Un nouveau chapitre ! ! Vous vouliez le point de vue d'Edward ? Désolé, ça ne sera pas pour cette fois-ci... Ce soir, c'est Riza que vous allez retrouver, avec un gros chapitre et l'entrée en scène de nouveaux personnages !

Malgré la quantité de travail qui me reste sur Sweet Suicide (qui part à l'imprimeur à la fin de la semaine) j'ai trouvé le temps de faire un dessin rapide pour ce chapitre (visible comme toujours sur Deviantart, lien dans le profil ;) ) J'espère qu'il vous plaira, j'étais en tout cas très contente de le faire ! Merci beaucoup pour vos reviews, c'est le meilleur des carburants pour continuer à écrire cette fanfiction ! (d'ailleurs j'ai hâte d'être en vacances pour m'y remettre sérieusement ! ^^)

Bonne lecture et à bientôt ! :P


Chapitre 34 : Sergent Hayles (Riza)

Quand la sonnerie du réveil résonna dans ma chambre, je poussai un soupir avant même d'ouvrir les yeux. La journée allait être longue, je le savais. Cela faisait maintenant une semaine que je m'étais retrouvée embarquée dans la mission Ferrer, à garder ce prisonnier à l'hôpital des heures durant. Déjà une semaine d'attente et de lassitude.

Je savais que je n'avais pas beaucoup de temps pour me préparer, alors je me levai à contrecœur, rabattant négligemment mes draps sur le lit que je venais de quitter. Black Hayatte, du fond de son panier, ouvrit un œil et leva une oreille tandis que je traversais la pièce, puis s'étira avec un bâillement qui s'avéra contagieux.

Après avoir mis de l'eau à bouillir pour le café, je pris une douche rapide, me repassant dans la tête le programme de la journée. J'étais de surveillance le matin, de sept à onze heures, et juste après cela, j'allais devoir faire une réunion pour voir où en étaient les soldats qui surveillaient un de nos leurres. Cette idée me réjouissait très modérément. Si la plupart d'entre eux prenaient leur mission tout à fait à cœur, le fait est que l'un des militaires me posait un sérieux problème.

Je sortis enfiler ma sortie de bain avec un soupir, puis détachai le chignon informe que j'avais fait le temps de la douche pour me démêler les cheveux, jetant un regard de reproche à mon reflet dans ma glace.

Je m'appréciais telle que j'étais, le bon sens m'interdisait de me trouver laide quand tant de gens laissaient comprendre le contraire de manière plus ou moins subtile, mais il m'arrivait de penser avec aigreur que j'aurais préféré que ce soit le cas. Avec un physique plus banal, une apparence médiocre, j'aurais passé moins de temps à batailler avec des tentatives de drague ou des remarques graveleuses. Du moins, c'était ce que je supposais. Je croyais pourtant que mon caractère sévère avait fini par me forger une réputation de vierge de fer et que plus personne ne se risquerait à m'agacer à coup de remarques sur mon physique et ma vie sentimentale.

C'était peut-être le cas à East-city, mais manifestement, à Central, les choses n'étaient pas aussi simples. Le sergent Byers, qui était pourtant sous mes ordres, passait plus de temps à tenter de me séduire qu'à m'obéir. C'était un de ces hommes au physique plutôt avantageux qui se croyaient irrésistibles parce ils portaient bien l'uniforme et avaient de gros biceps. Dommage pour lui, quand bien même j'aurais été de ce bord, ce genre de caractère me donnait de l'urticaire. J'avais songé à en parler au Colonel pour qu'il soit viré de l'équipe, mais je m'étais ravisée en me disant que je n'allais pas me laisser désarçonner aussi facilement par un petit sergent prétentieux. J'allais bien trouver comment le remettre à sa place…

Je jetai un regard sévère à mon reflet, tandis que je lissais une dernière fois ma frange d'un geste du pouce avant de m'attacher les cheveux, résolue à classer l'affaire aujourd'hui même. Je me connaissais assez pour savoir que je n'aurais pas la patience de tenir des mois dans une situation de ce genre.

Je ressortis de la salle de bain pour enfiler mon uniforme et trouvai Black Hayatte assis devant la porte, impatient de sortir pour sa promenade matinale. Je passai en lui adressant une petite caresse, m'habillai, entrai dans la cuisine pour finir de préparer le café tandis qu'il me suivait d'un pas sautillant. Une fois le café passé, je versai le tout dans un thermos et le glissai dans le sac posé sur la table, que j'avais achevé de préparer la veille, puis ouvris la porte à Black Hayatte qui se précipita dehors.

Il faisait totalement nuit, et la promenade ne dura pas longtemps, même si je pris le temps d'acheter une petite baguette viennoise que j'entamai en marchants à pas lents pendant que mon compagnon gambadait au milieu du parc, observant les ombres théâtrales des feuilles d'arbres sur le sol et les murs. J'avais un peu de culpabilité à devoir ramener Black Hayatte si tôt dans l'appartement pour l'enfermer à double tour, mais devoir surveiller en parallèle deux chambres sans négliger complètement la paperasse ne me laissait plus beaucoup de temps libre. Après l'avoir ramené à l'appartement, je songeai en descendant les escaliers qu'il mériterait bien une escapade dès que j'aurais un peu plus de temps à lui consacrer. En espérant que ce soit bientôt.

Je pris le trolley pour aller à l'Hôpital Ferrer, y trouvai une place assise ou siroter un peu de café en terminant de me réveiller. Notre plan partait du principe que les équipes qui étaient sous nos ordres étaient faillibles, ce qui n'était pas très rassurant. Je me demandais si la taupe se cachait parmi les militaires sous mes ordres. C'était peu probable, me semblait-il, mais l'important était de n'écarter aucune piste.

Je repensai à Havoc, à qui on avait cherché des noises à cause de ses liens familiaux avec le Front de libération de l'Est. J'avais déjà eu des échos au sujet de son frère, mais il avait toujours évité d'en parler, et je n'avais pas insisté, sachant à quel point j'aurais détesté qu'on mette sur le tapis mes propres histoires de famille. Malgré tout, j'avais de la compassion pour lui, je devinais que ce genre de trahisons pouvait être douloureuse. Même s'il prenait toujours soin de le cacher, sa vie n'était pas aussi simpliste que ce qu'il nous montrait au quotidien.

Pendant que les soupçons s'étaient appesantis sur lui, j'avais senti deux courants contradictoires. Mes entrailles s'étaient tordues d'angoisse et de rage, une voix me hurlait qu'il était innocent et que cela crevait les yeux, alors que mon cerveau rappelait froidement que bien des affaires peinaient à être résolues simplement parce que les gens avaient des a priori et refusaient de voir en face une vérité dérangeante, et qu'il fallait prendre du recul vis-à-vis de ses émotions.

J'espérais garder cela en tête lors de la suite de l'enquête.

J'arrivai à l'hôpital, et passai rapidement voir le sergent Hayles avant de m'acquitter de ma propre mission. En me voyant arriver, elle se leva de sa chaise et me fit un salut militaire, son arme encore dans la main gauche.

- Repos, fis-je aussitôt, et je la vis se relâcher avec soulagement. Rien à signaler ?

- Rien à signaler Lieutenant Hawkeye, répondit la militaire dont le ton formel était trahi par un fort accent de l'ouest. Le prisonnier est toujours dans la chambre, et le personnel de l'hôpital m'a confirmé que son état était stable.

- Bien Sergent, confirmai-je.

Elle hocha la tête, avec un sourire un peu tremblant, et je sentis que quelque chose n'allait pas.

- Un problème, sergent ?

Elle sursauta et releva les yeux vers moi, visiblement mal à l'aise. Manifestement, elle avait un souci. Sentant que je l'intimidais, je tâchai de prendre un air moins sévère. Elle me regarda bien en face, dans un mélange de confiance et d'hésitation, et ses grands yeux bruns s'embuèrent.

- C'est le sergent Byers, murmura-t-elle. Je relevais son tour de garde cette nuit, et comme nous étions seuls, il m'a…

Elle déglutit, peinant à continuer, et je compris qu'elle avait pris sur elle dans l'espoir de ne rien montrer, mais qu'il y avait en réalité eu un problème dans la nuit. Et pas des moindres.

- Qu'est-ce qu'il a fait ? demandai-je d'une voix tout aussi basse, aussi douce que je pouvais.

- Il ne voulait pas partir, il faisait des sous-entendus sexuels qui m'ont mise mal à l'aise, raconta-t-elle d'une voix de plus en plus fragile, son accent accentuant étrangement ces mots. J'ai pensé à m'enfuir, mais je ne pouvais pas m'en aller, puisque c'était à moi de faire le tour de garde. Ça aurait été irresponsable de ma part. Je lui ai demandé de s'en aller, mais il a continué… Il m'a coincée contre les murs du couloir puis il m'a… touché les seins… et… l'entrejambe.

Je me mordis la lèvre inférieure, sentant une irrépressible colère monter. Je me représentais trop bien la scène.

- Là, une infirmière est arrivée, alors il m'a lâchée et je lui ai dit au revoir en insistant bien sur le fait qu'il était censé partir, en espérant qu'il soit obligé de le faire. Comme elle était là, il a fini par sortir du couloir, mais j'avais peur qu'il revienne sur ses pas juste après… ça n'a pas été le cas.

J'imaginai les quatre heures de garde qui avaient suivi, et l'état de ses pensées tandis qu'elle était restée assise dans ce couloir désert à attendre, l'arme à la main, la peur au ventre. Elle était tremblante d'angoisse et de dégoût, aussi posai-je une main apaisante sur son épaule. Je ne m'attendais pas, après ce geste maladroit, à ce qu'elle se précipite dans mes bras en sanglotant, et je me retrouvai mortellement embarrassée d'avoir une jeune recrue trempant mes galons de larmes. Je restai figée quelques secondes, ne sachant pas comment réagir, puis, avec une expression incertaine, lui tapotai le dos dans un geste que j'espérais réconfortant. Je n'étais vraiment pas à l'aise en ayant quelqu'un dans mes bras, surtout une jolie brunette dans son genre. Je la pris donc par les épaules pour l'écarter doucement de moi, et tâchai de rependre un peu de distance.

- Est-ce que vous avez utilisé votre radio pour prévenir l'équipe que vous aviez un problème ?

- Je… je n'ai pas osé, bredouilla-t-elle. Ça ne concernait pas la mission, je ne voulais pas créer une fausse alerte… et puis… j'avais tellement honte…

- C'est à lui d'avoir honte, répondis-je d'un ton inflexible.

Elle secoua la tête en signe de dénégation, fouilla dans sa poche pour y trouver un mouchoir et se moucha bruyamment.

- Je suis en mission pour protéger un témoin essentiel à une enquête, et je ne me suis même pas capable de me défendre seule… Vous admettrez que c'est un peu pitoyable.

- Ça n'a rien à voir, répondis-je d'un ton apaisant.

- Vous ne pouvez pas comprendre, murmura-t-elle, vous êtes tellement forte et impressionnante, vous…

- Sergent, murmurai-je, je comprends tout à fait ce que vous avez ressenti cette nuit. J'ai été comme vous.

Je n'étais pas prête à m'étendre davantage sur le sujet, cet aveu m'en coûtait déjà beaucoup, même si son expression stupéfaite aurait pu m'amuser dans un autre contexte. Mais la situation était particulière, et je sentais que c'était ce qu'elle avait besoin d'entendre. Gênée de m'être beaucoup trop dévoilée à quelqu'un que je connaissais si mal, alors que personne n'était au courant de cette histoire, je me redressai en m'éclaircissant la gorge.

- Je ne peux pas vous promettre que genre de choses n'arrivera plus jamais, mais vous apprendrez comment les éviter ou y faire face. En attendant, si vous avez le moindre problème, n'hésitez pas à m'en parler. Quant à ce Byers… Il aura quitté l'équipe avant ce soir.

A ces mots, elle s'autorisa un sourire soulagé. C'était une brunette aux cheveux coupés au carré, avec un visage aux joues pleines et les yeux brillants de l'enthousiasme de la nouvelle recrue. Cela se voyait comme le nez au milieu de la figure qu'elle n'était jamais allée au front, et même si elle n'avait sans doute que quelques années de moins que moi, cette aura d'innocence me paraissait tellement lointaine qu'elle me donnait l'impression de voir une enfant à protéger.

Comme Edward.

- Bon sang, il faut que j'y aille, j'ai une réunion, fis-je en réalisant que j'avais passé de longues minutes à parler avec elles tandis qu'Havoc devait ronger son frein. Qui vous relève ?

- Baytes.

- Une fois relayée, rentrez vous reposer. Vous logez au QG ?

- Non, je suis en colocation avec des amis.

- Bien, vous ne serez pas seule, fis-je, un peu soulagée à l'idée qu'elle puisse être soutenue. Quand vous vous sentirez mieux, rédigez-moi un rapport détaillé sur l'incident. C'est important qu'on en conserve une trace écrite, même si vous n'avez pas forcément envie que l'information soit diffusée à la hiérarchie. Nous en reparlerons quand vous aurez pu prendre un peu de repos.

Elle acquiesça, m'adressa un nouveau salut, et se réinstalla à son poste, les joues irritées par les larmes qu'elle avait versées, mais les yeux brillants d'admiration. Je la saluai à mon tour et fit demi-tour pour partir à pas vifs. Malgré le sourire rassurant que je lui avais adressé en partant, j'étais en rage. J'avais les points si serrés qu'ils en tremblaient.

Je m'en voulais d'avoir traîné à m'occuper de Byers, pensant stupidement que je pouvais encaisser facilement la situation, en oubliant que je n'étais pas la seule dans l'équation. Pire, cette discussion faisait remonter, entre tous mes souvenirs, celui que j'aurais voulu garder enfoui le plus profondément, ce moment de bascule où je n'avais pas eu d'autre choix que de transformer mon désespoir en rage pour m'en sortir. Je ne voulais pas y penser. Je fermai mon esprit, comptant mes pas et récitant le premier texte qui me venait en tête pour ne pas reposer de mot sur cet événement. Cela faisait longtemps maintenant, ça ne servait à rien d'y penser.

C'est d'un geste saccadé que je toquai à la porte de la chambre, selon le rythme convenu par notre équipe. La voix d'Havoc me répondit avec une inflexion agacée.

J'entrais et fermai la porte derrière moi.

- Enfin, vous voilà Lieutenant ! Je commençais à m'inquiéter, ça ne vous ressemble pas d'être en retard !

- Un problème avec mes subordonnés, répondis-je en espérant qu'il ne voie pas mes mains trembler, tandis qu'il remettait dans son sac l'haltère qu'il avait prise avec lui. Puisque vous allez sortir d'ici, vous pourrez demander pour moi au Colonel de trouver un remplaçant pour remplacer Byers à partir de ce soir.

- Byers est dans votre équipe ?

- Oui. Vous le connaissez ?

- Un petit peu, il est à mon étage. Il a un humour un peu lourd, mais il est marrant.

- Ça dépend pour qui, répondis-je sans parvenir à dissimuler mon ressentiment.

- Il vous a posé des problèmes ? s'étonna-t-il.

- En effet.

- Oh, fit-il, surpris et vaguement peiné d'entendre ça à son sujet. Vous le soupçonnez d'être la taupe ?

- Quoi ? Non, ce n'est pas ça, répondis-je d'un ton agacé, réalisant que j'avais presque oublié notre objectif initial avec cette affaire. Problèmes relationnels au sein de l'équipe.

Havoc hocha la tête, curieux, mais plus impatient de quitter la pièce où il avait passé les dernières heures enfermé. J'avais été tentée de résumer la situation de manière plus honnête, en remplaçant mes derniers mots par « problèmes d'attouchements sexuels envers un membre de l'équipe », mais étant donné qu'il y avait une seule femme sous mes ordres, et qu'elle ne voulait manifestement pas que l'incident s'ébruite, je me réduisis au silence à contrecœur. Pourtant, la tentation était grande d'apporter un autre éclairage à Havoc sur son collègue « marrant ».

- Je vais tâcher de mettre le grappin sur le Colonel pour le prévenir. Bon courage pour l'attente.

- Ça ira, répondis-je un peu plus sèchement qu'à l'accoutumée.


Quand Fuery vint me relayer, m'annonçant au passage que ma requête avait bien été transmise à Mustang, j'avais eu quatre longues heures pour réfléchir à la question, et prendre du recul.

C'était difficile, parce que son récit m'avait secouée en touchant un point sensible, mais j'avais dû faire face à une pensée désagréable. Cela me faisait mal de l'admettre, mais rien ne me prouvait qu'elle n'était pas la taupe. Elle était dans un secteur de l'armée qui avait travaillé dans le quartier général lors de l'attaque du passage Floriane, et travaillait dans le même régiment que Jaymes et Brant. Elle aurait tout à fait pu être au courant des différents événements.

Je n'avais pas envie de la croire coupable. Mais si elle l'était, accuser Byers pouvait être un bon moyen de l'éloigner. Après tout, si je n'en parlais pas, personne ne connaîtrait la véritable raison de son départ de l'équipe. Ce serait une manœuvre habile. Terriblement immorale, mais habile. Mais n'était-ce pas le travail d'une taupe de se faire passer pour ce qu'elle n'est pas ?

D'un autre côté, remettre en doute son agression alors qu'elle avait l'air aussi bouleversée serait de très mauvais goût. Surtout que ce n'était pas parce que je n'avais pas de preuve pour l'innocenter que je la croyais coupable pour autant. En revanche, Byers avait un comportement déplacé au sein de l'équipe et je le soupçonnai fort d'avoir effectivement fait de dont il était accusé.

Il fallait simplement que j'obtienne le plus d'information possible sur ce qui s'était réellement passé. Et pour cela, je connaissais un moyen très simple. Je retournai à mon équipe pour la réunion du jour, une brève discussion où tout le monde se retrouvait dans le couloir, passant en revue les dernières vingt-quatre heures et les éventuels problèmes rencontrés. Hayle se contenta de baisser les yeux à cette question, se tenant soigneusement à l'écart de Byers qui avait son habituelle expression goguenarde et s'autorisa une réplique déplacée durant le rapport. Je ne pus m'empêcher de le fusiller du regard. Une fois ce bilan terminé, je renvoyai les uns et les autres, qui à la garde, qui au quartier général, qui au repos. Je finis par Byers, lui demandant de m'accompagner. Je marchai à côté de lui, tâchant de dissimuler ma colère sous un visage aimable, pendant qu'il commentait d'un ton réjoui qu'il était ravi de passer du temps avec moi.

- Je n'attendais que ça, un moment seuls tous les deux… On pourrait peut-être se créer d'autres occasions en allant boire un verre ensemble ce soir, mmmh ?

- Je suis occupée.

- Mh, vous dites ça, mais je sais de source sûre que vous n'avez personne… Alors pourquoi ne pas tenter votre chance avec moi ?

- Je ne suis pas intéressée, et vous êtes en train d'outrepasser votre grade.

- Allez, vous dites ça mais vous en crevez d'envie ma belle, sinon pourquoi vous m'auriez demandé de vous accompagner ?

- Pour vous annoncer que vous êtes viré de mon équipe.

Aussitôt, son sourire reflua pour laisser place à un visage marbré de colère.

- Vous n'avez pas le droit de faire ça ! ! Je fais ma part autant que les autres, fit-il d'un ton menaçant en s'avançant vers moi, m'acculant au mur. C'est pas une petite pimbêche comme vous qui me fait peur, surtout que vous n'avez aucune raison valable de me virer. En plus, vous ne pouvez pas, vous avez besoin de moi pour la garde du prisonnier, mission secrète, vous savez ? ajouta-t-il d'un ton entendu.

En parlant, l'espace avait diminué, il s'était presque collé à moi, je sentais parfaitement sa chaleur corporelle, son haleine, et cette promiscuité m'arracha un haut-le-cœur. Bon sang, qu'est-ce que je détestais ça. Même si je gardais la tête froide, je sentais les signes physiologiques de la peur m'envahir. Certaines choses restaient incontrôlables.

- Vous êtes en train de me donner une bonne raison, lançai-je aussi fermement que possible. Écartez-vous immédiatement. C'est un ordre.

- Vous êtes en train de me provoquer, oui. Vous m'amenez dans un couloir désert, vous me chauffez avant de me balancer des conneries… Vous feriez mieux de le dire que vous avez envie de moi, pas besoin de faire votre princesse… Mais ça va, vous tombez bien, je sais lire entre les lignes, je vais vous faire du bien…

Il agrippa ma fesse d'une main avide avant de se figer. Sans doute parce qu'il avait senti le canon de mon revolver s'enfoncer juste sous ses côtes. Il baissa les yeux vers moi et dut sentir dans mon regard la colère que j'avais laborieusement bridée au cours de la conversation pour lui laisser croire que j'étais plus vulnérable qu'en réalité. Mais maintenant que j'avais eu des preuves de ce que je soupçonnais, je n'avais plus besoin de faire semblant. Je laissai tomber le masque, les yeux brûlants de fureur, lui laissant voir à quel point j'étais sérieuse. Et dans son regard brilla la peur.

- Je vous rappelle que je suis votre supérieur hiérarchique, et que non seulement, vous faites preuve d'insubordination, mais qu'en plus vous êtes en flagrant délit de harcèlement et attouchements sexuels. fis-je à voix basse, en détachant chaque syllabe. Un geste de plus et vous pouvez dire adieu à votre rate. Mais ne vous inquiétez pas, on peut vivre sans.

Il déglutit, sentant que je n'aurais aucun scrupule à appuyer sur la détente. Il ne s'attendait pas à ce retournement de situation.

- J'aurais quelques questions à vous poser. Qu'avez-vous fait avec le sergent Hayles la nuit dernière ?

Une ombre de peur passa dans ses yeux, et j'enfonçai un peu plus mon arme dans son abdomen pour lui faire comprendre qu'il avait intérêt à répondre.

- Je veux un rapport. Honnête, concis, factuel.

La mort dans l'âme, il avoua à contrecœur l'avoir plaquée contre le mur, lui avoir fait des attouchements, puis être parti à regret quand une infirmière l'avait interrompu. Dieu sait jusqu'où il serait allé sans cela, la morale n'étant manifestement pas une de ses limites. Résistant douloureusement à la tentation d'appuyer sur la détente, je lui demandai s'il avait remarqué quoi que ce soit d'inhabituel chez elle, le moindre élément suspect. Il n'avait rien d'autre à dire, mis à part qu'elle n'était pas dans l'armée depuis bien longtemps et qu'elle avait tout d'une proie facile. Ayant obtenu tous les renseignements que je voulais, ainsi que ceux que je ne voulais pas, je le repoussai d'un coup de genou, le libérant de sa tétanie. J'avais à la fois la confirmation de ses comportements abusifs et l'absence de suspicion envers Hayles. Si je me laissais aller à lui tirer dessus, cela risquait de se retourner contre moi. Ce n'était pourtant pas l'envie qui m'en manquait.

- Retournez à votre bureau en gardant un silence absolu sur votre dernière mission et ce qui vient de se passer. Après tout, comme vous l'avez fait remarquer, cette enquête est secrète. Je verrai avec les supérieurs quel sort ils vous réservent après la lecture du rapport de Hayles, mais si j'étais vous, je ne serais pas très optimiste. Et attendant d'être jugé, si j'apprends que vous avez compromis la mission d'une manière ou d'une autre, ou approché une de vos collègues… Je m'occuperai de vous personnellement. N'oubliez pas que je suis sniper, je pourrai vous avoir à deux kilomètres, ajoutai-je avec un sourire carnassier.

Il ouvrit une grande bouche, à la fois scandalisé d'être menacé et terrifié par ma froide détermination. Sans doute parce qu'il savait que ce ne serait pas si difficile pour moi de faire témoigner des victimes, et parce qu'il avait senti que je n'aurais aucun scrupule à lui tirer dessus, il détala sans demander son reste.

Je me retrouvai donc seule dans le couloir, mon arme encore à la main. Je remis la sécurité en place, puis la glissai dans mon holster et me frottai les mains pour qu'elles arrêtent de trembler. J'enrageais d'être limitée par la loi dans une situation aussi injuste, et si je m'étais écouté, il aurait finit sur un lit d'hôpital… ou à la morgue. Mais ça n'aurait pas été professionnel de ma part, et plus que tout, il fallait choisir la méthode la plus efficace. Hayles était sans doute en train de rédiger son rapport, et si Mustang prenait les choses en main, il avait des chances pour qu'il passe un bon moment en cellule. Contrairement à ce qu'on pourrait croire en écoutant les ragots, il était très à cheval sur ce genre de choses. Même si je savais que ça ne rendrait pas l'innocence de ma collègue, c'était une petite vengeance sur mon propre passé.

Malheureusement, je ne pus me réjouir très longtemps, puisque la radio que j'avais fourrée dans mon sac émit un bruit crispant, m'annonçant qu'on cherchait à me joindre. Je sortis l'objet et allumai le micro, le cœur battant, me demandant si les lignes avaient bougé, s'il y avait eu une attaque.

- Ici Hawkeye, soufflai-je dans la radio. Je vous écoute.

- C'est Fuery, répondit la voix familière de mon collègue, affreusement déformé par la transmission médiocre. Pas d'attaque en vue, mais on a un problème.

- De quel ordre ?

- Falman vient de passer me voir, il est malade comme un chien. On a essayé de prendre contact avec Mustang, mais il doit être en réunion, impossible de le joindre, ni par la radio, ni par téléphone. Du coup, on ne sait pas ce qu'on doit faire pour le tour de garde, et comme c'est vous qui êtes le plus gradé dans l'équipe…

J'étais partagée entre le soulagement et le dépit. Comment pouvait-on se retrouver avec des obstacles aussi stupides que l'état de santé des collègues ? Enfin, en attendant, personne n'avait été mis en danger, ce qui était un peu rassurant.

- Hé bien, ce n'est pas compliqué, il va falloir le remplacer. Il n'y a qu'à répartir les heures entre vous et Breda.

- Le problème, c'est qu'à 17 heures, je suis censé être au quartier général pour donner une formation sur les outils de communication. Et pour l'instant, je n'arrive pas à joindre Breda, il doit encore être chez lui…

Je lâchai un soupir, je voyais bien qu'il ne me restait pas trop d'autres choix. Tant pis pour les dossiers qui prenaient la poussière sur mon bureau, j'allais devoir passer un peu plus de temps que prévu à l'hôpital.

- Bon, je comprends ce qu'il me reste à faire, je vais vous relever à 16 heures, Fuery. Si vous arrivez à joindre Breda pour le faire venir plus tôt… Je vais aller au quartier général prendre de quoi travailler durant la garde, j'en profiterai pour voir si j'arrive à prévenir Mustang.

- Message reçu. Merci Lieutenant ! répondit Fuery.

La communication prit fin, et je glissai le terminal dans mon sac avec un profond soupir. La journée allait réellement être longue.


Le temps s'écoulait laborieusement dans la grande chambre aménagée, et il devait être à peine plus de cinq heures de l'après-midi. Je m'étais installée derrière le rideau, aux côtés de notre terroriste à surveiller. De l'autre côté, immédiatement visible depuis la porte, se trouvait un deuxième lit similaire au premier, où on avait fait installer un mannequin équipé d'une perruque et de tout le matériel médical donnant l'illusion que c'était un véritable patient. L'idée, brillante, avait été suggérée par Breda, et, si le personnel médical n'aimait pas cette mascarade, ils avaient tout de même pu nous prêter du matériel inutilisé pour la mettre en place, s'accrochant sans doute à l'idée que puisque l'état de l'homme s'améliorait de jour en jour, cette situation ne durerait plus très longtemps.

C'était un soulagement pour moi aussi. Je ne pouvais pas dire que passer des journées entières enfermée dans cet hôpital me réjouissait vraiment, et j'avais hâte que l'affaire cesse de s'enliser dans cette attente, pour que l'on mette la main sur des informations concrètes, et enfin, les coupables.

Et aussi, puisque je travaillais pliée en deux sur cette chaise à tenter de déchiffrer mes dossiers à la lumière jaunâtre du plafonnier, pour pouvoir retrouver le confort de mon lieu de travail habituel. En passant au bureau tout à l'heure, j'avais eu la désagréable surprise de voir que les piles de dossiers avaient poussé sur nos bureaux, faisant presque disparaître la surface du bois sous les informations à traiter. Encore de longues journées en perspective.

Les bruits de pas des personnes circulant dans l'étage résonnaient dans le silence studieux de la pièce, à peine troublé par les bips réguliers des machines. Quand j'entendis le son d'une démarche lourde s'approcher dans le couloir, je tendis vite l'oreille. Peu de gens circulaient par ici, il était probable que ce soit Breda, venu pour me relayer, mais je ne reconnaissais pas sa démarche un peu traînante. Je posai le rapport que j'étais en train de lire à même le sol et sortit mon Beretta de ma poche, prête à tirer. On ne savait jamais. Je me levai furtivement de ma chaise et glissai un coup d'œil derrière les rideaux.

La porte s'ouvrit en grand, laissant passer un infirmier poussant un homme dans son fauteuil, d'air un peu perdu.

- Bonjour, il y a quelqu'un ? tenta le soignant, tandis que son patient se ratatinait dans son siège, visiblement crispé.

Je remarquai alors qu'il avait les deux mains glissées sous une couverture, et jaugeai ses genoux, qu'il tenait écartés. Assez pour avoir glissé une arme lourde entre ses jambes. Il était un peu tôt pour leur tirer dessus, parce que nous étions tout de même dans un hôpital, et que l'erreur était humaine. Mais malgré leur expression naïve, j'avais de grosses suspicions, qui se confirmèrent quand ils échangèrent un regard surpris.

- Il n'était pas censé y avoir un militaire pour le garder ? murmura l'homme assis, confirmant mes soupçons.

- Bah, apparemment c'est le moins bon de l'équipe… qui sait, il est peut-être parti pisser, répondit l'autre d'un ton moqueur. Peu importe, faisons ça vite et tirons-nous.

Le patient qui n'en était pas un hocha la tête se leva, jetant négligemment la couverture sur le fauteuil roulant, révélant le pistolet avec silencieux qu'il dissimulait. Il s'approcha du lit, prêt à tirer une balle dans la tête de sa cible. Je vis son visage se décomposer quand il fut assez près pour réaliser que c'était un mannequin, et il releva son arme, prêt à tirer au hasard dans le rideau qui me dissimulait. Je n'attendis pas davantage et tirai dans sa main, le désarmant dans un cri de douleur.

- Putain ! grinça l'autre en sursautant, tirant lui aussi un revolver de sa poche tout en reculant vers la porte. On s'est fait avoir, Brett !

- Sans blague ! grinça son complice en se précipitant vers la porte.

Le plus grand des deux poussa la poignée tout en tirant au hasard, incapable de savoir où je m'étais déplacée. Je tirai brutalement le rideau et lui logeai deux balles, une dans la main droite, une dans la cheville gauche. Il s'effondra dans un râle de douleur et son complice trébucha sur lui en essayant de s'enfuir à toutes jambes. Il ne parcourut que deux mètres de plus avant de se prendre une balle dans le mollet et s'effondrer à son tour.

Gardant mon arme à la main pour être sûre qu'ils ne se relèveraient pas, je pris la radio de mon sac et m'adossai au chambranle de la porte pour prévenir mes collègues, même si je me doutais que mes coups de feu n'étaient pas passés inaperçus.

- Allô, Allô ? Ici le Lieutenant Hawkeye, demande renforts.

- Allô Lieutenant, ici sergent Hayles, j'ai entendu des coups de feu, qu'est-ce qui s'est passé ? ! grésilla une voix inquiète dans le micro.

- Deux personnes ont tenté une attaque chambre A489. La situation est maîtrisée, mais j'ai besoin de renfort pour leur arrestation.

- Mais… nous sommes censés garder la chambre A214… bredouilla-t-elle, désarçonnée.

- En effet. Mais j'ai besoin de vous chambre A489.

Il y eut quelques secondes de silence, je devinais sa surprise et son incompréhension. Puis un nouveau grésillement annonça qu'elle s'apprêtait à parler. Au bruit, je devinais qu'elle était en train de courir.

- Il n'y a personne dans la chambre. Nous gardions un leurre pour attirer l'attention des terroristes, c'est ça ? demanda-t-elle avec une pointe d'amertume.

Elle comprend vite.

- C'est ça, répondis-je.

Mais visiblement, nous avons fait une erreur en cherchant la taupe parmi nos subordonnés. Une attaque sur l'un des leurres nous aurait appris dans quel régiment se cachait la taupe, mais en ciblant au bon endroit, l'attaque nous apporte encore plus. Elle nous prouve que la taupe est au-dessus de nous dans la hiérarchie.

- Ça ne va pas nous faciliter la tâche, murmurai-je pour moi-même.

Autant prouver la culpabilité d'un subordonné, ce n'était pas trop difficile, autant accuser ses supérieurs, s'était s'aventurer en terrain glissant.

J'en étais là de mes réflexions quand le sergent Hayles déboula à l'angle du couloir et ouvrit des yeux stupéfaits en découvrant mes victimes, effondrées dans le couloir.

- Vous avez vos menottes ? demandai-je.

- O-oui… bredouilla-t-elle

- Mettez-les à celui-ci, fis-je en désignant l'homme à ses pieds. Méfiez-vous, il est blessé, mais conscient.

Elle hocha la tête avec une expression inquiète, et l'enjamba pour poser un genou dans son dos, pesant de tout son poids pour l'immobiliser tandis qu'elle attrapait ses bras pour le forcer à ramener ses poignets dans son dos. L'homme, sentant sans doute que ça ne lui apporterait rien de bon de se débattre, ne résista pas vraiment, même s'il lâcha un gémissement de douleur quand elle rabattit le fermoir sur son poignet ensanglanté.

- Il est blessé, commenta la jeune soldate.

- En effet.

J'avais dit ça d'un ton tranquille tandis que je menottais le faux infirmier d'un geste assuré. Elle me jeta un regard mi-inquiet, mi-admiratif.

- Ils seront soignés quand ils auront répondu aux questions, assurai-je. Du moins, s'ils ne sont pas condamnés à mort.

D'autres militaires, sans doute des renforts installés en salle de repos, arrivèrent quelques secondes plus tard, alertés par les coups de feu. Il ne fallut pas longtemps pour que des curieux commencent à traîner aux abords de la scène, sans trop oser s'approcher cependant. Tandis que j'attendais l'arrivée du Colonel Mustang, que d'autres militaires avaient prévenu, je discutais d'un ton tranquille avec Hayles qui gardait en joue l'un de nos prisonniers tandis que je surveillais l'autre. Malgré la nuit horrible qu'elle avait vécue, elle était restée éveillée et concentrée sur sa mission, et on voyait à son regard qu'elle était résolue à faire de son mieux aussi longtemps qu'on aurait besoin d'elle.

- Lieutenant, j'ai écrit mon rapport sur l'incident de ce matin, annonça-t-elle sans quitter son prisonnier des yeux.

- Très bien. Je pense que vous savez déjà que Byers n'est plus dans l'équipe.

- Oui. Mais étant donné les derniers événements, je ne suis pas sûre que cette équipe soit encore nécessaire, répondit la jeune femme avec un sourire désabusé.

- En effet. Si vous acceptez que je montre votre rapport au Colonel Mustang, Byers pourra être jugé pour ses actes.

Aussitôt, son visage se referma. Je comprenais ce sentiment. Elle ne voulait pas qu'on le sache, que l'affaire s'ébruite dans l'armée et devienne un bruit de couloir, qu'on pose sur elle un regard plein de jugement, entre gourmandise et mépris, qu'on parle de sa faiblesse ou d'un comportement soi-disant aguicheur. Elle pressentait qu'elle serait sans doute jugée coupable, peut-être pas par la cour, mais au moins par certains de ses collègues, à commencer par les amis de son agresseur.

- Je comprends que nous n'ayez pas envie d'attirer l'attention sur cette affaire, Hayles, et je ne vous forcerai pas à le faire, mais je vous le conseille. Vous savez pourquoi ?

Elle secoua négativement la tête, écoutant ma réponse.

- Même si je l'ai un peu secoué durant notre discussion, et qu'il devrait se tenir tranquille dans les jours à venir, il serait injuste et dangereux de le laisser s'en tirer à si bon compte. Tant qu'il n'est pas jugé pour ses actes, lui et les autres personnes susceptibles d'agir de la même manière se sentiront libre de le faire. Il ne faut pas leur donner ce droit en gardant leurs abus sous silence.

- Je comprends, mais… Je n'ai pas envie d'en parler, vous savez. En plus, avec tout ce qui se passe avec le Front de l'Est, une enquête supplémentaire ne ferait que compliquer les choses…

Je hochai la tête. Elle n'avait pas tort. Nous étions déjà surchargés de travail, en tension permanente depuis des jours, accumulant le travail de bureau en retard. Le contexte n'aidait pas à traiter l'affaire dans de bonnes conditions.

- Je m'en voudrais si l'enquête en cours était perturbée par des problèmes personnels, conclut-elle. Même si je comprends bien que je n'ai pas un grand impact dans l'histoire, puisque je ne sais pas tout, je ne vais pas vous déconcentrer alors que nos ennemis sont en pleine action.

- Dans ce cas, nous en reparlerons quand les choses se seront calmées, conclus-je. Cela vous laissera le temps d'y réfléchir.

Elle hocha la tête, et sur ses entrefaites, le Colonel arriva précipitamment, avant de prendre en main la situation.


Il était déjà tard quand j'avais poussé la porte de mon salon. Black Hayatte bondit vers moi, impatient de sortir. Je poussai un profond soupir, un peu découragée à l'idée de devoir repartir aussitôt. J'avais juste envie de me jeter dans mon canapé pour ne plus jamais en sortir. Mais je savais bien que la vessie des chiens n'était pas infinie, et la sienne avait été mise à rude épreuve aujourd'hui. Je posai donc mon sac dans l'entrée, le gratouillai derrière les oreilles en le félicitant pour sa patience, et ouvris la porte pour qu'il sorte devant moi. Il bondit dans le couloir et sautilla autour de moi pour montrer son enthousiasme tandis que je fermai la porte à clé avec des gestes plus lents que d'habitude.

J'étais en train de me dire que je n'aurais absolument pas le courage de me faire à manger en rentrant. Étant donné les derniers événements, je décidai que je méritais un peu de repos et que le repas de ce soir serait constitué d'un plat à emporter, un sandwich chaud ou une brioche à la viande. Pour une fois, je pouvais bien me permettre de manger n'importe comment. De toute façon, ce serait mieux que ne rien manger du tout.

- Ah, Black Hayatte, si tu savais le chaos que c'est là-bas, murmurai-je plus pour moi-même que pour lui, qui n'avait rien à faire de l'ambiance du quartier général.

C'est donc en silence que je me remémorai la situation, après être sortie et avoir acheté deux brioches à la viande à l'échoppe qui faisait l'angle de ma rue. Roy Mustang avait fait enfermer les attaquants dans une chambre d'hôpital inoccupée pour les interroger, et j'avais accompagné le patient durant son transfert en chambre A244 tandis que le sergent Hayles était resté, bien campé devant la porte de la chambre, avec pour mission de transmettre à Breda le numéro de la nouvelle chambre quand il arriverait. Elle avait la mine résolue de celle prête à camper toute la nuit s'il le fallait, mais je lui avais ordonné de rentrer chez elle aussitôt cette mission accomplie. On voyait bien qu'elle avait les traits tirés et qu'il lui fallait du repos.

Après l'attaque, l'ancienne chambre n'était plus une cachette sûre, et il allait sans doute falloir renforcer la surveillance. Le personnel de l'hôpital me regardait avec une certaine défiance ce n'était pas étonnant que je ne sois pas très bien vue après avoir dégainé mon arme, alors que nous étions dans un lieu dédié aux soins des gens. Quelle que soit la raison, blesser ou tuer d'autres personnes était incompatible avec leurs convictions personnelles, et je le comprenais très bien. Malgré tout, c'était mon devoir et je n'avais aucun regret.

Quand Breda était arrivé, peu de temps après, il était accompagné de Lorens, un des subordonnés de mon équipe de garde. J'appris après de brèves explications que le Colonel avait ordonné un renfort de la sécurité, et que parmi les quatre équipes formées pour la protection de notre témoin, il avait choisi de rependre la mienne pour nous servir de renfort. De manière habile, Breda avait réussi à passer sous silence que sa précédente garde était celle d'un leurre, et Hayles, bien que l'ayant bien compris, avait loyalement joué le jeu.

Ensuite, tout s'était passé très vite. Le Colonel m'avait appelée, et je l'avais rejoint aussitôt. En quelques mots, il m'avait informé de la question qui me taraudait. Qui était ces tueurs ? Des membres du Front de libération de l'Est ? Malheureusement, ils se présentaient comme de simples mercenaires engagés par un inconnu qui leur avait graissé la patte, et n'ayant aucun rapport avec les terroristes. C'était absurde qu'ils n'aient aucun lien avec le Front de l'Est, et ni le Colonel ni moi les croyions une seconde. Pour cette raison, un deuxième interrogatoire, plus approfondi, allait avoir lieu dans les locaux du Quartier Général. Avec quelques militaires en renfort, Mustang et moi devions l'escorter jusqu'à la prison de comparution de l'armée pour vérifier qu'ils étaient sous bonne garde. Après cela, nous étions repartis aussitôt, dans un but que je ne connaissais pas encore. Quand je lui avais demandé pourquoi il était aussi pressé, sa réponse avait résonné sèchement.

- Il faut que nous voyons le Général de Division au plus vite, en espérant qu'il ne soit pas encore parti..

- Pourquoi ?

- J'ai besoin d'un mandat d'arrêt.

J'avais continué à marcher à pas vif à sa droite, assimilant rapidement le sens caché de ce qu'il venait de dire.

S'il a besoin d'un mandat de son supérieur, cela veut dire qu'il vise une personne plus gradée que lui. Il a donc étayé ses soupçons ?

- Au nom du Général Erwing ? demandai-je d'un ton prudent.

- Oui, répondit-il.

- Vous allez faire des vagues, fis-je remarquer. J'espère que vous ne vous trompez pas, parce que dans le cas contraire, cela risque d'être mal perçu…

- Nous avions émis un accord pour être les seuls au courant du véritable emplacement du prisonnier et ne pas le transmettre aux supérieurs. Il y avait sept personnes en tout connaissant la vérité. Notre équipe, et lui. Etant donné que ma confiance en vous cinq est absolue, soit Erwing est la taupe, soit il a laissé échapper l'information. Dans tous les cas, il est coupable de quelque chose.

Je hochai la tête. Le raisonnement tenait la route. Mais je n'étais pas sûre que ses supérieurs apprécient une attaque aussi frontale.

- J'ai joint Fuery dès la fin de sa formation pour lui demander de voir avec les standardistes pour vérifier les appels qu'il a passés en externe. Hier, cinq appels hors du quartier général ont été passés depuis son bureau. Quatre à son domicile, et le dernier à un autre numéro.

- On connaît l'adresse correspondante ?

- Pas encore, et ça va prendre du temps de faire tous les recoupements, ça peut aussi bien être un appartement privé qu'une cabine téléphonique… Fuery est dessus. En tout cas, voilà enfin une piste concrète. Entre ça et l'amélioration de la santé de notre témoin… On va peut-être sortir du brouillard, Hawkeye, fit-il en faisant craquer ses doigts avant de frapper à la porte du bureau du Général de division.

Malheureusement, son espoir avait été déçu. Le Général de Division était déjà parti, et son équipe ne pouvait – ou voulait – pas le contacter à son domicile. Fulminant, Mustang était revenu à notre bureau ou Fuery nous attendait, et avait donné des ordres.

Ce n'était plus une, mais deux personnes qu'il fallait garder de manière permanente : d'une part, notre prisonnier, dont le réveil s'annonçait imminent si on en croyait ce qu'avait dit l'infirmière avant notre départ. D'autre part, le Général Erwing, notre principal suspect. Même s'il ne savait à priori rien de l'attaque de cet après-midi, s'il en était la cause, on pouvait s'attendre à ce qu'il fuie ou se défende. A défaut de pouvoir l'arrêter de manière réglementaire, le Colonel s'était mis en tête de garder un œil sur lui autant que possible. Il avait donc distribué les horaires comme autant de coups de massue.

Fuery, non content de devoir s'occuper de la maintenance téléphonique entre cinq et huit heures du matin pour ensuite aller garder notre témoin, allait avoir la lourde tâche d'annoncer à Havoc qu'il allait devoir surveiller le domicile d'Erwing de minuit à trois heures, puis enchaîner à l'hôpital de quatre à huit heures, accompagné de Jenkins. J'allais devoir relever Havoc à sa planque, et suivre le Général Erwing, qui, normalement, reviendrait au quartier Général pour une journée de travail comme les autres. Le Colonel, quant à lui, s'apprêtait à partir surveiller le foyer du Général Erwing avant d'être relayé et s'acquitter de sa mission de surveillance entre minuit et quatre heures du matin. Après une courte nuit, il irait tambouriner à la porte du Général de Division pour obtenir un mandat d'arrêt au plus vite, et, si tout allait bien, cueillir Erwing à son arrivée au QG. Il m'avait confié sa garde à partir de quatre heures du matin, jusqu'à son arrivé au quartier général. En espérant que tout se passe sans anicroche. Dans le cas contraire, j'étais sa principale protection.

En songeant à quel point nous allions nous retrouver privés de sommeil, je ne pouvais que lever les yeux au ciel avec un soupir désabusé. Falman avait mal choisi son moment pour tomber malade. Heureusement que le réveil de notre prisonnier était imminent, avec un rythme pareil, nous allions bientôt être à bout. Et il ne valait mieux pas penser aux dossiers qui s'accumulaient pendant ce temps.

Je sifflai pour rappeler Black Hayatte qui s'était aventuré un peu trop loin dans le parc. Il était temps de rentrer. La promenade lui semblait sans doute courte, mais ma nuit promettait de l'être tout autant.


Jusque-là, c'est bon.

C'était la pensée qui avait tourné en boucle depuis que mon réveil avait sonné, m'arrachant du sommeil à deux heures et demie du matin. Black Hayatte avait vaguement remué le temps de m'adresser un regard emprunt de reproche. Ce n'était pas une heure pour réveiller les honnêtes chiens.

Jusque-là, c'est bon.

C'est ce que je m'étais dit quand j'avais réussi à me préparer assez rapidement pour partir à l'heure prévue. A cette heure-ci, pas de transports en commun pour me faire gagner du temps. Heureusement, l'adresse du Général Erwing n'était pas très loin et j'y fus rapidement. Je retrouvai Havoc, bien réveillé et bien grognon dans l'atmosphère fraîche de la nuit d'automne. Au moins, il n'avait pas plu cette nuit-là.

- C'est pas comme ça que j'imaginais passer mon samedi matin, grommela-t-il en me voyant arriver, soulagé de voir la première partie de son supplice prendre fin.

- Je crois que personne ne voulait passer son samedi matin comme ça, répondis-je d'un ton las. Rien de particulier à signaler ?

- Rien. Du. Tout. Le calme plat, l'ennui mortel. Apparemment, Mustang l'a vu fermer la fenêtre avant d'éteindre la lumière, à l'heure où les honnêtes gens vont se coucher, mais on n'a pas eu le moindre mouvement depuis.

- Je vois, répondis-je.

- Il n'y a rien de pire que l'attente, décidément, marmonna le militaire en s'étirant. La voiture de Mustang est juste ici, et voici les clés.

Je pris le trousseau avec un air étonné. Je n'étais pas habituée à ce que le Colonel soit aussi désinvolte avec un bien de cette valeur, et je ne pus pas m'empêcher de le faire remarquer.

- Il vous a confié sa voiture ?

- Bah, il n'y tient pas particulièrement, il ne s'en sert que pour draguer, il le dit lui-même.

Je jetai un œil à la voiture noire aux lignes élégantes. Ce n'était pas un luxe que tout le monde pouvait se payer.

- Bon courage pour la deuxième partie de la nuit, fis-je avec un peu de sollicitude. Et pour le trajet jusqu'à l'hôpital.

- Ça ira, j'ai mon vélo. Ça me réveillera de faire un peu de sport, commenta-t-il avec un sourire.

Je regardai partir cette grande silhouette pédalant à vive allure, avec un demi-sourire. C'était quelque chose de touchant chez Havoc. Il avait beau s'enfoncer dans le désespoir à chaque rupture amoureuse en prenant de grands airs d'homme au fond du gouffre, quand la situation était réellement difficile, comme cette semaine qui nous avait à tous limé les nerfs, il parvenait à trouver des ressources insoupçonnées pour rester positif et ne pas décourager son entourage.

Je restai quelques secondes debout dans la rue, sans rien d'autre que le silence endormi d'un quartier résidentiel, à peine troublé par un souffle de vent qui poussait quelques feuilles mortes crissant contre le bitume. Puis le froid m'assaillit d'autant plus vite que j'étais fatiguée, et je me dirigeai vers la voiture dont je déverrouillai la porte.

Mustang sait bien jauger ses subordonnés, songeai-je en me glissant sur le siège du conducteur, de laquelle je voyais parfaitement la maison, et croisai les bras, nichant mes mains sous mes aisselles pour les garder au chaud. Je regardai la radio de la voiture, hésitant à l'allumer pour passer le temps, puis je me ravisai. Je ne voulais pas prendre le risque de vider la batterie et de ne pas pouvoir démarrer le moment venu. Je m'enfonçai dans le siège qui était, il fallait l'avouer, plutôt confortable, et sentant ma barrette me scier l'arrière de crâne, je détachai mes cheveux pour la glisser dans ma poche et pouvoir me renfoncer plus confortablement dans le dossier.

L'attente était lancinante, et tandis que les aiguilles de ma montre rampaient mollement d'une heure à l'autre et que le ciel tournait imperceptiblement au-dessus de ma tête, j'avais le temps de penser à mille choses.

A ces journées d'été où je n'avais rien d'autre à faire qu'errer dans les couloirs et les jardins de cette demeure inutilement grande, glanant des trésors d'enfants au fil de mes ballades dans les bois, observant les oiseaux durant des heures, lisant des journées entières n'importe quel livre me tombant dans les mains, quel que soit le sujet. Ce silence, cette attente, qui semblaient si insupportable à certains, avaient été ma vie pendant longtemps.

Je repensai au Sergent Hayles, sans doute en train de dormir profondément, du moins je l'espérais pour elle, puisqu'une relève l'attendait aujourd'hui. La voir, encore peu assurée mais résolue, me rappelait mes propres débuts dans l'armée, et son agression me renvoyait un reflet d'autant plus troublant, même si elle semblait être plus fragile que moi. Heureusement pour elle que le contexte n'était pas le même qu'à cette époque, et qu'elle n'avait pas plongé dans le cauchemar de la guerre ishbale. Il y avait un petit réconfort amer à ce dire que les horreurs qu'on avait vécues, peut-être que les générations suivantes ne les subiraient pas.

C'était sans doute le sentiment qu'avait Mustang en pensant au Fullmetal Alchemist. La raison pour laquelle il gardait un œil dessus. Distant, prudent, mais toujours présent. Nous étions tous les deux conscients de son caractère exceptionnel. Et chacun à notre manière, nous nous en étions rapprochés ces derniers temps. Bien sûr, ce qui était arrivé à Hugues n'y était pas pour rien. Mais même si la situation n'était pas enviable, Edward avait réussi le tour de force d'éviter le pire. Et je connaissais assez Mustang pour savoir qu'il n'oublierait jamais ça.

Sous nos apparences contradictoires, Mustang et moi avions le même genre de personnalité lunaire, distante, et, même si les raisons étaient bien différentes, la même manie de fuir l'attachement. Mais moins on se liait facilement aux autres, plus la perte de nos proches était insupportable. Je me souvenais très bien de cette époque où il était au bord du gouffre, quand la vie l'avait détruit au point qu'il soit tenté de mettre fin à ses jours.

Durant des semaines, je l'avais vu couler, témoin impuissant, et je savais que c'était Hugues, avec son indéfectible optimisme, qui avait réussi à le sortir de là. J'avais beau être présente pour lui depuis très longtemps, je n'avais jamais su trouver les mots pour lui redonner courage. Je n'étais pas du genre à réconforter, je n'avais jamais su comment faire. Je pouvais être loyale, énoncer clairement la situation et l'analyser, mais quand la situation était désespérante, ce n'était pas d'une grande aide. C'était vrai à l'époque, ça n'avait pas tellement changé depuis.

Je poussai un soupir agacé.

Décidément, je suis socialement inapte.

A peine avais-je pensé ça que le séjour d'Edward me revint en mémoire, comme pour me contredire. Les soirées passées en sa compagnie, même si elles avaient finalement été plutôt rares, restaient de bons souvenirs. Il parlait volontiers, sans insister pour avoir le monopole de la conversation, mais sans m'obliger à répondre non plus. Et il y avait une légèreté confiante dans la manière dont il discutait qui le rendait terriblement attachant.

Je songeai ironiquement qu'en quelques jours seulement, il m'était devenu plus familier que ne l'avait jamais été ma propre famille. Peut-être parce qu'il avait cette simplicité, justement. Peut-être parce que la défiance qu'il avait à évoquer son père était le reflet de mes propres sentiments. Non pas que nous en ayons vraiment parlé, mais quand on est habitué à se taire, on remarque plus les silences des autres, les secrets, les zones d'ombres. Comme le ciel s'éclaircissait progressivement, et que la rue commençait à prendre des couleurs indéfinissables sous l'effet de l'aube, je me perdis dans une méditation de plus en plus profonde.

Je me redressai sur mon siège, sortant brutalement de ma léthargie. Des lumières venaient de s'allumer dans la maison. Enfin un mouvement ! Il devait être en train de se lever pour partir travailler. Cela signifiait que mon attente touchait peut-être à sa fin.

Pendant que le Général Erwing était sans doute en train de se préparer, les minutes me paraissaient encore plus longues. Sans doute parce que j'étais en train de rassembler mon attention pour être attentive au moindre écart, au moindre signe suspect. Mon arme à portée de main, la clé sur le contact, je scrutai le moindre mouvement venant de la maison, au fur et à mesure que le soleil se levait, annonçant une journée grise et couverte, sentant monter la sensation de faim. Évidemment, à force de ne pas dormir et manger n'importe quand, il fallait bien que ça arrive. Tout cela me donna encore plus hâte que cette attente se termine. Allait-il se défendre âprement, ou bien se laisser faire, philosophe ? Cela déprendrait sans doute de son degré de culpabilité dans l'affaire. Après tout, Mustang n'avait pas totalement exclu la possibilité qu'il soit innocent.

Je m'accoudai sur le volant en regardant vers la fenêtre où on le voyait manger avec sa famille. Une véritable image d'Epinal. L'ambiance avait l'air détendue. Il est courant d'avoir une vision manichéenne de nos ennemis, des brutes épaisses ou des manipulateurs sans scrupules…Aussi l'idée que ceux que l'on combat puissent des personnes normales, ou pire, sympathiques, me mettait toujours mal à l'aise.

Enfin, il claqua la porte de sa maison et se dirigea vers sa voiture. Il démarra, et je tâchai de le suivre, en espérant que la circulation soit suffisante pour me fondre dans la masse et ne pas attirer ses soupçons.

Enfin, s'il n'a rien à se reprocher il y a des chances pour qu'il ne remarque rien.

Je le suivis avec attention, tâchant de trouver le bon équilibre entre de la distance, pour ne pas trop attirer l'attention, et une certaine proximité, pour ne pas risquer de le perdre s'il tentait de me semer. Arrêtée à un feu rouge, je lâchai un profond bâillement. J'eus une pensée coupable pour Black Hayatte, qu'il aurait fallu que je sorte. Si je trouvais l'appartement saccagé à mon retour, je n'aurais pas le droit de m'en plaindre. Une fois n'était pas coutume, dès l'arrestation bouclée, je demanderais à Mustang de m'éclipser le temps de m'occuper de lui. En espérant que les choses se passent vite et bien.

La voiture repartit, et je la suivis en serrant les dents. J'aurais vraiment dû prendre davantage à manger en partant de chez moi, la faim devenait insupportable. Heureusement, le trajet se passait sans encombre, et nous approchions du Quartier général. Jusque-là, aucun problème à signaler.

La voiture entra dans le parking et prit ce qui était sans doute sa place habituelle. Je me garai deux places en amont. Je le vis s'extirper du véhicule et fermer derrière lui. Depuis la voiture, rangeant mon arme dans son holster, je scrutai son visage. Il n'avait pas l'expression d'une personne qui se sentait en danger. Ou il était expert au bluff, ou il ne se doutait de rien.

Je quittai la voiture à mon tour, verrouillant en suivant son trajet du coin de l'œil, puis le suivis à bonne distance, l'observant sans le scruter. Le but était qu'on ait l'impression que j'allais dans la même direction simplement parce que c'était mon chemin. J'entrai dans le bâtiment et essuyai le regard stupéfait du militaire à l'accueil quand il me vit arriver.

Je butai quelques secondes, me demandant pourquoi il me regardait d'un air aussi surpris, puis levai la main à ma tête, réalisant que j'avais gardé les cheveux détachés. Sans cesser de marcher, je repris ma barrette que je coinçai dans la bouche le temps de rassembler ma chevelure dans un chignon hâtif. Je n'avais jamais les cheveux détachés au travail, je n'allais pas commencer aujourd'hui.

Pendant ce temps, le Général continuait son trajet, saluant un militaire ici et là, rappelant un dossier en cours. Je commençai à me sentir ridicule à le suivre ainsi, mais je ravalai ma gène et me concentrai de nouveau. Heureusement, mon malaise prit fin rapidement quand il arriva devant son bureau. Il eut un temps d'arrêt en voyant le Colonel Mustang adossé à la porte de son bureau, l'attendant de pied ferme. Je ne pus m'empêcher de remarquer qu'il avait une mine affreuse. Je n'étais pas la seule à manquer de sommeil. A sa droite, le Général de Division, un barbu à la silhouette massive, qui avait les bras croisés, l'air renfrogné.

L'homme devant moi s'approcha, je n'avais pas besoin de voir son visage pour deviner sa soudaine fébrilité. Il adressa un salut militaire à son supérieur, tandis que je m'approchai moi aussi.

- Général, Colonel, fit-il d'une voix qui tentait d'être assurée. Vous m'attendiez ?

- Général Erwing, je vais vous demander de me suivre pour répondre à quelques questions, fit le Colonel d'une voix sourde en tendant devant lui un papier signé, le mandat d'arrêt, sans doute.

- Quoi… ? fit-il en se redressant pour toiser Mustang, qu'il dépassait de quelques cm.

- Erwing, ne rendez pas les choses plus difficiles qu'elles le sont déjà, lança le Général de Division d'une voix très profonde. Vous devez vous douter de ce qui se passe.

- Général… mais…

Je poussai un soupir. On était loin de la fusillade que nous craignions. J'échangeai un bref coup d'œil à Mustang, et peut-être capta-t-il ma pensée.

J'aurais aussi bien pu passer la nuit à dormir.

Bien sûr, ce n'était pas aussi simple, et étant donné que la piste du Front de l'Est avait failli nous échapper totalement, nous ne pouvions pas nous permettre la moindre imprudence. Il était facile de se faire ce genre de réflexion avec le recul, mais je savais que malgré ma frustration, c'était le meilleur choix à faire. Je m'approchai, tirant les menottes de la poche droite de mon uniforme, guettant une approbation muette de mes supérieurs qui me fut donné par un geste imperceptible de la tête. L'homme, visiblement abasourdi par la situation, ne résista pas du tout, à tel point que je n'étais plus si sûre que les entraves soient réellement nécessaires.

J'accompagnai les deux hommes jusqu'à la salle d'interrogatoire. La scène avait quelque chose de surréaliste. Flanqué de part et d'autre, Erwing tenait ses mains dans le dos dans un geste qu'il espérait suffisamment naturel pour que les personnes qui croisaient le cortège ne remarquent pas le métal luisant à ses poignets, signe matériel de la honte qui le frappait. Personne ne prononça un mot jusqu'à l'arrivée à la salle d'interrogatoire. Les bandes d'enregistrement étaient prêtes, un sténographe attendait pour prendre des notes, bref, il n'y avait plus qu'à commencer.

- Maintenant que vous êtes sous le coup d'une enquête, vos rapport de hiérarchie ne tiennent plus, rappela le Général de Division. Erwing, je compte sur vous pour coopérer.

- Mais… je n'ai rien fait ! lâcha-t-il d'un ton où l'angoisse se mêlait à l'indignation.

- Si c'est le cas, vous saurez le prouver, répondit-il d'un ton apaisant. Je vous laisse, j'ai du travail. Tenez-moi informé de l'évolution du dossier, Colonel.

Mustang lui adressa un salut militaire, et je l'imitai, puis il repartit. Notre suspect, attablé dans la salle au miroir sans tain, regardait son reflet avec de grands yeux horrifiés. Je sentis mon cœur se serrer et mon malaise s'accentua. Quelque chose n'allait pas.

- Tenez, Hawkeye, fit Mustang en me lançant quelque chose qu'il avait tiré de sa poche.

Je l'attrapai au vol, me rassurant de constater que la fatigue n'avait pas trop entamé mes réflexes. Je me retrouvai donc avec une pomme en main. Je levai vers lui des yeux interloqués.

- Colonel ?

- Je suis passée à la cafétéria à l'heure de l'ouverture, je me suis dit que je ne serais pas le seul à avoir faim.

- Vous êtes là depuis quand ? questionnai-je en tâchant de ne pas montrer à quel point le simple fait d'avoir le fruit en main me faisait saliver.

- J'ai dormi au bureau pour être sur place. Histoire d'être joignable, en cas de problème.

Je hochai la tête, pas vraiment surprise, et un silence retomba. Je me sentais un peu mal à l'aise, peu habituée à demander des faveurs. Il me regarda, et secoua la tête avec un sourire.

- Hawkeye, ça ira à partir de maintenant. Il est menotté, et nous sommes entourés de militaires, je ne m'inquiète pas trop de mon sort. Allez-y, rentrez vous reposer un peu et vous occuper de Black Hayatte. Vous avez déjà bien assez donné depuis hier.

Je hochai la tête, soulagée de ne pas avoir besoin de parler pour obtenir gain de cause. Quand je voyais ses traits tirés, j'avais de la pitié pour lui, mais aussi conscience que je ne devais pas avoir l'air en meilleure forme. Après un dernier remerciement, je le quittai tandis qu'il fermait derrière lui la porte de la salle d'interrogatoire, puis traversai le couloir à pas vifs en croquant dans la pomme qu'il m'avait passée. J'étais à la fois soulagée que tout ce soit bien passé, et titillée par le sentiment que quelque chose clochait.


C'est à pas vifs que je revins au quartier général, quelques heures plus tard, la mine résolue. La matinée était passée en un clin d'œil, le temps de rentrer, promener Black Hayatte qui m'attendait comme le messie, manger, et m'effondrer dans le canapé, prête à rattraper ma nuit en faisant un tour de cadran.

Pourtant, je n'avais pas dormi longtemps avant de me rasseoir sur le siège, bien réveillée. Je n'étais pas en pleine forme, mais cette heure de sommeil avait suffi à me redonner un coup de fouet. Et un inexplicable sentiment d'urgence m'empêchait de dormir davantage. Je passai quelques minutes, à ruminer en caressant pensivement Black Hayatte. J'aurais dû prendre un repos bien mérité après ces journées particulièrement intenses, mais je n'y arrivais pas. Je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que c'était trop facile pour être honnête. Plus j'y repensais, plus la stupéfaction d'Erwing me paraissait sincère, et son innocence, certaine. Quel intérêt aurait-il eu à se saborder en sachant qu'il était le seul à connaître ses intentions ? L'homme dans le coma était-il une si grande menace pour les terroristes qu'il explose sa couverture pour une attaque, ratée de surcroît ? C'était peu probable.

Je me levai, et Black Hayatte me regarda avec des grands yeux plein d'inquiétude. Je lui grattai l'arrière de l'oreille avec quelques mots rassurants. Lui qui avait toujours vécu sa vie comme une horloge bien huilée, il semblait complètement perdu dans ces journées qui se suivaient sans se ressembler.

Je passai à la salle de bain me passer de l'eau sur le visage et me recoiffer un peu mieux que ce chignon fait à la hâte dans les couloirs du QG, tâchant de ne pas remarquer les amples cernes qui me barraient le visage. En soi, je me fichais d'avoir l'apparence d'un cadavre, mais je prenais au sérieux les signaux que m'envoyait mon corps, bien consciente que je tirais sur la corde. J'étais moins résistante au manque de sommeil qu'il y avait quelques années sans doute commençai-je à vieillir.

Je sortis de la pièce, repris mon sac dans lequel je fourrai deux pommes, un reste de fromage dans son papier et quelques tranches de pain. On ne m'aurait pas deux fois à me laisser surprendre par la faim. Je me retrouvai sur le seuil de la porte, Black Hayatte me regardant avec des yeux de chien battu. S'il avait pu parler, il m'aurait sans doute dit « Tu repars déjà ? On s'est à peine vus ! », et il aurait eu raison. C'était peut-être stupide de ma part, mais j'avais la conviction au cœur que rien n'était fini. La taupe courait toujours, le prisonnier restait menacé, et mes collègues par la même occasion. S'il arrivait à l'un deux quelque chose que j'aurais pu éviter, j'aurais eu du mal à me le pardonner.

L'air frais et venteux de l'extérieur acheva de me réveiller. En cette fin de matinée, le temps était gris et morne, faisant bien comprendre que l'automne était là pour de bon. Les jours continueraient à raccourcir, les arbres à brunir, la température à chuter, durant de longs mois d'austérité. J'avais toujours trouvé cette saison terriblement mélancolique, ce qui ne m'empêchait pas de l'apprécier, d'une certaine manière.

J'arrivai au Quartier Général et traversai les couloirs à la hâte, croisant la foule anonyme des militaires qui ne m'avaient pas été présentés. L'heure du repas était imminente, les bureaux se vidaient de leurs usagers pour remplir le réfectoire comme l'eau d'une carafe dans un verre. Je voyais passer ces silhouettes habillées du bleu intense des uniformes, songeant que quelque part, parmi eux, se trouvait le traître. Malgré la cohue, j'arrivai rapidement à la salle d'interrogatoire. Je toquai à la porte, et attendis l'autorisation avant de rentrer. Poussant la porte, je fis irruption dans la pièce. Le Colonel leva vers moi des yeux surpris.

- Lieutenant ?

- Je peux vous parler un instant ? demandai-je.

Il hocha la tête sans répondre et se leva, laissant l'homme seul avec ses gardiens. Aussitôt la porte fermée, je pris la parole.

- Ça ne fait aucun doute qu'il est innocent, fis-je. Il n'a manifesté aucun signe de méfiance durant toute ma garde, ni de résistance lors de son arrestation. S'il était coupable, il se serait préparé à cette éventualité.

- En effet, répondit-il en se grattant l'arrière du crâne, réprimant un bâillement las. Trois heures que je l'interroge, et il prétend n'être coupable de rien. Mais je ne peux pas baser son innocence sur une simple observation de son comportement, n'est-ce pas ?

- En effet. Mais si on met ça à part… D'un point de vue purement objectif : ce serait stupide de sa part de faire voler une position aussi stratégique pour un simple témoin, n'est-ce pas ?

- En effet, étant donnée la manière dont il s'est rendu, ça ne fait pas un pli. Mais il ne voit aucune piste, il jure n'avoir communiqué à personne d'autre que moi sur le sujet.

- Et ses subordonnés directs ? demandai-je dans un murmure.

- Il soutient qu'il n'en a rien dit, et il conserve sous clé les dossiers sensibles.

- Mmmh… fis-je, songeuse.

Il fallait pourtant que le coupable se trouve quelque part. Il allait être forcé d'agir de nouveau, tôt ou tard.

- Et les attaquants de l'hôpital ?

- Ils sont interrogés en ce moment même par le Lieutenant Kramer et son équipe. Pour l'instant, il n'a pas réussi à les faire craquer, ils restent sur leur première version, celle selon laquelle ils ne connaissent pas les commanditaires.

- Ça me paraît étrange que des petites frappes se retrouvent liées au réseau terroristes dans une affaire aussi sensible.

- En même temps, c'est plutôt malin de leur part : même si la mission est un échec, au moins, ces prisonniers ne peuvent rien dire sur les plans du Front de l'Est.

- Et l'adresse où a été passé le coup de téléphone ?

- Fuery a dû laisser les recherches en attente à cause de son tour de garde à l'hôpital.

- Je vois. Étant donnée la situation, il ne faut pas relâcher la surveillance. Mais cela rend l'affaire encore plus difficile à résoudre.

Un soupir fut poussé à l'unisson, et Mustang se frotta les yeux de ses paumes, envahi de lassitude.

- Vivement que cet homme se réveille et parle, qu'on en finisse avec cette attente, souffla-t-il.

Je ne pouvais pas lui donner tort. Cette méfiance permanente était usante.

- Au moins une bonne nouvelle, Falman est en meilleur état qu'hier, m'annonça-t-il Il est parti relever Fuery d'ailleurs.

Je hochai la tête. C'était un petit réconfort. L'ajout d'une personne supplémentaire allait diminuer les heures réparties et rendre la situation un peu plus vivable.

- Je vais peut-être aller au bureau, rassembler les recherches accumulées jusqu'ici. Peut-être que quelque chose en ressortira… et puis, vous saurez où me joindre en cas de besoin.

- Je retourne à mon interrogatoire alors, fit-il en faisant craquer sa nuque et ses épaules. Je ne vais pas le laisser souffler trop longtemps.

Il referma la porte derrière lui, s'enfermant pour un tête-à-tête qui promettait d'être encore long. Je me dirigeai vers le bureau, mais un militaire pressé qui venait dans ma direction m'apostropha.

- Dites-moi, vous êtes bien le lieutenant Hawkeye ? Sous les ordres du Colonel Mustang ?

Je hochai deux fois la tête en signe de confirmation. Il commença à pivoter sur lui-même en me faisant signe de le suivre, visiblement pressé.

- Un appel urgent de son équipe, ils n'arrivent pas à le joindre à votre bureau et ont appelé sur une des lignes générales.

Je me lançai à sa suite, la boule au ventre. Que s'était-il passé ? Je repensai à la veille. Si les choses s'étaient déroulées comme prévu, c'était Falman qui aurait dû être de garde quand l'ennemi avait attaqué, et l'issue aurait peut-être été différente. Il était définitivement moins bon que moi au maniement des armes. Ce n'était pas difficile puisque j'étais conscience d'être de loin la plus habile de l'équipe dans le domaine, mais ce fait me rendait un peu inquiète pour mes collègues. Que ce soit Fuery ou Falman, ce n'étaient pas vraiment ce que j'aurais appelé des bêtes de combat…

Arrivé sur place, je décrochai le combiné mis en attente d'un geste fébrile.

- Allô, ici le Lieutenant Hawkeye. Que se passe-t-il ?

- Allô, Ici Falman, on a un problème, fit-il d'une voix fébrile, confirmant mes inquiétudes. Un gros, gros problème.

- De quel ordre ?

- Le témoin est en train de mourir.

Je me figeai, sentant mes entrailles se glacer.

- Comment ça il est en train de mourir ? ! Que s'est-il passé ? Vous avez été attaqué ? Il a été touché ?

- Non, rien du tout, il n'y a pas eu de fusillade, aucun élément suspect depuis hier… Seulement, son état a commencé à empiré, les machines se sont affolées. En voyant ça on a appelé des infirmières en panique. Le corps médical essaie de le sauver, mais comme ils ne comprennent pas pourquoi il est comme ça, c'est difficile de réagir de manière efficace. Vu la situation, on craint le pire…

- Un empoisonnement ?

- Ce n'est pas impossible, vu les symptômes : arythmie cardiaque, sueurs froides, spasmes et vomissements…

- Ils ne peuvent pas le soigner ?

- Encore faudrait-il savoir comment il a été empoisonné, et qu'un antidote efficace existe.

- Mais alors…

- Je suis désolé… le médecin et son équipe font leur possible, mais, les tests doivent se faire en laboratoire et cela prendra trop de temps… ils ont essayé d'injecter un antidote dans l'urgence mais rien ne garantit que ce soit le bon… Ses chances de survie sont très faibles, murmura-t-il.

Dites-moi que ce n'est pas vrai…

J'entendis des voix crier à l'autre bout du fil. Ce n'était pas bon signe. Falman déglutit et me parla de nouveau.

- Fuery vient d'arriver. C'est fini.

J'avais l'impression de sombrer. Toute cette enquête, toutes ces heures d'attente, ces nuits sacrifiées, tout ça pour ça ? Pour que notre témoin crucial meure lamentablement dans son lit d'hôpital sans qu'on l'ai vu venir, sans que personne n'y puisse rien ? Pour qu'on se retrouve à peine plus avancés qu'avant, avec des assassins qui n'appartenaient pas au réseau, un suspect innocenté et un témoin mort ? Sans autre piste qu'un numéro de téléphone dont on ne connaissait pas l'attribution, et qui allait probablement s'avérer être un cul-le-sac, comme tout le reste ?

Je me mordis la lèvre. Une autre personne que moi aurait sûrement donné des coups de pied de rage dans le mur, mais ce n'était pas mon genre. Mon impuissance et ma colère n'étaient pas moins douloureuses. Puis je me rendis compte que ce n'était pas ça le pire.

Je vais devoir l'annoncer à Mustang.

- Allô, Hawkeye ? fit Falman d'une voix presque compatissante.

- Oui. Je… je ne sais pas quoi dire, avouai-je.

- Je crois que vu la situation, il n'y a pas grand-chose à dire…

Il y eut un silence pesant, puis Falman reprit d'une voix morne.

- Le décès a eu lieu en ce samedi 7 octobre à 12 h 39 en présence du docteur Hamilton, de trois infirmières, et des deux équipes de garde.

- Qui était de garde avec vous et Fuery ?

- Jenkins était en équipe avec moi, et Fuery était avec Hayles.

Le sergent Hayles. L'idée qu'elle ait vécu l'humiliation de voir sa mission échouer en dépit de ses efforts me fit un pincement au cœur. Réalisant qu'elle m'inspirait de la sympathie, je fermai brutalement les portes de mes émotions. Tant que le coupable n'était pas démasqué, je ne pouvais pas laisser l'affect me distraire ou obscurcir mon jugement, au contraire. Nous devions regarder les choses, point par point. Traquer la moindre trace laissée par l'ennemi, le moindre indice, même insignifiant, jusqu'à ce que nous arrivions à remonter la piste des personnes qui étaient à l'origine de tout cela.

Il n'y avait pas de place dans tout ça pour la sympathie.

- Je vois. Je vais avertir le Colonel. Vous qui êtes sur place, vous pouvez commencer à voir avec l'hôpital comment se passera l'autopsie. On va essayer de vous renvoyer du renfort pour mener l'enquête.

- Ok. De notre côté, on va se mettre au boulot. Les photos, ça devrait aller, par contre, les dépositions… ça va être compliqué, comme nous sommes tous des témoins oculaires, on ne peut pas s'interroger sans s'influencer les uns les autres.

- Mettez par écrit chacun de votre côté un premier jet à chaud, et faites une déposition orale quand l'équipe arrivera. Il y a des chances pour que ce soit le Lieutenant Kramer qui vienne.

- D'accord, c'est noté. J'y retourne, alors.

- Bon courage.

- Vous aussi, Lieutenant.

La tonalité résonna un instant dans le combiné, et je raccrochai à mon tour. Je me laissai tomber contre le mur que je frôlais déjà et poussai un profond soupir. J'avais à peu près dix secondes, soit le temps de prendre deux grandes inspirations, avant de me ressaisir et d'aller annoncer la nouvelle à Mustang. Je n'avais pas envie de voir son visage se défaire au fur et à mesure que je lui reporterai l'échange, mais je n'avais pas le choix : c'était mon devoir.

Une inspiration.

Une deuxième.

Je me redressai et partis à pas amples vers la salle d'interrogatoire.