Un nouveau chapitre est arrivé, yay ! Cette fois, c'est le point de vue de Riza que l'on suivra. L'illustration est en cours, elle arrivera... dans un futur indéterminé, je n'ai pas envie de la bâcler. A ma décharge, ce début de mois à été des plus énergiques : Japan Expo la première semaine (dont je garde un bilan très positif, de chouettes rencontres, de chouettes retrouvailles, des discussions animées... j'ai pu discuter avec pas mal de personnes suivant Bras de fer et c'était vraiment un plaisir de vous rencontrer IRL ! 3 ça me donne envie d'organiser un pique-nique Royed lors de la JE de l'année prochaine ! XD

Après cette semaine joyeuse mais fatigante s'est enchaînée un festival de claquettes (oui, je fais des travaux pratiques pour mieux cerner la personnalité d'Andy... et aussi parce que c'est fun.) C'était, là aussi, génial, j'ai eu l'honneur d'aller à des classes menées par la fabuleuse Sarah Reich, que j'ai découverte dans les vidéos de PostModern Junkbox, qui est un peu l'OST du Bigarré. Ce collectif m'a énormément inspiré et je lui dois beaucoup, je ne peux que vous encourager à aller découvrir tout ce beau monde !

Enfin, c'est bien beau de distribuer des fleurs et de se réjouir, mais j'ai aussi une annonce moins agréable à faire... Comme vous le savez peut-être, j'ai de l'avance sur cette fanfiction, mais je publie plus rapidement que j'écris, et cette avance a beaucoup diminué avec le temps. Les chapitres sur lesquels je travaille sont extrêmement compliqués à écrire, ce qui me ralenti d'autant plus (vous sentez que j'ai besoin d'encouragements, là ? XD) Là je commence à sentir la panique monter face à tout ce qui me reste à écrire... :')

Bref, ça m'embête pas mal, mais je vais ralentir la publication et passer à un chapitre par mois. Je sais que ça sera un peu frustrant, mais je préfère prendre les choses en main maintenant plutôt que continuer au même rythme et vous laisser sans nouvelles pendant un trimestre (ou plus) parce que je serai retrouvée à sec. Je pense que vous comprendrez. ;)

Du coup, ce chapitre est le dernier de la partie 4, on se retrouvera dans 4 semaines pour l'introduction de la partie 5.

Voilà, j'ai tout dit, je vous laisse (enfin) lire ! Merci de votre attention !


Chapitre 52 : Froid et fragile (Riza)

Le réveil sonna dans la chambre bien plus tôt que d'habitude. Je n'avais vraiment pas assez dormi. Comme je ne semblais pas vouloir me lever, Black Hayatte quitta son panier pour venir me réveiller en donnant quelques coups de truffe affectueux dans ma main. Je remuai à contrecoeur, au grand soulagement du chien qui était planté à côté de mon lit. Ce n'était pas vraiment l'idée d'aller travailler qui me déplaisait, mais ce que j'allais avoir à faire avant. Je me levai avec un soupir et commençai à me préparer dans une routine qui semblait un peu absurde vu la situation. Prendre une douche, m'habiller, me préparer un café, préparer un plateau-repas sommaire et laisser Black Hayatte et ses yeux suppliants pour descendre à la cave.

La serrure du sous-sol résistait, et je dus poser les victuailles que j'avais prises pour réussir à débloquer la porte. Je repris le plateau, soulagé qu'au petit matin, personne ne soit là pour s'étonner de me voir me promener au sous-sol avec de la nourriture qui ne m'était pas destinée. Ma cave était particulièrement reculée, ce qui était une chance en l'occurrence. Une fois arrivée, je posai le plateau sur le sol de terre battue, et déverouillai le cadenas qui fermait la porte de bois mal dégrossie, avant de l'ouvrir, prête à dégainer de l'autre main.

Aucun son ne me répondit tandis que je repoussais le vieux matelas qui bloquait l'entrée, laissant voir une pièce exiguë intégralement calfeutrée de matelas usés et de laine de verre. Au milieu, la silhouette inanimée et monstrueuse d'un être qui avait cessé d'être humain longtemps avant d'en perdre l'apparence. Allongé à plat ventre, la tête fourrée dans un coin de sa cellule, il ne bougea pas d'un poil à mon approche. Je me méfiai tout de même. C'était une technique classique de faire le mort pour tenter de s'évader en jouant la surprise, même s'il ne serait pas allé bien loin avec ses mains menottées dans le dos. Je posai une main sur son épaule massive, couverte d'une épaisse fourrure, et le retournai, l'extirpant du coin où il s'était fourré.

Il n'opposa aucune autre résistance qu'un peu de raideur, et je déglutis en voyant son visage aux yeux exorbités. Je glissai une main sous sa mâchoire pour confirmer ce qui s'annonçait. Sous sa peau froide, aucun pouls.

Shou Tucker était mort.

Je poussai un long soupir.

Il avait dû se coincer la tête pour s'étouffer dans les matelas dont Mustang et moi avions calfeutré la pièce deux jours auparavant pour l'empêcher de se blesser et d'utiliser son propre sang pour utiliser l'alchimie, comme Edward l'avait fait plus d'une fois. Nous nous attendions à des tentatives d'évasion, mais je n'avais pas imaginé qu'il parviendrait à se tuer.

Je revérifiai deux ou trois fois, comme si je peinais à y croire. Il nous avait appris beaucoup sur les Homonculus lors de nos interrogatoires, et c'était décevant qu'une source d'information se tarrisse aussi vite. D'un autre côté, nous n'avions plus à nous soucier d'une potentielle évasion, et je n'allais pas pleurer la mort d'un homme qui avait transmuté sa fille et son chien, simplement parce qu'il pouvait. Nous avions bien fait de passer le plus gros de cette nuit à le harceler de questions avec Mustang. Nous n'aurions rien de plus.

J'hésitai un instant, puis lui fermai les yeux, moins par respect pour le corps que parce que son regard vide me mettait mal à l'aise. Je le laissai dans un coin de la pièce, me relevant pour remettre en place le matelas, refermer la porte et le cadenas sur ce secret gênant. Au moins, le bruit ne risquait plus d'attirer l'attention des voisins… Mais j'avais un cadavre sur les bras, et je ne savais pas trop comment m'en débarrasser.

Je repris le plateau, luttai avec la porte du sous-sol et remontai. En arrivant dans la pièce, Black Hayatte vint vers moi et me renifla avec un certaine méfiance, sentant sans doute l'odeur contre-nature de la chimère. Je le rassurai en parlant d'une voix douce, me lavai les mains et lui fis signe de venir avec moi pour sa promenade matinale. En poussant la porte de bois massif de l'immeuble, je fus accueillie par un silence étouffé. Il neigeait pour de bon, et de lourds flocons dansaient dans le faisceau des réverbères avant de s'amonceler sur le bitume. Black Hayatte trépignait, tiraillé entre son devoir d'obéissance et l'envie de courir partout et de caracoler dans la neige. Je le sentis et pris le chemin le plus rapide vers un parc où il pourrait s'ébrouer à loisir, en repensant aux événement rocambolesques qui avaient suivi l'appel de Mustang, le mercredi précédent.

oOo

- Allô

- Hawkeye ?

- Oui ?

- Préparez-vous, il faut qu'on aille au Nord de la ville.

- Pourquoi ?

- Il a appelé.

Il n'avait pas besoin de préciser de qui il parlait, au ton fébrile de sa voix. Je dissimulai ma surprise d'apprendre qu'Ed l'avait contacté directement plutôt que s'adresser à moi. Ce n'était peut-être pas une mauvaise chose, quoi qu'il puisse prétendre, il semblait manquer terriblement au Colonel.

- Je viens vous chercher en voiture dans dix minutes, fit-il d'un ton qui ne souffrait aucune réplique.

Il raccrocha sans me laisser le temps de répondre et je secouai la tête d'un air désabusé. Il était tout retourné, et je ne savais pas dans quelle mesure c'était dû au fait que le petit blond ait appelé, et dans quelle mesure c'était à cause des nouvelles qu'il avait données. Je me changeai pour mettre des habits de ville, plus discrets que l'uniforme bleu roi, pris mon arme et quelques balles que j'avais rechargées au cas où, et enfilai mon manteau. Black Hayatte leva vers moi des yeux pleins d'espoir, et je m'agenouillai pour le caresser et m'excusant.

- Je suis désolé, ce n'est pas une promenade que nous pouvons faire ensemble.

Mustang ne m'avait donné aucun détail, mais pour qu'il soit aussi pressé, l'affaire devait être sérieuse. Faute de savoir à quoi m'attendre, je n'allais pas l'emmener avec moi, même si un chien avait toujours envie de se dégourdir les pattes. Un coup d'oeil à l'horloge m'apprit qu'il était temps que j'y aille. Je descendis les marches à pas vifs, me demandant avec une pointe d'inquiétude ce qui se passait. Edward était-il en danger ? Je n'en avais pas l'impression, Mustang l'aurait sûrement précisé si cela avait été le cas. Une fois aux pieds des marches qui menaient à mon immeuble, je fourrai les mains dans les poches de mon manteau, prise par le froid. Je n'eus pas à attendre longtemps avant qu'une voiture noire scandaleusement luxueuse arrive à ma hauteur dans un ronronnement de moteur bien rodé. J'ouvris la porte et montai à côté de Mustang qui avait l'air plus concentré qu'inquiet. Cela me rassura un peu.

- Vous l'avez réparée ?

- Oui. Ce n'était rien de grave.

Il redémarra et prit vers l'Est pour longer les quais et prendre le pont de l'Horloge.

- Alors, que se passe-t-il ? fis-je pour briser le silence.

- Edward a appelé. Il a retrouvé Shou Tucker.

Je haussai des sourcils surpris. Il était censé se planquer, et il devait peiner à subsister sous sa fausse identité. Pourquoi enquêtait-il ?

- Il est planqué dans l'usine désaffectée de Migward, et fait des chimères pour les Homonculus. Il les a surpris pendant une visite, apparemment, une nouvelle ennemie sort de l'ombre.

- Une femme ?

- Oui. Il a dit qu'il pensait l'avoir déjà vu, mais ne sait pas où.

- Douglas ?

- Non, fit-il en secouant la tête. Du moins il ne pense pas. Elle avait l'air de diriger les Homonculus, et si on en croit ses dernières découvertes, elle n'a pas l'ancienneté pour être à la tête des décisions.

- Logique, avouai-je.

- Il est en sécurité ?

- Oui. À son travail, apparemment, fit-il d'un ton aigre.

Je hochai la tête. La dernière fois que j'avais vu Bérangère, elle m'avait annoncé qu'elle déménageait dans un cabaret où elle avait retrouvé du travail comme serveuse, et espérait s'y produire par la suite. Du peu de ce qu'elle en avait raconté, les lieux semblaient rocambolesques mais accueillants. Edward était sans doute bien entouré à l'heure qu'il était.

- Vous auriez voulu le voir, hein ? soufflai-je en voyant sa mine renfrognée.

Il ne nia pas, ce qui revenait à avouer, et je souris un peu tristement. J'imaginais mal les retrouvailles entre Mustang et Edward sous sa fausse identité. Pourtant, il avait aussi envie de revoir son supérieur et les autres, je l'avais senti lors de nos discussions… Tiraillé entre la solitude et la peur d'être reconnu et jugé. Son déguisement était d'une efficacité redoutable, si je n'avais pas su qui chercher, je ne l'aurais jamais reconnu sous cette apparence.

- Pourquoi faut-il qu'il se planque ? grommela-t-il entre les dents.

- Vous savez bien pourquoi, répondis-je simplement.

Les Homonculus. L'armée. Juliet Douglas, King Bradley. C'étaient des arguments de poids.

Puis je réalisai que ce qu'il se demandait, c'est pourquoi l'adolescent se dissimulait à lui, particulièrement. Après tout, j'avais des nouvelles de lui, et même Havoc savait un peu ce qu'il devenait grâce à moi. Je ne pouvais pas dire à Mustang qu'Edward craignait le regard qu'il poserait sur lui au moment où il devrait avouer tout ce qu'il lui avait caché jusque-là.

- On est arrivés, souffla-t-il.

Il gara la voiture, qui semblait beaucoup trop luxueuse dans cette ruelle miteuse. L'électricité était coupée dans le quartier, et en descendant du véhicule, je marchai dans l'eau stagnante d'une bouche d'égout saturée. L'inondation était toute proche, et l'air sentait vaguement le moisi.

- Je savais que le quartier Nord était inondé, mais je ne pensais pas que cela allait si loin, murmurai-je.

Mustang hocha la tête, visiblement peu surpris. Pataugeant dans l'eau noire, nous approchâmes du bâtiment condamné. La porte était verrouillée, comme on pouvait s'y attendre, mais Mustang la débloqua d'un coup d'alchimie, avant d'entrer avec précaution, prêt à enflammer toute menace. J'avais moi-même dégainé mon arme. Nous progressâmes prudemment dans les couloirs vétustes dont l'atmosphère renfermée avait des relents de vase.

Une porte ouverte donnait sur le couloir, et la lumière jaunâtre qu'elle laissait passer se reflétait dans la traînée d'eau sale qui longeait le mur. Je m'approchai avec précaution, mon Beretta à la main, suivie de près par le Colonel. Au fil des pas, une voix se fit progressivement entendre, rauque, nerveuse. L'homme qui parlait était sans doute très agité, des bruits de pas, de matériel qu'on secoue et des couinements d'animaux se faisaient entendre, tandis qu'il marmonnait des choses à peine compréhensibles.

Je jetai un coup d'oeil dans la pièce et vis la silhouette imposante et informe de ce qui avait été un alchimiste d'état, furetant entre des cages dans lesquelles des animaux au rebut s'agitaient, gênés par une activité inhabituelle. En le voyant passer de profil sans percevoir notre présence, je vis des yeux grands ouverts où brillaient la démence.

- Ils me l'ont enlevée, mais je la reconstruirai, j'en suis capable. J'ai appris, celle-ci sera encore mieux réussie…

J'échangeai un regard vaguement inquiet avec Mustang. J'avais beau savoir ce qu'il avait fait et ce qu'il était devenu, voir cette chimère difforme me faisait quand même un choc. Mon esprit cartésien se sentit secoué en réalisant que toutes ces choses que la logique refusait, des chimères humaines, des monstres immortels et le complot qui allait avec, toutes ces choses-là existaient bel et bien.

Je regardai de nouveau le contenu du hangar pour m'assurer qu'il n'y avait pas d'autres menaces que lui dans la pièce. Elle était encombrée de containers entre lesquels s'amoncelaient des cages refermées sur des chimères boiteuses, fruits d'expériences ratées, et des animaux prisonniers, pour beaucoup en piteux état. Des chats et chiens errants pour la plupart, des rats aussi, créatures de l'ombres abandonnées et perclues de maladies. Je ne pus m'empêcher de penser à Black Hayatte, qui avait été retrouvé dans la rue un jour de pluie par Fuery et qui aurait pu devenir un de ces chiens émaciés et pelés, simple ressources servant les expériences d'un cerveau malade. J'écartai bien vite cette pensée, l'heure n'était pas au sentimentalisme.

Mon observation du hangar me rassura, Tucker était visiblement seul. Je fis signe à Mustang que les lieux étaient sans grand danger, et après sa confirmation d'un hochement de tête, j'entrai dans la pièce avec une vivacité discrète, mettant immédiatement en joue notre cible. Il ne se retourna pas immédiatement, fouillant dans ses papiers, laissant tomber à terre ses plans de cercles de transmutation et autres notes manuscrites avec des marmonnements presque animaux. C'est seulement quand il quitta son bureau pour fureter dans une autre partie du hangar qu'il se tourna vers moi et se figea en voyant que je le mettais en joue.

Il avait été fusionné avec une créature imposante, un ours probablement, lors d'une expérience qui avait mal tourné. Le haut de son corps courait sur le dos de la silhouette, et s'il conservait un visage humain, celui-ci était retourné, lui donnant une apparence particulièrement monstrueuse.

- Oh, fit-il simplement de sa voix chuintante.

- Monsieur Tucker, nous avons quelques questions à vous poser, fis-je d'une voix posée.

- Je vous ai déjà vue… dans l'armée, n'est-ce pas ?

- J'étais présente le jour de votre arrestation pour avoir transmuté ensemble votre fille et votre chien, fis-je d'une voix dont je peinais un peu à maîtriser le tremblement.

- Ah… Nina et Alexander… articula lentement la silhouette de sa voix grave et détachée. C'était la bonne époque, j'aimerais les retrouver.

- Vous les avez détruits.

- Et maintenant, je les reconstruis, répondit-il. C'est cela, l'alchimie, après tout : détruire et reconstruire, encore et encore. Mais on m'a enlevé ma Nina, je dois redémarrer de zéro. Les chimères parlantes, c'est trop facile maintenant. Ce que je veux faire, ce sont des chimères humaines.

Je n'arrivais pas à savoir si son discours était le fruit d'un cerveau criminel ou s'il était devenu fou au point de ne plus réaliser le sens de ses paroles. Quand il reprit sa route comme si la menace de mon arme n'avait aucune importance, je me dis que cela devait être la seconde option. L'Alchimiste tisseur de vie devait avoir sombré dans la folie.

- Je dois me remettre au travail, on m'a commandé de nouvelles chimères, toujours plus de chimères… Mais je n'ai plus grand-chose pour les construire. J'ai utilisé mon dernier humain, il ne valait pas grand-chose le pauvre, le résultat est pitoyable. Ils n'en voudront jamais. Il veulent la perfection sans m'en donner les moyens.

- Qui, "Ils" ?

- Les Homonculus, et la personne qui les dirige, répondit-il d'un ton flegmatique. Vous devez vous en douter pourtant ? Vous ne contrôlez rien dans ce pays.

Je serrai les dents, tentée de tirer sur ce monstre. Je savais qu'il ne fallait pas, que nous n'étions pas ici par vengeance mais pour en apprendre le plus possible sur nos ennemis. Du coin de l'oeil, je voyais Mustang s'approcher de la silhouette avec précaution, ayant sans doute une idée derrière la tête.

- Un jour, ils vous tomberont dessus comme une meute de loups, et il ne laisseront de vous que les os. Ils sont trop forts pour être combattus, trop puissants pour être désobéis. Vous pouvez choisir de lutter contre eux, mais vous savez ce qui vous attend.

À ce dernier mot, le poing de Mustang s'abbattit sur la poitrine de la créature, y enfonçant manifestement quelque chose. Tucker se tourna vers lui pour le frapper, mais je parcourus rapidement la distance qui nous séparait et lui envoyai un coup de pied qui l'empêcha de mener son geste jusqu'au bout. La masse de muscles et de poils s'effondra au sol, tenta de se relever dans des gestes maladroits avant de s'affaler complètement. Je levai des yeux vaguement inquiets vers Mustang, qui leva sa main tenant une seringue vide.

- Ça devrait le neutraliser un moment. J'ai un peu surdosé, mais au poids de l'animal, ça ne devrait pas être un problème.

- Comment ça se fait que vous ayez un truc pareil ? balbutiai-je, estomaquée par le résultat de l'injection.

- Insomnies, le médecin a eu pitié de moi pendant les préparatifs de l'assaut du QG Est, répondit simplement l'homme en menottant notre prisonnier.

Le ton était neutre, et je compris qu'il n'en dirait rien de plus, si inquiétantes que soient ses paroles. En repensant à ses traits tirés au cours des deux derniers mois, je réalisai que j'aurais dû m'en douter. Il était du genre à souffrir en silence sans le montrer.

- … Et maintenant, que fait-on ? fis-je en observant la pièce.

- On récupère notre témoin, et on se le garde sous le coude le temps d'en retirer toutes les informations. Vous avez une cave, n'est-ce pas ?

- … Je dois vraiment faire ça ? soupirai-je.

- Vous nous voyez le ramener à la prison de Central ? On ferait sensation avec un criminel soi-disant exécuté depuis trois ans et transformé en chimère ! Sans compter les Homonculus qui nous tomberaient dessus sans attendre.

Je hochai la tête, ravalant ma salive. L'idée me déplaisait, mais il était évident que nous devions garder cette opération secrète aux yeux des Homonculus, et par conséquent, de l'armée.

- Et eux ? demandai-je en désignant les cages contenant les chimères ratées. On peut les soigner ?

- Mh… fit-t-il en furetant les plans et annotation de l'alchimiste. Je ne pense pas. Les dernières fois, les transmutations qu'il a effectué sur les chimères étaient volontairement irréversibles, ça a l'air d'être encore le cas. C'est pour ça que nous n'avions rien pu faire pour Nina.

- C'est monstrueux… pourquoi fait-il ça ?

- Par mégalomanie sans doute. Il ne veux pas qu'on détruise son travail, fit-il en plongeant le regard dans les notes et croquis. C'est pareil sur ces notes, les cercles qu'il a fait ne permettent pas d'inverser la transmutation.

- Donc… vous voulez dire qu'ils sont condamnés ?

Il hocha la tête. En voyant son regard, brûlant et douloureux à la fois, je compris qu'il s'apprêtait à dire quelque chose de particulièrement horrible.

- Les Homonculus vont revenir sur les lieux, tôt ou tard. S'ils pensent que Shou Tucker s'est enfui ou a été kidnappé, ils vont partir à sa recherche, et finiront par remonter jusqu'à nous. Nous perdrons tout le bénéfice de ce que nous avons appris. L'usine où nous sommes fabriquait des cuivres pour rotatives et du matériel d'armement, avant d'être mise à l'arrêt pour des raisons de sécurité. Ces cuves contiennent probablement de d'acide nitrique, une explosion de gaz ferait bien du dégât… Si les lieux explosent en l'état, les Homonculus concluront à un accident ou au suicide de ce fou.

- En l'état… vous voulez dire…

Je parcourus du regard les cages, comptant malgré moi les créatures décharnées, malades, difformes, qui griffaient les barreaux dans un espoir renouvelé de fuir et de survivre, comprenant que nous ne pouvions pas les sacrifier sans éveiller les soupçons. Elles étaient bien une trentaine à lutter pour un espoir.

- C'est monstrueux… murmurai-je, dos à lui.

Massacrer des humains, j'avais dû le faire lors de la guerre d'Ishbal, mais tuer ces animaux et ces chimères déjà bien éprouvées, c'était une idée qui me révoltait plus encore. J'avais du mal à le regarder en face, je haïssais cette perspective au point de haïr l'homme qui l'avait énoncé.

- Je sais, répondit-il simplement.

Sa voix était posée comme à son habitude. Calculateur. Sans âme ?

- Amenons ensemble Tucker à la voiture, je m'occuperai du reste, fit-il.

Je ravalai ma salive, la gorge sèche tandis que je portais avec lui le corps lourd et mou de notre témoin. En quittant la pièce, je jetai un coup d'oeil à ces prisonniers, gravant malgré moi dans mon esprit le souvenir de ces silhouettes que nous n'allions pas sauver. Cela me donna l'impression de recevoir un coup de poing en plein visage.

Nous sortîmes prudemment, la rue restait déserte et obscure. Pas de réverbères pour nous éclairer et attirer l'attention sur nous, seul le clair de lune nous permettait de discerner les formes des bâtiments. Je scrutai tout de même les lieux avec attention, guettant un mouvement qui indiquerait que nous ne serions pas seuls. On ne savait jamais. Quelques secondes d'arrêt, puis nous traversâmes la chaussée détrempée pour jeter Tucker dans le coffre sans trop de précautions. Mustang pesa sur lui pour le faire rouler sur le côté.

- La drogue est puissante, chuchota-t-il. Si on le laisse sur le dos, il risque d'avaler sa langue.

Je hochai la tête dans le noir, faute de savoir quoi dire.

- Je vais préparer la suite. Vous pouvez amener la voiture au bout de la rue.

- Bien, Colonel.

Je montai côté conducteur tandis qu'il retournait dans le bâtiment. Démarrant le moteur qui ronronna, je n'osai pas allumer les phares en remontant lentement la ruelle d'un noir d'encre. Si notre but était de ne pas attirer l'attention, autant éviter d'être plein phares dans une zone de la ville dépourvue d'électricité. Une fois au sommet de la rue, je fixai la porte restée ouverte d'un oeil morne. Habituée à l'obscurité par mes nombreuses parties de chasse au petit matin, je n'étais spécialement effrayée par la nuit. L'idée de ce qui se faisait là-dedans était bien pire.

L'attente me sembla interminable, au point que je commençais à m'inquiéter. Pourtant, j'imaginais bien qu'il restait des choses à faire. Transmuter ce qui devait être identifié comme étant le corps de Shou Tucker quand les Homonculus enquêteraient, surtout. La silhouette de Mustang ressortit finalement à pas lents, remontant la rue vers moi. En le voyant s'approcher, les dents serrées, je sentis à quel point c'était difficile pour lui d'accomplir ça. Nous n'avions pas fini de compter les victimes de l'assaut du QG Est qu'il devait déjà s'alourdir la conscience d'un nouveau massacre.

- C'est terminé ? soufflai-je par la vitre entrouverte.

- Presque, répondit-il dans un murmure.

Il se redressa et se retourna. D'un claquement de doigt, il fit apparaître un fin éclair de lumière qui fila vers la porte et s'engouffra dans le couloir désert. Quelques secondes de silence, puis l'explosion et la lueur rougeoyante d'un brasier dans l'embrasement de la porte. Le bâtiment avait contenu et amorti le gros de l'explosion, mais son architecture en avait été considérablement ébranlée et des flammes s'échappaient des murs fendus et du toit effondré. J'imaginai les créatures survivantes se débattre dans le brasier et l'acide et eut un haut le coeur. Si l'explosion ne les avait pas tuées, les flammes s'en chargeraient. Elles n'avaient aucune chance.

Un instant de silence, un battement de coeur, une pensée pour les sacrifices d'innocents déjà condamnés par la vie. Mustang contourna la voiture à pas lents et s'assit sur le siège passager.

- Allons chez vous.

Je démarrai la voiture qui remonta docilement la rue, nous éloignant de l'incendie et de toute la culpabilité qu'il portait. Ni l'un ni l'autre ne desserra les dents du trajet, et quand le chemin nous amena devant chez moi, la question ne fut plus que de savoir comment décharger notre témoin sans se faire remarquer, comment insonoriser au mieux sa cellule, comment l'empêcher de s'enfuir ou de se blesser, sans revenir sur ce que nous venions de faire. Nous avions profité de son inconscience pour tapisser la cellule de matelas, que Mustang ne se priva pas de transmuter pour mieux les fixer et consolider la prison capitonnée. Nous avions ensuite attendu qu'il reprenne conscience pour l'interroger. Il était encore confus sous l'effet de la drogue, mais s'il y avait sans doute du tri à faire dans ses propos décousus, nous en apprîmes pas mal sur la manière dont le cinquième laboratoire s'organisait, sur la rumeur d'un Homonculus emprisonné, sans doute le Greed qu'Edward avait rencontré. Avec les informations dont nous disposions, nous apprîmes que les chimères du Devil's Nest étaient d'anciens militaires envoyés à l'assaut des Ishbals dans le but d'envenimer le conflit. Pour empêcher l'information de se diffuser, ils les avaient enfermés et s'en était servis à des fins expérimentales.

Je comprends mieux pourquoi King Bradley veut absolument leur remettre le grappin dessus. Ils pourraient faire beaucoup de mal à l'image de l'armée en racontant comment a réellement démarré la guerre d'Ishbal… pensai-je en prenant mes notes.

- Leur maître… a changé depuis le laboratoire. C'est une jeune femme maintenant, mais… c'est toujours la même. C'est toujours impossible… de lui désobéir…

Il avait dit cela dans un murmure, et je l'avais écrit, jetant un regard inquiet à Mustang. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Le militaire secoua la tête d'un air désabusé avant de tenter de lui faire parler davantage d'elle, sans en obtenir beaucoup plus. Il était plus loquace sur d'autres sujets, comme Envy, Lust ou encore les autres prisonniers. Au bout de longues heures passées à consigner ses propos, le grand brun finit par s'avouer vaincu.

- Il est quatre heures du matin, je pense qu'on en a assez fait pour aujourd'hui, murmura-t-il. On continuera demain.

Je hochai la tête, éperdue de soulagement. Écouter ce fou parler des horreurs qu'il avait faites et de celles qu'il avait vues était éprouvant, et le manque de sommeil n'arrangeait rien. Il resta dans ma cave devenue cellule, les mains menottées dans le dos, entourés de matelas qui étoufferaient les sons et l'empêcheraient de se blesser ou de s'enfuir, tandis que je refermais la porte et verrouillais le cadenas, me retrouvant seule avec Mustang. Je levai vers lui un regard épuisé, un peu rancunier sans doute. Je lui étais loyale, et j'avais depuis longtemps pris la mesure de ce que cela signifiait, mais une nuit comme celle-ci faisait regretter mon engagement.

- Merci. Et… Je suis désolé, murmura-t-il. J'aurais préféré pouvoir les sauver.

Je hochai la tête. Bien sûr. Il baissa les yeux vers moi, des yeux noirs de chagrin. Ce n'était pas par insensibilité qu'il faisait ce genre de choses, mais par intelligence et par volonté de gagner contre les Homonculus, quitte à briser l'enfant épris de justice qu'il avait en lui. Si je lui en voulais profondément, il s'en voulait sans doute davantage. Mais voilà, nous ne pouvions rien faire de plus, il était trop tard maintenant.

- Allons dormir, répondis-je simplement.

C'est sur ces derniers mots que nos routes se séparèrent, et qu'il rentra chez lui pendant que je montais les escaliers à pas lourds. Le lendemain, nous allions devoir faire comme si de rien n'était, comme si notre nuit n'avait pas été amputée, comme si nous ne partagions pas un pénible secret…

Quand je poussai la porte de mon appartement, la silhouette de Black Hayatte se dirigea vers moi dans l'obscurité. Je refermai derrière moi, et me mis à genoux pour l'enlacer et nicher mon nez dans sa fourrure. Lui au moins était bien vivant, en bonne santé, n'avait pas été maltraité. Il poussa quelques gémissements inquiets et me donna des coups de langue pour me réconforter, bien conscient que sa maîtresse n'était pas dans son état normal et qu'elle portait une odeur funeste. Je le serrai un peu plus dans mes bras, me raccrochant à sa présence, me demandant si j'arriverais à trouver le sommeil.

- Je n'ai pas de somnifère chez moi, moi, murmurai-je dans le cou du chien qui me soutenait de son affection indéfectible.

oOo

Les aboiements de Black Hayatte me ramenèrent à la réalité de ce matin enneigé, et je poussai un soupir avant de chasser le souvenir de cette nuit qui me hanterait un moment encore. Après s'être roulé dans la neige, il revint vers moi en courant, une branche à la main, ne demandant qu'à jouer.

- Tu veux que je te la jette hein ? fis-je d'un ton joueur avant de me pencher pour l'attraper.

Il me prit au dépourvu en tournant la tête et bondissant de côté, l'empêchant de le prendre.

- Hé ! Qu'est-ce que tu me fais ? Tu ne veux pas courir après ?

Il tourna la tête vers moi, comme pour me le tendre, puis se déroba de nouveau, faisant des petits sauts de côté, manifestement d'humeur joueuse.

- … Tu veux que je te coure après, fis-je en secouant la tête.

Il aboya, comme pour me confirmer ce que je disais, manquant de lâcher l'objet convoité. Je tentai d'en profiter pour m'en emparer, en vain, et me retrouvai finalement à courir après tandis qu'il virevoltait dans la neige. Le jeu dura quelques minutes, jusqu'à ce que j'arrive enfin à mettre la main sur le bâton et à le lever très haut avec un sourire victorieux.

- Aha, ah ton tour, maintenant ! fis-je un peu essoufflée. Essaie de l'avoir !

Je tendis le bâton, et il sauta, une fois, deux fois, pour l'attraper au vol. Cette fois, c'était moi qui faisait durer le jeu. Enfin, il se mit à bondir de gauche à droite avec impatience, et je sus que c'était le bon moment pour reprendre la partie classique du jeu. Je pris mon élan pour le lancer et il commença à cavaler dans une direction, puis le jetai de toute mes forces, à l'opposée de la trajectoire prévue. En le voyant zigzaguer derrière le projectile, j'eus un éclat de rire libérateur.

Depuis combien de temps n'avais-je pas ri aux éclats ? Depuis combien de temps n'avais-je pas joué comme ça avec lui ? Je me rendis soudain compte que depuis mon arrivée à Central, nous avions enchaîné les missions, que j'avais toujours été sous tension, et que même si à chaque fois, je m'étais jurée de passer plus de temps avec lui, j'avais rarement mis ces promesses à exécution. Il était temps que je répare cela. Que je lui apprenne de nouveaux tours, lui qui adorait ça. Je pourrai profiter d'un dimanche pour prendre le train vers une des bourgades alentours pour passer une journée dans un lieu moins urbanisé. La campagne sous la neige était toujours magnifique…

La cloche de la tour de l'horloge sonna sept heures, me rappelant que le temps filait, que nous n'étions pas dimanche et qu'une journée de travail au QG m'attendait. Je sifflai pour rappeler Black Hayatte, qui rappliqua bien sagement pour me raccompagner à l'appartement. Je réalisai que son espièglerie de tout à l'heure était un moyen plus ou moins conscient de faire disparaître ma morosité, et lui flattai le flan avec une immense reconnaissance. Cela ne faisait que trois ans qu'il était à mes côtés, mais je n'imaginais plus ma vie sans lui pour me ramener à des préoccupations plus triviales et plus propices au bonheur.

Je refermai la porte de chez moi, impatiente de revenir, puis me mis en route vers le QG, marchant dans la neige, les joues rosies par le froid, le coeur léger d'avoir partagé un moment de jeu. Je songeai en chemin que s'il avait un chien, Mustang serait sans doute moins morose et désabusé aujourd'hui.

Je lui avais soufflé l'idée, mais il n'avait jamais voulu, trop attaché au mobilier qu'il possédait et convaincu qu'il serait incapable de s'en occuper correctement. Je savais que c'était faux, qu'il saurait sans doute s'y prendre, mais je ne pouvais pas le forcer.

J'avais un peu traîné ce matin, aussi y avait-il déjà une bonne partie de l'équipe quand j'arrivai dans les bureaux. Je saluai Fuery et Falman avant de m'installer à ma place. Maintenant que l'assaut du QG Est s'était passé sans échec, nous pouvions nous détendre un peu sans craindre de faire capoter ce qui était l'une des plus grosses opérations que nous ayons jamais menées. Bien sûr, il restait du travail, des rapports à rédiger, consulter, faire transiter à nos supérieurs, des prisonniers à interroger, et pléthores de complices à juger.

Pendant que nous étions montés au front, le Général Lewis avait procédé à toute une série de perquisitions et arrestations chez les appuis des terroristes, dénichant les nombreux puissants qui avaient contribué au développement du front de l'Est, en les finançant ou leur fournissant des armes. Les mises sous écoute et autres enquêtes avaient fourni des preuves permettant d'arrêter quelques magnats dont la culpabilité était déjà de notoriété publique, mais aussi de découvrir d'autres commerces illégaux, plus discrets ceux-là. La mafia, en soutenant le terrorisme, trouvaient des acheteurs pour leurs armes, ou l'occasion de profiter du chaos ambiant pour étendre leur territoire. Les plus optimistes, enfin, espéraient sans doute un rôle de choix dans l'état que le Front de L'Est espérait fonder.

Si les terroristes étaient parvenus à prendre le QG Est et à se mettre en état de siège, le conflit se serait enlisé pendant des semaines, peut-être même des mois, et face à la violence des moyens que l'armée aurait dû employer, une frange de la population se serait sans doute rebellée, affaiblissant d'autant le pouvoir de l'armée dans la région, aboutissant peut-être à une véritable sécession de la région Est, qui avait déjà été éprouvée par de nombreux autres conflits et ne portait pas l'armée dans son coeur. Connaissant King Bradley, Les terroristes auraient de toute façon été écrasés à terme, mais au prix d'un véritable bain de sang pour rasseoir en bonne et due forme le pouvoir de l'armée et de son Généralissime.

Voilà pourquoi Mustang et ses supérieurs directs étaient résolus à agir vite et bien, pour couper l'élan du front de l'Est avant que l'affaire n'ait le temps de devenir politique et que le conflit s'envenime davantage. La journée avait été sanglante, nous avions eu des dizaines de morts dans nos rangs et celui du QG Est… mais maintenant que le Front de l'Est était presque intégralement écrasé, et leurs soutiens sous notre contrôle, ils seraient bien en peine de recréer un conflit de cette ampleur avant longtemps. Quelques-uns des rescapés tenteraient peut-être un baroud d'honneur dans une tentative aussi meutrière qu'inutile de se venger de l'armée, mais beaucoup préfèreraient faire profil bas et privilégier leur propre survie.

- Vous avez vu cette neige ? fit Fuery d'un ton rêveur. C'est vraiment magnifique

- Ouais, bah c'était bien pénible pour faire le trajet jusqu'au QG. Toi, tu t'en fiches, tu loges à la caserne, mais s'il continue de neiger à ce rythme, plus aucun trolley ne pourra circuler dans la ville ce soir.

- Avec le salage des voies, ça ira, répondis-je d'une voix assez basse, sans lever les yeux de mon travail. Et puis, c'est tellement beau…

- Breda met du temps à arriver ce matin, commenta Fuery.

- C'est vrai qu'il est plus ponctuel d'habitude…

- Et Mustang ?

- Il commençait sa journée par une réunion avec les généraux du coin, expliqua Falman.

- Pauvre de lui !

- Ça va, pour une fois ils l'ont convoqué pour le féliciter du succès de l'opération au QG Est. Il va finir par l'avoir, sa promotion de Général de Brigade !

À ces mots, j'esquissai un sourire. Il courait après ce nouveau grade depuis un moment maintenant, et même si c'était un moyen plus qu'une fin, je savais que passer du côté des officiers généraux lui ouvrirait sans doute des portes et lui permettrait d'entrer dans les jeux de pouvoirs qui prévalaient au sommet de l'armée. Ses déboires avec la taupe et la rébellion d'Edward avaient retardé d'autant sa montée en grade.

Je songeai à tout cela quand la porte s'ouvrit en grand, laissant passer une silhouette que je ne m'attendais pas à voir.

- Bonjour ! s'exclama le grand blond qui venait d'entrer, une canne à la main, la clope au bec, flanqué de Breda qui avait un sourire jusqu'aux oreilles.

- Havoc ! s'exclama Fuery, son visage s'illuminant d'une joie non feinte.

- Surprise ! claironna Breda. Désolé pour le retard, mais je lui filais un coup de main dans les escaliers.

- Ça y est, tu es guéri ? demanda Falman. Je croyais que tu étais resté à l'hôpital d'East-city pour te faire soigner.

- Je suis pas complètement guéri, mais ça va mieux, et je ne pouvais pas supporter ma mère une journée de plus. Du coup j'ai supplié le médecin de me laisser partir, avoua-t-il avec un petit rire. Je suis arrivé par le train hier, puis j'ai pris un taxi jusqu'au QG. Je recommencerai pas de sitôt, ça coûte un bras !

Il entra dans la pièce en s'appuyant sur sa canne pour avancer. Il n'avait pas eu de casse, mais une balle dans le mollet, ce n'était quand même pas rien. Voir le grand gaillard claudiquer comme un petit vieux me donna un pincement au coeur, mais la joie de retrouver l'équipe au complet l'éclipsa rapidement.

- Aaah… fit Havoc en s'affalant à sa place. Je ne pensais pas dire ça un jour, mais qu'est-ce que je suis content de revoir mon bureau.

- Ta mère parvient à être pire que l'administration de l'armée ? fit Fuery.

- Tu n'imagines pas ! En plus, avec la mort de Will, elle est encore plus insupportable que d'habitude.

Il avait dit cela d'un ton léger, mais tout le monde baissa le nez dans la pièce. Enterrer son frère terroriste n'était pas une situation facile quand on était dans l'armée, et malgré le sourire du grand blond, il avait une mine fatiguée qui ne trompait pas. La semaine passée avait dû être éprouvante.

- Alors, quoi de neuf à Central ? fit-il en attrapant ses dossiers.

- Boah, pas grand-chose, tout le monde se remet de ses émotions pour l'instant. Et comme d'habitude, on croule sous les paperasses.

- Hé, quand même, Jenkins s'est trouvé une copine apparemment.

- Oh, tant mieux pour lui !

La discussion continua encore un peu sur les potins de dortoir, et j'observai les uns et les autres, le visage éclairé par les retrouvailles, bien obligée d'admettre que sa présence m'avait manqué à moi aussi. Je toussotai finalement pour les rappeler à l'ordre, et Havoc conclut spontanément qu'ils pourraient continuer la discussion au réfectoire. Chacun se remit au travail, un petit sourire aux lèvres. Quand, quelque temps plus tard, Mustang poussa la porte, il trouva son équipe au complet, appliquée à rédiger ses rapports et trier ses dossiers. En voyant qu'il y avait une personne de plus que prévue, un sourire lui monta au visage.

- Havoc, vous êtes de retour ! Comment va votre blessure ?

- Ah, Colonel ! Vous m'en voulez pas si je me lève pas, hein ! J'ai été recousu, pas d'infection ! Par contre, j'en ai encore pour un moment à marcher avec une canne, le temps que le muscle soit bien cicatrisé.

- Ça ne t'empêchera pas de faire les papiers, souffla Breda, un peu goguenard.

- Je suis content de vous revoir parmi nous. Ne forcez pas sur votre jambe, ce serait dommage de vous blesser de nouveau.

- Oui, Colonel.

- Et vous, comment s'est passée la réunion ? s'enquit Falman, curieux.

À ces mots, le sourire de Mustang s'élargit.

- Je ne devrais pas le claironner, car c'est à eux que revient l'annonce officielle, mais je vais être promu Général de Brigade d'ici la fin du mois !

À ces mots, mes collègues applaudirent le grand brun qui ne put s'empêcher de se pavaner un peu. Je me joignis à eux, un sourire plus distant aux lèvres. C'était une bonne nouvelle, bien sûr, mais aussi le début d'un nouveau combat, plus souterrain cette fois. Et puis, s'il changeait de grade, qu'adviendrait-il de notre équipe ? Ce n'était pas le travail d'un général de diriger de simples lieutenants. Notre équipe serait-elle dirigée par quelqu'un d'autre, ou pire, dissoute ? Mes collègues étaient plutôt du genre sociable, ils s'en sortiraient très bien dans un nouveau groupe. Moi, en revanche… Je n'osai pas poser la question, craignant de ruiner l'ambiance joyeuse qui régnait. Pour la première fois depuis longtemps, le sourire de Mustang était véritablement lumineux. Je ne voulais pas gâcher ça. Après quelques secondes il reprit son sérieux.

- Ce n'est pas une raison pour se reposer sur ses lauriers. Vous tous, au travail ! Il faut que l'on boucle les rapports de l'assaut du Front de l'Est pour que le Général Lewis ait toutes les cartes en main pour le jugement de leurs appuis. Il nous confiera sûrement la gestion d'une partie de ses dossiers, je ne veux rien laisser passer ! Qui dit grand pouvoir dit grandes responsabilités.

Le bureau tout entier hocha la tête et se remit au travail.

oOo

La matinée passa rapidement, et après une brève entrevue avec Mustang pour lui annoncer la mort de Tucker, qui ne l'émut pas outre mesure, je partis manger en ville, comme je l'avais convenu avec Edward.

Nous avions pris nos habitudes, et une ou deux fois par semaine, nous avions rendez-vous place du Général Ryan, ou nous nous rejoignions avant de jeter notre dévolu sur un des nombreux restaurants alentours. Le quartier, à proximité du QG, était animé, et nombreux étaient les militaires qui s'offraient une expédition en ville pour échapper à la cuisine du réfectoire ou retrouver des civils le temps d'un repas.

Je traversai à pas vifs les quelques rues qui me séparaient de la place du Général Ryan, levant les yeux en constatant que si le ciel restait gris, la neige avait progressivement cessé de tomber. Fuery serait déçu, Falman soulagé. Quand j'arrivai dans le square, la silhouette d'Angie était déjà là et me fit de grands signes de main. J'étais toujours amusée de voir avec quelle facilité, après avoir nié tout changement, Edward avait accepté de se glisser dans la peau d'une toute autre personne portant des robes et talons. Pour l'heure, elle était vêtue d'une jupe de cuir bordeaux et d'un pull noir, sous le manteau beige et béret rouge qui étaient devenus son nouvel uniforme. La danseuse avec qui elle était en colocation devait l'avoir forcé à diversifier ses vêtements, car le connaissant, Edward n'aurait même pas saisi l'intérêt d'avoir des tenues variées.

- Hey, Riza !

- Bonjour, Angie ! fis-je en lui faisant la bise. Quoi de neuf depuis la dernière fois ?

Je m'étais familiarisée tant bien que mal avec son nouveau prénom, mais avais préféré, comme d'autres, adopter son diminutif.

- Et bien, tu te souviens que j'avais dit que j'étais allée à une soirée dans un cabaret, et qu'ils nous avaient proposé de nous donner du travail ?

- Oui…

- Eh bien, avec Roxane, on y est retournées, et on a décidé d'accepter. On a déménagé mercredi dernier, et maintenant, je travaille comme serveuse tous les soirs !

- Excellente nouvelle, fis-je avec un sourire. Ça va être un soulagement pour Roxane de ne pas porter les finances seules.

Lors du dernier restaurant, Angie m'avait parlé de la soirée en question, mais aussi de la dispute qui avait précédé. J'avais vu dans l'adolescente l'expression perdue de celle qui découvre avec désolation qu'elle était beaucoup plus égocentrique qu'elle le pensait. Je ne pouvais pas contredire Roxane. Par bien des côtés, Edward était encore un enfant, et Mustang lui avait épargné un peu trop souvent certaines responsabilités sous ce prétexte. Plutôt que l'enfoncer davantage, j'avais tâché de lui montrer le versant positif : c'était autant de progrès à faire et de choses à apprendre, et je l'avais laissée remontée à bloc. "Apprendre" était un mot magique pour Edward, j'avais rarement vu une telle curiosité chez quelqu'un. L'avantage de la jeunesse sans doute…

- Que veux-tu manger ? demandai-je.

- J'ai une terrible envie de PATATES !

Le contraste entre sa silhouette apprêté et le ton campagnard avec lequel elle avait lâché ses mots m'arracha un rire. Elle réalisa son lâcher prise et se mordit la lèvre d'un air d'excuse.

- Désolé, je sais qu'il faut que je me surveille, mais maintenant que je suis au cabaret, j'ai de moins en moins d'occasions de décompresser…

- Ne t'inquiète pas, je ne t'engueulerai pas pour ça, va, répondis-je affectueusement. Allons voir ce qu'on trouve comme patates…

Après quelques minutes de recherches, nous retrouvâmes un restaurant proposant patates et fromage fondu à volonté. Les yeux d'Angie s'illuminèrent, et je ris intérieurement à la perspective de l'expression déconfite des serveurs quand ils découvriraient ce que le petit brin de fille qui m'accompagnait était capable d'avaler. Ils nous installèrent sur un table un peu à l'écart où elle me raconta avec enthousiasme ses débuts au Bigarré, m'expliquant où c'était, me décrivant la troupe qui y résidait, qui semblait être une bande de drôles d'oiseaux du peu qu'elle en disait.

- Je me suis mise aux claquettes, du coup, fit-elle, la bouche pleine. Andy me donne des cours, il trouve que j'apprends super vite. Il faut avouer que c'est gratifiant !

- Ça ne m'étonne pas de toi !

- Peut-être que je monterai sur scène pour accompagner Jessica et Tallulah lors de leur prochain numéro. Ça me ferait super plaisir. Tallulah est adorable, c'est par elle que je connais le cabaret. Nat' est gentille aussi, mais… comment dire ? Elle a un vocabulaire à faire blêmir un charretier !

- Ahaha, j'aimerais bien voir ça, avouai-je.

- Si tu veux venir, ça me ferait plaisir. Le samedi, il y a beaucoup de monde, mais en semaine les soirées sont plutôt tranquilles, on peut papoter, et même danser avec les autres. L'ambiance est vraiment détendue, ça fait du bien. Ça change de mon ancien travail, la propriétaire était tellement "prout prout".

Elle débitait les mots sans que cela ne semble ralentir son coup de fourchette, et si ça n'était pas une surprise pour moi, cela m'amusait toujours autant. La première fois que nous nous étions vues, elle avait semblé intimidée par son nouveau rôle et n'avait pas su comment se tenir. Le temps passant, elle semblait s'y habituer, au risque peut-être de trop laisser rejaillir son ancienne personnalité. Je trouvais ça attachant, mais elle devait faire attention.

- Je serai ravie de venir te voir à ton travail. Et je crois qu'Havoc aussi.

- Oh, comment il va ? Tu m'as dit qu'il était blessé à la jambe la dernière fois ?

- Oui, rien de trop grave, mais il va encore devoir boiter un moment, le temps que le muscle soit cicatrisé. Heureusement, la balle n'a touché ni artère, ni os, donc il ne devrait pas avoir de séquelles.

- Tant mieux… murmura Angie.

La pensée du combat mené la semaine précédente jeta un silence voilé sur la table. Difficile d'oublier qu'il y avait eu de nombreux morts ce jour-là, et même si elle n'était pas présente, Angie en avait conscience. Quant à moi… j'en avais tué un certain nombre.

- Il… Il peut venir aussi. Havoc. S'il se sent en état, bien sûr… bredouilla la petite blonde.

Je souris doucement.

- Je lui dirai, ça le touchera beaucoup.

Il y eut un silence, qu'Angie combla en faisant signe au serveur pour lui demander une nouvelle ration de patates. J'avais à peine entamé la mienne.

- … Et mon supérieur, il peut venir ?

À ces mots, elle rougit violemment et tenta d'articuler sans parvenir à répondre.

- J'étais étonné que tu l'appelles plutôt que moi, fis-je d'un ton tranquille en préparant une nouvelle fourchette. Mais je crois que c'était une bonne chose, cela faisait un moment qu'il attendait de tes nouvelles.

- … Oui, croassa-t-elle.

- Il serait peut-être temps de lui dire, non ? Ça simplifierait considérablement les choses.

En voyant le regard incertain de la jeune fille assise en face de moi, je sentis qu'elle n'en était pas aussi convaincue.

- Je… Je suppose. La prochaine fois que je le vois, je lui dirai la vérité, fit-elle du bout des lèvres.

- Ne t'inquiète pas, ça va bien se passer, fis-je d'un ton rassurant.

Si Mustang se mettait à s'énerver un peu trop, je ne me priverais pas de le remettre en place avant que la situation ne dégénère. Je le connaissais depuis assez longtemps pour savoir comment le calmer si le besoin se faisait sentir.

- Il… Il peut venir.

Je fis un infime hochement de tête, pour lui faire savoir que c'était la bonne décision, et pendant quelques minutes, le silence se prolongea tandis que nous continuions à manger. J'étais fascinée de voir comment l'adolescent, pourtant sans-gêne par bien des aspects, pouvait être paralysé à l'idée de devoir interagir avec Mustang, avec qui il s'entendait pourtant mieux qu'ils ne l'avaient montré en public. La tendresse pudique que le Colonel avait envers son subordonné avait ici un écho. J'observai la petite blonde à la dérobée, songeant avec un pointe d'inquiétude que c'était peut-être plus que cela. Mais si je faisais ne serait-ce qu'un sous-entendu de ce genre, elle me tomberait dessus à bras raccourcis. Ce n'était pas une idée qu'Edward Elric pouvait décemment accepter.

Je préférai donc ne rien ajouter. Je lui avais arraché la promesse de dire la vérité à Mustang, c'était déjà bien assez.

Comme le silence se prolongeait, je compris que ce n'était pas la seule raison. Après avoir terminé sa ration de patates noyées de fromage fondu, Angie croisa les main sur ses genoux et leva vers moi des yeux endoloris.

- L'incendie de l'usine Migward… murmura-t-elle.

J'eus un coup au coeur, et je compris tout ce qu'elle n'avait pas besoin de dire. L'incident avait défrayé la chronique, les journaux s'en étaient emparés. Une explosion de gaz dans une usine désaffectée, où avaient été trouvé des corps calcinés, ça avait de quoi intriguer le public. L'enquête avait rapidement abouti à un accident, et je savais que Mustang avait tout fait pour que les conclusions aillent en ce sens. Grâce à l'inondation et l'humidité des lieux, l'incendie n'avait guère pu se propager, ne faisant pas d'autres victimes. C'était devenu un sujet de discussion, une source de spéculation, un motif d'indignation aussi, puisque l'incident mettait en lumière l'état de délabrement du quartier.

Mais tout cela, elle s'en fichait. En me regardant droit dans les yeux, il n'y avait que la douleur sourde de sa déception.

Nous n'avions pas sauvé les prisonniers.

Mustang et moi, nous avions trahi son espoir. Et en sentant que je peinais à soutenir son regard d'ambre derrière ses lunettes, je me rendis compte à quel point je m'étais attachée à cette ado à deux facettes, alchimiste aventurier, jeune fille incertaine.

- Je suis désolée… L'armée enquête en profondeur sur ce qui s'est passé. Ils ne laisseront passer aucun élément suspect.

Elle ravala sa salive et hocha la tête, comprenant à demi-mot.

Edward Elric le savait déjà au fond. En lisant les nouvelles, il avait pu réfléchir aux raisons de nos actes, et comprendre que libérer les animaux, et a fortiori, les chimères, aurait créé du chaos et beaucoup trop attiré l'attention. Un accident ou un suicide, vu ce que nous savions de la dernière entrevue, passait bien plus inaperçu. Cela ne l'empêchait pas de souffrir de cette décision, tout comme moi et Mustang.

- J'aurai au moins sauvé Cerise… murmura-t-il.

- Hm ?

- On a un chat à trois pattes au cabaret. Elle s'appelle Cerise. Elle est sympa avec à peu près tout le monde… sauf moi, avoua-t-elle avec un rire un peu forcé pour renouer avec son rôle. Elle me griffe dès que je l'approche, c'est super vexant ! Même les clients sont pas aussi mal vus !

Je lui répondis avec la même légèreté, et nous n'abordâmes plus aucun sujet sérieux jusqu'à notre séparation.

oOo

L'après-midi était bien avancée, et je sortais d'une réunion où j'avais été convoquée avec Mustang. En tant que responsable de la section 1 lors de l'assaut, j'avais eu un point de vue privilégiée sur le conflit, témoin direct des lignes de force et de l'évolution de la stratégie militaire. Nous connaissions également bien la ville, la gestion de sa reconstruction nous intéressait. Il s'était avéré, par recoupements avec nos échanges et les rapports que nous avions accumulés, qu'un propriétaire peu scrupuleux voulait faire endosser à l'armée la rénovation d'un bâtiment qui se trouvait hors des zones où avaient eu lieu des conflits.

- Il y en a qui ne perdent pas le nord, souffla Mustang en secouant la tête d'un air désabusé.

- L'armée concentre le gros de l'économie du pays, c'est normal que ça attise les convoitises, répondis-je avec un soupir.

Nous n'avions pas fait trois pas de plus qu'un militaire nous barra la route au milieu du couloir, l'oeil mauvais. Nous nous figeâmes, interloqués. Je reconnus péniblement le sergent Lanyon, que j'avais interrogé lors de mon enquête sur la mort de Mary Fisher, mais son expression était tout autre. La dernière fois, il était presque en larmes à l'idée d'être jugé pour un crime qu'il n'avait pas commis. Cette fois, il portait encore les écorchures et ecchymoses de l'assaut de la semaine dernière, et tremblait de rage.

- Il paraît que vous allez être promu Général, fit-il d'une voix grondante.

- Les nouvelles vont vite, répondit simplement Mustang en réajustant son col d'un geste désinvolte.

- Espèce d'enfoiré ! cracha-t-il d'une voix forte, attirant l'attention de toutes les personnes alentour. Comment vous pouvez vous pavaner comme ça dans les couloir avec tous les gens qui sont morts par votre faute ?! Nous nous sommes faits massacrer par dizaines sur le front, vous nous avez laissés crever comme des merdes ! Vous aviez dit que vous enverriez des renforts, et vous avez attendu que le combat soit fini partout ailleurs ! Allan, Louis, Jason, mes meilleurs amis sont tous morts par votre faute ! Vermont est encore dans le coma, on ne sait pas si il se réveillera un jour. Krit ne pourra jamais remarcher normalement ! MÊME HAVOC VOTRE SUBORDONNÉ DIRECT, IL A FAILLI CREVER SOUS LES BALLES ! VOUS EN AVEZ A CE POINT RIEN A BATTRE DES HUMAINS QUI VOUS ENTOURENT ?!

Les militaires regardaient l'altercation avec des yeux ronds, et, prise au dépourvu par la situation, je ne sus rien faire d'autre que lever les yeux vers le visage de mon supérieur, qui s'était rembruni à chaque mot. J'aurais dû prendre sa défense, mais je ne savais pas comment. J'étais meilleure dans le rôle de témoin invisible ou de garde du corps. S'il en venait aux mains, je n'hésiterais pas à le mettre à terre, mais pour le reste, je me sentais totalement impuissante.

- EN MÊME TEMPS, DE LA PART D'UN MEC QUI NE PLEURE MÊME PAS A L'ENTERREMENT DE SON MEILLEUR AMI, IL FALLAIT S'Y ATTENDRE ! VOUS NE MÉRITEZ PAS CETTE PROMOTION ! VOUS NE MÉRITEZ PAS VOTRE GRADE ! VOUS N'ÊTES QU'UN CONNARD ÉGOCENTRIQUE QUI SACRIFIE TOUT SUR SON PASSAGE POUR SATISFAIRE SON AMBITION ! UN FILS DE PUTE QUI…

Une violente gifle jaillit du bras de Mustang, stoppant la logorrhée de l'homme qui tituba sous le choc. Au fil des mots assassins, les yeux du grand brun s'étaient progressivement réduit à deux simple fentes, baromètre de l'état de rage dans lequel il se trouvait. Pourtant, c'est d'un ton parfaitement mesuré qu'il répondit, profitant du silence provisoire instauré par son geste. Cela le rendait presque plus effrayant que s'il avait crié.

- Étant donné l'ampleur de l'assaut, les morts étaient inévitables. Plusieurs centaines de terroristes ont pris d'assaut le QG Est dans une tentative de coup d'état. Nous avons passé des semaines à planifier l'attaque avec mes supérieurs et mes collègues, à étudier la topographie des lieux et à répartir les équipes de soldats en fonction de leurs compétences et de leur expérience afin de parer au mieux aux différents scénarios.

Il avança de deux pas et l'homme recula d'autant. Je retrouvai le visage livide de l'homme tel que je l'avais vu pour la première fois, le regard terrifié de quelqu'un qui venait de comprendre qu'il avait dégoupillé une grenade.

- Nous n'avions plus de contact avec l'unité 33, leur radio avait été détruite par une explosion. L'unité joignable la plus proche, la 32, était à 800 mètres, rue du Général Ryan, aux prises avec une autre poche de résistance. Ils avaient le dessus, mais s'ils avaient abandonné le poste pour vous prêter main forte, les terroristes auraient pu s'échapper et retarder d'autant la fin de l'assaut, sans compter qu'ils auraient eu l'ennemi derrière eux, ce qui aurait occasionné au bas-mot 10 % de perte supplémentaire le temps de vous rejoindre. Ils auraient ensuite été pris entre deux feux, ce qui leur aurait fait subir des pertes encore plus lourdes que les vôtres. Les unités 34 et 35, en train de sécuriser, auraient mis 15 minutes à vous rejoindre, laissant à l'abandon une zone où se trouvaient des prisonniers et des explosifs. Ça, c'était pour la section 3. Le barrage ayant été brisé dans votre rue, la priorité de la section 2 était d'empêcher la fuite des terroristes qui auraient pu avertir leurs fournisseurs des événements en cours, compromettant l'arrestation des financeurs et fournisseurs du réseau, qui auraient pu fuir et par la suite investir dans d'autres organisations compromettant la sûreté de l'Etat. Les unités 21 et 22 couvraient déjà l'avenue Jackson où le barrage avait été brisé par l'assaut de véhicules, C'est l'unité 23 qui s'est chargée de neutraliser les fuyards en s'attaquant à la tête du convoi, puis en remontant jusqu'à la brèche, et par conséquent jusqu'à vous. Dans le cas contraire, les terroristes auraient eu l'opportunité de s'échapper dans le reste de la ville, de prendre en otage des civils. Même sans cela, leur arrestation aurait demandé des heures de recherche supplémentaires, pour un bénéfice de sept minutes en votre faveur. Avez-vous une meilleure stratégie ?

Lanyon avait perdu toute assurance face à la colère froide et factuelle de Mustang exposant les tenants et aboutissant de sa décision.

- J'ai déjà été sur le front, au milieu du combat, je sais ce que c'est. Pouvez-vous en dire autant de mon travail ? Être haut gradé, ce n'est pas simplement être assis dans un bureau à passer des appels en négligeant que des personnes meurent sous ses ordres. C'est être capable d'analyser n'importe quelle situation en trouvant la meilleure stratégie pour abréger le combat et perdre le moins d'hommes possible, en sachant que parfois, il n'y a aucune bonne décision et que les survivant nous détesteront pour ce qu'on leur a fait subir. Je ne sais pas si je mérite le grade de Général de Brigade, mais je sais que tout le monde n'est pas capable d'en assumer les conséquences.

Le sergent déglutit, et je le comprenais. Il était rare que Mustang fasse preuve d'autant de prestance. Il ne voulait sans doute pas que son autorité soit remise en cause alors qu'il était sur le point d'être promu, et Lanyon était fusillé en place publique pour l'exemple.

- Quant à ma vie personnelle, continua l'homme aux yeux noirs un ton égal, elle n'entre pas en ligne de compte dans mon travail, et vous n'avez aucun droit de me juger là-dessus. Votre discours n'est pas seulement stupide et totalement inapproprié, c'est aussi un outrage à supérieur, passible de vous emmener en cours martiale. Étant donné la perte de vos proches dans un assaut qui a effectivement été extrêmement meurtrier, je vais mettre ce comportement inacceptable sur le compte d'un débordement d'émotions malvenu dans votre métier, mais que l'on soit bien clair : Ne vous avisez plus jamais de me manquer de respect de la sorte.

Lanyon hocha trois fois la tête, les larmes aux yeux, et Mustang le lâcha enfin du regard. Il me semblait qu'il n'avait pas cligné des yeux une seule fois durant leur échange. Se désintéressant soudainement de l'affaire, il se tourna vers moi.

- Nous avons du travail, conclut-il simplement avant de se remettre en route.

Je lui emboîtai le pas avec un dernier coup d'oeil pour Lanyon, qui, après cette entrevue, n'avait pas l'air loin de se faire dessus. Les autres alentour ne pipaient mot, pensant sans doute qu'imiter l'imprudent Sergent était la dernière chose à faire.

oOo

Il ne s'était pas écoulé beaucoup de temps quand je toquai à la porte de Mustang, rapportant le fruit du travail de l'équipe au cours des deux dernières heures. J'eus la surprise en ouvrant de découvrir qu'il avait repoussé son bureau d'un quart de tour et étalé une série de notes et de rapports au sol, occupant un espace non négligeable de la pièce pourtant grande. Assis sur son bureau, le menton vissé dans le creux de sa main, il regardait l'amoncellement d'informations comme s'il espérait que quelque chose allait miraculeusement en jaillir.

- Vous cherchez quoi ? fis-je à voix basse en refermant la porte.

- Je le saurai quand j'aurai trouvé, marmonna-t-il.

- Toujours sur le mystère de Mary Fisher ?

Le Colonel hocha la tête et prit sa tasse de café pour en boire quelques gorgées sans quitter son installation des yeux.

Je savais que ses supérieurs étaient ravis de la manière dont s'était déroulée la gestion de l'assaut, et que Mustang avait maintenant la cote auprès de ses généraux. Il profitait de ce moment de répit entre deux affaires pour revenir sur une question qui n'avait pas cessé de le tarauder : la zone d'ombre qu'avait laissée Mary Fisher, et cette entité inconnue pour laquelle elle travaillait.

- Je suis convaincu qu'elle n'était, non pas agent double, mais agent triple, fit-il en tapotant machinalement sa joue de son index. Elle servait les intérêts de quelqu'un d'autre avant celui des terroristes. Elle les a dénoncés, mais elle continuait à cacher des choses après ça. La question, c'est : qui ? Qui est derrière tout ça ? Qui a suffisamment de pouvoir pour lui avoir permis de se hisser si haut parmi les gradés, et surtout, qui a une telle capacité à disparaître sans laisser ne serait-ce qu'un nom ?

Je m'approchai et m'assis sur le bureau pour contempler l'amoncellement d'informations apparemment déconnectées.

- Y a-t-il une chance pour qu'elle soit liée aux Homonculus ? soufflai-je sans grande conviction.

- Ce n'est pas impossible, admit le grand brun, mais ça me paraît peu probable, pour une fois. Je pense qu'il s'agit plutôt de mafia, une mafia suffisamment puissante pour ne pas s'inquiéter outre mesure de l'armée…

Je regardai les papiers. Des copies de rapport disparus, ou sommairement, le nom des rapports manquants, entourés de ceux qui concernaient la même affaire, l'intégralité des interrogatoires de Mary Fisher, les informations liées au bordel qui nous avait permis de démanteler en profondeur le Front de l'Est, des mots, des phrases éparses. Une gravure de chouette, et bien sûr, la copie du rapport d'Edward, dont l'original avait disparu et que Mustang avait sans doute relu mille fois dans l'espoir de retrouver en creux l'information manquante, rageant de ne pas s'en souvenir alors qu'il avait eu le manuscrit dans les mains. Comment aurait-il pu savoir que parmi les centaines de papiers qui transitaient dans son bureau chaque jour, celui-ci aurait une importance particulière ?

- Vous avez essayé de voir du côté de l'affaire Lacosta ?

- J'aurai voulu faire transférer Ian Landry pour l'interroger, mais il a été exécuté suite à son jugement.

- Le Général Grumann a laissé faire ça ?

- Son pouvoir sur la cour martiale est extrêmement limité, et vu les charges monstrueuses retenues contre lui, la condamnation à mort était inéluctable.

- C'est quand même très rapide pour une affaire résolue début septembre…

- Je ne vous le fais pas dire…

- Et les témoins ? Vous ne pouvez pas les faire venir ici pour les interroger ?

- La situation est extrêmement tendue là-bas, politiquement et économiquement. Ça serait très mal perçu par la population, et l'Armée ne m'allouera pas un budget pour faire venir des gens de Lacosta au hasard, sur la base d'une simple intuition… et quand bien-même, les témoins liés à l'affaire ont de bonnes raisons de se méfier de l'armée après ce qui s'est passé.

- Vu comme ça…

Le silence retomba et je fouillai du regard cette masse d'informations dont le sens nous échappait. La gravure d'oiseau arrêta mon attention.

- Une chouette Harfang ? fis-je en désignant la gravure, qui détonnait au milieu des autres documents.

- Oui. La petite Edelyn a parlé à Havoc de "la chouette blanche". Je ne sais pas à quoi cela correspond, mais je trouverai. Je ne peux pas la tirer de là sans en connaître les conséquences, et je refuse de l'abandonner à son sort.

Il avait dit ça d'un ton résolu, et tandis qu'il baissait les yeux vers ce mystère sans fond, je vis à quel point ses traits étaient tirés, à quel point il était épuisé, seul et triste. Je me demandai soudainement depuis combien de temps il n'avait pas réussi à dormir sans s'injecter le somnifère que le médecin lui avait prescrit, depuis combien de temps il n'était pas sorti se détendre en soirée, depuis combien de temps il n'avait pas simplement ri avec insouciance, comme je l'avais fait en jouant dans la neige avec Black Hayatte.

- Colonel…

- Oui ?

- Prenez une soirée pour vous, vous en avez vraiment besoin.

À ces mots, il s'affala dans son siège avec un soupir las, renonçant à dissimuler à quel point il était éprouvé.

- Je suppose que je dois m'inquiéter, pour qu'un bourreau de travail comme vous me dise ça…

J'esquissai un sourire.

- Je vous connais, Colonel. Je sais à quel point vous dissimulez vos émotions… Et je sais que Lanyon vous a blessé bien au delà de ce qu'il imagine.

À ces mots, Mustang ferma les yeux, puis passa une main lasse sur son visage, regrettant manifestement qu'une personne le connaissant depuis son enfance soit à ses côtés. Il laissa sa tête basculer en arrière dans le cuir de son siège et poussa un très long soupir.

- Parfois, c'est agaçant que vous connaissiez aussi bien…

- Désolé.

- Je n'aurais pas dû perdre mon calme quand il a dit ça.

- D'autres que vous l'auraient perdu bien avant.

- Ce n'est qu'une insulte en l'air, sans lien avec la réalité derrière les mots, n'est-ce pas ?

- Oui…

- S'ils savaient, que leur Colonel, futur Général, n'est qu'un enfant de catin, le bâtard d'un père inconnu, murmura-t-il d'un ton ironique. On ne me laisserait pas en paix, n'est-ce pas ?

- … Les prostituées sont des femmes comme les autres, murmurai-je.

Il secoua négativement la tête avec un sourire ironique. Je regardai son corps abandonné dans son fauteuil trop confortable, et ne vis plus en lui que la fragilité, la vulnérabilité du gamin constamment jugé et refoulé à cause de sa naissance en dépit de ses efforts et de son intelligence, celui qui avait grandi à la frontière du luxe, qui connaissait tout de la haute société sans jamais y être accepté.

Je me souvins de la manière dont nous nous épiions mutuellement sans jamais nous approcher, quand, enfants, nous nous croisions dans les couloirs de la demeure de mon père, dont il avait suffisamment ébranlé les principes pour accepter d'en faire son disciple d'alchimie malgré ses origines. Je me souvins à quel point sa vie consistait à faire fi du jugement, et à être en permanence meilleur charmeur, plus intelligent et stratège, plus talentueux que ceux qu'il rencontrait et le regardait de haut.

- Colonel, fis-je posément.

- Oui ?

- Je vous donne rendez-vous ce soir.

- Pour une leçon de tir ? soupira-t-il avec un sourire sans joie.

- Pour une soirée au cabaret.

Ma réponse le prit suffisamment au dépourvu pour qu'il se redresse brutalement sur son siège et me regarde avec des yeux ronds, sortant de sa léthargie morose. Cela me fit sourire.

- Je connais quelqu'un qui y travaille, expliquai-je. Ce n'est pas un lieu de haut standing, mais l'ambiance y est détendue, on y joue du jazz, et l'on y sert à boire. Je crois qu'un moment là-bas, c'est ce dont vous avez le plus besoin ce soir.

Je prenais l'acceptation d'Edward au pied de la lettre en précipitant leur rencontre, mais c'était une des rares personnes auxquelles Mustang avait accepté de s'attacher, et le revoir lui ferait du bien. Avec un peu de chance, il se moquerait abondamment de lui après avoir découvert son secret, et cela achèverait de lui changer les idées.

- Vous voulez… m'emmener au cabaret, répéta-t-il distinctement.

- Oui.

- Qui êtes-vous ? Qu'avez-vous fait de ma subordonnée ?

- Je sais que vous allez me dire que je déteste les interactions sociales et ce genre d'endroits en particulier, mais disons que je vais faire une exception aujourd'hui… par amitié. Je comptais proposer à Havoc également, il doit avoir besoin de se changer les idées avec la mort de son frère…

Il me regarda longuement, puis laissa échapper un sourire.

- Je me dis souvent que je ne vous mérite pas, abdiqua-t-il finalement en secouant la tête.

- On est rarement bien placé pour savoir ce qu'on mérite. Sur ce, je vais me remettre au travail, à être absente aussi longtemps, j'ai peur de ce que je retrouverai en poussant la porte, fis-je en me redressant.

Je quittai la pièce et, comme pour me contredire, trouvai le reste de l'équipe sagement attablé face à leur travail. J'étais presque sûre qu'ils avaient papoté en mon absence, et sans doute élaboré des théories farfelues sur la nature de nos discussions, mais pour une fois, je n'avais pas de raison de les rappeler à l'ordre. Nous travaillâmes encore un peu en silence, puis Breda s'étira en rappelant que nous devions amener notre documentation au bureau du Général Lewis. Chacun regarda le monticule de dossiers avec un soupir las, ayant peu envie de porter seul l'imposant corpus.

- Vous n'avez qu'à y aller tous les trois, fis-je simplement. J'ai encore du travail, et Havoc ne peut pas se déplacer facilement.

La solution sembla convenir à tout le monde, Breda, Falman et Fuery ne tardèrent pas, qui à empiler les dossier, qui à toquer timidement à la porte pour récupérer ceux que Mustang avait fini de traiter, afin de rassembler le tout et de partir papoter à l'aise dans les couloirs. En les regardant partir avec empressement, j'eus un sourire. Ils restaient cossards malgré tout.

Le silence retomba quelques instants,avant que je ne m'adresse à Havoc.

- Votre jambe ne vous fait pas trop souffrir ?

- Avec les médicaments qu'on m'a donné, c'est plus fatiguant que douloureux. Quand je suis occupé, j'arrive à ne pas trop y penser.

- Vous voudrez peut-être vous reposer ce soir.

- Il y a des chances, oui, admit le grand blond avec un sourire. Pourquoi ?

- Je pensais vous proposer une sortie pour aller découvrir un cabaret pas très loin d'ici.

Havoc eut un sourire, surpris et vaguement inquiet.

- Si je passe une soirée avec vous, les potins à notre sujet seront sans fin.

- Je ne me sens pas concerné par les potins, et le but n'était pas d'y aller seuls, Mustang sera là aussi.

- Oh… ça serait plutôt étrange, et je ne vois toujours pas pourquoi vous me le proposez.

- Parce qu'il s'agit d'aller rendre visite à ma cousine.

À ses mots, son regard s'éclaira. Comme je m'en doutais, c'était une bonne nouvelle pour lui.

- J'ai mangé avec elle ce midi, elle m'a dit qu'elle était d'accord pour que nous lui rendions visite. Elle sera un peu embarrassée, mais je sais que ça lui fera plaisir.

- … Mustang ne sait pas ? revérifia-t-il.

- En effet, mais a priori, il le saura ce soir.

Havoc hocha la tête, réfléchissant rapidement.

- Alors c'est d'accord ! Je le regretterai demain quand j'aurai mal à la jambe, mais je viens à cette soirée, fit-il avec un large sourire.

La porte du bureau s'ouvrit largement, laissant passer ses trois collègues qui eurent juste le temps d'entendre ces derniers mots.

- Une soirée ? fit Falman. Quand ça ?

- Il y a de la musique ? demanda Fuery.

- Et à manger ? ajouta Breda.

Une fois n'est pas coutume, je restai bouche bée. J'étais tellement habituée à ce qu'ils soient excessivement bruyants dans les couloirs que je n'avais pas imaginé une seconde que je pourrais ne pas les entendre revenir.

- Vous parlez d'une soirée et on est même pas invités ? C'est quoi ce scandale ? se ressaissit Breda.

Je balançai l'idée dans mon cerveau en quête d'une échappatoire. Dire que la soirée était réservée à des hauts gradés et qu'ils ne pouvaient par conséquent pas venir ? Havoc et Breda avaient des grades équivalents, ce qui ne faisait que limiter le problème, et on ne pourrait pas lui faire garder le secret sans le mettre dans la confidence, ce qui déplairait fortement à Edward. Leur dire sèchement qu'ils n'étaient pas conviés était tentant, mais difficilement justifiable, et ferait un potin retentissant, ce qui n'était pas le meilleur moyen de garder notre fuyard en-dessous des radars… Je cherchai en vain une option socialement acceptable, mais je dus me rendre à l'évidence et admettre que la meilleure option était encore d'accepter qu'ils viennent et détourner leur attention du but principal de notre venue. Edward était complètement méconnaissable, et entre moi et Havoc, nous arriverions bien à les distraire suffisamment pour qu'il puisse retrouver Mustang dans des conditions correctes, et enfin échanger les informations qui devaient l'être. Vu l'état de Mustang, je ne me voyais pas annuler la sortie. Je regrettai d'avoir voulu impliquer Havoc, si je m'étais bornée à amener Mustang seul au cabaret, les choses auraient été bien plus simples… mais à présent, je n'avais pas d'autre choix que de traîner la bande au complet.

Oh mon Dieu, il va me détester… pensai-je en imaginant la réaction d'Angie tandis que je corrigeais Breda du bout des lèvres pour lui dire qu'ils étaient bienvenus aussi.

Il fallait bien que cela arrive un jour… mais je doutais qu'Edward, derrière son apparence fragile de Bérangère, soit prêt à affronter la soirée qui s'annonçait.