Le nouveau chapitre est arrivééééééé ! Et l'illu qui va avec EXISTE, ce qui est un véritable MIRACLE étant donné que je travaille d'arrache pied sur la réédition de Sweet Suicide, un doujin basé sur FMA/Conqueror of Shambala que j'ai réalisé entre 2013 et 2017. J'ai le plaisir de vous annoncer que la campagne est un franc succès, puisque nous avons dépassé le cap des 1000 euros aujourd'hui ! Cela permettra d'imprimer non seulement les trois livres, mais aussi des goodies exclusifs pour les contributeurs (marque-page, cartes, ex-libris, shikishis et même des gravures !) La campagne continue jusqu'à la fin du mois, du coup, s'il y a des gens que le projet intéresse, n'hésitez pas à aller voir sur la page Ulule pour en savoir plus ( plus d'infos en profil)
Je n'en parle pas davantage, le but n'est pas de vous assommer avec ça mais juste de vous dire que ça existe (ce serait bête de passer à côté d'un projet qui pourrait vous intéresser). Par contre, je voudrais remercier mes pompom girls pour le courrier-surprise... En effet, lors de ma dernière convention, j'ai eu l'immense joie de me voir remettre deux cartes postales, envoyée directement d'Amestris par Hugues... ce clin d'œil à chapitre 18 de cette fic m'a donné le sourire pour la journée !
Cela dit, nous pouvons revenir dans le présent, avec le regard d'Alphonse sur un quotidien décidément bien compliqué. Vous pourrez retrouver l'illustration de chapitre sur Deviantart, dans le dossier habituel (plus d'info sur mon profil ;) ). C'est un dessin réalisé TRÈS rapidement, ne vous attendez pas à quelque chose de chiadé, mais j'aime bien l'ambiance qui s'en dégage...
Sur ce, j'ai bien trop parlé, je m'arrête-là pour vous laisser lire !
Chapitre 33 : Observations (Alphonse)
L'ambiance était étrange ce matin-là, tandis que Winry fermait son sac. Le souvenir de l'avoir vue en larmes après sa dispute avec Edward et la prise de conscience que j'avais eue à ce moment-là m'avait laissé perdu et triste. Quant à Edward, la rancœur qui était née depuis que j'avais découvert qu'il m'avait dissimulé ce qu'il savait de Juliet Douglas et son lien avec notre transmutation ratée me faisait redouter l'absence de notre amie commune. Les journées passées seul aux côtés d'un frère boudeur risquaient d'être très longues.
- Bon, les garçons, j'y vais ! s'exclama-t-elle d'un ton de grande sœur.
- Fais un bon voyage, répondit poliment Edward, incapable de la regarder en face.
- Oui, fais attention à toi et dis-nous quand tu es arrivée ! ajoutai-je d'un ton plus vif.
- Allons, vous dites ça comme si je partais pour un mois… je ne m'en vais que pour quelques jours ! rappela-t-elle avec un rire. Je reviens samedi avec les automails customisés ! D'ailleurs, Ed, prépare-toi, ça va saigner !
- Hé ! s'exclama-t-il en sortant de ses airs moroses.
- Au sens figuré, t'inquiète ! Je n'ai pas prévu de faire des modifications sur tes ports d'automails, tant qu'ils sont en bon état, profitons-en !
- Y'a intérêt, grommela mon frère en retrouvant l'air blasé qu'il avait les derniers jours.
- T'inquiète pas pour ça, tu sais que j'assure, pourtant ! ajouta-t-elle avec un clin d'œil.
En les regardant face à face, j'avais l'impression de voir le jour et la nuit discuter. Edward traînait avec lui une aura morose depuis le début du voyage, mais Winry, si je l'avais vue en larmes l'autre jour, n'avait plus laissé son éternel sourire se décrocher de ses lèvres, même s'il était parfois un peu crispé face au caractère irascible de mon frère. Alors qu'elle prenait une grand inspiration, un sac dans chaque main, elle semblait déborder d'énergie comme jamais. Elle traversa le jardin, ouvrit la poignée du portail d'une habile manœuvre du pied, puis se retourna comme si elle avait oublié quelque chose.
- Ah, et je compte sur vous pour vous être réconciliés à mon retour, c'est bien compris ? s'exclama-t-elle d'un ton presque autoritaire.
Elle se retourna et continua son chemin sans attendre notre réponse. En l'entendant, je me sentis un peu con. Je risquai un coup d'œil vers Edward, dont le regard coulait justement dans ma direction.
Depuis le soir des disputes, ma colère était progressivement retombée, remplacée par une profonde mélancolie. J'étais en plein chagrin d'amour, et je n'avais personne à qui en parler. Ceux dont j'étais le plus proche étaient les principaux intéressés, ce qui rendait la chose délicate. Enfin, depuis hier matin, Edward avait cessé ses regards assassins, comme s'il était soudainement de bien meilleure humeur. Même si nous ne nous parlions pas vraiment, c'était tout de même une amélioration notable.
Ceci dit, dans cette situation lamentable, je voyais un aspect positif. Edward s'était engueulé avec à peu près tout le monde. Ce n'était pas une bonne chose en soit, mais ça voulait dire que quelque chose le contrariait, et que ça n'était pas uniquement moi. Je m'étais mis en tête de savoir ce qu'il me cachait cette fois encore.
Enfin, il faudrait déjà réussir à recoller les morceaux, pensai-je en entamant une série d'étirements dans le jardin. Izumi nous avait prescrit des exercices matinaux pour nous occuper un peu. Aujourd'hui, l'enfant Homonculus était des nôtres, et alternait entre les moments où il nous observait, la tête penchée comme un animal curieux, et les moments où il nous imitait. Je trouvais la situation plutôt amusante, mais Edward avait visiblement du mal avec cette idée. On aurait dit que sa simple présence était une insulte.
Je regardai l'Homonculus. Il était plus petit encore que moi, avec un quelque chose de chétif et de déséquilibré. Il flottait dans les T-shirts que je lui prêtais, ce qui lui donnait l'air encore plus frêle. Pourtant, pour l'avoir vu gambader et pêcher, il était d'une habileté impressionnante et d'une force très honorable. Sa rapidité pourrait faire de lui un combattant redoutable… c'était vraiment une personne à double tranchant.
Malgré le risque potentiel qu'il représentait pour nous, je tâchais de le traiter avec respect et gentillesse. J'étais suivi en cela par le gros de la maisonnée, qui avait fini par le surnommer Cub de manière arbitraire, faute de connaître son véritable prénom. Après tout, Izumi voyait en lui le fils qu'elle n'avait pas eu, et si Juliet Douglas était le fruit de notre tentative de faire revivre Maman, il se pouvait bien que ce gamin soit réellement son enfant. Même s'il aurait sûrement dû être plus grand. Dans mon souvenir, il était censé avoir l'âge d'Edward. Pourtant, il n'avait définitivement pas l'apparence d'un adolescent de quinze ans.
En vérité, parmi les raisons pour lesquelles je m'approchais volontiers de lui, il y avait aussi de la curiosité. Même si je ne m'en souvenais pas, j'avais passé quatre ans avec mon corps enfermé derrière la porte. Lui qui avait été rendu à la porte par Izumi, il avait dû passer un bout de temps à cet endroit. Cela nous faisait quand même un sacré point commun.
Mais lui comme moi, nous n'en avions aucun souvenir. Izumi, Edward et moi avions essayé de lui faire explorer sa mémoire, mais sans grand succès. Il était là depuis des mois, peut-être même des années, et personne n'avait pris la peine de le remarquer jusque-là. Il semblait ne rien connaître d'autre que l'île où nous l'avions trouvé, et il utilisait ses pouvoirs de manière totalement instinctive et parfois erratique. Le voir se mélanger à la matière inanimée était une aberration qui donnait la nausée à n'importe quelle personne pratiquant un tant soit peu l'alchimie.
Winry ne comprenait pas ce malaise, mais j'avais vraiment cru que j'allais vomir quand, en entendant des hurlements, je m'étais précipité avec les autres dans sa chambre et que je l'avais retrouvé fusionné avec son lit dans un hybride monstrueux au bois mou. Izumi avait réussi à rétablir la situation en caressant la joue de l'enfant, lui murmurant des mots doux jusqu'à ce qu'il parvienne à revenir de lui-même à sa forme normale et s'effondre dans ses bras.
Heureusement qu'il y était parvenu, car je n'étais pas sûr qu'Edward ni même Izumi ne seraient parvenus à défaire cette aberration. En reconstituant la scène, nous avions supposé qu'il avait fait un cauchemar et utilisé accidentellement son pouvoir dans son sommeil. Comme un tout jeune garçon.
Je repensais à tout ça et gardant un œil sur lui, tandis qu'il laissait de côté ses étirements pour partir à la poursuite d'un insecte. Il l'étudia un moment, puis, sans signe avant-coureur, l'écrasa une grande claque. Je sursautai et abandonnai mon entraînement pour m'approcher de lui avec un cri scandalisé.
- Hé, mais qu'est-ce que tu as fais ? !
- Je sais pas… j'ai eu envie.
Edward, qui s'était arrêté lui aussi, plissa les yeux d'un air peu étonné et emprunt de jugement. Par moments, ce gosse avait un comportement un peu monstrueux. C'est ce que mon frère devait se dire. Mais c'était surtout celui d'un enfant. Je l'avais vu faire le même genre de choses quand nous étions mômes, et je m'en étais tout autant indigné à l'époque.
- Mais il ne faut pas faire ça, tu l'as tué, tu te rends compte ?
- Et ? demanda l'Homonculus en levant des grands yeux violets vers moi.
- C'est mal de tuer les autres, répondis-je en m'asseyant en tailleur en face de lui.
- Mais… les animaux se tuent entre eux, répondit-il en penchant la tête, semblant ne pas comprendre pourquoi j'avais bondi en le voyant faire. Et vous deux, vous avez tué des poissons. Et la viande qu'on a mangée ce midi, elle a été tuée aussi.
- Oui, c'est vrai. Il nous arrive de tuer, répondis-je en baissant les yeux. Mais on n'aime pas ça.
Je me souvenais de la première fois où j'avais tué un lapin. C'est un souvenir qui me hantait toujours un peu. Je ne pouvais pas ne pas me sentir coupable. Mais même si je me haïssais pour ça, j'avais tellement faim que je n'avais pas vraiment eu le choix sur le coup.
- Les renards tuent les lapins pour les manger. S'ils ne font pas ça, ils meurent. Les humains aussi tuent pour se nourrir.
- Mais ils se tuent entre eux aussi, lâcha-t-il.
Comment savait-il cela s'il n'avait jamais rien vu d'autre que l'île où nous l'avions retrouvé ? Était-ce un fragment de son passé qui lui avait appris cela ? Après tout, s'il était capable de parler, c'est qu'il avait plus de connaissances que ce que son expérience sur l'île pouvait lui avoir apporté.
En attendant, je ne savais pas quoi répondre à ça. Je ne pouvais pas mentir, mais cette réalité n'arrangeait pas vraiment ma leçon de morale.
- C'est vrai, soupirai-je tristement. Certains humains sont méchants et en attaquent d'autres. Les gens sont parfois obligés de se battre pour sauver leur vie.
- Et vous, quand vous vous battez tous les deux, fit-il en tendant un index vers moi, l'autre vers mon frère. Ce n'est pas pour manger, ce n'est pas parce que vous voulez vous tuer ! Alors pourquoi vous faites ça ?
- Pour s'entraîner. Les animaux apprennent à chasser, et nous on apprend à se battre.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il y a des ennemis dont on doit être capable de se protéger.
- … Des gens méchants ? fit-il avec un mélange de perplexité et d'inquiétude.
- Oui, des gens méchants.
Le gamin baissa les yeux vers l'insecte qu'il avait écrasé. Impossible de dire s'il avait des remords, mais visiblement, il réfléchissait intensément.
- Dis-moi, fis-je à son attention. Tu veux bien qu'on se fasse une promesse ?
- Une promesse ?
- Oui. J'aimerais que tu me promettes de ne plus tuer si tu n'y es pas obligé. Si tu ne risques pas de mourir, il ne faut pas tuer ceux qui sont en face de toi.
- Les humains, les animaux, et les insectes, je ne dois pas les tuer, c'est ça ? demanda-t-il d'un ton hésitant, penchant la tête comme un petit animal.
- Oui. Et je te promets de ne pas le faire, moi aussi.
- Mais toi, tu le fais déjà. C'est de la triche.
- C'est vrai, répondis-je avec un sourire en coin. Alors je peux te promettre autre chose. Que veux-tu que je te promette en retour ?
L'enfant, assis en tailleur, se balança de gauche à droite en réfléchissant, se tenant les pieds avec une petite moue. Edward, un peu plus loin, avait cessé son entraînement et regardait la scène dans un silence stupéfait. Je ne savais pas ce qu'il penserait de la situation. Peut-être se mettrait-il dans une colère noire en me demandant plus tard à quoi je jouais. Mais sans dire que je m'en fichais, il me paraissait plus important d'essayer de comprendre l'être qui était en face de moi. S'il était capable de me dire ce qu'il souhaitait…
- J'aimerais… ne plus jamais être tout seul, répondit-il. Que tu sois toujours là.
La réponse me fit rougir et m'arracha un sourire. J'étais bien embarrassé.
- Je ne sais pas si je pourrais toujours être là avec toi, répondis-je. Mais j'essaierai.
- J'aimerais être toujours avec Izumi, aussi, ajouta-t-il en penchant la tête de côté avec un large sourire. Et Sig. Et Winry. Et toi. Mais surtout Izumi.
Je n'étais pas le seul à avoir remarqué qu'Edward n'avait pas été cité. Celui-ci ouvrit une grande bouche indignée et s'apprêta à tempêter, mais je croisai son regard et me contentai de poser le doigt sur la bouche avec un sourire. Il comprit le message et claqua les mâchoires en ravalant péniblement sa colère.
En même temps, frérot, tu passes ton temps à l'agresser, comment veux-tu qu'il t'apprécie ?
- Je ne sais pas si je pourrais toujours être avec toi… mais je ferais de mon mieux. Je ferai tout pour que tu sois toujours avec moi, ou Izumi, ou Sig, ou Winry, d'accord ?
- D'accord, répondit l'enfant avec un sourire.
Je lui tendis ma main droite pour marquer le pacte.
- Promis ? demandai-je.
Il regarda ma main avec hésitation puis tendit la sienne. Je l'attrapai et le sentit la serrer de ses petits doigts vigoureux.
- Promis ! répondit-il.
Je lui lançai un grand sourire auquel il répondit d'un air complice. Assis le cul dans l'herbe avec nos expressions joyeuses, on devait avoir l'air d'une paire de gamin en train de jouer. Comme la discussion était plus ou moins terminée, Edward se fit entendre d'un raclement de gorge gêné.
- On est censés s'entraîner, là.
- Ah oui, c'est vrai, m'exclamai-je en me bondissant sur mes pieds. Si Izumi me voit bailler aux corneilles, elle va encore me passer un savon !
Je repris l'entraînement après un sourire lancé à mon frère, qui répondit par une expression incertaine. Il ne semblait plus vraiment en colère, mais il n'était pas heureux pour autant.
- Je ne sais vraiment pas quoi en penser, marmonna Edward.
C'était la première fois depuis longtemps qu'il m'adressait la parole autrement que pour un sujet factuel comme l'entraînement ou le repas. Est-ce que la hache de guerre était enterrée ? Je l'espérais.
- De quoi ? demandai-je d'un ton innocent
- De ton comportement avec… Cub.
Il avait employé le nom à contrecœur. Je me doutais qu'intérieurement, il l'appelait toujours l'Homonculus.
- Je ne sais pas vraiment quoi en penser non plus, ajoutai-je avec un sourire. Après tout, c'est la première fois que je me lie d'amitié avec un Homonculus, je ne sais pas trop comment ça marche.
- Tu lui fais confiance ? demanda-t-il d'un ton nerveux.
Je levais les yeux vers le plafond en réfléchissant à la question.
- Oui et non. Je ne pense pas que je lui confierais ma vie, bien sûr, mais je pense qu'il mérite sa chance tout autant que les autres. On ne peut pas gagner la confiance de quelqu'un sans lui en donner un peu en retour.
C'était un peu une pique pour ses dernières cachotteries.
- Toi, tu es vraiment capable de te lier d'amitié avec n'importe qui… commenta mon frère.
- Je vais le prendre comme un compliment, répondis-je d'un ton tranquille.
- C'en est un… je crois, avoua-t-il. Ce que tu fais avec lui, je n'en serais pas capable… Lui parler gentiment, sans arrière-pensées, et prendre le temps de… l'éduquer… Je ne sais pas ce qu'on va gagner avec cette histoire, mais... si tu réussis à t'en faire un véritable allié, ce sera un coup de maître.
- Je ne veux pas le manipuler, répondis-je, je cherche juste à le comprendre.
- Oui, je le vois bien, et c'est sans doute pour ça que ce n'est peut-être pas impossible que ça marche. Au début, je trouvais ton comportement complètement stupide, et j'avoue que ça m'énervait vraiment, mais là… Je me rends compte que tu as une vraie influence sur lui. Une bonne influence.
Il avait lâché ces mots en regardant le mur en face de lui, bafouillant un peu. Il avait dû beaucoup prendre sur lui pour me faire cet aveu.
- Ça m'énerve, ajouta-t-il d'un ton grognon.
Je souris sans chercher à capter son regard. J'avais compris que cette phrase était dépourvue de colère. Le silence retomba, et je laissai mon regard planer sur le jardin doré par l'automne.
- Je me suis comporté de manière stupide, lâcha-t-il. Pour Cub, et par rapport à Juliet Douglas. Je suis désolé.
- Moi aussi, je suis désolé. J'aurais dû prendre le temps de discuter avec toi de tout ça.
- En même temps, comment tu aurais pu ? Je te faisais la gueule, pesta-t-il.
Ce ton bourru ne cachait pas vraiment son embarrassas. Il posa sa main sur ma tête et m'ébouriffa les cheveux avec l'affection d'un grand frère. Ce geste qui avait tendance à m'agacer au plus haut point ces derniers temps, me toucha cette fois-ci.
- Si tu continues comme ça, c'est toi qui finiras par être le grand frère.
Il ne pouvait pas me faire de plus beau compliment, et je sentis mon cœur se gonfler à ses mots, qu'il avait prononcés avec une certaine tristesse tout de même.
- Bon, par contre, ne grandis pas trop vite, si tu me dépasses en taille aussi, mon ego n'y survivra pas.
Sa phrase m'arracha un rire, le premier depuis longtemps. La discussion devint une chamaillerie légère, et je me sentais flotter comme un ballon d'hélium. Nous étions réconciliés.
Le lendemain, une journée prometteuse s'annonçait. Izumi avait décidé que nous irions en fin d'après-midi ramener Cub sur l'île, pour voir si revenir sur les lieux lui permettrait de remonter la piste de ses souvenirs ou nous donner des indices sur sa raison de la présence sur l'île. L'espoir était maigre, mais tout ce qui amènerait des réponses à nos questions était bienvenu.
Quand nous avions parlé de cette entreprise, Edward avait assez rapidement fait comprendre qu'il ne comptait pas nous accompagner. Aller sur l'île de Yock ne lui faisait visiblement pas envie, il avait prétexté d'avoir prévu de faire des recherches et de ne pas vouloir laisser Sig seul à tenir la boutique, au cas où il aurait un problème. Je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que le jour où Sig aurait un problème, le reste du monde serait en train de brûler dans les flammes de l'enfer. C'était un homme beaucoup trop fort et placide pour se laisser déborder par un aléa du quotidien. Malgré tout, je n'allais pas commencer à insister auprès d'Edward alors que nous venions juste de nous réconcilier. Je le connaissais assez pour savoir qu'il avait parfois besoin de liberté, alors j'acceptai ces prétextes maladroits tout en n'étant pas dupe.
Je regardais par la fenêtre, terminant de boire mon thé à petites gorgées, alors qu'Izumi était déjà partie ouvrir la boucherie. Il avait abondamment plu la veille et le ciel était d'un bleu délavé où filaient des nuages légers. Les rayons de soleil jouaient dans les branches mouvantes du marronnier aux tons roux qui ombrageait la maison. J'aimais bien l'automne, cette saison rythmée par les récoltes, où l'on engrangeait soigneusement avant de se préparer à la léthargie de l'hiver. C'était à ce moment-là que la campagne était la plus belle, avec les nuances éclatantes des feuilles d'arbres qui allaient du jaune vif au prune en passant par tout un éventail de couleurs plus ou moins orangées. Y penser me donna envie de sortir en forêt pour y glaner des châtaignes, des noisettes et des champignons, pour profiter de l'atmosphère fraîche et humide les lieux. Je proposai l'idée à Edward, qui accepta, pas fâché à l'idée de se dégourdir les jambes, et peut-être content de passer un moment seul avec moi. Il faut dire que je consacrais beaucoup de temps et d'attention à Cub, d'autant plus que pendant que nous étions en froid, il était devenu ma principale distraction.
Un instant, je songeai à lui proposer de nous accompagner, puis en songeant à la méfiance qu'avait son frère envers lui, je compris que ce ne serait pas diplomate de ma part et que l'ambiance de la promenade s'en ressentirait.
Après avoir fouillé un peu, Edward avait mis la main sur des sacs de tissu qu'il fourra dans la besace dont il ne se séparait plus, tandis que j'empoignais un imposant panier, idéal pour transporter des champignons. Après avoir rapidement prévenu Izumi et vérifié que Cub était bien avec elle, je rejoignis Edward pour filer vers le bois qui se trouvait à un quart d'heure de marche de la maison.
Pour cela, nous devions nous faufiler dans d'étroites ruelles ou des chemins arborés, dans un paysage où les maisons s'espaçaient peu à peu pour laisser place à la forêt qui avait recouvert un relief accidenté. Escaladant les troncs et les rochers, enjambant les ronces, s'enfonçant dans l'humus boueux tapissé de feuilles mortes, nous nous arrêtions ici et là au fur et à mesure de nos trouvailles. Si les noisetiers se faisaient rares, notre récolte de châtaignes devint vite imposante, et nous trouvâmes à l'occasion des chanterelles et des trompes de la mort, et même deux cèpes.
Au bout d'une heure ou deux, notre chemin s'acheva sur des rochers à proximité d'une cascade. J'avais soif, et je me serais volontiers abreuvé de cette eau glaciale si les averses de la veille ne l'avaient pas teintée de boue. Le souffle un peu court, je regardai le panier à mes pieds, songeant que Cub se serait sans doute régalé de cette escapade. Je ne pouvais pas décemment forcer mon frère à apprécier quelqu'un qu'il percevait comme une menace particulièrement fourbe, et il n'avait jamais été très doué pour dissimuler ses sentiments. La cohabitation était et allait rester hasardeuse entre ces deux-là. Regardant les champignons d'un œil vague, je me replongeai dans le souvenir des jours précédents.
Durant cette période, nous avions passé le plus clair de notre temps à nos occupations respectives, Izumi et Sig aux commandes de leur boutique, gardant un œil attentif sur Cub, Winry à travailler d'arrache-pied sur ses nouveaux automails, et Edward et moi le nez dans les livres, évitant soigneusement de discuter.
Izumi avait tenu sa promesse de recontacter son Maître, mais en allant chez elle, elle n'avait trouvé que les domestiques, qui lui avaient annoncé qu'elle était en voyage pour quelques jours. Après discussion, elle avait obtenu d'eux qu'ils la contactent pour la prévenir qu'elle était venue et voulait lui parler, disant qu'elle avait des problèmes à résoudre. En réponse à cela, Dante leur avait dit de nous ouvrir les portes de sa bibliothèque. À défaut des conseils d'une alchimiste expérimentée, nous avions accès à une documentation comme nous n'en avions jamais vue. L'aile droite de sa maison imposante était rempli du sol au plafond de livres d'Alchimie, tellement anciens qu'il y avait parmi eux des incunables et des manuscrits qui aurait sans doute fait pâlir d'envie les bibliothécaires de Central-city.
Lynn, la responsable de la bibliothèque, était une jeune alchimiste venue suivre son enseignement après des études littéraires. Elle avait le teint mat et les cheveux châtains des Ishbals, mais ses yeux bruns démentaient cette origine. Habillée de gris et de noir, portant un chignon strict, elle respirait l'austérité au point d'en être intimidante. Pourtant, si on lui parlait d'Alchimie ou le livres avec un peu d'expertise, son visage s'éclairait comme celui de Winry, et on se rendait facilement compte qu'elle était plutôt jolie.
Après nous avoir fait entrer dans les lieux, elle nous avait enseigné avec un sérieux presque sévère les conditions pour manipuler ces ouvrages sans les abîmer. Mettre des gants, les poser sur un présentoir, tourner les pages avec précaution… Les stylos à encre étaient interdits à proximité de ces ouvrages trop précieux pour courir le moindre risque. L'ambiance dans ce bâtiment qui sentait le vieux papier, le cuir et la poussière, était studieuse, pesante, et la tension entre mon frère et moi n'arrangeait rien. Mais la mine d'or que cela représentait méritait quelques sacrifices.
Je m'étais plongé dans les ouvrages d'Alchimie traitant de près ou de loin de transmutation humaine, d'Homonculus, de pierre philosophale, cherchant le moindre détail pouvant m'amener à comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvions. Le premier soir, Edward avait avoué à Izumi être estomaqué en constatant que même dans la cinquième libraire de Central, celle qui rassemblait la plupart des traités alchimiques et qui était un lieu de documentation particulièrement réputé avant d'avoir disparu dans un incendie, il n'avait jamais vu une telle profusion de livres d'exception.
Et surtout, il n'avait jamais vu autant de livres sur l'Elixirologie. Pendant que je tâchais de déchiffrer les livres les plus abscons autour des transmutations interdites, luttant pour comprendre des textes vieux de plusieurs siècles, mon frère s'abîmait dans les traductions de livres venus de l'Est. Nos lectures étaient si passionnantes et ardues qu'il n'était pas difficile de garder le silence pendant des heures, même si nous le faisions pour de mauvaises raisons.
Nous rentrions parfois de nos journées de recherches avec un ou deux livres soigneusement emballés, ceux qui étaient suffisamment peu précieux pour que Lynn accepte à contrecoeur que nous les empruntions le temps d'une soirée. Dans ce cas-là, nous replongions dans nos lectures et nos prises de notes, bien heureux de ne pas avoir à parler. Seul le regard de Winry passant de l'un à l'autre parvenait à nous culpabiliser un peu. En croisant ses yeux bleus remplis d'ennui et de dépit, je trouvai le courage de refermer le livre que j'avais à la main pour me tourner vers Izumi.
Il fallait que je parle, que je dise quelque chose pour briser ce silence pénible. Elle remarqua le mouvement et leva les yeux de son livre, attendant que je lui parle. Faute d'avoir prémédité mes mots, je lui posai alors cette question qui me taraudait tellement.
- Izumi-sensei… pensez-vous que je pourrai retrouver mes souvenirs ? demandai-je.
Tout le monde redressa la tête d'un air surpris. Pourtant, la question n'avait rien d'étonnant. C'était l'inquiétude que je traînais depuis des mois.
- Vous parlez de la Porte, de temps en temps, mais je ne m'en souviens pas. Si mes souvenirs sont coincés là-bas, je ne peux sans doute pas prendre le risque de faire une transmutation pour les récupérer… mais…
- Tu y tiens tant que ça ? demanda Izumi d'un ton ému.
- Bien sûr. Ce sont quatre ans de ma vie qu'on m'a enlevés ! je n'ai pas envie de l'accepter sans me laisser faire.
- On ne peut pas dire que tu te laisses faire, répondit-elle avec un sourire presque amusé.
- Mais c'est une vraie question. Pensez-vous que je puisse récupérer mes souvenirs ? Quel serait le prix à payer ? Je serais prêt à perdre une main pour ça.
- Dis pas de conneries ! s'exclama Edward d'un ton sec.
Il était prêt à s'indigner, mais Izumi l'arrêta d'un geste de la main et plongea ses yeux sombres dans les miens.
- Quel âge penses-tu avoir ? demanda-t-elle.
Sur le coup, la question était parfaitement saugrenue. Je pris le temps d'y réfléchir, néanmoins.
- Dix ans, je suppose. Si l'on se fie à ma taille et à mes souvenirs…
- Et si tu ne les connaissais pas, quel âge tu donnerais à Edward ? à Cub ?
J'ouvris la bouche et la refermai. Je commençais à comprendre où elle venait en venir. Mon frère était franchement petit pour son âge, c'était même une de ses plus grandes frustrations. Quant à Cub, il semblait encore plus jeune que moi. Si je l'avais croisé dans la rue, je lui aurait donné neuf ans tout au plus.
- Je vais te dire le fond de ma pensée. Si Cub est… ce que je pense qu'il est... il est vraiment trop petit pour son âge véritable.
Je hochai la tête. Izumi poursuivit son raisonnement.
- Vous pensez qu'avoir été derrière la porte aurait… empêché notre croissance ?
Elle hocha la tête. Cette idée bouleversait totalement la vision que j'avais des choses. Cela faisait de moi un adolescent amnésique avec une croissance un peu en retard, et plus un enfant figé dans le passé. Et mine de rien, c'était très différent.
- Vous pensez que j'ai vraiment quatorze ans ? murmurai-je sans pouvoir masquer ma déception à l'idée d'être juste… petit.
- Je pense que tu es quelque part entre les deux. Tu n'as plus dix ans, ce serait naïf de croire ça. Mais tu n'as pas l'apparence d'un adolescent de quatorze ans pour autant. A mon avis, tu as grandi au ralenti durant ces dernières années.
- Mais cette hypothèse ne me dit pas où sont mes souvenirs, répondis-je d'un ton quand même un peu agacé. Ça ne me dit pas s'il faudrait rouvrir la porte pour les retrouver.
- C'est vrai. Mais j'ai mon avis sur la question, répondit-elle. Et ce que je pense, c'est qu'il ne faut pas chercher bien loin.
- Comment ça ?
- A mon avis, tout est là-dedans, conclut-elle avec une pichenette.
Elle a vraiment trop de force, pensai-je en me frottant le front avec une grimace.
- Edward, tant qu'il était en armure, ton frère n'a jamais su transmuter sans cercle, n'est-ce pas ? ajouta-t-elle en tournant la tête vers lui.
- C'est vrai.
- Et il n'a jamais montré le moindre signe qu'il se souvenait de la porte.
- Non.
Elle se tourna vers moi avec un sourire doux et un peu triste
- Passer la Porte, c'est une expérience vraiment… brutale. Et je pense que ce traumatisme, ton corps a cherché à l'effacer, tout simplement. A mon avis, tes souvenirs sont enterrés de la même manière. Je suis convaincue que ton passé n'est pas derrière la porte, mais bien enfoncé dans ton esprit.
- J'aurais… choisi d'oublier ? bafouillai-je.
L'idée me paraissait absurde au contraire, je voulais me souvenir de tout cela, je voulais comprendre et pouvoir être à la hauteur de la situation dans laquelle je me trouvais ! Cette réponse était extrêmement vexante.
- En tout cas, oublie ces histoires de Porte ! Tu as déjà passé assez de temps là-dedans pour ne pas t'y frotter de nouveau, d'accord ?
Malgré ce dernier mot, ce n'était pas vraiment mon avis qu'elle me donnait, mais plutôt un ordre. Je hochai la tête. Je n'étais pas bien convaincu par ce qu'elle disait, mais je savais que suivre ce conseil serait la chose la plus sage à faire. En attendant, je me raccrochai à l'idée que mes souvenirs étaient peut-être à ma portée.
- Quant à toi, Edward… fit-elle en s'appuyant sur sa main, ses doigts fins contre sa joue. Peux-tu m'en dire plus sur ton… changement ?
Je me tournai vers lui et il se mit à rougir violemment à ces mots. Il tourna la tête, comme pour s'assurer que Cub n'était pas dans les parages, mais celui-ci était sorti se promener en compagnie de Sig, qui s'était pris d'affection pour lui. Même si cela faisait un moment que c'était arrivé, mon frère continuait à être embarrassé par la situation et la dissimuler autant que possible.
- Je dois admettre que tu caches bien ton jeu. Je suis un peu vexée de ne pas m'en être rendue compte moi-même.
- En même temps, quand on est arrivés, vous nous avez bombardés tellement vite que vous n'avez même pas eu le temps de me voir de près, grommela Edward.
Un livre traversa la pièce et s'aplatit sur le nez d'Edward avant de retomber sur le plateau de bois avec un bruit sourd. Izumi n'avait pas lâché son sourire. Mon frère frotta son nez rougi par le coup en lui lançant un rictus désabusé il ne fit pas de commentaire supplémentaire sur le comportement de notre maître.
- Depuis le temps que j'attendais de te faire savoir ce que je pensais de tes choix de carrière, répondit-elle avec un sourire, le menton posé sur ses mains enlacées.
Edward observa un silence poli, se doutant sans doute que quoi qu'il réponde, il risquait de se prendre un deuxième livre dans la tête. Il n'avait pas envie de connaître la réaction de Lynn si l'un de ses prêts revenaient abîmés.
- Enfin… Ton corps est-il fonctionnel ? Tu n'as pas le sentiment que ta santé a été fragilisée ? Tu n'as rien perdu ?
- Ma dignité.
- … Mis à part ça ?
- Mis à part ça, je me sens en parfaite santé. Je dirais même, en meilleure santé qu'avant, répondit-il en s'étirant. Je guéris plus vite que jamais, et… hum… c'est sans doute un détail à la con, mais…
- Mais… ?
- Mon odorat semble être plus développé qu'avant.
- Tu ne m'en avais pas parlé, fis-je remarquer, profitant de l'accalmie qui semblait se présenter.
- Ça me paraissait tellement anecdotique par rapport au reste…
Réfléchissant à ses capacités de guérison, je l'observai à la dérobée et réalisai qu'il n'avait plus la moindre trace de l'entaille qu'il s'était faite en sautant à travers la verrière. Cela faisait quoi, quinze jours, tout au plus, et il n'avait même plus une cicatrice sur sa joue gauche. Et la lèvre que je lui avais fendue d'un coup de poing un peu violent était presque guérie, elle aussi. A croire qu'il ne s'était jamais blessé.
De mon côté, je ne pouvais pas en dire autant. J'étais encore couvert de bleus, de bosses et d'écorchures. Il faudrait attendre des jours avant que je cesse de ressembler à un boxeur miniature, et beaucoup d'autres avant que ne s'effacent complètement les ecchymoses. Encore un désavantage que j'avais sur mon frère.
- Eh, on devrait y aller, non ? fit Edward, me tirant de mes pensées. Le temps qu'on rentre, il sera presque midi.
Je clignai des yeux trois fois, revenant dans le présent, un peu perdu, puis repris conscience que nous étions réconciliés. La rancoeur que j'avais envers lui à ce moment-là s'était définitivement évanouie. Je lui lançai un grand sourire qui sembla le surprendre.
- Oui, tu as raison. J'ai hâte de voir la tête d'Izumi, vu la récolte qu'on a faite ! fis-je en sautant sur mes pieds, attrapant le panier au passage.
- Oh, elle va faire un commentaire très neutre, avant dire dire « Préparez-moi tout ça si vous voulez qu'on le mange ! », en imitant sa voix sévère.
- Ouah, tu le fais trop bien ! m'exclamai-je, surpris par son imitation.
- Et comme on ne sait pas cuisiner, Sig va passer par derrière et nous surveiller en donnant des instructions par tranches de deux mots.
Je hochai la tête. Son récit était très probable.
Et c'est effectivement ce qui se passa après notre retour. Attentivement observé par Cub qui semblait se régaler de voir le moindre geste du quotidien, et surveillé par l'homme imposant qui ne voulait pas nous laisser gâcher de si bons ingrédients, nous participâmes à la préparation d'une omelette forestière particulièrement copieuse, accompagnée d'une salade d'épinard frais dont l'enfant Homonculus avait retiré les tiges, fendant en deux les feuilles craquantes comme le lui avait montré le chef de cuisine. Difficile de ne pas saliver en sentant l'odeur des lardons et champignons grésillant dans la poêle.
Pendant ce temps, Sig avait pris les choses en main et assaisonnait les œufs qu'il mélangeait d'une main assurée. En le voyant verser le mélange qui enveloppa la garniture et commença à cuire en chuintant sur le métal brûlant, je ne pus m'empêcher d'être admiratif de la prestance de se gestes. Il laissa cuire l'omelette et la fit progressivement glisser dans la poêle arrondie, la faisant s'enrouler dans une courbe généreuse. Elle était parfaite.
Pendant ce temps, Izumi, qui avait fermé la boutique peu après notre arrivée, s'était attelée à la préparation du pâton pour des pizzas qu'elle laisserait lever l'après-midi et qui constitueraient notre dîner. Bientôt, tout fut prêt, et nous nous mîmes à table. L'ambiance était redevenue détendue depuis notre réconciliation, et si Izumi ne l'avait pas mentionné, les regards qu'elle nous adressait et son demi-sourire prouvait bien qu'elle avait remarqué nos aléas et se réjouissait de leur résolution. Elle nous observait, sans avoir cherché à nous influencer, mais sans doute prête à intervenir si la situation lui paraissait devenir alarmante. Cub posait de nombreuses questions, sur tout et rien, se comportant vraiment comme un enfant curieux. Il était tout joyeux, impatient de la ballade qui l'attendait.
Il dévorait son assiette, se resservait, buvait à grands traits, et s'agitait sur sa chaise, les yeux brillants. Quand le repas se termina, il bondit de son siège, prêt à partir, et dût exploiter l'énergie de son impatience pour débarrasser et faire la vaisselle, tandis qu'Izumi et Sig faisaient le point sur les commandes de clients à récupérer dans l'après-midi. Donnant les assiettes essuyées à Cub pour qu'il les range, je discutai avec Ed.
- Tu es sûr de ne pas vouloir venir avec nous ? demandai-je.
- Oui, je n'ai pas envie de remettre les pieds sur l'île, et puis, j'ai du travail.
- Du travail ?
- Oui, j'ai demandé à Lynn de rassembler les livres sur l'Elixirologie. Du peu que j'ai pu en voir, ça se rapproche beaucoup de l'Alchimie, et apparemment, certains Elixirologues seraient parvenus à soigner des humains.
- Ce serait une sorte de transmutation humaine ? demandai-je, intrigué.
- D'une certaine manière, oui… Mais bon, si on se fie aux textes, ces personnes sont tellement rares qu'elles en sont quasiment légendaires.
- Oh. Ce n'est pas une piste pour retrouver ton corps d'origine, alors ?
- Ah ! Non, je ne suis pas Elixirologue, et il n'y a aucune chance pour que j'aie le niveau de faire ça, fit-il avec un sourire un peu forcé. Non, là où ces textes sont intéressants, c'est qu'ils ont une vision complémentaire de l'Alchimie. En apprendre plus sur l'Elixirologie nous permettra de mieux comprendre les mécanismes de transmutation, et donc, tout ce qui touche aux Homonculus, à la Pierre Philosophale, et la provenance de ce pouvoir…
- Wouah, tu vois grand, dis donc ! m'exclamai-je avec un sifflement admiratif.
- Ouais. Enfin, ça, c'est la théorie, parce qu'en pratique, ces livres sont hyper vieux et bourrés de mots étrangers, donc la lecture est vraiment très laborieuse… Je suis loin de tout comprendre.
- Je veux bien te croire, répondis-je en hochant la tête.
- Heureusement, Lynn est de bon conseil.
Je hochai la tête, et m'étonnai en silence de le voir accepter si facilement que cette piste soit hors de sa portée. Il était plutôt du genre à plonger tête la première dans ce genre de découvertes, sa prudence m'impressionna. Peut-être était-ce tout simplement que l'avenir du pays et de ses habitants comptait plus à ses yeux que ce qu'il avait dans le pantalon. Il me semblait qu'il y accordait moins d'importance avec le temps.
Pour ma part, il m'était difficile de tracer la frontière entre masculin et féminin. Peut-être était-ce parce que l'adolescence ne m'avait pas encore mis la main dessus, mais moi qui me souvenais encore de notre petite enfance, quand nous étions tous les trois tellement impudiques que nous nous baignions nus dans la rivière en été, je ne pouvais pas m'empêcher de penser que la différence n'allait pas beaucoup plus loin qu'une histoire de tuyauterie. Winry était tout aussi brute que nous quand nous étions mômes, même si je devais admettre qu'elle pleurait plus facilement. Ce n'était que plus tard, quand la pudeur avait commencé à s'en mêler, que la différence était devenue plus flagrante et que nous avions pris des chemins si différents. Elle s'était assagie, et nous avions empiré.
Malgré tout, je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que l'inverse aurait pu arriver aussi. D'ailleurs, Edward en était une preuve tangible. Ce n'était pas parce qu'une paire de seins avaient poussé sur son torse qu'il avait soudainement changé de caractère, ou qu'il s'était mis à aimer les robes.
En essuyant pensivement l'assiette chaude que j'avais dans les mains, je me demandais confusément pourquoi l'humanité se divisait aussi clairement en deux, pourquoi nous étions si différents, si le corps ne changeait rien. Je jetai un coup d'œil à Edward, l'étudiant du regard.
Il avait toujours eu un profil fin, et ne s'était jamais rendu compte que d'autres personnes le trouvaient agréable à regarder, ce qui avait un côté un peu vexant quand on était le frère au physique plus banal. Malgré sa petite taille, il avait une silhouette relativement élancée, très sportive, qui empruntait à la fois aux deux sexes. Ayant enlevé sa veste pour pouvoir plonger les bras jusqu'au coude dans l'eau tiède où flottaient les verres, il avait dévoilé ses épaules, un peu étroites, un peu arrondies. Cela m'amenait un sentiment de flottement. C'était très étrange de ne pas savoir exactement quel sexe attribuer à la personne en face de soi. Même si je savais que biologiquement, il avait un corps de femme, tout en restant totalement masculin dans sa tête, je me demandais avec un peu de curiosité s'il pouvait être possible que le temps brouille les pistes et l'amène à devenir quelqu'un d'encore plus flou.
Dès que cette pensée me vint à l'esprit, je réalisai que ce ne serait pas une bonne chose. Il était déjà bien assez perturbé par la situation. S'il se mettait à emprunter un comportement plus féminin, c'était un coup à ce qu'il ne sache plus qui il était. Après tout, si j'étais à sa place, je me poserais sans doute beaucoup de question. Encore plus que lui, à coup sûr !
Cub me prit l'assiette des mains pour aller la ranger dans le placard, me tirant de ma léthargie. Comme les chiens en ballade qui couraient en faisant sans cesse des aller-retour entre la destination et ses maîtres, il allait ranger les objets un par un, au fur et à mesure que je les essuyais, sans perdre une once d'enthousiasme au fur et à mesure malgré l'inefficacité notable de son action. C'était vraiment un chiot.
Je réalisai que je le regardai de haut. Non, ce n'était pas vraiment de haut, il n'y avait pas de mépris dans la manière dont je le considérais, plus de l'attendrissement, face à sa candeur. Je le percevais comme un cadet.
Peut-être que c'est pour ça que je me sens mieux dernièrement. J'ai moins l'impression d'être un enfant, depuis que Cub est là, il y a quelqu'un dont je me sens responsable.
Après avoir rincé la poêle et posé celle-ci à égoutter, Edward déboucha l'évier, le rinça, puis s'essuya les mains en me lançant un sourire.
- Je ne suis pas sûr d'y trouver grand-chose d'utile, mais au moins, j'aurais une vision plus claire de mes objectifs.
- Tu ne vas pas t'ennuyer alors ? murmurai-je.
- Non, ne t'inquiète pas, ça va.
J'étendis le torchon humide sur le dossier d'une des chaises.
- Mais toi, fais attention là-bas, ajouta-t-il d'un ton plus sérieux.
J'avais vu son regard glisser vers Cub. Il s'en méfiait toujours autant. Je n'étais pas d'accord, mais en repensant à l'état dans lequel il avait été après l'attaque de Hugues, à ses yeux qui se ternissaient quand il repensait aux affrontements du cinquième laboratoire, je ne pouvais pas lui en vouloir de le haïr pour ce qu'il représentait. Ce n'était pas le genre de choses qu'on pouvait empêcher. Le nier, le brider, peut-être, mais jamais le faire disparaître.
Comment pouvais-je lui en tenir rigueur de ne pas vouloir passer du temps en sa présence s'il pouvait l'éviter ? Il prenait déjà sur lui pour cohabiter avec au quotidien, la seule raison qui aurait pu le pousser à venir aussi, c'était, je le devinais, de me protéger… mais, en présence d'Izumi, je n'avais sans doute rien à craindre.
- Ne t'inquiète pas, je serais attentif, répondis-je avec un sourire rassurant.
Izumi revint dans la pièce, décrochant son tablier, attrapant son sac, imitée par Cub dans le moindre de ses gestes.
- On y va ?
- Oui ! répondis-je, avant d'adresser un dernier mot à mon frère. Travaille bien, Ed !
Je quittai la pièce à la suite des deux autres avec un dernier geste de main à l'adresse de mon frère, puis traversai le jardin, accueilli par un coup de vent faisant bruisser les arbres dont les feuilles jaunissantes scintillaient sous le soleil.
La marche jusqu'au lac passa rapidement, de discussions légères en questions. Cub gambadait joyeusement, revenait de temps à autre nous montrer des feuilles mortes en demandant à quelle espèce d'arbre ils appartenaient, puis cherchant le tronc correspondant.
- Merci de t'occuper de lui, murmura-t-elle.
- Hm ?
- ça représente beaucoup que tu ne le juges pas malgré ce qu'il est. Que tu ne me juges pas, aussi.
- Comment je pourrais vous juger ? Je n'ai pas été mieux, rappelai-je.
- Et ça, ça vient de quoi, comme arbre ? fit le petit brun, déboulant de nouveau sous nos yeux avec une feuille jaunie à la main.
- Ça, c'est une feuille de bouleau, répondit-elle avec un sourire. Un arbre tout en hauteur, avec une écorche blanche.
- D'accord. Un bouleau, un bouleau, marmonna-t-il en repartant à grands pas sur le chemin de terre humide.
- Ta réponse a l'air tellement évidente, reprit-elle. C'est justement ce qui fait ta force.
- Comment ça ?
- Ta capacité à accepter l'autre.
J'hésitai, cherchant si je devais répondre, et quoi. Cela rejoignait ce que m'avait dit mon frère lors de notre réconciliation, mais je ne savais pas comment j'étais censé le prendre. C'était vrai qu'Edward n'était pas comme moi à ce niveau-là. Il était extraverti, colérique, buté, même. Mais je ne parvenais pas à voir cela comme des défauts, parce que je savais que cette force de caractère était ce qui lui avait donné la force de se relever et d'avancer, quoi qu'il subisse. Je n'avais pas vécu ce qu'il avait vécu, et quand je voyais comment je pataugeais dans mes problèmes alors que mes difficultés étaient dérisoires à côté des siennes, je n'arrivais pas à ressentir autre chose de de l'admiration. Et, sans l'ombre d'un doute, de la jalousie, face à cette volonté dont j'étais dépourvu.
Cub revint de nouveau, une feuille de tremble à la main, et Izumi s'appliqua à lui expliquer comment, parce que le pédoncule était plat et non pas tubulaire, ses feuilles bougeaient au moindre souffle de vent pendant que sur d'autres arbres, elles restaient immobiles. Sa curiosité envers le monde et son envie d'apprendre tout et n'importe quoi me rappelaient ma propre enfance, quand, avec mon frère, nous abreuvions notre entourage de « pourquoi ? ». Je me rappelais encore l'immense frustration que j'avais éprouvée dans la période où Edward commençait à savoir lire alors que je n'y arrivais pas. Je m'étais acharné pour le rattraper, sans jamais y arriver. Il avait toujours été quelques pas devant moi, et depuis que l'accident du cinquième laboratoire nous avait écartés, il semblait être devenu inatteignable. Pourtant, j'essaierais encore et encore d'arriver à sa hauteur. Et j'avais senti, quand il me parlait de notre passé, quand il me tendait la main pour nous réconcilier, qu'il essayait, lui aussi, de me retrouver. Cela donnait envie de continuer mes efforts.
- Ça va, Alphonse ? fit Izumi d'une voix douce. Tu ne parles pas beaucoup.
- Ah ! Désolé, j'étais un peu perdu dans mes pensées, avouai-je avec un sourire gêné.
- Je comprends, ce n'est pas une période facile pour vous. J'espère qu'aujourd'hui nous apportera quelques réponses.
- Oui, moi aussi, confirmai-je en hochant la tête.
Ces journées de calme et d'ennui songeur me procuraient des sentiments contradictoires : d'un côté, l'impatience de comprendre, de voir quelque chose de tangible émerger de nos heures de recherches et de réflexion, de l'autre, l'impression confuse que le jour où nous commencerions à trouver des pistes, ce serait la fin de cette accalmie. Si Cub devait s'avérer être un ennemi, je n'étais pas si pressé de le découvrir. Surtout qu'un Homonculus pratiquant l'alchimie, c'était à priori impossible. Cela pouvait faire de lui un adversaire particulièrement redoutable.
Après cette longue marche, nous arrivâmes au bord du lac. Les yeux de Cub brillèrent quand il revit l'île familière, et je songeai avec un pincement au cœur que je n'avais vraiment pas envie d'imaginer qu'il puisse être un monstre, et de devoir admettre que l'expression candide de ses sentiments était fausse.
Nous nous dirigeâmes vers le ponton dont les piliers de bois baignaient dans l'eau paresseuse du lac, pour monter dans la barque amarrée tout au bout. Je posai prudemment le pied sur les planches de bois jointes, testant la stabilité de l'embarcation avant de monter. Je n'étais pas très bon nageur, et jamais très à l'aise dans ou sur l'eau. Izumi s'installa à son tour, puis Cub bondit dans la barque de manière beaucoup plus désinvolte, la faisant tanguer dangereusement. Izumi prit la barre et je me mis à ramer au milieu, tandis que Cub regardait autour de lui avec une fébrilité enthousiaste, faisant pencher le bateau au gré de ses mouvements. Izumi finit par lui ordonner fermement de s'asseoir pour arrêter de nous faire tanguer.
Nous n'étions plus loin de l'île quand je sentis que j'avais cogné quelque chose de ma rame gauche. Surpris, je me penchai pour voir si ce que j'avais touché était un haut fond ou autre chose, et je découvrais les contours sombres de ce qui devait être un poisson particulièrement imposant.
- Ouah, il est énorme ! m'exclamai-je tandis que la silhouette noire se renfonçait dans les profondeurs des eaux troubles.
- Quoi, quoi ? ! Où ça ? s'exclama Cub en sautant sur ses pieds pour se pencher par-dessus mon épaule.
Je ne pus lui répondre, nos deux corps à l'extrémité de la barque et son mouvement brusque étaient de trop. Juste assez lentement pour que je puisse comprendre que la chuté était inéluctable, la barque chavira, nous jetant tous les trois à l'eau.
Le froid m'électrisa, et pendant quelques longues secondes, je fus incapable de distinguer le haut du bas, sentant juste le bois poli du bord de la barque contre mes genoux et les mouvements de Cub dans mon dos. L'eau me rentrait dans le nez, me brûlant et m'étouffant. J'avais fermé les yeux par réflexe, et je les rouvris à contrecoeur, sachant que cela resterait le meilleur moyen de retrouver la surface au plus vite. Les rais de soleils perçaient la surface de l'eau, formant des éclats de lumière mouvante qui traçaient de longues traînées verdâtres dans l'eau glauque. Je remontai à la surface, m'accrochai tant bien que mal à la coque retournée qui avait était rendue visqueuses par son long séjour dans l'eau, toussant pour chasser l'eau de ma bouche et de mon nez. Cub s'était accroché à la poupe. Izumi sortit la tête hors de l'eau une seconde plus tard, et s'accrocha à son tour à la barque en s'essuyant les yeux de l'autre main.
- Cub, quand on te demande de rester assis, ce n'est pas pour rien ! pesta-t-elle. Regarde-nous, on est trempés jusqu'à l'os !
- Pardon, murmura-t-il d'un ton contrit, se rendant visiblement compte qu'il avait fait une bêtise.
Izumi poussa un soupir irrité. Le bain forcé ne lui faisait pas du tout plaisir.
- Qu'est-ce qu'on fait, on retourne la barque et on remonte ? demandai-je, en grelottant un peu.
- On va avoir du mal, je pense. Même si on arrive à la retourner, on risque de la faire chavirer à nouveau en remontant dedans. On est presque arrivé, à ce compte-là on ira plus vite en finissant à la nage.
Je hochai la tête, avisai la rame flottant à côté de moi et fis deux brasses pour aller la récupérer, puis rejoignis l'embarcation à laquelle je m'agrippai de nouveau. Izumi avait rattrapé la deuxième. Nous nous mîmes à battre des pieds pour avancer, traînant la coque avec nous.
- Cub, c'est ta connerie, toi aussi tu aides, lança Izumi d'un ton sévère en voyant qu'il était resté pendu à la proue du bateau comme un chat qui essayait de se tirer hors de l'eau.
La mine piteuse, il obéit néanmoins. Les minutes parurent très longues jusqu'à ce que nous ayons pieds et puissions traîner la barque en marchant, la retourner et la tirer sur le sable de la rive. Nous étions trempés, les vêtements collants à la peau, les cheveux dégoulinant, vaguement boueux et tremblants de froid. En quelques jours, la température avait bien baissé, et le vent ne jouait pas en notre faveur. Nous voyant grelottant, les lèvres bleuies, Izumi nous ordonna d'enlever nos vêtements pour nous sécher au plus vite et alla vers les arbres d'un pas vif pour rassembler des branches mortes et faire un feu qui nous réchaufferait tous les trois, râlant de devoir subir cette perte de temps. Je pensai à Edward, songeant qu'il avait bien fait de ne pas venir : entre ses automails qui l'aurait fait couler comme une pierre et son embarras à l'idée de devoir se déshabiller pour se sécher, il aurait sans doute nourri une haine encore plus farouche envers Cub après cette mésaventure.
D'un autre côté, peut-être qu'il aurait rééquilibré la barque ?
Toujours est-il que je me débarrassai de mon T-shirt, tendant le dos en sentant le vent gifler ma peau humide, me refroidissant un peu plus. Les baignades, c'était bon pour les jours de canicule, le reste du temps, l'idée était vraiment mauvaise. Tandis que je me débarrassais de mes chaussures et chaussettes, Izumi balança un tas de bois et de branchage sur le sable de la plage, et alluma le feu d'un claquement de mains. Le soulagement fut immédiat, et je me rapprochai du feu, tendant mes mains glacées au-dessus de l'âtre imposant. Cub, à ma gauche, se déshabillait maladroitement, luttant avec ses vêtements qui lui collaient à la peau, puis, une fois nu, s'approcha à son tour. Contrairement à nous deux, Izumi avait gardé ses sous-vêtements, ce qui me soulageait un peu. La scène du trio, se séchant autour du feu était particulièrement ridicule, mais la technique eut le mérite d'être efficace, et bientôt, le froid qui m'avait saisi lors de ma chute diminua progressivement.
Je tournai la tête vers Cub qui se frottait les épaules pour se réchauffer, et la différence de couleur entre sa main et son bras de sauta aux yeux.
A la demande d'Izumi, je ramassai les vêtements qu'elle transmuta pour les sécher en grommelant qu'on n'avait pas le temps de passer trois heures à attendre qu'ils sèchent naturellement si on ne voulait pas rentrer au milieu de la nuit. Elle me les tendit et je la remerciai chaleureusement avant de commencer à me rhabiller, regardant Cub ramasser les siens, une sensation de malaise au ventre.
Quand nous l'avions rencontré, sur l'île, nous étions tellement surpris de voir qu'il était Homonculus que je n'avais pas eu le temps de m'attarder là-dessus, mais depuis, j'avais eu le loisir de remarquer que son bras droit et sa jambe gauche semblaient bancals par rapport au reste de son corps. Je plissai les yeux. La peau était plus dorée, son pied et sa main un peu plus grands, donnant une impression de difformité, et il y avait une démarcation sur son épaule et à mi-cuisse.
Comme si ce bras et cette jambe n'étaient pas les siens.
L'idée était absurde à première vue, mais on pouvait s'attendre à n'importe quoi de la part d'un Homonculus, après tout. Surtout qu'il nous avait prouvé qu'il était capable de faire des choses vraiment étranges. Après tout, il s'était tout de même transmuté avec son lit lors d'un cauchemar, formant un mélange particulièrement contre-nature de chair vivante de chose inerte. Alors, pouvait-il se mêler avec un autre corps vivant ? Ce n'était pas impossible.
Tandis qu'il tendait ses vêtements à Izumi pour qu'elle les sèche eux aussi, je le scrutai, particulièrement attentif, tout en renfilant mon pantalon d'un geste machinal. J'avais déjà remarqué qu'il donnait une impression étrange de déséquilibre, mais tant qu'il était habillé, c'était beaucoup moins frappant. Je restai à le regarder, silencieux, cherchant d'où me venait cet indéfinissable malaise. Quelque chose n'allait pas, il y avait un problème. Ce n'était pas juste parce que cette idée était extrêmement bizarre. Non, ça me rappelait quelque chose. Je regardai sa main reprendre les vêtements secs, fouillant dans ma tête sans parvenir à mettre des mots là-dessus, puis mon regard remonta le long de son bras, et je vis une cicatrice rosée, une trace de morsure sur son épaule droite.
A ce moment-là, tout se mit soudainement en place. Cette couleur de peau, cette marque que je reconnaissais, ces proportions…
Je me serai traité d'abruti si je n'étais pas trop assommé par le choc. Un bras droit et une jambe gauche, comment cela avait pu ne pas m'alerter ? Cette impression qu'ils ne lui appartenaient pas était justifié, et je sentis mes entrailles se nouer violemment. Ce n'était plus une sensation, mais une évidence.
Je restai figé, les yeux écarquillés face à cette révélation brutale qui bouleversait ma vision des choses, qui rebattait les cartes et posait encore plus de questions.
Ces membres, qui semblaient volés, ils l'étaient.
C'étaient le bras et la jambe d'Edward.
