Hey ! C'est l'heure du nouveau chapitre ! Ce soir on retrouve Edward, pour conclure l'année en beauté ! ^^ Je profite de l'occasion pour vous souhaiter de bonnes fêtes et plein de bons vœux pour l'année à venir. J'espère que vous avez mangé de bons repas ! En tout cas, je profite des petites annonces de début de chapitre pour vous déconseiller de le lire à jeun !

Comme son nom l'indique, ce chapitre est un SPÉCIAL BOUFFE, dédicacé à deux personnes en particulier. La première, c'est mon cher Barbu, celui qui relit mes chapitres et corrige les fautes, qui me soutien et me conseille. La seconde, c'est Jenny, parce qu'elle me soutien activement, et que la bouffe, c'est important ! Mais bien sûr, ce chapitre est un peu pour vous tous, lecteurs persévérants qui n'avez pas encore essayé de retrouver mon adresse pour m'enlever et me forcer à avouer ce qui va se passer, malgré une intrigue parfois frustrante. :') Vous êtes courageux et patients, ça me touche énormément et me donne le courage de surmonter les nombreuses difficultés d'écriture.

Bon, je vais m'arrêter avant de sortir les violons, vous avez saisi l'idée. Les fêtes de fin d'année, ça me rend toujours un peu sentimentale ! XD Côté dessin, je voulais tout de même vous dire que j'ai terminé l'illustration du chapitre 56 depuis un moment, que la suivante arrivera dans un futur indéterminé sur Deviantart. Si vous avez envie de voir des dessins mignons, vous pouvez aller traîner sur les réseaux sociaux ou vous trouverez un calendrier de l'avent de tendresses et des nouvelles de mes différents projets.

Allez, cette fois je me tais, je vous laisse avec Edward et vous souhaite une bonne année ! \o/


Chapitre 57 : En cuisine (Edward)

- Eh, Angie, pourquoi tu as fichu un râteau au Colonel Mustang ?

Je m'étranglai dans ma tasse de café et toussai longuement, me sentant rougir et arrêter de respirer.

- Ah bon ? s'étonna Tallulah. Il t'a draguée ?

J'étais trop occupé à m'étouffer pour répondre, mais toutes les personnes présentes à table regardèrent Tallulah en secouant la tête avec un sourire désabusé.

- Tu ne t'en étais pas rendue compte ? Tu es vraiment trop pure, décidément, commenta Lia d'un ton blasé.

- On en a deux, quand même… Je ne m'étonne plus de rien avec Tallulah, mais qu'Angie n'ait pas compris qu'il y avait un truc avant qu'on essaie de l'embrasser, c'est quand même fort, commenta Natacha. Sérieusement, tu n'as rien vu venir ?

- Je ne me suis p-pas posé la question, bredouillai-je, cramoisi, les larmes aux yeux après ma violente quinte de toux.

- Comment c'est possible d'être aussi pure ? s'étonna Lia. Tu as grandi dans une grotte ou quoi ?!

Si j'avais pu disparaître d'un claquement de doigts, je n'aurais pas hésité une seconde. La situation elle-même était déjà assez embarrassante, je n'avais pas besoin qu'on me rappelle en plus que tout le monde était au courant. Devant l'indifférence qu'ils avaient face à mes gants, je pensais qu'ils étaient du genre peu curieux, mais pour ce qui touchait aux relations et potentielles coucheries, c'était de vraies commères. Je jetai un coup d'oeil inquiet à la tablée, me demandant à quelle sauce je serai mangée. Il y avait Natacha, dont les récits trop détaillés m'avaient fait blêmir plus d'une fois, Tallulah, qui planait toujours à mille lieues, Lia, avec qui j'avais moins parlé mais dont j'avais constaté que c'était une forte tête, Clara que j'avais retenue comme étant plutôt gentille, Maï qui s'occupait surtout de manger, et Aïna qui se contentait de siroter son thé, ses cheveux roux en pétard, les yeux embués de sommeil.

- Je suis pas intéressée par ces trucs-là, bredouillai-je.

Je n'allais pas expliquer que tant que je n'avais pas retrouvé mon corps d'origine, ce genre de questions était à mes yeux un non-sens.

- Pourtant j'avais l'impression que tu l'aimais bien, commenta Maï, m'enterrant un peu plus.

- Pas du tout !

- Pas du tout ? Tu danses avec lui, tu papotes avec lui, tu lui fais les yeux doux…

- JE LUI FAIS PAS LES YEUX DOUX !

Natacha pouffa de rire à ces mots, ne me croyant visiblement pas. Tallulah, qui avait terminé son petit déjeuner, ramassa son bol et repartit en cuisine, m'abandonnant au milieu de cette horde de dévoyées.

- En même temps, il vaut mieux éviter que tu sortes avec un militaire et un coureur de jupon de ce genre-là, il te mangerait toute crue, commenta Lia avec une méfiance non dissimulée.

- Tu sais, un militaire n'est pas forcément l'incarnation du mal, rappela Maï.

- Ne me dis pas que tu l'aimes bien ? ! s'insurgea la grande femme qui lui faisait face. Ce mec doit avoir les dents qui rayent le parquet pour être aussi haut gradé à son âge.

- Il est consciencieux. Et il a fait de son mieux quand il y a eu l'affaire, tu sais…

- S'il avait vraiment fait de son mieux, ça ne se serait pas passé comme ça !

- Ce n'est pas lui qui a rendu le jugement.

- Et alors ? Il aurait dû prendre des mesures ! En plus, tu dis ça, mais ça reste un coureur de jupon. C'est pas lui qui a culbuté une secrétaire le soir même de l'assaut du front de l'Est ?

À ces mots, je me figeai avec la soudaine impression de me retrouver avec un trou dans le ventre. C'était quoi cette histoire ? Pourquoi je me sentais aussi mal ? Ce n'était pas surprenant vu sa réputation, et puis, ça ne me regardait pas. Après tout, c'était sa vie, je n'étais absolument pas concerné. Pourtant, cette idée me déchirait de l'intérieur.

- Arrrrrêtez les filles, vous êtes en trrrrain de lui brrrriser le coeurrr, fit Aïna qui m'avait scruté avec attention.

- Mais… NON ! Arrêtez d'imaginer des choses ! Puisque je vous dit que je suis pas intéressée !

- Vraiment, tu n'es pas intéressée ? Tu veux dire que tu n'as jamais vu le loup ? lança Maï.

- Hein ?

- Tu n'as jamais baisé ? traduisit Natacha.

Je m'étranglai de nouveau.

- Fait le genre de cochonneries dont tu parles à longueur de temps ? NON !

- Oh… du coup, tu te réserves pour quelqu'un que tu apprécies vraiment ?

- C'est pas un but pour moi, grommelai-je. J'ai autre chose à faire.

Au hasard, retrouver le corps de mon frère, mon bras et ma jambe, mon sexe d'origine, contrecarrer les plans des Homonculus…

- Pourtant, ça colle plutôt bien entre vous, vous faites un couple bien assorti. J'ai plutôt l'impression que tu n'assumes pas d'être attirée par lui parce qu'il est sulfureux, commenta Nat.

- Je peux le comprendre, il a une sacré réputation, admis Maï.

- C'est un homme à femmes, mais pas une enflure non plus, fit Clara. Avec moi il a été impeccable, et les filles que je connais n'en ont jamais dit du mal.

- Franchement, ça peut être bien d'avoir quelqu'un qui peut avoir de l'expérience, ça évite les premières fois décevantes, grommela la petite brune.

- Tu parles d'un homme qui la laissera tomber à la première occasion ? pesta Lia.

- Bah, si elle cherche pas l'amour, c'est pas bien grave, non ?

- Mais regarde là, là ! Elle est beaucoup trop pure pour un coup d'un soir !

- Vraiment, Angie, me fit Clara en me regardant droit dans les yeux, je te conseille de tenter le coup avec Mustang, tu ne le regretteras pas. Je l'ai testé, tu peux foncer, c'est un super bon coup ! Ce serait dommage de passer à côté d'une expérience pareille si tu en as l'occasion !

Mais tuez-moi… pensai-je en dissimulant mon visage dans mes mains, espérant qu'il y aurait quelque chose pour interrompre cette horrible conversation.

Comme pour exaucer ma prière, la porte de la pièce s'ouvrit et laissa entrer l'opulente silhouette de Jess, qui traînait dans son sillage une quantité impressionnante de cabas.

- Hello tout le monde !

- Bonjour Jess ! Tu reviens des courses ?

- Oui ! Bonne nouvelle du jour, Sabrina est revenue au marché !

L'annonce provoqua une exclamation de cris partagés tandis que les plus réveillés se levaient pour l'aider à ranger les achats. Je m'interrogeai en voyant que si certaines semblaient ravies, Clara fronçait franchement les sourcils, puis réalisai qu'il y avait une odeur désagréable que je n'avais pas remarquée jusque-là.

- Oh, super ! s'exclama Natacha. La récolte a été bonne ?

- Excellente ! J'ai pris un munster, de la cancoillotte, une boulette d'Avesnes, du gorgonzola à la cuillère… énuméra la grande blonde en ressortant des paquets enveloppés de papier ciré.

Je me bouchai le nez, assailli par un mélange d'odeurs insoutenables.

- C'est quoi ces horreurs ?

- Du fromage !

- Vous rigolez ? Ça pue la mort ! m'exclamai-je.

- AH ! Merci Angie ! s'exclama Clara. Je ne suis pas seule !

- Arrête, c'est trop bon ! s'exclama Maï.

- Peut-être pour quelqu'un qui a grandi en buvant du lait de yack ! grommela Clara en se levant.

- Oh, fais pas ta princesse, toi ! fit Maï en sortant un couteau, commençant à déballer un des papiers qui dévoila une croûte affaissée à la couleur indéfinissable.

La puanteur s'intensifia, m'amenant un haut-le-coeur. À cet instant je regrettais amèrement mon odorat surdéveloppé.

- Vous pouvez quand même pas manger ça ?! m'exclamai-je.

- Pourquoi pas ?

- Mais c'est dégueulasse !

- Tiens, celui-là a des vers, commenta Maï d'un ton amusé.

- C'est VIVANT EN PLUS ?! hurlai-je.

- Ça va, ça arrive, tempéra Natacha d'un ton amusé en déballant une autre arme bactériologique.

- MAIS VOUS POUVEZ PAS MANGER ÇA, VOUS ALLEZ MOURIR !

- Mais non, on l'a déjà fait on a l'habitude.

- Mais…. Maimaimaimaimai !

À ce moment-là, la porte s'ouvrit, laissant revenir Tallulah, vers qui je me précipitai. Je l'attrapai par les épaules, l'appelant à l'aide avec le regard du désespoir.

- Tallulah, ils sont en train de bouffer de la pourriture de lait, aide-moi à leur faire entendre raison.

- Ah, Sabrina est revenue ? s'exclama la danseuse avec un regard émerveillé. Elle avait du salers au porto ?

- Oui ! répondit Jess en extrayant un pot contenant une chose émiettée, beige tacheté de vert, qui ressemblait plus à un prélèvement de vomi qu'à quelque chose de comestible.

- Et du munster ! Et du gorgonzola ! Ah, par contre, celui-là est un peu dur encore, fit Tallulah en le tâtant, il faudra le faire mûrir à côté du poële.

- Hors de question que vous laissiez ces infamies dans les pièces communes, s'indigna Clara en fronçant les sourcils. Ça devrait même pas passer la porte du Cabaret.

- Mais si on les laisse dehors ils ne vont jamais se faire ! répondit Tallulah d'un ton larmoyant.

- … Viens Angie, laissons ces fous entre eux, capitula mon alliée en m'ouvrant la porte.

Je hochai la tête, le nez enfoui dans mon gant dans une tentative d'échapper au fumet infect des horreurs que Jess avait rapportées du marché, et fuyai la pièce avec elle. Une fois dans la grande salle, je vis arriver Andy qui venait de descendre.

- N'y va pas, la pièce est en quarantaine, annonça Clara.

- … Sabrina ?

- Oui.

Le danseur pivota sur lui-même et nous accompagna.

- Tant pis pour le petit dej !

- C'est souvent comme ça ? m'étranglai-je en m'affalant sur le canapé, encore nauséeux de l'expérience.

- C'est ça, la vie en communauté, soupira Andy.

- … quand même, la liberté des uns commence où s'arrête celle des autres.

- Les fromages sont de retour ? demanda Wilhelm, qui avait arrêté de jouer en nous entendant parler.

En nous voyant hocher la tête, le grand pianiste eut ce qui ressemblait à un sourire.

- Vous voulez que j'aille récupérer des trucs à manger pour vous ? proposa-t-il.

- Tu ferais ça ? fit Clara avec un trémolo ému.

- Si ça peut vous faire plaisir…

Chacun expliqua ce qu'il aurait voulu manger avant que les envoyés de la putréfactions n'arrivent dans la salle, et il repartit, revenant quelques minutes plus tard avec un plateau bien garni qu'il transportait avec une précaution inquiète.

- Merci, Wilhelm, tu es un amour, fit Clara avec un large sourire.

- Merci ! fis-je avant d'avaler une nouvelle bouchée de brioche.

- Bon… Puisque tu es là, Angie… fit Andy en mettant un sucre dans son thé. Comment tu te sens après la première de Pistol ?

- Ah ! Euh… j'étais vraiment contente d'avoir pu monter sur scène. J'espère que ça allait, vu de l'extérieur ?

- Mesure 46, tu as raté la syncope. Tes shuffles ne sont pas toujours bien nets. Et le mouvement final, tes draw back était vraiment brouillons.

- Désoléééé !

- Mais globalement, tu as bien tenu le rythme, je pense que le public n'y a vu que du feu. Et tu as une bonne énergie sur scène, ça aide. Le fait d'être dynamique, souriante, c'est très important aussi. Si tu continues à t'entraîner, tu maitriseras vite le numéro.

Je lui répondis par un sourire. J'étais heureux d'avoir son avis, je voulais en discuter la veille, après le spectacle, mais il était monté avec un des visiteurs dans les étages, et la présence de l'équipe de Mustang au complet m'avait distraite.

J'étais étrangement fière qu'ils aient pu être présents lors de mes premiers pas sur scène et qu'ils m'aient couverte de compliments. Aussi improbable que ce soit, mes mésaventures avec Mustang s'étaient résolues de manière paisible, et passé l'embarras de notre discussion, j'avais eu le plaisir de pouvoir de nouveau danser et parler avec lui, en tout bien tout honneur. J'étais soulagé que l'affaire soit en partie tirée au clair, les soirées où il n'était pas venu m'avaient laissé inquiet et mal à l'aise, et sa veste d'uniforme, trônant sur la chaise de ma chambre, me rappelait cette sombre mésaventure, m'amenant une pointe de culpabilité. Sa veste, que je lui aurais rendue l'autre jour si une explosion n'avait pas coupé mes aveux, l'obligeant à partir vers une scène de crime en me laissant à l'écart du danger.

Ça ne l'avait pas empêché, trois jours après, de me sourire largement quand j'avais croisé son regard entre deux saluts. Comme promis, il avait été présent, avec toute l'équipe, lors de la première de Pistol. Même quand j'étais à l'autre bout de la pièce, sa présence me rassurait, et quand nos regards se croisaient, il m'adressait un sourire sincère, touchant, loin des rictus moqueurs auxquels j'avais eu droit quand j'étais Edward Elric.

- Tu m'écoutes ? demanda Andy.

- Non. Euh, si, corrigeai-je trop tard en le voyant s'étouffer dans une bouffée d'indignation.

- Il te proposait de faire un show le mercredi, souffla Clara.

- Pour être honnête, j'en ai marre de mon numéro en solo, souffla le danseur. J'aimerais bien inventer autre chose, mais je n'ai pas trop d'idées pour le moment, et je me dis qu'un peu de sang neuf ne ferait pas de mal.

- Mais… me-mercredi c'est la soirée… fis-je en rougissant.

Le mercredi, c'était la soirée de la débauche, celle où les enfants étaient couchés. Celle où je faisais le service en me cachant les yeux pour ne pas voir la moitié des membres du cabaret dans le plus simple appareil.

- C'est la soirée strip-tease, oui… Après tu n'es pas obligé de te déshabiller non plus, hein !

- Encore heureux, c'est hors de question que je fasse ça, couinai-je en me renfonçant dans mon pull.

- Ok, c'était peut-être pas une bonne idée si tu ne te sens pas prête… Je pensais juste à faire un numéro de chant, un truc de danse dans une tenue un peu sexy…

- Je m'y vois pas trop, avouai-je. Je suis pas à l'aise avec ça comme vous.

- D'accord, oublie ça alors.

- Bah après, justement, ça peut être l'occasion de te détendre là-dessus, fit remarquer Clara. J'ai l'impression que tu n'as pas un très bon rapport à ton propre corps, je me trompe ?

J'ouvris la bouche et la refermai trois fois. Entre mes automails et mon changement de sexe, je ne pouvais décemment pas nier que j'avais quelques problèmes à ce sujet. J'avais la chance d'être entourée de personnes qui s'en contrefichaient que je porte le plus souvent un gant pour dissimuler mes prothèses imparfaites. Les jours passant, il me semblait que beaucoup l'avaient remarqué, mais ne s'y intéressaient tout simplement pas. Je n'avais presque pas eu de questions à ce sujet… m'asticoter sur ma relation avec Mustang semblait les amuser bien davantage.

- C'est dommage, alors que tu es mignonne comme tout ! s'exclama Clara en me tapotant la tête.

La remarque me fit rougir jusqu'aux oreilles. Je n'étais pas sûr d'apprécier l'adjectif mignonne. En dépit de ça, ses mots me firent du bien autant qu'ils m'embarrassèrent.

- Mais oui, t'es choupie… confirma Andy. C'est pas pour rien que l'autre militaire t'a draguée !

- … Mais il n'y a pas une personne qui n'est pas au courant ou quoi ? !

- Il y avait Tallulah jusqu'à tout à l'heure, mais là je crois que l'info a fait le tour complet.

Je planquai mon visage dans mes mains, désespéré par l'absence d'intimité qu'offrait le cabaret.

- C'est pas grave, va… C'est pas pour te torturer, c'est juste qu'on manquait de potins ces derniers temps… du coup on est contents d'avoir quelque chose de nouveau à se mettre sous la dent !

- Je ne suis pas une chose ! m'indignai-je, ne recevant que des rires en guise de réponse.

La conversation dura encore un peu, et Andy, avec son aisance naturelle, m'arracha la promesse de faire un petit numéro le mercredi. Il avait fait remarquer que Roxane n'avait eu aucun complexe à préparer un strip-tease, et que je n'avais pas besoin d'en faire autant pour faire un bon numéro. Après avoir trouvé un prétexte pour rejoindre ma chambre, j'avais remonté tous les escaliers, et, poussé par l'envie d'être tranquille, escaladé l'échelle qui menait aux combles. Une fois à quatre pattes dans la pénombre poussiéreuse du grenier, je poussai un immense soupir de soulagement.

Enfin seule.

Enfin, seul, plutôt.

Je me relevai, fis quelques pas dans la pièce encombrée de cartons de journaux, de vieux meubles et d'objets étranges dont je ne voulais pas connaître l'usage. J'arrivai jusqu'à la fenêtre, dont les vitres, assombries de poussière, laissaient voir une mer de toits poudrés de neige. Je l'ouvris en luttant un peu avec la poignée rouillée, faisant entrer un courant d'air froid qui me fouetta le visage.

A l'extérieur, surmonté par un ciel dégagé, pâli par l'hiver, la ville s'étendait à mes pieds dans un panorama spectaculaire. On voyait le Complexe du QG avec ses bâtiments et ses terrains d'entraînement, l'Opéra et la tour de l'Horloge un peu plus à l'Est. Les fleuves rutilants, tranchés par la silhouette noire des ponts qui les survolaient, serpentaient entre les rues et se fondaient l'un dans l'autre, enveloppant l'île centrale… D'ici on voyait le quartier nord où j'avais vécu un temps avec Roxane, et si je m'asseyais sur le rebord de la fenêtre et que je me penchais en avant, je pouvais même voir la gare de l'Est.

Je me pelotonnai dans le pull trop grand dont j'avais fait ma robe de chambre et enlevai mes lunettes encrassées, me gavant les yeux de cet espace qui me redonnait un sentiment de liberté. J'aimais le Cabaret Bigarré, l'ambiance de chahut qui y régnait, mais mentir jour après jour et me sentir en décalage perpétuel finissait par m'étouffer. Avant, je pouvais me détendre quand j'étais seul avec Roxane, le temps des repas et des corvées ménagères. Maintenant, je devais attendre d'être seul dans ma chambre pour laisser l'expression d'Edward Elric reprendre possession de mon visage.

J'avais envie de courir les chemins et de me bagarrer, de faire de l'alchimie et d'exploser des trucs. J'avais envie de gueuler, de me rouler par terre, de grimper aux arbres, bref, de retourner à l'état sauvage, de pouvoir renouer avec ce qui avait fait mon identité jusque-là.

Mais je ne pouvais pas. J'avais un rôle à jouer ici, entre les membres du cabaret et les militaires. Même si je ne lui avais toujours pas dit la vérité, la proximité de Mustang me rassurait, et je pouvais toujours échanger des informations avec Riza et Havoc. En cas de crise, j'étais à portée de main. Et des informations, il y en avait. Je continuais à retrouver mon père de temps à autre autour d'un repas. Je me goinfrais à mon plaisir, puis nous marchions sur les quais battus par les vents d'hiver pendant qu'il m'expliquait des choses et d'autres sur l'alchimie et les Homonculus. Nos discussions m'avaient appris quantité de choses qui me seraient à coup sûr utiles à l'avenir.

"En réalité, les Homonculus ont une âme synthétique, façonnée par les souvenirs de ceux qui les créent. Ce ne sont pas des monstres par nature. Seulement, leur esprit est instable, et les souvenirs qui restent de leur passé sont incomplets, leurs émotions s'effilochent. Au fil des années, voire des siècles, leur humanité s'érode, ne laissant plus qu'un sentiment dominant, généralement négatif, et ils ne ressentent plus aucune empathie."

L'utilisation du mot empathie avait provoqué chez moi un rire grinçant. Mes rencontres avec les Homonculus m'avaient généralement envoyé à l'hôpital. Mais derrière ces mots se cachait une vérité que je n'avais pas envie d'entendre. J'avais créé un Homonculus aux traits de ma mère, un ersatz qui en avait les souvenirs, mais qui n'était pas elle, qui ne ferait que devenir plus monstrueux avec le temps.

"Un Homonculus récent a encore une part d'humanité, suffisamment pour créer un lien avec lui… ou le manipuler. Et manipuler, c'est la spécialité de Dante. Ça ne m'étonne pas qu'elle les ait rassemblés comme ça. Il lui a suffit de les persuader qu'elle leur donnerait la chose qui leur manquait le plus. Si on connaît assez l'ancienne vie d'un Homonculus, on peut faire appel à la part d'humanité qui reste en lui pour le raisonner, peut-être même le changer de camp."

Quand Honenheim avait dit ça, j'avais pensé à mon frère, et à ses tentatives de se faire un ami de l'enfant Homonculus. Pendant que je pestais et grommelais dans mon coin, Al avait su instinctivement quelle était la meilleure chose à faire. J'étais jaloux de sa clairvoyance.

Al… En pensant à lui, je sentis mes yeux s'embuer. Il me manquait terriblement. Il était loin, et je m'inquiétais pour lui et Winry. Les militaires les surveillaient, ce qui permettait au moins à Mustang et Riza de savoir ce qu'ils devenaient. Je savais qu'ils avaient trouvé des petits boulots, Al comme coursier, et Winry comme mécanicienne… mais ce que j'ignorais jusqu'à il y a peu, c'était qu'ils étaient empêtrés dans un procès avec le patron de Winry, qu'elle avait assommé à coups de clé à molette.

Victime d'attouchement, accusée de tentative d'homicide. Je la connaissais assez pour savoir où était la vérité, et l'idée qu'elle ait été agressée de la sorte me nouait le ventre. Je n'avais rien pu faire pour la protéger. Je n'avais même pas pu être là pour la soutenir quand c'était arrivé. Même maintenant, je ne pouvais rien faire pour l'aider, mis à part une carte anonyme que j'avais envoyé dès que je l'avais su. Je ne pouvais même pas l'aider financièrement, faute d'avoir les moindres économies de mon coté. Je me sentais pieds et poings liés. Le seul réconfort que j'avais, c'était de savoir qu'avec Al à ses côtés, elle avait la personne la plus empathique que je puisse imaginer pour l'aider.

Je lâchai un soupir qui se transforma en buée et m'appuyai contre le bord de la fenêtre sans m'inquiéter des toiles d'araignée, de la poussière et de la suie. En vérité, si j'avais été à ses côté, je n'aurais pas su quoi faire. Même si ça m'était arrivé aussi, à Lacosta, dire qu'elle n'était pas la seule, je ne savais pas si ça l'aurait réellement aidée. Parce que moi, au moins, on m'avait félicité d'avoir castagné et saucissonné mon agresseur. On ne m'avait pas envoyé devant un juge pour ça.

- J'espère que ça ira, murmurai-je. Ils ne peuvent quand même pas la condamner pour ça….

J'avais beau être pelotonné dans mon pull, mes orteils étaient gelés, et j'allais bientôt trembler de froid. Je n'étais plus tombé malade depuis ma transformation, mais ce n'était peut-être pas la peine de tenter le diable. Je sautai à bas de la fenêtre, la refermai, jetant un coup d'oeil au grenier. Ce bâtiment avait un je-ne-sais-quoi de vivant, comme si à force d'accueillir les gens entre ses murs, il avait fini par emprunter un peu d'humanité à ses habitants. Je trouvais ça étrangement réconfortant.

Je devais redescendre avant qu'on se demande où j'avais disparu, que je prenne une douche pour laver la sueur d'avoir trop dansé et la poussière que j'avais dans les cheveux. Je me souvins qu'il allait être l'heure de faire le grand ménage et poussai un soupir désabusé. C'était à mon tour de m'occuper des douches et des toilettes, en équipe avec Natacha. Elle avait plein de bons côtés, mais je craignais toujours un peu ses sujets de conversation. La connaissant, elle risquait de parler de merde et d'urine de manière beaucoup trop détaillée. Je n'assumais pas de ne pas pouvoir m'empêcher de rire aux éclats en entendant ses phrases aussi crues qu'improbables. Après coup, je me sentais toujours honteux et un peu souillé en m'avouant à moi-même avoir passé un bon moment avec elle.

Je pensais à ça en me faufilant entre les piles de cartons quand je me figeai et fis trois pas en arrière en réalisant ce que je venais de lire du coin de l'oeil.

Je revins devant un carton ouvert qui contenait des piles de vieux exemplaires du Centralien dont certains avaient été sortis et empilés. Les journaux jaunis dataient de plusieurs décennies. En gros titre, la promotion de King Bradley, suite au départ du précédent Généralissime. Je me souvenais de la date, j'avais assez écumé les bibliothèques pour le savoir, mais le tirage de ce jour-là précisément avait disparu des bibliothèque publiques que j'avais pu visiter. Cela pouvait être un simple hasard, il arrivait que les gens perdent ou abîment des livres empruntés, et des journaux aussi anciens avaient pu tomber en miette à force d'être consultés… mais devant cet article inexploré, je sentis mon coeur battre un peu plus vite.

Peut-être apprendrais-je quelque chose d'utile dans ce journal ? Peut-être avait-il disparu pour une bonne raison ? Je le pris d'une main un peu tremblante et dépliai le papier fragilisé par le temps comme si j'avais en face de moi un véritable trésor. La photo d'un Bradley plus jeune serrant la main à son prédécesseur me fit face et je me pinçai les lèvres, fronçant les sourcils face à celui que je savais être un ennemi mais dont je n'avais pas cerné la nature.

Humain ? Homonculus ? Je n'arrivais pas à le savoir et cette idée me plongeait dans une angoisse indicible. Quels étaient mes ennemis ? Comment les vaincre ? Je ne pourrais pas me cacher éternellement, un jour, j'allais devoir affronter les Homonculus… et Dante, si comme Honhenheim le prétendait, elle n'était pas réellement morte.

La trappe s'ouvrit dans un grincement brutal, me faisant sursauter violemment. Je me retournai et vis le visage émacié de Wilhelm dépasser du plancher. Je poussai un soupir de soulagement.

- Tu m'as fait peur !

- Désolé. C'est l'heure du ménage.

- Ah, pardon, j'arrive.

Il hocha la tête et referma la trappe avec une discrétion pudique sans rien ajouter de plus. Nul doute qu'il était venu me chercher. Parmi la multitude de recoins du cabaret, il avait su où me trouver, mais il n'avait pas cherché à nouer la conversation pour autant. Pas de blagues, pas de sous-entendus salaces à propos de Mustang, pas de questions sur la raison de ma présence ici. Le pianiste était avare en parole, et s'il semblait me cerner plutôt bien, il ne cherchait pas à le montrer.

J'esquissai un sourire avant de me décider à redescendre. J'étais heureux qu'il soit-là. Avec sa discrétion complice, j'avais le sentiment d'avoir un allié.

oOo

Après la séance de ménage et la reprise du numéro de claquettes avec Natacha et Tallulah, nous avions eu un repas bien mérité. Étant donné que la cloche à fromages était devenue l'antichambre de l'enfer, je m'étais passé de dessert et j'avais retrouvé Wilhelm, qui, trop occupé à composer un morceau, avait oublié qu'il était l'heure de manger. Je restai plantée à côté du piano, encore en pyjama, un peu débraillée, mais, occupé à jouer des mesures qu'il notait ou raturait, il mit un moment à me remarquer. J'avais eu le temps de fourrer les mains dans mes poches et de me tortiller, un peu gêné.

- Un souci ? demanda-t-il en lâchant enfin sa partition.

- Andy m'a arraché la promesse de faire un numéro de chant pour le remplacer mercredi soir, mais je ne sais pas par où commencer…

À ces mots, le pianiste fronça les sourcils d'un air agacé et soupira.

- Toujours à n'en faire qu'à sa tête, grommela-t-il.

En voyant mon expression embarrassée, il tenta de se radoucir.

- … Tu veux des partitions ?

Je hochai la tête et il se leva pour aller dans la bibliothèque. Je le suivis machinalement et trouvai Aïna, assise au secrétaire, avec ses notes, ses châles, et Cerise pelotonnée sur ses genoux. L'animal releva la tête pour me regarder d'un oeil torve, puis se réinstalla confortablement en voyant que je restais à distance, tandis que Wilhelm ouvrait des placards bas en farfouillant dans des dossiers un peu poussiéreux. Je fis une petite moue en voyant le chat, qui malgré mes efforts pour l'apprivoiser, gardait une rancune tenace suite à son sauvetage. Je n'eus pas l'occasion d'y penser longtemps avant d'avoir une lourde pile de dossiers dans les bras. Wilhelm se releva avec une autre pile dans les mains et je regardai la masse de documents avec un peu d'inquiétude.

- C'est quoi tout ça ?

- Des chansons.

- Ah…

Je ne m'attendais pas à ce qu'il me sorte autant de partitions, et l'idée de choisir parmi tout ça me sembla vertigineux.

- Merrrrde, je peux pas fairrrrre ça si les autrrrres se sont débarrrrrassés du cadavrrrrre…

- …Quoi ? fis-je en me tournant vers Aïna d'un air interdit.

- Elle écrit un polar, fais pas attention, fit placidement Wilhelm avant de se diriger vers la pièce principale, les bras chargés de partitions.

L'idée de choisir un morceau seul me paraissait inquiétante, mais en fait, il n'en fut rien. J'avais tiré un fauteuil à côté du piano, et Wilhelm, assis sur son tabouret, avait commencé à fouiller, mettant de côté les partitions selon des critères dont je n'avais aucune idée. Il ne fallut pas longtemps pour que d'autres nous rejoignent. Clara et Claudine, qui avaient aussi fui la salle à manger au moment du fromage, s'assirent sur le canapé pour fouiller avec nous.

- Vous cherchez quoi ? avait demandé Claudine de sa voix grave.

- Une chanson que je pourrais faire le mercredi soir.

- Tu es alto, c'est ça ?

- Il paraît.

Elle hocha la tête et sourit, fouillant les papiers en montrant certaines feuilles à sa soeur en souriant et parlant à voix basse. Je me rendis compte que si sa soeur était notablement bavarde, je connaissais encore bien peu la violoncelliste, qui m'était pourtant sympathique. Andy arriva à son tour et s'installa sur la table couverte de feuilles entassées, réjoui de voir que j'avais pris en compte sa requête, puis Mel nous rejoignit et s'assit à même le sol pour chercher à son tour, tenant une tasse de café de l'autre main. Nous étions six autour de la table, fouillant, fredonnant, disputant les raisons pour lesquelles je devrais - ou ne devrais pas - chanter tel ou tel morceau.

- Et ça, c'est assez chouette !

- ça n'ira pas trop avec sa tessiture, fit remarquer Clara.

- Et ça ?

- Mh, il est très technique, comme morceau. Je sais que moi, j'aurais du mal, fit remarquer Andy en feuilletant les pages noircies de partitions.

- Tiens, essaye celui-là, il n'est pas dur, proposa Claudine avec un sourire en coin.

J'attrapai la partition qu'elle me tendait et commençai à chanter en déchiffrant et en butant un peu. Concentré sur le rythme et la mélodie, je ne faisais pas vraiment attention aux paroles, et il me fallut un bon moment pour réaliser que le reste de la tablée s'esclaffait plus ou moins discrètement. Je m'arrêtai et levai les yeux perplexes, ne faisant que faire redoubler l'hilarité générale.

- Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dit ?

À ces mots, Mel eut un éclat de rire particulièrement bruyant et contagieux. Personne autour de la table ne me répondit, trop occupé à se moquer, à l'exception de Wilhelm qui avait secoué la tête d'un air désabusé et s'était retourné pour pianoter des fragments de mélodie, indifférent à leur réaction. Comprenant que je devrais trouver l'explication par moi-même, je parcourus les feuilles que j'avais entre les mains et relus le texte plus attentivement. Je restai silencieux quelques secondes, analysant les paroles du mieux que je pouvais.

- … C'est sexuel, c'est ça ?

Clara hocha vigoureusement la tête, cramoisie d'avoir trop ri.

- Il t'en aura fallu du temps pour le réaliser, s'amusa Claudine.

- … Mais c'est dégueulasse ! m'insurgeai-je en parcourant les paroles au prisme de cette nouvelle information.

- C'est merveilleux quand c'est toi qui chantes ça, tu as une telle aura de pureté que ça rend le tout absolument parfait.

- On est d'accord que ça ferait un super numéro ? fit Mel d'un ton amusé.

- Je refuse de chanter un truc pareil en public, grommelai-je en rougissant à l'idée que Riza, Mustang et sa clique me voient dans une situation pareille.

- T'es pas drôle, lâcha Andy.

Je fis une moue boudeuse, vexé d'avoir découvert à mes dépends que sous ses airs de femme mature et posée, Claudine n'était finalement pas mieux que les autres quand il s'agissait de me tourner en ridicule.

Donc… Claudine aussi est une catastrophe, notai-je mentalement. Il n'y a personne de sensé ici ou quoi ?

Faute de pouvoir répondre à cette question, je décidai que le meilleur moyen de me remettre de mon humiliation était de passer à autre chose.

- Hé, c'est quoi que tu joues Wilhelm ? fis-je en me penchant vers lui le faisant sursauter. Ça me plaît bien.

- Un morceau… dont les paroles sont pas au point.

- Ah… dommage.

- Sinon elle pourrait chanter "l'éclatant" ? fit Clara. Ça lui irait bien.

- L'éclatant ? Je connais pas, fit Andy. C'est quoi ?

- Un vieux truc, fit Wilhelm avec une expression fermée qui aurait dissuadé n'importe qui d'insister.

- Un morceau que tu as composé ? Pourquoi je le connais pas ?

Le pianiste ne répondit pas, toisant Clara à la place. Celle-ci baissa les yeux, l'air prise en faute.

- Hééé ! M'ignore pas !

- Fous-moi la paix ! feula Wilhelm.

- Moi j'aimais bien ton morceau, fis-je dans une tentative de détourner l'attention. Tu peux le rejouer ?

Le pianiste se tourna et recommença à jouer, les lèvres pincées, les mains un peu tremblantes. En le voyant encore plus refermé que d'habitude, je repensai à ce qu'avait dit Lily Rose au sujet des disputes entre lui et Andy. Ce n'était donc pas une légende… À choisir, j'aimais autant éviter d'en voir plus. J'écoutai la mélodie, fermant les yeux. Wilhelm était fort pour véhiculer des émotions par la musique, et entendant ces notes, je sentais mon coeur battre un peu différemment. Ce morceau-là me parlait particulièrement.

- C'est ça que j'ai envie de chanter, fis-je dans un accès d'honnêteté, les bras appuyés sur le rebord du coussin.

- Mais y'a même pas de paroles ! s'exclama Andy.

- Mh, t'en penses quoi, Wilhelm ? fit Mel, accoudée à la table, le sourire aux lèvres

- Je ne sais pas, je tâtonne dessus. Trop de directions possibles.

- Aïna pourrait pondre quelque chose si tu ne te sens pas à l'aise, fit remarquer Clara.

- … Je préférerais l'écrire moi-même, avoua le grand maigrichon qui avait croisé ses longs doigts sur ses genoux, comme pour dissimuler qu'il tremblait encore.

- J'ai une idée, fit Claudie. Vous pourriez travailler les paroles ensemble, fit-elle en me désignant en même temps que Wilhelm.

- Je… mais… j-je sais pas écrire ddes chansons moi ! bafouillai-je en me sentant rougir.

- Y'a un début à tout, fit Clara d'un ton amusé. Allez, tu peux toujours tenter, si la mélodie te plaît particulièrement, tu seras peut-être inspirée, justement. Au pire, Wilou finira par écrire le morceau tout seul si tu sers à rien.

- Merci, c'est très réconfortant, fis-je d'un ton sarcastique.

- … Vous aimez vous compliquer la vie, quand même, grommela Andy. Tu pouvais pas choisir un morceau qui existe, sérieux ?

- Et alors ? Je te rends service, je te rappelle !

- Bon, je vais commencer à préparer la bouffe. Vous venez m'aider les filles ? fit Mel, en se tournant vers les jumelles après s'être relevée.

- Déjà ? m'étonnai-je. On a à peine fini de manger !

- Tu te souviens que ce soir la salle est privatisée ? On a une fête d'anniversaire, rappela la tenancière avec un sourire.

- Ah oui, c'est vrai. L'ancien batteur du cabaret, c'est ça ?

- Oui, Aurel. Tu verras, il est adorable ! fit Clara avec un sourire.

En voyant son expression, je me demandai s'il n'y avait pas un sous-entendu, avant de me dire qu'en fait, je ne voulais surtout pas le savoir ni l'imaginer. Les trois partirent, ne laissant plus qu'Andy, Wilhelm et moi. Je me sentis soudainement mal à l'aise.

- Je… Je vais voir Roxane, il faut que je lui parle d'un truc, fis-je en me levant avec l'impression de fuir. On verra après pour la chanson si tu veux bien ?

Wilhelm me lança un regard dans lequel je sentis filtrer la panique, et je me sentis coupable sans trop savoir de quoi.

- Hé, les gens, on nous a livré le gâteau, venez voir ça, c'est un putain de chef-d'oeuvre ! s'exclama la voix de Natacha.

- Vous avez aéré la salle à manger ? cria Andy d'une voix pleine de défiance.

- Ouais, tu peux venir, princesse ! fit-elle en riant.

Il se leva et partit aussitôt, et Wilhelm poussa un profond soupir de soulagement avant de se lever à son tour pour aller voir ce qui provoquait tant d'exclamations. Curieux, je le suivis et découvris, trônant sur la table de la salle à manger, un immense gâteau, beau comme dans un livre de contes. La bête faisait trois étages et plusieurs dizaines de centimètres de haut et était couverte d'un chocolat noir parfaitement lisse, décoré d'une grosse rose en pétales de chocolat blanc en son sommet. Les autres plateaux étaient décorés de roses plus petites et de motifs floraux composés d'amandes coupées en deux et de tiges dessinées en fines coulures de caramel. Le tout étincelait comme un bijou, parfait de haut en bas, et même moi qui étais le pire des morfals, je trouvais ce gâteau beaucoup trop beau pour vouloir y couper une part.

- Oh. La. Vache. C'est magnifique, bredouillai-je.

- N'est-ce pas ? Il vient tout droit de chez Suzann, le meilleur pâtissier de la ville.

- Je savais même pas que c'était possible de faire un truc pareil avec de la bouffe. On dirait une sculpture.

- Bah, à ce niveau, c'est de l'art, oui !

- Il doit coûter une fortune, non ?

- Ooooh que oui ! Il faut au moins bosser à l'Opéra pour se payer un chef-d'oeuvre pareil, fit Mel avec un rire gêné. Mais Aurel peut se permettre, et on n'a pas tous les jours trente ans !

À ces mots, je souris un peu tristement. Trente ans, c'était le double de mon âge… ça me paraissait énorme. J'avisai Roxane qui s'était plongée dans la contemplation du gâteau et lui fis un signe de main pour attirer son attention. Elle leva ses yeux pétillants vers moi et sourit en me rejoignant, nous nous nous dirigeâmes vers l'escalier en discutant. Ces derniers jours, avec la première de mon numéro et la préparation du sien, nous avions finalement passé peu de temps ensemble, et j'avais envie de la retrouver.

- Encore en pyjama à cette heure-ci ? me taquina-t-elle.

- J'ai pas vu le temps passer, avouai-je avec un rire gêné.

- Essaye d'être présentable pour ce soir, on aura des invités de marque !

J'eus un sourire amusé en pensant que quand nous accueillions Mustang et sa clique, personne ne semblait penser au fait qu'il était Colonel et sur le point d'être nommé Général de Brigade.

- D'accord, c'est prévu. Tu pourras me faire une coiffure sympa ?

- Je veux bien, mais tu prendras une douche avant, ma belle, tu as des toiles d'araignée dans les cheveux, fit-elle en riant.

- Ah, j'ai traîné dans le grenier, fis-je en m'ébouriffant pour les faire tomber.

- Encore en train de faire la princesse perdue dans ses pensées ?

- Plutôt de fuir Clara qui m'expliquait que pour l'avoir testé, Mustang était un bon coup, grommelai-je.

- Ah ça… tu lui aurais dit la vérité avant, tu n'aurais pas ce genre de soucis !

- Mais… j'aimerais t'y voir aussi ! C'est pas évident comme sujet ! Surtout maintenant que… voilà.

Elle entra dans sa chambre et je la suivis pour continuer la conversation sans risquer d'être entendue.

- Depuis qu'il a essayé de m'embrasser c'est devenu vraiment super embarrassant.

- Franchement, je pensais que tu te rendais compte qu'il te draguait, ça n'était vraiment pas subtil !

- Je n'ai pas l'habitude qu'on me drague, moi ! Ça ne m'était pas venu à l'esprit une seconde. Et puis, pourquoi je voudrais ça d'abord ?

Elle me regarda d'un air désespéré et secoua la tête.

- Tu aurais vu ta tête… n'importe qui se dirait que tu es amoureuse de lui.

À ces mots, je me sentis m'empourprer et manquer d'air.

- D-dis p-pas d'conneries bafouillai-je. Je peux pas être amoureux.

- Pourquoi ?

- Ça voudrait dire que je suis vraiment en train de devenir une fille.

À ces mots, Roxane leva les yeux au ciel.

- T'es vraiment couillon des fois. Si la situation te met si mal à l'aise que ça, tu n'as qu'à dire la vérité, tu seras tranquille.

- Alors, déjà, c'est mortellement gênant, et ensuite, c'est pas faute d'avoir essayé ! J'ai essayé de dire la vérité le premier soir où il est venu, Andy m'a kidnappé pour me faire danser. J'ai tenté d'en parler au restau, un de ses collègues est arrivé et s'est installé à notre table. Je tente ma chance au parc, y'a un cygne qui débarque, poursuivi par un gamin qui s'est mis à hurler comme une sirène incendie parce qu'il était tombé. La fois suivante, je pensais vraiment y arriver, mais c'est là qu'il a essayé de m-m'embrasser. Et la dernière fois que j'ai essayé, y-Y A UNE PUTAIN DE VOITURE QUI A EXPLOSÉ ! ! À ce niveau-là, c'est l'univers qui refuse que je dise la vérité !

- L'univers n'est pas une excuse.

- Je saiiis, fis-je en me balançant de côté avec une inflexion mêlant agacement et désespoir. Mais qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

- Que tu passes outre tout ça et que tu le dises… ou que tu laisses quelqu'un d'autre dire la vérité à ta place, si vraiment tu en es incapable.

- J-j'en suis capable ! fis-je, moins parce que je le pensais que parce que l'idée que l'aveu vienne de quelqu'un d'autre me terrifiait bien davantage.

- Eh bien, prouve-le, alors, fit-elle d'un ton qui se voulait encourageant.

- Mais tu peux comprendre qu'il y a des chose pas évidentes à avouer. Regarde, tu as dit à Havoc que ton numéro à venir, c'était un strip-tease ?

À ces mots, elle sursauta et rougit.

- Ok, un partout, admit-elle de mauvaise grâce. Mais c'est quand même moins grave !

- Mouais… ça t'arrange bien hein ?

- Et toi, j'ai cru comprendre que tu étais partie pour faire un spectacle le mercredi aussi.

- Ahaha, les nouvelles vont vite ! Oui, mais je finirai pas à poil comme toi ! fis-je d'un ton moqueur avant de me prendre un oreiller dans la figure.

- Sale môme !

- Héhéhé… je vais juste boucher les trous pour remplacer le numéro d'Andy dont il a marre. On va travailler un chant avec Wilhelm, même s'il n'y a pas encore les paroles, ça va être cool.

- Tu n'as pas peur des paroles à venir ?

- Tant que ce n'est pas Claudine qui les propose, ça va !

Je lui racontai la farce qu'elle m'avait faite et elle rit de bon coeur avant de me bouter hors de sa chambre.

- Allez, file prendre une douche, à ce rythme, tu seras encore en pyjama quand les invités vont arriver !

oOo

Une fois propre, coiffée et maquillée, j'étais redescendue mettre la main à la pâte pour un atelier pliage de serviettes avec Aïna. Après en avoir plié des dizaines en forme de fleur de lotus, je compris mieux l'effervescence qui régnait cette après-midi. Nous allions avoir près d'une centaine d'invités durant la soirée. C'était un gros morceau, surtout que les plats étaient plus élaborés que la carte habituelle. J'avais ensuite passé une heure à tartiner des petits fours, pendant que Lily-Rose menait la cuisine de main de fer, donnant des tâches aux uns et aux autres. Malgré sa silhouette osseuse et son caractère habituellement affable, elle pouvait se montrer aussi autoritaire que Fierceagle, ma préceptrice de danse, quand la situation l'exigeait. En agençant les verrines en cercles alternés sur un plateau, j'eus une petite pensée pour cette vieille femme que j'avais laissée derrière moi, seule dans sa grande maison, et il me vint soudainement l'idée que je ferai bien de leur envoyer des nouvelles après tout ce qu'elle et Nadine avaient fait pour moi au début de ma cavale.

Tout le monde travaillait d'arrache-pied, mais l'ambiance, bien que fébrile, était plutôt joyeuse. Chacun se dandinait au rythme du jazz diffusé par la radio. Je devinais à la manière dont tout le monde en parlait que le fameux Aurel était très apprécié et que tout le monde travaillait de bon coeur à ce qu'il vive une soirée d'anniversaire inoubliable.

Les plateaux dansaient tandis que Clara, Claudine et Tallulah les faisaient passer de la cuisine à la grande salle ou un grand buffet était agencé sous les ordres de Mel.

- Eh bien, c'est rare que je voie Mel aussi stressée, souffla Jess en entrant. Vous voulez un coup de main ?

- Si tu veux m'aider, sors de la cuisine, on est déjà trop nombreux, répondit sèchement Lily-Rose.

- Ok, Mel n'est pas la seule à être stressée, on dirait. Ne t'inquiète pas, ça va bien se passer ! La situation est bien en main !

- Les invités arrivent dans moins de dix minutes et le buffet des apéritifs n'est pas encore prêt ! On maîtrise rien du tout !

- Toi, tu as besoin d'un câlin, commenta Tallulah tout en tendant un plateau à Natacha qui repartit aussitôt après.

- J'ai surtout besoin que tout soit prêt à l'heure !

- Heureusement que tu ne stresses pas autant quand tu bosses sur tes costumes ! commenta Lia, en pochant une chantilly salée sur des petits fours.

- Clara, vérifie si les feuilletés sont cuits ! lança la couturière en ignorant la pique de la grande brune.

- Ils sont par-faits !

- Sur un plateau, et au buffet ! s'exclama-t-elle.

- Qu'est-ce que Cerise fiche ici ! Que quelqu'un la mette dehors !

- J'ai fini le pochage !

- Il reste une fournée à faire !

- On utilise combien de plats pour les petits feuilletés ?

- J'en sais rien !

Au milieu des répliques animées, je mis un moment à entendre que quelqu'un toquait à la porte. Je m'essuyai les mains sur mon tablier et me faufilai à l'entrée pour ouvrir, intriguée.

Je ne m'attendais pas à voir la silhouette de Mustang sur le seuil. Je levai les yeux vers lui, embarrassé par sa visite inattendue. Instinctivement, je croisai mes mains dans le dos pour qu'il ne voie pas ma prothèse.

- J'avais un peu de temps libre ce soir, je pensais passer un moment au Bigarré… mais Aïna m'a dit que c'était une soirée spéciale et que si je voulais te voir, il valait mieux que je passe par derrière.

- C'est à dire que… bredouillai-je.

- Angie, on a besoin de toi pour les petits fours !

- Lia ! Mel a besoin de toi en salle, apparemment il y a un problème avec la table ronde !

- Mais merde, j'ai que deux mains ! pesta la grande brune.

- C'est urgent !

- Ok j'arrive !

- … ça n'a pas l'air d'être le bon moment, commenta le militaire en haussant un sourcil.

- On est un peu court pour servir l'apéritif, bredouillai-je. Je dois y retourner, mais ça ne devrait pas être trop long…

- Virez-moi ce chat de la cuisine avant que quelqu'un se prenne les pieds dedans ! pesta Lily-Rose, qui avait trébuché sur Cerise.

- Je m'en occupe, s'exclama Tallulah, en joignant le geste à la parole.

- Vous avez l'air débordés, vous voulez un coup de main ?

- Je…

Je n'eus pas de temps de répondre, ne sachant de toute façon pas quoi dire, qu'il s'était débarrassé de son manteau et s'était retroussé les manches pour reprendre la douille à pocher que Lia avait abandonnée. Je le fixai trois secondes d'un air stupéfait avant de me rappeler que des feuilletés attendaient que je me bouge les fesses et repris ma propre tâche. Dans la panique ambiante, personne ne sembla remarquer qu'un Colonel s'était retroussé les manches pour pocher des petits fours. De mon côté, je m'appliquai de mon mieux, sentant la tension de Lily-Rose monter d'un cran à chaque tic-tac.

- C'est prêt pour moi ! J'amène dans la salle.

- J'ai presque fini aussi !

Je me hâtai en passant les feuilletés encore brûlants dans le plat qu'on m'avait confié, tandis que Clara en faisait autant de son côté. L'une comme l'autre, nous avions renoncé à l'alignement parfait qui nous avait fait perdre tellement de temps sur les premiers plateaux. J'avais à peine terminé qu'elle déroba mon plat et partis avec dans la pièce principale, me laissant les bras ballants. Après avoir donné un large plateau à Natacha qui venait de revenir dans la pièce, Lily-Rose s'apprêta à attraper les derniers petits fours avant de se figer, remarquant seulement la présence du militaire.

- Qu'est-ce que vous foutez là ?

- Je pochais, fit-il simplement en levant la douille presque vide.

Elle resta immobile quelques secondes, puis accepta l'absurdité de la situation avec un haussement d'épaules avant de partir en toute hâte avec le plat.

Après le chaos de ces dernières minutes, le silence et l'immobilité de la pièce semblèrent assourdissants. Je levai des yeux vers Mustang qui ne put s'empêcher de pouffer de rire.

- J'imaginais une soirée plus tranquille, avoua-t-il, manifestement de bonne humeur.

- Mais… pourquoi vous avez fait ça ?

- Parce que je pouvais. J'ai été commis de cuisine, il y a longtemps, je ne pouvais pas vous laisser comme ça.

Je le savais, pourtant, qu'il cuisinait. Mais je ne m'attendais pas à ce qu'il mette la main à la pâte aussi spontanément.

- Merci.

- De rien, fit-il avec un sourire.

Je sentis mes poumons fourmiller, me donnant l'impression d'avoir du mal à respirer sans que je parvienne à trouver ça désagréable. Ça faisait du bien de le voir.

- Vous êtes venus pour une raison précise ? demandai-je.

- Eh bien, oui, fit-il en se grattant la tête. Dans l'histoire, je n'ai toujours pas récupéré ma veste, et la gestion des uniformes en a besoin à cause de mon changement de grade. Je me suis fait taper sur les doigts, il faut que je l'apporte demain au plus tard.

- Ah ! Je suis désolée, bredouillai-je en rougissant. J'avoue que je n'y pensais plus.

Cela faisait bien une semaine que sa veste bleu roi était posée sur le dossier de la chaise de ma chambre, je ne risquais pas de l'oublier. La vérité, celle pour laquelle je préférais crever plutôt que l'avouer à qui que ce soit, c'était que l'objet me rappelait sa présence et portait son odeur. Sans pousser le vice jusqu'à plonger le nez dedans comme j'en étais parfois tenté, je n'avais vraiment pas envie de la lui rendre.

- Ça arrive, fit-il d'un ton rassurant. En plus, c'est moi qui l'avait laissée en premier lieu.

- Je vais vous la chercher.

J'étais vraiment prête à quitter la pièce pour rapporter le vêtement sur-le-champ, mais un cri et un bruit de chute m'arrêtèrent dans mon élan. À la place, je me dirigeai dans la salle à manger, le coeur serré d'inquiétude, et découvris un véritable carnage.

Faute de place dans la cuisine, nous avions laissé dans la salle à manger les préparatifs des plats suivants, terrines, viandes déjà parées, sauces, patates émincées, le tout prêt à être réchauffé ou à servir, et… le gâteau, qui n'était plus là. À la place se trouvait Tallulah, effondrée sur la table, qui se redressa en nous voyant avec une expression paniquée, au bord des larmes. Je cavalai à l'opposé pour voir l'étendue des dégâts et vis l'éclat de fourrure tricolore fuir dans l'atelier couture, laissant derrière lui un méfait manifeste. L'énorme pâtisserie avait basculé de la table pour s'effondrer sur le carrelage et avait été accompagnée dans sa chute par une saucière de porcelaine qui avait explosé et répandu une sauce crémeuse aux champignons à des mètres à la ronde.

- Oh putain… lâchai-je.

- Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée ! Il n'y avait plus personne et quand je suis revenue, Cerise était en train de boire dans la saucière et j'ai couru pour la chasser et j'ai glisséééééé…

À ces derniers mots, elle commença à fondre en larmes, ce qui n'arrangeait rien. Je ne savais absolument pas quoi faire, mais une chose était sûre : la situation était catastrophique. Natacha entra dans la pièce et découvrit les dégâts à son tour. Elle étudia la scène, stupéfaite, le gâteau écrasé, la saucière en miettes, la danseuse en larmes, et Mustang et moi, estomaqués par la situation.

Il y eut un long silence, puis elle eut un fou rire nerveux, se retrouvant bientôt à hurler de rire.

- Natacha, c'est pas drôle, m'exclamai-je. Qu'est-ce qu'on va faire ? On peut pas en recommander un en urgence ?

- Je ne sais pahahah, ce genre de gâteau coûte une fortune et demande des heures à faire. De toute façon, Suzann est fermé à cette heure-ci.

- On peut pas, je sais pas, le réparer ? Le transmuter ? fis-je en levant des yeux larmoyants vers Mustang.

Le militaire s'agenouilla près de la scène de crime, observant la pâtisserie éventrée avant de secouer la tête.

- Il s'est explosé sur plusieurs mètres et mélangé avec de la poussière, de la sauce et de la porcelaine… quand bien même on parviendrait à le rassembler… ce serait un coup à tuer quelqu'un.

Je me mordis la lèvre en songeant que je ne me serais pas autant embarrassé de principes. C'était peut-être pour ça qu'on me traitait régulièrement de brute.

- Les autres vont me tuer, geignit Tallulah, bredouillant tellement à travers ses larmes que je l'attrapai pour lui tapoter l'épaule.

- Ça va aller, on va trouver une solution, soufflai-je dans une tentative de la réconforter.

- Déjà, boucler la pièce, si Mel ou Lily-Rose voient ça, elles vont faire une syncope, fit Natacha, en joignant le geste à la parole.

- Vous deviez l'apporter dans combien de temps ? demanda Mustang, encore à genoux.

- Je ne sais pas, quelque chose comme quatre heures, estima Natacha, connaissant Aurel et ses amis, le repas sera long et arrosé.

- Apportez-moi un couteau.

Natacha s'exécuta, et Mustang coupa une part dans une zone du gâteau qui n'avait ni été écrasée, ni éclaboussée de sauce à la crème, puis l'étudia d'un oeil attentif avant de le goûter, couche par couche.

- C'est faisable.

- Quoi ?

- Refaire ce gâteau à l'identique, fit-il en levant l'assiette, à temps pour le servir. En s'y mettant à plusieurs on peut le refaire.

Tout le monde présent dans la pièce regarda Mustang sans savoir si c'était un fou ou un génie.

- Ça me paraît délirant, fit Natacha, mais on n'a rien à perdre. Une soirée d'anniversaire sans gâteau, ça serait trop dommage. On fait quoi ?

- Bien ! Il faut faire le tour de ce que vous avez dans les cuisines. On aura besoin de chocolat pâtissier et de chocolat blanc, de la farine de froment, des oeufs, du lait, du sucre en poudre, de la poudre d'amande, des citrons, des noisettes, des amandes, des poires conférences, des pommes royal gala, de la cannelle, de…

- Attendez, vous allez trop vite là !

- On a quatre heures, répliqua-t-il un peu sèchement. Il va falloir s'activer.

En prononçant ces mots, il se releva et se dirigea dans la cuisine comme s'il était chez lui.

- Il faut préparer un pralin, une compotée, une ganache, des dacquoises, un…

- Da-quoi ? bredouillai-je.

Il se tourna vers moi avec une inflexion de reproche dans le regard et j'eus un sourire embarrassé.

- Mes compétences culinaires ne dépassent pas le pain perdu, bredouillai-je.

- Tu sais couper des fruits en morceau ?

- Oui

- C'est un début. Vous avez un thermomètre ? Des moules hauts en quinze, vingt-deux et trente-cinq centimètres ?

- On va voir ça.

- Si on doit faire les courses, il faut se dépêcher avant que tout soit fermé, fis-je remarquer en sortant de la poche de mon tablier le bloc-notes qui servait habituellement à noter les commandes.

Je le tendis à Mustang qui noircit rapidement plusieurs feuilles avant de les tendre.

- Ça, c'est la liste du matériel dont j'aurai besoin, et ça, c'est la liste d'ingrédients.

- Qu'est-ce que vous fichez en cuisine comme ça ? fit Claudine en entrant avec deux carafes vides à la main, manifestement étonnée de ne pas encore nous avoir vu rejoint les autres dans la pièce.

- On sauve la soirée ! répondit Natacha du tac au tac.

- Enfin, on essaie, bredouillai-je, moins confiante.

- Tu sais si on a un thermomètre culinaire Claudine ?

- Oui, il est rangé…

- Je vous laisse voir s'il manque du matériel de cette liste, fit Mustang avec une autorité qui frôlait l'impolitesse. Je vais voir ce qui manque comme ingrédients.

- Et j'irai chercher le nécessaire à vélo, répondit Natacha avant de l'accompagner dans les réserves.

- Et nous, on fait quoi ? bredouillai-je en me retrouvant seule avec Tallulah.

- Dégagez le plan de travail et faites la vaisselle, ça sera un bon début !

C'est avec une petite moue vexée que je me retrouvai à entasser la vaisselle sale dans l'évier, pendant que Claudine, obéissant au sentiment d'urgence, sortait casseroles, plats et balance. Tallulah lui raconta brièvement la mésaventure du gâteau et elle hocha la tête, bien d'accord avec l'idée qu'il valait mieux cacher l'information à Mel et Lily-Rose qui semblaient toutes deux avoir les nerfs à vif.

- Je dirai à Clara de détourner leur attention, elle est forte pour manipuler les gens.

Je hochai la tête, lavant les plats avec un sentiment de frustration. Natacha ressortit de l'arrière-cuisine en courant ventre à terre pour prendre la porte donnant sur l'arrière-cour, et Mustang déboula presque aussi vite, les bras chargés d'ingrédients.

- Elle est partie acheter des oeufs, des poires, du chocolat et du citron, mais on va déjà pouvoir commencer à préparer le pralin et les dacquoises. Angie ?

- Oui ? fis-je tout en rinçant les casseroles qui traînaient.

- Mettre 300 grammes de sucre, 150 grammes de noisettes et autant d'amandes dans une poêle à feu doux, c'est dans tes cordes ?

- Ca a l'air à ma portée…

- Tu t'occuperas du pralin alors, fit-il en posant le saladier de fruits secs qu'il avait rapporté. Je vais commencer la dacquoise, on verra pour le reste après.

- Qu'est-ce que vous fichez encore en cuisine ? s'exclama joyeusement Clara en poussant la porte, un plateau vide à la main. Si vous ne vous réveillez pas, il ne restera plus d'apéritif !

Tout comme sa soeur, elle se figea en découvrant le chantier.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- On sauve la soirée, répondit Claudine sans cesser de sortir des bols, amusée de voir le même dialogue se répéter. Va voir dans la salle à manger, tu comprendras.

Clara traversa la pièce, poussa une exclamation prévisible et revint en panique. J'avais eu le temps de m'attabler et de commencer à casser des noisettes que je jetais dans un bol. Tallulah essuyait les plats d'un air mortifié et Mustang séparait des blancs d'oeuf avec attention.

- Mais qu'est-ce qui s'est passé ?

- J'ai glissé… bredouilla la petite danseuse d'un ton meurtri.

- Ça arrive aux meilleurs, commenta Natacha.

- Du coup, on refait un gâteau, fis-je sans cesser ma tâche. Mustang nous aide.

- Genre… comme ça ?

- J'ai travaillé pendant des années comme commis de cuisine, souffla Mustang sans lever les yeux de son ouvrage.

- … Mel est au courant ?

- Non, surtout pas ! Elle va péter un câble si elle l'apprend maintenant, elle a déjà assez de trucs à penser.

- Ok, donc je me débrouille pour que ni Mel, ni Lily-Rose ne réalisent ce qui se passe.

- Pas tant que le gâteau ne sera pas avancé en tout cas.

- Il y aura aussi une sauce forestière à refaire.

- Ça, ça va, les sauces blanches, ça me connaît fit Clara avec un sourire mutin.

Claudine eut un petit rire puis reprit plus sérieusement.

- Allez, soeurette, on compte sur toi pour faire diversion. Si personne ne ressort de cette cuisine, ils vont finir par se poser des questions.

- Ça marche. Je vous enverrai les autres en renfort si besoin, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil avant de remplir les carafes d'eau et de repartir avec en claquant la porte derrière elle.

- … Attendez, Clara est votre soeur ? fit Mustang avec un temps de retard, levant les yeux vers Claudine d'un air surpris.

- Oui, répondit-elle en rougissant.

- … Claude ?

Mon regard passa de l'un à l'autre, entre la stupéfaction du Colonel dont la bouche s'arrondissait et le malaise de plus en plus palpable de celle qui lui répondait. Il y eut un silence gênant qui ne sembla absolument pas concerner Tallulah qui fredonnait machinalement en faisant la vaisselle. Mustang leva un index hésitant, la bouche ouverte, comme pour poser une question qu'il n'imaginait même pas possible.

- Claudine, corrigea la femme sans cesser de rougir.

- Je… sérieusement ?!

Elle lui lança une expression de reproche et il se reprit.

- On n'a pas le temps de se lancer dans de grandes discussions maintenant, fit-elle remarquer.

- Je… D'accord. Désolé, c'est juste que… je m'y attendais pas, bredouilla Mustang en se penchant de nouveau sur sa préparation.

Je continuais à casser mes fruits secs tout en fixant les deux autres avec une immense perplexité. Le militaire secouait la tête, incrédule, tandis que l'expression de Claudine s'était complètement renfermée, me rappelant cette tête que faisait Wilhelm quand quelqu'un abordait un sujet dont il ne voulait pas parler.

- … Ça vous va bien, lança le militaire après un moment de silence.

Claudine ne répondit pas, mais eut une expression soulagée, peut-être même émue.

Qu'est-ce que je n'ai pas compris ? pensai-je en pesant les noisettes décortiquées.

Clara repassa quelques minutes plus tard pour nous donner des nouvelles. Andy avait été informé du tragique événement en coulisses et s'était apparemment lancé dans un discours débridé, reportant d'autant la fin de l'apéritif en distribuant jeux de mots et anecdotes croustillantes sur le batteur.

Pendant ce temps, Claudine battait les oeufs en neige, prenant le relais de Mustang qui avait vu l'inquiétude briller dans mon regard tandis que le sucre fondait et s'agglomérait aux fruits secs. Il s'était penché derrière moi et m'avait rassuré en disant que tout était normal et qu'il fallait juste mélanger jusqu'à ce que le tout caramélise et enrobe amandes et noisettes, mais ce que j'avais retenu, c'était surtout cette odeur dont je ne me lassais pas et la sensation de sa poitrine contre mes épaules.

J'étais vraiment un abruti pour me laisser perturber par des choses pareilles, pas étonnant que les autres se moquent de moi.

Maï arriva en cuisine, ouvrant des yeux ronds en voyant le Colonel mettre la main à la pâte en dirigeant les autres avec autorité. Elle était venue enfourner les pâtés en croûtes qui devaient être servis chauds à l'entrée, court-circuitant Lily-Rose. Une fois sa mission accomplie, elle nous fit un dessin de mémoire des décors du gâteau, nous faisant partager un de ses nombreux talents, puis repartit faire le service des autres entrées et s'assurer que sa meilleure amie se calme avant une découverte inévitable.

Les invités étaient déjà en train de déguster les entrées quand Natacha revint avec les ingrédients manquants. Après avoir versé les fruits pralinés à refroidir, je changeai de poste pour éplucher des pommes pendant que Tallulah cassait le chocolat en morceaux pour le faire fondre au bain marie, se prenant des remarques taquines de Clara sur le fait qu'une tâche consistant à casser quelque chose était bien adaptée à ses compétences. Claudine nous avait quittés pour revenir en salle, sachant qu'une disparition trop longue risquait d'attirer l'attention. Et puis, elle avait sûrement envie de passer du temps avec son ami.

La dacquoise — une sorte de biscuit, comme je l'appris sur le tas — fut mise à cuire. Enfin, la première des cinq plaques qu'il faudrait mettre au four. La bonne nouvelle, c'était qu'il y avait deux fours… la mauvaise, c'était que les plats de résistance allaient rapidement nous faire de la concurrence.

Natacha était repartie en salle, et en voyant le regard larmoyant de Tallulah, Mustang lui avait soufflé de partir se changer les idées, disant qu'on avait la situation bien en main. Je n'en était pas si sûr en regardant ma casserole de fruits coupés en dés qu'il avait parfumés à gestes assurés. Je ne savais pas à quoi était censé censé ressembler la préparation, me doutant tout de même que je ne devais pas la carboniser.

- Ça va comme ça ? J'ai tellement peur de faire brûler des choses, avouai-je pour lui demander de jeter un coup d'oeil.

Il se détourna un instant de son chocolat fondant pour vérifier que tout allait bien.

- Oui, c'est bon, ne t'inquiète pas, encore quelques minutes et ça sera parfait, fit-il avant de s'agenouiller pour vérifier le four.

Je sentis la profondeur du silence appliqué qui avait nappé la pièce. Nous n'étions plus que tous les deux, à cette idée mon coeur remontait dans ma gorge. Est-ce que je devais lui dire maintenant ? Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander quelle catastrophe m'interromprait cette fois, et je renonçai rapidement à l'idée en observant son expression concentrée tandis qu'il versait du lait dans le chocolat en mélangeant d'un geste vif. Si je lui annonçais mon secret maintenant, le gâteau passerait probablement à la trappe. Comment s'appliquer sur une tâche en digérant une nouvelle pareille ?

Je renonçai à parler, mais la boule dans ma gorge ne voulut pas se dissiper. J'avais honte de raisonner comme ça. Je savais bien, au fond, que je me cherchais des excuses.

- Du coup, on avance bien, non ?

- Houla ! Le plus dur reste à faire, fit Mustang avec le rire nerveux. Le montage, le décor… ça va être un sacré morceau.

- On dirait que ça vous amuse, fis-je remarquer.

- C'est moins angoissant que de gérer une attaque armée.

- Évidemment, vu comme ça…

Pendant les heures qui suivirent, la cuisine fut la plaque tournante d'un surprenant chaos, les gens allant et venant pour nous donner un coup de main, voir par eux-mêmes le gâteau massacré et nous tenir au courant de l'avancée de la soirée. Tout le monde alternait entre ici et là-bas, à part Mustang et moi, affairés que nous étions à préparer le repas. Chaque tâche qu'il m'assignait me stressait davantage que la précédente, mais concentré que j'étais, je parvins à tout mener à bien, n'hésitant pas à l'appeler au moindre signe d'inquiétude. Le premier étage du gâteau fut monté et mis à refroidir dehors sous la surveillance de Lia. Personne ne voulait qu'un chat errant flanque par terre le fruit de nos efforts. Je m'étais retrouvé à faire fondre du chocolat blanc, un thermomètre à la main, quand Lily-Rose, flairant les cachotteries, s'était frayée un chemin dans la cuisine en dépit des tentatives des autres pour la retenir. Elle découvrit les lieux en plein chaos et manqua de hurler en en apprenant la raison. Heureusement, Maï était entrée en même temps qu'elle et lui avait simplement tendu un bol de ganache en lui ordonnant de goûter.

- Tu vois ? Ça va être bon, fit la militaire d'un ton rassurant.

- J'ai quand même besoin du four pour cuire les pommes de terres.

- Elles sont déjà dans le four de gauche, rassura Maï.

À ces mots rassurants, la chef de cuisine se liquéfia presque de soulagement, et l'activité reprit de plus belle, entre les viandes à cuire, les assiettes à préparer, le chocolat à faire fondre… Les plats vides du buffet d'apéritif s'étaient entassés à même le sol dans un coin reculé de la cuisine, et la pièce résonnait dans le brouhaha des personnes qui s'affairaient, qui à cuisiner le gâteau, qui à laver les assiettes de l'entrée qui allaient resservir au dessert, qui à saisir les viandes. Et à un moment, Jess se mit à chanter, entraînant tous les autres dans son sillage. C'était juste magique. Incongru et magique. Je baissai les yeux vers le militaire qui sortait du four le dernier étage de biscuit et il leva vers moi un regard pétillant.

- J'arrive bientôt à quarante degrés, soufflai-je.

- Ok, je m'en occupe. Mets la dacquoise à refroidir dehors puis prépare des amandes coupées en deux dans le sens de la longueur pour le décor.

- Houla, j'ai droit à quel pourcentage de perte ?

Ma réplique le fit rire, mais je me faufilai aussitôt après pour obéir à ses ordres, me retrouvant entre Claudine et Jess qui chantaient tout en préparant les assiettes à la chaîne. C'était un miracle que l'on puisse encore circuler dans la cuisine que je n'avais jamais vue aussi peuplée. Je compris que mis à part Mel et les invités, plus personne n'ignorait la chute du gâteau et l'accouchement périlleux de son remplaçant.

Miraculeusement, la cuisine se vida au moment où nous en avions le plus besoin, l'ensemble des invités ayant été servis. Nous pûmes rapporter les nombreuses pièces du gâteau pour l'étape du montage, qui se régla entre Mustang, Lily-Rose et moi. Entre-temps, il avait versé le chocolat blanc dans des petits bols et coquetiers, tout ce sur quoi nous avions pu mettre la main qui avait un fond arrondi. Alterner dacquoise, compotée de fruits, ganache et praliné — autant de mots que j'avais appris sur la tas — nous prit un temps précieux. Mustang tenait à ce que les couches soient les plus régulières possibles, martelant que c'était la base d'un beau gâteau. Une fois chaque étage complété, il me montra comment les couvrir de ganache en lissant le mieux possible, puis fit le bilan tout en décollant précautionneusement les pétales de chocolat blanc.

- Il faudra encore faire le glaçage, préparer le caramel, les amandes, monter les roses en chocolat blanc… Combien de temps reste-t-il ?

- Les autres sont en train de servir le fromage, annonça Lily Rose, elle aussi appliquée à lisser un des gâteaux.

- Houla… Quelqu'un d'autre pour faire un discours ? demanda le militaire avec un rire nerveux.

- Je crois que Clara est sur le coup, ça devrait aller.

- Angie, mets de côté 300 grammes de chocolat noir à faire fondre au bain marie et 50 grammes de chocolat blanc, et préviens-moi quand ils seront respectivement à 45 et 40 degrés.

- Encore ? ! Mais comment c'est possible de mettre autant de chocolat dans un seul gâteau ?!

Ma remarque le fit rire, mais il ne s'arrêta pas de travailler pour autant et j'attrapai vivement un bol pour peser le chocolat que je devais faire fondre

Lily-Rose ressortit les gâteaux et les surveilla, puis Jess vint prendre le relais en demandant si tout allait bien, recevant un rire nerveux en guise de réponse.

- On est larges ! ironisa Mustang.

Les yeux rivés sur la température du chocolat, j'annonçai qu'il arrivait à 45 degrés. Mustang pris le relais, me demandant de décoller les pétales de chocolat blanc à sa place, ce que je fis en grimaçant d'angoisse. J'en cassai moins que je ne le craignais, l'entendant s'activer pour préparer le glaçage, retirant le chocolat du feu, bataillant avec le thermomètre.

Maï arriva dans la pièce à point nommé, et se retrouva avec une casserole de chocolat blanc entre les mains, partageant avec moi la mission de l'utiliser pour coller ensemble les pétales pour en faire des roses, une grosse et une demi douzaine de petites. Je n'avais pas la moindre foutue idée de comment faire ça, mais la militaire prit les choses en main et je me retrouvai à tenir d'une main un peu tremblante des fragments de chocolat blanc en équilibre précaire pendant qu'elle en assemblait d'autres, et qu'à côté de nous, Jess et Mustang ramenaient le gâteau pour y verser le glaçage. Quand le grand brun, après avoir versé le liquide d'un noir luisant pour recouvrir le gâteau, fit tourner lentement la grille pour répartir le nappage d'un oeil concentré, je ne pus m'empêcher de rester planté là, ma demi-rose à la main, fascinée par le spectacle.

- Allez, encore deux glaçages et on pourra commencer le montage. Angie, mets à chauffer deux cent grammes de sucre et 2 cuillères à soupe d'eau, on va avoir besoin de caramel.

- Mais c'est sans fin !

- Hayles, où en êtes vous avec les roses ?

- Les petites sont presque finies, la grosse est à mi-chemin.

- Dépêchez, il sera bientôt trop tard pour travailler le chocolat.

- Je vais l'aider, fit Jess d'un ton rassurant. Les roses, c'est mon rayon.

Il y eut un silence tendu, chacun s'appliquant à sa tâche.

- Il faut qu'il ressemble à quoi, le caramel ? demandai-je d'un ton inquiet en voyant que le contenu de ma casserole prenait une coloration dorée.

- Il doit être bien filant, mais là j'ai les mains prises.

- Filant ?

- Former un fil si on tapote un peu de caramel entre deux doigts. Mais ne te brûle pas.

En effet, il était en train d'empiler le gâteau, étape particulièrement délicate. Me souvenant de son geste, je trempai l'index droit dans le caramel pour ensuite le tapoter avec le pouce, et supposai que c'était encore trop liquide en voyant qu'aucun fil ne se formait. J'entendis un soupir de soulagement dans mon dos et supposai que l'empilage se déroulait sans encombre.

- Ok je veux pas vous mettre la pression mais on est en train de débarrasser la salade et le fromage, là, ça va commencer à être urgent d'avoir un gâteau ! annonça Andy en ramenant un plateau à moitié vide. Woah !

- Il nous reste la déco à faire, souffla Mustang d'une voix tendue.

Je ne l'avais pas senti arriver pour voir la texture du caramel, et entendre sa voix juste derrière moi me fit sursauter.

- J'arrive pas à croire que vous êtes en train de faire un truc pareil, commenta le danseur de claquettes avant de ressortir. Je vais tâcher de faire diversion encore un moment.

- Ok, encore trente secondes pour le caramel, m'annonça le militaire, une main posée sur mon épaule. On va déjà pocher le reste de ganache au pied des étages du gâteau. Ensuite, dessiner les branches de caramel et poser les amandes… il n'y en aura jamais assez !

- Je vais en préparer d'autres, bredouillai-je, me faufilant hors de ses bras, me sentant rougir.

Les battements de coeur martelant les secondes, nous nous retrouvions à travailler frénétiquement, moi cassant les amandes, Mustang dessinant les liserés de caramel, Maï posant les demi-amandes formant un motif de feuilles et Jess pochant la ganache à gestes vifs.

La porte s'ouvrit dans un grand claquement.

- QUOI ?! s'exclama Mel d'un ton outré.

- C'est presque prêt ! répondit le militaire en posant une des roses.

- Les bougies ! s'exclama Jess.

- On était pas censés avoir des feux de Bengale, aussi ?

- Vous m'avez caché ça ?! s'étrangla la tenancière.

- On a la situation bien en main, Mel. Regarde cette merveille !

Je fouillai frénétiquement les tiroirs en quête des bougies, accompagnée par la grande blonde qui tâchait de juguler la panique de son amie.

- Andy est en train de faire le con pour les distraire mais on aurait déjà dû apporter le gâteau ! Et vous pensez vraiment que les gens ne vont pas voir la supercherie ?

Maï tendit une cuillère de ganache sous le nez de Mel sans quitter des yeux le gâteau qu'elle continuait à décorer de l'autre main.

- Goûte et on en reparle.

- J'ai les bougies ! m'exclamai-je d'un ton soulagé.

- Un briquet ! Qui a un briquet ?

Ma main tremblait tandis que je les plantais, voyant une autre paire de mains s'affairer à tracer deux cercles de bougies au sommet du gâteau, puis à les allumer.

- Pu-tain ! Qui a mis les feux de Bengale sous une pile de vaisselle sale ?

- Qui a mis une pile de vaisselle sur les feux de Bengale plutôt !

- Qui a commencé à chanter "joyeux anniversaire" en salle ? Je vais le tuer !

- Ça va aller !

- On a tout allumé ?

- Oui, on y va !

- Attendez il manque une rose !

- Allez cette fois c'est bon ! On se grouille !

Soulevé par Mel et Jess, le gâteau partit vers la salle des fêtes où l'ambiance était à son comble, et tout le monde partit avec comme une nuée d'oiseaux. Je restai les bras ballants dans la cuisine soudainement vide, puis, après quelques secondes de flottement, laissai la pression retomber et acceptai de me laisser tomber le cul par terre dans un immense soupir de soulagement. De l'autre côté, j'entendis exclamations et applaudissements conclure la chanson rituelle.

- Et là, ils le font tomber.

- Parle pas de malheur ! J'ai craché mes tripes sur ce gâteau ! m'exclamai-je d'un ton indigné.

Mustang eut un rire et s'assit à même le sol à côté de moi. Le silence retomba, me laissant tout le temps de réaliser à quel point je tremblais et le niveau de chaos légendaire qu'avait atteint la cuisine. Toutes les surfaces horizontales étaient jonchées de vaisselle sale, de plats avec quelques feuilles de salades, de piles d'assiettes, de sachets et de pots vides, de coquilles d'oeuf, éclaboussées d'eau, de lait, de farine et de sucre. Le nettoyage promettait d'être un sacré morceau.

- C'était tout juste, commenta le militaire.

- Un truc de fous… je pensais pas que c'était possible.

- On a eu une bonne équipe ! Et de la chance, aussi.

Je levai les yeux vers son visage tandis qu'il regardait la pièce d'un oeil vague, le sourire aux lèvres.

- Merci, soufflai-je. Vous n'étiez pas obligé de nous rendre un aussi gros service.

- Je n'allais pas quand même pas vous laisser comme ça. Et puis, ça m'a rappelé de bon souvenirs.

- Tant mieux alors.

Je m'étirai, sentant mon dos crispé par la concentration et le stress de ces heures de préparatifs. J'étais crevé mais heureux, simplement heureux d'être là, assis par terre avec une personne que j'appréciais, après une victoire contre la montre. Je sentais la chaleur de son épaule contre la mienne, sa présence, et ça me faisait du bien.

Je repensai à Roxane et les autres qui me taquinaient en prétendant que j'avais l'air amoureuse. C'était des conneries. J'étais juste content de passer un bon moment avec une personne que j'appréciais. Si c'était Alphonse qui avait été présent à côté de moi, j'en aurais été tout aussi heureux. C'était tout. Et c'était déjà bien assez gênant d'admettre que Mustang avait pris une telle importance pour moi… surtout avec ce que je lui cachais.

Tout à coup, je me souvins de notre promesse de cuisiner ensemble et cette idée me pinça le coeur. J'étais heureux d'avoir partagé ce moment improbable, mais on ne pouvait pas dire que nous avions tenu notre promesse, surtout qu'il ne savait même pas qui j'étais réellement. Cette idée me donna le sentiment de le trahir un peu plus.

- Tu ne vas pas rejoindre les autres ?

- Bah, j'aime autant me poser un peu ici, j'ai assez couru partout pour la soirée. Et puis, je ne connais pas Aurel, même s'il paraît qu'il est très sympa…

Je préfère être avec toi.

Je coupai ma phrase, bien conscient que c'était ce genre de réflexion qui poussait les gens à vouloir me caser avec Mustang, et poussai un soupir de soulagement.

- C'est quand même étrange de faire un truc et de se dire que la réussite, c'est que personne ne s'en rende compte, fis-je remarquer d'un ton songeur.

- En effet… mais le travail le plus utile est souvent invisible…

- … Je suis en train de réaliser à quel point j'ai faim, mais j'ai teeeellement la flemme de me lever.

En réponse à ça, Mustang attrapa un bol de ganache posé sur le placard ou il était adossé et me le tendit.

- Pour une assistante en or !

Ces mots me firent rougir, mais je le pris avec joie et entrepris de prélaver le bol sous le regard amusé du militaire.

- Pour quelqu'un qui cuisine peu, tu as bien bossé.

- J'ai juste suivi vos instructions. C'est vous qui avez fait tout le boulot.

- Mais non, je n'aurais jamais pu faire ça tout seul, c'est un travail d'équipe !

- Va pour le travail d'équipe, fis-je en lui lançant un large sourire.

- Tu t'es repeinte, remarqua Mustang, m'essuyant le nez d'un geste du pouce avant de lécher le chocolat qu'il avait récupéré.

Ce mouvement inattendu me fit virer au cramoisi, et lui-même réalisa avec un temps de retard à quel point ce geste était familier, rougissant à son tour.

- Désolé, c'est venu tout seul. Ce n'était pas…

- Je sais, c'est rien, bredouillai-je. De toute façon, on en a déjà parlé, il ne se passera rien entre nous.

- Oui, j'ai bien compris. De toute façon, Hawkeye me tuerait si je tentais quoi que ce soit, me rassura le grand brun avec un petit rire.

Il y eut un silence que je savourais, entendant vaguement les rires et la musique de la grande salle. L'ambiance était animée, et je n'avais rien vu de la soirée qui, connaissant mes colocataires, avait dû regorger d'événements cocasses. Pourtant, je n'avais aucun regret.

- En tout cas, j'ai passé un bon moment ce soir, ça faisait longtemps que je n'avais pas cuisiné un truc pareil. Si seulement la soirée de samedi pouvait être aussi amusante !

- Votre… ta soirée de promotion ? corrigeai-je en voyant son expression de reproche.

- Oui. Cérémonie officielle, concert symphonique, vin d'honneur et soirée chez le Généralissime avec bal. Ça va être pompeux et loooong à mourir, soupira-t-il.

- Il y aura à manger, au moins.

- Ahaha, oui. Mais ça sera quand même une longue soirée où je serai entouré de gens que je connais peu et que je n'apprécie pas.

- Tu ne seras pas accompagné ?

- Ah, ça… j'avais demandé à Hawkeye d'être ma cavalière.

- Elle a dit quoi ?

- Qu'elle préférait passer la soirée seule avec son chien.

À ces mots, je partis dans un grand rire un peu moqueur auquel il se joignit de bon coeur.

- L'humiliation ! Elle vous a préféré Black Hayatte ! Ceci dit, ça ne m'étonne pas d'elle.

- Oui, ce n'est pas surprenant de sa part. Enfin, du coup, je me retrouve un peu embarrassé. Je n'ai pas envie d'inviter n'importe qui simplement pour ne pas être seul à la soirée, mais je ne suis pas sûr de vouloir faire subir ça aux gens que j'apprécie.

- Il y aura un concert et à manger… Que demande le peuple ?

Ma remarque le fit pouffer de rire, tandis que je lâchais le bol de ganache pour attraper un saladier qui avait été utilisé pour préparer la pâte de la dacquoise.

- Je connais bien une personne avec qui je suis sûr de ne pas m'ennuyer, mais je ne pense pas qu'elle soit disponible samedi soir.

- Bah, il suffit de lui demander, non ? commentai-je entre deux bouchées de pâte.

- C'est ce que je suis en train de faire.

Je mis quelques secondes à comprendre, et me penchai, hésitant.

- … Moi ?

Il hocha la tête.

- Simple proposition, j'imagine que tu dois être bien prise avec ton travail au cabaret, et je ne suis pas sûr que tu veuilles passer la soirée entourée de vieux généraux, de riches propriétaires et de leurs femmes parlant de courses hippiques en buvant leur café le petit doigt en l'air.

J'eus un grand rire en imaginant le tableau, avant de répondre.

- Vous vous vendez vraiment mal, mais je serai curieuse de voir ça. En plus, il y aura à manger, alors…

Il répondit par un large sourire, un de ces sourires qui viennent de l'intérieur et illuminent la pièce.

- Enfin… je dis ça, mais je ne peux rien promettre… Il faut quand même que je demande aux autres membres du cabaret si ça ne leur pose pas problème que je m'absente un samedi. C'est vrai qu'il y a souvent du monde, mais en général, c'est une soirée dansante, on ne fait pas nos numéros habituels, donc ils seront peut-être d'accord. En tout cas, ça me ferait plaisir de vous accompagner.

- Merci, ça m'arrangerait beaucoup moi aussi. Et tu sais ce qui me ferait plaisir et que tu peux faire dans tous les cas ?

- Quoi ?

- Cesser de passer la moitié du temps à me vouvoyer. Tu tutoies tout le monde, même Hawkeye, alors pourquoi c'est aussi difficile avec moi ? Tu peux m'appeler par mon prénom, quand même ?

- Ah, pardon… Roy, sentant son prénom rouler étrangement dans ma bouche. C'est un peu intimidant.

- Je suis intimidant, moi ?

- À mort ! Vous-Tu te souviens que tu es le plus jeune Colonel du pays ?

- Et bientôt Général, fit-il, l'oeil pétillant.

- Et après ça s'étonne que je sois intimidé ! Il faut être sensé aussi !

Quand Jess poussa la porte de la cuisine, nous ramenant deux parts du gâteau et le récit de son succès, elle nous trouva assis par terre en train de rire aux éclats.