Le nouveau chapitre est arrivé ! Bon, d'accord, on est mardi... mais j'étais bien occupée aujourd'hui, pour tout avouer ! (En fait, c'était mon anniversaire ^w^) J'avoue, je n'ai pas fait de dessin cette fois-ci encore (pourtant j'ai une idée assez claire de l'image que je voudrais réaliser) ça commence à faire beaucoup d'illustrations de retard... je vais tâcher de rattraper ça, même si je ne sais pas trop quand ! J'ai passé pas mal de temps sur un petit projet BD que je publierai sur Mangadraft à partir de vendredi (pour les curieux, j'en dis plus sur ma page de profil).

Sinon, ce chapitre est l'avant dernier de la partie 3. On arrive donc à un tournant de l'histoire. J'espère que la lecture vous plaira et que vous ne me maudirez pas trop à la fin du chapitre (si c'est le cas, lâchez-vous dans les reviews, je l'aurais bien mérité ! XD)

Et je m'arrête-là en vous souhaitant une bonne lecture, et bon courage pour affronter les cours/le boulot !


Chapitre 38 : Avis de Tempête (Alphonse)

- Bonjour, tu es tout seul ? demandai-je, surpris de ne trouver que Cub dans la cuisine.

- Oui ! répondit-il d'un ton joyeux, sans cesser de mélanger son porridge avec enthousiasme. Sig et Izumi sont à la boutique, elle a râlé parce que vous n'étiez pas levés.

Il s'était découvert un grand amour pour ce plat, à condition d'y mettre des noisettes, des morceaux de fruits et une quantité ahurissante de cassonade.

- Ah oui, la vache, il est tard ! découvris-je en voyant qu'il était dix heures passées, soit une heure indue pour notre Maître habituée à se lever à l'aube pour préparer la boutique avant l'ouverture.

- Elle a dit que vous étiez des « fainéants ». Ça veut dire quoi ?

- Ça veut dire qu'elle trouve qu'on ne travaille pas assez.

- Ah, d'accord ! C'est pour ça qu'elle a dit que si vous ne vous leviez pas plus tôt demain elle vous lancera des seaux d'eau ?

- Sans doute, oui.

J'eus un sourire forcé en me disant qu'il fallait que je prévienne mon frère et Winry de l'intention de notre Maître de nous remettre dans le droit chemin.

Nous avions une bonne raison pour nous lever tard, tous les trois, mais nous avions préféré ne pas en parler à Izumi sur le coup. Je me voyais mal expliquer qu'Edward s'était travesti pour aller dans un repaire de fugitifs et leur faire battre en retraite avant l'arrivée de l'armée. Cela nous aurait peut-être évité les seaux d'eau au réveil, mais nous aurions sans doute gagné une bonne raclée à la place.

Durant toute l'absence d'Edward, j'étais resté dans la chambre de Winry, attendant avec elle son retour avec une certaine nervosité. Même s'il ne nous l'avait pas dit explicitement, l'air sérieux qu'il avait en partant nous avait fait sentir qu'il se mettait en danger. Et se retrouver à attendre pendant qu'il partait prendre tous les risques, à se demander à partir de quel moment nous pouvions nous permettre de paniquer et de réveiller Izumi pour tout lui dire, ce n'était pas vraiment confortable. Nous avions tenté de faire passer le temps plus vite en jouant aux cartes, mais quand il était revenu, Winry et moi lui étions presque tombés dans les bras. Il avait arraché sa perruque et détaché les cheveux avec un soupir de soulagement, avant de nous résumer son expédition, qui s'était déroulée sans encombre.

« Je leur ai dit tout ce que je pouvais, à savoir pas grand-chose. Après, s'ils décident de ne pas me croire, je ne peux rien faire de plus. J'ai fait de mon mieux, la balle est dans leur camp. »

J'avais trouvé cela terriblement froid de sa part, mais si on devait être honnêtes, on ne connaissait rien de ces gens ni des raisons pour lesquels ils avaient été enfermés. Ils pouvaient aussi bien être d'horribles criminels, c'était même assez probable. Edward ne leur devait rien, et prendre des risques pour les prévenir de l'attaque était déjà beaucoup si on y réfléchissait.

Je repensai à tout cela en me réveillant tranquillement, me préparant moi aussi une bonne ration de porridge chargé de cassonade et de fruits coupés avant de m'asseoir en face de Cub. En ressassant la soirée d'hier, je réalisai différentes choses… Que tôt ou tard, nous allions tout de même devoir avouer à Izumi à quelles magouilles nous nous étions prêtés. Que même si les conditions n'étaient pas vraiment agréables, j'avais été content de passer du temps seul avec Winry, qui se comportait un peu différemment avec moi depuis notre dispute au sujet de l'opération d'Edward. Que j'allais devoir parler seul à seul avec mon frère de ce que j'avais réalisé sur le corps de Cub.

- T'as vu, c'est super bon, hein ? commenta celui-ci avec un sourire complice en engloutissant le contenu de son bol.

- Oui, c'est bon, répondis-je en touillant mon propre mélange avec un sourire un peu distant.

Je m'étais juré de le prendre tel qu'il était tant que je n'avais pas de raison de voir en lui un ennemi, mais depuis ma découverte, j'avais du mal à ne pas laisser transparaître le malaise que provoquait chez moi de savoir que, d'une manière ou d'une autre, il avait volé les membres de mon frère. C'était incompréhensible, absurde, et surtout, profondément dérangeant comme idée.

Il faut que je lui dise, ruminai-je en regardant d'un œil sombre la cicatrice de morsure qui marquait son épaule droite, avant de réaliser qu'il portait ce matin un débardeur qui rendait parfaitement visible cette indice. Je me crispai alors. J'avais envie de lui ordonner de mettre une veste, et même s'il m'aurait sûrement obéit avec sa confiance habituelle, je n'aurai pas pu m'empêcher de me sentir coupable de le manipuler pour cacher la vérité à Edward.

A ce moment-là, je pris conscience que j'étais exactement en train de faire ce que je lui avais reproché maintes fois depuis l'accident. Cacher des choses qu'il devait savoir, par peur de sa réaction, par lâcheté. Je réalisai que dire la vérité, ce qui m'avait semblé être si simple de mon point de vue, l'était nettement moins une fois de l'autre côté de la barrière. Mais l'expérience m'avait prouvé à quel point cela pouvait être blessant de l'apprendre après coup, ou par quelqu'un d'autre. Je me jurai donc à moi-même de lui en parler au plus vite.

- Bonjour ! fit sa voix derrière moi alors qu'il entrait à son tour.

Je ne pus m'empêcher de sursauter en l'entendant entrer et mettre de l'eau à chauffer avant de s'installer en face de moi. Il lâcha un grand bâillement, et je le regardai avec un sourire forcé.

- Ah, j'ai dormi du sommeil du juste, j'aurais pu rester au lit pour toujours !

- Je comprends ce que tu veux dire, j'ai eu du mal à émerger ce matin, moi aussi. Mais il ne faudra pas en faire une habitude.

Au moins, assis en face de moi, il ne verra plus vraiment Cub.

- Pourquoi ça ? demanda-t-il en se coupant une épaisse tranche de pain pour la tartiner de beurre.

- Apparemment, Izumi a décidé de reprendre en main notre éducation, elle a parlé de nous réveiller à coup de seaux d'eau.

- Juste l'eau ou les seaux avec ? demanda-t-il ironiquement.

- Je ne tiens pas à le savoir.

- Blague à part, moi non plus, avoua-t-il. Bon, on se couchera plus tôt ce soir. De toute façon, je n'ai rien de prévu à part passer un appel en fin d'après-midi.

- Pas comme hier, donc ? fis-je d'un ton un peu piquant.

Même si j'aurai sans doute dû m'y habituer, les moments qu'il passait au téléphone avec Mustang m'agaçaient toujours autant. Enfin, qu'il l'appelle à longueur de temps, c'était déjà bizarre, étant donné tout le mal qu'il avait pu en dire. Mais ce qui m'irritait vraiment, c'était de voir avec quelle évidence il se lançait dans des aventures dangereuses comme ses expéditions au Devil's Nest, juste parce que le militaire lui avait demandé. J'avais le sentiment qu'il lui vouait une confiance aveugle, et que le Colonel en abusait à sa convenance.

Et je n'avais pas envie qu'on abuse de mon frère, de quelle manière que ce soit.

- Je peux avoir le beurre ? demandai-je, encore affamé malgré mon bol de mixture.

Dans un même mouvement, Ed et Cub attrapèrent le beurrier, leurs mains se cognant dans le mouvement. Edward baissa les yeux vers l'objet, se figea, lâchant la tasse de café qu'il tenait de la main droite, qui tomba et se reversa sur la table. Mes entrailles se vissèrent brutalement en voyant son regard interdit regarder leurs deux mains beaucoup trop symétriques, avant de remonter le long du bras de son voisin de table qui me tendait le beurre avec un large sourire. Malgré la brûlure du café qui avait trempé la nappe et mes genoux, mon dos se glaça.

Il a compris.

- Ed ? tentai-je en désespoir de cause.

Il ne me répondit même pas. Cub tourna la tête vers lui et son visage perdit toute trace de joie quand il croisa son regard brûlant de rage. Il eut un mouvement de recul effrayé, mais Edward lui attrapa le poignet en le serrant brutalement, comme pour l'emprisonner, l'obligeant à le regarder droit dans les yeux.

- Cette cicatrice à l'épaule… Comment t'est-elle arrivée ? fit-il d'une voix tellement sourde que même moi, il me mit mal à l'aise.

- Je… ne sais pas… bredouilla Cub.

- Tu ne sais pas ? Tu te ne souviens pas ? gronda-t-il.

L'enfant secoua négativement la tête, secoué de mouvements de peur, comme un animal qui aurait vouli s'enfuir mais ne n'aurait pas su par où aller. Edward l'attrapa par le col avec une telle brutalité qu'ils tombèrent tous deux à terre, et se mit à hurler.

- TU NE TE SOUVIENS PAS QU'UN RENARD A MORDU CETTE ÉPAULE, IL Y A QUATRE ANS ?

- ED ! criai-je en me levant précipitamment. ARRÊTE !

- BIEN SUR QUE NON, TU NE T'EN SOUVIENS PAS, PUISQUE C'EST A MOI QUE C'EST ARRIVE !

Je contournai la table pour les trouver tous deux à terre, mon frère à califourchon sur l'enfant Homoculus, qui se débattait désespérément pour échapper à la prise de celui qui le regardait comme s'il voulait le tuer. Edward empoigna sa jambe gauche et remonta brutalement son pantalon, révélant la démarcation de couleur de peau, exactement au même endroit que là où s'arrêtait son automail.

- ET ÇA, TU TE SOUVIENS COMMENT TU TE L'ES FAIT ? ! PARCE QUE JE VAIS TE LE DIRE !

- ARRÊTE ! ED, ARRÊTE !

- ENFOIRÉ D'HOMONCULUS ! hurla-t-il en lui jetant un coup de poing en plein visage. TU M'AS VOLE MES MEMBRES ! TU M'AS VOLE MON BRAS ! ET MA JAMBE ! COMMENT OSES-TU AGIR COMME UN GAMIN INNOCENT APRÈS CA ! TU MÉRITES DE CREVER, SALE MONSTRE !

Il avait craché sa haine en ponctuant de ses coups, lui frappant le visage et la poitrine avec une brutalité qui m'avait retourné l'estomac, et à ces derniers mots, c'est lui qui se prit un direct dans la tête. Je n'avais pas réfléchi, je paniquais moi aussi face à cette explosion de colère, aux cris d'épouvante de Cub et à ces mots qu'il n'aurait jamais dû dire.

Avec une distance horrifiée, je vis Edward voler en arrière sous un impact qu'il n'avait pas vu venir, ses yeux s'agrandissant sous le choc. Je l'avais frappé. Je l'avais frappé, lui, et j'avais protégé l'Homonculus.

Cub profita de cet instant de répit pour se faufiler hors de sa prise, rampant en arrière avec la vivacité de la terreur. Il se cogna contre le pied de la table, se retourna, et partit en courant presque à quatre pattes. En voyant ça, Edward se ressaisit, rugit de rage et partit à sa suite. Je restai quelques secondes, à genoux dans la cuisine, sonné par le choc de ce qui venait de se passer.

Ça n'aurait pas pu être pire.

Ed… Je ne pouvais pas le laisser faire, s'il le rattrapait, il pourrait le tuer. Il était fou de rage, à tel point qu'il me faisait peur. Je ne le reconnaissais plus. Malgré cette pensée qui me plombait le ventre et mes mains tremblantes, je me levai avec une précipitation maladroite et courus à sa suite, dans le couloir où je croisai une Winry sidérée, puis dans le jardin… Ce n'était pas dur de retrouver la trace de mon frère, il suffisait de suivre ses hurlements furieux.

J'arrivai à sa suite dans la rue, courus de toutes mes forces pour le rattraper et finis par sauter dessus pour le plaquer. Je me vautrai sur lui, m'écorchant de toutes parts sur le bitume, et me pris un coup dans les côtes qui me coupa le souffle. Il en profita pour se relever, mais j'empoignai sa jambe pour le faire retomber, l'empêchant de le poursuivre. Il se dégagea d'un coup de pied sans retenue et se releva de nouveau pour courir, mais sa cible était déjà hors de vue. Il continua sa course, fouillant du regard chaque croisement, et finit par ralentir en désespoir de cause, errant dans les rues, tandis que je le suivais aussi vite que me le permettait ma respiration erratique et mes membres endoloris.

- Arrête Ed, ça ne sert à rien, tu l'as terrifié !

Mon frère s'arrêta et se retourna vers moi, bien campé sur ses deux pieds, les poings serrés à s'en faire péter les phalanges, le regard rougeoyant d'une rage que je ne lui avais jamais vue. Il essuya le sang qui coulait abondamment de son nez sans cesser de me fixer comme si j'étais devenu son ennemi juré.

- Et toi, tu me donnes envie de gerber, cracha-t-il

Ça ne pouvait pas être pire.


J'étais resté figé dans la rue, écrasé par la dureté haineuse des mots de mon frère et la situation catastrophique, jusqu'à ce que Winry et Izumi nous rejoignent en courant et nous ramènent, presque de force, en nous ordonnant de leur expliquer ce qui s'était passé. Contrairement à ce à quoi je m'attendais, Winry resta avec Edward, et se fut moi qui me retrouvai face à Izumi, qui me fixa de ses yeux sombres en me demandant de raconter ce qui s'était passé exactement.

- Je… pourquoi vous me demandez à moi ? fis-je d'une voix un peu noyée par le désarroi. D'habitude, c'est à Edward qu'on demande les explications.

- Je verrai ça avec lui quand il aura cessé de se comporter comme une bête sauvage.

La dureté de ses mots m'effraya et me rassura à la fois. Je n'étais donc pas le seul à avoir été choqué de la violence de sa réaction. Je déglutis et expliquai en peu de mots comment Edward avait compris que Cub portait ses membres, et comment il était entré dans une colère noire. Sans le dire explicitement, je laissai deviner à ma manière de parler que je l'avais compris depuis un moment.

- C'était donc ça, murmura-t-elle, comprenant à son tour pourquoi l'enfant semblait avoir une silhouette aussi déséquilibrée. Mais comment est-ce possible ?

- C'est à moi que vous demandez ça ? répondis-je avec un pauvre sourire.

- Désolée, souffla-t-elle.

Il y eu un silence pesant, où j'entendis le murmure de la voix de Winry filtrer à travers le mur. Elle devait être en train de le soigner.

- Il faut le retrouver, fit Izumi d'une voix raffermie. On ne peut pas le laisser partir comme ça, on ne sait pas ce qui peut lui arriver, sur qui il peut tomber… Il faut corriger le tir.

- Edward s'en est fait un ennemi, je ne sais pas si on pourra corriger ça un jour, chuchotai-je.

J'étais horrifié de découvrir autant de haine chez mon frère, et de voir tous mes efforts pour approcher l'Homonculus et le mettre en confiance, sans doute réduits à néant par son agression. Pire que tout, il m'avait terrifié. Durant ces quelques secondes, j'avais cru voir en lui un meurtrier. En voyant son regard, je n'avais pas pu m'empêcher de me dire qu'il aurait vraiment pu le frapper à mort, et cette idée me glaçait le sang.

Est-ce que je vais encore pouvoir le regarder en face après ça ?

- Approche, qu'on te désinfecte ces plaies, fit Izumi d'une voix douce. Après, on partira à sa recherche.

Je hochai la tête, la gorge nouée, au bord des larmes. Ce n'était pas tant la douleur de mes blessures, mais le souvenir du regard de mon frère. Un regard haineux, rempli d'une rage d'animal blessé. Il avait réagi comme un chien enragé, mais s'il m'avait parlé comme ça, ce n'était pas à cause du coup de poing que je lui avais envoyé en plein visage… C'était parce qu'il avait compris que je savais déjà que Cub portait ses membres, et que c'était pour lui la pire des trahisons de ne pas le lui avoir dit.

Izumi me soigna sans un mot de plus, puis me demanda de sortir pour qu'Ed vienne parler à son tour. Il me croisa sans m'adresser un regard, me portant un nouveau coup au moral. Même l'air compatissant de Winry ne pouvait rien pour moi.

- Ça va ?

Je lâchai un petit rire nerveux, tant la question me paraissait naïve de sa part.

- Ça pourrait difficilement être pire, comme situation, mais on va faire avec, hein ? fis-je dans un mélange de sourire et de larmes.

En voyant le chaos qui m'habitait, elle ouvrit les bras, m'invitant à la rejoindre, et je m'y nichai, me laissant aller à pleurer silencieusement. Elle m'enveloppa doucement, me berçant presque.

- Tu le savais, n'est-ce pas ? souffla-t-elle. C'était de ça dont tu voulais parler l'autre fois.

- Oui, murmurai-je d'une voix nouée. Mais je n'ai pas pu lui dire à temps. Je n'ai pas osé…

- Je comprends, souffla-t-elle d'une voix apaisante. Quand on voit sa réaction…

Je refermai mes bras dans son dos, me raccrochant à ses vêtements, tellement débordé par mes sentiments que je n'arrivai plus à avoir honte de me montrer aussi faible et geignard devant elle.

- Je suis… le pire des minables… murmurai-je.

- Mais non.

- Si. J'ai tout foiré. Il ne voudra plus jamais me parler après ça.

- Mais si… il reste ton frère, tu sais.

- Ça ne changera rien. Je suis impardonnable.

- Ce n'est pas vrai…

Je me mordis la lèvre. Elle ne me ferait pas changer d'avis, autant me taire.

Autant fermer les yeux et profiter de sa présence, de la chaleur de sa peau, de la douceur de sa poitrine contre moi…Je réalisai que sous son pyjama, je ne sentais pas de soutien-gorge, et celle idée provoqua en moi une explosion de chaleur.

À quoi je pense moi ?!

Je rouvris les yeux dans un sursaut, me mettant à rougir violemment. Cette réflexion n'avait rien à faire là à un moment pareil, et à l'idée qu'elle puisse deviner ce qui se passait dans ma tête, je me sentis mortellement embarrassé. Pour autant, je n'avais pas envie de m'écarter d'elle. J'étais trop bien dans ses bras. C'était presque une drogue.

Sauf que là, soudainement très intensément conscient de son corps que j'avais envie de serrer encore plus fort, et de couvrir de caresses, j'avais tout à coup très, très chaud. Pour ne rien arranger, une certaine partie de mon anatomie se réveilla, achevant de me couvrir de honte. Dès que je m'en rendis compte, je m'écartai en tâchant d'avoir une expression aussi neutre que possible, espérant qu'elle n'ait pas eu le temps de remarquer quoi que ce soit. Il n'aurait plus manqué que ça.

- Al ? fit Winry, surprise que je m'écarte aussi vivement.

- Ça va, ça va mieux. Ça va aller, bredouillai-je très maladroitement le visage encore couvert de larmes. Je… Je vais préparer à manger, il vaudra mieux avoir à manger pour nos recherches, on ne sait pas combien de temps ça va durer.

- Tu veux de l'aide ?

- Non, ça ira, il faut que tu te prépares.

Sans consolider cette excuse bancale, je filai hors de la pièce en espérant qu'elle n'ait remarqué ni la brûlure de mes joues, ni le renflement honteux de mon pantalon.

- Non, non, non, qu'est-ce que je fous ? murmurai-je pour moi-même avec la précipitation de l'embarras.

J'avais passé ces derniers mois à me plaindre d'être coincé dans mon statut de gamin amnésique, coincé dans un corps trop jeune… mais maintenant que j'avais la preuve que je n'étais plus totalement un enfant, j'en vins à le regretter. Comment réagirait-elle en découvrant que j'avais ce genre d'arrière-pensées ? Elle se moquerait de moi, serait dégoûtée, ou au mieux, terriblement gênée.

Elle cesserait sûrement de me serrer dans ses bras durant les coups durs. Parce qu'elle, elle aimait Edward, n'est-ce pas ?

Bon sang, on a un Homonculus traumatisé en fuite, Ed me déteste, et tout ce à quoi je peux penser maintenant, c'est mes peines de cœur ? ! Mais quel abruti !

Je rassemblai précipitamment sur la table des pommes, du pain, du fromage, coupai une demi-douzaine de tranches de jambon fumé à la trancheuse, cherchai, rinçai et remplit les trois gourdes que possédaient Izumi et Sig, en essayant de repousser le torrent de questionnements et d'angoisses qui m'assaillaient, ainsi que les sensations tout à fait concrètes de mon entrejambe qui tardaient à disparaître. Au moins, cette effervescence me permettait de décharger un peu de ma tension. Au fil des minutes, je me sentis un peu mieux, me disant qu'au moins, ce que je faisais n'était pas parfaitement inutile.

Quand Izumi et Winry arrivèrent dans la cuisine, j'étais en train de chercher des sacs où mettre les provisions, et j'avais à peu près retrouvé mes esprits.

- Tu es prêt à partir ?

- Oui, répondis-je, en mettant les victuailles dans le dernier sac, levant les yeux vers elles et remarquant que mon frère n'était pas avec elles.

- Edward ne vient pas ?

- Comment penses-tu que Cub réagirait en le voyant ? Tu crois vraiment qu'il pourrait le ramener ? répliqua Izumi d'un ton sévère. Il ne l'a pas très bien pris, mais je lui ai ordonné de rester ici. Sig s'occupe de la boutique, et on a besoin de quelqu'un que l'on puisse contacter au fur et à mesure de nos recherches. Ça lui donnera le temps de réfléchir au calme.

- Comment on s'organise ? demanda Winry tandis que je lui tendis l'un des sacs que j'avais préparés.

- Une personne fait le Nord-Ouest de la ville, une le Sud, et une troisième explore la campagne aux alentours, répondit Izumi. On demande à tous les gens qui nous tombent sous la main s'ils ne l'ont pas vu, et on fait un point toutes les heures en appelant à la boutique.

- Ok. Ça vous va si je prends l'Est ?

- Winry, on te laisse le Sud de la ville ?

- D'accord.

- Bon, je prends le Nord-Ouest, conclu Izumi. Allez, on a assez traîné, on y va. Il est déjà onze heures !

Après un rapide hochement de tête, nous sortîmes par le jardin, arrivant dans la rue. Un dernier signe de main, et chacun partit de son côté, la mine sombre, le pas énergique, espérant ne pas avoir à répondre à cette question pressante.

Qu'allions-nous faire si nous ne le retrouvions pas ?


Allô ?

Allô ? grogna Edward à l'autre bout du fil.

Je sentis ma gorge se nouer. L'avoir comme interlocuteur était une épreuve après la scène de ce matin, mais nous n'avions pas d'autre choix que de surmonter ça pour retrouver Cub. Même si je n'avais aucune idée de ce que nous ferions après.

Plusieurs personnes l'ont vu, apparemment, il se dirigeait vers le lac. Du coup, je vais continuer à chercher par là. Tu pourras prévenir Izumi et Winry.

Winry a déjà fait demi-tour, le quartier sud est bouclé à cause de l'attaque du Devil's Nest.

Ok. J'appelle quand j'ai du nouveau.

Il ne répondit pas, et je finis par raccrocher avec un sentiment de malaise. Il transmettait l'information du bout des lèvres, mais je sentais bien à son ton froid que la hache de guerre était loin d'être enterrée… Quand je voyais nos disputes, j'en venais à me demander comment nous avions pu être si proches par le passé.

- C'est bon, vous avez pu passer votre appel ?

- Oui madame, merci beaucoup ! répondis-je poliment.

Mon interlocutrice, une vieille femme toute osseuse et tachetée, sourit d'un air encourageant.

- Allez, ça va aller jeune homme ! Je suis sûr que vous allez le retrouver.

Je jetai un coup d'oeil dehors, ou la pluie tombait à torrents. Je cherchais depuis des heures et ne sentais plus mes pieds, et à l'idée de devoir ressortir chercher à la nuit tombante, trempé jusqu'à l'os, me décourageait pas mal. Mais maintenant que j'avais une piste, je ne pouvais pas abandonner. Je me représentai l'enfant Homonculus, roulé en boule parmi les hautes herbes, tremblant de peur et de froid, et ma résolution se raffermit un peu plus.

- Tenez jeune homme, prenez ça ! fit la dame en me tendant un ciré beaucoup trop grand pour moi et une lampe torche. Vous allez en avoir besoin, vu le temps. N'hésitez pas à revenir si besoin, le temps de vous sécher et de vous réchauffer.

- Merci beaucoup ! fis-je en m'inclinant. Je vous les ramènerai sans faute !

La femme sourit et m'adressa un signe de main tandis que je traversais le couloir pour ressortir, en enfilant le ciré qui me tomba presque aux genoux, la lampe coincée entre les dents. En arrivant sur le seuil, j'eus la surprise d'y trouver un attroupement de silhouette encapuchonnées.

- Hé, c'est toi qui cherches le gamin perdu ? s'exclama un homme.

- Oui, répondis-je.

- On vient t'aider. S'il est allé près du lac, il a peut-être eu des problèmes.

Mon estomac se tordit. Je n'avais pas pensé à ça. De ce que j'avais pu voir, Cub était plutôt bon nageur quand il n'était pas pris de paresse… S'était-il mis en tête de retourner seul sur l'île de Yock ?

C'était une idée dangereuse, mais ô combien probable ! Après tout, avant que nous le recueillions, ce lieu était ce qui se rapprochait le plus d'un foyer.

- Il faut que j'aille sur l'île de Yock, fis-je à l'home qui m'avait parlé.

- Eh ? Tu penses qu'il y est allé à la nage ?!

- Je pense qu'il a au moins essayé, répondis-je en m'assombrissant, incapable de dissimuler mon inquiétude.

Et là, Edward aurait sans doute craché qu'en tant qu'Homonculus, Cub ne risquait pas grand chose. Je chassai cette image haïssable de mon frère. Ce n'était pas de cette manière que je voulais penser à lui.

- Abruti de gamins, pesta l'homme entre ses dents, plus par inquiétude que par antipathie. Vous trois ! Fouillez les rives d'ici au ponton ! Vous quatre ! Prenez l'autre côté ! Les autres ! On va aux barques !

Je regardai l'homme avec une admiration reconnaissante. C'était le genre de personnes calmes et remplies d'une autorité naturelle, auprès desquelles on se dit que tout va bien se passer.

Je me retrouvai donc à l'avant d'une barque, éclairant la surface noire du lac, guettant une silhouette inanimée, le ventre un peu noué tout de même à l'idée de la trouver, voyant ça et là aux alentours, le faisceau d'autres lampes trancher l'obscurité striée de gouttes de pluies. La surface de l'eau, habituellement lisse et molle, était presque grumeleuse sous la pluie qui la criblait de multiples remous. Mais où que j'éclaire, aucune silhouette ne se dessinait. J'éternuai bruyamment, manquant de faire tomber la lampe par dessus-bord, et la rattrapai précipitamment.

J'étais sans doute ridicule dans cet immense manteau, qui me tombait sur les yeux, et dont j'avais dû replier deux fois les manches pour pouvoir revoir le bout de mes doigts. L'eau coulait du bord de ma capuche sur mon nez, plus par filet que par gouttes, puis trempait mes genoux. L'humidité s'infiltrait de toutes parts, aidé par le vent froid, et même si je n'étais pas dehors depuis longtemps, je grelottai déjà. L'homme la barre avisa mes pieds. Dans ma précipitation, j'étais parti en sandales, sans me douter qu'un orage allait nous tomber dessus dans l'après-midi.

- Ça va ? Tu va chopper la crève, aussi mal couvert.

- Une douche bien chaude et un grog en rentrant, et je serai comme neuf, répondis-je d'un ton assuré.

- Je l'espère pour toi.

Le silence criblé de pluie repris, avec cette question. La nuit était tombé, il faisait un temps à ne pas mettre un chien dehors, et cela durerait sans doute toute la nuit. Ne faudrait-il pas, si je ne le retrouvais pas sur l'île, admettre ma défaite et rentrer bredouille ? A quel moment j'étais censé abandonner et attendre qu'il fasse de nouveau jour ? J'avais le sentiment que, comme j'avais provoqué cette situation désastreuse, c'était mon devoir de la résoudre.

- Il est bon nageur ton camarade ? fit l'homme d'un ton bourru.

Je hochai la tête d'un signe affirmatif. Bon, je ne savais pas à quel point, mais il était nettement meilleur que moi.

- Traverser le lac à la nage, il faut être un peu givré. Par ce temps, je ne m'y risquerai pas, grommela-t-il.

- Il ne faisait peut-être pas ce temps-là quand il s'y est lancé, répondis-je. On le cherche depuis ce midi…

- Vu comme ça…

De nouvelles minutes de silence, passées à scruter ce monde noir et jaune, haché par la pluie, puis, enfin nous accostâmes. Je bondis à pieds joints dans le haut-fond, considérant que j'étais tellement trempé que je ne sentirais pas la différence. Il s'avéra que si, l'eau glacée m'électrisa et un frisson couru le long de ma colonne vertébrale.. Je courus aussitôt sur la rive, appelant Cub de tous mes poumons en tâchant d'ignorer que mes orteils me brûlaient de froid.

La plage, les hautes herbes… Je commençais à bien connaître cette île, à force d'y venir. Je me figeai à l'orée de la forêt, braquant ma lampe partout où je pouvais, sans le voir nulle part.

Si j'étais lui, à sa place, qu'est-ce que je ferais ?

Je chercherais l'endroit le plus familier, le plus réconfortant possible.

- Je sais ! m'exclamai-je avant de m'engouffrer dans la forêt, entendant le cri de l'homme resté à amarrer le bateau.

Lui au moins était censé. Il n'aurait plus manqué que ça, que notre embarcation soit embarquée à la dérive et qu'on se retrouve coincés ici !

- Je ne suis pas loin, je commence à chercher sur le trajet que je pense qu'il a pris ! répondis-je en criant pour couvrir le vacarme de la pluie et du vent.

Joignant le geste et la parole, je commençai à m'enfoncer dans la forêt, en prenant le temps d'éclairer partout où je pouvais pour vérifier qu'il n'était pas au alentours. Très vite, je remarquai des branches cassées, des traces de pas manifestement humaines dans la boue. Le coeur battant, j'accélérai le pas, après avoir vérifié que l'homme me suivait.

Et à cet instant, une question terrible me frappa. Et si Edward avait raison ? Si Cub était en fait un Homonculus comme les autres, qui jouait un rôle pour mieux nous amadouer ? Presque seul, épuisé et trempé jusqu'à l'os, je faisais une cible idéale… S'il décidait de me combattre, il ne ferait sans doute qu'une bouchée de moi. Occupé à le chercher, je n'avais à aucun moment pensé que je me mettais peut-être en danger.

Non. pensai-je fermement. Enfin, peut-être. Peut-être qu'au bout du compte, c'est un ennemi. Mais je ne le crois pas, et je l'ai toujours traité amicalement, je ne vais pas changer maintenant et l'abandonner à son sort.. Je vais faire le pari de croire en lui, en son innocence.

- Tu as l'air de savoir où tu vas, commenta l'homme, qui peinait à me suivre.

Sans parler, je lui désignait de la main les traces de pieds nus qui s'enfonçaient dans la boue.

- Ah.

La forêt nous isolait un peu du vent, et résonnait de milliers de cliquetis des gouttes tombant de feuille en feuille. Dans ce demi-silence, mes cris résonnaient d'autant plus.

- Cub ! Cuuuub !

Et là, un sursaut. Je me figeai, ayant repéré un mouvement, et ma lampe torche revint en arrière, révélant une silhouette roulée en boule sous un tronc d'arbre déraciné. Je me précipitai vers elle, reconnaissant l'Homonculus dans cette crinière noire et mêlée de saleté. Il tenta de reculer en me voyant approcher, et se cogna contre l'arbre avec la maladresse de la peur.

Je m'accroupis près de lui, lui coupant la route sans non plus me précipiter vers lui. Il était manifestement complètement paniqué, et épuisé.

Cub, c'est moi, Al, fis-je d'une voix douce.

Il se figea, montrant qu'il m'entendait.

- Je suis désolé pour ce qui est arrivé ce matin. Edward s'est comporté de manière monstrueuse avec toi. Je suis désolé qu'il t'ait frappé…

Il se déroula légèrement, juste assez pour pouvoir me regarder. Son visage était couvert de sang, mais indemne. Ses yeux violets était grand ouverts, hébétés et encore un peu effrayés.

- Mais maintenant, il s'est calmé, il ne te frappera plus. Et même s'il essayait, je ne le laisserais pas faire.

- … Promis ?

- … Promis, murmurai-je. Allez, viens, on rentre à la maison, fis-je en lui tendant la main.

C'était un raccourci facile, la demeure des Curtis n'était ni mon foyer, ni le sien, mais la phrase sembla lui parler. Il se déplia un peu plus, et je vis qu'il tremblait de tous ses membres. Moi-même, j'avais du mal à ne pas claquer des dents. Il faisait vraiment de plus en plus froid. Comme il hésitait encore à s'approcher, je continuai à l'encourager.

- Allez, viens, Izumi, Sig et Winry nous attendent. On pourra se sécher, prendre un bain chaud, et manger. Et après, dormir dans un vrai lit.

- Vraiment ?

- Vraiment.

Cub fit un geste pour se rapprocher de moi, montrant que j'avais réussi à le décider, mais il s'était à peine redressé qu'il tomba à genoux dans la boue. Ses jambes ne le portaient plus.

Il était épuisé à ce point. Je me tournai vers l'homme qui m'accompagnai, qui hocha la tête.

- Je n'arrive plus à marcher, gémit l'enfant.

- On va te porter, d'accord ? Lui, il est comme Sig. Il ne parle pas beaucoup, mais il est fort et gentil. Il va te porter, d'accord ? On va rentrer en bateau, et attendre dans une maison pas très loin d'ici qu'Izumi vienne nous chercher. C'est chez une dame très gentille, elle m'a prêté cette lampe et ce manteau, elle m'a aidée à te retrouver.

En disant cela, j'avais enlevé le vêtement pour le lui enfiler, espérant le réchauffer un peu. Il était dégoulinant, mais au moins, cela le protégerait un peu du vent, même si en l'enlevant, je sentis mon dos griffé par le froid, et mes dents claquèrent au point que ça en était douloureux. Mes tremblements violents gênaient mes gestes, mais malgré tout, je tenais encore debout, ce qui n'était plus son cas. L'homme haussa un sourcil mi-impressionné, mi-inquiet en me voyant faire. L'enfant tremblotant hocha la tête pour montrer qu'il était d'accord avec tout ce que j'avais dit et se laissa faire quand la silhouette de notre sauveur se pencha sur lui pour soulever de terre. Les bras et jambes ballants, la tête roulant contre sa poitrine, il ressemblait presque à une poupée de son. Dodelinant d'épuisement, les yeux mi-clos, il m'adressa une dernière question.

- ...C'est vrai ?

- De quoi ?

- Ce qu'Edward a dit, c'est vrai ?

- Je ne sais pas, répondis-je après un moment d'hésitation tout en me frottant vigoureusement les avant-bras dans l'espoir de me réchauffer un peu. Mais nous chercherons la vérité ensemble. Pour l'instant, ne t'en fais pas pour ça, d'accord ? fis-je en posant une main rassurante sur sa tête. Garde tes forces pour notre retour.

Il hocha mollement la tête, les yeux dans le vague, au bord de l'inconscience.

- Il faut qu'on se dépêche de le ramener au sec, commenta l'homme. Il va attraper la mort sinon. Et toi aussi, d'ailleurs.

- Oui, admis-je en me frottant les avants bras dans une tentative de me réchauffer, secoué de tremblements violents. Je crois que cette fois, c'est fichu, même avec un grog, je serai malade ! ajoutai-je avec un peu d'humour.


Après cela, nous étions revenus sans dire un mot jusqu'à la maison de la vieille dame. En nous ouvrant la porte, elle nous avait hâtivement fait rentrer, barrant la route aux éléments tourmentés. Une fois dans le couloir vivement éclairé, grelottant de froid, je sentis enfin le soulagement m'envahir. J'avais réussi. Je l'avais retrouvé et ramené avec moi. J'en étais à peu près là de mes pensées quand une épaisse serviette me tomba dans les bras. La femme s'était précipitée vers Cub, silhouette inconsciente dans les bras de l'homme. Lessivé par les éléments, il semblait plus frêle que jamais.

Mes pauvres enfants, murmura-t-elle en posant une main sur le front de Cub, une autre sur le mien. Vous êtes dans un état ! Thomas, frictionne-le pendant que je fais couler de l'eau chaude. Il est froid comme la pierre, j'espère qu'il ne sera pas trop malade. Quand à vous, jeune homme, vous devriez vous sécher et vous changer sans attendre. J'ai sorti des vêtements que j'ai mis dans la cuisine, ça risque d'être grand, mais si ça peut vous éviter une pneumonie…

Je hochai la tête.

Merci infiniment pour tout ce que vous faites pour nous, soufflai-je, presque gêné face à toute l'énergie qu'elle consacrait à nous aider. Mais avant cela, je devrais prévenir les autres que je l'ai retrouvés. Puis-je emprunter votre téléphone de nouveau ?

Bien sûr, bien sûr, allez-y ! s'exclama-t-elle avant de disparaître dans le couloir, sans doute pour aller dans sa salle de bain.

Je retirai ma chemise et la laissai pendre dans l'entrée. Le vêtement était tellement imbibé d'eau qu'il commença aussitôt à goutter. Je me séchai rapidement le haut du corps avant de m'envelopper dans la serviette pour me réchauffer un peu. J'avançai dans le couloir en direction du téléphone, laissant une flaque à chaque pas sur les tomettes de l'entrée.

Je dus m'y reprendre à deux fois pour composer le numéro à cause des tremblements incontrôlables de mon corps et de mes mains engourdies, et jetai un coup d'oeil inquiet à Cub, que l'homme avait déshabillé et frottait vigoureusement dans un immense drap de bain, s'arrêtant de temps en temps pour lui souffler dans le dos à travers le tissu.

- Allô, boucherie Curtis ? fit la voix de Winry.

- Winry, c'est Al ! On l'a retrouvé ! m'exclamai-je.

- Il l'a retrouvé, cria-t-elle à l'intention de ceux qui devaient être autour. Je suis soulagée que tu appelles, on commençait à s'inquiéter sérieusement pour toi, on n'avait pas de tes nouvelles depuis plus de deux heures, et vu le temps…

- J'avoue, je suis lessivé, fis-je en me doutant qu'elle avait remarqué que je ne pouvais pas m'empêcher de claquer des dents.

- Vous êtes où, là ?

- Chez une dame qui nous a accueillis, mais je ne connais pas son nom…

- Svena, répondit l'homme, en s'immisçant dans la conversation. On est au 15, allée de la Jetée.

- Merci ! répondis-je avant de répéter les informations à Winry.

- Apparemment, Izumi voit où c'est, elle vient vous chercher avec la camionnette. Restez au chaud en attendant.

- Avec plaisir, grelottai-je.

Je raccrochai, et me frottai de nouveau, encore gelé par le froid.

- Le bain est prêt ! annonça la femme - Svena - en passant la tête à l'angle du couloir. Tu me l'amènes, Thomas ?

L'homme hocha la tête et souleva son précieux paquetage pour la rejoindre, laissant de grandes traces de boue dans le couloir.

- Et vous, changez-vous ! Vous tenez tant que ça à attraper la crève ?

Elle disparut dans attendre ma réponse, et je ne pus m'empêcher de sourire. Ce mélange de politesse et de familiarité était touchant.

Seul dans le couloir, je retirai mes chaussures et mon pantalon, me retrouvant en caleçon, et m'enveloppai dans l'énorme serviette. J'étais peut-être ridicule, mais au moins, ce serait ça de moins à nettoyer pour notre hôtesse improvisée. Un peu réconforté par cette idée, je me dirigeai vers ce qui devait être la cuisine, et trouvai sur une chaise une épaisse chemise de laine à carreaux orange et verts et un pantalon en velours côtelé. C'était criard, vieillot et beaucoup trop grand pour moi, mais l'intention était louable, et au moins, je serais au sec.

Je cherchai un peu pour trouver les toilettes, retirai mon caleçon pour l'essorer au dessus de la cuvette, puis le séchai autant que possible en le tamponnant avec la serviette avant de le remettre, un peu à contrecoeur. J'enfilai la chemise, qui me tomba aux genoux et me réchauffa immédiatement, et en remontai les manches avant de mettre le pantalon qui était tout simplement immense. Même la braguette fermée, j'étais obligé que le tenir pour qu'il ne me tombe pas aux chevilles. Je retirai ma ceinture de cuir détrempé l'essuyai avec la serviette maintenant très humide avant de la mettre pour maintenir le pantalon qui fit de grands plis ridicules à la taille. Puis je me penchai pour replier l'ourlet jusqu'à ce que je retrouve mes pieds. Voilà, à défaut d'être présentable, j'étais — approximativement — sec.

Je repassai dans la cuisine, où Thomas, qui manifestement connaissait bien les lieux, avait mis de l'eau à bouillir, puis avançai vers la salle de bain, poussant la porte d'un geste hésitant.

La chaleur moite de la pièce me sauta au visage, et je vis la femme, penchée sur Cub qui flottait dans une eau fumante, à la propreté douteuse. Il avait les lèvres bleuies de froid.

- Comment va-t-il ? demandai-je d'un ton inquiet.

- Ça devrait aller, il se réchauffe bien, fit-elle en posant une main sur son front. Par contre, il est manifestement épuisé.

- Ça ne m'étonne pas, répondis-je simplement.

- Il est allé jusqu'à Yock à la nage, expliqua l'homme.

- Mais quelle idée ! Et vous, ça va mieux ?

- Oui. Merci pour les vêtements.

Le froid me collait encore à la peau, mais j'avais cessé d'avoir la chair de poule et de trembler convulsivement, ce qui n'était déjà pas mal.

Au bout d'un moment Svena et moi le sortîmes de l'eau, le séchâmes avant de lui enfiler une chemise au moins aussi laide que celle que j'avais sur le dos et de l'envelopper de plusieurs couches de couvertures, parmi lesquelles la femme glissa une bouillotte. Il remua mollement, nous regardant d'un air vague, et se détendit en me reconnaissant. Svena tendit la main vers le tas de couverture, m'incitant à me couvrir davantage, moi aussi.

- Tu te sens mieux ? demandai-je.

Il hocha la tête, et je souris, un peu rassuré.

Tout le monde se retrouva dans la cuisine, attablé devant une tasse d'infusion de thym qui nous réchauffa de l'intérieur. Cub était si abondamment empaqueté qu'on aurait dit que c'était les couvertures qui le maintenaient assis. Et pour être honnête, vu son état, il y avait des chances pour que ce soit réellement le cas.

Bientôt, les graviers de la cour crissèrent sous les roues de la camionnette frigorifique, et Izumi toqua à la porte. Après quelques minutes de discussions émaillées de remerciements, elle souleva Cub pour l'amener jusqu'au camion, protégé par le gigantesque parapluie que je tenais au-dessus de nous. Un dernier geste de main, et nous étions dans la voiture, Cub ceinturé sur le siège central, Izumi et moi de part et d'autre, les essuie-glaces battant énergiquement pour chasser la pluie.

- … Comment va Edward ? demandai-je d'un ton hésitant.

- D'après toi ? murmura-t-elle.

- Mal ?

- A peu près. Depuis le retour de Winry il s'est enfermé dans sa chambre et ne nous répond plus.

Je hochai la tête. Ça ne m'étonnait pas étant donné choc qu'il avait dû vivre. Ce n'était pas juste une situation horrible de découvrir que ses membres étaient accrochés au corps de quelqu'un d'autre… C'était inexplicable, incompréhensible, et cela rentrait en contradiction avec tout ce que nous connaissions de l'alchimie. Une véritable trahison.

Et le coup de poing que je lui avais asséné en était une deuxième, tout aussi brutale. J'avais pris le parti de Cub plutôt que le sien. Je n'étais pas sûr qu'il me le pardonne, même si je n'arrivais pas à regretter complètement mon geste. Les conséquences de mon inaction auraient sans doute été plus graves encore…

La camionnette s'engagea à reculons dans le garage, et, une fois le contact coupé, Izumi en sorti Cub avec d'infinies précautions : il s'était profondément endormi pendant le trajet. Je lui ouvris la porte de la maison, et Winry me tomba dans les bras, me serrant de toutes ses forces contre elle.

Je restai dans le couloir, rouge et silencieux, tandis qu'elle s'exclamait qu'elle s'était fait un sang d'encre et que par ce temps, j'allais chopper la crève. Elle n'avait pas tort, je me sentais déjà fiévreux. Izumi me laissa aux prises avec elle et monta directement coucher notre protégé, et il fallut un certain temps avant que Winry me lâche. Je n'allais pas me plaindre de cette marque d'attention, cela compensait un peu l'absence inquiétante d'Edward.

J'en étais là de mes réflexions quand elle me détailla de haut en bas, les yeux ronds, avant d'éclater de rire.

- Al, c'est quoi ces fringues ? ne put-elle pas s'empêcher de demander, se moquant ouvertement de moi.

Je rougis, piqué au vif, mais en même temps, son rire faisait du bien après cette journée angoissante.

- La vieille qui nous a accueillis nous a prêté des couvertures et des vêtements secs. J'ai fait avec ce que j'avais, grommelai-je.

Winry était encore en train de pouffer de rire quand Izumi redescendit, mettant un terme à l'interlude.

- Il faut qu'on parle, fit-elle.

- Oui, répondis-je.

- Je sais que Dante est rentrée de voyage hier… J'hésitais encore à lui parler de tous les événements, mais là, la situation me dépasse complètement. Je ne vois qu'elle pour nous donner des pistes sur ce qui concerne Cub et les Homonculus en général.

Je hochai la tête. C'était censé.

- Nous irons la voir demain, d'accord ? fit-elle d'une voix dont la douceur ne dissimulait pas l'inquiétude. J'espère que d'ici-là, Edward acceptera de nouveau de nous parler.

- Ça ne lui ressemble pas de s'enfermer comme ça, murmura Winry. J'espère qu'il ne pense pas à faire une bêtise.

Je hochai la tête, un peu inquiet moi aussi, même si je n'arrivais pas à voir quel genre de bêtise il aurait pu faire.

- Tu ne veux pas aller lui parler ? demanda-t-elle d'un ton encourageant.

- Moi ? Je pense que je suis l'avant-dernière personne qu'il veut voir aujourd'hui, juste derrière Cub, fis-je avec une lucidité pleine d'ironie.

La sonnerie du téléphone résonna dans le couloir. Tout le monde tourna la tête. Il était près de minuit, qui avait l'idée d'appeler à une heure pareille ? Au bout de deux sonneries, Izumi franchit la distance qui la séparait de l'appareil et décrocha.

- Allô, Boucherie Curtis ?

Je n'entendis pas la réponse, devinant simplement une voix masculine, mais je vis très clairement son expression se fermer comme un rideau de fer. C'est d'un ton glacial qu'elle répondit.

- Je vais le prévenir, mais je ne suis pas sûr qu'il réponde.

Elle posa la main sur le combiné, puis, les sourcils froncés d'une colère contenue, m'interpella.

- C'est le Colonel Mustang.

Je compris alors pourquoi elle s'était rembrunie de la sorte, elle qui détestait l'armée. Pour ma part, j'étais surtout interloqué de le voir appeler à une heure pareille. Il ne savait sans doute pas à qui il s'adressait. S'il avait été face à elle, elle l'aurait sans doute chassé de la boutique à coup de pieds au cul.

- Je… Je vais le prévenir, bafouillai-je avant de me précipiter vers l'escalier.

Je montai les marches quatre à quatre, arrivai à sa porte, toquai sans réponse, et repris mon souffle quelques secondes.

- Edward… C'est Al, fis-je d'une voix hésitante. Je...

J'aurais voulu trouver les mots pour l'amadouer, reprendre contact, réparer le gouffre qui nous séparait depuis ce matin. Mais si j'avais su comment parler à Cub, je me rendis compte que face à lui, j'étais totalement démuni. Ce silence était bien trop épais pour que je puisse le traverser.

Mais ce n'était pas pour ça que j'étais venu.

- Le Colonel Mustang a appelé, fis-je avec raideur.

Je ne savais pas comment le dire autrement, mais c'était extrêmement pompeux. J'avais l'impression d'être un serviteur faisant une annonce à son maître, et c'était franchement désagréable. Je restai devant la porte, mal à l'aise face au silence qui semblait perdurer.

Aussi sursautai-je quand la porte s'ouvrit brusquement, dévoilant la silhouette d'Edward. Il me regarda de l'œil vide de celui qui avait été tellement secoué que sa sensibilité avait reflué, puis, après quelques secondes de silence, détourna les yeux et descendit les escaliers d'un pas rapide, un peu mécanique. Je le suivis, le cœur lourd d'une peine ombrageuse.

Il ne répondait ni à moi, ni à Winry, ni à Izumi… mais un mot à propos de son supérieur hiérarchique et il sortait de sa tanière pour aller lui parler ?! L'injustice était criante, et je me sentis me remplir de colère. Comment était-ce possible, après tout le mal qu'il en disait, qu'il soit aussi docile ?! Je ne comprenais pas et, une fois n'était pas coutume, ne pas comprendre me rendait profondément furieux.

Je le vis, de dos, prendre le combiné qu'Izumi lui tendait avec un regard aussi noir que s'il avait invité des cafards dans la maison. Le dos voûté par les regards insistants, il répondit avec une gêne palpable.

- Allô, Colonel ? fit-il d'une voix rauque. Ça… ça va. Oui… Désolé de ne pas avoir appelé, mais… Il y a eu des imprévus… Non, rien à voir avec l'armée… Je ne sais même pas comment s'est passé l'assaut…

Edward marmonnait à voix basse, le regard fuyant l'attention brûlante de ceux qui l'entourait, rougissant violemment. Devoir lui répondre sous les yeux de ceux à qui il refusait de parler depuis des heures avait quelque chose d'une humiliation.

- Colonel… Je peux vous rappeler ? Oui. Dans quelques minutes.

Il raccrocha dans un silence pesant, puis se tourna vers Izumi, sans la regarder dans les yeux toutefois.

- Maître, vous permettez que je l'appelle depuis la boutique ? souffla-t-il d'un ton peu fier. Je voudrai lui parler en privé.

La grande brune resta silencieuse, l'œil ténébreux, la bouche pincée. Puis, après quelques secondes d'attente, elle hocha la tête à contrecœur en signe d'accord.

- Merci, murmura-t-il avant de faire demi-tour, passant entre Winry et moi sans lever les yeux vers nous.

Je le suivis du regard jusqu'à ce que la porte de la boutique se referme sur lui, et restai là quelques instants, comme si j'espérais encore que la scène que je venais de vivre était une illusion.

Il refusait de nous parler, puis s'enfermait pour discuter avec lui ?! Cette idée me fit bouillir d'une jalousie mêlée d'angoisse. Comment pouvait-il préférer parler à un supérieur hiérarchique moqueur, hautain et sadique, plutôt qu'à moi, son frère ? Il me détestait donc à ce point ?

- J'espère que ce n'est pas Edward qui lui a donné notre numéro, je n'ai pas envie que l'armée appelle à n'importe quelle heure du jour et de la nuit.

Nous restâmes quelques minutes dans le silence lourd de questions, avant qu'Izumi claque dans les mains comme pour rompre la morosité de sa dernière phrase.

- Quoi qu'il en soit, rester planter là n'y changera pas grand-chose. Allons nous coucher, nous y verrons plus clair demain.

Mettant sa phrase à exécution, elle se dirigea vers l'escalier, pour rejoindre son mari. Winry resta quelques secondes de plus, posant une main sur mon épaule.

- Ça va aller ?

- Je vais faire aller, répondis-je avec un pauvre sourire.

- Courage. Bonne nuit.

- Merci. Toi aussi.

Je restai finalement seul dans le couloir, écrasé par le silence de la maison. Le vent soufflait encore, et la pluie crépitait sur le toit, mais ne pouvait pas effacer ce silence, cette absence, ce regard… Je fixai le téléphone avec une espèce de colère mêlée de désespoir. Que disait-il à cet instant ? Parlait-il de moi ? Je ne savais pas ce qui serait le pire, qu'il me casse du sucre sur le dos ou qu'il m'élude comme si j'étais un détail. Je me sentais chassé de sa vie, et un peu de la mienne, par la même occasion.

Mon cœur battait dans ma gorge endolorie, j'avais chaud et froid à la fois et la tête lourde… le plus sage aurait été de suivre les autres, et d'aller me coucher. Pourtant, je restai là, les yeux aimantés au téléphone. Avec les gestes lents de celui qui regrettait déjà ce qu'il n'avait pas encore fait, je décrochai le combiné pour le plaquer contre mon oreille, espionnant presque malgré moi, trop mal, trop seul et trop curieux pour laisser échapper cet espoir de mieux comprendre.

- …avec les échos que j'ai eus de l'attaque, je commençais vraiment à m'inquiéter pour toi, fit la voix grave de Mustang. Ça a été un véritable massacre, il y a eu beaucoup de pertes côté militaires, et beaucoup de morts… mais apparemment, certains fugitifs ont réussi à s'évader.

- Vous en savez plus ? Est-ce que Greed était parmi eux ?

- Si on en croit les ragots du réfectoire, le seul prisonnier dans les rangs ennemis était un combattant monstrueux qui survivait aux balles, donc c'était sûrement l'Homonculus que tu as rencontré. Après, j'ai juste les échos des discussions avec les autres hauts gradés. Ce qui en ressort, c'est que l'assaut ne s'est pas du tout déroulé comme prévu… Tu as mis la pagaille dans leurs plans. Apparemment, King Bradley va rester dans la région pour organiser leur recherche.

- Il veut vraiment les exterminer, commenta Edward.

- Oui. Et comprendre comment ils ont pu apprendre ce qui les attendait.

- Merde… Vous pensez qu'on aura des problèmes avec ça ?

- Pas si tu as été aussi discret que tu le prétends. Ils n'ont pas de raison de deviner que nous avons échangé sur le sujet, et si tu te fais pas de vagues, ils ne chercheront sûrement pas dans ta direction.

- Je vois.

Il semblait tellement naturel. Comme si aucun événement de cette journée calamiteuse n'avait eu lieu.

- Et toi, du coup, qu'est-ce qui s'est passé aujourd'hui pour que tu aies complètement oublié de m'appeler ? J'espère que tu as une bonne raison de m'avoir fait lanterner comme ça.

J'entendis Edward inspirer une grosse goulée d'air, et bloquai ma propre respiration, de peur qu'elle me trahisse dans le silence qui était retombé.

- Je suis désolé, lâcha mon frère du bout des lèvres, d'une voix soudainement fragile.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda le Colonel d'une voix douce, comme s'il avait senti à quel point il allait mal.

La prévenance de l'homme à l'autre bout du fil n'avait rien à voir avec l'image dont je me souvenais, le regard froid et hautain, le ton sec et ironique. Quand je l'avais vu lors de l'enterrement de Hugues, j'avais eu envie de le frapper… l'entendre faire preuve de compassion était tellement étrange que j'en étais presque gêné.

- … J'ai… Je me suis battu avec mon frère.

Il avait presque chuchoté ces mots, comme s'il avait honte. Je me sentis bizarrement ému de voir que c'était la première chose qu'il retenait de l'événement. Je m'attendais à ce qu'il parle avant tout de Cub, de ses membres.

- … Pourquoi ?

- A cause de l'Homonculus. J'ai découvert ce matin que… qu'il… il possède mon bras, et ma jambe.

Il y eu une longue expiration, seul signe de la stupéfaction de son supérieur.

- Comment une chose pareille est-elle possible ?

- Je n'en sais rien, mais cette idée me rend fou. Quand je m'en suis rendu compte, je me suis mis à le frapper, et Al… Al m'a arrêté. Il m'a… on s'est battus, vraiment battus… et l'Homonculus s'est enfui.

- Il s'est enfui ?

- Tout le monde est parti à sa recherche, ils ont fini par le retrouver et le ramener, il y a une demi-heure peut-être…

- Je comprends mieux pourquoi tu n'as pas appelé, tu avais d'autres urgences en tête, admit l'homme.

- …Al le savait, murmura-t-il d'une voix rauque. Il le savait et il ne me l'a pas dit. Il a pris le camp de l'Homonculus.

Il y eut un silence. Je sentis mes entrailles se nouer. Ce qu'il disait me confirmait ce que je craignais, ce qui l'avait le plus frappé dans l'histoire, c'était ma trahison.

- Il a essayé de te protéger, répondit-il à mi-voix. Exactement comme tu le faisais en ne lui parlant pas des événements en cours le mois dernier.

- Il ne m'a protégé, il m'a foutu un pain dans la gueule, grommela Edward. J'en ai saigné du nez pendant trois quarts d'heure.

- Mais s'il t'avait simplement demandé d'arrêter, est-ce que tu l'aurais fait ? Et qu'aurais-tu fait après, si tu avais battu à mort l'enfant-Homonculus ?

Je me sentis rougir. C'était inattendu, et très perturbant, que cette personne que je détestais prenne ma défense et devine aussi bien mes motivations.

En vérité, toute cette conversation était perturbante. Ce n'était pas une discussion factuelle entre un supérieur et son subordonné, ils étaient mille fois plus proches que ce qu'ils avaient laissé voir. Edward se livrait plus à lui qu'à Winry… ou à moi. Je me mordis la joue, tremblant d'un mélange de rage et d'envie de pleurer. Depuis quand ce militaire arriviste était devenu un meilleur confident que sa famille ? D'où venaient ces échanges presque affectueux ?

Au moins, je comprenais mieux pourquoi Edward l'appelait aussi souvent, aussi longtemps. C'était moins pour échanger des informations pratiques que pour discuter avec lui. Étaient-ils amis ? L'idée me paraissait absurde, mais si je restais factuel, cela y ressemblait grandement. Je devais admettre que discuter avec Mustang lui faisait du bien. Je l'avais vu revenir plus d'une fois après un appel, apaisé, le sourire aux lèvres. A ce stade, c'était presque plus que de l'amitié, en fait.

J'étais trop bouleversé, je n'écoutais plus vraiment la conversation, de toute façon, j'en avais assez entendu. Dans un geste lent et précautionneux, je raccrochai le combiné sans faire de bruit. Il n'aurait plus manqué que ça, que je me trahisse au dernier moment. Edward ne serait pas près de me pardonner si en plus, il me surprenait en train de l'espionner. Je restai debout face au téléphone, dans la lumière douceâtre de l'entrée, tremblant, perdu, les joues brûlantes, luttant pour rester debout.

Je cherchais un mot à mettre sur la relation qu'Edward avait avec Mustang et ne trouvais pas. Cela m'effrayait inexplicablement.

Je lâchai un long bâillement qui me sortit de ma léthargie. Je m'étais attardé bien trop longtemps. Encore un peu sonné et tremblant de froid, je me dirigeai vers la cage d'escalier pour aller me coucher, noyé de questions et de sentiments contradictoires. Malgré l'épuisement de cette journée passée à courir, j'eus toutes les peines du monde à m'endormir.


Le lendemain, je fus cloué au lit par la maladie. Fiévreux et épuisé, je dus laisser Izumi aller chez son Maître seule avec Edward. C'était peut-être aussi simple comme ça, plutôt que devoir rester dans la même pièce que lui. La journée s'écoula avec une lenteur visqueuse, entre questionnements flous, angoisse et demi-sommeil aux rêves confus. La tête dans un étau, la langue pâteuse, le simple fait de me lever pour aller aux toilettes était une épreuve. Je devais ruser pour ne pas me laisser avoir par les vertiges qui me menaçaient de me couper les jambes, et à mon retour dans le lit, je tremblais de tous mes membres pendant de longues minutes.

Durant cette interminable journée, mes seules distractions furent Winry et Izumi, qui se relayèrent pour passer régulièrement voir comment j'allais, m'apporter à manger, à boire, ou à lire. Je n'étais pas en état d'avaler quoi que ce soit, encore moins de lire, et me contentai des tisanes de thym assaisonnées de miel et de citron, qui calmaient un peu ma gorge douloureuse et me réchauffaient. Cette faiblesse me faisait enrager. Comment mon corps pouvait me lâcher à ce point à un moment pareil ?

J'étais à l'écart des événements, et leurs échos m'arrivaient par l'intermédiaire des récits de Winry ou d'Izumi que je questionnais avec insistance. Cub était à peu près dans le même état que moi, et on songeait à appeler un médecin si nous ne guérissions pas pas rapidement. Edward était revenu à la civilisation mais restait froid et distant avec tout le monde. Il était sorti une partie de la journée et était revenu encore plus abattu qu'il était parti.

La discussion avec Dante n'avait pas été très fructueuse, mon frère avait refusé d'aborder la plupart des sujets, notamment le fait que son corps était devenu féminin, limitant les réponses qu'elle pouvait apporter. Le gros de la conversation s'était concentré sur Cub et les membres d'Edward qu'il portait. Des hypothèses, oui, mais aucune piste étayée, aucune réponse simple, aucune marche à suivre.

Seule bonne nouvelle de la journée, l'état de l'Homonculus s'améliora rapidement, et en fin de journée, il passa me voir, tout triste de me voir alité. Il me remercia d'être venu l'arracher aux ténèbres et à la tempête de l'île de Yock, et même si je savais que je ne pouvais pas être parfaitement sûr de sa sincérité, cette attention me toucha. Il resta discuter un moment avec moi, me questionnant avec l'inquiétude d'un enfant sur ce bras et cette jambe qui, selon Edward, ne lui appartenaient pas. Cette idée le travaillait beaucoup, comme s'il ne savait pas ce qu'il devait en penser, ce qu'il devait répondre et faire. Je ne le savais pas davantage. Quand la fatigue me fit somnoler, il repartit pour me laisser se reposer.

Entre ces bribes d'informations, tantôt je dormais d'un sommeil lourd qui me laissait pâteux, tantôt je restais allongé, fixant le plafond dans la pénombre de la pièce, sans rien d'autre à faire que ressasser mes trop nombreuses questions, me raccrochant à l'espoir que, puisque je ne pouvais pas me lever et aller lui parler, mon frère viendrait me voir de lui-même. Mais la nuit revint, et pas une fois, Edward n'avait toqué à la porte de ma chambre. Et cela, la visite de tous les autres réunis ne pouvait pas le compenser. Aussi, quand Izumi referma derrière elle en me souhaitant une bonne nuit d'une voix douce, et que je vis la lumière du couloir s'éteindre, faisant disparaître la bande jaune clair sous la porte de ma chambre, je me roulai en boule pour pleurer silencieusement.


Quand je rouvris les yeux, le jour était revenu, depuis un bon moment même, puisque les rais de lumière filtrant à travers les volets éclairaient le plancher. Je restai quelques minutes à fixer ces lignes dorées, interrompues par l'ombre des arbres qui ondulaient mollement, faisant danser les contours de ces taches de lumières. Le beau temps était revenu. L'atmosphère apaisée de la pièce, le soleil chaleureux, tout cela me laissait avec un grand silence dans la tête, comme si avoir trop pensé et trop ressenti m'avait laissé épuisé et vide.

Mais je me sentais moins malade, même si ma gorge était encore douloureusement gonflée. Je me redressai prudemment et constatai que je n'avais pas le vertige. Aujourd'hui, je pourrais peut-être me lever et comater dans la cuisine, là où il y aurait un peu plus d'animation, au lieu de me morfondre seul dans ma chambre. Et j'avais un peu faim, ce qui était plutôt bon signe.

Après quelques minutes de réflexion, je m'assis sur le lit, me laissant le temps de m'habituer pour ne pas m'évanouir bêtement en me levant trop vite, puis quittai mon lit en emportant avec moi le tas de couverture dans lequel je m'enveloppai pour me réchauffer. Je descendis prudemment, et en arrivant dans la cuisine, vis Winry et Cub attablés, tous deux penchés sur un livre.

- Oh, Al, tu es debout ? s'exclama la blonde en me voyant arriver. Ça va mieux ?

- Ouais, croassai-je. Ce n'est pas encore génial, mais il y a du progrès. J'ai un peu faim.

- Tu veux de la brioche ?

- Avec plaisir.

- Assieds-toi, je vais te passer tout ça, ça sert à rien que tu t'épuises.

- Merci.

Obéissant, je m'assis sur une des chaises, me mettant en tailleur pour réchauffer mes pieds nus. Un bol de thé fumant m'arriva sous le nez, ainsi que deux tranches de brioches, le beurrier, et une tripotée de bocaux de confiture. Je restai hésitant un moment avant d'entamer mon repas le thé était trop chaud et je ne savais pas quelle confiture choisir.

- … Où sont les autres ?

- Sig tient la boutique, fit-elle, soudainement gênée. Et Ed et Izumi… ils…

Je la fixai avec attention. Manifestement, j'avais loupé une marche dans les événements. Winry baissa les yeux avec une expression un peu désemparé, et poussa un soupir tremblant avant de continuer.

- Ils sont interrogés par l'armée.

- Par l'armée ? Il y a un problème ?

- Dante… le Maître d'Izumi… Elle a été retrouvée assassinée.

- Oh, merde… murmurai-je, atterré. Qu'est-ce qui s'est passé ?

- C'est justement ce qu'ils essayent de savoir. Ils sont parmi les derniers à l'avoir vu vivante, c'est pour ça que l'armée les a convoqués. Mais si j'ai bien compris, ils ne les suspectent pas. Apparemment, ils pensent que ce sont les survivants du Devil's Nest qui l'ont attaquée.

Je baissai les yeux vers mon repas. J'avais beaucoup moins faim, d'un coup… mais si je voulais reprendre des forces, il fallait bien que je me nourrisse. Je débouchai un pot de confiture au hasard et commençai à tartiner sans enthousiasme, le ventre noué.

- Je suis désolée de t'annoncer ça au réveil… J'aurais préféré attendre un peu, mais je n'allais pas non plus te le cacher...

- Oh, tu sais, je n'en suis plus à une mauvaise nouvelle près, fis-je un peu ironiquement.

Elle me regarda avec une expression désemparé, et je lui répondis par un sourire qui tentait d'être rassurant, avant de m'attaquer à ma tartine. Le silence de la cuisine était à peine troublé par l'horloge et le vent qui faisait bruisser les arbres dehors.

- Edward ne m'a pas reparlé, lâchai-je au bout d'un moment.

- Je sais.

- Tu crois qu'on arrivera à discuter ? Un jour ?

- Avec du temps, vous arriverez à vous retrouver, fit-elle.

- Hum… peut-être qu'on se réconciliera, oui… mais rien ne sera plus comme avant.

Je ne pouvais pas oublier la discussion que j'avais surprise au téléphone, et se sentiment d'être évincé. Quand bien même je retrouverais une bonne place de confident, je devrais la partager. Plus jamais nous n'aurions cette complicité profonde, lui et moi contre le monde. Cela me donnait l'impression d'être encore plus effacé, encore plus inconsistant qu'avant.

À se demander si j'existe encore…

- Les choses changent, murmura-t-elle. Mais elles ne changent pas toujours en mal.

- En ce moment, tu avoueras qu'il n'y a pas beaucoup d'améliorations, fis-je remarquer avant de boire une gorgée de thé.

Elle pencha la tête, me concédant ce point. Dans le silence de la pièce, la cloche du jardin résonna clairement. Winry se leva et alla voir à la fenêtre.

- Des gendarmes, commenta-t-elle, surprise et vaguement inquiète. Je vais leur ouvrir ?

Je la regardai, hésitant. Qu'étions-nous censés faire ? Je tournai la tête vers Cub, qui avait lâché le livre et nous regardait, sans trop comprendre d'où venait la tension qui était née dans la pièce. La cloche sonna de nouveau. Winry me regarda, cherchant chez moi une réponse que je n'avais pas. Je ne connaissais pas plus qu'elle les raisons de leur venue.

- Peut-être qu'ils vont revenir plus tard, murmura-t-elle.

Je me levai et regardai à mon tour à travers les rideaux blanc de la cuisine. Il y avait une demi-douzaine de gendarmes en uniforme bleu marine. La cloche sonna une troisième fois, ils semblèrent discuter entre eux, et l'un deux ouvrit le portillon du jardin pour s'avancer le long du chemin gravillonné, venant toquer à la porte.

- Gendarmerie, ouvrez !

Après un dernier coup d'œil, Winry s'avança vers la porte et leur ouvrit, sans doute avec autant d'inquiétude que moi.

- C'est bien chez vous qu'un enfant d'une dizaine d'année a été recueilli ? Petite taille, yeux violets, longs cheveux noirs ?

- Oui… murmura-t-elle, n'osant pas mentir.

- Nous devons l'emmener au poste.

- Quoi ? ! Mais… !

A ces mots, Cub s'était précipité vers moi, se raccrochant à mon bras. Manifestement, il avait compris qu'on parlait de lui.

- Il est recherché dans le cadre d'une enquête, expliqua l'homme d'une voix douce mais inflexible.

- Mais ce n'est qu'un enfant ! s'exclama Winry. Regardez-le !

- Nous avons ordre de le ramener avec nous, répondit-il sans se laisser émouvoir. Avez-vous un lien familial avec lui ?

- Je… Non…

- Le connaissiez-vous avant de le recueillir ?

- … Non, bredouilla-t-elle, les larmes aux yeux. Mais…

- Nous avons eu des échos comme quoi il avait fugué de chez vous et que vous l'avez recherché pendant une journée entière. Pensez-vous vraiment être les mieux placés pour vous occuper de lui ? Cet enfant doit retrouver sa famille d'origine, et si ce n'est pas le cas, être pris en charge par un établissement spécialisé. S'il s'avère être orphelin, les Curtis pourront faire les démarches d'adoption en temps voulu. Mais dans un premier temps, il doit être interrogé.

- Mais… il a besoin de nous, bredouillai-je, choqué. Vous ne pouvez pas nous l'enlever comme ça… Il est déjà tellement secoué…

- C'est la loi.

Je sentais ses doigts trembler de peur à travers les couvertures, et posai une main rassurante sur la sienne. Si Izumi avait été là, elle aurait sans doute mis la maison à feu et à sang plutôt que le confier à l'Etat. Mais elle n'était pas là, et nous étions seuls, Winry et moi, pour leur faire face. J'étais encore malade, et je n'avais ni le talent, ni la force de caractère nécessaire pour m'opposer à l'autorité. Je n'étais pas Izumi. Je n'étais pas Edward.

Et à cet instant, en sentant le regard de peur mêlé d'espoir que m'adressait Cub, bon sang, qu'est-ce que je le regrettais !

La mort dans l'âme, je pris ma décision. Nous n'avions pas le choix, de toute façon. Ils étaient pour l'instant polis, mais je sentais bien qu'ils ne sortiraient pas de la pièce sans lui, il suffisait de voir de quelle manière ils s'étaient introduits dans le jardin malgré notre silence. Je me tournai vers l'enfant-Homonculus, et le regardai droit dans les yeux, posant mes mains sur ses épaules. Son regard angoissé était comme un coup de butoir, j'avais l'impression de le trahir. Ce que j'étais sans doute en train de faire.

- Cub, il va falloir que tu ailles avec eux.

- Je ne veux pas, je ne veux pas ! cria-t-il, les larmes aux yeux.

- Sois courageux. Ils vont te poser des questions, ils ont besoin que tu leur parles, que tu leur dises ce que tu sais. Soit sage, obéis-leur, et nous reviendrons te chercher. Izumi, moi, Winry… on reviendra te chercher, le plus vite possible. D'accord ?

- C'est promis ? murmura-t-il.

- C'est promis, juré, répondis-je à voix tout aussi basse. On ne t'abandonnera pas, d'accord ? Je suis venu te retrouver jusque sur l'île, tu te souviens ? Je recommencerai s'il le faut. On reviendra pour toi.

Tremblant, près de pleurer, il hocha la tête, acceptant cette promesse que, je le savais, je n'étais pas sûr de pouvoir tenir. Puis le serrai dans mes bras, et Winry s'approcha pour en faire autant, avant de le relâcher. En regardant sa petite silhouette s'avancer vers les gendarmes qui faisaient presque deux fois sa taille, je sentis ma gorge se nouer. J'avais l'impression de le voir monter à l'échafaud. Peut importait qu'il soit un Homonculus, peut-être immortel, peut-être un traître : à cet instant, je ne voyais plus rien d'autre qu'un enfant terrorisé. L'homme posa une main lourde mais pas agressive sur l'épaule de l'enfant, hochant la tête en signe d'approbation.

- Merci pour votre coopération, fit-il. Nous vous tiendrons au courant de l'avancée de l'enquête.

Je hochai la tête, la gorge trop nouée pour parler. Les hommes refluèrent de la pièce, la porte se referma, comme si le temps reculait. Et je restai là, incapable de croire que je venais de faire ça.

Je l'avais livré aux gendarmes, à l'armée. Je l'avais abandonné. Je l'avais trahi.

Je pensai à Izumi et su que plus jamais je n'arriverais à la regarder en face.