Hello ! Un nouveau chapitre arrive aujourd'hui, avec le point de vue d'Edward ! C'est vrai, quoi, on est pas si souvent dans sa tête... pourtant c'est lui le héros ! Ce chapitre commence sec et il s'y passe pas mal de choses, j'espère qu'il vous plaira !
Côté dessins, mes illus ont pris beaucoup de retard (même si j'ai commencé celle du chapitre 35) donc leur publication ne sera pas pour tout de suite. J'essaie de prendre un repos bien nécessaire (à l'heure ou j'écris ces lignes, je me demande si je n'ai pas eu le mauvais goût de chopper une angine en plein été, c'est dire !) Bref, je compte bien les faire, tôt ou tard, mais ça sera plutôt tard que tôt !
Sur ce, assez blablaté, je vous laisse lire la suite ! ;)
Chapitre 36 : Désirs (Edward)
J'étais dans le noir. Il faisait chaud. Il faisait bon. Je sentais des mains me caresser, des mains d'une tiédeur agréable, incroyablement douces. Je me sentais bien. Elles glissaient contre ma peau nue. J'étais nu ? Je ne m'en étais pas vraiment rendu compte. Ce n'était pas très clair. Je sentais qu'il y avait quelqu'un contre mon dos, une chaleur, un souffle dans mon cou qui me colla un agréable frisson. C'était une présence rassurante et familière, le sentiment agréable d'être enveloppé, protégé. Les caresses continuaient, allant et venant sur mon torse, mes épaules, mes bras, s'égarant sur mes hanches. Je me sentis rougir quand l'une des mains s'égara sur mes cuisses. C'était agréable. Je lâchai un infime soupir de plaisir.
J'avais chaud. Sous le bout de ces doigts, la peau de mon ventre était brûlante. Cette boule de chaleur au bas du ventre grossissait de plus en plus, m'envahissant, faisant palpiter mon sexe, et quand sa main se posa dessus dans un geste d'une infinie douceur, je ne pus réprimer un gémissement. Comme c'était bon.
Les caresses s'intensifièrent, une main remontant le long de mon torse pour effleurer un téton du bout des doigts, l'autre allant et venant doucement sur mon sexe, me faisant échapper des gémissements entre mes lèvres tremblantes. Mes cheveux étaient collés à mon front par la sueur, j'étais trempé, mais cette atmosphère moite, je n'arrivais pas à la trouver désagréable.
Je bandais tellement que c'en était presque douloureux. Pour rien au monde, je n'aurais voulu que ces caresses s'arrêtent, au contraire, je voulais qu'elles continuent, encore, encore plus. Jusqu'au bout. Mais je sentais bien que le « bout » en question n'était pas très loin. Cette sensation m'était assez familière pour que je la reconnaisse. Enveloppé de tendresse et de caresses, entre ces mains habiles et ces baisers qui se posaient dans ma nuque comme les papillons, je ne pouvais pas me sentir mieux qu'en cet instant. J'étais sur le point de jouir. Et bon sang, qu'est-ce que c'était bon !
Mon cœur battait à tout rompre, je me sentais brûler tout entier d'un feu que rien ne pourrait arrêter, je sentais qu'on jouait des doigts sur mon corps, et le va-et-vient s'intensifiait sans que je puisse faire autre chose que gémir de plus en plus fort.
Je vais… !
Je me réveillai dans un sursaut de panique qui me redressa, et me retrouvai assis, seul dans mon lit, le cœur battant à tout rompre, écrasé par une avalanche de sensations contradictoires. Le plaisir du rêve qui s'évanouissait, effacé par la peur panique d'éjaculer dans mon lit, cette sensation si intense que je m'étais réveillé en sursaut, suivit d'un mélange abominable de soulagement et de frustration quand je réalisai que ça ne pouvait pas arriver, que rien de tout ça n'était réel.
Eh oui. Tu as un corps de fille maintenant, tu te souviens ? Alors ça ne risque pas de t'arriver !
Je passai ma main sur mon front pour en décoller les mèches de cheveux moites, esquissant un sourire amer dans l'obscurité. Cette réalité-là était difficile à oublier, mais mon subconscient semblait la refuser en bloc. C'en était presque douloureux, maintenant que j'étais réveillé, l'absence de mon ancien sexe laissait un vide lancinant, ainsi que tout un tas de sensations confuses dans mon entrejambe. Moi qui étais à peu près parvenu à m'habituer à cette sensation perturbante, je me retrouvais bouleversé comme au premier jour. Quand je rêvais, j'avais toujours mon corps masculin, preuve que j'étais et que je restais un homme malgré mon enveloppe accidentelle. Et ce rêve-là, précisément, je l'avais déjà fait avant.
Je repris mon souffle, les yeux grands ouverts dans l'obscurité. Cette scène revenait insidieusement de loin en loin, mais c'était la première fois depuis ma transformation que j'y étais confronté. Il m'amenait toujours un fort sentiment de culpabilité sans que je sache précisément pourquoi. Peut-être parce que c'était un rêve sans visage – en même temps, avec qui diable aurai-je envie de faire ce genre de choses ?! - où peut-être parce qu'entre le plaisir qu'il me faisait éprouver sur le coup et le malaise qui me saisissait quand je me réveillais trop tard, je ne savais jamais quoi en penser.
Je pris plusieurs respirations profondes, tâchant de calmer mon cœur qui battait encore fort contre mes côtes. J'avais chaud et froid à la fois, mon corps trempé de sueur prenait tous les courants d'air. Je jetai un œil à la fenêtre en me sentant frissonner. A travers les volets fermés, on entrevoyait la lumière bleu-gris qui annonçait que le soleil allait bientôt se lever.
Ça ne servait à rien d'essayer de me rendormir dans ces conditions. Je décidai de me lever et d'aller prendre une douche. Il fallait bien ça pour me laver de ce souvenir gênant, et puis, je me sentais sale et poisseux. Il faut dire que le retour de des règles n'arrangeait pas mon malaise. Tout cela était tellement ridicule…
J'empoignai des vêtements propres et une serviette, puis traversai le couloir. Au moins, j'étais seul dans ma chambre. Enfin, je disais ça, mais avant mon accident, quand j'avais ce genre de rêves et que je me réveillais en sursaut, Alphonse était généralement dans une autre pièce. Coup de chance ou instinct, je n'avais jamais osé lui poser la question, mais je lui étais reconnaissant de ne pas ajouter de la honte en étant témoin de la situation. Quoi qu'il se soit passé à l'époque, il avait oublié. Au moins un aspect positif à son amnésie.
Je fermai la porte de salle de bain derrière moi avant de passer une main lasse sur mon visage. En repensant à ces nuits où je m'étais réveillé dans des draps poisseux, je poussai un soupir désabusé. Au moins, il fallait admettre un avantage au corps féminin, c'est qu'il m'évitait cette honte-là.
Je me déshabillai et jetai mes vêtements sales dans un coin de la pièce, puis entrai dans la douche. L'eau qui coula pendant les premières secondes était glaciale, puis elle se réchauffa et je commençai à me sentir mieux. Je paressai quelques minutes sous le jet d'eau, essayant de passer à autre chose, comme à chaque fois que j'étais confronté à cet incident. Puis je me mis à me savonner, sachant que je ne pourrais pas rester là éternellement. En passant la main entre mes cuisses pour les laver, j'eus un petit frisson de dégoût. Heureusement qu'il n'y avait personne pour voir ça.
Après une petite grimace lasse, j'entrepris me rincer abondamment, tâchant de faire disparaître ce signe d'une féminité dont je ne voulais décidément pas. Comme je savais que je n'oserais pas en parler davantage, ni à Winry, ni à Al, et encore moins à Izumi, autant mettre ça dans un coin de ma tête et passer à d'autres préoccupations moins… triviales.
Malgré ces désagréables pensées, je me sentis propre en sortant enfin de la cabine dans un nuage de vapeur. Une fois face au miroir, j'aperçus mon reflet brouillé par la buée de la glace, qui me renvoyait une silhouette aux épaules de chair. Je devais reconnaître que la prothèse que m'avait installée Winry était assez troublante. Bien sûr, cela se voyait quand même que ce n'était pas véritablement de la peau, en regardant de près, la jonction de mon épaule n'était pas très discrète, mais la couleur du latex était d'un réalisme bluffant. Si le prothésiste avait eu le temps de peaufiner son travail de trompe-l'œil autant qu'il l'avait voulu, le résultat aurait vraiment été incroyable. Je pliai et dépliai mes doigts factices, pas encore habitué à cette vue étrange. C'était bien assez pour que des personnes peu attentives ne remarquent rien.
J'attrapai une serviette et me séchai vigoureusement, puis je risquai un coup d'œil sur mes seins. Je soulevai l'un, puis l'autre, tâchant d'évaluer leur taille par rapport à mes mains pour les comparer avec le souvenir que j'en avais. La certitude que j'en tirai ne me fit pas plaisir.
- Et merde… ils ont vraiment grossi.
Je me disais bien que j'étais serré sous la bande que Winry m'avait fabriquée. C'était désagréable mais encore supportable… par contre, s'ils continuaient à suivre cette voie dans les temps à venir, je risquais de finir par avoir du mal à respirer si je voulais les dissimuler de manière convaincante.
Je les recouvrai de mes bras pour les cacher, esquissant malgré moi une moue boudeuse. Je ne voulais pas qu'on le sache. Je n'avais qu'une hâte, que les choses redeviennent comme avant, et que ce terrible accident appartienne au passé. Pouvoir laisser cela derrière moi, et faire comme si ça n'avait jamais existé.
Pour cela, mes recherches m'avaient laissé une lueur d'espoir. Certains traités d'Elexirologie évoquaient l'utilisation d'une technique proche de l'alchimie pour des soins médicaux. Ressouder des os, recoudre des plaies, ou même reconstruire une peau brûlée… Tout cela semblait possible en puisant dans sa propre énergie vitale. J'avais fini par comprendre, au fil des recoupements, que ces soins avaient des limites. Bien sûr, il fallait atteindre une certaine virtuosité pour pouvoir pratiquer ce genre d'action, mais surtout, il fallait être prudent dans son utilisation, au risque d'abréger brutalement sa durée de vie, voire de mourir sur-le-champ. De la même manière que l'on pouvait donner de son sang pour sauver une vie, on pouvait donner de son énergie pour guérir l'autre, puis laisser à son propre corps le temps de se remettre. Et, de la même manière également, on pouvait mourir, ou du moins être très affaibli, si on donnait trop à l'autre.
Les Jiensenjuo, ces "donneurs", semblaient nimbés d'une aura de bonté presque légendaire, et, si j'en croyais certaines mentions, faisaient partie du folklore de Xing au même titre que les dragons. Le peu de lecture que j'avais trouvé à ce sujet m'avait littéralement fasciné, et je m'étais mis en tête d'en apprendre le plus possible sur l'Elexirologie.
J'étais enthousiaste à l'idée d'entrevoir une solution qui n'implique pas la pierre philosophale, mais, pour l'instant du moins, c'était totalement hors de ma portée. Si je voulais pouvoir utiliser cette technique, il fallait déjà apprendre les bases de l'Elexirologie, et un paquet de travail m'attendait.
Je n'osais pas parler de ce projet un peu fou à Al et Winry, encore moins à Izumi qui me mettrait sans doute un pain monumental. Personne dans mon entourage ne serait favorable à ce que j'utilise ma propre énergie vitale pour me soigner et retrouver mon corps d'origine. C'était trop risqué, diraient-ils.
Mais ce n'était pas eux qui se retrouvaient dans cette situation, ce n'était pas eux qui se sentaient diminués, fragiles, torturés d'angoisse à l'idée d'être démasqués, le corps endolori, la peau brûlante, le souffle raccourci d'être trop comprimés sous des bandages. Cela, il ne pouvaient pas le comprendre. J'étais convaincu qu'au fond, l'état de mon corps ne regardait que moi, et j'étais prêt à tenter l'aventure, le jour où j'aurai des chances de réussir. Peu importait que je risque d'abréger mon espérance de vie, je frôlais la mort tellement souvent qu'au bout du compte, ça ne changerait sans doute rien à l'affaire.
Mais j'avais beau le penser, je ne me voyais définitivement pas dire ça à mes proches. Alors, j'avais décidé de garder pour moi l'avancée de mes recherches, de répondre vaguement à leurs questions, et d'écumer toutes les bibliothèques qui me permettraient de me mettre des informations sous la dent au sujet de l'Elexirologie. En silence.
Je poussai un soupir et secouai la tête pour chasser ces réflexions, et me décidai à me rhabiller. Remonter la fermeture éclair de la bande qui m'aplatissait les seins me donna du fil à retordre, et quand j'y arrivai enfin, je me sentis particulièrement oppressé sous l'épais tissu élastique. Un instant, je me souvins de ces moments passé à Lacosta où je portais un soutien-gorge pour parfaire mon travestissement, et je me sentis envahi par un sentiment de nostalgie envieuse en me rappelant que c'était quand même beaucoup plus confortable que de les écraser à longueur de temps.
Un instant seulement.
Pour tout le reste, être une fille ne me faisait vraiment pas envie, et je n'étais pas près d'oublier que la dernière fois où je m'étais prêté au jeu, j'avais failli me faire violer. Il m'avait fallu un long moment pour parvenir à le formuler aussi clairement dans ma tête. Cette idée était tellement répugnante…
J'aimais mieux me glisser dans ma veste et mon pantalon noirs, échappant aux regards concupiscents, bien caché derrière mon apparence de gamin banal. Le souvenir du regard qu'avait porté l'homme contre lequel je m'étais battu au passage Floriane, quand il avait compris que j'avais un corps de femme, me hantait encore quelquefois. Bien sûr, je ne pensais pas qu'il m'aurait fait quoi que ce soit – à part me tuer – mais il y avait eu un éclat dansant dans ses yeux qui m'avait fait froid dans le dos. Comme si le simple fait que j'ai un corps féminin était une victoire pour lui. C'était horrible à dire, mais sa mort m'avait particulièrement soulagé.
- Rhaah, je réfléchis beaucoup trop ! pestai-je en refermant l'attache de ma veste, coupant court à mes réflexions.
Je sortis de la salle de bain, éteignis la lumière, descendis l'escalier pour retrouver Izumi en train de préparer un café dont l'odeur s'était déjà étendue dans toute la maison, et Cub, assis à la table, accoudé devant le grille-pain où il regardait deux tranches de brioche griller avec un sourire impatient.
- Déjà debout, Edward ? demanda-t-elle en se retournant.
- Oui.
- Après la soirée endiablée que vous avez passée tous les trois, je ne pensais pas vous voir avant dix heures au moins.
L'évocation de la fête m'arracha un sourire c'est vrai qu'hier, j'avais dansé à n'en plus pouvoir. D'ailleurs, c'était peut-être de là que venait les courbatures insidieuses qui me mordillaient les mollets. Pour une fois, j'avais pu me dépenser sans prendre ni recevoir de coups, et je devais dire que j'avais trouvé ça plutôt agréable.
- Café ?
- Oui, répondis-je.
Izumi sortit une deuxième tasse qu'elle remplit d'un liquide brûlant, puis apporta le tout à table et s'assit face à moi. Cub tourna la tête et s'approcha d'elle avec un air curieux.
- Je peux en avoir ? demanda-t-il.
- Tu n'aimais pas ça hier… Ni avant-hier, rappela Izumi avec un sourire.
- Mais ça sent trop bon, ça me fait envie ! insista le gamin.
Izumi pouffa de rire et abdiqua.
- Allez, je te fais un canard.
- C'est quoi ?
- Tu vas voir.
La femme prit un morceau de sucre et le fit tremper dans le café. Le liquide remonta par capillarité, lui donnant une teinte beige, puis elle le tendit a Cub qui le prit et le croqua avec un grand sourire. Je fus surpris de me souvenir soudainement que, quand j'étais enfant, Maman avait fait exactement la même chose avec moi. Jamais je n'avais réalisé à quel point notre Maître aurait voulu être mère qu'en la regardant faire ce geste anodin.
- C'est bon, commenta l'enfant Homonculus en faisant craquer les cristaux sous ses dents.
Izumi se contenta de lui sourire, puis tourna la tête vers moi.
- …Je ne pensais pas que tu aimais autant danser, lança-elle.
- Je ne savais pas non plus, répondis-je en tout honnêteté avant d'avaler une gorgée de café. Mais en fait, ça n'est pas si étonnant, non ? Ma mère dansait beaucoup, elle nous a appris, quand nous étions enfants.
- Je vois, je comprends mieux d'où tu sors cette aisance. Mais c'est vrai que ça ne m'étonne pas tant que ça après tout, la danse est un sport à part entière, qui demande beaucoup de discipline… D'ailleurs, j'ai une amie qui faisait de la danse, dans son domaine, elle est au moins aussi exigeante que moi.
A ces mots, je sentis un frisson remonter le long de ma colonne vertébrale. J'avais du mal à imaginer ce que donnerait un enseignement de danse par Izumi, et pour tout avouer, je n'étais pas sûr de vouloir en savoir plus. Je préférais le souvenir du sourire de ma mère.
- Mais ne fais pas cette tête-là, elle ne frappait personne ! ajouta Izumi en riant.
Elle semblait être de meilleure humeur que les jours précédents.
- En tout cas, Edward, si tu aimes danser, tu ne devrais pas t'en priver, ajouta-t-elle en étalant de la confiture sur ses tartines de brioche feuilletée. Tu faisais plaisir à voir sur la piste hier soir, je crois que je ne t'ai jamais vu souriant à ce point.
Je fis tomber ma propre tartine sur la table, surpris par sa remarque autant que par le ton tranquille qu'elle avait employé.
- Je souris pourtant souvent, marmonnai-je en ramassant la tranche de pain.
- Je sais. Mais ce n'est pas parce que tu souris que ça veut dire tu es heureux. Tu as rarement cette étincelle dans le regard, fit-elle en pointant son propre visage de l'index.
Rouge jusqu'aux oreilles, je mangeai ma tartine en grommelant une réponse inarticulée, espérant noyer le poisson. Je trouvais cette discussion trop intime à mon goût, surtout en étant attablé à côté de l'enfant Homonculus. Je me resservis du café que je sirotai à petites gorgées, fuyant malgré moi son regard.
- Si tu n'avais plus besoin de te battre, ça ne te plairait pas de devenir danseur ? relança-t-elle avec un large sourire, me faisant avaler de travers.
Je toussai mon café, renversant une partie de mon bol en le reposant et me brûlant au passage. De rouge, mon visage avait sûrement viré au violet. Entre le fait que je m'étouffais à moitié et l'embarras de sa question, je ne savais pas ce qui me suffoquait le plus. Izumi s'était levée et Cub me regardait avec de grands yeux violets où brillaient une pointe d'inquiétude. Peu à peu, la toux se calma et je retrouvai figure humaine.
- Je… C'est quoi cette question ? crachai-je entre deux dernières quintes de toux.
- Je suis désolée, je ne pensais pas que tu te mettrais dans des états pareils, fit-elle d'un ton compatissant.
À ce moment-là, je réalisai que je ne lui avais pas raconté en détail mes aventures au Angel's Chest, qu'elle ne savait pas que je m'étais travesti et que j'avais dansé, embarqué malgré moi dans un monde que je ne connaissais pas. Pas de moquerie derrière cette remarque, aucune intention de déterrer un passé honteux. Elle avait posé la question en toute innocence.
Et si ça m'embarrassait autant, je m'en rendais compte, c'était parce qu'elle faisait écho à mes propres questionnements. Parce que, insidieusement, il m'arrivait de repenser à Roxane avec une pointe de nostalgie. J'aurais dû avoir ces souvenirs en horreur, entre mon enlèvement, l'humiliation de devoir de travestir et l'impudeur des filles qui m'avait embarrassé des jours durant… Alors pourquoi avais-je quelquefois un sentiment de regret ?
Un souvenir précis me revint en tête. Juste après mon passage sur scène, alors que June commençait son effeuillage, Roxane m'avait rejoint avec un verre d'eau, et en tournant la tête vers elle, les yeux brillants, je lui avais dit…
Roxane… En fait, je crois que j'aime danser.
- Edward… ça va ?
- Je… oui, je crois que ça va, bafouillai-je d'un ton confus en réalisant que je fixais un point indéterminé au-dessus de la table depuis de longues minutes.
- On dirait que je t'ai vraiment embarrassé avec cette question !
- Je… oui… avouai-je à voix basse, ne voyant pas comment nier.
- Tu ne devrais pas te mettre dans des états pareils… Tu sais, danser n'a rien d'honteux.
Danser, peut-être pas… mais se travestir ? ne pouvais-je m'empêcher de penser, gardant en mon fort intérieur cette question si gênante.
Je hochai la tête en tachant de retrouver une contenance. Allait-elle relancer la conversation et m'embarrasser de nouveau ? Tout en reprenant mon repas, je restai un peu sur le qui-vive, guettant la prochaine phrase qui provoquerait ma mort par asphyxie. Mais ses questions s'arrêtèrent là et elle reporta son attention sur Cub qui voulait de nouveau un canard. Peu après, Sig se joignit à nous, et la journée accepta enfin de suivre son cours sans me mettre sur les charbons ardents.
Je traversai les heures suivantes sans accrocher la réalité, plongé dans un sentiment de flottement. Durant la matinée, Al m'avait lancé de longs regards pétris d'incertitude, et Winry m'évitait de manière peu subtile. Quand j'essayais de discuter avec mon frère, je sentais une barrière intangible nous séparer. Je sentis confusément qu'il me cachait quelque chose… mais quoi ? Rester dans l'ignorance m'agaçait, mais avec mes propres cachotteries, j'étais vraiment mal placé pour m'indigner à ce sujet. Alors, tandis que je tentais – sans grand succès – de me concentrer sur une traduction de traité d'Elixirologie appartenant à Izumi, allongé sur mon lit, je tâchai de me raisonner en me disant qu'il avait besoin d'un peu de temps, et qu'il viendrait me le dire de lui-même quand il s'en sentirait capable. Après tout, si ça concernait la discussion avec Winry, je n'étais pas sûr de vouloir en savoir plus.
Surtout que, pour être honnête, je ne comprenais pas bien moi-même ce qu'elle avait voulu dire hier soir. « Tu n'es pas amoureux de moi, hein ? » Ce n'était quand même pas une déclaration d'amour ? Elle avait affirmé le contraire. Et puis, formulée comme ça, la question appelait vraiment une réponse négative. Comme si elle voulait se rassurer, être sûre que je n'étais pas amoureux d'elle. Et pourtant, elle semblait triste...
- Pfff… je comprendrai jamais les filles, marmonnai-je d'un ton dépité en me roulant sur le côté, abandonnant mon livre.
Une petite voix commenta l'ironie de ma réflexion, alors que j'avais un corps féminin, et je grognai de m'être vexé moi-même. Dans ce contexte étrange, mon rêve de ce matin était d'autant plus embarrassant. Il me donnait confusément l'impression d'avoir menti à Winry. Pourtant j'avais vraiment été sincère en lui répondant. Alors pourquoi je me prenais autant la tête ? Est-ce qu'avoir une paire de seins conduisait obligatoirement à un tel chaos intérieur ? Rien ne justifiait de telles complications. D'ailleurs, il y avait des filles qui semblaient y échapper… Roxane, par exemple, tout avait l'air simple avec elle. Pour un peu, j'aurais été jaloux.
A contrecœur, j'admis que ma vie n'était déjà pas simple avant le cinquième laboratoire et que je ne pouvais pas mettre tous mes problèmes sur le dos de ma transformation. Mais voilà, même si ce n'était pas tout à fait faux, ce n'était pas vraiment réconfortant. Je tournai la tête vers la fenêtre qui laissait passer les rayons d'un soleil tellement joyeux qu'il en devenait insultant, et lui jetai un regard torve. J'en avais marre de cette attente, de ce quotidien factice où tout le monde faisait semblant d'aller bien, entre Izumi qui souriait juste après avoir vomi du sang, Winry dont l'enthousiasme était trop crispant pour sonner juste, Al qui avait recréé cette distance que j'essayais perpétuellement d'effacer entre nous, et enfin, l'Homonculus qui jouait le gamin innocent. J'avais l'impression que tout sonnait faux autour de moi. J'aurais encore préféré que tout le monde se dispute et se tape dessus, au moins les choses auraient été claires.
Je me levai et fermai les volets dans un geste rageur, plongeant la pièce dans une obscurité qui correspondait davantage à mon humeur, puis retraversai la pièce dans l'intention de m'effondrer sur mon lit avec une moue boudeuse. Puis la vue d'une grosse radio posée dans un coin attira mon attention.
Je m'approchai de l'objet, avisant le câble, puis tirai sur le fil et le branchai à la prise la plus proche, avant de l'allumer. Un grésillement me répondit. J'esquissai un sourire, y voyant une petite victoire. Le modèle était plutôt vieux, ce qui expliquait sans doute pourquoi il avait été abandonné dans une pièce peu utilisée, et je dus chignoler un moment, luttant avec les réglages de fréquence, avant de réussir à capter une musique audible. Je posai les mains sur mes chevilles, assis en tailleur pour écouter la vieille radio qui diffusait une valse vieillotte qui m'amena un sourire malgré moi.
Très vite, je me laissai bercer par la musique qui chassa mes soucis, et je me laissai aller à dodeliner de la tête en suivant le rythme sautillant du piano. Je fermai les yeux, sentant un sourire flottant sur mon visage. Etait-ce parce qu'entendre de la musique me rappelait toujours un peu ma mère, je n'en savais rien, mais je devais bien admettre que ça me rendait heureux. Pas juste moins triste. Positivement heureux. Il y avait quelque chose de magique à se dire que quelqu'un, là-bas, loin, avait noirci des partitions, qu'une autre personne les avait lues, qu'une musique avait été jouée, et que toutes ces personnes parvenaient à projeter leurs sentiments jusqu'à moi. Même si je savais que ce n'était pas vrai, j'avais l'impression que les musiciens jouaient pour moi et moi seul.
Ce morceau s'acheva, un nouveau commença, plus dansant. Je balançai les épaules en rythme, et finalement, puisque personne n'était là pour me voir et se moquer de moi, je cédai à la tentation de me lever pour danser.
Dans la pièce aux volets clos, seuls de fins traits de lumière filtraient, filant le long du sol, du lit et des murs dans une ligne discontinue. C'était assez pour voir où je mettais les pieds, guère plus. Cette pénombre me convenait, elle donnait à ce moment le goût du secret. Chaque note pulsait dans mon corps, me donnant toujours plus envie de bouger, et j'avais profité de ce moment de solitude pour me déplier et enchaîner les pas sans trop réfléchir à ce que je faisais.
Au début, je me sentis gauche, je lançai des coups d'œil inquiets vers la porte, intérieurement terrifié à l'idée qu'on me trouve en train de faire mes petits pas ridicules. Puis un nouveau morceau, plus calme, commença, je me raccrochai au violon et à l'accordéon, et les pas de valse me revinrent. D'un mouvement sautillant, je passai imperceptiblement à un balancement plus léger au fur et à mesure que les pieds retrouvaient leur chemin. Le morceau s'acheva, remplacé par un autre. Une mazurka, j'entendais parfaitement le balancement des temps, les pauses... Comment faisait-on, déjà ?
Je me remémorai Maman, qui dansait aussi souvent qu'elle le pouvait, parfois même en étendant le linge ou en rangeant la vaisselle. Elle avait toujours adoré ça. Elle nous avait montré les enchaînements plus d'une fois. Il fallait avancer, comme ça, tourner à un moment, mais je n'arrivais pas à me souvenir précisément des pas. Je fermai les yeux, essayant de replonger corps et âme dans mes souvenirs en espérant retrouver les gestes que je savais faire, il fut un temps. J'avançai, hasardeux, suivant moins les pas que la mélodie. C'était déjà ce que je faisais à l'époque. J'entendais maman compter les temps, annoncer qu'il fallait tourner, les pas de valse, le changement de sens… J'entendais le bruit de ses petits talons plats claquer sur les tomettes en terre cuite de l'entrée tandis qu'elle me montrait les mouvements à côté de moi, m'incitant à la suivre pas après pas. J'étais tellement petit à côté d'elle, je ne savais même pas à quand remontait ce souvenir pourtant j'entendais encore le claquement de ses chaussures qui marquaient les pas.
Je tâchai de les suivre, sans lourdeur. Il fallait avoir le pied léger. À force de me laisser aller au hasard, ballotté par mes souvenirs et le rythme plein d'hésitations de la mélodie, je sentis tout à coup que j'avais retrouvé le truc. Une émotion étrange monta de ma poitrine et fit éclore un sourire tout en me mettant les larmes aux yeux. J'avais retrouvé les pas de Maman, et c'était comme si je l'avais retrouvé, elle. Je ne savais pas que je m'en souvenais si bien.
Porté par la nostalgie, je continuai à danser, inspirant à pleins poumons ce souvenir. L'odeur de bois de la pièce, la chaleur du soleil qui perçait doucement de la fenêtre, les senteurs de cèdre de l'armoire, celle de la couverture grossière qui sentait encore un peu le suint, les infimes grincements du parquet sous mes pieds, chaque petit détail insignifiant de la pièce se détachait de manière délicate et semblait s'ajouter à la mélodie. Je n'étais plus vraiment là, j'étais perdu entre la réalité et mes souvenirs, j'étais dans les bras de ma mère, je tenais ses grandes mains douces dans les miennes tandis qu'elle me faisait tourner. La perfection de ce souvenir me bouleversait, et je laissai mes paupières baissées en savourant chaque instant de ce moment, priant pour qu'il ne s'arrête jamais.
Après ce fragment d'éternité, je me cognai au pied du lit, faisant voler en éclat cette plénitude. J'ouvris les yeux, hébété, désorienté, l'orteil douloureux, les yeux humides. Comme un fantôme, ma mère s'était évanouie, me laissant aussi orphelin que le jour où elle avait fermé les yeux, que le jour où son nom s'était affiché sur la pierre tombale. Son absence me revint, toujours aussi froide et brutale, et encore plus cruelle.
Car ce qui restait de ma mère sur terre aujourd'hui, c'était un Homonculus qui portait ses traits et qui semait la mort. Un être sans âme qui détruisait des vies pour servir un but qui m'échappait. Une vérité honteuse que j'aurais voulu pouvoir effacer à tout jamais.
Je me frottai les orteils pour calmer la douleur, le cœur serré, puis finis par me laisser tomber, assis sur les lattes de chêne, frottant machinalement mon pied en pensant à tout autre chose. Si seulement j'avais pu faire disparaître Juliet Douglas… hélas, je n'avais pas la moindre idée de comment faire pour réparer cette erreur. J'aurais pourtant voulu qu'il existe autre chose pour porter le souvenir de ma mère. Celle qui aimait, qui souriait, qui embrassait, qui chantait, qui caressait, qui dansait, qui vivait, méritait mieux que ça. La mazurka était terminée, c'était maintenant un autre morceau, un peu tzigane, qui passait. C'était ce genre de musique fébrile qui nous dictait au fond de notre tête qu'il fallait qu'on bouge, qu'il y avait quelque chose à faire, qu'il y avait sûrement d'autres possibilités contre ça…
- Maman… murmurai-je comme si elle pouvait me répondre.
Je savais que ça ne serait pas le cas, qu'elle n'était pas là, et que personne ne pouvait m'entendre. Dans le cas contraire, j'en serais sans doute mort de honte. Mais sur le coup, j'avais complètement oublié que je n'étais pas seul au monde.
- Maman, si je danse pour toi, est-ce que tu me pardonneras ?
Il y a plusieurs sortes de tristesse, celle qui vous traverse et vous fait trembler sans que coule une larme, celle qui vous fait hurler à la mort et frapper à la ronde pour calmer la douleur, ou celle qui jaillit comme une source, douce et irrépressible à la fois. C'était cette dernière qui m'avait envahi. Pas un hoquet, pas un soubresaut, pas un sanglot. Ce silence me convenait personne ne risquait de m'entendre. Alors je restais là, écoutant valser les violons tziganes en laissant les larmes couler sur mes joues, en silence, sans bouger plus qu'une statue. Elles finiraient bien par se tarir.
Au bout d'un moment qui me semblait infini, je pris une profonde inspiration qui brisa mon immobilité et essuyai mes joues comme si je sortais d'un rêve particulièrement flou. Je me sentais sonné, perdu, et en même temps, apaisé et lucide comme jamais.
Comment avais-je pu oublier ça ?
Ce qui restait de Maman, ce n'était pas Juliet douglas. Cet Homonculus n'était une pâle copie qui n'en avait que l'apparence, et aucune âme, aucune tendresse. Ce qui restait de Maman, c'était nous : Al et moi. C'était à nous de lui faire honneur en portant sa mémoire. Al y arrivait fort bien, avec son indécrottable bonté. Mais moi… Que pouvais-je faire de bien pour elle ? Tout ce que je savais faire, c'était de l'alchimie, mais le souvenir de la transmutation ratée et de ses conséquences, et le fait de savoir que c'était le talent de mon père m'empêchait d'y voir quelque chose de réellement positif. Même si j'y repensais souvent durant mes transmutations, ça ne la représentait pas, elle.
Si je danse pour toi, est-ce que tu me pardonneras ?
oOo
L'après-midi déjà était bien entamé quand je descendis les escaliers. J'avais finalement dansé un long moment. J'étais soulagé que personne ne soit venu me déranger pendant ce moment secret, j'aurais été terriblement gêné si j'avais dû subir leurs regards perplexes. Mais mes muscles échauffés par l'exercice et mon souffle un peu plus courts me laissaient une impression agréable : quand on était habitué autant que moi à bouger, le sport devenait une addiction. Et si on y réfléchissait bien, la danse était aussi un sport.
Bref, j'étais de bien meilleure humeur. Je passai dans la cuisine déserte où la vaisselle du repas s'égouttait à côté de l'évier, errai un peu dans le couloir. Izumi et Sig devaient être bien occupés en boutique, si j'en croyais le tintement régulier de la clochette. Winry avait décrété à midi qu'elle voulait se promener seule en ville, elle ne devait donc pas encore être rentrée. La porte vitrée donnant sur le jardin était ouverte, je passai le nez dans l'entrebâillement et vis Al et l'enfant Homonculus, tous les deux allongés à plat ventre dans la pelouse. Al tenait à la main un bocal de verre et semblait expliquer à son voisin quelque chose sur son contenu.
Encore en train de lui faire une leçon de choses ? pensai-je avec un petit soupir.
J'avais beau en avoir discuté avec lui, je n'arrivais pas à comprendre comment il pouvait mettre de côté le fait qu'il était un Homonculus et lui parler avec cette bienveillance. En m'approchant de ce gamin aux yeux violets, je ne parvenais pas à dissimuler ma méfiance et ma colère envers lui et manifestement, il avait dû le sentir, parce qu'il m'évitait souvent. Alors que Al… pour lui expliquer ce qu'il savait, il semblait doté d'une patience infinie, et parvenait à s'entendre avec n'importe qui.
Je me contentai de regarder la scène de loin, adossé au chambranle de la porte, fixant le sourire de mon frère avec une drôle d'émotion. Si on ne savait pas que l'être à côté de lui était sûrement un monstre sans âme, on aurait pu croire qu'il était en train de vivre une enfance insouciante. Même si ces journées trop tranquilles étaient d'un ennui mortel, l'idée que, peut-être, mon frère était heureux en ce moment m'apporta un énorme réconfort.
Finalement, je décollai du mur et retournai dans la maison sans me manifester. Il s'occupait de l'Homonculus mieux que je ne pourrais jamais le faire, et peut-être que ses efforts pour le comprendre nous apporterait quelque chose, au bout du compte. Peut-être qu'être un Homonculus ne l'obligeait pas à être notre ennemi. Si quelqu'un était capable de le prouver, ce serait sans doute lui.
- Aaaah… ça ne me dit pas ce que je pourrais faire, grommelai-je tout de même en me grattant la nuque, réprimant un bâillement blasé. M'ennuie…
Comme je passais près du téléphone de l'entrée, je ralentis, hésitant. Puisque je n'avais rien de prévu, pourquoi ne pas appeler Mustang ? Il ne serait pas forcément chez lui, mais qu'avais-je à perdre ? Au pire, j'irais fouiner dans la bibliothèque pour trouver d'autres livres à feuilleter, au mieux, j'aurais des nouvelles fraîches de Central. Cela faisait quelques jours et c'était déjà beaucoup avec les habitudes que j'avais prises ces derniers temps.
Satisfait de m'être trouvé une distraction, je décrochai le téléphone et composai ce numéro que je connaissais par cœur. Le téléphone sonna, une fois, deux fois, et j'attendis, presque résigné, tandis que résonnait les sonneries. Au bout d'une minute sans réponse, je compris qu'il n'était pas chez lui, et raccrochai. Cela ne serait à rien d'insister, à part peut-être s'attirer les foudre d'Izumi.
Je restai à côté du combiné, plus déçu que je ne voulais l'avouer. Il était sans doute occupé… lui. Il avait des responsabilités, une enquête en cours ; et si ce n'était pas le cas, il était peut-être en train de profiter de sa fin d'après-midi, prenant un verre bien mérité à une terrasse. Je l'imaginai lançant un large sourire à une serveuse sans visage et mon estomac se noua un peu. Son côté poseur m'agaçait tellement, l'imaginer ainsi faisait ressortir la colère perpétuelle que j'avais eue envers lui, avant que l'attaque de Hugues nous rapproche et que je lui découvre des bons côtés.
Le téléphone sonna et je décrochai par réflexe, avant de réaliser que je n'étais pas chez moi. Je rougis en balbutiant maladroitement la phrase rituelle.
- B-boucherie Curtis, que puis-je pour vous ?
- … Edward ?
Je reconnus la voix de Mustang et rougis violemment. Une partie de moi aurait préféré que ce soit un client inconnu, plutôt que mon supérieur, qui eut un petit rire nerveux.
- Eh bien, tu tentes une reconversion comme standardiste ?
- Je… Mais-mais pourquoi vous appelez ici ? Et pourquoi vous vous foutez de moi à peine après avoir décroché ? me rebiffai-je, faute de pouvoir justifier pourquoi j'étais planté devant le téléphone à ce moment-là.
- Parce que c'est trop facile ! répondit-il du tac-au-tac.
- Hé !
- Et pour la première question, c'est parce que je voulais te parler.
Mon coeur bondit dans ma poitrine. Qu'avait-il de si important à dire pour appeler de lui-même ?
- Je pensais que vous étiez occupés, puisque vous n'avez pas répondu quand j'ai essayé de vous joindre, bredouillai-je.
- Ça, c'est normal. J'appelle depuis l'hôpital, là… et je ne pourrai pas rester très longtemps.
- Quoi, vous êtes blessé ? !
- Nonon, je vais bien, même si je ne peux pas en dire autant de l'enquête. Notre témoin est mort dans la nuit de vendredi à samedi après une injection qu'il n'aurait jamais dû recevoir. L'infirmière responsable a fini par craquer et tout avouer. Sa fille a été enlevée par les terroristes pour faire pression sur elle, elle a agit sous la contrainte. Depuis, on essaie de récupérer la gamine et de coincer les véritables coupables.
- Oh merde…
Il y avait quelque chose d'absurde à entendre ces mots en regardant les rayons de soleil tomber sur les carreaux de l'entrée, moirés par les ombres mouvantes des arbres. Une vingtaine de jours auparavant, je combattais à ses côtés au passage Floriane, et aujourd'hui, tout cela me semblait étrangement lointain.
- Mais je croyais que vous aviez arrêté le coupable ?
- Il semble que ce soit une fausse piste. Le Général n'avait aucune possibilité de prévenir des complices durant son interrogatoire, il était en commission durant le transfert du terroriste, enfermé en permanence, alors donner les infos… On est en train de chercher le véritable coupable, pour l'instant on n'en sait pas beaucoup plus, et on ne peut pas négliger l'otage…
L'homme lâcha un soupir désabusé. Même s'il ralait régulièrement sur mes dossiers en retard et tous les problèmes que je pouvais lui causer, je l'avais rarement vu aussi blasé. Je pouvais le comprendre, ça faisait des années qu'il était aux prises avec ce réseau terroriste, des années de lutte dont le résultat promettait de lui filer entre les doigts. Mes propres problèmes existentiels me parurent soudainement risibles.
- Je suis désolé, murmurai-je d'un ton sincère.
- Tu n'y es pour rien. Enfin, ce n'est pas pour ça que j'appelais, conclut-il d'un ton plus détaché. J'ai d'autres nouvelles plus intéressantes pour toi.
- Ah ?
- L'armée semble avoir retrouvé les traces d'évadés du cinquième laboratoire. Ils sont à Dublith.
- Sérieusement ?! m'exclamai-je. Vous savez où ? Depuis quand ?
Enfin, j'avais la perspective de pouvoir faire quelque chose de concret au lieu de me morfondre chez Izumi.
- Depuis quand, je ne sais pas, mais apparemment ils ont investi un bar nommé le Devil's Nest, assez mal famé d'après ce que j'ai compris.
- Un instant Colonel, marmonnai-je, le combiné coincé sur l'épaule, tandis que je tirais de ma poche mon indispensable carnet de notes. Devil's… Nest… Comment avez-vous eu ces infos ?
- A force d'enquêter sur une taupe, on finit par se laisser influencer, lança-t-il, non sans second degré.
Là, j'en étais sûr, il avait eu son petit sourire d'arriviste.
- Blague à part, il va falloir être prudent. Si l'armée les a localisés, c'est parce qu'ils comptent les attaquer. Il y a des militaires en planque en permanence….
- Il faut donc que j'évite de traîner dans le coin, ça attirerait les soupçons sur vous, complétai-je.
Ce n'est pas très grave, si je veux en savoir plus, je pourrai toujours me travestir pour infiltrer les lieux de manière plus discrète.
- Ce n'est pas tout, ajouta Mustang d'un ton sérieux. Si l'armée le sait, c'est parce qu'ils ont été trahis.
- Trahis ?
- Zolf Kimbleee, l'Alchimiste Ecarlate, tu te souviens ?
Je hochai machinalement la tête, oubliant qu'au téléphone, il ne pouvait pas le voir.
- Lors de la destruction du cinquième laboratoire, il avait fui avec eux. Et là, il essaye de se racheter une place dans l'armée en leur donnant les chimères en pâture.
- Et ça marche ?
- On dirait bien, soupira l'homme.
Je baissai les yeux. J'aurais aimé le voir en chair et en os. Même si je devinais ses expressions, ne pas les voir me frustrait. Il devait enrager à l'idée que l'armée réintègre un homme aussi incontrôlable. Je l'imaginai tenter de rabattre en vain les cheveux qui lui retombaient dans les yeux.
- Vous disiez qu'il était dangereux, donc je tâcherai de ne pas m'y frotter. Mais je pense savoir comment approcher les chimères sans me faire remarquer.
- Que comptes-tu faire ?
- … C'est un secret, répondis-je d'un ton léger.
Je n'allais quand même pas lui dire que je comptais me travestir et enfiler une perruque pour entrer moi-même dans le bar sans être reconnu.
- Mais ne vous inquiétez pas pour moi, je ne prendrai pas de risques inconsidérés, ajoutai-je en sentant sa déception à ma réponse.
- J'espère bien.
- Si je me faisais repérer, ça pourrait vous poser des problèmes.
- C'est vrai aussi, mais ce n'était pas ce que je voulais dire, lança-t-il.
Je sentis une bouffée de chaleur me monter aux joues, et toussotai maladroitement.
- Et toi, quoi de nouveau de ton côté ? reprit-il sans y prêter attention
- Pfff… pas grand-chose. Le maître d'Izumi est en voyage, mais nous a laissé l'accès à sa bibliothèque. Ça fait plusieurs jours qu'on l'écume dans l'espoir de comprendre un peu mieux ce qui s'est passé dans le cinquième laboratoire et à Resembool. Winry m'a posé un nouvel automail hier… Il est vraiment pas mal, d'ailleurs ! ajoutai-je en ouvrant et fermant machinalement ma main de fausse chair. Et on a toujours l'enfant Homonculus dans les pattes.
- Il n'a toujours rien fait de suspect ?
- Ça me tue de l'admettre, mais… non, il se comporte comme un gamin de dix ans, peut-être un peu plus sadique que la moyenne, mais quand même très normal. Tellement normal que ça me met presque mal à l'aise.
- Je vois ce que tu veux dire… dans le doute, mieux vaut rester sur ses gardes.
- Oui. Je ne suis pas comme mon frère qui peut se présenter à cœur ouvert à n'importe qui, murmurai-je.
Il y eut un temps de silence dans lequel résonna le rire d'Al et de… Cub, dans le jardin, et quelques chants d'oiseaux. Je ne savais plus quoi dire, mais je n'avais pas envie qu'il raccroche. Et la dernière phrase que j'avais lâchée, était, réflexion faite, un peu embarrassante.
- Tu comptes rester longtemps dans le Sud ? demanda finalement Mustang, brisant le silence qui s'était installé.
- Je… ne sais pas, avouai-je. J'espérais y trouver des réponses, et finalement, les choses sont encore plus compliquées qu'avant.
- Ce n'est pas une très bonne nouvelle… Mais tu n'y es pour rien. Par contre, il se peut que tu doives revenir à Central-city prochainement lança-t-il. Apparemment, le Général Lewis a l'intention de te solliciter pour une mission de transfert.
- Ça serait l'occasion de tenir notre promesse, répondis-je.
- Ah oui, le repas… Tu ne perds pas le nord, toi !
- Jamais quand on parle de bouffe, répondis-je du tac au tac.
- Je vois ça ! fit-il en riant. Bon, je vais te laisser, il faut que j'y retourne. Si tu peux rappeler demain soir, j'en saurai peut-être plus sur l'attaque du Devil's Nest, je te tiendrai au courant. J'espère que les choses se seront éclaircies d'ici-là.
- J'espère aussi. Bon courage, Colonel !
- Merci. A bientôt.
La tonalité du téléphone remplaça sa voix chaude, et je me retrouvai seul, dans le couloir de la maison. Le contour des carreaux de la porte-fenêtre avait migré vers le mur au fil de la discussion, indiquant que je jour baissait. Comparé à cette journée interminable, ce coup de fil semblait être passé en un éclair. Malgré un sentiment de frustration, je m'autorisai un sourire. Si je revenais à Central, je pourrais le revoir… et manger les meilleures truites en papillotes de tout Amestris.
- Ça mériterait une photo, chuchota Winry avec un sourire.
- Plutôt mourir.
Je n'avais pas eu besoin de crier pour qu'elle devine que sa remarque ne me faisait pas rire. Elle se pinça les lèvres comme pour se retenir de se moquer. Je savais bien que je devais avoir l'air ridicule, travesti en femme.
- Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour le Colonel, quand même, marmonna Alphonse, la mine sombre, assis à califourchon sur la chaise de la chambre.
- Je ne le fais pas pour lui, je le fais pour l'enquête, grondai-je en repoussant les mèches de la frange qui me piquaient les yeux.
- Non, n'écarte pas ta frange, on va voir tes sourcils sinon, et j'ai pas bien réussi à les foncer, rappela Winry.
- Chier, grommelai-je en guise de réponse.
Une fois le repas du soir passé, j'avais annoncé à Alphonse et Winry le programme de ma soirée. Al, parce que je me devais de le prévenir, et Winry, parce que j'avais besoin de son aide pour mon déguisement. Malheureusement, j'avais aussitôt regretté de l'avoir sollicitée. Elle n'avait pas pu s'empêcher de me taquiner à propos de mes tendances au travestissement et à l'utilité de ses nouveaux automails. La demi-heure passée en sa compagnie pour me transformer en fille insoupçonnable avait été bien longue. Mais au moins, son miroir le prouvait, l'effort en valait la peine.
J'avais planqué mes cheveux sous une perruque noire coupée au carré que j'avais déjà utilisée, longtemps auparavant, pour approcher Scar sous une apparence plus anodine. La frange mangeait mon front, et une paire de lunettes noires dissimulait un peu plus mon visage. Winry avait fièrement dégainé un rouge à lèvres que je ne l'avais jamais vu porter pour maquiller ma bouche. Et surtout, elle avait accepté de bonne grâce de me prêter ses vêtements. Une robe en jean sombre dont le décolleté déboutonné découvrait en grande partie ma poitrine, sa veste noire, des gants, noirs eux aussi, et sa paire de bottes lacées. Si ça avait été une inconnue que j'avais croisée habillée comme ça, j'aurais peut-être pu trouver ça classe, mais sur moi, c'était tout bonnement ridicule.
- T'es sexy comme ça, commenta-t-elle avec un sourire moqueur.
- Ta gueule, marmonnai-je en refermant les boutons du décolleté.
- Tu ne devrais pas cacher des seins, c'est la meilleure partie de ton déguisement.
- Vraiment, ta gueule Winry.
Si la discussion avec Mustang m'avait momentanément remonté le moral, on ne pouvait pas en dire autant de cette escapade. Comme je doutais qu'Izumi approuve cette idée, j'avais préféré n'en parler qu'à Al et Winry, et nous nous étions donc retrouvés tous les trois à préparer mon départ. Retourner dans la peau de « l'inconnue aux cheveux noirs » était plus désagréable que dans mon souvenir. J'avais oublié que la perruque démangeait autant, et même si je faisais mine de savoir ce que je faisais, la perspective d'aller dans un bar infesté d'ennemis potentiels ne me rassurait pas vraiment.
- Tu es sûr que tu ne veux pas que je t'accompagne ? demanda mon frère qui devait avoir senti mon inquiétude.
- Honnêtement, j'aurais aimé dire oui, mais il semble que l'armée surveille le bar, et ta présence risquerait d'attirer l'attention sur nous. Je ne me travestis par pour m'amuser, je le fais pour nous protéger.
Il hocha la tête, le regard sévère. L'idée lui déplaisait fortement, mais il comprenait mes raisons, et faisait de son mieux pour se comporter de manière mature. Au moins, cette fois-ci, il savait ce qui se passait réellement. Je ne voulais pas lui redonner une raison valable de se remettre en colère contre moi, comme quand il avait découvert avec un temps de retard que non seulement Hugues n'était pas mort, mais qu'en plus, j'avais orchestré son évasion.
- Bon, je vais y aller, murmurai-je, pas complètement rassuré.
- Au bout de combien de temps tu nous autorises à angoisser de ne pas te voir revenir ? demanda mon frère d'un ton sérieux.
- Si je ne suis pas revenu au petit matin.
- Mais tu aurais le temps de mourir mille fois dans la nuit ! gémit Al.
En voyant à quel point mon frère était pétri d'inquiétude, je me sentis bouleversé. Je lui répondis par un sourire qui tâchait d'être rassurant et fis quelques pas pour le serrer dans mes bras.
- Ne t'inquiète pas, je ne prendrais pas plus de risques que nécessaire, murmurai-je à son intention.
C'était la deuxième fois que je faisais cette promesse. Raison de plus pour la tenir.
- C'est encore trop à mon goût, grommela-t-il, un peu rasséréné tout de même.
- Allez. Plus vite je suis parti, plus vite je suis revenu.
Al hocha la tête et me regarda traverser la pièce à contrecœur. Winry passa devant moi pour vérifier que la voie était libre. Il ne manquerait plus que je croise Izumi dans cette tenue !
Finalement, sans réel suspens, je me retrouvai dehors. Les réverbères éclairaient la rue de leur lumière jaunâtre, la nuit était dégagée, un peu froide mais je m'en accommoderais. Je fis quelques pas vers l'allée principale, fouillant dans ma poche pour retrouver le plan que j'avais préparé dans l'après-midi. Il fallait que je rejoigne le quartier sud de la ville. A pied, j'allais en avoir pour un moment. C'est donc d'un pas vif que j'arpentai les rues, jetant des coups d'œil aux maisons alentours. En m'approchant du centre-ville, je passai progressivement des quartiers résidentiels endormis à des rues où des bars et restaurant bondés s'ouvraient sur des terrasses.
Dans la région sud, le cagnard était souvent écrasant durant l'été, aussi était-il courant de voir les rues s'animer à partir de cinq heures du soir pour rester bruyantes jusque tard dans la nuit. Je le savais, mais c'était une ambiance que je connaissais finalement très mal. Ce n'était pas comme la fête où nous étions allés la veille, où Izumi semblait connaître tout le monde sans exception. Ici, l'ambiance me mettait beaucoup moins à l'aise. Sans doute parce qu'aux tables des bars, il n'y avait presque que des hommes, et certains, particulièrement avinés sans doute, me regardaient passer en baissant les yeux sur mes jambes dénudées. Ils ne pouvaient pas deviner que derrière cette peau se trouvait un automail particulièrement résistant, prêt à leur faire manger le bitume s'ils s'approchaient de trop près. Malgré tout, ma confiance en mes capacités au combat ne me rassura qu'à moitié tandis que je traversais hâtivement ces rues qui me rappelaient les aspects qui me déplaisaient le plus à Lacosta.
Moi qui croyais que cette ville était une exception, le temps me faisait progressivement réaliser que, où que j'aille, je me sentais menacé. Partout, il y avait des hommes, et plus il était tard, plus ils étaient nombreux. Quand j'en étais un, je ne le réalisai pas vraiment. Sans ma transformation, sans le souvenir d'Ian Landry, me serais-je senti mal à l'aise à cet instant ? J'étais sûr que je ne me serais même pas posé la question.
Tout en jetant de temps en temps un coup d'œil à mon plan, je me mis à compter machinalement les femmes que je croisais au fil de mon trajet. Quand j'arrivai à proximité du Devil's Nest, j'en avais vu quatre seulement, toutes accompagnées.
Je me demande si j'ai bien fait de me travestir, finalement, songeai-je, une boule à la gorge, en cherchant des yeux l'entrée du Devil's Nest. Je vis finalement l'enseigne clignoter dans l'obscurité. C'était un simple panneau éclairé d'un néon vieillissant qui crachotait une lumière verdâtre au-dessus de l'entrée, simple arche donnant sur un escalier descendant au sous-sol.
C'est un bar, ça ?! pensai-je, l'œil torve. Sérieusement, ils auraient aussi vite fait d'écrire « coupe-gorge » sur le panneau.
Je m'arrêtai à quelques mètres du bâtiment, hésitant. Il fallait être complètement stupide pour entrer là-dedans. Mais je n'avais pas traversé la ville pour me dégonfler maintenant, surtout si au bout de ces marches, j'arrivais à trouver des réponses à mes questions. Je me mordillai la lèvre, indécis, puis je me souvins que les lieux étaient surveillés par l'armée. Rester les bras ballants devant la façade risquait d'attirer l'attention. Alors je pris une grande inspiration et fis les quelques pas qui me séparaient de l'escalier.
Une lumière jaunâtre provenait du sous-sol, à peine assez pour voir où je posais les pieds, aussi retirai-je mes lunettes noires pour les glisser dans ma poche. Prudent, je m'appuyai sur le mur, en descendant les marches inégales, sentant le tissu de mon gant accrocher à la pierre brute. Je n'étais pas arrivé en bas qu'une odeur âcre, mélange de fumée de cigarettes, d'effluve d'alcools, de sueur, de poussière et de fourrure sale, me sauta à la gorge. Je plissai le nez, tenté de plaquer ma manche sur mon visage pour respirer à travers le tissu. Avoir un odorat aussi développé était parfois un cadeau empoisonné.
Quand je posai les pieds sur la dernière marche et relevai la tête, je clignai des yeux tant l'atmosphère était embrumée par la fumée. L'air, épais, flou, laissait un goût amer dans la bouche, et il y avait une odeur écœurante que je n'arrivais pas à définir. La musique que déversait les enceintes était tout aussi pesante, la voix rauque d'une chanteuse indolente déroulait des paroles énigmatiques qui me mettaient mal à la l'aise. Je m'étais demandé ce que Mustang avait voulu dire par « mal famé », eh bien, j'avais la réponse.
Je tâchai de mettre de côté ces sensations pour me concentrer sur les informations que je pourrais tirer des lieux. A ma gauche, un bar en bois chargé de bouteilles longeait le mur. Les arches de vieille pierre étaient en grande partie recouvertes d'affiches et d'autocollants disparates, certains déchirés et jaunis, d'autres couverts de gribouillis. La pièce à l'éclairage poussif était remplie de bric et de broc, fauteuils dépareillés, tables bancales et canapés sans âge, où s'entassaient des gens à l'apparence cabossée, certains discutant à voix basse, d'autres riant aux éclats, d'autres… collés ensemble, en train de se tripoter, les lèvres ventousées comme s'ils cherchaient à s'aspirer mutuellement. Je fixai le couple juste devant moi pendant quelques secondes, interdit, puis me détournai vivement pour aller au bar, le seul lieu de la pièce que je pouvais espérer regarder sans blêmir de malaise.
- Bonsoir, je peux avoir une bière ? fis-je d'une voix plus couinante que je l'espérais.
L'homme, un quinquagénaire taillé comme un ours, m'inspecta de ses yeux acérés. Ses sourcils broussailleux se froncèrent quand il prit sa décision.
- Ok petite, je te demanderai pas ton âge, mais traîne pas trop longtemps ici, grommela-t-il en décapsulant une bouteille qu'il me tendit. C'est 5 cents.
Je pris la bière et posai ma pièce d'une main tremblante sur le bois poli par le temps. Je renonçai à répondre, sentant que je ne résisterai pas à la tentation de lui hurler dessus si je desserrais les dents.
« Petite ». L'humiliation ultime, quoi, pensai-je rageusement en buvant ma bière au goulot, jetant des coups d'œil discrets aux alentours. En plus d'être vexante, sa remarque était inquiétante. Ma jeunesse sautait tant que ça aux yeux pour qu'il se permette cette remarque malgré mes lunettes et mon maquillage ?
En me faisant cette remarque, je réalisai que depuis mon départ de chez les Curtis, je n'avais pas cessé de me replier sur moi-même et que plus que mon apparence, c'était ma posture qui devait crier mon manque d'assurance. Je me forçai donc à redresser les épaules et à lever la tête avant de commencer à arpenter la pièce en sirotant ma bière d'un air faussement détaché, cherchant par quel indice commencer.
Il ne me fallut pas longtemps pour remarquer que parmi les personnes présentes, il y avait des anormalités criantes. Cet homme taillé comme un taureau, son front était trop bosselé pour être honnête. Et son pantalon, bien usé et sali, avait le bleu caractéristique des uniformes de l'armée. Cette femme aux cheveux courts était trop souplement allongée sur les genoux de deux de ses voisins. Au fond de la salle, un homme de petite taille, portant une cape élimée, se plongea un peu plus dans l'obscurité en remarquant que je l'observais. Ces trois-là étaient probablement des chimères… mais étaient-ils les seuls ? J'en doutais. Il y en avait sûrement d'autres, dont la transformation était moins flagrante.
Si j'en croyais Mustang, Zolf Kimblee devait se trouver parmi eux. L'alchimiste écarlate avait fait tatouer la paume de ses mains pour pouvoir transmuter efficacement. J'avais intérêt à le repérer et à rester loin de lui. Je laissai donc filer mon regard de main en main, innocentant les clients du bar les uns après les autres. Jusqu'à ce que quelque chose me saute aux. Et ce n'était pas un cercle de transmutation. Je venais de voir un tatouage d'Ouroboro sur le dos d'une main gauche.
Un Homonculus, ici ?! Il ne manquait plus que ça !
Je déglutis, bus une nouvelle gorgée de bière pour retrouver un peu de contenance, et coulai un nouveau regard hésitant vers l'inconnu. L'Homonculus était habillé de noir, seule la fourrure blanche de son col ressortait. Il avait des petits yeux, les cheveux repoussés en arrière et un air carnassier. Même s'il souriait largement en discutant avec les personnes attablées autour de lui, son apparence n'était pas vraiment avenante. Il avait coulé ses bras sur les hanches des deux filles assises à ses côtés et les caressaient presque machinalement tandis qu'il discutait avec l'homme assis en face de lui. De là ou j'étais, je ne pouvais pas voir son visage, juste le dos de sa veste pourpre et une longue queue de cheval noire, mais quand il tendit la main vers son verre, j'entrevis un cercle dans la paume de sa main. Kimblee, si j'en croyais ce que m'avait dit Mustang. J'avais donc localisé l'Alchimiste Ecarlate et, juste en face de lui, un Homonculus, que je ne connaissais pas.
Je m'adossai au mur, faisant semblant d'être fasciné par l'affiche collée de travers sur la colonne à côté de moi tandis que je réfléchissais intensément à la situation. Je connaissais Envy, Lust et Gluttony, Juliet Douglas, il y avait l'enfant Homonculus qu'on soupçonnait d'être lié à l'enfant mort d'Izumi, et maintenant celui-ci. Combien étaient-ils au juste ?
Non, ce n'était pas la bonne question. La vraie question à se poser était plutôt celle-ci : que faisait-il là ? S'il faisait partie du complot des Homonculus, pourquoi diable serait-il posé au milieu de ceux qu'ils comptaient exterminer ? Je ne savais pas au juste ce qui s'était passé dans le cinquième laboratoire, mais d'après le peu d'informations que j'avais arrachées sur les lieux, leurs cobayes connaissaient, au moins un peu, les Homonculus. C'était le cas de l'armure vide que j'avais affrontée et de Shou Tucker, il n'y avait pas de raison pour que les chimères aient subi un sort différent. Sachant cela, les évadés auraient dû le traiter en ennemi, ou du moins, s'en méfier grandement… mais ce n'était manifestement pas le cas. Au contraire, il échangeait des bribes de conversation et des gestes de main à l'intention de telle ou telle autre personne dans le bar. Comme l'homme trop massif que j'avais repéré tout à l'heure se penchait vers lui pour lui murmurer quelque chose à l'oreille, une hypothèse commença à émerger.
Ils auraient dû être ennemis, à moins que… à moins que cet Homonculus soit un renégat. A cette idée, mon cœur s'accéléra. C'était un peu effrayant, mais en même temps, si c'était possible, ça pourrait changer tellement de choses ! Cela voudrait dire, entre autres, que Cub n'était peut-être pas voué à être notre ennemi.
Mais de là à admettre que les Homonculus ne soient pas forcément des monstres, il y avait un pas, et pour m'être déjà battu avec eux, celui-là, je n'étais pas sûr d'être prêt à le franchir.
Une blonde aux cheveux très courts s'adossa au mur dans un mouvement à la fois brutal et souple, prenant visiblement un peu de champ avec ceux qui discutaient avec elle jusque-là. C'était une des personnes que je soupçonnais d'être chimère. Trop souple dans ses mouvements, elle donnait l'impression qu'elle pourrait se démembrer sans effort. Comme elle était assez proche pour que je puisse lui parler, je tentai ma chance.
- Il a l'air populaire, lui, soufflai-je en désignant le supposé Homonculus.
- Ouais, répondit-elle sobrement après avoir tourné la tête vers moi, interloquée que je lui adresse la parole.
- C'est un habitué du bar ? demandai-je.
- Je dirais plutôt un chef de bande, à ce stade, répondit la femme avec l'ombre d'un sourire en le regardant.
- Tu as l'air de bien l'aimer, commentai-je avant de porter ma bière au goulot, réalisant alors que la bouteille était vide.
Ça me mettait mal à l'aise de tutoyer cette inconnue, mais j'avais capté assez de fragments de conversations pour remarquer que personne ne se vouvoyait dans ce bar.
- Bah, comme la plupart des gens ici. C'est pas vraiment de l'amour, plus qu'on a vécu des choses ensemble…
- Comme le cinquième laboratoire ? lançai-je d'un ton anodin.
La blonde recracha son cocktail et tourna vers moi des yeux noirs. A cet instant, je me sentis partagé entre un sentiment de victoire face à sa réaction qui prouvait que j'avais tapé juste, et une profonde peur de ne pas ressortir d'ici vivant. Ma dernière remarque était brutale, pour ne pas dire stupide, et j'allais devoir être prudent pour rattraper ça. Malgré mes efforts pour garder une expression tranquille, j'étais intérieurement tétanisé. Si je ne trouvais pas les bons mots, j'allais avoir un troupeau de chimères humaines, un Homonculus et un Alchimiste fou sur le dos. Beaucoup pour un seul homme.
Ça, c'est ce qui s'appelle prendre un risque inconsidéré, songeai-je après-coup.
- Je ne suis pas là pour vous causer des problèmes, au contraire. Nous avons les mêmes ennemis, murmurai-je.
- Quels ennemis ? siffla-t-elle à voix encore plus basse.
- L'armée… et ceux qui s'agitent dans leur ombre.
- Et pourquoi je devrais te croire ?
- … Je suis venu seule et sans armes ? tentai-je en espérant que ma réponse lui convienne.
Elle fit rouler machinalement ses épaules vers l'avant sans me lâcher du coin de l'œil, puis continua sa boisson, réfléchissant.
- Tu veux quoi ? fit-elle finalement.
- Parler. Et écouter ce que vous avez à me dire, répondis-je, aussi honnête que possible. Je sais que parmi vous il y a des personnes qui ont été victimes de Shou Tucker.
A ses mots, son regard s'assombrit. Ce nom, qui était sans doute celui de son tortionnaire dans les salles sombres du cinquième laboratoire, était celui d'un des hommes que je haïssais le plus au monde. Celui qui, au nom de la recherche, avait osé transmuter son chien et sa propre fille pour en faire une chimère parlante. Cette image me hantait encore aujourd'hui.
La surprise effaça sa colère, et je compris qu'elle avait dû lire dans mon visage un reflet de ses propres émotions. Je détournai la tête, un peu gêné.
- Je sais aussi que les personnes qui avaient la charge du cinquième laboratoire n'ont pas intérêt à ce que d'autres personnes apprennent ce qui s'y passait.
- Mais toi, tu le sais, c'est ça ? demanda-t-elle d'un ton suspicieux avant de boire une nouvelle gorgée d'alcool.
- Une partie seulement, avouai-je. Assez pour vouloir comprendre le reste… et pour savoir que vous n'êtes pas en sécurité ici.
Elle jeta un coup d'œil circulaire à la pièce, avec une moue blasée que démentait ses sourcils un peu froncés. Son visage était suffisamment fermé pour que j'aie du mal à savoir à quoi elle pensait à ce moment précis. Avais-je gagné la partie ou était-elle en train de se demander auquel de ses amis elle allait demander de me casser la gueule ? Impossible de le savoir.
- Tu lui fais totalement confiance ? demandai-je en désignant l'Homonculus du coin de l'œil.
- … Oui, répondit-elle après avoir pris le temps de la réflexion.
Elle semblait sincère.
- Penses-tu que je puisse lui parler… seul ? murmurai-je.
- Tu es gonflée, toi, de débarquer comme une fleur et de me faire les yeux doux pour que je t'aide au bout de deux minutes de conversation !
- C'est vrai. Mais tu ne te demandes pas comment j'ai fait pour trouver votre planque aussi facilement ?
Son expression ironique s'évanouit.
- Tu ne t'inquiètes pas de savoir qui d'autre que moi le sait, et pourquoi ?
Retrouvant tout son sérieux, elle se mordit la lèvre.
- Ok, je vais essayer de l'isoler. Mais ça ne sera pas une partie de plaisir, il aime trop être entouré.
Finalement, elle décolla du mur dans un geste souple, sans m'adresser un regard de plus. La conversation était terminée. Je poussai un soupir incertain, repris deux ou trois inspirations profondes, puis quittai l'alcôve où je m'étais renfoncée durant la discussion pour me resservir au bar. Je posai la bouteille vide sur le zinc, demandais laconiquement « une autre ». Le barman me scruta de ses yeux clairs et me resservit sans un mot, mais le claquement de la capsule sonna de manière réprobatrice. Je payai de nouveau et me retournai vers la salle, m'accoudant au bar. Il y avait toujours des gens en train de s'embrasser goulûment ou de glisser les mains sous leurs vêtements pour se caresser à des endroits incongrus, et ça me gênait toujours autant, mais au moins, j'avais l'impression d'arriver à quelque chose.
Après la déception de constater qu'Izumi en savait à peine plus que nous, découvrir l'existence de cet Homonculus était plutôt une bonne surprise. La fille avec qui j'avais discuté avait dû manœuvrer discrètement, car des quatre personnes assises en face de ma cible, il n'y en avait plus qu'une. Dommage que ce soit celle que je tenais le plus à éviter de tout le bar. Je dégustai ma bière à petites gorgées en espérant qu'il finisse par partir. Le goût était amer, nettement moins bon que celles que Mustang me servait quand je venais à l'improviste chez lui. Sa voix bondit soudainement dans mon esprit.
J'espère bien.
C'était ce qu'il m'avait dit tout à l'heure quand j'avais promis de ne pas prendre de risques inconsidérés. Un instant, je me demandai si ce que j'avais fait et ce que je m'apprêtais à faire n'était pas déjà trop risqué à ses yeux. Oui, sûrement. Je me souvenais de son expression quand il m'avait retrouvé à terre après l'assaut du passage Floriane. Son inquiétude avait été touchante… elle m'avait donné l'impression qu'il tenait réellement à moi.
L'alcool devait avoir commencé à faire effet, car je sentis le rouge me monter aux joues, une sensation étrangement agréable. Une partie de moi, plus pragmatique, s'inquiéta à l'idée que je ne sois pas parfaitement lucide alors que je m'apprêtais à avoir une discussion avec un Homonculus.
À ce moment-là, la silhouette de Kimblee se leva et s'éloigna pour commander un verre au bar. J'attrapai furtivement les lignes de son profil pour les graver dans ma mémoire. Puisqu'il était dangereux, autant savoir le reconnaître. Heureusement pour moi, il ne regarda pas une seule fois dans ma direction et alla s'asseoir un peu plus loin, dos au reste du bar. Je ne pouvais pas rêver mieux.
C'est le moment ou jamais, songeai-je, soudainement parfaitement revenu dans le présent. J'approchai de la table où se trouvait l'Homonculus, maintenant débarrassé de toute sa compagnie, qui s'était mis à battre machinalement un jeu de cartes. Le cœur battant mais les épaules droites, je m'assis face à lui. J'avais rassemblé toute mon assurance durant les pas qui me séparaient de lui, bien conscient que je prenais autant de danger que si je manipulais de la nitroglycérine.
- Salut princesse, je ne t'avais pas encore vue ici, commenta l'homme dont le sourire franc dévoila un peu plus sa dentition trop pointue.
- C'est la première fois que je viens, répondis-je. Un bon ami m'a donné l'adresse.
- Une bataille ? proposa-t-il.
- Pourquoi pas ?
Il mélangea encore un peu les cartes dans un geste assuré, puis commença à les distribuer. Je tendis le doigt vers sa main gauche.
- Joli tatouage, commentai-je d'un ton faussement neutre.
L'Homonculus jeta un coup d'œil négligent au dos de sa main et grogna, visiblement peu satisfait de porter cette marque.
- Ce n'est pas la première fois que j'en vois un comme ça. C'est le signe d'un club ?
- Un club dont je suis heureux de ne plus faire partie, alors, siffla-t-il avec un sourire ironique.
Je pris le tas qui se trouvait devant moi et calai les cartes plus proprement tandis qu'il en faisait autant de son côté.
- Ça fait longtemps ?
- Oh, quelques centaines d'années je dirais, fit-il.
Je tirai ma carte en cachant mal ma perplexité, par sûr de pouvoir prendre cette remarque au pied de la lettre. Mais en même temps, il avait dit ça d'un ton tellement assuré, et en tant qu'Homonculus, n'était-il pas immortel ?
- Dommage, j'aurais aimé en savoir plus sur ce club, fis-je. Je me demande à quels jeux ils jouent.
La conversation se déroula lentement, le temps d'une partie de bataille, que je perdis sans trop de regrets. Habituellement, j'étais mauvais perdant, mais là, je n'y accordais pas d'importance, car je savais que ce qui se jouait dans la discussion était plus sérieux. Échangeant nos questions à mots couverts, je fus le premier surpris de voir tout ce que l'on pouvait faire passer à coup d'allégories et de sous-entendus. Il réussit à me laisser deviner qu'il avait été emprisonné par les Homonculus et l'armée et que s'il avait été une part du complot il a longtemps, il ne voulait plus en entendre parler aujourd'hui. Je parvins à lui glisser que le Devil's Nest n'était plus sûr depuis qu'un tricheur faisait des siennes, et à lui faire comprendre quelle était son identité. Quand il tourna le dos vers la silhouette à la veste pourpre, je vis un éclat de déception traverser son regard, me laissant mal à l'aise. Je l'aimais pas l'idée que les Homonculus puissent avoir des émotions.
À travers la discussion, maniant un langage subtil dont je n'avais pas l'habitude, je parvins à mener cette conversation qui allait bouleverser complètement le cours des choses.
- Connais-tu l'auteur de la Divine Comédie ? demanda-t-il.
- Non, je ne lis pas vraiment de romans, répondis-je tout en sachant que ce n'était pas ce qu'il voulait dire.
- Elle connait très bien le club. Si tu la croises, tu en apprendras peut-être plus. Mais bon, il faut savoir lui parler. Si tu lui demandes directement, tu vas au devant des problèmes. Ah, merde, tu gagnes, grogna-t-il à contrecœur.
- Je vois. Je tâcherai de me procurer son livre alors, répondis-je prenant le paquet de cartes, sans pouvoir réprimer un petit sourire.
Cette partie-là se déroulait mieux pour moi que la première. Je parvins finalement à voler à mon adversaire ses dernières cartes.
- Un partout, nous voilà à égalité, commenta l'Homonculus en s'enfonçant dans son siège, se grattant le creux de l'oreille.
- Ça me paraît être une bonne conclusion pour ce soir, répondis-je.
- Tu ne veux pas jouer la belle ?
Je secouai la tête.
- Je reviendrai faire une partie quand mon ami me dira quand est organisée la fête.
Mon interlocuteur hocha la tête, ayant parfaitement compris que derrière ce mot joyeux se cachait une réalité sanglante.
- Hé bien, à la prochaine alors, miss. C'était un plaisir de discuter. J'espère qu'on pourra se poser dans un coin tranquille et faire plus que jouer aux cartes à ta prochaine venue, ajouta-t-il avec un clin d'œil qui m'amena un frisson dans le dos.
J'aurais voulu être sûr que ce sous-entendu concernait notre discussion précédente, mais vu le regard qu'il m'avait lancé et la manière dont il tripotait les filles à mon arrivée, je craignais que ce ne soit pas le cas.
Je ne répondis pas à cette dernière remarque, choqué à cette simple idée. C'est donc un peu hâtivement que je sortis du bar, croisant les yeux de celle qui m'avait aidé à discuter avec cet Homonculus, qui portait le nom évocateur de Greed. Je hochai la tête en signe de remerciement, puis remontai les marches. Quand je me retrouvai sur le seuil, l'air brassé par un vent nocturne me parut merveilleusement frais et pur après l'atmosphère moite et nauséabonde du bar. Et puis, le simple fait d'avoir pu reposer le pied dehors après m'être lancé dans une entreprise aussi risquée m'amenait quand même un peu de fierté. Je m'autorisai un étirement avant de me mettre en marche, un sourire aux lèvres.
Je savais bien que j'avais intérêt à rester sur mes gardes jusqu'à ce que je sois rentré, et même après, car j'étais quand même au milieu d'un beau guêpier mais malgré tout, il fallait admettre que j'avais appris des choses bien au-delà de mes espérances ce soir.
Le froid de la nuit me donna un coup de fouet, et c'est avec une énergie renouvelée que je rentrai chez les Curtis.
