Qui dit lundi dit nouveau chapitre ! Il y a eu pas mal de reviews la dernière fois, ça m'a fait extrêmement plaisir et m'a reboostée à bloc pour bosser sur ma formation. Je me suis rappelée pour quoi j'écrivais. Merci beaucoup à vous !
Vous êtes pas mal à vous demander quelle tournure vont prendre les événements, préparez vous à quelques rebondissements (d'ailleurs, j'ai passé cette fic en M, en me relisant je me dis qu'il y a quelques passages un peu hard dans cette histoire.) J'avoue que j'étais très, très impatiente de poster ce chapitre et d'avoir votre réaction.
Je serai en convention virtuelle les 4 & 5 juillet, vous pourrez me retrouver sur la convention « Virtual Market » ou, plus spécifiquement sur la conv « Y-books » organisée par l'équipe de la Y-con. La première est organisée par et pour les exposants, vous y retrouverez un peu de tout et plein de gens sympa, là ou la seconde est vraiment orientée homo-romance et homoérotisme (avec des gens cools aussi). Dans les deux cas, ça se passera essentiellement sur discord.
J'aurai fini ma formation la veille seulement, avec passage de jury, donc je n'aurai pas de nouveautés à proposer faute de temps, mais vous retrouverez mes différentes BD, des illustrations de Bras de fer et de mes projets persos, et je pourrai faire des commissions ! Si j'ai le courage, je ferai un peu de dessin en stream en papotant avec vous, mais ça sera « à la cool ». Si vous avez envie de vous exprimer à propos de ce chapitre, ce sera l'occasion idéale !
Bref, assez de mystère et de blabla, je vous laisse découvrir la suite !
Bonne lecture !
Chapitre 65 : Chaud et froid - 2 (Roy)
Cette journée avait été horrible d'un bout à l'autre. Elle avait commencé par l'humiliation cuisante d'avoir préparé une descente à l'usine JEB sans pouvoir mettre mes menaces à exécution. Le mandat d'arrêt que j'avais eu tant de peine à obtenir avait disparu. Je me revoyais le mettre dans la poche de mon manteau la veille, mais entre temps, j'avais eu le temps de le perdre mille fois.
Ou de me le faire voler.
Quand et par qui, je n'en savais rien, mais je ne pouvais pas m'empêcher de prendre cette idée au sérieux, peut-être parce que l'idée d'avoir égaré un document de cette importance m'était insupportable. Entre ma traversée du QG, mon trajet dans le trolley et ma soirée au Bigarré, il y avait eu mille occasions. J'avais été trop négligent et je me haïssais pour ça.
L'après-midi avait été pire encore. Edelyn avait finalement été retrouvée, et en l'apprenant, j'avais quitté le bureau en catastrophe. Je n'avais jamais vu l'adolescente en face, je n'avais croisé son regard qu'à travers les clichés des photos du Lys d'Or, mais en découvrant son corps désarticulé, mutilé, brisé de douleur, je m'étais senti percé de part en part. Ils l'avaient longuement torturée avant de la tuer, ils l'avaient même marquée au fer rouge, comme pour signer son appartenance à Harfang jusque dans la mort. Non seulement je n'avais pas su faire les choix qui l'auraient sauvée, mais en plus elle avait atrocement souffert avant de rendre l'âme.
Par ma faute.
Je me haïssais. La présence d'Havoc, venu identifier le corps et incapable de dissimuler à quel point il était bouleversé n'arrangeait rien. Je n'arrivais pas à le regarder en face. Je les avais trahis l'une et l'autre. Le militaire était prêt à tuer et mourir sous mes ordres, mais il ne pouvait pas accepter que cette gamine à qui il avait donné de l'espoir, qui nous avait aidés, puisse avoir fini dans une déchetterie au nord de la ville, défigurée par la douleur.
Il ne pouvait pas accepter mon échec. Ma trahison.
J'étais revenu au QG sonné, vidé par ce sentiment de me débattre dans une toile sans parvenir à avancer, sans faire autre chose que d'entraîner les autres dans ma chute. Le pire était que, quels que soient les coups durs de l'enquête, officiellement, ma priorité était toujours de traiter les dossiers du Front de l'Est et de gérer les unités sous ma responsabilité. Peu importait ce que j'avais affronté aujourd'hui, je devais encore consulter les dossiers, signer les comptes rendus, les rapports, les autorisations, transmettre ce qui devait l'être, et gérer tout un tas de choses qui n'auraient pas pu me paraître plus vaines qu'en cet instant.
Il n'y avait qu'une chose qui parvenait à m'empêcher d'être totalement désespéré : la perspective de retrouver Angie ce soir.
À l'approche de l'heure du rendez-vous, je remballai mes dossiers, fébrile, coupable et soulagé de fuir ce travail qui me pesait chaque jour un peu plus, puis fermai derrière moi. Je partais rarement aussi tôt, et je me sentis mal à l'aise à l'idée qu'on le remarque. Je voulais juste une escapade, un moment de liberté, est-ce que c'était trop demander ?
Je ne croisai personne qui aurait pu me juger et sortis du QG en ouvrant mon parapluie avant d'arriver sur la grande place dépeuplée par le mauvais temps. La nuit terne était déjà tombée et les nuages amoncelés reflétaient la lumière rose sale des lumières de la ville arrosée de neige fondue depuis le début de l'après midi. Sur l'immense place centrale étaient plantés la statue imposante d'un Général sur un cheval cabré, des réverbères dressés sur l'esplanade trop vide et une petite silhouette avec un manteau beige et un béret rouge qui venait à ma rencontre.
Je reconnus instantanément Angie et poussai un petit soupir de soulagement. Si je m'étais laissé aller à mes émotions, je l'aurais happée dans mes bras et serrée longuement contre moi pour me réchauffer de sa présence solaire. Je n'allais pas le faire, je ne pouvais pas me le permettre, mais à sentir mon coeur battre la chamade en la voyant approcher en souriant, emmitouflée dans son vieux manteau, le béret de travers, les collants éclaboussés de boue, je sus que j'étais fou amoureux.
J'étais définitivement fichu.
- Désolé de t'avoir fait attendre, il fait un temps de chien en plus, fis-je en tendant le parapluie pour qu'elle se réfugie dessous.
- Ne t'excuse pas, je viens d'arriver ! corrigea-t-elle. En plus c'est toi qui me rends service, je ne vais quand même pas râler.
J'avais envie d'envelopper ses épaules de mon bras, mais je me retins. J'avais déjà usé de prétextes pour la tenir près de moi, mais à la longue, cela ne faisait que me frustrer davantage. Gardant une distance respectueuse, je la guidai dans la rue où j'avais garé ma voiture, lui ouvris la porte pour qu'elle puisse s'y faufiler avant d'entrer à mon tour, bataillant avec le parapluie.
- Quel temps de chien, grommelai-je en mettant le contact. Cette journée est vraiment abominable.
- Désolé, tu aurais sans doute préféré rentrer chez toi.
- Ne t'inquiète pas pour ça, ça me fait plaisir de t'aider. Je crois que c'est la première fois de la journée que j'ai l'impression de faire quelque chose d'utile.
- À ce point ? Les choses se passent mal ?
Je passai la main sur mon visage, regrettant déjà d'avoir laissé échapper ces mots. Je pensais à l'usine JEB, à Harfang, au cadavre massacré d'Edelyn, et une seule pensée me vint : je ne pouvais pas lui parler de tout ça. Angie appartenait au monde du spectacle, à la scène, aux chants et aux rires, pas aux enquêtes morbides ni aux jeux de pouvoirs malsains.
- L'enquête ne se passe pas comme je l'espérais et j'ai beaucoup de responsabilités à côté, donc c'est assez usant. Mais bon, c'est mon travail, tempérai-je. Et je finirai bien par trouver une piste solide.
En prononçant ces mots, je sentis que j'avais du mal à les croire moi-même, mais je choisis d'oublier tout ça quelques instants.
- Et toi, quoi de neuf au Bigarré ?
- Une dispute plutôt explosive entre Wilhelm et Andy. On avait beau m'avoir prévenue, j'ai été surprise de voir à quel point il pouvaient être violents l'un envers l'autre, alors que d'habitude ils sont adorables. Enfin, adorables…. Wilhelm ne parle jamais et Andy passe sa vie à faire des farces, mais ils sont quand même gentils à leur manière.
- Des farces comme te faire boire alors que tu allais monter sur scène ?
- Ah, ça… c'est à cause de ça qu'ils se sont mis à s'engueuler… J'étais au milieu, j'ai pas compris ce qui me tombait dessus. Après Mel a passé un sacré savon, à Andy et à Natacha aussi.
- C'était mérité.
- J'avoue, je leur en voulais. Ils se sont rendu compte après coup que c'était vraiment stupide, mais je crois qu'ils ont tellement l'habitude de suivre leurs lubies qu'ils en perdent un peu le sens de la mesure. Enfin, ils ne sont pas près de recommencer.
- Tant mieux.
- J'étais si ridicule que ça ?
Je me retins de rire.
- Hé, ça veut dire oui, c'est ça ?
- Je ne dirai pas ridicule, mais…
- Mais quoi ?
Je secouai la tête, sans cesser de sourire, faute de savoir quel adjectif utiliser qu'elle ne prendrait pas mal et qui ne me mettrait pas moi-même dans l'embarras. Je repensai au geste maladroit qu'elle avait eu en rejetant ses cheveux en arrière, la manière dont il m'avait troublé, et l'impulsion de tendresse mêlée de désir qu'avait provoqué son lâcher prise. Je ne pouvais décemment pas dire ça.
- Mais quoi ? insista-t-elle. Tu en as trop dit ou pas assez !
- … Amusante, lâchai-je finalement.
- Amusante ?! C'est pas mieux que ridicule !
- Je ne suis pas d'accord, c'est beaucoup plus affectueux.
- Mouais… je ne suis pas sûre de voir la nuance, grommela-t-elle.
Nous approchions d'un passage à niveau et je freinai en voyant les barrières se baisser et la lumière clignoter.
- Et pour ce soir, ce n'est pas gênant que tu ne travailles pas ?
- Les autres m'ont dit que ça irait, le jeudi est assez tranquille, comme c'est des concerts d'invités suivis d'un boeuf, on n'a pas à s'occuper du spectacle, on peut se permettre d'être moins nombreux. Et puis, je ne suis pas indispensable comme Mel ou Neil…
La cloche sonnait, avertissant de l'arrivée d'un train, à peine audible derrière le crépitement de la pluie sur le pare-brise. Je poussai un soupir en voyant approcher le convoi.
- Ah, mince, un train de marchandises, commenta Angie. C'est les pires, ils roulent à deux à l'heure...
- C'est bien notre veine, soupirai-je en m'accoudant au volant avec un soupir, me préparant à laisser passer les wagons. On risque d'arriver tard chez tes hôtes.
- Je suis désolée, tu aurais sûrement préféré passer la soirée ailleurs.
- Arrête de dire ça, fis-je d'un ton agacé, tu sais bien que je suis content de passer du temps avec toi.
La voyant rougir, je réalisai mon excès d'honnêteté qui m'embarrassa à mon tour. Je détournai les yeux et regardai le serpent mécanique qui semblait se perdre dans l'infini. Les roues claquaient bruyamment sur les rails à un rythme lent, comme un battement de coeur titanesque, et la lumière des lampadaires nous parvenait par à-coups entre deux wagons.
J'étais heureux de passer du temps à ses côtés, plus que ce que j'avais le droit d'admettre, et à coup sûr, plus que ce que je ne le méritais. Allais-je le payer, d'une manière ou d'une autre ? Je ne voulais pas y penser.
- Il est tellement lent, ce train, soupirai-je pour détourner mes réflexions ce cette idée.
- Oui et il a l'air interminable aussi.
- C'est pas rare que ce genre de train fasse une cinquantaine de wagons.
- Cinquante ?! Hé bien, on n'est pas rendu.
- Tu en vois le bout ?
- Pas du tout !
Je sentis sa main s'appuyer sur le dossier de mon fauteuil et mon coeur dérapa quand je réalisai qu'elle s'était redressée pour regarder l'arrière du train qui nous avait coincés là. Je percevais sa présence comme si je la voyais, je savais que si je tournai la tête, je serai nez à nez avec elle. En sentant mes mains trembler sur le volant, je ne savais plus si c'était à cause du passage des lourds wagons chargés de marchandises, ou parce que cette idée me mettait dans tous mes états.
- Je crois qu'on est coincés pour un moment, fis-je d'un ton neutre, avant d'oser tourner la tête.
Comme je m'en doutais, elle était penchée vers moi, son visage me surplombant, à quelques centimètres seulement. En réalisant à quel point nous étions proches, elle s'empourpra. Mais elle ne s'écarta pas, elle ne détourna pas le regard.
Dans un silence que ni le souffle des wagons, ni le crépitement de la pluie ne pouvait couvrir, mes yeux aimantés par les siens, je vécus un instant d'éternité.
Il n'y avait plus de moyen de feindre l'ignorance, plus de remarques taquines pour nous remettre à distance, personne pour faire irruption dans la pièce et nous pousser à nous écarter précipitamment. Nous étions seuls dans une bulle au milieu de cet univers bruyant, sombre et inhospitalier, dans un instant refuge où il n'y avait plus que ces yeux dorés dont j'étais devenu fou et ces lèvres qui effleuraient les miennes, vacillant à la limite de ce dangereux précipice dont nous avions timidement dessiné les contours, jour après jour.
Finalement, elle se pencha sur moi, m'électrisant d'un baiser que je n'avais pas osé imaginer et que je voulais depuis trop longtemps. J'avais tenté, renoncé, espéré de nouveau, et en sentant ses lèvres fondre contre les miennes, en la sentant lâcher prise, je me sentis vibrer tout entier d'un coeur qui battait trop vite, trop fort, d'une explosion de sensations que je pensais ne plus jamais vivre.
J'avais dix-sept ans de nouveau.
Je levai une main tremblante pour effleurer son cou, glisser mes doigts dans ses cheveux. Son souffle chatouillait mon visage entre deux baisers, je la sentais frémir à mon contact, et j'étais enivré de sa présence, de sa douceur, de me dire que cette fois, je ne pouvais pas avoir rêvé, que le désir que j'avais cru lire dans son regard était bien réel, que j'en avais la preuve.
Ce train pouvait bien être infini, je n'en avais plus rien à faire. Je ne voulais pas que ça s'arrête. Nos lèvres s'écartaient, se happaient de nouveau à gestes maladroits, nos respirations troublées étaient couvertes par le crépitement de la pluie et le souffle lourd des wagons qui traversaient sans hâte. La lumière des réverbères filtrait par intermittence derrière mes paupières closes. Je m'enhardis et sentis ses lèvres s'ouvrir, ses mains glisser le long de ma nuque, ébouriffant mes cheveux, me mettant en feu avec une galoche comme je n'en avais pas eue depuis des années.
Quand nous nous écartâmes enfin, j'avais le souffle court et je rougissais comme un adolescent. Je me sentais vidé de mon énergie, épuisé, mais ivre de bonheur.
Puis j'ouvris les yeux, et en la voyant, j'eus l'impression qu'on m'arrachait les entrailles.
Essoufflée, rouge, ébouriffée, elle avait la bouche entrouverte, tremblante, les yeux embués de larmes, et une expression bouleversée qui assassina toute la joie que j'avais ressentie. Sa poitrine se soulevait au rythme d'une respiration trop rapide, comme si elle était au bord d'une crise de panique.
Ce n'était pas l'expression de quelqu'un qu'on venait d'embrasser.
J'aurais voulu demander avec un rire gêné si j'étais si mauvais que ça pour qu'elle me regarde avec cette expression horrifiée, mais je n'y arrivais pas. J'avais déjà trop mal.
- Je… je suis désolée, bredouilla-t-elle d'une voix nouée. On peut pas… j'aurais jamais dû… Je suis tellement désolée…
Chaque mot s'enfonçait comme un pieu, et j'avais mal, physiquement mal. Je me sentis couler dans un puits de désespoir incompréhensible. Ses mots contredisaient ses lèvres, son corps tout entier. Je sentais encore sa bouche, ses doigts sur ma peau, son baiser, ses caresses, et elle me repoussait maintenant ? Pourquoi m'offrir ce baiser si c'était pour me rejeter en pleine mer juste après ?
Le crépitement de la pluie qui redoublait couvrait jusqu'au bruit de mes pensées. Je ne remarquai même pas que les barrières s'étaient relevées. Je n'arrivais pas à respirer, me sentant couler dans une noirceur infinie. Je ne pouvais plus la regarder en face, trop humilié, désespéré, perdu. Je ne comprenais pas. Pourquoi me faire subir ça ?
Alors que je me sentais m'enfoncer dans la consternation, cherchant comment ne pas perdre pied devant la personne qui m'y avait plongée, je sentis une autre émotion naître.
La colère.
Presque malgré moi, mon visage se ferma, mes yeux se plissèrent. J'étais envahi par la conscience que c'était injuste, cruel. Elle n'avait pas la droit de me balader comme ça. Elle n'avait pas le droit de me donner de l'espoir pour le piétiner juste après, encore et encore. Elle se foutait de moi, je ne voyais pas d'autre explication. Je la regardai dans les yeux, et y vis, en plus d'une tristesse à laquelle je ne croyais plus, un éclat de peur. Cette pensée me fit mal, mais ma douleur était muselée par une profonde rage qui se rassemblait lentement, gonflant comme une vague prenant son élan loin des rives pour s'y abattre avec d'autant plus de violence.
- Je suis désolée…
J'avais envie de lui hurler dessus. De la frapper, de la haïr aussi fort que je pouvais l'aimer. J'avais envie de rejeter sur elle toute la douleur que ses atermoiements m'avaient fait subir. Mes mains tremblaient sur le volant, mes mâchoires étaient serrées à m'en faire mal et toute mon énergie passait à juguler cette fureur, à me retenir d'exploser.
- Sors.
Un seul mot que j'avais lâché comme un couperet. Je ne savais pas si j'aurais été capable de me contenir si j'avais fait une phrase complète. Même là, il restait une part de moi qui ne voulait pas lui faire de mal.
Elle se pencha pour attraper son sac et ouvrit la portière comme on fuirait un incendie, bredouillant des excuses que je n'entendais même pas. Je voyais les larmes inonder ses joues mais ça me laissait indifférent. Je ne voulais pas la voir une seconde de plus. Je ne pouvais plus supporter sa présence.
La portière claqua, rabattant un rideau de pluie sur sa silhouette. Je me sentais trembler violemment, les mains crispées sur le volant, réalisant à quel point j'étais à bout.
Je n'arrivais pas à croire que tout ça venait réellement d'arriver. J'étais terrassé par des émotions trop violentes pour moi, peinant à réaliser que les choses avaient basculé de manière aussi brutale, incapable de percevoir ce que je ressentais réellement.
Ce n'est que quand quelqu'un klaxonna que je me rappelai que j'étais au milieu de la route, bloquant la circulation.
J'étais rentré à mon appartement, claquant la porte derrière moi, chargé d'une rage qui ne voulait pas diminuer. Mon premier réflexe après avoir jeté mon manteau par terre fut de me servir un généreux verre de whisky que je bus d'une traite, puis de me resservir en arpentant la pièce à grands pas.
Je n'arrivais pas à croire qu'elle avait fait ça. Comment pouvait-elle se moquer de moi à ce point ? J'avais envie de la tuer. Et me sentir aussi furieux m'agaçait d'autant plus que je détestais perdre le contrôle de mes émotions de la sorte. J'aurais dû m'en foutre, ça n'en valait pas la peine.
Décidément, aimer n'est rien d'autre qu'une faiblesse, pensai-je en descendant mon verre sans même en sentir le goût. Enfin, au moins, ça règle la question, je ne suis pas près de la revoir après ça…
Il fallait que je me passe les nerfs, d'une manière ou d'une autre. L'espace d'un instant, je songeai à retourner au QG pour une séance de tir défouloir, mais les locaux n'allaient pas tarder à fermer, et je savais qu'avec des mains tremblantes de rage, je ne ferais rien de satisfaisant. Puis je repensai à Heather qui m'avait laissé son numéro, et, poussé par une soudaine impulsion, décidai de l'appeler pour la retrouver. Elle avait manifesté son intérêt envers moi, elle n'était pas dupe et n'espérait rien de sérieux de ma part. Une partie de jambes en l'air sans complications, un peu vengeresse, m'aiderait-elle à penser à autre chose ?
C'était sans doute détestable de ma part, mais j'avais l'habitude d'être détesté.
Je m'approchai du téléphone en fouillant mon portefeuille pour retrouver sa carte de visite, et m'apprêtai à composer le numéro quand le téléphone sonna. Surpris, je décrochai immédiatement.
- Allô ?
- Général ? s'exclama Hawkeye. Enfin j'arrive à vous avoir !
Son ton agacé me fit comprendre qu'il se passait quelque chose de grave. La pensée qu'il puisse être arrivé quelque chose de grave à Edward me sauta à la gorge, ajoutant l'angoisse à une pile déjà trop importante de sentiments négatifs.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Une fusillade en cours place Bearn, au 4. Je m'apprêtais à quitter les bureaux quand j'ai eu l'appel de la Gendarmerie. On se prépare à y aller.
- On ?
- Je suis avec Hayles.
- Je vous retrouve directement là-bas ?
- Oui.
Je raccrochai sans attendre davantage et repartis à pas vifs, ramassant mon manteau trempé pour l'enfiler avec une grimace avant de refermer la porte et cavaler dans les escaliers. Cette journée était vraiment désespérante.
Poussant la porte donnant sur la cour noyée de pluie, je soupirai avec agacement avant de la traverser en courant pour retourner à ma voiture. En me rasseyant sur le siège, le souvenir d'Angie me sauta au visage. Je le chassai rageusement, conscient que la fusillade en cours était nettement plus importante que mes états d'âme ridicules, et démarrai le moteur avant de sortir en tournant le volant à gestes rageurs. Trop brusque, je sentis la voiture buter violemment dans un affreux bruit de tôle froissée. Dans un moment d'inattention, j'avais embouti le pilier du porche. Je reculai en jurant, avançai de nouveau et sortis, remarquant une spectaculaire trace de peinture noire le long de l'arrête de pierre.
- Le genre de journée où tu regrettes d'être en vie, pestai-je en m'engageant dans la rue déserte.
Je constatai vite que mon phare gauche ne fonctionnait plus mais décidai de m'en foutre. D'abord la voiture piégée, ensuite la mort d'Edelyn, enfin, une fusillade en plein centre-ville… Amestris n'était pas un pays en paix, mais de tels conflits au beau milieu de la capitale, ce n'était pas normal. Et c'était grave. Pour autant, j'avais du mal à retrouver la tête froide, et je conduisais sans la moindre délicatesse.
Après avoir frôlé l'accident au moins trois fois, j'arrivai au carrefour où la gendarmerie avait tiré un cordon de sécurité et me garai en faisant crisser les freins, m'attirant les regards courroucés des gendarmes. Je sortis en tanguant sous le vent chargé de pluie glacée, m'accoudant au toit avant de refermer ma voiture en claquant la portière sans douceur, découvrant l'étendue des dégâts. Le phare gauche était en miettes, la tôle tordue et striée de rayures. De quoi faire hurler un carrossier.
Je m'éloignai du véhicule, faisant le gros dos sous les intempéries qui ne tarderaient pas à me tremper jusqu'à l'os. En me voyant arriver, les gendarmes s'assemblèrent d'un air vaguement inquiet, comme pour faire front contre moi. Je devais avoir une tête à faire peur pour qu'ils me regardent comme ça. Derrière eux, des civils réfugiés sous un porche, de jeunes gens emmitouflés à la hâte, des vieillards, des familles avec les gamins en train de grommeler dans le froid hivernal, et une mère en train de bercer son nourrisson pour le rassurer. L'angoisse était palpable.
- Général de Brigade Mustang, annonçai-je froidement en sortant ma montre de ma poche avant de passer le cordon de sécurité. J'ai été prévenu pour la fusillade. Est-ce que le Lieutenant Hawkeye et le Sergent Hayles sont arrivés ?
Les gendarmes s'entre-regardèrent, hésitants.
- Deux femme militaires, une grande blonde aux regard intimidant et une petite brune ?
Ils secouèrent négativement la tête et je soupirai.
- Faites-moi un rapport.
- On a été appelés pour des coups de feu place Bearn, dans un magasin de spiritueux. Une demi-douzaine, apparemment, et un incendie s'est déclaré au même endroit, probablement d'origine criminelle. La personne vivant au dessus à parlé de bruits de lutte, mais après les coups de feu, ce qui nous a paru étrange. Le bâtiment brûle comme une torchère, impossible d'entrer sur la zone de crime pour le moment, tout ce qu'on a pu faire, c'est organiser une évacuation d'urgence en attendant l'arrivée des pompiers.
- Tout le monde est dehors ?
- À part ceux qui étaient dans le magasin, oui… Heureusement, le foyer de l'incendie est parti du mur opposé à la cage d'escalier.
- On était en train de préparer les déposition des témoins et d'aider les habitants de l'immeuble à se reloger…
- Très bien, continuez à faire ça, et donnez moi un carnet et de quoi écrire.
J'avais parlé d'un ton sec, condescendant sans doute, mais ils n'osèrent pas désobéir. Le gendarme le plus proche me tendit son carnet, et je l'attrapai en passant à côté de lui. Dans ce cas précis, mon alchimie de Flamme était inutile, mais mes connaissances ne se limitaient pas à ça. Je me sentis chanceler sous un vent plus fort que je l'aurais cru. Je pensai qu'Angie s'était retrouvée à devoir rentrer à pied sous cette pluie battante, avant que mon esprit se ferme aussi sèchement qu'un piège à loup. Ce n'était pas le moment.
Je levai les yeux pour étudier les dégâts. La façade coffrée de bois brûlait allègrement, et le vent qui s'engouffrait dans les vitres cassées par les tirs l'entretenait. Malgré la pluie et le froid, les flammes s'étaient étendues et léchaient le premier étage. Les bâtiments anciens étaient les plus dangereux, et un magasin rempli d'alcool ne pouvait qu'empirer les choses. Je faisais face à un brasier qui menaçait l'édifice et des preuves qui permettraient d'en savoir plus sur ces éléments.
Quand je ne pus m'approcher davantage sans même mettre en danger, je m'agenouillai dans la neige et débouchai le stylo en coinçant le bouchon entre mes dents pour dessiner un cercle de transmutation d'une main tremblante, le carnet tâché d'eau en équilibre sur mon genou gauche. Je claquai ma transmutation, maladroitement dessinée mais suffisamment simple pour rester fonctionnelle, et l'éclair bleu de l'alchimie fendit l'air, s'engouffrant à travers les grilles et les vitres brisées pour illuminer le magasin d'un nouvel éclat.
Puis tout s'éteignit, laissant l'échoppe plongée dans des ténèbres enfumées. J'entendis derrière moi des exclamations impressionnées des hommes derrière moi, des applaudissements, même. J'arrachai la page, laissant le papier s'envoler, et traçai un nouveau cercle de transmutation en m'appuyant contre le rideau de fer pour pouvoir le relever, forcer la serrure d'un coup d'alchimie et entrer dans la pièce, poussant la porte qui s'ouvrit sur un mur de fumée brûlante.
Je vais m'empoisonner si je ne fais rien, pensai-je traçant un nouveau cercle contre le chambranle pour restaurer un taux d'oxygène vivable. Je pus étudier les lieux à la lueur des réverbères qui projetait une lumière grillagée sur la boutique… ou ce qu'il en restait.
Où que je pose les yeux, tout était carbonisé, tellement assombri de suie que je peinais à en distinguer les contours. Je me retournai vers les militaires, fourrant le carnet gondolé d'humidité dans les mains du premier venu et demandant d'un ton sec.
- Passez-moi une lampe.
Ils obéirent avec un empressement obséquieux, et je retournai à la porte.
- Ne me suivez pas, le bâtiment est fragilisé et pourrait s'effondrer. J'en assume seul la responsabilité.
Cet avertissement fait, je pris une grande inspiration et posai un pied précautionneux sur le sol pour traverser. Il fallait être prudent, ce genre de magasin avait souvent des sous-sols. Si c'était une crypte de pierre à l'ancienne, je ne risquais pas grand-chose, mais si la structure était en bois… Le sol ne céda pas sous mes pas et je m'autorisai progressivement à prendre confiance et traverser la pièce effacée par les ténèbres et la suie. Je balançai la lampe de part et d'autre pour découvrir les lieux. Il y avait des traces de lutte, Les vitres avaient été brisées sous les balles, la boutique toute entière était sens dessus dessous. J'entrevis deux silhouettes inanimées, l'une au sol, l'autre effondrée sur le comptoir. Elles ressemblaient plus à des sculptures de charbon décharnées qu'à des hommes. Leur mort ne laissait aucun doute. Je serrai les dents, cette vue me rappelant trop de souvenirs. Je haïssais cette journée. Déglutissant, je tâchai de me rappeler de la raison pour laquelle j'étais venu ici. Comprendre.
Les bouteilles avaient été jetées des étagères, explosant en éclats et inondant le parquet qui avait dû prendre feu en un claquement de doigts. Étant donné la disposition des corps, je doutais que le feu soit la cause de leur mort. S'ils avaient été en état, ils se seraient approchés des portes et auraient cherché à sortir d'une manière d'une autre.
En éclairant les murs et ce qui restait des étagères, je secouai la tête. Certes, certaines avaient explosé sous l'effet de la chaleur, mais il ne restait presque aucune bouteille à portée de main. Aucune bagarre n'aurait pu toutes les faire tomber de deux mètres de haut. C'était volontaire. Efficace, si le but était de faire disparaître des preuves. Cela voulait dire qu'il y avait quelque chose à trouver ici. Je me demandai encore quoi quand j'entendis un cri de douleur à l'autre bout de la pièce.
- Bordel, sifflai-je entre mes dents, comprenant qu'il y avait un rescapé.
Poussant la porte entrouverte de l'arrière boutique, je découvris une silhouette noircie par les flammes, prostrée contre la porte massive de l'entrée de service, tremblant et gémissant de douleur. Il était gravement brûlé, son visage était défiguré de marbrures allant du rouge au noir, ses mains avaient cloqué et noirci. Il avait dû respirer de la fumée aussi, même s'il était resté conscient. Je m'agenouillai à côté de l'homme, le regard sombre. La lampe éclaira un instant la porte qui avait été couverte de griffures.. Dans son état, je ne donnais pas cher de sa peau, mais étant donné l'hypothèse que j'avais commencé à construire, je n'allais pas pleurer pour lui.
- J'ai mal, aidez-moiiii, sanglota-t-il.
- Que s'est-il passé ?
- J'ai… j'ai été piégé, fit-il d'une voix rauque en levant les mains pour protéger sa tête, révélant ses doigts boursouflés par les brûlures.
Mes yeux tombèrent sur sa bague, que je reconnus immédiatement, et je sentis une colère froide effacer le concept même d'empathie de mon esprit.
Il portait une chevalière en argent, ornée d'une chouette émaillée.
Enfin…
- Je ne vous avais pas reconnu… monsieur l'ambassadeur.
L'homme prit peur en entendant ma voix doucereuse et tenta de reculer, se cognant en vain. Je l'attrapai par la gorge, l'immobilisant contre la porte, lui arrachant un hurlement de douleur en écrasant sa chair consumée.
- Tu vas me dire tout ce que tu sais sur Harfang ou je t'arrache la peau, fis-je froidement en braquant la lampe sur son visage, révélant la panique qui brillait dans ses yeux.
Jamais je n'aurais dû dire ça, mais à cet instant, j'en étais capable. Même s'il devait souffrir le martyre, ça ne serait rien à côté de ce qu'avait subi Edelyn. Je le relâchai d'un geste lent pour qu'il puisse parler, dire la vérité sur les deux corps que j'avais trouvé quelques mètres plus loin.
- Pourquoi tu les a tués ?
- Je ne les ai pas tu…
Je lui envoyai une gifle du revers de la main qui le jeta à terre, le faisant hurler de douleur. Je ne supportais pas qu'il me prenne pour un con. Pétri de rage, je me relevai, donnant un coup de pied dans son corps tremblant, le jetant contre des cartons contenant des bouteilles qui tintèrent sous le choc, puis fis les trois pas qui manquaient pour le rejoindre et me penchai pour lui faire les poches, trouvant sans surprise un pistolet que je lui montrai avant de le jeter un peu plus loin. Je l'attrapai par les cheveux, pour le forcer à me regarder, sentant des mèches entières céder sous mes doigts tandis qu'il criait et se débattait. Cette fois-ci, ce fut mon visage que j'éclairai.
- Regarde-moi. J'ai l'air de plaisanter ?
Je braquai de nouveau la lumière vers lui, voyant son visage ravagé par les brûlures et la douleur sans parvenir à ressentir autre chose qu'un vague dégoût. Ce n'était pas le premier grand brûlé que je voyais et ça ne serait sans doute pas le dernier.
- Dernière chance.
- On m'a ordonné de les tuer, avoua-t-il.
- Pourquoi ?
-Ils n'obéissaient pas à mon chef. On les soupçonnait d'être passés à l'ennemi.
- Quel ennemi ?
- Je ne sais pas.
Ma prise se raffermit, lui faisant sentir que j'étais prêt à lui cogner la tête au sol. J'avais terriblement besoin d'un exutoire, s'il me laissait l'occasion de la laisser exploser, je ne m'en priverais pas.
- Je ne sais vraiment pas ! Je vous jure ! supplia-t-il. Harfang ne dit jamais tout à tout le monde, il sait que c'est comme ça qu'il peut garder ses secrets. Je n'étais pas responsable de ça à l'origine. Même moi, je ne sais pas quelle est son identité !
-Quelles étaient tes responsabilités ?
- Je travaillais pour les bordels et JEB.
Lui tordant le bras, je me fis violence pour ne pas lui demander plus de détails sur les maisons de passe. S'il me répondait qu'il s'occupait du Lys d'Or, si j'apprenais qu'il était directement responsable ce que qui était arrivé à Edelyn, je ne résisterais pas à la tentation de lui briser les os un à un. Mais Hugues m'avait parlé de la quantité d'armes JEB stockées dans le Nord et c'était sans doute plus préoccupant encore… Si furieux que je sois, la sécurité du pays passait avant la vengeance.
- Que sais-tu sur l'usine ?
- Elle… Elle trav-vaille pour lui. Il réc-cupère des-s-armes et les revend… aux op-posants. Il sait… que l'armée enquête s-sur lui.
Je le sentais trembler, de peur, de douleur, tandis qu'il débitait ces mots en pantelant, sentant que sa vie en dépendait.
- Il a prévu une sortie… S-samedi pro…chain… Il y a… qu-quelque ch…se qu'il v-veut abs… absolument réc-cupérer.
Sa voix faiblissait, je le sentais qu'il était près de perdre conscience sous l'effet de la douleur, mais il y avait encore trop de choses à dire. A quel point était-ce important ? Était-ce lui qui avait tué Edelyn ? Comment savaient-ils autant de choses sur les avancements de l'enquête ?
- Il veut récupérer quoi ? Des armes ? Des livres de comptes ? De l'argent ? PARLE !
Il baissa les yeux, comme s'il refusait de répondre, comme s'il avait réalisé qu'il allait mourir de toute façon, et renonçait finalement à trahir son maître. Je lui pris le poignet, lui arrachant un cri de douleur, et plantai mes ongles dans sa peau ravagée, prêt à mettre ma menace à exécution pour le faire parler davantage, quand une main ferme m'agrippa par le col et me jeta en arrière, me forçant à le lâcher. Je me débattis, réalisant que d'autres m'avaient rejoint dans la pièce sans que je les entende arriver, et me pris une énorme gifle.
Je ne connaissais pas grand-monde qui se serait permis de faire ça. Sortant de ma fureur embrumée, je levai les yeux vers Hawkeye qui me regardait avec une colère non dissimulée.
- Qu'est-ce que vous foutez Général ?
- Un interrogatoire, crachai-je en sentant, sous la rage, le poison de la culpabilité.
- Ce n'était pas un interrogatoire, c'était un passage à tabac ! Vous avez de la chance qu'il n'y ait que nous deux qui en aient été témoins.
Je tournai la tête, et vis Hayles à ses côté, me regardant avec une expression choquée. Elle ne m'avait jamais vu ainsi, et je devinais à son regard qu'elle ne cesserait plus jamais d'avoir une pointe de peur en me voyant.
- N'aggravez pas les choses et ne touchez plus à rien. J'appelle les pompiers pour qu'ils évacuent le rescapé. Qui ne l'est pas grâce à vous, ajouta Hawkeye d'un ton froid. Hayles, voyez ce que vous pouvez faire pour le soulager en attendant. Ce que nous avons vu reste entre nous, souffla-t-elle avant de repartir.
Je déglutis, tremblant encore d'une fureur qui peinait à refluer, sentant un goût de sang dans la bouche. Hawkeye n'y était pas allé de main morte.
Je savais qu'elle avait raison. Je n'aurais jamais dû faire ça. Je me retrouvai à genoux au milieu de la pièce, écrasé par la prise de conscience croissante de la gravité de mes actes. J'avais bafoué je-ne-sais-combien de procédures. Je m'étais mis en danger et j'avais laissé ma colère dicter mes actes au lieu d'agir avec intelligence. Tout ça pour quoi ? Des aveux dont je n'avais pas besoin pour déterminer le cours des événements, et l'information très vague qu'Harfang comptait faire sortir quelque chose d'important de l'usine JEB dans deux jours.
- … Il s'est évanoui, souffla Hayles, la main posée sur le cou de l'homme qui gisait dans ses bras. Le pouls est faible.
Je sentis mon ventre me nouer.
- Vu la gravité de ses brûlures, je doute qu'il passe la nuit. J'ai déjà vu des cas comme ça pendant les grands incendie de l'Ouest, et…
Elle laissa sa phrase en suspens et je sentis toute sa détresse tandis que les pompiers arrivaient avec leur brancard pour évacuer l'ambassadeur.
- Veuillez sortir, nous devons estimer les dégâts de l'incendie et consolider le bâtiment afin d'éviter son effondrement.
Je hochai la tête et me laissai chasser de la scène de crime. Un pompier m'attrapa le bras en passant pour me demander.
- C'est vous qui avez éteint le feu par alchimie ?
Je hochai la tête.
- Bon travail, fit l'homme avant de me laisser repartir.
L'ironie de la situation me donna envie d'éclater en sanglots. Je ressortis sur la place criblée de neige fondue qui me gela jusqu'à l'os en quelques mètres seulement, pataugeant dans les flaques en titubant pour rejoindre la silhouette d'Hawkeye qui donnait des directives. Je réalisai à contrecoup à quel point j'étais épuisé, désespéré et… ivre.
- Je prends la direction des opérations à partir de maintenant.
Je ne pouvais pas lui donner tort.
- Je suis désolé.
- Ça ne sert à rien d'être désolé. Qu'est-ce qui vous a pris bon sang ? ! souffla-t-elle d'une voix basse mais indignée. Imaginez, si des civils avaient vu la scène, les dégâts que ça aurait fait ! On a eu des guerres civiles pour moins que ça.
- Je sais. Je suis inexcusable…
- En effet. Mais nous avons du travail.
Elle avait épilogué d'un ton sec, et je compris que si elle n'en avait pas fini avec moi, l'enquête passait avant ses remontrances. Je ne parvenais pas à m'en réjouir pour autant.
C'est en baissant la tête que j'entrai dans le bureau du Général de Division Lewis. La nuit m'avait laissé tout le temps de méditer sur mes erreurs de la veille. Une longue journée d'humiliations, entre la perte du précieux mandat, sur lequel je n'avais toujours pas remis la main, la découverte du corps d'Edelyn, et mon comportement inadmissible lors de l'ouverture d'enquête de l'incendie rue Bearn, pour lequel Hawkeye m'avait abreuvé de reproches sur tout le trajet du retour tandis qu'elle conduisait ma voiture désormais accidentée. Elle avait réalisé avant moi que j'étais ivre, m'avait fait mille et un reproches, et je ne pouvais en contredire aucun. J'avais parfaitement conscience d'avoir fait des erreurs. On ne passait pas à tabac un suspect gravement blessé pour lui extorquer des aveux, c'était illégal. Et ce n'était pas le genre de personne que je voulais être.
J'avais donc encaissé ses propos durs mais justes, et après une nuit particulièrement sombre, j'avais pris la décision qui s'imposait.
- Hé bien, pour quelle raison vouliez-vous me parler, Mustang ?
- Je souhaite me retirer de l'affaire.
Lewis ouvrit de grands yeux surpris, et se redressa pour désigner le siège devant moi, m'invitant à m'asseoir. J'obéis, m'installant et croisai les doigts dans une apparence de sérénité.
- Pouvez-vous m'en dire plus ?
- J'ai commis de graves erreurs hier, et l'enquête piétine depuis des jours… j'ai le sentiment de manquer de discernement sur cette affaire, elle… Elle a pris une tournure trop personnelle pour moi.
- À cause de la jeune fille retrouvée morte ?
- Entre autres, fis-je en baissant les yeux. Moi et mon équipe, nous avons trahi ses espoirs… Non, moi seul, mon équipe m'a fait confiance et a accepté de suivre mes ordres en pensant que je prenais la bonne décision.
- Vous aviez fait ce que vous avez jugé être le meilleur choix.
- Et je le regrette… Cette affaire est plus difficile que ce à quoi je m'attendais, et… pour être honnête, je ne suis pas sûr d'être capable d'y faire face.
- J'ai cru comprendre qu'elle remuait de mauvais souvenirs.
Je me crispai. Evidemment, Lewis connaissait bien Grumman. Ils avaient forcément abordé le sujet de l'affaire Hawton à un moment ou un autre… il savait, à propos d'Elle.
- … Plus le temps passe, plus mes envies de vengeance prennent le pas sur ma réflexion, et… je crains de commettre des erreurs irréparables.
- Mh, je vois, fit l'homme en effleurant pensivement les feuilles de la plante posée sur son bureau.
Il y eut un long silence pendant lequel je n'osais plus parler. Je m'étais déjà trop épanché, et avouer une telle faiblesse était déplacé de la part d'un Général. Je me sentais épuisé, usé, à bout de nerfs.
- Je comprends tout à fait les raisons qui vous poussent à venir me faire cette demande, d'autant plus que Grumman m'a expliqué ce qui vous est arrivé durant l'affaire Hawton. Vous avez des indices laissant penser que votre enquête actuelle y est liée, si on en croit l'explosion de la voiture de Walker, n'est-ce pas ? J'imagine que ça doit être assez lourd émotionnellement de travailler dessus, même si c'est vous qui m'avez demandé en premier lieu l'autorisation contre l'avis général. Si l'affaire devait être classée sans suite, peu de gens s'y opposeraient, donc ce n'est pas une demande irréalisable. Je ne vous empêcherai pas de cesser l'enquête, si vous le souhaitez réellement… mais il vous faut être conscient d'une chose.
Je relevai la tête, prêt à écouter ce qu'il avait à dire. Entendre son accord de principe me soulageait d'un poids, me faisant réaliser à quel point je suffoquais.
- Général de Brigade Mustang, vous avez l'audace d'enquêter sur une des entités de l'ombre les plus puissantes du pays. Tout ce que vous extrayez comme information à son sujet montre à quel point Harfang est craint et respecté. Vous avez le choix de vous retirer de cette enquête, mais vous devez être conscient d'une chose : personne d'autre ne prendra votre suite. Aucun de vos collègues haut gradés n'a pris ce risque jusqu'ici, il n'y a pas de raison pour que cela change.
Je fermai les yeux, m'immobilisant jusque dans ma respiration.
Je me sentais terrassé par cette simple idée.
Le coup était dur, mais je savais bien qu'il disait la vérité. Je n'étais pas le meilleur pour traquer Harfang. J'étais tout simplement le seul. Personne ne viendrait derrière moi pour muer mes échecs en réussite, personne ne résoudrait l'affaire si je ne le faisais pas. Même si je me sentais à bout, même si ce qui m'avait fait tenir ces derniers jours, la joie de côtoyer Angie, s'était évanoui, je n'avais pas d'autre choix que de continuer contre vents et marées, de subir, d'encaisser, d'échouer peut-être. C'était ça ou laisser gagner Harfang.
- Je suis désolé, je suis dur avec vous, soupira le Général en posant un regard empreint de compassion. Vous êtes encore un jeune homme, impétueux et idéaliste… peut-être que les responsabilités qui incombent à votre grade sont arrivées un peu trop tôt pour vous. Ce n'est pas sans raison que la plupart ne deviennent pas généraux avant quarante ans.
- J'étais sur le front dès mes dix-huit ans. Étais-je assez âgé pour avoir la responsabilité de donner la mort ?
Face à mon cynisme, Lewis posa sur moi un regard emprunt de tristesse, et je repris.
- Je n'ai pas attendu d'être Général pour porter mon fardeau. Mais cette discussion m'a éclairci les idées. Je ne sortirai pas plus confiant, mais je ne peux décemment pas laisser les agissements d'Harfang continuer en toute impunité. Il en va de la sécurité du pays et de ses citoyens.
- J'aime à vous l'entendre dire, hocha Lewis. Sachez que je vous protégerai autant que possible dans le cadre de cette enquête, si vous devez employer des moyens… peu orthodoxes. C'est le moins que je puisse faire.
- C'est déjà beaucoup d'avoir votre soutien sur cette affaire, répondis-je d'un ton un peu guindé.
- Je vais devoir prendre congé, une réunion m'attend.
- Je ne vous dérange pas plus longtemps.
En fermant la porte derrière moi, je poussai un profond soupir. Je n'arrivais pas à savoir si je me sentais mieux ou encore moins bien qu'en entrant dans la pièce.
J'avais donc, bon gré mal gré, continué à mener l'enquête autour d'Harfang, en serrant les dents. Craignant de m'effondrer, j'avais mené l'équipe avec rudesse, distribuant les ordres pour nous organiser autour de la seule piste solide que nous avions.
Hugues m'avait déjà informé que l'usine d'armement JEB était mêlée à l'affaire, et entre la disparition de mon mandat et les aveux que j'avais obtenus par la violence, tous les indices pointaient dans cette direction. L'ambassadeur, grièvement blessé, était mort dans la nuit sans que cela nous surprenne. Il était difficile de savoir dans quel mesure ma brutalité avait aggravé les dégâts, mais cette pensée me mettait du plomb dans l'estomac. J'étais incapable de me partager entre le dégoût envers moi-même et la conscience que si j'avais suivi la procédure, je n'aurais sans doute pas eu le temps de lui extorquer le peu d'informations qu'il m'avait livré avant sa mort.
Restaient ses aveux, que j'avais consignés par écrit aussitôt que je l'avais pu, et que j'avais ensuite ressassés, ainsi que son identité, retrouvée après une journée d'enquête. De son vrai nom, Geoffrey Lane, 39 ans, un homme sans histoires. Après avoir travaillé quelques années dans l'armée, il en avait quitté les rangs pour devenir un employé de banque tout ce qu'il y a de plus normal. Le genre de personne qui enfilait son costume le matin pour aller travailler, puis passait le plus gros de ses soirées à boire avec ses collègues ou des inconnus, et appelait sa famille de loin en loin. C'était un célibataire endurci, très investi dans son travail, apprécié par ses amis mais considéré par tous comme étant trop maladroit pour se mettre en couple…
Et c'était le même homme qui avait tué deux personnes avant de mettre le feu au bâtiment. Entre l'aveu et les balles retrouvées dans le corps qui coïncidaient avec l'arme qu'il possédait, il n'y avait aucun doute à avoir. Caroll, une des prostituées, l'avait d'ailleurs reconnu quand je lui avais montré d'anciennes photos de lui, me confirmant qu'il avait la responsabilité du Lys d'Or, et d'autres bordels, peut-être. Comment cet homme apparemment sans histoires s'était-il retrouvé être un agent haut placé de la mafia, je n'en avais strictement aucune idée. Pour l'instant, je n'avais pas assez de cartes en main pour le comprendre. J'espérais que fouiller dans sa vie passée me permettrait de remonter sa piste, mais c'était tout sauf une certitude.
Pour l'instant, il y avait plus urgent. Nous étions samedi, et si j'avais eu le temps et les moyens d'installer une surveillance armée autour des locaux de JEB, je n'avais pas pu mettre en place une stratégie plus développée. Comment donner des instructions selon différents scénarios quand je n'avais aucune idée de ce que Harfang voulait récupérer ? Je n'avais pas d'autre choix que de demander aux militaires de surveiller le moindre mouvement suspect hors de l'usine et de juger par moi-même au cas par cas.
Nous avions donc mis en place une garde permanente à l'usine, et je m'étais déplacé sur les lieux pour être au plus proche des événements. Je supervisais le tout dans un QG de fortune, installé à l'étage d'un café à proximité de l'usine que nous avions réquisitionné pour l'occasion. Fuery, avec son efficacité habituelle, avait investi les lieux, déployant un système de radio élaboré qui me permettait de rester en contact avec tous les agents de terrain placés aux différents points d'accès de l'usine. La liste des soldats réquisitionnés avait été dévoilée au dernier moment, ainsi que leur placement sur la carte pour minimiser les possibilités de les soudoyer ou les manipuler. Hawkeye s'était chargée de les placer pour faire des équipes d'une demi douzaine ou plus qui éclusaient soigneusement les entrées et sorties, faisant ouvrir les camions, demandant les factures et contrats de livraison à chaque fois. Un travail répétitif et mortellement ennuyeux, qui n'avait d'égal que d'entendre les comptes rendus s'égrener au fil de la journée.
Je poussai un long soupir, me passant les mains sur le visage. Cela faisait des heures que nous étions sur le pont, et je pressentais qu'il ne se passerait rien avant la soirée, et cette attente me minait par anticipation. Il y avait tant à faire, et j'étais tellement bloqué à l'heure actuelle. L'incendie de la place Bearn et la mort de Geoffrey Lane m'ouvrirait peut-être d'autres pistes, mais les informations tardaient à arriver, et en attendant, JEB restait la seule piste un tant soit peu concrète. J'espérais vraiment que cette fois, je n'allais pas aboutir à un cul-de-sac. Je me sentais épuisé, et depuis l'autre soir, je ne pouvais plus envisager de retourner au Bigarré me changer les idées. Ce lieu qui était devenu mon refuge, je ne m'y sentais plus bienvenu.
J'avais toujours eu une relation ambiguë avec Angie, ayant enchaîné les quiproquos dès nos premières rencontres mais là, je ne savais même pas comment j'aurais pu la regarder en face de nouveau… j'avais les tripes en vrac rien qu'à cette idée. Je ne voulais plus y penser. Si lumineuse, belle et drôle qu'elle puisse être à première vue, elle était trop incompréhensible pour moi, et avec la charge de travail et les dangers que j'affrontais, mieux valait ne pas insister. Je me sentais même coupable de m'être laissé aller à rechercher sa présence alors que je savais qu'il n'en ressortirait rien de bon, sous le prétexte d'une relation "purement amicale".
Quelle belle blague.
J'aurai dû en rester à mon premier refus et et ne pas chercher à la revoir, ça nous aurait fait gagner du temps à tous les deux. Tout particulièrement en ce moment où je ne pouvais pas le permettre de laisser distraire par des histoires de coeur. Je m'y étais trop attaché et je savais que ce n'était jamais une bonne chose, ni pour les autres, ni pour moi.
Refusant de penser à son regard, à ses larmes, à la noirceur de notre dernier échange, je me fis cette promesse à moi-même. Je refusai en bloc de laisser cette douleur s'insinuer, de formuler malgré moi l'espoir l'espoir de la revoir. Je n'avais pas besoin de cette faiblesse. Surtout pas en ce moment. Cette histoire était finie. Elle n'avait jamais commencé, mais elle s'arrêtait là. Pour le bien de tous.
Falman s'approcha et me tendit un café.
- Vous avez mauvaise mine, Général.
- Général ! s'exclamèrent Havoc et Breda, un peu plus loin.
- Faites ça encore une fois et vous êtes mis à pied, répondis-je froidement avant de siroter mon café, attablé devant les notes des allées et venues.
Je consultais mes document d'un oeil torve et mes subordonnés, dont j'avais toléré les frasques depuis plusieurs semaines maintenant, sentirent que cette fois, je ne plaisantais pas. Il baissèrent le nez et gardèrent le silence comme une classe d'élèves punis. Indifférent à l'ambiance pesante dont j'étais la cause, j'observais l'heure, consultais les notes.
- N'oubliez pas que vous êtes censés superviser le roulement dans quinze minutes.
- On n'oublie pas, Général, fit Havoc.
Cette fois personne ne répéta le mot. Le silence dans la pièce s'appesantit, à peine troublé par les radios qui diffusaient, à intervalles réguliers, les RAS morgues des différentes équipes qui n'appréciaient pas de se retrouver à passer l'après-midi dehors sous une pluie battante. Des torrents d'eaux étaient tombés sans discontinuer depuis jeudi.
Je chassai ce souvenir et décidai d'utiliser ce calme pour ruminer, pour la millième fois au moins, les tenants et aboutissants de l'affaire, sans en trouver la cohésion. Tellement d'éléments, tellement de détails… Je me sentais comme quelqu'un qui tenterait d'appréhender une gigantesque mosaïque sans pouvoir s'en éloigner de plus de quelques dizaines de centimètres. Quels indices étaient judicieux ? Quels détails regarder ? Qu'est-ce qui me faisait perdre du temps ? On me disait souvent que j'avais un certain talent pour ce genre de choses, mais cette fois, même moi, je me sentais totalement dépassé. Je passai la main dans mes cheveux avec un soupir las. Pourvu que ce soir, je rentre chez moi avec une évolution tangible de l'affaire, sinon j'allais finir par devenir fou.
J'entendis des pas précipités dans l'escalier, et priai pour apprendre quelque chose qui me ferait sortir de cette attente poisseuse. Quand Hawkeye déboucha à l'étage et me héla, je sentis qu'il se passait quelque chose d'anormal. Elle n'était pas du genre à courir sans raison et son expression n'avait rien de rassurant.
- Une urgence au téléphone. Il faut que vous veniez.
Le ton était carré, mais sa voix tremblait.
- Qui est-ce ? Lewis ?
Elle secoua négativement la tête et répondit du bout des lèvres.
- Angie.
Je m'étais déjà levé mais me figeai en entendant ce nom. L'évidence me traversa comme une balle. Avec ce qui s'était passé la dernière fois, elle ne m'aurait jamais appelé si elle avait eu le choix, et le QG n'aurait jamais transmis l'appel dans notre quartier de surveillance si ça n'avait pas été important. Elle était en danger. Je restai foudroyé un instant, puis me précipitai vers le rez-de-chaussée pour décrocher le combiné, suivi par Hawkeye qui lança l'enregistreur. J'entendis le bruit d'une pluie battant un toit de tôle ou de verre, une respiration tremblante, entrecoupée de sanglots, et je me sentis trahi, pris au piège.
- Angie ? articulai-je, peinant à parler.
- R… roy… je… je suis désolée.
- Angie, qu'est-ce qui t'arrive ?
- On m'a enlevée, avoua-t-elle d'une voix nouée, tellement rauque qu'elle en devenait méconnaissable.
Mais si j'avais pu avoir le moindre doute, me demander si cet appel n'était pas une mascarade pour détourner mon attention, je le sentais dans mes tripes, c'était bien elle, et sa détresse était réelle. J'étais en train de revivre mon pire cauchemar.
- On m'a enlevée, pour vous arrêter, pour me faire payer, et je suis tellement désolé de ne pas avoir…
Sa phrase fut coupée par un cri de douleur mêlé de surprise qui résonna dans le combiné, et je me sentis glacé des pieds à la tête. J'aurais pu m'évanouir. J'aurais pu mourir. Pas ça.
Tout mais pas ça.
Tenant le combiné d'une main tremblante, incapable de respirer, j'entendis des bruits de lutte, une gifle, des cris étouffés, comme si quelqu'un avait éloigné ou couvert le téléphone à l'autre bout du fil.
Mes oreilles tintaient, je ne savais plus comment cligner des yeux. Je ne pouvais pas le croire. J'avais l'impression qu'il n'était plus physiquement possible pour mon corps de contenir mes émotions.
J'entendis de nouveau la respiration difficile d'Angie, diminuant à peine mon angoisse, et elle se remit à parler d'une voix tremblante, soumise.
- Je suis… ton dernier avertissement, Roy. Tu as contrarié Harfang, maintenant, il te reste à choisir… continuer à jouer au gendarme et au voleur, ou venir me chercher.
Ce n'était pas sa manière de parler, et à son ton, à ses pauses, je compris que ce n'était pas ses propres paroles qu'elles prononçait, mais celles que quelqu'un d'autre lui dictait. Chacun des mots se gravait au fer rouge dans mon esprit au bord de la rupture.
- Si tu me retrouves, je t'accueillerai à bras ouverts, mais je ne sais pas combien de temps je pourrai t'attendre avant…
Elle s'interrompit pour déglutir, et reprit d'une voix tremblante.
- … Avant d'être à bout de souffle. Réfléchis bien. Si tu tardes trop, je rejoindrai Mila.
À ces mots, le combiné me tomba des mains.
Mila.
Pas Elle.
Pas ça.
Pas Angie.
