Eeeet... Bonne année tout le monde !

J'espère que vous passez de bonnes vacances, les miennes ne commençaient pas très bien avec mon poignet cassé, mais cela ne m'a pas empêchée de passer de bons réveillons, et cette période se termine en beauté avec une escapade à Londres. Je vous poste d'ailleurs ce chapitre depuis l'aéroport en dégustant un ultimate hot chocolate (avec chantilly, chocolat belge et mini marshmallows) ;)

Bref après un passage à vide somme toute très normal, je démarre l'année pleine d'idées et gonflée à bloc. J'apprivoise ma main droite en dessinant avec un résultat qui est une agréable surprise, mon accident est donc l'occasion de faire de belles découvertes, et c'est une expérience qui peut servir dans les histoires ! J'espère réussir à illustrer le chapitre ci-dessous même s'il y aura sans doute des maladresses.

Bref, on retrouve un point de vue que vous attendiez sans doute depuis un moment (NON, ce n'est toujours pas celui de Roy, et OUI, pour moi aussi c'est frustrant). Je me suis régalée à l'écrire, et j'espère qu'il vous plaira aussi ! Sur ce, j'arrête de bavarder et je vous souhaite une bonne lecture !


Chapitre 43 : Retrouvailles (Edward)

J'étais dans le train pour Central, seul dans le wagon, la tête dodelinant contre la vitre embuée. Le paysage qui défilait avait déjà la grisaille morne de l'hiver, et par moments, les gouttes d'une fine bruine venaient piqueter les vitres avant de rouler doucement, poussées par la vitesse du train. J'aurais dû ressentir une impatience fébrile à l'idée de revenir à la capitale, de retrouver Roxane après des mois de séparation, mais j'avais l'impression que mes émotions avaient été profondément enterrées. Je ne pouvais penser qu'à l'absence, au vide béant laissé par le devoir de ne pas entrer en contact direct avec mon frère et les militaires. Je regardais par la fenêtre d'un œil vide, étrangement détaché des événements, comme si je n'étais plus concerné par ma propre vie. Il y avait un peu de ça, en réalité.

Je baissai les yeux sur mes genoux, encore étonné malgré moi de me voir porter une robe et des collants. Cela faisait pourtant des semaines que je n'avais plus enfilé de vêtements masculins. Cavale oblige. Dans la chaleur un peu écœurante du wagon, j'avais enlevé mon manteau et mon écharpe, dévoilant un décolleté outrageusement féminin.

« La meilleure partie de mon déguisement », avait dit Winry il y a un moment déjà. J'avais fini par l'admettre de mauvaise grâce, et, avec une paire de lunettes rondes transmutée à la hâte et des tentatives plus ou moins réussies de dissimuler mon épi sur le front, exhiber cette partie de mon anatomie était devenu la nouvelle base de mon uniforme. Ça ne me plaisait pas vraiment, mais je devais admettre que c'était plutôt efficace. Pensif, je fredonnai une mélodie qu'on m'avait apprise récemment, pensant avec un soulagement teinté de mélancolie à celle, qui, durant ces dernières semaines, avait dicté toute ma vie, pour le pire et le meilleur. Mon front s'appuya sur la vitre froide tandis que je me replongeais dans le souvenir de notre rencontre.


Il y avait presque un mois de cela, je sonnais à la porte d'Olga Fierceagle, danseuse étoile à la retraite, et amie de longue date d'Izumi. Après avoir traversé un jardin si bien soigné que l'automne ne parvenait pas à entamer sa splendeur, j'étais arrivé à la porte d'un manoir percé de trois rangées de sept fenêtres, dont la plupart étaient fermées. Les lieux, imposants et méticuleusement entretenus, étaient à l'image de leur propriétaire. Ce décor, assorti à la description que m'en avait fait mon Maître, fit monter mon trac d'un cran.

- Bonjour, que puis-je pour vous ?

La porte venait de s'ouvrir, laissant voir une domestique portant l'uniforme de la maison, à peine plus grande que moi, franchement boulotte, avec une expression chaleureuse qui surpassait largement la rigidité de son uniforme et de son chignon strict. Je me sentis soulagé par ce visage avenant.

- Bonjour, je voudrais… commençai-je d'une voix rauque avant de tousser pour l'éclaircir et prendre un ton plus aigu. Je voudrais rencontrer Olga Fierceagle pour lui demander si elle peut me donner des cours de danse.

- Oh… répondit l'inconnue, son expression perdant de son entrain. Madame ne donne plus de cours depuis cinq ans, vous avez dû être mal renseignée.

Mes entrailles se nouèrent. Ce n'était pas prévu.

- Elle a des problèmes de santé ? demandai-je avec un inquiétude non feinte, même si ce n'était pas exactement par sollicitude.

- De santé, pas vraiment… Mais elle vieillit, elle a tout simplement choisi de prendre sa retraite.

- Oh… je peux comprendre, murmurai-je, pestant intérieurement à l'intention d'Izumi. Vous êtes sûr qu'elle ne donnera plus de cours ? Je comptais vraiment sur son aide.

- Hum… je ne pourrai pas la convaincre, surtout si vous ne la connaissez pas personnellement.

- S'il vous plaît, c'est vraiment important. Pouvez-vous au moins lui en parler et lui remettre cette lettre ? C'est de la part de l'amie qui m'a conseillé de venir ici.

- Je suppose que je peux faire ça, oui, répondit-elle avec un sourire plein de douceur en prenant l'enveloppe que je lui tendais. Je la lui transmets, mais je ne vous promets pas qu'elle vous recevra.

- Je vais attendre, tout de même, si vous voulez bien.

- Bien sûr, venez vous installer dans le salon, fit-elle en ouvrant plus grand la porte. Voulez-vous que je vous apporte un thé ?

Je hochai la tête avant de répondre à voix haute en réalisant que c'était sans doute impoli de ma part de ne pas le faire.

- Oui, avec plaisir.

- Très bien.

Elle m'adressa un sourire franc en désignant le fauteuil où j'étais invité à m'asseoir, puis, avec une esquisse de courbette manifestement réflexe, elle se retira de la pièce.

Je me retrouvai seul dans le salon haut de plafond, lumineux et impressionnant de luxe. Au-dessus de la table basse, un lustre étincelant de pendeloques de cristal éclairait la pièce pour compenser la luminosité morose de l'automne. Des tableaux aux cadres dorés richement ouvragés couvraient les murs blancs et bleu pâle, et les rideaux damassés étaient tirés sur la terrasse et le jardin au dehors.

Les lieux me rappelèrent l'appartement de Mustang, m'amenant un petit pincement au cœur. Notre dernière discussion m'avait laissé un arrière-goût amer. Pendant combien de temps allais-je devoir me tenir à l'écart et dissimuler mon identité ? Pour l'instant, je nageais dans le pire des brouillards, ne connaissant pas les contours de nos ennemis, ne sachant pas où frapper, incapable d'imaginer un scénario les concernant dont nous sortirions gagnants. J'étais impatient de retrouver mes proches, non seulement parce que les autres me manquaient terriblement, mais aussi parce que cela signifierait que nous aurions trouvé comment vaincre les Homonculus.

Mais pour l'heure, je n'étais pas censé penser à ça. J'étais censé être une fille de vingt et un ans, aspirant à devenir danseuse et cherchant désespérément qui pourrait me l'enseigner. Une fois les bases en poche et ma fausse identité consolidée, je pourrai me faufiler à Central et profiter de mon statut pour rencontrer beaucoup de monde, laisser traîner mes oreilles et en apprendre le plus possible sans être vu comme une menace. Et peut-être même pourrais- je garder contact avec les militaires par l'intermédiaire de Riza. Elle, qui connaissait ma particularité, était une complice idéale, et je savais que si je lui tendais la perche, elle construirait avec moi un mensonge efficace.

Je n'aurai qu'à dire que je suis sa cousine, pensai-je avec un sourire.

Sur ces entrefaites, une domestique arriva, un plateau de thé à la main. Elle ne put dissimuler sa surprise en me voyant, et je sentis du jugement dans son regard, sans doute à cause de ma tenue. Je la remerciai avec un sourire un peu forcé, et elle ressortit, me laissant seule avec un service de porcelaine à dorures si fin que les tasses en étaient translucides. Je la pris avec d'infinies précautions, mortifié à l'idée de les casser, songeant qu'aucune personne sensée n'aurait laissé le Fullmetal Alchemist manipuler des objets aussi précieux et fragiles.

Je pouvais comprendre ce regard courroucé. Avec mon visage écorché, un manteau beige un peu crotté, le béret de travers, de grosses lunettes rondes, des cheveux dépeignés et des bottes aux semelles épaisses, je jurais totalement dans le cadre raffiné des lieux. D'un coup, je me sentis comme un insecte sur une toile de maître, et compris que je n'avais rien à faire là.

Dans les longues minutes qui s'écoulèrent, je songeai très sérieusement à prendre mes jambes à mon cou plutôt que faire face à l'humiliation à venir. Qu'allais-je bien pouvoir faire si elle me refusait son aide ? Sans alliés ni plan de repli, j'allais vite être à cours d'idées. Mais je décidai de tenir bon et serrai les dents malgré mon embarras.

Bien m'en prit. Au bout de ces longues minutes d'attente, la domestique rondelette revint, un petit sourire accroché à la commissure des lèvres.

- C'est votre jour de chance… Après avoir lu la lettre, madame a accepté de vous recevoir. Vous devez encore la convaincre, mais elle vous en laisse au moins la possibilité.

Je bondis sur mes pieds, prêt à relever le défi même si je n'étais pas sûr de savoir quoi lui dire, et en croisant son regard, je sentis une étincelle de bienveillance complice dans son regard. Ou c'était une bonne actrice, ou elle espérait sincèrement me voir réussir. La suite allait me confirmer ma deuxième supposition.

Je la suivis dans le couloir où elle me mena, tournai à droite, traversai trois pièces en enfilade, puis arrivai dans un bureau aussi richement décoré que le reste, à la vue duquel je me fis la réflexion que finalement, l'appartement de Mustang n'était pas si luxueux que ça. Assise dans son fauteuil ancien à moulures, se tenait une femme, grande, osseuse, très pâle et très droite, au visage parcheminé percé de deux yeux bleu nuit particulièrement intenses. Il y avait quelque chose de métallique, presque militaire, dans sa posture, ses vêtements gris tirés à quatre épingles et son chignon bien net. Pourtant, quand elle tourna la tête vers moi, je sentis une légèreté élégante dans son geste.

En la voyant me détailler du regard, je ne pus m'empêcher de faire un semblant de révérence, ce qui, étant donné mon manque d'entraînement, fut plus ridicule qu'autre chose.

- Bonjour madame…bredouillai-je. Merci de me recevoir.

- C'est vous qui avez amené la lettre ? demanda-elle d'une voix nette.

- Oui.

- Et vous êtes ?

- B-bérangère. Bérangère Ladeuil.

Ce nom, choisi sur le tas à l'hôtel hier sonna étrangement dans ma bouche asséchée. J'avais côtoyé des militaires, hauts gradés pour certains, j'avais tenu tête au Généralissime lui-même, mais elle, j'avais du mal à soutenir son regard tant elle m'intimidait. Je comprenais plus pourquoi Izumi parlait d'elle comme quelqu'un de sévère. Elle n'avait pas besoin d'ouvrir la bouche pour qu'on se sente observé, et remis en question.

- J'ai cru comprendre que vous étiez inexpérimentée… pourquoi vouloir soudainement apprendre à danser ? Pourquoi maintenant ?

Je déglutis. Qu'étais-je censé dire ? Je repensai aux mots que m'avaient adressé Izumi avec un clin d'oeil. Tu as réussi à me convaincre de vous prendre en apprentissage, je suis sûre que tu sauras en faire autant avec elle.

- J'ai… Toujours aimé danser, avant même de le savoir. J'ai redécouvert cela peu à peu, et quand je n'ai plus eu d'autres obligations, j'ai réalisé… Que c'était ce que j'avais besoin de faire. Je sais que je pars de loin, que j'ai tout à apprendre, que certains commencent depuis la plus tendre enfance et que j'ai peu de chance d'atteindre un jour leur niveau, mais je suis prêt - prête à me battre de toutes les forces pour m'en approcher.

- Tenez-vous droite, répondit-elle un peu sèchement.

A cette injonction, je sentis mon menton se relever, mes épaules s'ouvrir un peu. Elle avait raison, je m'étais recroquevillé malgré moi face à son aura impressionnante.

- Que signifie la danse pour vous ?

- Je…

J'hésitai un instant, avant que la silhouette de Maman, traversant le jardin d'un pas dansant, passe devant mon visage, éclipsant un instant la réalité. Je ne savais pas que je me souvenais si bien d'elle. Je pris une grande inspiration.

- Un héritage. Une émotion qui vient de la musique, et qui passe de main en main, de coeur à coeur. Un langage sans mot.

- Vous pensez à quelqu'un en disant cela.

Ce n'était ni une question ni un reproche. Juste les mots, posés avec la fermeté de la certitude.

- Oui. Ma mère.

- Est-ce une raison suffisante pour vouloir danser ? demanda-t-elle.

- Vous n'imaginez pas ce que je serais prê-te à faire pour la revoir, répondis-je d'un ton ferme malgré l'accroc de mon accord hésitant.

Vous n'imaginez pas ce que j'ai fait pour la revoir, ajoutai-je intérieurement, trouvant le courage de planter mes yeux dans les siens pour qu'elle puisse y lire ma résolution.

Elle m'étudia, avec un regard bleu d'encre qui me rappelait Pénélope, l'une des filles de Lacosta. Je ne pensais pas recroiser des yeux pareils de sitôt. Elle resta un moment comme ça, ses longs doigts fins parcourus de rides, effleurant son menton.

- Dansez, pour voir.

- Je… comme ça ? ! Ici ? bafouillai-je, pris au dépourvu.

- Oui.

- Sans musique ?

- Vous avez des musiques dans le coeur, n'est-ce pas ? Remémorez-vous cela.

Je restai figé au milieu de la pièce, les yeux ronds, me sentant m'empourprer. Je ne pouvais pas danser comme ça ! Devant une professionnelle, en plus ? Après cela, c'était sûr, elle ne voudrait jamais s'occuper de moi en découvrant à quel point j'étais nul. C'était traître de me demander ça.

Un instant, je songeai à la chorégraphie du Angel's Chest, mais je me rendis compte que je ne m'en souvenais pas si bien. Je réalisai que je n'avais aucune idée de quelle danse faire. Je ne savais rien, absolument rien, et mon cerveau résonnait comme une pièce vide. C'était d'autant plus stressant que je sentais son visage imperturbable tourné vers moi, et que chaque seconde qui s'écoulait semblait un peu plus rédhibitoire. Je donnai le change en posant mon sac de cuir au pied du bureau, mon manteau et mon écharpe à la chaise qui faisait face. Puis je me retrouvai au beau milieu du tapis rouge et miel, sans aucune idée de ce que je devais faire, la tête remplie d'un blanc terrifiant.

Alors, je me raccrochai à ce souvenir léger, celui de la silhouette en robe bleue qui m'avait effleuré quelques minutes auparavant, et décidait de le suivre. Je fermai les yeux, sentant mes paupières frémir d'angoisse, mon pouls dans ma gorge, mes mains moites que je peinais à ne pas serrer. Je pris trois inspirations profondes. Quelle musique m'inspirait le plus Maman ?

Des notes de violon résonnèrent dans ma tête, une mélodie hésitante, avec quelques silences, que je reconnaissais sans connaître, parce que c'était moins un morceau précis qu'un patchwork de tous les moments passés à l'écouter, que mon cerveau d'enfant avait mélangé en une mélodie inventée. Un rythme se dessina, je calai ma respiration dessus, sans rouvrir les yeux. Surtout, ne pas rouvrir les yeux, et ne pas voir le regard d'aigle de celle qui m'avait ordonné de danser, sans préparatifs, sans conseils, sans rien.

Je fis un premier pas, posai un pied, puis l'autre, de saut en saut. Comme si je traversais à gué, bondissant de rocher en rocher, je suivis le son nostalgique de ces cordes qui vibraient, les vagues du vent qui agitaient les arbres et faisaient briller la prairie de Resembool. J'inspirai à grande bouffées ce monde intérieur pour lui ouvrir les bras. Je m'épanouis, dansai, chassant la honte et l'inquiétude sur l'autre rive, sans penser à ce que je faisais, mais juste à l'émotion qui me traversait quand je pensais au bonheur que j'avais étant enfant, quand ma mère était encore là, quand nous étions une famille.

Une mélodie vint se loger dans ma tête, et je la fredonnai presque sans m'en rendre compte, coupé du monde par mes paupières closes qui me protégeaient des regards. Les minutes qui s'écoulèrent était détachées de la réalité, et quand finalement, je m'arrêtai pour rouvrir les yeux, clignant un peu, hésitant, je repris conscience du monde qui m'entourait et de la chance que j'avais eue de ne rien casser dans la pièce.

Olga Fierceagle s'était levée de son bureau et me fixait avec exactement la même expression qu'auparavant. Je repris mon souffle en bougeant à peine, tétanisé par son silence, en attente des mots qui allaient déterminer mon destin. Ces secondes me parurent interminables.

- Eh bien… Il va y avoir du travail, asséna-t-elle simplement.

Je restai, un peu hébété, et clignai des yeux trois ou quatre fois. Comment je devais le comprendre ? Je tournai la tête vers la domestique qui m'avais accompagné et croisai un sourire éclatant. Je supposai, un peu circonspect tout de même, que c'était plutôt bon signe.

- Pour commencer, miss Ladeuil, tenez vous droite.

Je hochai la tête avant de me redresser de mon mieux, avec l'impression d'être aussi ridicule qu'un soldat au garde à vous.

-Toute votre posture est à revoir, siffla-t-elle d'un ton un peu agacé.

C'est à ce moment-là seulement que je commençai à réaliser.

Elle quitta l'arrière de son bureau, attrapa le trousseau de clés qui s'y trouvait se dirigea vers la sortie avec un signe de main.

- Venez, vous avez besoin d'une tenue plus adaptée pour travailler. Laissez ça, Nadine s'en occupera pour vous.

Elle ne s'était même pas retournée pour dire ces mots, mais je lâchai la poignée de mon sac en bandoulière, n'osant pas désobéir. L'autre femme, Nadine sans doute, m'adressa un petit clin d'oeil tandis que j'emboîtais le pas de la silhouette longue et fine qui me guida vers le couloir.

J'avais réussi. Son commentaire avait été acide, et n'était qu'un avant goût de l'exigence à venir, mais il semblait que j'avais réussi à la convaincre de m'aider, sans trop savoir comment moi-même. Je levai les yeux vers la grande fenêtre qui donnait sur le jardin, y croisai un fragment de ciel d'azur, et eus un sourire fragile. Si ma mère avait été là, aurait-elle été fière de moi ?

Une fois arrivé dans la salle d'entraînement, je n'eus plus le temps d'y penser durant de longues heures. La danseuse m'avait sorti un body d'entraînement, des collants, des chaussons de danse classique, et sommé d'enfiler tout ça. A la vue des habits rose pastel, mon estime de moi en avait pris un coup. Mais le fait qu'elle me prenne comme élève était apparemment miraculeux, alors je ne pouvais pas me permettre de faire la fine bouche. Je m'étais donc retrouvé au milieu de cette pièce aux grands miroirs, me sentant ridiculement nu dans ces habits moulants, et, avouons-le, passablement laids, sous son regard profond comme un ciel nocturne.

Les premières leçons avaient plus relevé du dressage qu'autre chose, sa première préoccupation était dans un premier temps de travailler ma posture, agacée de me voir me tenir voûté. Quand elle avait pris mes omoplates pour les faire rouler en arrière et posé délicatement ses doigts sous ma mâchoire pour me faire changer de posture, j'avais réalisé que jamais dans ma vie, je ne m'étais jamais tenu correctement.

Fort de cette découverte, je suivis son premier cours, étirements, mouvements de base, répétés encore et encore. Je m'étais étranglé quand elle m'avait dit comment on faisait les pointes. J'étais censé peser sur mon orteil replié ?! Mais qui avait inventé ça ?! A chaque seconde, elle scrutait et commentait ce que je faisais mal, me faisant réaliser tous mes défauts simultanés.

Bientôt, je me retrouvai en sueur, faisant bien plus d'efforts que ce que je pensais possible. Et je n'avais même pas bougé de ma place, à côté de la barre. Il n'y avait pas d'horloge dans la pièce, mais, j'en étais sûr, deux heures au moins s'étaient écoulées quand elle m'accorda une pause. Derrière son masque impassible, impossible de savoir ce qu'elle pensait. Je pris la serviette que Nadine avait déposée sur la barre à pas de loup avant de venir espionner la séance. La présence d'une spectatrice me fit sentir encore plus pitoyable. Je me disais vaguement que danser était facile, mais un quart d'heure avec Olga Fierceagle avait suffit à me faire réaliser à quel point je me trompais. Sortant le nez de ma serviette, je croisai mon reflet à travers les lunettes, mes cheveux ébouriffés et le visage rougi par l'effort. Je ne me reconnus pas dans la glace, et songeai en déglutissant que c'était exactement le but. Ne pas être reconnu. J'avais encore des contusions et autres écorchures un peu partout, mais elles disparaîtraient rapidement.

Fierceagle claqua dans ses mains, et, bien obéissant, je repris ma place à la barre pour reprendre les exercices. Elle me fit répéter, et au bout d'un moment, plutôt que compter à voix haute les temps, mit un métronome, afin de pouvoir échanger quelques mots avec sa domestique entre deux remarques piquantes. Levant la jambe, baissant le bras, tâchant de ne pas trembler en tenant ces poses anti-naturelles, je m'autorisai tout de même quelques coups d'oeil furtifs. De quoi parlaient-elles, toutes les deux ?

- Miss Ladeuil, regardez devant vous, claqua sa voix. Fixez un point à hauteur d'oeil et tenez-le.

Pris en faute, je tournai de nouveau la tête devant moi, obéissant. Je n'avais pas l'habitude d'être cadré avec autant de précision, et je pressentais que ce n'était qu'un début. Mais, même si je n'avais jamais aimé recevoir des ordres, faire un peu de sport me faisait du bien, et je me surprenais moi-même de découvrir des postures inconnues.

- Vous savez faire le grand écart ?

- Euh… oui, plus ou moins, bredouillai-je, surpris.

- Latéral ou facial ? Les deux ?

- Euh…

- … et quatre, et cinq ! La main plus ouverte ! Et huit, et neuf ! Tenez-vous droite !

L'entraînement dura encore un moment, puis, quand elle vit que je tremblais trop pour tenir les poses, elle me lâcha. Je dus prendre sur moi pour ne pas m'effondrer sur le parquet patiné par les milliers de pas qui m'avaient précédé.

- Bon, c'est un début. Je vous laisse vous changer, et après le repas, nous allons voir votre niveau au solfège.

Je manquai de grimacer. Mon souvenir des partitions se bornait à tourner les pages de celles de ma mère et à suivre des yeux les notes qui montaient et descendaient, parsemant la portée de pattes de chat. Mais je devinais qu'elle attendrait plus de moi que cette connaissance approximative. Aussi fus-je modérément rassuré durant le repas, d'autant plus que je me retrouvai en tête-à-tête avec mon nouveau mentor, dont la conversation austère ne mettait pas vraiment à l'aise. Je sentis que le repas avait mal commencé quand je croisai son regard emprunt de reproche après avoir posé les coudes sur la table pour soutenir ma tête dodelinante. Je me redressai, pris en faute, et posai mes mains sur mes genoux. Elle secoua la tête et poussa un soupir las.

- Les poignets posés sur le bord de la table. Où avez-vous été élevée, dans une ferme ?

Je pinçai les lèvres pour ne pas dire que c'était plus ou moins le cas, sentant qu'elle n'attendait pas de réponse de ma part, mais seulement une meilleure tenue. La femme qui avait apporté le thé ce matin entra dans la pièce avec un plat fumant et se figea en me voyant, suffoquée de me voir à table avec la maîtresse de la maison. En croisant son regard, je lui adressai un sourire embarrassé. J'avais le sentiment qu'elle prenait ma présence ici comme un affront, mais je n'avais aucune raison de lui en vouloir, et j'espérais qu'avec le temps, elle me pardonnerait mes chaussures crottées et mon manteau froissé.

Le repas se passa dans une atmosphère pleine de retenue, tandis que Fierceagle m'exposait un peu plus en détail comment elle comptait me faire travailler dans les jours à suivre. En l'écoutant, je compris pourquoi Izumi me l'avait présentée comme étant plus sévère qu'elle-même. Pas de combat au programme, mais de longues séances d'entraînement : travail de la posture, apprentissage des bases de la danse, puis après le repas, un interlude de solfège, avant de reprendre pour l'après midi. Elle ajouta qu'elle comptait consacrer un moment le soir à m'apprendre les bases d'une bonne conduite.

Je crois que je comprends ce qu'a ressenti Black Hayatte quand Riza l'a adopté… pensai-je en essuyant ma bouche avec ma serviette brodée.

La leçon de solfège fut une véritable purge, je partais de zéro, et rien de ce qu'elle disait n'était évident pour moi. Quand j'appris qu'elle comptait me faire faire des dictées musicales, qui consistaient à coucher par écrit un morceau qu'elle me faisait écouter, je me sentis blêmir. Étaient-ce seulement possible de faire ça ? !

- Est-ce que vous me ferez travailler le chant aussi ? soufflai-je d'une voix peu assurée.

- Peut-être, quand vous n'aurez plus la voix cassée. Si vous voulez chanter, parlez le moins possible le temps qu'elle se remette. Ménagez-la, et vous pourrez reprendre depuis le début avec Nadine.

- Ma voix n'est pas si… commençai-je, avant de m'entendre parler et réaliser que ma voix, rauque et chuintante, l'était peut-être devenue à force de me forcer à parler plus grave que ce que mes cordes vocales me permettaient naturellement.

Je refermai la bouche en rougissant. Ma gorge était peut-être irritée, en effet, mais ça faisait si longtemps que je ne le remarquais même plus. Je n'avais pas vraiment l'habitude de ne pas parler, et à l'idée d'être presque muet durant les jours à venir, mon estomac se noua. Dans quoi m'étais-je engagé ?

Après ce cours particulièrement laborieux, où elle m'avait bombardé d'informations à tel point que je me sentais incapable de réfléchir, une nouvelle séance de danse reprit. Échauffements, exercices à la barre, elle me fit répéter les exercices du matin, puis apprendre un autre enchaînement. Enfin, je me déplaçais, même si je n'appelais pas ça danser. La nuit était largement tombée quand elle décréta la séance terminée, et Nadine, la domestique rondelette qui m'avait adressé quelques clins d'oeil, me mena vers ce qui allait devenir mes appartements. Une chambre, sans doute pas la plus splendide du manoir, mais déjà très opulente, avec un lit dans lequel j'aurais pu dormir à angle droit, une armoire vide, un secrétaire et sa chaise assortie près de la fenêtre et la salle de bain juste à côté.

- J'ai amené votre sac… Voudrez-vous que je fasse venir d'autres affaires de quelque part ?

- Non merci, tout ce que je possède est déjà là, répondis-je avec un sourire.

- Oh. Mais vous n'avez rien à vous mettre ? fit-elle avec une compassion inquiète. Qu'allez-vous porter ce soir ? Et demain ?

J'ouvris la bouche et la refermai. Je pensais remettre la même robe, mais visiblement, ça n'était pas dans les coutumes d'ici. Ne sachant pas comment réagir à ce choc des cultures, je me sentis comme un pouilleux, vagabond des grands chemins. Et c'était la réalité, techniquement. Une réalité que je devais nier, ce qui me laissait sans passé, démuni face au défi de me créer cette fausse identité. En voyant ma mine décomposée, elle me lança un sourire et tapota mon épaule.

- Ne vous inquiétez pas, je vais tâcher de vous trouver quelque chose. Prenez une douche en attendant.

J'avais sagement suivi son invitation, et quand je revins dans la chambre, elle m'attendait avec trois robes. Je les essayai à sa demande, envahi par le parfum de la lessive et du santal tandis qu'elle me tournait autour en pinçant le tissu pour savoir par où les reprendre, puis me conseilla de porter la vert bouteille pour le repas. Elle prit la ceinture et me fit un noeud, parfaitement droit et symétrique, aux boucles rondelettes comme sur un dessin. Je n'aimais pas qu'on me touche ni même qu'on s'approche de moi, mais elle le faisait avec une telle délicatesse, une telle politesse, que cela ne me mit pas mal à l'aise.

- Je vais vous retoucher celles-là pour demain, commenta-t-elle en ramassant les deux autres.

- Merci, c'est très gentil de votre part.

- ça me fait plaisir, répondit-elle avec un clin d'oeil. Je pense que votre présence ici va mettre de l'animation, et c'est plutôt une bonne chose.

Sur ces entrefaites, elle quitta la pièce, et je redescendis dans la salle à manger. Le repas se déroula dans la même atmosphère feutrée que ce midi, et, les poignets soigneusement posés sur le bord de la table, je passai une partie du repas à me demander si je n'allais pas littéralement tomber de sommeil et finir le nez dans mon assiette. Luttant pour que ça n'arrive pas, je sortis victorieux de ce challenge, puis, une fois le dîner terminé, remontai les marches, hésitant un peu à trouver mon chemin dans cette grande demeure vide. Après quelques tâtonnements, je retrouvai ma chambre, fermai la porte derrière moi, traversai la pièce et m'effondrai sur le lit, m'endormant à plat ventre avant même d'avoir enlevé mes chaussures.


Les semaines suivantes avaient été à l'avenant de ce premier jour. Réveillé à l'aube, j'avais connu dès le lendemain des courbatures abominables, les positions inhabituelles que je prenais me faisant découvrir tout un tas de muscles dont je ne connaissais pas l'existence. Entre les répétitions de danse, le solfège, le chant et les leçons de bonne conduite qui m'avaient fait sentir comme un animal mal dressé, j'avais travaillé douze heures par jour, souvent plus, sans journées de repos ni véritable répit. Il m'était souvent arrivé de m'endormir avant de me déshabiller, et malgré sa délicatesse, les réveils de Nadine étaient une vraie souffrance.

Heureusement, la bienveillance de la domestique, qui semblait apprécier ma présence, et qui m'avait conseillé quelquefois pour m'éviter l'ire de Fierceagle, et l'excitation de la découverte compensaient ce rythme éreintant. Peu à peu, je m'étais habitué à la cadence que m'imposait mon professeur, trouvant au bout d'une semaine les ressources d'écrire une lettre à Riza sous ma fausse identité.

Cet apprentissage forcené m'avait rappelé l'acharnement que nous avions eu avec mon frère pour apprendre l'alchimie et ressusciter notre mère. Je retrouvais cette soif d'apprendre dans ce nouveau monde, bien plus vaste et complexe que je m'imaginais. Bien vite, j'avais eu honte d'avoir sous-estimé la danse à ce point, et, même si je n'en avais rien dit, j'avais senti dans le regard de mon professeur une approbation face à ma soudaine humilité. Elle continua toutefois à mettre la barre haut, augmentant drastiquement ses exigences à chaque fois que j'avais l'impression de toucher du doigt la réussite. Et j'étais là, suante et essoufflée, courant après cette perfection inatteignable sans avoir pour autant envie de lâcher ce but.

Finalement, le seul moment de frayeur avait été quand des militaires étaient arrivés chez elle, sonnant à la porte. Ils semblaient prêts à mettre la maison sens dessus-dessous sous prétexte qu'elle connaissait Izumi, mais elle les avait accueillis avec son inflexibilité habituelle, signalant qu'elle ne l'avait pas vue depuis des années, et qu'elle n'avait jamais entendu parler des deux autres.

Elle avait tout de même toléré qu'ils visitent en leur rappelant sèchement de s'essuyer les pieds avant de passer la porte, et quand ils étaient passés devant la salle d'entraînement et que je m'étais figée au milieu de la pièce, pris par une peur soudaine face à mes ennemis, elle m'avait houspillée pour mon manque de concentration. Quelques soldats avaient coulé quelques regards goguenards vers moi, visiblement réjouis de pouvoir observer une danseuse en tenue moulante, mais personne n'avait reconnu le Fullmetal Alchemist dans ma silhouette. Un coup d'oeil au miroir avait achevé de me rassurer : je ne me reconnaissais pas moi-même, comment ces inconnus auraient pu me percer à jour ?

Une fois les militaires repartis, Olga Fierceagle m'avait adressé un regard pénétrant, comme si leur visite lui avait fait comprendre tous les enjeux qui se cachaient derrière mon apprentissage. Elle avait sans doute deviné qui j'étais réellement, mais n'en avait jamais dit un mot, à mon grand soulagement.

Et finalement, au bout de plusieurs semaines rythmées de cours, de discussions avec Nadine et de lettres codées à Riza, où j'avais fini par prendre le pli des lieux, Olga avait lancé, presque comme un caprice, qu'elle était finalement trop âgée pour donner des cours, et m'annonçait qu'elle arrêterait à la fin de la semaine à suivre. Une manère implicite de me mettre dehors. Sur le coup, j'avais juste eu envie de marmonner qu'elle n'avait qu'à faire des journées moins denses si elle trouvait ça trop fatiguant. Mais après un moment de réflexion, je m'étais rendu compte que le calendrier avait avalé les jours à une vitesse folle, et qu'à ce moment-là, un mois complet se serait écoulé. Un mois entier sans voir mon frère, Winry, ni les militaires ou toute autre personne connue.

À l'idée de pouvoir repartir pour Central, je m'étais senti frémir d'impatience. Ces journées d'enfermement me pesaient plus que je le pensais, et même si j'avais sentis naître une forme d'affection polie pour mon mentor et une certaine amitié envers Nadine, j'étais quand même bien seul dans ce domaine où tous ceux que je côtoyais avaient au bas mot le triple de mon âge.

Quand elle m'avait annoncé ça, passé la première surprise, j'avais pris mon courage à deux mains pour appeler Roxane. Je savais que c'était son rêve de venir à Central, et quitte à se lancer dans le plan rocambolesque de devenir danseuse, autant ne pas le faire seul. L'idée de revoir l'expansive rouquine m'avait amené un sourire, et si le premier appel m'avait laissé un peu inquiet, j'avais été vraiment ravi quand elle m'avait finalement confirmé sa venue.

Et voila comment, avec mes lunettes, mon sac de voyage en cuir défraîchi et ma fausse identité, j'avais pris le train pour Central. Les adieux à mes hôtesses me laissèrent ému, même si Olga Fierceagle avait gardé sa retenue habituelle. J'avais fini par deviner que derrière son regard de rapace et son expression sévère se cachait un humour plein de retenue. On était bien loin de l'aigreur dont elle faisait preuve au premier abord, et j'avais l'impression, même si à aucun moment, elle ne l'avait dit, que j'avais obtenu d'elle, sinon de l'affection, au moins un peu respect en survivant à son enseignement.


Plongé dans mes souvenirs, j'avais laissé mes yeux se perdre dans le paysage vallonné du sud, et réalisai mollement que le ciel s'était éclairci, les nuages laissant place à un soleil éclatant d'automne. Au moins, je n'allais pas finir sous une pluie battante à mon arrivée à Central.

Je regardais défiler les villages, observant comment la ville dévorait progressivement les étendues de forêts et de champs. La région Centrale était beaucoup plus peuplée que le reste du pays, sans doute parce qu'il y était beaucoup plus facile d'accéder à des technologies modernes. Heureusement, entre Central-city et les villes avoisinantes, la nature avait encore la place d'y lover des champs labourés et des coulées de forêts au couleurs chatoyantes. C'est en voyant les arbres repeints des couleurs de l'automne, sérieusement déplumés pour certains, que je pris soudainement la mesure du temps écoulé. Que s'était-t-il passé du côté d'Alphonse et Winry ? Et les militaires, que devenaient-ils ?

L'image de Mustang me revint en tête et je me mordis la lèvre rentrant un peu la tête des épaules. Riza me l'avait fait comprendre à demi-mot en le rebaptisant Black Hayatte dans ses lettres, il n'avait vraiment pas apprécié que je disparaisse sans laisser de traces après avoir tenu tête à King Bradley. Bien sûr, c'était une connerie, et pas des moindres. J'étais en cavale, sans nouvelles d'Izumi ni de Cub, et je n'avais aucune idée de ce qu'ils devenaient. Cette pensée me rappela qu'une autre personne était dans cette situation : Hugues.

Comment ne pas se sentir seul quand tant de personnes étaient portées disparues, on ne sait où dans le pays, et que celles qui restaient étaient hors de ma portée ?

Je serrai les dents, et m'abîmai dans la contemplation du paysage pour essayer de redonner un tour positif à mes pensées.

Allez, haut les coeurs, je vais revoir Roxane. Et si je suis prudente, je pourrais peut-être revoir Riza et lui parler de vive voix. Ça serait tellement bien.

Je me répétai cela en boucle pour tâcher d'empêcher ma gorge de se nouer, pour ne pas me rappeler qu'il y avait d'autres personnes que j'avais davantage besoin de revoir, et quand le train ralentit pour entrer en gare, j'avais presque réussi à m'en persuader, assez en tout cas pour arriver à me coller un sourire sur le visage. Je pris mon sac de voyage, furetai dans le wagon désert pour vérifier que je n'avais rien oublié, puis sorti.

La verrière familière du vieux bâtiment de verre, de brique et de métal me surplombait, et j'inspirai à plein poumons l'odeur de la gare, le charbon et la fumée, le métal chaud, le ballast poussiéreux, le bitume du quai, le cuir des bagages, et le mélange d'odeurs corporelles, parfums, sueur. Il faisait beaucoup plus chaud que ce à quoi je m'attendais, et j'ouvris mon manteau et retirai mon écharpe. Je gardai mon béret rouge, faute de savoir comment dissimuler autrement ma mèche récalcitrante. Noyé au milieu de cette foule d'inconnus, je me sentis étrangement chez moi. Il fallait croire que la capitale m'avait manqué plus que je le pensais. Mon sourire s'accrocha un peu plus, je mis mon sac sur l'épaule après y avoir accroché mon écharpe, pris une grande inspiration, et plongeai vers le hall de la gare.

J'avais quelques heures avant que Roxane n'arrive, et je comptais les mettre à profit pour nous trouver un hôtel où atterrir, au moins pour la première nuit. Elle avait dit qu'elle serait plutôt chargée.

En sortant de la gare, je fus irrésistiblement attiré par l'odeur d'un étal de crêpes. Cédant à la tentation, j'avais traversé la place pour y acheter une crêpe au caramel. Le repas précédent était loin, et s'il n'était pas encore midi, j'avais déjà faim. Je trouvai un banc pour m'asseoir face à la gare, et observai la vue dégagée sur la petite place. Une rangée de jets de fontaines, mises hors gel, traversait un bassin vide, dont on voyait le fond encrassé.

Quelques passants traversaient la place, quelques pigeons et moineaux se disputaient les miettes tombées des sandwiches des pique-niques. Le ciel était d'un bleu limpide, bien loin de la pluie de ce matin, et il faisait étonnamment chaud pour la saison. Je décidai de ne pas réfléchir et savourer le confort de cet instant, et de rester encore un peu, observant la façade de la gare Sud, dont les voies arrivaient à l'étage, à cause d'un relief montagneux à la frontière duquel elle avait été construite. Elle était donc constituée d'une façade en moellon percée de grands porches, et d'un étage en verrière, orné en son centre d'une gigantesque horloge.

Comme je fixais avec attention le bâtiment, je me rendis compte immédiatement qu'il se passait quelque chose d'anormal. Le sifflement d'une locomotive. Des crissements suraigus. Des hurlements mal couverts par la distance. Mes yeux s'agrandirent quand je vis une masse noire se profiler à travers la verrière, alors qu'une personne, juste en dessous, s'était arrêtée pour lever les yeux vers la source du vacarme. Quoiqu'il se passe, elle était au mauvais endroit. Et moi, j'étais trop loin pour crier, mais trop conscient pour ne rien faire. Je claquai des mains et les aplatis de part et d'autre du banc de pierre. L'éclat de l'alchimie cavala à travers la place, et une vague de pierre se forma au moment où la verrière explosa sous le coup de butoir d'une locomotive en plein élan. Ma transmutation forma une grande vague informe, faite dans l'urgence, et gifla la silhouette qui roula quelques mètres plus loin tandis que les dizaines de tonnes d'une locomotive s'abattirent à l'endroit où elle se trouvait une seconde auparavant. Une femme qui fouillait son sac à main et avait tourné la tête en entendant le bruit, le lâcha dans sa stupéfaction. Il fallait avouer que voir cette masse noire et fumante, plantée dans le bitume qu'elle avait éclaté comme le dessus d'une crème brûlée, avait quelque chose de stupéfiant.

Mais pas autant que ma propre stupidité. Qu'est-ce qui m'avait pris de faire de l'alchimie, en plein jour, sur une place ? Je tournai la tête pour regarder autour de moi si quelqu'un avait vu la source de ma transmutation. Il n'y avait pas tant de monde, et tous fixaient l'accident, les yeux exorbités. J'en aurais sans doute fait autant si je n'avais pas craint pour ma survie.

Je me mordis la lèvre inférieure, attrapai mon sac et me levai pour partir loin de la scène avant d'y être associé. Moi qui m'étais juré d'être discret, Je commençais bien ! Je n'avais plus qu'à prier pour que personne ne m'ait vu. Je ne pouvais pas me permettre de me demander si ma tentative de sauver l'inconnu avait suffit, si je m'étais approché, on m'aurait interrogé sur l'accident, et je me serai retrouvée entouré de militaires, ce qui était à peu près la dernière chose à faire à ce moment précis.

Alors, le nez vissé à mes chaussures, la main tremblante sur la bandoulière de mon sac, le coeur battant à tout rompre, je pris la fuite à pas rapides.


Une heure au moins s'était écoulée, et après avoir marché droit devant moi durant de longues minutes, j'avais fini par me perdre dans les rues sinueuses de la vieille ville. Je jetai un coup d'oeil alentours, nerveux, incertain. Quelle heure était-il ? Roxane n'allait pas tarder à arriver, et si je commençais par ne pas accomplir ma mission, qui était de trouver un hôtel à côté de la gare, elle serait en droit de m'en vouloir. Elle n'y était pour rien si j'étais un abruti qui, à peine arrivé, compromettait sa couverture pour un tour d'alchimie.

Mais qu'aurais-je pu faire d'autre ? Je n'allais quand même pas laisser cette personne mourir sous mes yeux sans rien faire ! Je ne pouvais pas, voilà tout. Il n'y avait plus qu'à croiser les doigts et espérer que les militaires ne remonteraient pas ma piste. Étant obligé de revenir dans le quartier, j'allais le savoir assez vite.

Bon. On fait demi-tour et on y va. Même s'ils me cherchent, je pourrais être l'importe où à l'heure qu'il est.

Je me campai au carrefour pour regarder le panneau de rue. J'étais avenue du Général Garysson. Si je le descendais, je retomberais sur le passage Floriane, un des derniers lieux où j'avais vu Mustang et sa clique au complet. À ma droite, l'avenue montait vers la prison secondaire et le fleuve Leymann, dans lequel se jetait la Ruade. Si j'allais tout droit, j'allais bien finir par retomber sur le boulevard Sud et retrouver le quartier de la gare. En traînant dans les rues secondaires, je trouverais bien une auberge où passer inaperçu.

Je m'engouffrai dans la voie, déglutissant pour chasser mon trac, et marchai à une cadence que j'espérais naturelle. Fourrant mes mains dans mes poches, coulant des regard à gauche et à droite, je tâchai de tromper mon inquiétude en observant les façades devant lesquelles je passais, ignorant cette désagréable sensation d'être observé. J'eus l'impression d'entendre des pas suivre les miens et sentis l'adrénaline monter d'un coup.

Je me fais des idées, voilà tout. Cette affaire de locomotive qui déraille m'est montée à la tête. Ce n'est pas comme si la ville entière voulait ma mort.

La ville entière, non, mais une personne suffit.

Le pouls battant dans ma gorge, je me figeai, et entendis des pas. Je n'étais pas seul dans cette ruelle. Est-ce que je devais me retourner ? Je risquais de devoir entamer un combat si la personne derrière moi était un ennemi. Et si c'était le cas, j'allais perdre le bénéfice d'un mois de travail destiné à me forger une fausse identité crédible. Mais peut-être était-ce déjà le cas ?

J'avais recommencé à marcher, sentant mes questions tourner dans ma tête, les dents serrées, la main crispée sur mon sac de voyage. Qui ? Un militaire ? Un Homonculus ? Ou bien…

Une vérité me frappa. Même si je savais que ce n'était pas totalement le cas, j'étais devenue une femme aux yeux des autres. Peut-être que la personne qui me suivait était juste… un pervers ? Après tout, j'avais déjà entendu des histoires de ce genre, des filles suivies dans la rue avant d'être agressées…

Hum, contre un mec lambda, je saurai me défendre… mais ça ne serait pas très discret. J'ai déjà fait assez de dégâts comme ça…

Je jetai un coup d'oeil furtif, mais je ne pouvais pas voir la personne qui me suivait sans tourner franchement la tête.

Ce n'est pas dans mes habitudes, mais la solution est la fuite. Après tout, une fille "normale" en ferait autant, non ?

Résolu, j'accélérai le pas, entendant la personne derrière moi en faire autant. Le boulevard Sud n'était plus très loin, et entouré d'une foule, je serais peut-être plus en sécurité ? Me raccrochant à cette idée, j'allais de plus en plus vite, suivi comme mon ombre par quelqu'un qui se rapprochait inexorablement. Est-ce que je devais laisser tomber les apparences et piquer un sprint ? Que ferait une vraie fille ?

En débouchant sur le boulevard, je vis un trolleybus sur le point de partir, et me ruai vers lui comme le salut en personne. Derrière moi, l'homme courait dans mes pas, et pour un peu, aurait pu me retenir par le poignet. Il ne me restait plus que trois mètres pour sauter sur la plate-forme arrière du trolley et me sauver. Le moteur de l'engin crachota, signalant qu'il était prêt à partir.

- Attends !

J'avais empoigné la barre du trolley, en sautant sur la dernière marche, sentant que ma main gauche avait échappé de justesse à sa prise : il n'avait tapé que l'extrémité des doigts sans pouvoir s'y raccrocher, faisant bondir mon coeur dans ma gorge.

Sauf que…

Je connaissais cette voix.

Blême, je me retournai vers lui, toute ma peur remplacée par un torrent d'émotion que je ne comprenais pas, et croisai ses yeux noirs, agrandis par la surprise et voilés par la déception. Je me penchai au balcon du trolley, ouvrant une bouche stupéfaite, mais il était trop tard, il était trop loin, et avant que je ne puisse comprendre pleinement ce qui s'était passé, sa silhouette fut avalée par la foule du boulevard.


Je me retrouvai, vacillant, me raccrochant au balcon pour ne pas perdre l'équilibre sous l'effet des cahots de la route. Une main aplatie sur ma bouche, je me sentis rougir irrépressiblement, cherchant un sens logique à ce qui venait d'arriver. Comment voir Mustang durant ces quelques secondes pouvait me bouleverser à ce point ? Est-ce qu'il m'avait reconnu ? C'était possible, après tout, malgré sa réputation, je ne l'imaginais pas prendre des filles en filature sans raison. Mais alors… Il m'avait vu… comme ça ? En fille ? Avec mon manteau grand ouvert et mon écharpe accrochée à mon sac, on ne pouvait pas ignorer ma paire de seins et le décolleté qui allait avec. Je me sentis tellement embarrassé que le passager à côté de moi s'inquiéta de mon état.

- Ça va mademoiselle ? Il vous a fait quelque chose ?

Je secouai négativement la tête. Il n'était coupable de rien, sinon d'une grosse frayeur.

- Vous avez l'air assez secouée… Vous voulez que je demande si quelqu'un peut vous laisser une place à l'intérieur ?

- Ça ira, merci. Je descends bientôt.

En effet, la gare s'approchait. Je décollai ma main de mon visage et lui lançai un sourire incertain pour qu'il cesse de s'inquiéter et d'attirer l'attention sur moi. Trop d'émotions pour moi aujourd'hui. Dire que j'étais censé être discret… C'était un échec cuisant.

Je furetai donc dans les rues avoisinantes, cherchant un hôtel près de la gare en faisant de mon mieux pour effacer la vision de son expression. Ce n'était pas le moment de me laisser perturber, je devais rester sur mes gardes. Je ne retournai pas sur la place, mais en voyais une partie depuis les rues que j'arpentais. La carcasse de la locomotive, à moitié pendue aux wagons qui la suivait, avait planté son nez dans le sol, écrasant l'abri du trolley et descellant les pavés. Une vague de pierre à moitié brisée, vestige de ma tentative de sauvetage de tout à l'heure, dépassait de la foule de militaires et gendarmes venus gérer l'accident. Une bande de sécurité avait été déployée tout autour pour garder les badauds à distance.

- Impressionnant, hein ? commenta un homme accoudé à l'étal de sa boutique, me faisant sursauter.

- Ah, euh… oui, bafouillai-je. Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Un problème technique, les machinistes n'arrivaient plus à la freiner et le freinage d'urgence n'a pas marché. En tout cas, c'est ce que disent les forces de l'ordre.

- Les machinistes s'en sont sortis ? Et les passagers ?

- Aucun mort, c'est un vrai miracle ! La locomotive a littéralement labouré le sol du hall avant de terminer sa course dehors, ça l'a suffisamment ralentie pour que tout le monde s'écarte dans le bâtiment. Et dehors… Il y avait un homme dans sa trajectoire, mais il s'est pris un coup qui l'a écarté juste à temps.

- Vous semblez bien au courant.

- J'interroge tous ceux qui s'arrêtent à ma boutique depuis une heure, je finis par en avoir, des informations, fit le barbu avec un clin d'oeil.

- Mais du coup, cet homme, il s'en est sorti ?

- Apparemment, il est blessé, mais rien d'irréversible. Il dit qu'il a vu une "main de pierre" le pousser… Vous imaginez ?

- Oh.

- Et si vous voulez tout savoir, je vais vous dire quelque chose, ajouta-t-il en s'accoudant, se penchant un peu plus.

- Quoi donc ? demandai-je en m'approchant.

- Il y a des rumeurs comme quoi ce serait le fait du Fullmetal Alchemist.

- Quoi ? L'accident ?

- Non, bien sûr que non. Le sauvetage.

- Oh… Mais… il n'est pas recherché par l'armée ?

- Si, admit-il en se grattant sous le menton. Mais vu la réputation qu'il a, j'ai du mal à imaginer qu'il ait fait quelque chose de mal…

À ces mots, je me sentis rougir et tâchai de respirer profondément pour calmer mon embarras. En temps normal, je me serai rengorgé fièrement en voyant que j'étais aussi bien vu, mais en étant en cavale, c'était autre chose…

- Bon, après, je ne sais pas à quel point les récits qui sont fait autour de lui sont vrai… Il paraît qu'une fois, il a fait bouger une statue de plusieurs dizaines de mètres avec l'alchimie… Comment c'est possible de faire ça ?

- Je n'en sais rien, mentis-je en haussant les épaules.

- Si c'est vrai, il serait capable de déplacer la locomotive par alchimie, hein.

- Je suppose.

Bien sûr, que je pourrais, pensai-je avec un sourire.

- Enfin bon, vu qu'il est recherché, il ne viendra pas les aider. Ils devront se débrouiller sans lui. Je me demande comment ils vont faire pour l'évacuer… Je sens que je vais bien me marrer en les regardant galérer.

Sa remarque moqueuse m'amena un rire, et je discutai encore un peu avec cet informateur de choix. Finalement, je repartis de sa boutique avec deux beignets aux pommes et l'adresse d'une auberge pas trop chère, dans une rue secondaire. Je mangeai le premier sur le chemin, fourrai le second dans mon sac avec l'intention de le donner à Roxane, qui apprécierait sûrement une collation après un aussi long trajet. Je réservai une chambre pour deux, avec lits séparés, puis ressortis avec un sentiment de victoire. Je n'avais plus qu'à aller à la gare, attendre Roxane au quai de son train. Je me dirigeai vers la place qui cristallisait toute mon angoisse. Tous ces militaires… Et si quelqu'un me reconnaissait ? Est-ce que je pourrais m'enfuir ?

Et si Mustang était là ? Qu'est-ce que j'étais censé faire ?

Je secouai la tête. Je me mettais martel en tête pour rien. Les probabilités pour qu'il soient là étaient… euh… pas si faibles que ça, réflexion faite. Après tout, il était haut gradé, et s'il avait entendu la rumeur comme quoi j'étais revenu à Central, peut-être que…

Tout à mes pensées, je percutai une personne que je n'avais pas vue. Elle se retourna, et je m'excusai, puis continuai à me frayer un chemin parmi les badauds. Beaucoup de monde s'était amassé sur la place pour voir la locomotive. Il fallait avouer que ce n'était pas le genre de spectacles qu'on voyait tous les jours. Je luttai pour arriver dans le hall inférieur, et la foule opaque ne me permit pas de voir si le Colonel s'était joint aux militaires. Ce n'était sans doute pas plus mal. Je cherchai où aller, finis par demander à l'accueil. Pour accéder aux quais, il me fallut acheter un ticket, à cause des trop nombreux curieux qui avaient envahi le hall de la gare. Je tirai de ma poche mon portefeuille qui contenait une liasse de billets transmutés peu après avoir quitté Izumi, puis, mon billet à la main, me frayai un chemin à l'étage, vers le quai trois.

Le hall était rempli de gens, et manifestement, tous n'étaient pas venus prendre le train. Je n'étais pas le seul à avoir payé un billet juste pour accéder à l'étage. Je cherchai des yeux le quai trois, me faufilai à contresens de la foule en peinant tout de même un peu à ne pas me figer comme les autres, fascinés par le sol éventré du hall sali par la poussière et les éclats de béton qui avaient sauté alentour, donnant aux lieux pourtant anciens une odeur de travaux. Les rubans de sécurité dressés de chaque côté formaient des barrières un peu ridicules que les visiteurs respectaient toutefois. Je levai les yeux vers l'horloge intérieure, mais réalisai bien vite qu'elle s'était arrêtée. Hésitant, je finis par surmonter mon trac à tester ma fausse identité et tapotai timidement à l'épaule d'une inconnue.

- Excusez-moi de vous déranger… est-ce que vous auriez l'heure, s'il vous plaît ?

- Alors… fit-elle en fouillant son sac avant d'en extraire une montre. Il est dix heures cinquante-six.

- Ah, parfait. Merci beaucoup ! fis-je avec un petit mouvement de tête.

En me dirigeant vers le quai pour camper à son entrée, attendant Roxane qui devait arriver une dizaine de minutes après, je réalisai que le dressage de Fierceagle avait porté ses fruits. Elle avait réussi à faire de moi un animal poli et bien élevé, moi qui avais été un peu livré à moi-même depuis la mort de ma mère.

Je n'étais pas sûr d'apprécier ce changement, mais force était d'avouer que tout ce qui pouvait être différent de ma personne passée consolidait mon déguisement. Accoudée au pilier, je songeai à mon reflet croisé dans les couloirs de la gare. Un béret rouge vissé sur mes cheveux lissés sur le côté, un manteau beige au col rouge, une robe noire frôlant mes genoux, et des bottes aux talons imposants. Nadine, en cadeau d'adieu, avait tenu à me maquiller, et j'avais peiné à me reconnaître dans la glace une fois qu'elle en avait fini avec moi.

À la réflexion, j'étais vraiment méconnaissable, à part peut-être pour Riza, qui connaissait mon secret et avait toujours eu un sens de l'observation redoutable. Mustang ne semblait pas avoir deviné jusqu'alors, il n'y avait pas de raisons pour qu'il me reconnaisse soudainement, non ?

Mais dans ce cas, pourquoi m'avait-il suivi ?

Est-ce que finalement, je l'avais surestimé, et c'était ce genre de pervers ? Je n'arrivais pas à croire à cette hypothèse. Je sentais confusément qu'Hawkeye ne lui aurait pas accordé sa loyauté si ça avait été le cas.

Je restai là à me triturer les méninges, incapable de savoir si j'aurais voulu qu'il me reconnaisse ou pas, quand, insidieusement, une question éclipsa tout le reste.

Pourquoi avais-je lu de la déception dans son regard ?

Le sifflet du train me tira de cette pensée. Je tournai la tête dans un sursaut, voyant arriver la locomotive noire et rouge, encrassée de fumée et de charbon par le long trajet. J'eus un petit sourire réconforté. Si tout allait bien, Roxane serait dans ce train, et je pourrais parler à quelqu'un sans me demander à chaque seconde comment dissimuler ma véritable identité.

Je vis les autres s'écarter avec méfiance de la trajectoire du train, l'accident ayant réveillé chez eux une sorte de paranoïa, bien inutile puisqu'il arrivait à vitesse réduite. Il s'arrêta sagement à quelques dizaines de centimètres des butoirs dans le crissement suraigu des freins. Avec un dernier chuintement, la machine se relâcha, et les portes s'ouvrirent, laissant descendre une foule disparate. Je restai planté au beau milieu du quai, contourné par des familles, des voyageurs, des vieilles dames, des jeunes adultes qui revissaient leur casquette avant de leur proposer de porter leur valise, bref, tout ce qui constituait le brouhaha habituel d'une gare. Je scrutai parmi ces silhouettes hétéroclites, cherchant le nuage de cheveux roux de Roxane, mais ne le vis pas. Comme la foule grossissait, je me mis sur la pointe des pieds, pestant de ne pas être plus grand pour pouvoir toiser les autres sans craindre de louper qui que ce soit.

Malgré tout, elle savait que je l'attendais, et se serait sans doute arrêtée si elle ne m'avait pas vu. La foule, après s'être faite plus dense, se clairsema, et ce ne fut que quand il n'y eu plus qu'une douzaine de personnes sur le quai que je vis au loin une silhouette en manteau vert sombre, avançant à pas lents : pour cause, elle devait porter trois fois son poids en bagages. A sa vue, un sourire bondit sur mon visage, et je quittai mon poste pour courir vers elle, le coeur battant d'impatience. Tandis que la distance qui nous séparait rétrécissait, et que je distinguais davantage ses traits, j'eus la confirmation que c'était bien elle, et la hélai avec un signe de main. La rouquine leva les yeux et son visage, jusque-là crispé, s'illumina à son tour.

- Hey ! m'exclamai-je en lui prenant l'épaule pour lui faire la bise. Comment vas-tu ?

- J'en peux plus, souffla-t-elle en riant tout de même. Je me suis déjà arrêtée trois fois pour reprendre mon souffle. J'ai cru que je n'allais jamais arriver au bout du quai.

- Tu m'étonnes ! Même un âne n'est pas chargé à ce point ! Passe-moi des bagages, que je t'aide ! m'exclamai-je.

Elle ne se fit pas prier, et je me retrouvai bien vite à porter un sac de partition en symétrique de mon sac de bagages, ridiculement léger en comparaison, et traîner une valise aussi grosse que moi.

- Mais tu as mis tout ton appartement dans une valise ou quoi ? grognai-je en luttant tout de même un peu avec sa malle.

- C'est un peu ça.

- Mais comment tu as fait pour venir jusqu'ici ?

- Pour être brève… j'ai souffert. Beaucoup. répondit-elle, son ton léger contrastant avec le vocabulaire utilisé.

Je me rendis compte qu'un sourire niais s'était vissé à nos oreilles et secouai la tête. Je savais que j'allais être contente de la retrouver, mais je me découvrais un enthousiasme bien plus grand que ce à quoi je m'attendais, et manifestement, elle partageait mon euphorie.

- Je suis super contente de te revoir, Iris, fit-elle. Et je sens que tu vas avoir un paquet de trucs à me raconter.

- Alors, euh, je ne m'appelle plus Iris, en fait, fis-je en me grattant la joue avec un sourire gêné, avant de reprendre la malle pour continuer à la traîner.

- Oh, pourquoi ? Ça t'allait bien pourtant.

- Vu le contexte, il valait mieux que je change complètement de nom.

Elle hocha la tête, peu surprise. Manifestement, elle savait que j'étais recherché.

- Et du coup, tu t'appelles comment maintenant ?

- Bérangère Ladeuil.

A ces mots, elle ouvrit des yeux en billes de loto et fit tomber le sac qu'elle avait sur l'épaule.

- Pardon ?!

- Bérangère. Bérangère Ladeuil.

- Mais pourquoi ? ! Tu n'avais pas le choix, c'est ça ?

- Mais si ! répondis-je en m'empourprant.

- Mais dans ce cas, pourquoi tu as choisi "Bérangère" ? Bérangère ?! C'est moche !

- Mais je t'emmerde ! m'exclamai-je, cramoisi. C'est très bien comme prénom !

- C'est moche !

- Moi j'aime bien.

Elle secoua la tête en signe de dénégation et aplatit une main sur mon épaule.

- Je t'adore, tu sais que je t'adore, hein ? Mais là, tu as des goûts de chiottes.

- Hé ! Mon prénom, mon choix !

- Pense quand même que les autres devront t'appeler comme ça. Sérieusement… Bérangère quoi… Pourquoi pas Cunéguonde tant que tu y es ?

Je me mordis les lèvres, n'osant pas dire que j'y avais pensé aussi. Elle ramassa son sac et se le remit sur l'épaule, secouant la tête comme si l'idée refusait de monter à son cerveau. J'étais, quant à moi, excessivement vexé par sa réaction. Malgré tout, je continuai à traîner sa malle pendant qu'elle continuait à remonter le quai en marmonnant.

- Bébé, c'est hors de question… Béran… Ranger… Ré ? Bé ? Gégé ? Merde, même les diminutifs, c'est moche, quoi.

- Continue et je te plante là avec tes valises, sifflai-je d'un ton acide.

Elle hocha la tête et la traversée du quai se fit en silence. Arrivée au bout, elle baissa les yeux vers moi et demanda simplement, d'un ton plus poli.

- ça va si je t'appelle Angie ?

- … Vendu.

- Attends, c'est quoi, ça… ? ! fit-elle en remarquant seulement maintenant qu'un pan entier de la verrière avait volé en éclats et que le balcon de la terrasse avait été défoncé.

- Ah, ça ? Un accident de locomotive, les machinistes n'ont pas réussi à freiner à temps. Spectaculaire, mais sans gravité, il n'y a eu aucune victime.

Elle fixa, stupéfaite, le hall coupé en deux par la trajectoire de la machine et les wagons en partie enfoncés dans le sol déchiqueté, puis baissa vers moi des yeux plein de reproches.

- Hé, pourquoi tu me regardes comme ça ? Je n'y suis pour rien ! Je n'ai rien fait !

Le souvenir de ma transmutation de tout à l'heure remonta à ma mémoire et je me sentis rougir, avant d'ajouter à contrecoeur.

- Enfin, presque rien.

Elle croisa les bras, avec un air sévère de mère, mais je vis tout de même qu'elle avait du mal à ne pas rire.

- Mais c'est pas moi qui ai cassé la locomotive.

- Mouais.

Nous restâmes quelques secondes comme ça avant de ne plus résister et partir dans un franc fou rire. De l'extérieur, nous devions avoir l'air de deux folles, mais à cet instant précis, ça m'importait peu. Je me rendis compte que mes inquiétudes à l'idée d'être découvert s'étaient évanouies à l'instant où j'avais retrouvé une présence connue, et sus que j'avais fait le meilleur des choix en lui proposant de nous retrouver. Je ne pouvais pas savoir à ce moment-là à quel point elle se disait la même chose.

- Ok, je sens que tu as beaucoup, beaucoup de choses à me raconter. Mais d'abord on va à l'hôtel poser nos affaires et manger un morceau ?

- Oh, j'y pense ! J'ai un truc pour toi.

Je fouillai dans mon sac pour y retrouver le beignet, dont le gras avait imbibé le papier et qui s'était un peu écrasé parmi mes autres affaires, et vis son regard s'illuminer quand je l'extirpai victorieusement.

- Oh mon dieu, tu es la meilleure ! s'exclama-t-elle avec une expression de bonheur pur.

Je m'assis sur sa valise le temps qu'elle dévore la pâtisserie, visiblement affamée.

- Han, merci, tu n'imagines pas à quel point ça fait du bien.

- Oh, j'ai déjà fait le trajet, je compatis. Tu as réussi à dormir dans le train de nuit ?

Elle secoua la tête.

- Tu parles ? J'étais dans le compartiment de deux ronfleurs. Je savais même pas que des humains pouvaient faire autant de bruit dans leur sommeil.

J'eus un petit rire, et elle baissa vers moi un visage fatigué mais souriant. Elle était comme dans mon souvenir, opulente, avec un visage rond et des yeux pétillants d'une joie de vivre communicative. Je sentis alors que, si mes semaines passées enfermé dans un manoir à travailler tout le jour m'avaient paru très longues, le temps passé à ses côtés promettait d'être nettement plus amusant.

- Bon, il faut qu'on descende ces marches si on veut avoir un vrai repas, fit-elle remarquer.

Je me levai de la malle avec un profond soupir. Je savais qu'elle avait raison, mais le programme n'était pas tentant. Heureusement, un barbu apitoyé par mon apparence chétive - s'il avait su ! - m'aida à descendre le monstrueux bagage de Roxane, et nous parvînmes à ressortir du Hall intérieur, nous heurtant à la foule amassée autour de l'accident. Roxane leva des yeux admiratifs vers la locomotive en équilibre précaire et lâcha un sifflement admiratif.

- Ah oui, quand même, fit-elle simplement.

Quant à moi, je renfonçai le nez dans mon col, les yeux obstinément baissés vers l'objet que je traînais derrière moi et que j'avais appris à haïr en quelques minutes seulement. Roxane sembla sentir mon malaise et se détourna du spectacle pour se baisser vers moi.

- Ça va ? Tu as l'air morose.

- J'ai croisé quelqu'un que je connais tout à l'heure, marmonnai-je en me sentant rosir.

- Oh. Quelqu'un qui t'a reconnu ?

- Je ne sais pas, c'est dur à dire… Peut-être.

- Hum… et c'est grave si c'est le cas ?

Je me mordis la joue sans oser relever les yeux. D'un point de vue objectif, je savais que Mustang était mon allié, et que quoi qu'il sache, il n'allait pas me balancer à l'armée, donc il ne servait à rien de trop m'inquiéter, mais… s'il avait compris qui j'étais, il avait compris mon secret. Et deviné, parce qu'il n'était pas idiot, que je lui avais caché des choses. Il serait en droit d'être déçu, et extrêmement en colère contre moi. A cette idée, et en me souvenant de la manière dont avait terminé notre dernière discussion, je sentis un grand froid s'insinuer en moi, qui n'avait rien à voir avec le vent de novembre.

- Oh, c'est si grave que ça ? fit-elle d'un ton soudainement inquiet.

- Non… enfin, oui et non, bredouillai-je. Ça dépend pour quoi.

- Tu es tellement énigmatique…

- Pardon, murmurai-je. Je t'expliquerai. Juste… pas maintenant. Pas ici.

- Ok. Il y a sans doute de meilleurs endroits pour rattraper les nouvelles l'une de l'autre, fit-elle d'un ton plus léger. On sera mieux à l'auberge pour discuter. Encore faut-il y arriver. Pardon ? Vous savez que vous la verrez mieux une fois que vous nous aurez laissé passer ?

Avec une politesse mêlée d'humour, Roxane se fraya un chemin à travers la place, maintenant noire de monde. A croire que tout Central-city était venu constater l'accident de ses propres yeux. Pour ma part, je traînai la valise dans son sillage, me sentant minuscule, honteux, et un peu stupide. Pourquoi n'arrivais-je pas à penser à autre chose ?


L'après midi avait filé à toute vitesse. Après avoir acheté des sandwiches, nous nous étions posés à l'auberge, trop heureux de pouvoir laisser ses affaires là-bas, et avions passé au moins deux heures à parler de nos aventures respectives. Roxane était estomaquée de ce que je lui avais raconté, tandis que je posais cartes sur table, lui exposant les grandes lignes du complot qui contrôlait l'armée. De mon côté, apprendre que Berry était mort dans un accident à Lacosta m'avait mis un coup au moral. Elle avait tâché de me changer les idées en parlant d'autres choses concernant la ville et les personnes que j'y avais côtoyées, mais la situation qu'elle avait dressée me désola d'autant plus. Je me sentais terriblement coupable d'avoir laisser tout le monde dans cette situation, alors que je connaissais les vices de l'armée. Ce fut finalement de parler de ma fameuse rencontre qui allégea ma discussion, un peu à mes dépends.

- Enfin… c'est qui ce pervers qui suit des nanas dans la rue ? s'indigna-t-elle après mon récit.

- Mais, c'est pas son genre. C'est pour ça que je pense qu'il m'a reconnu. Mais en même temps, on dirait que non.

- C'est pas son genre, hein ? fit-elle avec son regard pétillant.

- Bah, je le connais quand même bien… à la base, c'est mon supérieur hiérarchique. Il a l'air hautain comme ça, mais je sais qu'au fond, c'est un mec bien.

Elle hocha la tête, me laissant continuer à parler, tandis qu'un sourire s'élargissait un peu plus à chacun de ses mots.

- Mais le truc, c'est qu'il n'y a que quelques militaires qui savent pour mon corps, comme Riza… tu sais, celle à qui j'écris en prétendant que je suis sa cousine ?

- J'ai suivi, oui.

- Il y a aussi Ross, même si je l'ai pas revue depuis des lustres, et Havoc. Mais lui, il sait pas.

- Mustang ne sait pas, donc ?

- Nan.

- Pourquoi ?

- Moins il y a de gens au courant, mieux je me porte, bredouillai-je en rougissant.

- Pourtant, D'après ce que j'ai compris, tu le voyais souvent… Et vu tout ce que tu lui as dit par ailleurs, ça doit pas être simple à gérer, non ?

- Non, admis-je en baissant les yeux vers le lit.

- Au final, s'il l'a compris, au moins, tu n'auras plus besoin de le lui cacher.

Je me sentis m'empourprer intensément.

- Si c'est le cas, il doit être furieux contre moi à l'heure qu'il est.

- Hé bien, au pire, c'est un mauvais moment à passer, éluda Roxane en haussant les épaules. Il s'en remettra, tu sais ?

Pas moi.

Je ne savais pas pourquoi mes oreilles chauffaient et ma gorge se nouait à cette idée, mais j'étais assez sûr de ne pas vouloir de cette situation.

- J'aime autant qu'il ne sache pas. De toute façon, c'est provisoire, je retrouverai bien un moyen de retrouver mon corps d'origine.

- … Ok…. fit-elle d'un ton circonspect. Donc, tu comptes le lui cacher jusqu'à ce que tu aies réglé le problème par toi-même.

J'opinai, en me mordillant la lèvre, un peu tendu par son insistance sur le sujet.

- Hé bien, tu veux vraiment pas qu'il t'aide, dis donc !

- Je veux pas qu'il me prenne en défaut, grommelai-je.

- Ça va, si j'ai bien compris, il t'a bien aidé pour d'autres choses, non ?

- C'est pas pareil.

- Pourquoi ?

Elle avait posé la question en plantant ses yeux bleu-vert, dans les miens, et me fixait attentivement, sans agressivité, au contraire, elle avait son habituel sourire affectueux. Face à son regard, je n'avais aucune autre solution que me demander, en toute honnêteté "C'est vrai, au juste, pourquoi ?"

- Je… Je ne veux pas être vu comme une femme.

- Pourquoi ?

- Parce que c'est un homme à femmes, bredouillai-je maladroitement, réalisant que ça ne sonnait pas du tout pareil dans ma tête.

A ces mots, elle éclata de rire, un rire franc, qui me vexa terriblement. J'avais fini par me lever du lit en m'indignant.

- Pourquoi tu te fous de moi comme ça ?!

- Tu es tellement adorable, E… Angie.

- Pourquoi tu dis çaaaa ?

- Parce que c'est vrai, répondit-elle du tac au tac, pleurant de rire.

- Genre je suis adorable, tu te fous de ma gueule, oui ! Puisque c'est comme ça, je ne dirai plus rien !

La dispute vira au chahut, et nous laissa quelques minutes plus tard, essoufflés et complètement décoiffés, elle, vautrée sur le lit, moi, sur le tapis. Je songeai que malgré ses propos vexants, j'avais avec elle une complicité que je n'avais jusque-là connue qu'avec Alphonse et Winry.

À leur souvenir, je me rembrunis. Roxane, qui avait laissé sa tête pendre dans le vide, vit mon expression se fermer et roula sur le ventre pour caler son menton dans ses paumes et m'en demander la raison. Je lui parlai un peu de mon frère et de Winry, que j'avais dû laisser sans nouvelles. Je lui avouai à demi-mot que je m'étais sévèrement disputé avec lui et que je n'avais pas pu me réconcilier avant mon départ. Cette fois-ci, elle compatit sincèrement. Tout en continuant à parler, je m'assis sur le lit et refis sommairement ma tresse. En me voyant faire, elle me pointa du doigt.

- Attention, tu te ressembles trop !

- Comment ça ?

- Porter une tresse, t'habiller en rouge et noir, et surtout porter ces horribles godillots. Ça rappelle trop ton ancienne identité.

J'ouvris la bouche pour répliquer et la refermai, réalisant qu'elle n'avait pas tout à fait tort. Je me trouvais très différent, mais si on exceptait mon visage rendu méconnaissable par une couche de maquillage qui n'était pas toujours là, et une paire de lunettes rondes, ma tenue, à bien y réfléchir, n'avait finalement pas tant changé que ça

- Franchement, si on te voit de dos, on ne devine même pas que tu es habillé en fille.

- Hé !

- Mais c'est vrai !

- … Tu fais chier quand tu as raison, marmonnai-je. … mais en même temps, qu'est-ce que je suis censé faire ?

A ces mots, elle empoigna son sac à main et se leva en se le mettant sur l'épaule avec un sourire qui ne me disait rien qui vaille.

- Du shopping.

- Quoi ?

- Racheter des vêtements.

- Mais j'en ai déjà ! m'exclamai-je, lui arrachant un nouveau rire.

- Allez, viens ! Pour commencer, on va te trouver une paire de chaussures digne de ce nom, et des robes qui fassent moins mamie que ça.

- Mais…

- Ecoute, tu veux être une fille, oui ou non ? fit-elle en m'empoignant par le col avec une forme d'autorité qu'elle était la seule à avoir.

Je la regardai avec des grands yeux, ne sachant pas quoi réponde. Est-ce que je voulais être un fille ? Non, définitivement non. Mais en pratique… Avais-je vraiment le choix ?

- Je dois être une fille… Je suppose.

- A la bonne heure ! Allons-y !

Je me levai du lit avec un soupir inquiet, recommençant à me demander dans quoi je m'étais embarqué.