoup trop de retard s'était accumulé dans mes dossiers... Un retard que je devais maintenant rattraper.
Il devait être quelque part entre midi et deux quand quelqu'un toqua à ma porte. Je me rassis dans mon siège et levai les yeux en disant d'entrer, m'attendant à voir Hawkeye arriver et me demander pourquoi je n'étais pas encore parti manger. Aussi me sentis-je pris au dépourvu quand je découvris que la personne qui franchissait la porte s'avéra être Schieszka.
- Bonjour Colonel. Vous allez bien ? demanda-t-elle en restant à moitié derrière la porte, comme si elle hésitait à entrer.
- Aussi bien qu'on peut aller en sortant de l'hôpital, répondis-je d'un ton un peu désabusé. Que me vaut votre visite, Scieszka ?
- Tenez, en remerciement pour avoir sauvé Kent Jackson ! lança-t-elle comme pour masquer son embarras en me tendant un gros livre à la couverture de cuir.
Je restai figé, totalement pris au dépourvu. Un livre ? Kent Jackson ? Ce nom me disait vaguement quelque chose, mais quant à savoir quoi...
- Vous ne le connaissez sans doute pas aussi bien que moi, mais Kent Jackson est le propriétaire de la librairie du passage Floriane il a été très touché que vous ayez pris des risques pour le sauver ainsi que les autres otages blessés.
- Ah ! m'exclamai-je en faisant le lien avec le vieil homme sur lequel le terroriste avait tiré dans l'unique but de nous faire réagir. Je vois.
Elle sourit et s'approcha, posant le livre sur mon bureau, par-dessus une pile de bordel. Le cuir était rouge sombre, patiné par l'âge, et la dorure des lettres avait eu le temps de ternir. On pouvait quand même lire, sur la couverture et le dos, le titre.
« Les liaisons dangereuses. »
Je pris le livre pour le feuilleter, un peu incertain face à ce cadeau inattendu.
- Vous savez, je ne suis vraiment pas un grand lecteur, avouai-je avec un sourire penaud.
- Je ne connais personne qui n'ait pas été passionné par ce livre.
- Eh bien, je serais peut-être le premier. Je vous tiendrais au courant, quoi qu'il en soit, répondis-je en le refermant.
J'avais eu le temps de voir, glissé entre les pages de garde, une enveloppe en papier kraft qui contenait manifestement une liasse de papiers assez épaisse ce cadeau en cachait un autre.
- Il faut que je retourne travailler, ma pause est presque finie, et avec l'attentat du passage Floriane, les archives sont très sollicitées ces jours-ci.
- Je vois, je ne vous retiens pas plus alors, répondis-je réalisant que je n'avais toujours pas pris ma propre pause.
Elle hocha la tête et s'apprêta à sortir, mais je la hélais.
- Scieszka !
Elle se retourna.
- Merci pour la lecture, fis-je simplement en soulevant le livre.
- De rien, Colonel.
Elle quitta la pièce et referma la porte, me laissant seul avec un roman, moi qui ne lisais jamais. Je rouvris la couverture rigide, pris la pochette brune et l'ouvris pour y jeter un œil. On y trouvait des extraits de rapports, des coupures de journaux, des photos, ainsi que des résumés manuscrits et des cotes qui devaient être les références de dossiers d'archive qu'elle avait trouvé intéressants. Je sortis une poignée de feuilles aux formats disparates. Un article vantait la rapide ascension de Juliet Douglas à l'occasion de sa nomination comme secrétaire du Généralissime, accompagné d'une photo ou elle posait à côté de King Bradley. La beauté de son visage était d'autant plus troublante qu'elle avait une expression fermée, extrêmement sévère. Je l'avais déjà croisée ou vu de loin, et elle m'avait donné une impression d'inflexibilité telle que je n'avais pas eu de mal, passé le choc de la révélation, à accepter l'idée qu'elle n'était pas humaine.
Juste après l'article que je regardai d'un oeil vague, la photographie d'une tombe. Je me plongeai dans la lecture de la documentation que Scieszka avait rassemblée sur elle, commençant par une note où elle résumait les premières conclusions de ses recherches d'une écriture ronde et régulière.
« J'ai été étonnée de ne pas la trouver davantage dans les rapports alors qu'elle est à un poste aussi important. Il y a finalement très peu de documents faisant mention d'elle comparé à d'autres membres de l'armée.
Il y a plusieurs éléments flous ou incohérents que j'ai relevés, mais le plus choquant est celui-ci : Elle devrait être morte. Une certaine Juliet Douglas a été enterrée à Yuflam en septembre 1899, à l'âge de 39 ans, J'ai retrouvé une photo de la tombe en fouillant les archives confirmant cette information. Pourtant, elle n'a jamais été rayée des registres militaires, elle semble même être à l'origine de la bavure qui avait provoqué la rébellion ishbale.
Tout ceci me paraît absurde et terrifiant. J'espère que vous trouverez dans les documents que j'ai compilés plus de réponses que moi. »
Je poussai un soupir. Tout cela correspondait à ce que Hugues nous avait raconté concernant la secrétaire du Généralissime. Peut-être que ces recherches ne nous apporteraient rien de plus que ce que nous savions déjà. Malgré cette perspective peu encourageante, je feuilletai les documents, survolant les textes pour prendre connaissance du contenu en attendant de prendre le temps de lire tout en détail. Quelqu'un m'interrompit en toquant à la porte, me faisant sursauter. J'ouvris le tiroir de mon bureau et y balançai indélicatement l'enveloppe beige et toutes les coupures qui se trouvaient dessus, qui tombèrent dans le plus grand désordre. En refermant le tiroir, je lançai un « entrez » d'une voix claire, et Hawkeye poussa la porte. Je retins un soupir de soulagement en la reconnaissant.
- Colonel. Je ne vous ai pas vu à la cantine.
- Je n'avais pas très faim, mentis-je. Et puis, je voulais profiter d'avoir un peu de temps tranquille pour travailler.
- Vos dossiers n'ont pas beaucoup avancé, pourtant, commenta-t-elle impitoyablement.
- Je suppose que j'avais d'autres préoccupations, soupirai-je.
- Je vois ça. En attendant, ce n'est pas en jeûnant que vous allez guérir... Vous devriez vous dépêcher d'aller à la cantine avant qu'elle ne ferme.
Je levai les yeux vers elle d'un air faussement innocent, la scrutant sans en avoir l'air. Il y avait quelque chose dans ses intonations, son expression, qui sonnait faux. Je repensai à ce que m'avait dit Edward à propos d'un Homonculus capable de prendre l'apparence de n'importe qui. Je m'attachai à conserver un ton égal, sans faire signe du moindre soupçon, et surtout, sans faire le moindre signe ou coup d'oeil vers le tiroir de mon bureau.
- Bah, il est un peu tard, et puis, n'ai pas très faim… Je pense que vu l'heure, je vais plutôt sortir tôt et me faire un petit gueuleton en ville en fin d'après midi.
- … Quel est ce livre ? demanda-t-elle en avisant l'ouvrage de cuir qui trônait sur mon bureau.
- Les liaisons dangereuses, répondis-je avec un soupir désabusé. Scieszka me l'a offert, apparemment, nous avons sauvé la vie de son libraire préféré.
- Je croyais qu'elle vous détestait, s'étonna la blonde en prenant le livre pour le feuilleter, intriguée.
Bingo.
Nous en avions discuté quand elle m'avait amenée en voiture à l'hôpital, pour ne pas me concentrer sur la douleur de ma blessure, j'avais passé le trajet à lui exposer les détails dont elle n'était pas pas encore au courant, l'implication de Scar, la promesse de Scieszka de nous aider avec ses propres moyens, les Homonculus...
Hawkeye sait tout ça.
- Oh, oui, elle me détestait mais... eh, il faut croire que les livres ont plus de valeur à ses yeux que les hommes, concluai-je en m'étirant. Enfin, les femmes et leurs mystères...
- Vous dites ça, Colonel, mais n'êtes-vous pas bien placé pour les comprendre, vous qui les séduisez toutes ?
Cette phrase acheva de me convaincre de la duperie. La vraie Hawkeye m'aurait foudroyé du regard pour cette remarque, je le savais. Elle n'aurait pas lancé ce petit sourire en prononçant ses mots, d'un ton presque entendu.
Ce n'était pas elle. L'illusion était troublant, et j'aurais pu me laisser prendre si je n'étais pas déjà sur le qui-vive… Mais maintenant que mes doutes étaient devenus une certitude, tous les signes de la supercherie me sautaient aux yeux. Son expression n'était pas assez austère pour être vraiment la sienne, elle se tenait un peu moins droite que d'habitude, elle n'utilisait pas les tournures de phrase auxquelles j'étais habitué... maintenant que je l'avais réalisé, je ne voyais plus que ça. En pensant que l'être qui se tenait devant moi était celui qui avait tenté de tuer Hugues, je sentis mes mains posées sur mes coudes trembler de manière infime. Une rage immense m'envahit. J'aurais pu lui sauter à la gorge pour le tuer, là, maintenant...
… si seulement les Homonculus n'étaient pas immortels.
- Je ne les séduis pas toutes... soupirai-je avec un sourire que j'espérais naturel. En plus, j'ai été tellement occupé depuis ma mutation que je n'ai même pas eu le temps de commencer à faire des ravages dans le cœur des secrétaires de Central-City.
- Une simple question de temps, je suppose...
- Une simple question de temps, oui, répondis-je.
Le geste de venir m'espionner, me narguer jusque dans mon bureau était une provocation terrifiante, humiliante. Avec un ennemi qui pouvait prendre l'apparence de n'importe qui, il fallait que je mesure mes paroles à chaque instant. Je n'étais à l'abri nulle part, je devais me méfier de tout le monde, absolument tout le monde.
Même Hawkeye.
Même Edward.
J'avais baissé machinalement les yeux sur mon bureau, hésitant à regarder en face cet ennemi de peur de laisser voir que je savais ce qu'il en était. Je me mordillais discrètement la joue. Ce petit tic n'était rien comparé à la tension qui m'habitait, ce mélange de peur, de rage, et de besoin d'intelligence, mais c'était déjà trop. Je sentais que je ne serais pas capable de jouer le jeu beaucoup plus longtemps.
- En parlant de temps, je devrais me remettre au travail, lançai-je en reprenant mon stylo. Si je veux pouvoir sortir faire un peu la fête pour me changer les idées ce soir...
- Oui, bien sûr, je vais en faire autant, répondit-elle en se redressant, m'adressant un petit salut militaire. Je ne vous dérange pas plus longtemps.
- Merci, répondis-je d'un ton un peu plus froid que ce que j'aurais voulu tandis qu'elle quittait la pièce.
Elle referma la porte derrière elle, et une fois sûr qu'elle s'était un peu éloignée, je lâchai un profond soupir, posant mes mains à plat sur mon bureau pour tenter de calmer leur tremblement convulsif. J'avais envie de ravager mon bureau pour me passer les nerfs, tout en sachant que je ne pouvais pas me le permettre. La discussion qui venait d'avoir lieu n'était rien de moins qu'un terrain miné. Et j'ignorais encore si j'avais réussi à m'innocenter. L'Homonculus était-il convaincu d'avoir réussi à me duper, ou avait-il un doute ? Avait-il perçu quelque chose de suspect dans mon comportement ?
Est-ce que j'avais réussi mon coup de poker ?
Je me renfrognai, pensant à Hugues, et la rage inarticulée qui m'habitait se transforma peu à peu en une fureur froide et calculatrice. Je tournai et retournai les choses dans ma tête. Rien ne pouvait laisser deviner la vérité aux yeux des Homonculus. Il n'y avait qu'une poignée de gens au courant de leur existence. Edward en faisait partie, c'est vrai, mais avec la relation pour le moins explosive que nous avions dans les locaux de l'armée, il y avait peu de chances pour qu'ils nous imaginent complices. Je tâchai de me raisonner : ils n'avaient aucune raison valable de se méfier de moi.
Enfin... Je me disais ça, mais d'un autre côté, Ils me surveillaient suffisamment pour venir m'espionner jusque dans mon bureau. Cela voulait-il dire que ma couverture était compromise ? Avaient-ils compris, d'une manière ou d'une autre, qu'Edward partageait ses informations avec moi ? Je réfléchis, cherchant désespérément quelle faille j'aurais pu laisser à l'ennemi, et ne parvins pas à en trouver.
Puis je compris que le soupçon venait d'ailleurs c'était Sciezka qu'ils surveillaient, pas moi. Et pour le coup, elle avait clamé haut et fort à l'enterrement de Hugues qu'elle allait retrouver les assassins. Il était logique qu'ils l'espionnent. C'était même évident.
Sa loyauté et sa franchise la mettaient en danger. Mais en s'exposant, en attirant l'attention sur elle, elle faisait retomber l'ombre sur Edward et moi, nous protégeant comme le ferait un paratonnerre.
Je devrais quand même trouver un moyen détourné de la prévenir, pensai-je. Ça serait malhonnête de la laisser prendre tous les risques sans qu'elle ait conscience du danger...
Maintenant que j'étais de nouveau seul dans mon bureau, je baissai les yeux vers le tiroir où j'avais enfermé à la hâte le dossier sur Juliet Douglas. J'allais devoir le reprendre avec moi ce soir. Même mon bureau n'était pas sûr, je le réalisais seulement maintenant. Heureusement que je n'avais rien de compromettant ici. Juliet Douglas n'aurait aucune peine à avoir les clefs de n'importe quelle pièce, le moindre bureau, le moindre placard à balais lui était accessible. Elle avait tout pouvoir. Je ne devais rien laisser derrière moi qui puisse être un indice pour eux, pour rester vierge de tout soupçon.
Puis, une révélation, plus effrayante encore, me sauta à l'esprit.
Si je n'avais pas sorti du livre la pochette de papier kraft contenant toutes ces recherches ? Ou pire, si je n'avais pas eu le temps de les ranger avant que la porte s'ouvre ?
Pour l'instant, j'étais innocenté... mais il s'en était vraiment fallu de peu.
- Patron, un whisky ! lançai-je tout en m'asseyant au bar.
La soirée avait un goût d'inachevé. Comme je l'avais prévu, j'étais sorti tôt du travail, la faim au ventre, le livre et son précieux contenu sous le bras. Mon chemin avait croisé celui de trois secrétaires qui discutaient joyeusement du restaurant où elles pensaient aller. Je les avais saluées, elles avaient rougi. Je leur avais demandé où était ce restaurant qui semblait alléchant, expliquant que nouveau à Central, je ne connaissais pas encore les bonnes adresses. De manière assez prévisible, elles m'invitèrent à se joindre à elles. Je passai donc la soirée en charmante compagnie, faisant connaissance avec ces jeunes femmes joyeuses.
A leur demande, je leur avais parlé d'East-city, je leur avais raconté un peu plus en détail quelques-uns de mes exploits. Ma réputation, professionnelle et personnelle, m'avait manifestement précédé. De leur côté, elles me décrivirent un peu plus la ville de Central, me conseillant les bars, les restaurants, les soirées dansantes... La soirée était passée vite, et j'avais senti une pointe de déception quand je les avais quittées avec un sourire et un geste de main. De mon côté, je restais un peu dubitatif. Je ne pouvais pas dire que j'avais passé une mauvaise soirée, mais je n'avais pas d'affinité particulière avec elles, même si manifestement, aucune des trois n'aurait refusé de me raccompagner chez moi.
Je n'avais pas envie de rentrer tout de suite, alors j'étais allé boire un verre dans un des bars qui m'avaient été conseillés. Et je m'étais retrouvé ici, accoudé au comptoir, entouré d'inconnus, un whisky à la main, le livre sur les genoux. Je regardais tout autour de moi, cherchant un visage, un regard, une silhouette qui attirerait mon attention. Les serveurs s'affairaient, les clients parlaient et riaient fort, couvrant presque la musique que crachotait le gramophone. Pour une fois que je pouvais entendre du Jazz, pourquoi fallait-il que les autres soient aussi bruyants ? Les lumières tamisées donnaient des airs de tableaux à un groupe de jeunes femmes bien habillées qui discutaient, installées sur une banquette.
J'aurais dû les trouver belles, attirantes, chercher à les séduire, comme je le faisais si souvent dans l'Est. Mais ce soir-là, je n'avais pas envie. Elles me paraissaient lisses, fades, presque banales dans leur apparence proprette et travaillée, vivant un quotidien tellement loin du mien que cela les rendaient juste… trop jeunes pour moi, d'une certaine manière.
Ce n'était pas l'esprit de collection qui me poussait à draguer, mais plutôt de la curiosité, une attirance pour l'éclat d'un regard, la douceur d'une voix ou une intonation qui laissait deviner un esprit brillant. J'avais envie de rencontres, de ressentir l'ivresse de la découverte et d'échanger un peu de tendresse, sans m'encombrer du fardeau d'un attachement trop profond. Et je prenais à coeur de ne pas laisser à d'autres l'occasion de trop espérer de ma part.
De toute façon, rien n'arriverait ce soir. La discussion de tout à l'heure m'avait déjà lassé, ma blessure me lançait un peu, et sur mes genoux pesait le volume relié des Liaisons dangereuses, que je couvais attentivement.
Je croisai le regard d'une femme qui me lança un sourire auquel je répondis presque machinalement mais au lieu d'aller l'aborder comme je l'aurais fait habituellement, je calai le dos du livre sur le zinc et l'ouvris à la première page, curieux de voir si je devais trouver un sens caché à ce livre, mis à part son contenu. Je survolai les lignes de texte de l'introduction, puis entamai le premier chapitre, qui commençait par une lettre. Le bruit dans le bar n'aidait pas vraiment à me concentrer, et ma lecture promettait d'être laborieuse. Je sirotai mon whisky comme du petit lait.
En quelques lignes, je vis se dessiner le personnage écrivant la lettre. C'était une jeune fille sortie du couvent, parlant chiffons, mariage et toilettes. Je manquai de lever les yeux au ciel : qui était cette petite niaise ? L'héroïne ?
Si j'évitais la compagnie des femmes qui m'entouraient de peur d'entendre des banalités, ce n'était pas pour lire les aventures d'une fillette sans caractère ! Me disant que finalement, l'enveloppe était le seul intérêt de ce livre, je le refermai dans un claquement sec, tombant nez à nez avec une cliente assise juste à côté de moi, celle qui m'avait fait un sourire de loin et s'était approchée sans que je le remarque. Sans doute la trentaine, brune aux yeux bleus, impeccablement coiffée et maquillée, elle portait une robe rouge particulièrement aguicheuse et une étole en soie sauvage. Et surtout, elle me couvait littéralement du regard, sans même essayer de le dissimuler.
- Hem, bonsoir ? fis-je d'un ton circonspect.
- Bonsoir, répondit-elle avec un sourire. Dites-moi, votre visage m'est familier. Nous nous sommes déjà rencontrés ?
- Je pense que je m'en souviendrai si c'était le cas, dis-je, sentant mon regard pétiller malgré moi, amusé par sa familiarité. Mais vous avez peut-être croisé mon portrait dans le journal, ajoutai-je en pensant aux articles sur l'attaque terroriste.
- Mais oui, c'est ça ! fit-elle, son visage s'éclairant en retrouvant. Vous êtes le Colonel Mustang, alias le Flame Alchemist !
- Lui-même, confirmai-je, à la foi satisfait de constater que j'étais connu, et un peu mal à l'aise.
- Est-ce que je peux vous serrer la main ?
- Je… oui, acceptai-je, surpris par sa requête saugrenue.
- Heather Robison, journaliste. C'est un honneur de vous rencontrer, Colonel !
Je lui tendis ma main qu'elle attrapa et secoua une poigne vigoureuse, visiblement enthousiaste. Puis elle me lâcha, se redressa et reprit contenance avec un petit toussotement, sans parvenir à se départir d'un sourire mutin qui contrastait avec son apparence mature.
- Vous pouvez m'appeler Mustang, répondis-je. Je n'aime pas trop être appelé par mon grade hors du travail.
- Oh, désolée, je peux comprendre.
- Ne vous excusez pas pour ça, ça n'en vaut pas la peine, répondis-je d'un ton tranquille.
. Je vois que vous lisez Les Liaisons dangereuses, c'est une belle édition que vous avez là. Où l'avez-vous acheté ?
En disant cela, elle s'était penchée vers moi, effleurant le dos du livre du bout de l'index. Manifestement, elle était en chasse. L'idée d'être de l'autre côté de la barrière me désarçonnait et m'amusait à la fois. Je ne me plaignais pas de la situation pour autant.
- On me l'a offert aujourd'hui. répondis-je en souriant. Mais pour être honnête, je ne suis pas un grand lecteur, et je ne suis pas sûr que ce roman me plaise.
- Allons, je ne connais personne à qui ce roman ait déplu, vous seriez bien le premier, répondit-elle avec un sourire en s'accoudant au bar avec légèreté. C'est vrai qu'il commence du point de vue d'une fille un peu naïve, mais la force de ce livre est d'avoir des personnages variés aux caractères et motivations différentes. Je pense que vous passerez un bon moment en le lisant.
- … Merci, répondis-je avec un sourire. Vous semblez bien connaître ce livre.
- Je suis journaliste, en toute logique, je m'intéresse à l'écriture, expliqua-t-elle.
- Je pensais que les journalistes s'intéressaient aux informations, renvoyai-je avec un petit sourire, calant le livre et l'enveloppe qu'il contenait sous mon coude, bien fermé.
- Aussi, bien sûr, répondit-elle avec un sourire avant de prendre une gorgée de son verre. Mais les journaux sont comme les femmes. Elles peuvent être aussi intelligentes et cultivées qu'il est possible de l'être, si la forme ne suit pas, le regard des hommes passe dessus sans s'arrêter.
- Le jugement est dur, commentai-je, surpris par cette phrase désabusée.
- C'est l'expérience qui parle, répondit-elle, avec un sourire que démentait son regard mélancolique.
La conversation continua le temps d'un deuxième verre. Nous échangeâmes des bons mots et des piques, le ton était joyeux et vif. Elle me conseilla quelques lectures qu'elle avait appréciées et me scruta d'un œil attentif, cherchant à deviner si j'étais plutôt Valmont ou Danceny.
- Vous êtes plutôt un Valmont, je pense.
- Et qu'est-ce que cela signifie ?
- Vous le saurez au fil de votre lecture, répondit-elle avec un sourire, fière de m'avoir piégé.
- Je suppose que je n'ai pas d'autre choix que de le continuer, maintenant, soupirai-je d'un ton faussement dépité.
- Mais vous ne comptez pas lire ce soir, n'est-ce pas ? Il est déjà tard…
Le regard pétillant qu'elle lança en buvant dans son verre après ces mots ne pouvait pas être plus explicite.
- Êtes-vous en train de m'inviter chez vous ? fis-je d'un ton taquin en m'accoudant un peu plus sur le bar.
- Eh, pourquoi pas ? Admettez que ça ne serait pas déplaisant.
Je me sentis sourire, je ne pouvais pas dire le contraire. L'idée de finir la nuit chez elle était assez prometteuse… Mais le poids du roman sous mon coude me rappela le secret qu'il contenait ; et je sentis que, si tentante que l'idée puisse être, abandonner l'objet au hasard dans la chambre d'une inconnue pour pratiquer d'autres activités était tout sauf raisonnable. Après tout, je n'avais aucune raison de lui faire confiance.
- Je ne peux pas, répondis-je avec un déception non feinte. Obligations professionnelles.
- Oh, quel dommage. Nous aurions fait une bonne équipe !
- Une autre fois peut-être ?
- Oui, j'espère bien avoir l'occasion de vous revoir à ce bar, maintenant que vous habitez à Central-City, fit-elle avec un clin d'oeil.
- Il y a des chances, répondis-je avec un sourire.
Comme il n'y avait rien d'autre à faire après ça, elle me salua et partit vers d'autres rencontres, tandis que je payais mon verre, reprenais mon livre, vérifiant que l'enveloppe de kraft s'y trouvait toujours, et rentrais chez moi le cœur plus léger. J'avais mangé un bon repas et rencontré une personne dont la discussion m'intéressait. Certes, aller plus loin ne m'aurait pas déplu, mais encombré de mon livre qui dissimulait des informations sensibles, je ne me voyais pas trop batifoler. Ce n'était que partie remise.
Je marchai jusqu'au trolley, l'attendis un moment, puis montai. Il était encore assez rempli à cette heure. Je me rendais compte au fil de mes promenades que Central vivait la nuit, beaucoup plus qu'East-city. Cette effervescence m'évoquait de belles promesses. J'avais trouvé une place assise, et je passai le trajet la tête calée contre la vitre, à regarder défiler les rues et les bâtiments éclairés par les réverbères. Comme les chaussées s'étaient vidées, le trajet fut rapide.
Je descendis, et passai la fin du trajet dans la rêverie brumeuse que permettait l'alcool conjugué à la fatigue. Ce n'est que quand je vis que sous ma porte filtrait un rai de lumière que je revins brutalement à la réalité. Quelqu'un s'était introduit chez moi.
Après la visite de l'ennemi dans mon propre bureau, cette découverte me mit aussitôt sur mes gardes. Je me figeai derrière la porte, guettant un bruit suspect montrant qu'il y avait des gens chez moi en train de fouiller mes affaires. S'ils avaient voulu me dresser un guet-apens, ils auraient gardé la lumière éteinte. Je tendis l'oreille, n'entendis pas un son. Après un moment d'hésitation, j'ouvris discrètement la porte, prêt à me battre, et, ne voyant aucune menace, entrai à pas prudents.
Je fis quelques pas, et vis alors la cause de mes inquiétudes. Il y avait quelqu'un sur mon canapé. Plus précisément, il y avait le Fullmetal Alchemist.
L'adolescent avait laissé ses chaussures traîner à gauche de la porte d'entrée et s'était étendu de tout son long sur les coussins de cuir, profondément endormi, un avant-bras pendu au dessus du vide. Juste en dessous, un carnet ouvert traînait sur le tapis, manifestement tombé de ses mains. Je m'approchai, m'accroupis pour le ramasser en prenant sur moi pour ne pas en lire le contenu, puis le refermai avant de le poser avec mon livre sur la table. Puis, au lieu de me relever, je m'accoudai à mon genou et le regardai attentivement.
Il n'avait pas bougé d'un pouce. Pelotonné dans mon grand canapé de cuir, perdu dans son manteau rouge élimé et froissé, il semblait si minuscule et fragile que j'en étais presque ému. Son visage disparaissait presque sous ses cheveux ébouriffés qui se soulevaient légèrement à chaque expiration. Je n'avais aucune idée de ce qu'il foutait sur mon canapé à cette heure de la nuit, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir apaisé par sa présence.
- Edward, murmurai-je pour le réveiller, sans doute pas assez fort, car il ne réagit pas.
Je poussai un soupir. Je n'avais pas vraiment envie de le tirer du sommeil. Il dormait si paisiblement que ça en aurait presque criminel. D'un geste léger, je levai la main vers sa tête, glissant les doigts sous ses cheveux pour les glisser derrière l'oreille, dégageant son visage dans une esquisse de caresse. Ses yeux clos aux longs cils étaient marqués par des cernes, et son visage fin, vierge de toute expression, était traversé par la cicatrice d'une estafilade spectaculaire sur la joue, accompagnée de quelques écorchures, vestiges de l'assaut du passage Floriane.
Difficile de croire, en le voyant dormir aussi paisiblement, que cet adolescent était capable de transmuter des bâtiments entiers et de combattre des terroristes. Quand je le voyais ainsi, aussi frêle et inoffensif, j'avais du mal à ressentir autre chose que de l'attendrissement.
Mais je ne pouvais pas rester comme ça éternellement. S'il était là ce soir, alors qu'il était censé prendre des vacances à Resembool avec ses proches, c'était parce qu'il avait quelque chose d'urgent à voir avec moi, à propos des Homonculus sans doute. De mon côté, j'avais une liasse de documents sur Juliet Douglas à lui montrer. Il fallait avoir l'esprit pratique. Je songeai à ce moment-là que j'avais bien fait de ne pas m'acharner à finir la soirée dans le lit de quelqu'un d'autre alors qu'il y avait des choses autrement plus sérieuses à discuter.
J'hésitai à le secouer pour le réveiller. Connaissant sa vie d'errance, je craignais un peu un retour de flamme en cas de réveil trop brutal. Et puis, avec tout ce qu'il avait dû encaisser ces derniers temps, il méritait quand même un peu de considération.
Je me relevai donc, et me dirigeai vers mon gramophone pour le lancer. Il allait lire le disque qui était resté dessus, en l'occurrence, les Canons de Pachelbel, pendant que je sortirais quelque chose à grignoter. Je ne savais pas depuis quand il était là, mais je n'étais pas sûr qu'il ait pu prendre le temps de manger avant d'échouer chez moi.
Les violons commencèrent à résonner dans la pièce, doux et caressants, et je me dirigeai dans la cuisine, laissant la porte ouverte pour profiter de la musique. Le gramophone était une des premières choses que j'avais sorties des cartons, avec la radio. Il était difficile pour moi ne pas écouter de musique quand j'étais chez moi.
En levant les yeux vers l'horloge, je constatai qu'il n'était pas loin de minuit. Je versai une carafe d'eau fraîche, et ouvris les portes du garde-manger. Il refuserait probablement un repas trop formel, comme il l'avait fait lors de ma proposition précédente, alors autant sortir quelque chose de simple. Du saucisson, du fromage, une miche de pain rond, une branche de tomates-cerises... J'avais acheté la veille du raisin vert, j'en cassai une grappe que je passai sous l'eau avant de la mettre dans un grand bol. Ce n'était pas grand-chose, mais si j'en faisais plus, il serait capable de prendre un air gêné et d'abréger son passage ici.
Le cœur gonflé par la musique qui enflait progressivement, je balançai la tête au rythme des violons, le sourire aux lèvres. Ce morceau me mettait immanquablement de bonne humeur, même si ce soir-là, ce n'était sans doute pas la seule raison. Je sortis un couteau à pain, un couteau de cuisine, une planche à découper, et rassemblai le tout sur un plateau pour l'amener. Le morceau entrait dans sa dernière partie, achevant de me réjouir. Je revins dans le salon, et vis le sommet d'une tête blonde et ébouriffée dépasser du dos de mon canapé. Edward se redressa vivement, dans un geste un peu pataud et se retourna, regardant partout autour de lui avant de me voir. Il ouvrit de grands yeux surpris et s'empourpra en remarquant le plateau que j'avais dans les mains.
- Ah, désolé, bafouilla-t-il, mort d'embarras, Je me suis endormi et... je...
- Je ne m'attendais pas à ce que tu rentres chez moi pendant que je n'y étais pas, mais je suppose que tu avais une bonne raison, non ? fis-je d'un ton calme.
En prononçant ses mots, je réalisai que si n'importe qui d'autre en avait fait autant, je l'aurais foutu dehors à grand coups de pieds au cul, furieux que quelqu'un entre dans mon domaine sans permission. Mais Edward n'était pas n'importe qui. Je n'avais jamais pris le temps de me rendre compte de ce fait, et je serrai un peu la mâchoire, sentant poindre une inquiétude à peine perceptible. Je m'étais laissé attendrir par l'adolescent, et j'avais fini par m'y attacher. Un peu trop.
- Je suis venu directement chez vous après avoir pris le train pour Central-city. Al et Winry sont chez Gracia Hugues et m'attendent. J'ai appris des choses à Resembool, et je devais vous en parler...
- De mon côté, j'ai récupéré aujourd'hui le fruit des recherches de Scieszka sur Juliet Douglas, je me suis dit que ça pourrait t'intéresser, répondis-je en posant le plateau sur la table.
- Je suis désolé d'être entré sans permission, c'était très malpoli de ma part, marmonna l'adolescent, les yeux baissés vers ses pieds qui se tortillaient dans ses chaussettes. En plus je me suis endormi sur votre canapé...
- Eh bien, je n'avais qu'à rentrer plus tôt, tu ne te serais pas endormi, lançai-je d'un ton léger, comme pour clore la conversation.
Je suis en train de lui passer trop de choses... Si je commence à réagir comme ça, je lui donne vraiment toutes les libertés, il deviendra un subordonné encore plus têtu et incontrôlable qu'il ne l'est déjà.
- J'aurais dû vous prévenir... murmura-t-il d'un ton contrit.
On aurait dit un chiot pris sur le fait d'une bêtise, à tel point que je me sentis incapable d'avoir la moindre rancoeur envers lui.
- C'est bon, je te dis. Raconte-moi plutôt tes découvertes, que je sache si cela justifiait d'entrer chez moi sans permission, ordonnai-je, renonçant définitivement à lui faire payer sa prise de liberté.
En prononçant ses mots, je lui tendis un verre d'eau qu'il prit entre ses mains, se rasseyant sur le canapé, visiblement mal à l'aise. Il me coulait des regards un peu inquiets, et je me mis à me demander avec un peu d'appréhension ce qui l'avait poussé à revenir de manière aussi hâtive. De mon côté, je pris place dans le fauteuil qui lui faisait face, prêt à l'écouter, après avoir pris un peu de saucisson, l'autorisant implicitement à se servir, ce dont il ne se priva pas par la suite.
- Dites… commença-t-il d'un ton un peu inquiet, semblant ne pas être prêt à commencer son rapport.
- Oui ?
- Vous n'avez pas… euh… votre bras va mieux ? fit-il d'un ton étrangement décousu, comme s'il ne savait pas ce qu'il s'apprêtait à dire. J'ai appris que vous aviez été hospitalisé.
- Ah, oui, ça. La blessure est un peu profonde, donc il faut que j'évite de le solliciter pour un moment, mais rien de grave ni d'irréversible.
Il hocha la tête avec un sourire fugace, le genre de sourire un peu machinal. Je le sentais mal à l'aise.
- Et toi, tu es guéri ?
- Oui, je suis comme neuf, je n'ai plus que des cicatrices du passage Floriane.
- Et les blessures de Barry le boucher ?
Il cligna des yeux, manifestement surpris. Je toussai, un peu gêné d'aborder un sujet peu professionnel, et tâchai de me rattraper en reprenant un ton plus distant.
- Quand je t'ai tiré en arrière, j'ai senti que tu avais des bandages, expliquai-je. Si tu es blessé, il faut me le dire, c'est inutilement dangereux de cacher ce genre de choses durant une intervention sur le terrain.
A ces mots, il rougit violemment et eut des gestes tellement maladroits que j'avais presque l'impression de le voir s'empêtrer dans des câbles invisibles.
- Je… Désolé de ne pas en avoir parlé, bredouilla-t-il. Mais ce n'était pas important, je ne pensais pas que c'était utile de le mentionner. Ça ne m'empêchait pas de combattre.
- Et tu es guéri maintenant ?
Edward hocha la tête sans desserrer les dents, visiblement mort d'embarras.
- Tant mieux.
Il opina de nouveau, avant de se resservir de saucisson, esquivant un peu mon regard, et un silence pesant s'installa. Sentant à quel point il était mal à l'aise, j'eus pitié de lui et changeai de sujet.
- Alors, dis-moi, pourquoi as-tu débarqué chez moi à l'improviste? Tu as appris quelque chose de nouveau ?
- Oui, répondit-il avec un peu de raideur. Ces derniers jours, j'étais à Resembool, Havoc vous l'a peut-être dit. Chez les Rockbell, nous avons reparlé de notre tentative de transmuter notre mère, et j'ai découvert quelque chose qui me paraît très inquiétant : le corps difforme que nous avions transmuté... Il a disparu.
- Comment ça, il a disparu ? Que s'est-il passé ?
- Juste après la transmutation... j'étais gravement blessé, et Al m'a amené chez les Rockbell où j'ai été soigné. J'ai toujours cru que Pinako avait enterré ou brûlé le monstre que nous avions créé, mais en vérité... Quand elle est allée voir à la maison après m'avoir soigné, il n'y avait rien d'autre que notre cercle d'alchimie et des traînées de sang. Elle a cru que j'avais transmuté de nouveau le corps, et que c'est pour ça qu'il n'était... qu'il n'était plus là.
- Tu veux dire qu'il y a une créature qui erre quelque part dans la nature ? Mais je croyais que le résultat de votre transmutation n'était difforme et incapable de survivre...
- Oui, c'est ce qu'on a toujours cru... Mais on en a discuté avec Al, et on s'est demandé si... si ça ne pouvait pas avoir un rapport avec les Homonculus.
L'adolescent avait les dents serrées, les sourcils froncés après avoir prononcé ses mots. Si son hypothèse était juste, si lui et son frère avaient créé un Homonculus... Je le connaissais assez pour savoir qu'il porterait le poids de ce fardeau jusqu'au jour où il s'effondrerait d'épuisement. J'espérais que cette histoire n'était qu'une erreur de compréhension, que la résolution du mystère ne serait qu'une chose banale et presque décevante. Mais je devinais déjà que ça ne serait pas le cas les intuitions d'Edward étaient trop souvent justes.
- Pour cette raison, j'ai raccourci mon séjour à Resembool. On a beaucoup parlé avec Al, et on a décidé d'aller revoir notre Maître, même si on risque de se faire écharper là-bas. On repart pour Dublith dès demain. C'est pour ça que je suis venu ce soir, je voulais vous en parler.
- Je vois, murmurai-je, avant de boire une nouvelle gorgée d'eau. Tu n'es que de passage.
Je n'étais pas sûr d'avoir su dissimuler complètement l'inflexion déçue de ma voix, mais il était manifestement trop préoccupé pour s'en apercevoir. En revanche, je sentais bien à quel point la perspective d'être potentiellement responsable de la création d'un Homonculus le mettait sur les charbons ardents.
- Bon. De mon côté, j'ai quelques nouvelles, donc, fis-je pour continuer la discussion et l'empêcher de trop y penser. Je ne crois pas avoir eu le temps de t'en informer, mais Hawekye est maintenant au courant de l'essentiel. Scieszka m'a confié ses recherches, qui sont juste là, ponctuai-je en montrant l'épaisse pochette de kraft contenant toutes les coupures que la bibliothécaire avait pu rassembler. Et, enfin, j'ai été visité par l'ennemi jusque dans mon bureau.
- Comment ça ? demanda-t-il en prenant l'enveloppe beige que je lui tendais.
- Tu te souviens de ce que tu disais, sur un Homonculus qui pouvait prendre l'apparence de n'importe qui ?
- Oui, Envy ?
- Oui. Ce midi, Hawkeye est venu me parler dans mon bureau, peu de temps après le passage de Scieszka. Enfin... je dis ça, mais je pense que ce n'était pas réellement elle.
- Vous pensez qu'Envy a pris son apparence pour vous espionner ? demanda Edward en s'étranglant à moitié face à la nouvelle.
- J'en suis convaincu. Heureusement, le dossier était dans un tiroir de mon bureau à ce moment-là, et comme je me suis rapidement méfié, je pense n'avoir rien dit de suspect... à priori, ils n'ont rien contre moi.
- Tant mieux... Mais ça veut dire qu'il faut vraiment se méfier de tout le monde.
- De toi, je ne me méfie pas vraiment. Il aurait de la peine à te contrefaire correctement.
A ces mots, il rougit, la bouche pleine de saucisson. Puis il déglutit et demanda avec une inflexion un peu indignée :
- C'est une insulte ou un compliment ?
- Je te laisse choisir, répondis-je avec un sourire, me calant plus confortablement dans le siège.
Décidément, il est beaucoup trop facile à taquiner... Je ne suis pas sûr de pouvoir m'arrêter complètement un jour.
Tout en me fixant d'un air un peu boudeur, il ouvrit l'enveloppe et en versa le contenu sur la table sans ménagement. Son regard se baissa vers les coupures de papier, et se figea. Je me redressai en le voyant blêmir. Non, ce n'était même plus blêmir : il en avait les larmes aux yeux. Il prit d'une main tremblante l'une des coupures pour la voir de plus près. Devant son expression horrifiée, je sentis mon cœur battre la chamade et un frisson galoper le long de mon dos. Qu'avait-il pu voir, qu'avait-il compris qui le mettait dans un tel état ?
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Je... murmura-t-il, la gorge serré, le souffle court. Je vous ai déjà montré... une photo de ma mère ?
- Non, répondis-je, sentant bien que c'était une question rhétorique.
L'adolescent posa la main sur le carnet posé sur la table basse pour l'ouvrir, et tira de la troisième page une vieille photo qu'il jeta vers de mon côté. Puis il posa, juste à côté, la photo de la coupure de journal. Je l'avais vue un peu plus tôt, alors, avant même qu'il eut finit ce geste, j'avais déjà compris. Mis à part son expression, la femme qui posait en souriant dans sa robe claire à volants ressemblait trait pour trait à Juliet Douglas, se tenant debout à côté du Généralissime.
Je retins ma respiration, soufflé par le choc de cette révélation. C'était une chose d'avoir des soupçons, c'en était une autre d'en avoir la preuve sous les yeux. Je levai les yeux vers Edward, et ne croisai pas son regard. Il s'était penché en avant et avait enfoui son visage dans ses mains pour dissimuler son expression, mais ses épaules tremblantes et sa respiration bruyante trahissaient son état. Il était au bord des larmes. En le voyant aussi bouleversé, j'avais juste envie de le serrer longuement dans les bras ; mais je savais bien que ce serait un geste complètement déplacé de ma part. Malgré cela, la vérité qui s'abattait sur lui était trop cruelle : alors qu'il combattait les Homonculus, qu'il s'acharnait à sauver des vies au détriment de la sienne, il se découvrait maintenant plus coupable que n'importe qui...
Je me levai en silence, m'assis à côté de lui, et posai une main compatissante sur son épaule, tout en tâchant de garder la distance que dictait nos rapports professionnels. Équilibre délicat.
- Edward, ne te laisse pas abattre, fis-je d'un ton ferme. Il fallait découvrir la vérité, tôt ou tard. Pour t'avoir aussi bien formé, ton Maître doit être une personne de talent, très cultivée. Je suis sûr qu'il t'aidera à trouver des pistes pour comprendre les Homonculus et mieux lutter contre eux.
- Elle, corrigea-t-il dans un soupir, le visage toujours enfoui dans ses bras. Mais elle va me tuer avant.
Je serrai les dents. Je me sentais pris d'une bouffée de tendresse comme je n'en avais pas eu depuis des années. J'aurais voulu le serrer dans mes bras pour le réconforter... mais si je faisais ça, il allait sans doute bondir en arrière avec des yeux ronds, me demandant à quel point j'avais bu pour avoir un comportement pareil, et j'allais me sentir terriblement ridicule. Alors je me contentai de serrer un peu plus ma prise, espérant qu'il sentirait mes encouragements à travers ce geste dérisoire.
- Elle ne va pas te tuer. Tu ne pouvais pas le savoir, murmurai-je, tâchant de le réconforter par les mots, faute de mieux.
- Je me sens comme un criminel.
- Ne dis pas ça à quelqu'un qui en est réellement un, répondis-je avec un rire amer, sentant ma propre culpabilité remonter.
- … Désolé, souffla-t-il d'une voix un peu rauque.
Il y eut un long silence pendant lequel lui comme moi restâmes immobiles. Puis il renifla, se redressa et regarda droit devant lui, une expression ferme sur son visage rougi. Il avait réussi à retenir ses larmes, mais ne pouvait pas dissimuler à quel point il était bouleversé. Il articula d'une voix très calme, sans me regarder.
- Désolé pour ça, Colonel. Je vais prendre les responsabilités pour mes actes. Vous pouvez compter sur moi pour tout faire afin d'arrêter nos ennemis.
- Je sais, soufflai-je simplement avec un demi-sourire.
Je n'en doutais pas une seconde.
Edward tourna la tête vers moi d'un air surpris, et rougit en croisant mon regard, avant de détourner les yeux. Il se leva, se détachant de ma main posée sur son épaule, puis s'épousseta, dos à moi. Son moment de faiblesse était terminé, il enfilait de nouveau son costume de héros. A moi d'en faire autant.
- Est-ce que tu as d'autres choses à signaler ?
- Non, pas vraiment, répondit-il sans se retourner.
Je regardai cette petite silhouette dans son manteau rouge et froissé, avec sa tresse blonde et ébouriffée. C'était étrange de voir la force qui pouvait émaner de ce tout petit bout d'homme, si jeune et déjà exceptionnel. J'admirais d'autant plus son courage qu'avec le temps, j'avais appris à connaître un peu plus ses failles et ses peurs. Une personne sans peurs n'était pas courageuse, juste inconsciente. Ce n'était pas son cas.
- Bon, je ne vais pas vous déranger plus longtemps, fit-il avec un sourire fragile. Vous avez besoin du dossier Juliet Douglas, ou je peux vous le prendre ?
- Tu peux l'embarquer, je l'ai déjà lu intégralement, répondis-je en remettant les papiers dans l'enveloppe. Et c'est vrai que vu l'heure, tu ferais mieux de rentrer... Je ne sais pas combien de temps tu es parti, mais les autres risquent de s'inquiéter pour toi.
- C'est vrai... Al se plaint que je pars sans arrêt. En plus, la dernière fois que je suis venu pour vous déposer un dossier, j'ai fini par passer la nuit à l'hôpital... je crois qu'il vous en veut encore pour ça.
- Tu lui as dit que sans toi, le quartier aurait explosé ? demandai-je en fronçant les sourcils à l'évocation de son frère.
- Je n'ai pas à lui dire ce genre de choses ! se rebiffa-t-il, manifestement gêné. En plus, je suis loin d'être le seul responsable de cette bonne nouvelle.
- Hé bien, si je le recroise, je lui dirais, répondis-je en souriant, les bras croisés.
- … Faites ce que vous voulez, répondit-il avec une inflexion agacée dans la voix, reprenant le dossier que le lui tendais d'un geste sec.
- Je ne m'en priverai pas !
- Et vous, vous n'avez rien oublié de ce que vous aviez à me dire ?
- Pas que je sache. Mais j'aurais sûrement d'autres découvertes dans les jours à venir. Je n'ai sans doute pas fini de voir les retombées de l'attaque du passage Floriane.
En changeant les horaires du transfert de Bald sans prévenir mon supérieur direct, j'avais abusé de ma position, et même si la mission s'était déroulée sans anicroche, le Général Erwing n'allait sans doute pas laisser passer cet écart aussi facilement. Cela m'inquiétait un peu, mais Edward avait déjà l'esprit assez encombré pour que je lui ajoute pas mes propres préoccupations.
- Je vous téléphonerai quand j'aurais du nouveau, annonça Edward en se dirigeant vers l'entrée.
- J'espère bien !
Je regardai l'adolescent remettre ses chaussures. Je ne pouvais pas m'empêcher de remarquer à quel point il avait les traits tirés. La vie ne l'épargnait décidément pas ces derniers temps. Si, grâce à mon initiative de l'autre jour, il avait pu échapper à un combat supplémentaire lors de sa dernière mission, je n'avais aucun regret. Après tout, je trouverais bien comment tourner la situation à mon avantage. C'était ma spécialité, il n'y avait pas de quoi s'inquiéter.
Je me levai pour l'accompagner à la sortie, et me retrouvai face à lui alors qu'il venait d'ouvrir la porte.
- Edward...
- Oui Colonel ? lança-t-il du ton méfiant de celui qui s'attendait à une pique.
- Fais attention à toi, lâchai-je avec une sincérité que je ne me connaissais pas.
- … Vous aussi Colonel, répondit-il à mi-voix après un long silence.
Nos regards se croisèrent durant un instant de flottement qui sembla s'éterniser, comme si notre conversation n'était pas réellement terminée. Mais je ne voyais pas quoi dire de plus, et après avoir détourné le regard, l'adolescent finit par se tourner et partir dans le couloir.
- Bonne nuit Colonel.
- Bonne nuit, Edward.
Je restai adossé au chambranle de ma porte d'entrée, regardant sa silhouette s'éloigner dans le couloir et disparaître dans les escaliers avec un inexplicable sentiment d'échec. La journée avait été longue, je me sentais triste, les nouvelles n'avaient pas été bonnes, et à l'idée de ne plus le revoir dans les jours à venir, sachant avec quelle facilité il se mettait en danger, mon cœur se serra d'inquiétude. Je refermai la porte avec un soupir, envahi par la solitude. Je n'aimais pas me découvrir de l'attachement pour d'autres ; c'était un point faible pour moi et une source de danger pour eux. Mais comment rester de marbre face à cet adolescent turbulent ?
Edward était toujours pareil. Il arrivait, s'indignait, occupait tout l'espace, et repartait aussi brutalement qu'il était venu. Il allait me manquer, avec ses grands airs et le vent de chaos qu'il amenait partout où il allait. J'avais un mauvais pressentiment, l'impression que je ne le retrouverais pas avant longtemps. Je ne pouvais pas savoir à ce moment-là à quel point cette intuition allait s'avérer juste.
