ça y est, le nouveau chapitre est arrivé, et il est gros, très gros ! (il faut vraiment que j'arrête de faire des chapitres aussi longs moi ! XD) On retrouve le point de vue d'Edward... et il se passe pas mal de choses, comme vous pourrez le voir ! J'ai fait l'illustration de ce chapitre ainsi que 2 illustrations des chapitres précédents, que je publierai un peu plus tard. Pour éviter de vous faire spoiler, je vous conseille d'attendre d'avoir lu le chapitre pour aller la voir (comme d'habitude, sur la galerie Deviantart - lien en page de profil). On peut donc dire que j'ai rattrapé mon retard sur la partie dessin, après plusieurs mois de laisser-aller.
En tout cas, c'est le dernier chapitre de la partie 3, et on arrive à un tournant de l'histoire... MAIS ! Je n'en dis pas plus avant de tomber dans le spoil sauvage, et je vous souhaite une bonne lecture ! ;)
Chapitre 39 : Séparation (Edward)
Après cet interrogatoire qui nous avait paru interminable, Izumi et moi nous retrouvâmes devant le Quartier Général de Dublith. L'après-midi était bien entamée, et j'avais franchement faim après ces heures passées à parler à des militaires dans un bureau. Enfin, ils nous avais relâchés, nous n'étions donc pas considérés comme des suspects à proprement parler. C'était déjà ça.
Je me retournai vers les bâtiments couleur ocre, fixant les lieux, avec une sensation d'angoisse inexplicable. Mon instinct me criait que quelque chose n'allait pas, mais j'étais incapable de savoir quoi. Je levai les yeux vers mon Maître, qui avait un regard flou qui ne lui ressemblait pas. Elle cligna trois fois des yeux et murmura.
- Je ne la portais plus vraiment dans mon c?ur, mais savoir qu'elle a fini comme ça, ça fait un choc.
- Je peux le comprendre…
La commissure de mes lèvres tiqua, comme si je ne savais pas quelle expression mon visage était supposé avoir, et je levai une main pour lui tapoter le dos dans une tentative maladroite d'exprimer ma compassion. Moi-même, je ne l'avais vue qu'une fois, et le peu que j'en connaissais, entre ce qu'en disait Izumi et les sous-entendus de Greed, m'incitait à la méfiance. Notre rencontre m'avait laissé une profonde impression de malaise… mais me dire que cette vieille dame au sourire affable était morte éventrée, comme les photos nous l'avaient prouvé, j'avais la nausée. Je ne souhaitais cette fin à personne.
- Rentrons. Les autres doivent nous attendre, lâcha Izumi comme pour prendre de la distance.
Je hochai la tête, et nous nous mîmes en route, traversant les rues. Je m'arrêtai à une échoppe pour acheter une brioche à la viande et me caler un peu l'estomac, même si nous n'allions pas attendre bien longtemps avant de manger une fois rentrés. Je tournai la tête vers le Sud de la ville, avec une petite pensée pour le Devil's Nest, dont il ne restait plus grand-chose. J'étais passé devant la veille, et c'était tout juste si le bâtiment tenait encore debout. Une journée après l'assaut, il y flottait encore une violente odeur de poudre, de métal, de chair, d'entrailles qui agressait mon odorat trop fin et m'évoquait à chaque bouffée le massacre qui avait eu lieu, une puanteur qui m'avait durablement retourné l'estomac. Je ne pouvais pas ignorer que des gens étaient morts à cet endroit. À cause, ou malgré moi, c'était impossible à dire. J'en savais trop peu pour savoir si j'avais pris la bonne décision à ce moment-là.
Et à l'idée que Dante puisse être morte, a priori de la main de ceux que j'avais avertis, je commençais sérieusement à avoir des doutes. Greed m'avait conseillé de m'en méfier, et je n'espérais pas grand chose de ses conseils, mais à présent, sa demeure nous était fermée à cause de l'enquête, et la bibliothèque, où son corps avait été retrouvée, était sous scellés. Adieu conseils, sagesse, documentation. Adieu mon espoir de comprendre ce qui se tramait réellement.
D'un autre côté, si Greed et ses acolytes l'avaient attaquée, cela voulait peut-être dire qu'elle était de mèche avec les Homonculus, et par conséquent, nos ennemis. En songeant à cette hypothèse je supposai avoir bien fait en en dévoilant le moins possible sur ce que nous savions, et en taisant la transformation que j'avais subie. C'était peut-être des cartes en moins pour nos ennemis. Si elle en faisait partie.
Malgré tout, j'avais des doutes. Il me paraissait improbable de mourir si… facilement si on avait des alliés assez puissants pour contrôler l'armée. Les Homonculus étaient-ils capable de laisser passer des erreurs pareilles ? J'étais tellement tiraillé de questionnements que j'en oubliai de manger la brioche que j'avais à la main.
- Tu as l'air vraiment sérieux, commenta Izumi en me fouillant du regard.
- Ça vous étonne ?
- Non, mais je me demande où vont tes réflexions.
- J'essaie de comprendre.
- Ça ne m'étonne pas de toi.
- Vous connaissiez bien Dante ? demandai-je.
- Hé bien, elle a été mon Maître durant de longues années, donc je l'ai beaucoup fréquentée… mais elle a toujours été assez secrète. Sur sa vie personnelle, son passé… ma foi, je ne sais pas grand-chose. Je l'ai toujours connue ainsi, retirée du monde.
- Pourquoi avez-vous cessé de la fréquenter ?
- Hé bien… Elle avait de grandes qualités, une soif de connaissance, une curiosité du monde, et était immensément cultivée… Mais elle avait les défauts qui venaient avec, dont un certain élitisme. Tu sais, cette tendance qu'ont certaines personnes à laisser entrevoir qu'à leurs yeux, certains humains ont plus valeur que d'autres. Pour certains, c'est une question de naissance, ou de richesse… pour elle, c'était une question d'intelligence.
- Je vois, fis-je d'un ton un peu froid.
Cela m'apportait un regard nouveau sur elle. Derrière ce sourire et ce ton aimable, se cachaient donc un jugement, un mépris, un manque d'empathie. Cela expliquait peut-être le sentiment indéfinissable qu'elle m'inspirait, malgré son caractère affable et un regard doux qui invitait aux confidences. Sans l'avertissement de Greed, j'aurais peut-être parlé de mon corps, des Homonculus… Il y avait quelque chose qui poussait à l'honnêteté dans son regard, et je l'avais évité le plus clair du temps, justement pour cette raison. Je n'avais pas osé lui faire réellement confiance. Je la trouvais trop étrange.
À cause de son regard, et de cette odeur que j'avais perçue lors de notre rencontre, cette odeur éc?urante qui m'avait sauté à la gorge quand je m'étais approché d'elle, et que je n'avais pas cherché à décortiquer. L'émotion qui l'accompagnait avait suffit. Ranc?ur, trahison, abandon. C'était le parfum de mon père, et mon odorat trop développé m'avait plongé quelques secondes dans le souvenir de son départ, un moment d'absence durant lequel elle m'avait fixé avec une attention accrue.
Avait-elle un rapport avec lui ? Je ne le saurais sans doute jamais à présent qu'elle était morte.
- C'était une personne énigmatique, murmurai-je.
- Ça, c'est le moins qu'on puisse dire, soupira-t-elle. Je suis désolée, tu es venu trouver des réponses, tu n'en as pas vraiment eu.
- J'ai tout de même appris des choses, sur des techniques à abandonner et sur l'Elexirologie… Une connaissance n'est jamais perdue.
Je me tus, faute d'oser dire que mes recherches m'avaient redonner l'espoir de retrouver mon sexe d'origine, à défaut de récupérer mes membres. À l'idée que mon bras et ma jambe aient été volés par l'enfant-Homonculus, un spasme de rage me remonta jusque dans la gorge. Ce vol, cette trahison, je n'arrivais pas à m'en remettre. La longue discussion que j'avais eu avec Mustang ce soir-là m'avait tout juste permis de contenir le feu de ma colère, mais était loin de l'avoir éteinte. J'aurais voulu extraire les av?ux de l'Homonculus à coup de poings, mais je le savais, Izumi et mon frère m'en empêcheraient. Al m'en avait déjà empêché. Nous nous étions battus des centaines de fois, tantôt par jeu, tantôt pour s'entraîner, quelquefois avec colère, mais aucun coup de sa part ne m'avait jamais autant ébranlé que celui-là.
Il avait préféré prendre le parti de l'ennemi plutôt que le mien. Lui, mon frère.
Et même si, quand j'y réfléchissais intellectuellement, quand je me remémorais les mots pleins de bon sens de Mustang, je parvenais à expliquer pourquoi il avait agi ainsi, une partie de moi continuait à hurler dans ma tête à cette idée. Je n'arrivais pas à lui pardonner vraiment.
Pour cette raison, je n'avais pas osé aller le voir. Je n'avais pas osé le regarder en face. J'avais trop peur que si nous parlions, ma rage reprenne le dessus et notre discussion débouche sur une nouvelle explosion de colère, dirigée directement sur lui cette fois.
Je ne voulais pas faire ça à mon frère.
Tant que je n'étais pas capable de garder mon calme à propos de ce sujet sensible, je préférais garder de la distance plutôt que de le blesser.
C'est avec cette réflexion que je poussai le portillon du jardin, quand Winry poussa la porte se précipita vers vous.
- Izumi, on a eu un problème. Un gros, gros problème ! s'exclama-t-elle, au bord des larmes.
Voilà que mon angoisse irrationnelle était en train de trouver une bonne raison de s'attarder.
- Quoi ?
- Des gendarmes sont venus. Ils ont… Ils ont emmené Cub.
C'était comme si une pierre m'était tombée dans l'estomac. Mes membres, partis on ne sait où, aux mains de la gendarmerie, autant dire aux mains de l'armée. Aux mains des Homonculus.
Je serrai les dents sous les coups de la colère et de l'inquiétude, puis pris conscience de quelque chose d'horrible. Je venais de me rendre compte qu'alors qu'on me parlait d'un enlèvement, la première chose à laquelle j'avais pensée à l'instant, c'était à ce bras et à cette jambe qui étaient les miens, sans me préoccuper de la créature qui les portait. J'eus immensément honte.
Je suis un monstre, pensai-je en levant ma main pour masquer mon visage.
- Et vous les avez laissé faire ? gronda Izumi d'une voix grave, presque animale.
- On ne savait pas comment réagir, murmura Winry, honteuse.
Je vis Al, debout sur le pas de la porte, enveloppé de couverture, les traits tirés, qui me fixait avec une expression de désarroi que je ne parvenais pas à déchiffrer vraiment. Bien que quelques mètres seulement nous séparaient, il me semblait infiniment lointain, et à travers la colère que j'avais envers lui de l'avoir laissé partir, et la honte de cette parcelle monstrueuse que je venais de me découvrir, je me rendis compte que j'aurais été bien en peine de trouver un mot pour commencer une conversation avec lui. Heureusement, ou malheureusement, Izumi ne m'en laissa pas le temps.
- Vous ne saviez pas comment réagir, marmonna-t-elle en faisant craquer ses phalanges, avec un sourire carnassier qui ne présageait rien de bon. Moi, je vois parfaitement ce qu'il reste à faire.
Oh non, pensai-je en la voyant partir à pas vifs vers le garage.
Mon expérience du monde sauvage m'avait appris cette règle de survie élémentaire : ne jamais approcher la progéniture des animaux, au risque de déchaîner la colère de leur mère. Izumi, même en ayant conscience qu'il n'était pas humain, considérait l'Homonculus comme son fils. Le lui enlever avait fait d'elle une bête sauvage, et ceux qui l'avaient fait allaient le regretter amèrement.
- Qu'est-ce qu'elle va faire ? demanda Winry d'un ton inquiet.
- Ce que vous n'avez pas osé faire, répondis-je. Le défendre bec et ongles.
- Mais… elle ne va quand même pas s'attaquer à l'armée ? !
J'étais effaré par la situation qui se profilait, mais, je ne sus comment, je trouvai la ressource de hausser les épaules avec un sourire presque enjoué.
- Izumi Curtis, répondis-je simplement, comme si ce nom voulait tout dire.
Et je savais que c'était le cas. Pour cette raison, je n'hésitai pas longtemps avant de la suivre. Peut-être arriverais-je à la convaincre d'employer des techniques plus subtiles. Dans le cas contraire, j'aviserais. J'entendis Winry m'appeler et courir après moi, mais je ne pris pas le temps de me retourner. Izumi risquait de partir sans moi.
Je courus jusqu'à la camionnette, et en entendant le moteur vrombir, poussai un soupir agacé. Elle ne m'avait pas attendu. Étrangement, ça ne m'étonnait pas. Je devais être une gêne à cet instant précis. Le véhicule me passa sous le nez, et sans réfléchir davantage, je bondis pour m'y raccrocher. Si j'essayais de la suivre par mes propres moyens, j'arriverais trop tard.
La voiture passa devant la maison, et j'entrevis la silhouette de Winry en train de courir vers nous, criant quelque chose que je n'entendis pas, et celle, si lointaine, d'Al, qui avait passé le pas de la porte malgré ses pieds nus et me regardait partir, avec une expression qui me fendit le c?ur.
La camionnette m'arracha à sa vue et je raffermis ma prise, secoué et battu par les vents, les entrailles nouées. J'aurais voulu lui parler en face, lui demander pardon pour m'être comporté comme une brute sans cervelle. Je le savais bien, au fond, qu'il avait raison ; même si j'étais en rage contre Cub, je ne pouvais décemment pas lui arracher des membres pour les récupérer… si haïssable qu'il soit en tant qu'Homonculus, il restait un être vivant. Et quand bien même, éthique mis à part, je n'aurais même pas su comment les réintégrer à mon propre corps.
Au fond, j'étais incapable de me comporter de manière aussi monstrueuse. J'avais distribué un bon paquet de coups de poings, j'avais tué Barry le boucher et ce terroriste sans nom qui avait amorti ma chute passage Floriane, mais ça, c'était définitivement hors de ma portée. Et ça me rassurait un peu. Je n'étais pas un saint comme Al, mais je n'étais peut-être pas un cas désespéré pour autant. Cela ne me disait malheureusement pas comment je pouvais espérer retrouver mon corps un jour. Étais-je vraiment condamné à me traîner pour toujours avec ces prothèses de métal et ce sexe qui n'était pas le mien ?
À ce moment-là, un cahot plus fort que les autres manqua de me faire lâcher prise, je me concentrai de nouveau sur l'immédiateté de la situation : accroché toutes griffes dehors à l'arrière d'une camionnette conduite bien plus vite que ce que la prudence exigeait, prêt à m'aplatir sur la route à la première secousse trop violente. Crispé sur la carrosserie, je me décalai prudemment pour pouvoir passer la tête sur le côté et voir la route. Le vent me gifla le visage et fit claquer mes cheveux, m'obligeant à fermer les yeux par moments ; mais au moins, je pouvais à peu près voir à quoi je devais m'attendre.
Qu'allait-il se passer ? Je ne savais pas précisément, mais mon instinct me soufflait que ça allait être quelque chose de catastrophique. Izumi avait toujours eu une dent contre l'armée, et, si elle n'avait jamais été très délicate, profiter de son absence pour lui enlever l'Homonculus, qu'elle considérait comme son fils, c'était plus qu'assez pour libérer toute sa fureur. La colère qu'elle avait eue le jour de notre arrivée n'était rien comparée à celle qui l'habitait à présent.
Je n'aimerais pas être un gendarme ou un militaire, pensai-je en grimaçant.
Je reconnus la rue de la Gendarmerie, et sentis un spasme d'angoisse monter quand elle manoeuvra en deux coups de volant rageurs. Je vis le mur se rapprocher beaucoup trop vite et me crispai dans l'attente du choc, fermant les yeux. La camionnette se gara à moitié sur le trottoir et franchement en diagonale dans un grand crissement de frein, et je manquai de tomber pour de bon quand elle se stoppa. J'entendis Izumi claquer la porte en sortant, mais m'accordai quelques secondes pour recommencer à respirer avant de la rejoindre. J'avais rouvert les yeux à une dizaine de centimètres de l'immeuble devant lequel elle s'était garée, et il s'en était fallu de peu pour que je finisse encastré entre la camionnette et le mur.
Mes pieds retombèrent au sol, un peu cotonneux tout de même, et je passai une main sur mon front pour chasser mes cheveux ébouriffés et me remettre de cette poussée d'adrénaline. Le pire, c'est que ça ne faisait que commencer. Puis je pris une grande inspiration et courut à sa suite en la hélant.
- Izumi ! Je vous accompagne, fis-je d'un ton buté.
Elle baissa vers moi un regard surpris.
- Tu n'as pas peur de perdre ton insigne ? C'est cher payé pour quelqu'un que tu détestes, non ?
- Je n'ai aucune confiance envers lui… mais je n'en ai pas plus envers l'armée. Et à choisir, je préfère que celui qui porte mon bras et ma jambe soit entre vos mains qu'entre celles d'une institution dirigée par les Homonculus.
- On dirait qu'on arrive à une forme d'alliance.
- Je le déteste toujours.
- Je sais. Mais je ne te demande pas de l'aimer, répondit-elle avec un sourire.
Je hochai la tête. Nous étions d'accord, à défaut d'avoir un plan digne de ce nom.
- Ok, on reste diplomates, hein ? fis-je sans trop d'espoir.
- La diplomatie dépendra d'eux, répondit-elle simplement avant d'ouvrir la porte du bâtiment assez brutalement pour que la porte claque contre le mur.
Tout le monde ouvrit des yeux ronds en la voyant entrer et se figea, sentant sa fureur. Malgré cela, elle dessina un sourire.
- Bonjour. Je viens récupérer Cub.
Un gendarme eut un mouvement de recul derrière l'accueil, trahissant qu'il savait quelque chose, et elle fondit sur lui sans attendre.
- Manifestement, vous savez ou il est. Auriez-vous l'obligeance de me le dire ?
- Je ne peux pas, c'est un dossier classé confidentiel, répondit-t-il
- Plaît-il ?
- C'est un dossier confidentiel. Les civils n'ont pas accès à cette information.
Elle s'était penchée vers lui, et l'homme sembla minuscule tandis qu'ils se ratatinait sous le poids de son regard. Quand elle l'attrapa par le col et le souleva de terre, j'entendis distinctement le bruit de pistolets qu'on armait, et mes entrailles se nouèrent jusqu'à la gorge.
- Maître… tentai-je d'un ton suppliant, sentant bien que la situation risquait de dégénérer complètement.
- Vous avez conscience que je ne vous veux aucun mal ? Tant que je récupère cet enfant sans une égratignure, tout se passera bien.
- Il a été amené au QG de Dublith, couina l'homme, terrifié par la colère polie de celle qui m'accompagnait. Ce sont les militaires qui ont donné l'ordre, nous y sommes pour rien !
Elle le relâcha, et il retomba sur son bureau en tremblant. Les gendarmes étaient surtout là pour s'occuper des affaires courantes, vols, problèmes entre civils, gestion de la circulation, mais pour les affaires violentes, c'était l'armée qui prenait le relais… et on voyait bien qu'ils n'avaient pas l'habitude d'y être confrontés. Dans ces conditions, ils n'était pas impossible que quelqu'un laisse échapper un coup de feu, et si j'en avais pleinement conscience, je n'étais pas sûr que ce soit le cas d'Izumi.
- Merci pour le renseignement, fit-elle en se redressant, sans se départir de son dangereux sourire.
Le plus naturellement du monde, elle fit demi-tour et partit avec autant de désinvolture que si elle avait demandé l'heure. C'est sans doute à cause de ça que les gendarmes restèrent figés, trop stupéfiés pour réagir. Au milieu de ce flottement étrange, je la suivis d'un pas un peu incertain. Avec une entrée en matière pareille, la suite promettait le pire…
Une fois sur le seuil, je me retournai, étonné tout de même que les gendarmes n'aient pas réagi plus vite, puis courus jusqu'à la camionnette qu'Izumi était en train de redémarrer et bondis dedans.
- C'est ça que vous appelez de la diplomatie ? Vous savez qu'on a de la chance qu'ils ne nous aient pas tiré dessus ? m'exclamai-je en claquant la porte derrière moi.
- Je n'en ai pas plus en stock, mais si ça ne te convient pas, tu peux toujours descendre.
Nous échangeâmes un regard. Ses yeux incendiaires me firent comprendre que j'avais sans doute sous estimé sa détermination. Si je la suivais jusqu'au bout et que je m'opposais frontalement à l'armée, j'allais perdre mon insigne à coup sûr, et peut-être davantage. Mais avais-je le choix ? Je ne pouvais décemment pas descendre de la voiture et la laisser faire face seule au QG entier, alors que le destin de Cub me concernait directement. C'est avec un soupir d'agacement que je bouclai ma ceinture et qu'elle s'engagea sur la voie, donnant un violent coup de volant pour éviter un des gendarmes qui, sortant de leur léthargie, s'étaient précipité hors du bâtiment pour tenter de l'arrêter. Il y eut quelques tirs qui percèrent la carrosserie de grands coups métalliques, mais ni nous, ni le moteur, ni les pneus ne furent touchés, et la camionnette continua à débouler de carrefours en virages.
Quand je vis la silhouette du QG de Dublith se dessiner au bout de la rue, je sentis ma gorge s'assécher. Trop tard pour renoncer, de toute façon, les gendarmes m'avaient vu en sa présence, je pourrais difficilement prétendre que je ne savais pas ce qu'elle apprêtait à faire. Le visage défait d'Alphonse se dessina devant mes yeux, me donnant un coup au ventre. J'aurais dû m'excuser tant que j'avais le temps. Quel imbécile j'étais !
- Les autres, ils vont nous détester, hein ? fis-je avant de me mordre la lèvre.
- Sans doute, fit-elle très calmement.
On aurait pu croire qu'elle s'en fichait. Mais je la connaissais assez pour savoir que derrière ce ton posé se cachait la conscience aiguë de ce qu'elle jouait, et le sentiment de devoir en assumer pleinement les conséquences, quelles qu'elles soient.
D'un coup de volant, elle roula jusque sur le trottoir, s'arrêta devant le portail du complexe de bâtiments, et poussa la portière d'un coup de pied.
- On y va !
Ce n'était pas une question. Comme elle se dirigeait vers l'entrée à pas vifs sans m'attendre, je me pressai à sa suite, juste à temps pour la voir faire taire le sentinelle d'un occiput bien placé sans vraiment prendre la peine de ralentir. Je fermai les yeux quelques secondes, figé à l'entrée. Puis je regardai sa silhouette qui, malgré ses bras nus, semblait indestructible, et passai sous le portail en courant, avec le sentiment de faire une terrible bêtise.
- Je vous accompagne, fis-je d'un ton buté.
Elle baissa vers moi un regard surpris.
- Tu n'as pas peur de perdre ton insigne ? C'est cher payé pour quelqu'un que tu détestes, non ?
- Je n'ai aucune confiance envers lui… mais je n'en ai pas plus envers l'armée. Et à choisir, je préfère que celui qui porte mon bras et ma jambe soit entre vos mains qu'entre celles d'une institution dirigée par les Homonculus.
- On dirait qu'on arrive à une forme d'alliance.
- Je le déteste toujours.
- Je sais. Mais je ne te demande pas de l'aimer, répondit-elle avec un sourire.
Je hochai la tête. Nous étions d'accord, à défaut d'avoir un plan digne de ce nom.
- Ok, on reste diplomates, hein ? fis-je sans trop d'espoir.
- La diplomatie dépendra d'eux, répondit-elle simplement avant d'ouvrir la porte du bâtiment assez brutalement pour que la porte claque contre le mur.
Tout le monde ouvrit des yeux ronds en la voyant entrer et se figea, sentant sa fureur. Malgré cela, elle dessina un sourire.
- Bonjour. Je viens récupérer Cub.
Un gendarme eut un mouvement de recul derrière l'accueil, trahissant qu'il savait quelque chose, et elle fondit sur lui sans attendre.
- Manifestement, vous savez ou il est. Auriez-vous l'obligeance de me le dire ?
- Je ne peux pas, c'est un dossier classé confidentiel, répondit-t-il
- Plaît-il ?
- C'est un dossier confidentiel. Les civils n'ont pas accès à cette information.
Elle s'était penchée vers lui, et l'homme sembla minuscule tandis qu'ils se ratatinait sous le poids de son regard. Quand elle l'attrapa par le col et le souleva de terre, j'entendis distinctement le bruit de pistolets qu'on armait, et mes entrailles se nouèrent jusqu'à la gorge.
- Maître… tentai-je d'un ton suppliant, sentant bien que la situation risquait de dégénérer complètement.
- Vous avez conscience que je ne vous veux aucun mal ? Tant que je récupère cet enfant sans une égratignure, tout se passera bien.
- Il a été amené au QG de Dublith, couina l'homme, terrifié par la colère polie de celle qui m'accompagnait. Ce sont les militaires qui ont donné l'ordre, nous y sommes pour rien !
Elle le relâcha, et il retomba sur son bureau en tremblant. Les gendarmes étaient surtout là pour s'occuper des affaires courantes, vols, problèmes entre civils, gestion de la circulation, mais pour les affaires violentes, c'était l'armée qui prenait le relais… et on voyait bien qu'ils n'avaient pas l'habitude d'y être confrontés. Dans ces conditions, ils n'était pas impossible que quelqu'un laisse échapper un coup de feu, et si j'en avais pleinement conscience, je n'étais pas sûr que ce soit le cas d'Izumi.
- Merci pour le renseignement, fit-elle en se redressant, sans se départir de son dangereux sourire.
Le plus naturellement du monde, elle fit demi-tour et partit avec autant de désinvolture que si elle avait demandé l'heure. C'est sans doute à cause de ça que les gendarmes restèrent figés, trop stupéfiés pour réagir. Au milieu de ce flottement étrange, je la suivis d'un pas un peu incertain. Avec une entrée en matière pareille, la suite promettait le pire…
Une fois sur le seuil, je me retournai, étonné tout de même que les gendarmes n'aient pas réagi plus vite, puis courus jusqu'à la camionnette qu'Izumi était en train de redémarrer et bondis dedans.
- C'est ça que vous appelez de la diplomatie ? Vous savez qu'on a de la chance qu'ils ne nous aient pas tiré dessus ? m'exclamai-je en claquant la porte derrière moi.
- Je n'en ai pas plus en stock, mais si ça ne te convient pas, tu peux toujours descendre.
Nous échangeâmes un regard. Ses yeux incendiaires me firent comprendre que j'avais sans doute sous estimé sa détermination. Si je la suivais jusqu'au bout et que je m'opposais frontalement à l'armée, j'allais perdre mon insigne à coup sûr, et peut-être davantage. Mais avais-je le choix ? Je ne pouvais décemment pas descendre de la voiture et la laisser faire face seule au QG entier, alors que le destin de Cub me concernait directement. C'est avec un soupir d'agacement que je bouclai ma ceinture et qu'elle s'engagea sur la voie, donnant un violent coup de volant pour éviter un des gendarmes qui, sortant de leur léthargie, s'étaient précipité hors du bâtiment pour tenter de l'arrêter. Il y eut quelques tirs qui percèrent la carrosserie de grands coups métalliques, mais ni nous, ni le moteur, ni les pneus ne furent touchés, et la camionnette continua à débouler de carrefours en virages.
Quand je vis la silhouette du QG de Dublith se dessiner au bout de la rue, je sentis ma gorge s'assécher. Trop tard pour renoncer, de toute façon, les gendarmes m'avaient vu en sa présence, je pourrais difficilement prétendre que je ne savais pas ce qu'elle apprêtait à faire. Le visage défait d'Alphonse se dessina devant mes yeux, me donnant un coup au ventre. J'aurais dû m'excuser tant que j'avais le temps. Quel imbécile j'étais !
- Les autres, ils vont nous détester, hein ? fis-je avant de me mordre la lèvre.
- Sans doute, fit-elle très calmement.
On aurait pu croire qu'elle s'en fichait. Mais je la connaissais assez pour savoir que derrière ce ton posé se cachait la conscience aiguë de ce qu'elle jouait, et le sentiment de devoir en assumer pleinement les conséquences, quelles qu'elles soient.
D'un coup de volant, elle roula jusque sur le trottoir, s'arrêta devant le portail du complexe de bâtiments, et poussa la portière d'un coup de pied.
- On y va !
Ce n'était pas une question. Comme elle se dirigeait vers l'entrée à pas vifs sans m'attendre, je me pressai à sa suite, juste à temps pour la voir faire taire le sentinelle d'un occiput bien placé sans vraiment prendre la peine de ralentir. Je fermai les yeux quelques secondes, figé à l'entrée. Puis je regardai sa silhouette qui, malgré ses bras nus, semblait indestructible, et passai sous le portail en courant, avec le sentiment de faire une terrible bêtise.
C'était le chaos.
Je pouvais m'y attendre, mais après notre arrivée fracassante, nous n'étions pas bien vus. Je traversai le couloir en courant, arrivai à un carrefour et reculai précipitamment en voyant une demi-douzaine de militaires armés jusqu'aux dents. Je me plaquai derrière l'angle tandis qu'ils trouèrent le mur face à moi de leurs tirs. Ça devenait compliqué.
Nous nous étions séparés, Izumi ayant pris l'aile gauche, moi la droite, dans l'espoir de retrouver Cub le plus rapidement possible. Si, dans un premier temps, nous avancions presque sans résistance, bousculant des militaire hallucinés, l'alerte avait rapidement été sonnée, et depuis que j'étais arrivé au deuxième étage, je progressais plus difficilement. Et surtout, je ne savais pas où aller. Je pensais trouver Cub dans les salles du rez-de-chaussée, qui étaient habituellement consacrées aux rencontres, réunions et interrogatoires.
- Bon… je crois qu'il faut que j'arrête d'être délicat, grommelai-je avant de claquer des mains avant de plaquer ma paume gauche sur le mur adjacent, jaillissant du couloir en même temps qu'une vague de plâtre et de pierre qui fit bouclier contre les balles.
Je courus dans son sillage, cherchant la silhouette familière à travers le creux béant que créait la transmutation dans mon sillage. Où était-il, bon sang ? ! Me voyant arriver, les militaires détalèrent, craignant pour leur vie. Une nouvelle claque au mur et les parois se déformèrent pour avaler leur mains et entraver leurs pieds, les désarmant pour le compte. Je repérai le plus gradé, et espérai qu'il saurait me dire un peu mieux où chercher.
- Où est l'enfant ? fis-je toisant l'homme enfoncé dans le mur.
- Comme si j'allais te le dire ! cracha-t-il dans un instant de bravade qu'il regretta aussitôt.
Je claquai de nouveau les mains, et un anneau de pierre se forma autour de sa gorge, le soulevant inexorablement du sol. Je savais ce que je ça faisait d'être étranglé, et ma main trembla contre le mur, mais mon regard se durcit davantage pour dissimuler le sentiment d'horreur que j'avais face à mon propre geste. L'homme se débattit, implorant la grâce avec le peu de voix qui lui restait. Je le relâchai, et il retomba mollement au sol, toussant douloureusement.
- Alors ?
- Le bureau… du général de corps d'armée, au dernier étage… Je ne sais pas pourquoi ils l'ont amené ici, c'est juste un gamin.
- Je sais, répondis-je. Je suis désolé.
Je lui lançai un regard emprunt de culpabilité qui sembla le choquer presque plus que mon geste précédent, puis me précipitai vers le bout du couloir, quand des bruits de courses derrière moi me firent sursauter. Je tournai la tête et vis une vingtaine de soldats rappliquer, toutes armes dehors, et me plaquai contre le mur, séparé d'eux par le corps d'un militaire qui hurla de tous ses poumons en voyant les armes pointées vers lui. Je fermai les yeux, priant pour qu'ils ne tirent pas sur lui. Je ne voulais pas qu'il meure par ma faute.
- Ils sont vivants ! Ne tirez pas ! hurla leur chef.
Un soupir de soulagement, et je plaquai mes deux mains sur la paroi, qui se déroula pour leur boucher le passage, leur murant l'accès. S'ils voulaient m'atteindre, ils allaient devoir retourner à l'autre escalier, ce qui devrait me gagner suffisamment de temps. Je jetai un coup d'oeil à la fenêtre. Le bâtiment de l'autre côté de la cour intérieure se boursouflait de toutes parts, Izumi avait encore moins de scrupules que moi. Est-ce qu'il y avait des morts ?
Je secouai la tête en accélérant. Il était trop tard pour ce poser ce genre de question. J'arrivai à l'escalier que je montai quatre à quatre et entendis des dizaines de bottes en faire autant. Bientôt, tout le QG serait à mes trousses.
Il faut les ralentir, pensai-je en arrivant au quatrième étage. Je ne peux pas avancer si je dois sans cette m'arrêter pour les battre.
Je tombai à genoux sur le palier et claquai des mains avant de les plaquer sur le carrelage. La lumière bleue m'enveloppa de sa couleur familière. Derrière moi, la dernière marche se résorba, et l'escalier se liquéfia, coupant tout accès à l'étage. Je fermai les yeux et me concentrai pour en faire autant sur l'escalier à l'autre bout du bâtiment. Je n'avais pas l'habitude de transmuter à distance, mais en me concentrant, les mains plaquées sur le sol, je parvins a sentir de manière presque organique la structure de pierre, de métal, de bois et de plâtre du bâtiment, et, même si je n'avais aucun moyen d'en être sûr, je sentis que j'étais parvenu à détruire l'autre escalier.
Je me relevai vivement, titubai, me raccrochai à la rampe pour ne pas tomber et repris mon ascension, réalisant avec horreur que j'avais le souffle court et la tête qui tournait. J'avais mis trop d'énergie dans ces dernières transmutations, et cette foutue bande qui écrasait ma poitrine et entravait ma respiration ! Je me mordis la lèvre, priant pour que personne d'autre ne s'oppose à moi dans les secondes à venir. Heureusement pour nous, nous avions attaqué en fin d'après midi, la plupart des militaires avaient quitté les lieux ou avaient quitté les bureaux pour s'entraîner dans le complexe sportif du QG. Je ne croisai personne pendant les deux minutes qui suivirent, répit dont j'avais grandement besoin pour au moins reprendre mon souffle. Je déglutis ma salive épaissie par l'effort et me lançai dans le couloir. Une porte s'ouvrit, laissant passer une silhouette en bleu qui sursauta en me voyant arriver. Je bondis et la plaquai contre le mur, réalisant seulement une fois mon geste terminé que c'était manifestement une des secrétaires et qu'elle n'était pas du tout armée.
- Le bureau du Général de Corps d'armée ?
Elle me désigna le bout du couloir d'une main tremblante, visiblement incapable d'émettre le moindre son. Je la lâchai aussitôt et elle s'effondra comme une poupée de son sur le seuil de la porte. En la voyant reculer à quatre pattes, je pris conscience de la violence que je devais dégager à cet instant. Je n'avais envie de tuer personne, mais quand les militaires n'hésitaient plus à me tirer dessus, je n'avais pas d'autre choix que laisser mes réflexes prendre le dessus.
- Je suis désolé, répétai-je vainement.
Je me remis à courir vers le bout du couloir. J'avais eu le temps d'y réfléchir. Ce n'était même pas mes membres le véritable problème. Bien sûr, cette idée me brûlait en permanence depuis que je m'en étais rendue compte, et elle avait même réussi à éclipser le reste, mais j'avais, passé la première colère, pris conscience de quelque chose :
Si Cub était, comme le supposait Al, innocent ? S'il pouvait être notre allié ?
Si Winry ou Al avaient été emprisonnés par l'armée, j'aurais pu tuer pour les libérer. Je n'avais aucune affection pour l'enfant Homonculus, mais peut-être était-il innocent. Qui laisserait un innocent aux mains des Hoconculus ? Dieu savait ce qu'il subirait si je l'abandonnait à son sort. Ils étaient prêts à tout pour atteindre leurs objectifs, et seraient assez persuasifs pour s'en faire un allié. Et s'il y avait quelque chose dont j'avais bien envie de me passer, c'était d'un ennemi immortel de plus.
Là !
J'arrivai devant la porte, l'ouvris d'un coup de pied particulièrement violent et entrai dans la pièce. Il faisait sombre, les rideaux avaient été tirés. En une fraction de seconde, je me figurai les lieux. Un bureau élégant, des portraits sur les murs, deux fauteuils, face à face au milieu de la pièce. Cub, les mains menottées, assis face à King Bradley en personne.
Ou était-ce Envy ?
Je n'avais pas le temps de me poser plus de questions. L'homme leva les yeux vers moi, avec un regard beaucoup trop calme qui me glaça le sang. Le gamin, lui, se recroquevilla en me voyant, encore échaudé de la dernière fois.
- Cub ! Viens ! m'exclamai-je. Izumi est avec moi !
L'enfant Homonculus me regarda, puis regarda King Bradley, et son regard alla de l'un à l'autre, se demandant visiblement qui de nous deux le terrifiait le plus.
Évidemment. Si ça avait été Izumi, ou Al, il se serait précipité vers eux sans hésiter ! Mais moi, j'étais son ennemi. Je l'avais frappé, je l'avais fait fuir… Je fis quelques pas, et Cub bondit hors de sa chaise pour se précipiter dans le coin opposé. Alors que j'essayais de le rejoindre, King Bradley se leva et tira lentement son sabre, me barrant la porte à geste lents, comme si la situation ne l'inquiétait aucunement. Dans le silence surréaliste de la pièce, je sentis ma raison vaciller.
- Fullmetal… Il me semblait bien que votre respect des hiérarchies était défaillant, commenta-t-il. Arrêtez de faire des dégâts, et je vous promets un jugement équitable.
Je vis derrière lui la secrétaire qui m'avait désigné les lieux, observant la scène depuis le couloir dans un mélange de terreur et de fascination. Quelques militaires arrivèrent, ayant trouvé je-ne-sais-comment le moyen d'arriver jusqu'ici, témoins supplémentaires de la situation. Comme si j'avais besoin de ça !
Pendant quelques secondes, je restai immobile. Je ne savais tout simplement plus quoi faire. Casser la gueule de quelques soldats dans les couloirs, c'était une chose, désobéir au chef du pays en personne, devant témoins, c'en était une autre. Je pensai à Mustang, et l'entendis presque me hurler dessus dans ma tête, me demandant pourquoi je m'étais mis dans une situation pareille. Quoi que je fasse, j'étais dans la merde.
Le coeur battant à tout rompre, je fis le point aussi vite que mon cerveau me le permettait.
Si je me rendais, Cub atterrirait à portée de main des Homonculus, et je finirais, au mieux en taule, au pire, devant un bataillon d'exécution. Malgré l'aide que je pouvais avoir de Mustang, et même si King Bradley prenait le parti de me protéger — pour quelle raison ferait-il ça d'ailleurs ? — je perdrais toute liberté de mouvement. Je ne serais pas près de revoir les autres. Et Izumi ne comptait de toute façon pas repartir les mains vides.
Si je me défendais, c'était quitte ou double. Soit j'étais tué, soit je parvenais à libérer Cub et à m'enfuir. Pour aller où, je n'en savais rien, mais après tout, avec le secret de mon corps, j'avais un sacré atout pour échapper aux recherches.
Encore fallait-il réussir à s'échapper, ce qui était pour le moment très mal parti.
Je jetai un coup d'oeil à Cub, qui, manifestement, sentait la gravité de la situation sans parvenir pour autant à la comprendre. Comment le convaincre de me suivre ? Qu'est-ce qui pourrait le pousser à me faire confiance ?
Une scène me revint comme un flash. Le jardin inondé de soleil, Cub et Al assis dans l'herbe, face à face, et se serrant la main pour sceller une promesse.
"Je ferai tout pour que tu sois toujours avec Al, ou Izumi, ou Sig, ou Winry, d'accord" ?
J'avais prononcé cette phrase à voix haute, presque sans m'en rendre compte, répétant presque au mot près ce que Al avait dit ce jour-là, et l'enfant ouvrit des grand yeux.
C'était les mots de mon frère. Et je savais ce que ça voulait dire, parce que je le connaissais depuis toujours. C'était les mots justes. Je jetai un coup d'oeil à King Bradley, qui avait froncé les sourcils, puis plantai mon regard dans les yeux violets, sentant que j'avais réussi à créer un lien avec lui grâce à Alphonse.
- Tu as bien conscience que je ne te laisserai pas passer cette porte vivant ? gronda le Généralissime, toujours calme, mais plus sérieux que jamais.
En entendant sa voix grave, et en voyant son regard brûlant, je sentis une profonde peur m'envahir. Ce n'était pas seulement parce que c'était le chef de mon pays, l'autorité utile, non. À travers son regard, je sentis que c'était pire que ça.
Et, comme si elle m'était tombé dessus, une prise de conscience explosa dans ma tête. Il était au courant pour les Homonculus, sans l'ombre d'un doute. Il savait qui était réellement Juliet Douglas. Comment aurait-il pu ignorer qui était réellement cette femme ? Comment aurait-il pu être assez inconséquent pour lui donner autant de pouvoir s'il n'y trouvait pas d'intérêt, s'il n'était pas complice ? Elle n'existait que depuis trois ans !
Était-il un Homonculus ? Je n'en savais rien.
Était-il un ennemi ? Sans l'ombre d'un doute.
Je ne sais comment, je parvins à sourire. Un sourire maladroit sans doute, perclus de peur que j'étais, mais un putain de sourire tout de même.
- Ça tombe bien, fis-je en claquant dans mes mains. Je ne comptais pas passer par la porte.
Je jetai une main sur le poignet de Cub, qui fut attiré vers moi avec un cri de surprise, l'autre contre le mur qui bascula en arrière, lentement, comme un clapet. Je me laissai tomber dans son sillage, tandis que l'Homonculus hurlait à plein poumons en se sentant précipité dans le vide. Mes oreilles tintèrent, mais malgré la peur instinctive qui m'étreignait, je savais que ça irait. Je sentais la chaleur de l'Alchimie qui pulsait dans ma paume appuyée sur le mur, Je voyais les éclairs bleus lécher la façade et cascader vers le sol. En dessous de nous, je percevais la formation des couches successives de plâtre qui allaient amortir notre chute. Des coups de fusils claquèrent, ne rencontrant que le vide, et j'eus cette infime victoire, avant que l'intérieur de la pièce ne se dérobe à mon regard, de voir un éclair de surprise dans le regard de King Bradley.
Puis ma tête se cogna contre la vitre qui explosa, et vint la chute, bien plus rude que ce que j'espérais. Cub se raccrocha à mon bras avec un cri déchirant, visiblement terrorisé, et nous nous recroquevillâmes l'un sur l'autre par réflexe, tandis que nous nous cognions sans arrêt, fragments de mur, verre brisé, briques, plâtre, dans un tel chaos que je ne distinguai plus le haut du bas. Quand, enfin, un choc plus violent m'informa que nous avions atterri, je restai immobile quelques secondes, le souffle coupé par le choc, noyé dans un nuage de plâtre et de poussière. Cub, à côté de moi, était tellement crispé sur mon bras que ses muscles en tressautaient nerveusement. Il me faisait mal.
Et maintenant ? pensai-je sans parvenir à reprendre mon souffle.
Un tir siffla près de mon oreille, m'amenant un spasme de terreur. Nous étions provisoirement hors de portée de Bradley, mais il y avait des dizaines, non, des centaines de militaires qui nous tenaient en joue et pouvaient nous tirer comme des lapins.
Sans parvenir à reprendre mon souffle, les oreilles tintantes, je claquai des mains et les plantai dans le gravier. Les débris me labourèrent la paume, mais je parvins avec l'énergie du désespoir à faire une transmutation de plus, dressant un mur de roche dans un éclat bleu. Les balles crissèrent, cognèrent sans pouvoir nous atteindre, et je me laissai tomber face contre terre, pas loin de perdre conscience.
Cette petite chute me secoua et je parvins enfin à prendre une goulée d'air, qui se transforma en toux. Hoquetant, m'étouffant à moitié, je parvins tout de même à retrouver une respiration un peu plus normale. Je sentis Cub me relâcher un peu pour se pencher vers moi d'un air inquiet. Il avait été cabossé par la chute et avait une respiration aussi erratique que moi, mais il ne semblait pas gravement blessé.
Envahi par le goût de fer et de plâtre, je crachai la salive ensanglantée que j'avais dans la bouche. Je m'étais mordu la joue, deux fois au moins, et ma lèvre était fendue. Une chance que je n'aie pas perdu de dents dans la chute.
Je suis un abruti, pensai-je. Comment je suis censé m'en sortir maintenant ? Il faut encore que j'arrive à nous faire sortir de l'enceinte de la cour et à les semer. Et je suis déjà à bout de forces.
Je plissai les yeux, me forçant à faire défiler toutes les possibilité dans mon cerveau perclus de douleur, sentant le désespoir m'envahir. Je ne trouvais pas de solution. Tout du moins, pas de solution réaliste étant donné mon état. Je ne tenais même plus debout, impossible de trouver l'énergie de forcer un tunnel par alchimie pour rejaillir un peu peu plus loin, et je n'avais aucune idée moins coûteuse en énergie. D'ici que les militaires arrivent jusqu'à nous, il y restait quoi ? Une poignée de secondes ?
Le coups de fusil répétés commençaient à fissurer le muret de roc, et un instant, je crus que tout était perdu. J'allais mourir, Cub allait revenir aux mains de l'ennemi, Al et Winry allaient pleurer, et Mustang, putain, Mustang allait me détester.
Puis il y eut une énorme explosion, et un nuage de fumée qui me piqua les yeux et m'arracha la gorge. Cub à côté de moi toussa comme un beau diable, et je n'étais pas mieux. Mes oreilles sifflaient encore du choc quand je me sentis décoller du sol, soulevé par quelqu'un. Cub, à côté de moi, poussa un cri en se sentant tiré à son tour.
Et voilà, je suis foutu, pensai-je, tentant de me débattre tout de même.
- Arrêtez, imbéciles, souffla la voix familière d'Izumi.
Quand nous avait-elle rejoints ? Je n'en savais rien. Mais le cri que Cub avait poussé tout à l'heure m'avait déchiré les tympans, il avait dû arriver jusqu'à elle. Presque indifférente au brouillard infect laissé par ce qui devait être des grenades lacrymogènes bricolées sur le tas, elle profita de la confusion pour traverser l'esplanade à grand pas, un enfant sous chaque bras. Parce que, soyons honnêtes, à cet instant, je n'étais plus que ça.
Incrédule, je réalisai à contretemps que nous avions quitté cette cour où j'étais persuadé de vivre mes derniers instants.
Elle nous balança pêle-mêle dans un side-car, et, en voyant arriver des militaires, dégaina une arme qu'elle avait calée dans la ceinture de son pantalon et tira quelques coups, juste assez pour les faire reculer quelques secondes. Elle sauta à califourchon sur la moto, claqua dans les mains et démarra en trombe, nous éloignant du Quartier Général.
Je clignai des yeux quatre ou cinq fois, les oreilles bourdonnantes, les yeux brouillés de larmes, emberlificoté avec Cub qui était tout aussi sonné.
- Ça va, vous n'avez rien de cassé ? demanda-t-elle.
- Je… je crois que non, bredouillai-je.
- Cub ?
- … J'ai eu très, très peur.
A ces mots, Izumi sourit.
- Si ça n'est que de la peur, ça va !
Les sirènes des fourgons lancés à notre suite retentirent derrière nous.
- On a de la compagnie on dirait.
- Comment on va faire pour les semer ? fis-je d'une voix un peu geignarde.
- Ne n'inquiète pas, je connais la ville par coeur ! Pourquoi j'ai pris un side-car d'après toi ?
- Euh…
- Tu vas vite comprendre ! Rentrez la langue et penchez-vous en arrière, s'exclama-t-elle avant de virer de bord brutalement, après un coup d'oeil en arrière pour vérifier que personne n'avait eu le temps de passer l'angle derrière nous.
J'étais peut-être un casse-cou à la limite des tendances suicidaires, mais quand je vis l'escalier descendant qui terminait la ruelle qu'elle venait de prendre, je me sentis blanchir.
Oh mon Dieu, elle va nous tuer !
Cub ouvrit la bouche pour crier, et, par un réflexe à la fois idiot et censé, je le baîllonai. Vu la puissance de ses cordes vocales, inutile de leur donner plus d'indications sur notre emplacement si on voulait leur échapper un jour.
Ses dents laissèrent des marques dans ma paume, et chaque marche heurtée par les roues réveilla les douleurs laissées par ma chute. À quatre reprises au moins, je crus que nous aillons faire un tonneau, mais à la fin, comme par miracle, la moto et le side car retombèrent sur leurs roues. Izumi tourna immédiatement à droite puis s'enfonça dans une autre ruelle, particulièrement étroite. Heureusement pour nous, les rues étaient désertes.
- Personne ne nous suivra jusqu'ici, nous lança Izumi, en prenant une nouvelle ruelle, qui, si elle ne se transformait pas en escalier, restait terriblement pentue.
- Personne n'a envie de mourir ! crachai-je, retrouvant enfin un peu d'aplomb.
- Dit celui qui saute du cinquième étage, commenta-t-elle ironiquement.
- Rhoh, c'est bon, grommelai-je. J'ai fait ce que j'ai pu.
- Et ça a bien marché, fit-elle avec un sourire, avant de tousser.
Des gouttelettes de sang tachèrent le blanc de sa tenue, et je levai vers elle des yeux inquiets.
- Et vous, ça va ?
- J'ai peut-être un peu forcé, admit-elle en essuyant sa bouche d'un revers de main négligent. Ça faisait longtemps que je n'avais pas donné autant de coups. Bon, on est arrivés.
- Arrivés ? Où ? demandai-je, curieux, tandis qu'elle ralentissait devant une porte et coupait le moteur.
Sans répondre, elle ouvrit la porte de la dépendance devant laquelle nous nous étions arrêtés, et poussa le véhicule dans la pénombre de l'intérieur, avant de refermer derrière nous.
Le bâtiment était de guingois, presque en ruine, noyé de poussière et de toile d'araignées. L'odeur de vieux produits et de pourriture me pris à la gorge. Seule une fenêtre à la vitre cassée éclairait un peu les lieux, et il me fallut quelques minutes pour m'habituer à l'obscurité. Durant ce temps, je restai là, le coeur battant à tout rompre, complètement incrédule. Nous étions vivants. Nous avions réussi à récupérer Cub, nous étions parvenus à nous échapper et à semer les militaires. Je secouai la tête, peinant à assimiler l'idée, et finit par avoir un rire nerveux. Cub m'imita, sans doute soulagé aussi, et nous nous extrayâmes ensemble du side-car. Il sauta au cou d'Izumi avec une exclamation de joie, et malgré moi, je me sentis sourire.
- On n'a pas trop le temps de se réjouir, rappela Izumi d'un ton sévère. Le plus dur reste à faire.
- Disparaître.
- Exactement.
Je me redressai, et sentis tous mes muscles protester. J'avais mal partout après ce combat et ma grosse chute, et je commençais à m'en rendre compte. J'allais sans doute être littéralement couvert de bleus. Heureusement que je n'avais rien de cassé et que je guérissais vite. Je jetai un coup d'oeil à Cub, et constatai qu'il n'avait plus de marques de coups. Il avait guéri sans même que je le remarque. C'était normal, en même temps, c'était un Homonculus… mais après avoir remarqué cette anormalité, je détournai les yeux, mal à l'aise, et reportai mon attention sur mon maître. Izumi avait les mains et les coudes ensanglantés d'avoir trop frappé. Quand mon regard tomba dessus, je grimaçai en pensant à la douleur qu'elle devait éprouver.
- On est un peu amochés, commenta-t-elle.
- Ça pourrait être pire, fis-je. On n'a rien de cassé déjà.
- Oui, mais ces blessures nous rendent repérables.
- C'est vrai.
Je fis quelque pas dans le cabanon abandonné, observant les lieux pour voir ce que nous pouvions utiliser. De vieilles bottes de jardin, des sacs de tissu, du foin, et tout un bric-à-brac d'outils de jardin et autres objets. Rien d'immédiatement utile, mais pour des alchimistes comme Izumi et moi, nous avions de quoi faire pas mal de choses. Elle s'avança, récupéra un seau qu'elle retourna pour en faire tomber l'éponge desséchée et empoussiérée qui s'y trouvait, puis ouvrit le robinet pour y verser une eau crachotante, troublée de rouille. Une fois le seau à moitié plein, elle claqua des mains et le transmuta pour en retirer la saleté, avant de s'y rincer les mains et le visage. L'eau fut rapidement assombrie de sang et de poussière, et quand elle me tendit, je le transmutai de nouveau pour purifier l'eau. Je retirai mon manteau et ma veste pour me débarbouiller et me nettoyer jusqu'aux coudes. La fausse peau de mon bras droit avait été déchirée par endroits, des graviers et éclats de verre y étaient restés fichés. Je grimaçai en imaginant la tête de Winry. Je réparai tout cela d'un coup d'alchimie, avant de me rappeler qu'elle ne risquait pâs de revoir la prothèse de sitôt.
- Bon, Maître, vous avez un plan ?
- Oui, je me disais qu'on pourrait aller dans le Nord, le temps de se faire oublier.
- Et vous comptez y arriver comment ?
- Les égouts sont nos amis, fit-elle avec un clin d'oeil Je pense parvenir assez facilement à sortir de la ville, et si on arrive à atteindre le village voisin, je devrais pouvoir me débrouiller pour nous embarquer.
- Mais ils vont boucler la ville ! On va être recherchés ! On est déjà recherchés.
- C'est vrai, ils vont tout surveiller… Mais tu oublies une chose.
- Quoi ?
- Les passeurs n'aiment pas l'armée, répondit-elle avec un sourire en transmutant. Avec l'édit de Doyle, ils doivent payer cher pour avoir le droit de circuler sur les fleuves principaux et de s'amarrer dans les grandes villes, alors je te promets qu'ils ne louperont pas une occasion de faire tourner les militaires en bourrique.
Je plissai les yeux, songeur. il me semblait que j'en avais déjà entendu parler, il y a longtemps, de ce droit fluvial. Malgré tout, j'étais perplexe.
- Vous pensez que ça suffira comme argument, pour que des personnes prennent le risque de vous embarquer ? Et puis, ils seront quand même fouillés, non ?
- Ne t'inquiète pas, répéta-t-elle avec un clin d'oeil, j'ai des bonnes relations. En plus, les péniches sont des moyens de transports lents, l'armée s'en méfie assez peu. Ils vont surveiller en priorité les axes routiers et ferroviaires.
Cub, s'était désintéressé de la conversation qui contenait trop de mots qui lui étaient étrangers, et commençait à m'imiter en se débarbouillant à son tour.
- Vu comme ça… marmonnai-je en en détachant ma tresse avant secouer mes cheveux pour en faire tomber la poussière de plâtre.
- Et toi ?
- Je pensais prendre partie de ma… particularité, fis-je en rougissant à ce dernier mot. Avec ça, je devrai pouvoir circuler sans trop éveiller les soupçons. Je vous accompagnerais bien, mais…
- Mais tu as d'autres projets, compléta-t-elle avec un sourire.
Je hochai la tête.
- Autant en profiter. Avec une fausse identité, tu seras bien moins repérable que nous deux. On a intérêt à se séparer.
Je hochai la tête. Elle allait partir avec Cub dans le nord, et moi… j'avais quelques recherches à faire sur notre Généralissime.
- Au fait.. Je pense que King Bradley fait partie de nos ennemis.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- La discussion que j'ai eu avec lui tout à l'heure.
- Oh. C'est un argument, admit-elle en soulevant ses tresses, un sécateur dans l'autre main.
- Vous faites quoi ?
- Ça ne se voit pas ? Je me coupe les cheveux, commenta-t-elle d'un ton agacé. Il n'y a rien de plus repérable que ces tresses.
- Vous ne voulez pas les défaire ?
- On a pas pas cinq heures à perdre à ça, rappela-t-elle.
Je la regardai faire, estomaqué. D'aussi loin que je me souvienne, elle avait toujours eu cette coiffure, et l'idée qu'elle change de tête me perturba étrangement. Muet, je regardai les tresses tomber les unes après les autres. Ce détail très concret me faisait réaliser les conséquences de nos actes. Nous étions des hors-la-loi. Recherchés par l'armée. Criminels.
- Alors, ce n'est pas trop horrible ? demanda-t-elle d'un ton un peu moqueur en se tournant vers moi en se frottant la tête pour achever de défaire les tresses qu'elle avait coupées.
Il ne lui restait plus que quelques centimètres de cheveux noirs sur la tête. Des mèche irrégulières et indisciplinées, qui bouclaient dans tous les sens et gonflaient autour de son visage. Je restai figé quelques secondes, la bouche entrouverte.
- Vous ressemblez à un mec.
- Tu veux une baffe ? menaça-t-elle avec une pointe d'humour, avant de se figer. Oh…
- Quoi ?
- Ça ne serait pas si mal, finalement.
A peine avait-elle dit ça qu'elle claqua des mains et les posa sur ses vêtements. Sa tenue se reforma sur elle, et elle se retrouva avec une veste massive à poches, un large pantalon et d'épaisses chaussures. Sa poitrine avait été comprimée par une bande qu'elle avait transmuté à même le corps.
- Qu'en pense l'expert ?
- C'est… C'est pas mal, bredouillai-je, troublé de la voir aussi méconnaissable. Il va falloir bosser la voix par contre.
- Et moi, demanda l'Homonculus. Qu'est-ce que je fais ?
- On lui coupe les cheveux ou on le travesti aussi ?
- Tentons la deuxième option.
Ainsi, l'enfant Homonculus se retrouva aussitôt en robe verte et veste noire, ce qui ne sembla pas le bouleverser le moins du monde. En même temps, la première fois que je l'avais rencontré, il était nu, alors, les conventions sociales lui passaient bien au dessus de la tête. Izumi d'un côté, moi de l'autre, nous lui tressâmes rapidement les cheveux en continuant les discussions.
- On en avait déjà parlé, Ed, mais je connais quelqu'un qui pourrait t'aider à entrer dans le milieu. Je ne l'ai pas vu depuis longtemps, mais je sais que c'est une personne de confiance.
- Ça m'intéresse, fis-je. Vous avez une adresse ?
- Je vais t'écrire ça. Et puis, je comptais te faire une lettre de recommandation.
- Rien que ça ? !
- C'est une personne assez… rigide, va-t-on dire, fit-elle avant d'attraper l'un des deux élastiques dans la main de l'Homonculus.
- Vous me rassurez tellement.
- Comme si l'autorité te faisait peur… rappelle-moi à qui tu as tenu tête tout à l'heure ? Se moqua-t-elle.
- C'est pas pareil !
Je terminai la deuxième tresse de Cub, qui me regardait avec un peu de méfiance, se rappelant une fois la tension retombée que je l'avais rué de coups et poursuivi la veille. Tandis qu'Izumi écrivait la fameuse lettre, je me penchai en avant pour voir le résultat de nos expérimentations. Avec cette coiffure, une jupe, des chaussettes blanches et des chaussures à boucle, Cub ressemblait vraiment à une fillette. Cette vue m'amena un petit rire, et soudainement, je compris pourquoi Winry ne pouvait pas s'empêcher de me mettre en boîte quand elle voyait me travestir.
C'était beaucoup plus drôle quand c'était les autres.
- Avec un chapeau sur la tête pour planquer son visage, ça sera parfait, fis-je en claquant les mains dans une meule de fois pour en tirer un chapeau de paille.
- Tu auras intérêt à mettre quelque chose, toi aussi, fit Izumi sans lever les yeux de son ouvrage. Tu as une belle plaie à l'arrière du crâne.
Je tâtai mon cuir chevelu et sentis une zone douloureuse, encroûtée de sang séché. C'était là où je m'étais cogné contre la vitre. Je tâchai de rincer la plaie et mes cheveux agglomérés de sang avec un soupir blasé. Depuis la mésaventure du cinquième laboratoire, j'avais eu le temps de remarquer que mon organisme récupérait particulièrement vite des coups et blessures, aussi n'étais-je pas vraiment inquiet. Même sans désinfecter ni recoudre, j'étais persuadé de m'en remettre rapidement et sans séquelles.
- Voila, c'est prêt, fit-elle en me tendant une enveloppe et un bout de papier déchiré contenant l'adresse.
- Merci.
- Allez, on va éviter de perdre notre temps, fit-elle en me serrant dans ses bras.
Je fermai les yeux et posai mon front contre son épaule. Aussi brute et caractérielle qu'elle soit , Izumi était ce qui se rapprochait le plus d'une figure maternelle depuis que j'étais orphelin, et l'idée de la voir partir me bouleversa soudainement. Je me raccrochai à elle, horrifié à l'idée qu'elle parte… car une fois qu'ils ne seraient plus là, j'allais me retrouver seul comme je ne l'avais jamais été.
Elle se détacha de moi et me tapota la tête avec un sourire encourageant.
- Hé, ne fait pas cette tête ! fit-elle d'une voix rassurante. Ce n'est que partie remise !
Je me forçai à sourire, déglutissant à la fois. C'était seulement maintenant que je réalisai pleinement la gravité de ce que j'avais fait. Je n'allais plus voir ni, ni Al, ni Winry, ni aucune autre personne qui m'était proche pendant des jours au moins.
Elle se mit à genoux et transmuta le sol de terre battue, créant un vide béant.
- Bon, on y va, fit-elle, assise sur le bord du trou. Si tu nous cherche à l'avenir, mon lieu de destination est au dos, fit-elle. Tu viens, Cub ?
- On part où ?
- À l'aventure, répondit-elle avec un sourire.
La réponse sembla le satisfaire, puisqu'il sauta à sa suite, ses tresses se balançant de chaque côté de ça tête. Cette dernière image ruina la méfiance que j'avais pour lui en la remplaçant par une envie de rire nerveusement. J'entendis l'écho de leur chute, leur voix dans l'obscurité, et mon coeur se serra. Je ne voulais pas être seul. J'étais tenté de les rejoindre, mais elle transmuta le trou derrière elle sans me laisser le temps de changer d'avis.
Je restai quelques secondes à genoux devant ce ciment poussiéreux, tremblant un peu, luttant contre une envie ridicule de pleurer. Je ramassai les tresses d'Izumi et les fourrai dans la poche de mon manteau. Autant éviter de laisser derrière nous des indices aussi évidents. Puis, je pris une grande inspiration et claquai des mains, avant de les poser sur moi pour transmuter mes vêtements, changer d'apparence. Changer de peau. Changer de vie.
Je repassai le fil des derniers jours, me demandant ce que j'aurais pu faire pour que rien de tout cela n'arrive. Peut-être, si je n'avais pas frappé Cub, s'il ne s'était pas enfui, rien de tout cela ne serai arrivé ? Est-ce que tout cela était de ma faute, et que je ne faisais que récolter ce que j'avais semé ? Sans doute.
À présent, je portais une robe noire bien décolletée, des bottes à talons, un manteau rouge et beige, et un béret rouge vif pour cacher ma blessure sur le crâne et mon épi rebelle. J'eus une impression de flottement, comme si j'étais en équilibre précaire. Ce n'était pourtant pas la première fois que je me faisais ça.
Mon visage…
Je jetai un oeil à la quincaillerie posée sur un meuble piqué aux vers, et avisai des outils rouillés et des bocaux de vis. Je claquai des mains pour transmuter une grosse paire de lunettes rondes à partir de ces objets abandonnés. D'un geste hésitant, je la mis sur mon nez. Je cherchai mon reflet dans la vitre fendue d'un fenêtre condamnée et ne me reconnus pas. C'était sans doute bon signe. J'avais la lèvre fendue et le visage écorché, mais cela disparaîtrait rapidement.
Je ne devais pas traîner. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils ne fouillent jusqu'ici. Après un coup d'oeil au side-car, je le transmutai d'un claquement de main, et il se transforma en carcasse de ferraille rouillée et tas de clous et visserie. Ainsi, il en resterait plus une trace de notre passage ici. Après avoir jeté un oeil à la lucarne pour vérifier que la voie était libre, puis poussé prudemment la porte, je sortis et fermai derrière moi, laissant dans l'obscurité mon ancienne vie.
Au pied des marches, une fillette et son chien jouaient. À l'étage, une femme étendait sa lessive à la fenêtre. Un couple marchait main dans la main. Peu à peu, les rues se repeuplaient en même temps que la chaleur baissait, me donnant l'impression que cette journée entière n'était qu'un rêve, que je n'étais pas réellement là.
Quand je croisai un fourgon aux sirènes allumées, puis des militaires sur le trottoir, un peu plus tard, l'appréhension ne parvint pas à me tirer de ma léthargie, et ils continuèrent leur chemin sans me remarquer.
De toute façon, ça ne me concernait plus vraiment, n'est-ce pas ? C'était quelqu'un d'autre qu'ils recherchaient.
Le soleil était bas, inondant de sa lumière dorée la rue où j'étais, m'éblouissant un petit peu. Je levai la tête en me protégeant les yeux pour regarder le ciel. Face au désastre de la situation, je me sentais étrangement vide. J'aurais dû paniquer, me traiter de tous les noms, m'angoisser pour les conséquences de mes actes. Cette fois, c'était sûr, l'armée n'allait pas me laisser tranquille aussi facilement. Les recherches étaient déjà lancées.
Mais aucune pensée ne me venait à l'esprit, j'étais même incapable de savoir si j'étais triste, en colère, ou n'importe quoi d'autre.
Je marchai un peu au hasard, sentant le vent s'infiltrer dans mon manteau et le faire claquer derrière moi. Je renfonçai le béret que j'avais transmuté à la va-vite pour dissimuler ma blessure, cherchant à me raccrocher à quelque chose.
Al.
Je devais le rassurer. Lui dire que j'allais bien. Que j'avais un plan, même si ce n'était pour l'instant qu'une ébauche grossière. J'avais l'idée, et l'adresse d'une amie d'Izumi. Il ne pourrait pas m'accompagner, mais je pouvais au moins le rassurer, et lui dire que je pensais à lui. Je n'avais même pas eu le temps de lui reparler vraiment, depuis que j'avais découvert que Cub portait mon bras et ma jambe. Ma colère avait disparu trop tard, je n'avais pas pu lui dire en face que je lui pardonnais de me l'avoir caché, que je comprenais, moi qui avait passé sous silence tant de choses. Je voulais m'excuser d'avoir été ce grand frère désastreux qui, sous prétexte de le protéger, était sans doute celui qui lui avait fait le plus de peine.
Je ne pouvais pas retourner dans la boucherie maintenant, ça serait trop suspect et si l'armée arrivait à ce moment-là, mon déguisement ne ferait pas long feu.
Pourtant, mes pas m'avaient ramené là. La lumière blondissait les murs, embellissant tout, et le vent dansait dans les vêtements, les cheveux des passants, vivant comme jamais. Le temps était… vraiment… magnifique.
Je n'avais même pas besoin d'arriver à la hauteur de la boutique pour comprendre que la voiture noire garée à côté était mauvais signe. Je décidai, petite provocation, de continuer mon chemin comme si de rien n'était, sentant les battements de mon c?ur s'accélérer et remonter dans ma gorge. Je pris conscience qu'à partir de maintenant, j'allais avoir peur des militaires. J'étais passé sans attendre du statut d'Alchimiste d'Etat à celui de hors-la-loi. C'était inconfortable, dangereux, même, mais d'un autre côté, ce rejet de l'armée était réciproque. Je les haïssais pour ce qu'ils faisaient, ce qu'ils voulaient me faire faire. Savoir qu'ils n'avaient plus de prise sur moi pour me contraindre à agir contre ma volonté, c'était quand même un sacré soulagement.
Je glissai mon regard vers l'intérieur de la boutique. Avec la lumière du soir, la rue se reflétait comme dans un miroir, et je voyais plus ma propre silhouette que ce qui se passait à l'intérieur. La porte s'ouvrit à la volée, laissant passer trois personnes en uniforme. Derrière, j'entrevis les silhouettes familières et déjà si lointaines. Winry ouvrant des yeux ronds, Sig, qui se tenait derrière le comptoir en cambrant tellement les épaules qu'on aurait dit qu'il voulait exploser la boutique avec, et Alphonse, recroquevillé sur lui-même, une main crispée sur son front. Je ne pouvais pas voir son visage, mais malgré cela, son désespoir était tellement visible que j'avais l'impression de recevoir un coup dans la poitrine. L'espace d'une fraction de seconde, mon regard croisa celui de Winry.
La porte se referma.
Impossible de savoir si elle m'avait reconnu, si elle avait compris, je ne pouvais plus voir son expression. Comment pourrait-elle savoir quelle apparence j'avais prise pour échapper aux militaires ? Pour elle, je n'étais sans doute qu'une passante parmi des centaines d'autres. Alors, je continuai mon chemin comme si j'en étais réellement une, tâchant d'effacer toute expression notable de mon visage. Les hommes en uniforme me doublèrent peu après sans me remarquer. Je regardai leurs silhouettes bleu roi aux épaules larges tourner au coin de la rue avec un pincement au c?ur. Ils m'interdisaient de voir mon frère et Winry. Et ce n'était que le début.
J'eus une pensée pour Hugues. Était-ce cela qu'il vivait ? Ne pas pouvoir voir sa famille, se cacher, taire tout de son ancienne vie pour survivre et protéger les siens ?
Non, pour Hugues, c'était bien pire : Il vivait parmi les Ishbals, ceux-là même qu'il avait tués quelques années auparavant, et qui étaient toujours haïs et traqués sans relâche. Son destin à lui était bien plus âpre que le mien, je n'avais pas le droit de me comparer à lui en me lamentant sur mon sort.
Par contre, repenser à cet ami me rappela dans un flash la carte postale que Mustang m'avait montré une fois quand j'étais venu chez lui « je t'en ai trouvé une belle ». Une carte postale noir et blanc avec la photo d'une poule ridicule qui nous avait apporté un soulagement immense.
Je ne pouvais pas téléphoner à Al et Winry, je ne pouvais pas les revoir, mais rien ne m'empêchait de leur envoyer un courrier. Une carte postale. Sans expéditeur. Sans indices.
Je continuai mon chemin à pas lents jusqu'à ce que mes pas m'amènent devant une papeterie. Je m'arrêtai devant le tourniquet de cartes, cherchant quoi envoyer. Je ne pourrais pas écrire grand-chose dessus, autant en choisir une qui avait du sens. Je fis coulisser le présentoir, faisant défiler devant moi les photographies de la ville, les paysages, les animaux, les gens en costumes… Jusqu'à ce que mon regard tombe sur l'image d'une barrière ou trois enfants étaient assis côte à côte, dos au photographe, contemplant les montagnes en fonds. Outre le fait que la photo était superbe, je ne pouvais pas m'empêcher de penser à Alphonse, Winry et moi en la voyant.
- Excusez-moi ? demandai-je en me penchant de côté. À combien sont les cartes postales ?
Pour une fois que je ne me forçais pas à garder un ton masculin, j'eus l'impression d'avoir chuinté d'une voix désagréablement aigüe. Avoir forcé mes cordes vocales pendant deux mois n'était peut-être pas une bonne idée.
- Elles sont à deux cents, répondit le vendeur, un homme d'une cinquantaine d'années dont les lunettes rondes répondaient aux traits de son visage tout en courbes.
- Est-ce que vous vendez des timbres ? ajoutai-je.
- Bien sûr. Et des enveloppes, aussi.
- Un timbre me suffira, merci, répondis-je en lui tendant la carte avec un sourire timide.
- Très bien, ça vous fera trois cents.
Je réglai mon achat et repartis rapidement. Une fois éloignée de la boutique, je me permis un soupir incertain. Mon corps et ma voix étaient ceux d'une jeune femme, mais est-ce que mon comportement suivait ? Je n'arrivais pas à savoir comment être crédible dans ce nouveau rôle que je m'étais créé, et j'avais peur d'être trahi par ma manière d'être. Un problème que je devrais régler au plus vite.
Comme j'arrivais sur le quai de la rivière, je m'accoudai au parapet et tirai de mon sac de cuir un stylo. Je connaissais par c?ur l'adresse des Curtis. Je l'écrivis en lettres d'imprimerie dans la pénombre du soir, puis regardai le cadre blanc qui attendait que j'ajoute quelque chose. Avec un pincement au c?ur, je me rendis compte que rien de ce que je pourrais écrire ne suffirait. Plus j'en écrirais, plus je donnerais d'informations, et ce que je voulais vraiment leur dire serait juste dangereux. Il fallait que je sois subtil.
« Je pars en territoire étranger », ça pourrait être bien ? Alphonse comprendrait, sans doute, et les militaires pourraient se fourvoyer avec une fausse indication s'ils tombaient sur la lettre. Mais est-ce que ce n'était pas déjà un indice ? J'avais peu de chances que les militaires ne fouillent pas leur courrier, et je pouvais difficilement savoir jusqu'où remonterait l'information.
Et puis, ce n'était pas vraiment ce que j'avais envie de dire.
J'hésitai pendant de longues minutes, le stylo suspendu, cherchant les mots justes. Puis je compris ce que j'avais à dire. Finalement, ça ne dirait rien de ce que j'allais faire, ou j'allais aller et quelle identité j'allais prendre. L'essentiel tenait en quelques lettres.
« Pardon. »
Rien de plus. Pas de signature. Il saurait, de toute façon.
Je léchai le timbre et le collai sur la carte, puis cherchai des yeux une boîte aux lettres. Après quelques minutes d'errances, je finis pas en trouver une et glissai le message par la fente.
Voila.
Mon dernier lien avec mon frère. Pour rester en sécurité et sauvegarder ma fausse identité, je n'allais plus pouvoir lui parler avant un moment. Il allait devoir se débrouiller par lui-même. Au moins Winry était avec lui. Quant à moi, je me sentais plus orphelin que jamais.
Je restai devant la boîte aux lettres dans un moment de flottement, incapable de savoir quoi faire ni de repartir malgré le vent qui me ballottait comme pour ne faire comprendre que je n'avais pas à rester ici. Glissant les mains dans mes poches avec un soupir, je vis un allumeur de réverbère s'appliquer à ramener la lumière dans la rue. La nuit tombait pour de bon. Il était temps d'entamer cette nouvelle vie.
Non.
Il y avait quelqu'un d'autre à qui je devais faire mes adieux.
J'avais tâché de ne pas y penser. Il me manquait trop pour que ce soit une bonne idée. Mais là, j'étais bien obligé, même si je ne savais pas par quel bout aborder la confusion qui me montait à la tête quand je repensais à Roy Mustang.
Il m'avait considérablement aidé, il avait permis aux chimères du Devil's Nest de survivre, il avait sans doute changé considérablement le cours des choses. Il avait gardé un ?il sur moi avec un mélange de sévérité et d'inquiétude et m'avait soutenu dans mes pires moments.
Et demain, en arrivant à son bureau, il apprendrait que son subordonné était recherché par l'armée pour insubordination et complicité dans l'évasion d'un prisonnier ? Je ne pouvais pas partir comme ça. Il fallait au moins que je le prévienne de ce qui s'était passé, qu'il sache…
Je marchai dans la ville, les côtes douloureuses, la mine sombre, redoutant de trouver une cabine téléphonique que je cherchais pourtant. La nuit avait fait tomber le froid avec elle et je me pelotonnai dans mon manteau, bousculé par ce vent qui ne voulait pas baisser. L'automne était bel et bien là. Finalement, je trouvai une cabine dans une rue peu passante. La gorge serrée, je poussai la porte de bois et de verre, puis composai ce numéro que je connaissais par c?ur.
Il n'est pas si tard, il ne sera probablement pas chez lui, pensai-je en sentant mon pouls s'accélérer. Il est sûrement au QG, ou en train de sortir en ville. C'est idiot de l'appeler. Oui, c'est idiot, je devrais raccrocher. De toute façon, rien de ce que je pourrais dire n'effacera le problème.
Le téléphone sonna, une fois, deux fois, trois fois… j'étais sur le point de renoncer, convaincu qu'il était absent, quand sa voix résonna finalement à l'autre bout du fil.
- Allô ?
- Je faillis faire tomber le combiné en l'entendant. J'étais tellement persuadé de n'avoir aucune réponse que je ne savais plus quoi dire.
- Je… allô ? fis-je d'une voix hésitante, forçant ma voix grave encore un peu.
- Edward ?
- Oui.
- Tu as de la chance d'être tombé sur moi, je n'étais que de passage ici, fit-il d'une voix hâtive qui laissait deviner qu'il faisait autre chose en même temps qu'il répondait. Je ne peux pas rester très longtemps en ligne, j'ai un rendez-vous en ville.
- Ah… fis-je d'un ton que je n'arrivais pas à déchiffrer moi-même.
- Qu'est-ce qui se passe ? Tu as eu du nouveau ?
Mes mâchoires se crispèrent. J'allais avoir du mal à m'arracher cet aveu.
- Colonel… Je…
Le silence de l'autre côté se refroidit. Il avait dû sentir qu'il y avait un problème, car le remue-ménage que j'entendais en arrière-plan avait cessé. S'était-il arrêté pour m'écouter ? J'en avais bien l'impression.
- J'ai fait une énorme connerie.
Le silence tomba comme un couperet. Ça y est, il avait compris que l'heure était grave. Je l'imaginai, pâle comme la mort, dans son appartement si élégant, et cette idée me fit sentir terriblement mal.
- Cela concerne Cub ? demanda-t-il d'une voix sourde.
- Oui, murmurai-je, la gorge nouée. Les choses sont allées trop vite, et je n'ai pas eu le choix, et… Je ne suis pas sûr de faire encore partie de l'armée après une chose pareille.
- Qu'est-ce que tu as fait ? demanda-t-il d'une voix blanche. Tu n'as quand même pas… ?
Il n'ajouta rien, ne sachant sans doute pas quoi choisir parmi la longue liste de mes conneries potentielles.
- Je ne l'ai pas tué, si c'est ça qui vous inquiète. Et je ne regrette pas mon action, je pense que c'était la meilleure chose à faire. Mais je vais devoir en payer les conséquences.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? mumura-t-il.
- L'armée s'était emparé de Cub et Izumi est partie le récupérer. Je l'ai aidée, je n'avais pas le choix. Et en faisant-là, j'ai… fait face à King Bradlay.
- Tu as vu le Généralissime.
- Oui. Et je lui ai désobéi. J'ai réussi à m'enfuir avec Cub et Izumi. Ils ont pu s'échapper et sont partis de leur côté.
- Tu as… désobéi à King Bradley, fit Mustang d'une voix hachée.
Il prenait la pleine mesure de mon acte à ces mots. Je n'avais pas le temps de tout lui raconter, la manière dont j'avais explosé le QG de Dublith, les soldats que j'avais combattus, le chaos que j'avais laissé derrière moi… mais finalement, j'avais dit le plus important, et le plus grave.
- Tu lui a tenu tête et tu as survécu, souffla-t-il.
- Oui, je suis un peu cabossé, mais rien de grave.
Il poussa un soupir.
- Tu es la pire catastrophe que je connaisse.
- Désolé, murmurai-je.
- … Que comptes-tu faire, maintenant ? Tu es sans doute déjà recherché pour être emprisonné et jugé, et je vais devoir répondre de tes actes… Tu ne me facilites pas la tâche ! Le Généralissime ne va pas laisser passer un affront pareil…
- Je sais bien.
- Si tu es arrêté, il va te condamner à mort pour haute trahison.
- Je ne sais pas… Après tout, les Homonculus cherchent à me garder en vie, alors ça devrait aller ? Je suis pratiquement sûr qu'il est de mèche avec Douglas et les autres.
- Raison de plus ! Imagine les conséquences que ça aurait s'il te retrouvait ! Il n'hésiterait pas à te torturer pour te faire avouer tout ce que tu sais, et ce serait pire que la mort.
- Mais je ne laisserai pas ça arriver, Colonel. Je vais disparaître de la circulation.
- Comment ça disparaître de la circulation ? ! Tu crois vraiment que tu peux échapper à l'armée aussi facilement ? On ne peut pas dire que tu sois du genre discret !
Il avait dit ça d'un ton énervé, je ne savais pas si c'était contre moi ou contre l'armée qu'il en avait, mais je compris que cette colère, c'était la même que le jour où j'avais failli mourir bêtement sous les balles des terroristes, la même que quand il était arrivé en catastrophe dans la chambre d'hôpital de Hugues pour l'engueuler. C'était parce qu'il avait peur pour moi. À travers ma détresse et le flot de sentiments contradictoires, cette idée me réchauffa.
- Ne vous inquiétez pas, j'ai un plan, fis-je d'un ton léger.
- Ne sous-estime pas la gravité de tes actes ! L'armée va remuer ciel et terre pour te retrouver.
- Ça va aller Colonel. J'ai un déguisement du tonnerre… même vous, vous vous y laisseriez prendre ! Faites-moi confiance, je ne me laisserai pas attraper si facilement.
Je l'entendis pousser un soupir excédé à l'autre bout du fil. J'aurais pu jurer qu'il avait passé sa main dans ses cheveux, et qu'ils étaient retombés sur son front malgré ce geste.
- Tu ne me laisses pas le choix, ragea-t-il. Je compte sur toi pour faire attention…Il en va de ta vie.
- Je vous le promets.
Le silence qui s'ensuivit me déchira les entrailles. Je n'avais rien de plus à dire, et chaque seconde qui passait était plus gênante que la précédente, mais pour rien au monde, je ne voulais raccrocher. J'avais l'impression que j'allais cesser d'exister au moment précis où j'allais reposer le combiné. C'était la dernière fois pour une durée indéterminée que je pouvais parler de ma voix masculine, que je pouvais être moi-même, que quelqu'un pouvait m'appeler Edward…
Que je pouvais lui parler.
Je pensais être déchiré en postant ma lettre d'adieux à Alphonse, mais l'idée de raccrocher me semblait plus insupportable encore. Je me rendis brutalement compte à quel point il me manquait. Sa voix grave, ses yeux sombres, ses mèches noires, son sourire moqueur, son odeur, sa manie de me servir de l'alcool à chaque fois que je venais chez lui malgré mon jeune âge, l'attention avec laquelle il m'écoutait, sa main posée sur mon épaule…
- Soit prudent, Fullmetal.
Sa voix était plus calme, presque distante, mais paradoxalement, je sentis qu'il était encore plus en colère qu'avant. Je me souvins que je pour lui, ce coup de fil tombait mal : il m'avait dit qu'il était pressé.
- Bon… euh… je crois que vous avez rendez-vous… je vais vous laisser vous préparer, bafouillai-je, toute mon assurance évanouie.
- Oui.
J'avais l'impression qu'on m'avait planté un couteau dans le cœur et qu'on le tournait maintenant d'un quart de tour. Putain, pourquoi fallait-il que ce soit aussi difficile ?
- Je suis désolé, murmurai-je.
- J'imagine, fit-il d'une voix fermée.
- Au revoir, Colonel.
La tonalité sonna dans mon oreille. Il avait raccroché si vite que je n'étais même pas sûr qu'il ait entendu ma dernière phrase. Sur le coup, ce détail me parut terrible.
Je restai immobile quelques secondes, n'entendant plus que la tonalité et le souffle du vent qui s'acharnait contre la cabine téléphonique, se frayant un chemin par le moindre interstice. Figé comme une statue de cire, j'étais bel et bien obligé de reconnaître que c'était fini. J'allais devoir emballer la personne que j'étais dans une petite boîte et la ranger dans un coin obscur de mon cerveau. Plus Edward Elric allait être enterré profondément, moins je risquerais ma vie dans les jours à venir.
Je reposai le combiné, puis relevai la main après un instant d'hésitation, lâchant mon dernier lien avec mon ancienne vie. Voila. C'était fait. Finalement, je n'avais pas disparu.
Je dus quand même cligner des yeux plusieurs fois pour en chasser la buée. Je pris cinq respirations tremblantes avant de me sentir capable de pousser la porte vitrée de la cabine. Je me retrouvai dans l'obscurité mal dégrossie de la rue, et le vent me happa de nouveau, manquant de m'arracher mon béret, noyant mon visage dans mes cheveux détachés. J'avais instinctivement retenu mon couvre-chef de ma main gauche, mais rien de pouvait empêcher les mèches de danser et claquer dans tous les sens, brouillant ma vision.
Comme pour me faire comprendre que j'avais déjà assez perdu de temps et qu'il ne servait à rien de rester ici, les bourrasques me bousculèrent, ballottant mon sac et me poussant vers l'avant en s'engouffrant dans les pans de mon manteau qui me giflèrent les jambes. J'avançai presque malgré moi, porté par le vent et mes nouvelles réflexions. Il était trop tard pour rencontrer Olga Fierceagle aujourd'hui, j'allais devoir attendre demain pour frapper à sa porte. En attendant, il fallait bien que je dorme quelque part, que je prenne une douche digne de ce nom. Je devais trouver une chambre d'hôtel.
Je quittai la rue sans un regard derrière moi, le vent me piquant les yeux et me secouant de toutes parts. Je tâchai de trouver une sonorité positive à cette phrase qui tournait dans ma tête.
C'est une nouvelle vie qui commence.
