Et voilà, dernier lundi avant la rentrée... Il fallait bien que ça arrive un jour ! J'espère que vous avez passé de bonnes vacances et que la perspective de revenir "à la normale" ne vous pèse pas trop. De mon côté je joue les prolongations dans le sud pour une semaine supplémentaire... mais j'ai eu le bon goût de tomber malade (cette arnaque !) alors que je voulais faire plein (sans doute trop) de choses cette semaine. Je me sens trahie ! XD

Avant d'oublier, je profite de ce début de chapitre pour vous (re)dire que la campagne Ulule de Stray cat est en cours !

Il s'agit d'une histoire yaoi complète, au format roman illustré, sur laquelle j'ai travaillé en parallèle de Bras de fer. Elle est accessible gratuitement en ligne, mais la campagne Ulule permettra de financer l'impression de la version papier (et des goodies). Dans cette tranche de vie à l'ambiance mélancolique, vous ferez la connaissance de Matt, travaillant dans un bar pour payer ses études, et Sacha, jeune musicien en plein naufrage. Leur rencontre sera le début d'une relation bouleversante, entre passion et non-dits...

La campagne a bien démarré puisqu'on a atteint les 100 % dès le premier jour ! Elle durera jusqu'au 25 septembre et il y a des paliers supplémentaires à débloquer pour améliorer le contenu du livre ou débloquer des goodies supplémentaires (d'ailleurs, on est tout près des 200 % et de la carte A6 bonus ! :P)

Pour en savoir plus, il suffit de faire un tour à cette adresse (en enlevant les espaces) pour en savoir plus ! fr. ulule stray-cat/

Cette parenthèse close, je peux vous laisser lire tranquillement la suite de Bras de fer. Je crois que les derniers chapitres vous ont un peu secoués... Rassurez-vous, celui-ci est plus calme (quoique pas très marrant)... Les personnages ne sont pas aux bout de leurs peines, et il y aura d'autres scènes au moins aussi rudes à venir d'ici la fin de l'histoire (oui, le projet a mûri depuis la partie 1 à Lacosta) J'espère que cette fic continuera à vous plaire malgré le changement de ton et que vous apprécierez ce chapitre !

Sur ce, bonne lecture !


Chapitre 68 : Distance - 1 (Riza)

Je me retrouvai seule avec Hayles dans le hangar dont le toit résonnait sous la pluie battante, la tôle amplifiant chaque coup porté par les gouttes qui s'abattaient au-dessus de nos têtes, au point de produire un vacarme qui nous aurait obligées à crier pour se faire entendre, bien que nous soyons proches. Braquant la lampe sur la fresque d'oiseau qui avait servi de décor à la macabre mise en scène, je grimaçai, taraudée par l'inquiétude. Angie, Edward, victime d'enlèvement, devenu aveugle… Comment les choses avaient pu dégénérer à ce point ?

Je repensai à la fureur de Mustang suite à l'appel, à notre enquête effrénée où chaque minute comptait en me demandant comment j'aurais pu éviter ça. Est-ce que si j'avais renoncé à la diplomatie et dit de moi-même à mon supérieur qui était réellement Angie, les choses ce seraient passées ainsi ? Est-ce que j'aurais pu éviter que cela tourne au drame, même si nous avions au moins évité sa mort ?

Je poussai un soupir. Tout à l'heure, quand Mustang avait passé sa rage en rouant de coup la première chose qui était passée à sa portée, explosant le porte bouteille, j'avais revécu dans un flash ces heures les plus noires, quand il avait caressé de trop près l'idée de mettre fin à ses jours. Je ne voulais pas que cela arrive de nouveau. Pas maintenant, alors que nous étions en plein duel avec cet ennemi inconnu, alors que les Homonculus rôdaient, préparant je-ne-sais-quoi. Il s'était juré de ne plus jamais laisser à quiconque avoir ce pouvoir sur lui, et Angie… Edward… avait ruiné tous ses efforts.

Je sentis une main se poser sur mon épaule et sursautai, tirée de mes pensées. Je me tournai vers Hayles qui levait vers moi des yeux inquiets, sentant mon désarroi.

- Ça va aller ? souffla-t-elle.

- Moi, oui, répondis-je, la mine sombre.

Elle me tapota le dos et laissa sa main posée là, légère, me réchauffant de sa présence.

- Elle n'en a pas l'air comme ça, mais Angie est une forte tête, je suis sûre qu'elle surmontera ça à sa manière. Et puis, peut-être que c'est provisoire et qu'elle retrouvera pleinement ses moyens.

- Je… Je crois que ce n'est pas pour Angie que je m'inquiète le plus.

J'aurais dû, pourtant, car si Edward restait aveugle, l'avenir de notre combat contre les Homonculus s'annonçait bien sombre… C'était lui qui les connaissait le mieux. Mais voilà, il avait une volonté brute et l'optimisme de la jeunesse, alors que Mustang… Mustang tenait bon, dissimulant ses fissures derrière un cynisme distant, luttant pour ne pas laisser l'ennemi s'infiltrer dans ses faiblesses… mais il était à deux doigts de s'effondrer depuis tellement longtemps que lui-même avait cessé d'y prendre garde… jusqu'à aujourd'hui.

- Il doit se sentir terriblement coupable pour ce qui est arrivé aujourd'hui, souffla-t-elle.

- Plus bas que terre.

Elle glissa le bras sur mon autre épaule pour m'enlacer, et après un moment j'enroulai le mien sur sa taille, tournant la tête pour enfouir mon visage dans ses cheveux, respirant son odeur. Sa douceur et sa chaleur m'apaisaient au milieu de ce lieu sinistre, froid et humide. Nous restâmes ainsi quelques minutes, dans un silence masqué par la pluie qui crépitait sur les toits. La sentir près de moi me soulageait, comblant un manque dévorant que j'avais sous-estimé.

Je repensai au baiser que je lui avais volé, à son sourire, à ses yeux brillants, ses joues écarlates qui m'avaient donné envie de l'embrasser de nouveau. Fermant les yeux, me sentant rougir à mon tour, perdue dans ce mélange de gêne et de joie fébrile à l'idée d'avoir osé franchir ce pas. La première fois que je l'embrassais. C'était à peu près le pire moment imaginable, et pourtant, je ne parvenais pas à regretter mon geste. Après tout, nous sentions que c'était devenu une question de temps.

Ce faisait des jours que l'on se tournait autour, même si j'avais fait beaucoup d'efforts pour me convaincre du contraire. Je n'étais pas quelqu'un de spécialement sociable, et Hayles passait bien plus de temps avec mes collègues qu'avec moi. Pourtant, elle ne ratait pas une occasion de travailler à mes côtés, ou juste de discuter avec moi lors des soirées au cabaret. Si j'avais toujours tâché de ne pas trop le montrer, j'exultais intérieurement de passer du temps près d'elle. Elle avait toute la fougue et la joie de vivre qu'on ne m'avait jamais autorisée à avoir, et quand elle parlait, riait, racontait ses aventures, dansait sur la piste, jouait de la musique, je la dévorais des yeux. Comment ne pas aimer une fille pareille ? Mes collègues se posaient la question autant que moi.

Je n'avais pas osé y croire, aussi pour cette raison. Une militaire qui faisait tourner autant de têtes et qui restait célibataire, comment aurait-elle pu s'intéresser à moi ? Pourtant, ses regards, ses sourires, m'avaient peu à peu fait douter, au fur et à mesure que son sourire me faisait craquer. Jusqu'au soir de l'incendie place Bearn.


J'étais dans l'ancien bureau de Mustang, qui était officiellement devenu le mien et en pratique, s'était transformé en chaos sans nom à force d'y voir s'entasser les dossiers, photos et documentations sur l'affaire Harfang. C'était sa manière de procéder, quand il avait le sentiment d'être dépassé par la situation : jeter tous les dossiers par terre et les organiser à l'instinct pour trouver des liens et avoir une vue d'ensemble. La méthode était barbare et peu conventionnelle, mais cela avait marché plus d'une fois. Aujourd'hui, cela ne suffisait plus face à un ennemi aussi retors.

Je me levai après avoir scruté le sol et les murs en quête d'un élément qui ferait avancer l'enquête, et soupirai face au chaos de la pièce, n'osant pas piétiner les dossiers pour la traverser. Nous étions toujours aussi dépassés par les événements. Trop de dossiers, trop de suspects possibles, trop de fausses pistes et de culs-de-sac. Je me demandais comment nous pourrions espérer résoudre l'affaire dans ces conditions, et cette idée m'épuisait par anticipation. La perspective de continuer à patiner pendant des semaines, des mois peut-être, impuissante face à leurs malversations et les dégâts qu'ils laissaient derrière eux me laissait lasse par anticipation. Aussi quand j'entendis toquer à la porte, je traversai la pièce et le bureau de mes collègues sans enthousiasme.

En ouvrant la porte donnant sur le couloir, je vis Hayles et sentis mon coeur s'alléger. Sa présence me faisait du bien, et j'espérais que son sourire estomperait un peu mon découragement. D'un autre côté, même si j'appréciais sa présence et même si je me laissais aller à rêver de caresser sa nuque, ses lèvres et son corps, je n'osais pas espérer quoi que ce soit de concret. Une fille aussi jolie et brillante qu'elle pouvait sortir avec à peu près n'importe qui… alors pourquoi diable s'intéresserait-elle à moi ?

- Colonel, je rapporte les photos du dossier d'Edelyn. J'ai refait les développements, comme demandé, j'espère que ces agrandissements vous seront utiles.

- Merci, fis-je en prenant l'enveloppe qu'elle me tendait.

- … Ça va ?

Je restai figée face à sa question pleine de sollicitude, comprenant que mes inquiétudes et ma fatigue transparaissaient sur mon visage. J'hésitai un instant à nier, puis soupirai. C'était Hayles, une des personnes avec qui je parlais le plus. Celle avec qui je j'avais développé les photos du Lys d'Or dans les ténèbres d'une chambre de développement, nos mains s'effleurant parfois en s'affairant, tandis que mon coeur faisait une embardée. Celle dont la présence me mettait en panique, et dont je regrettais l'absence à chaque seconde. Si je n'étais pas honnête avec elle, avec qui le serais-je ?

- L'enquête me décourage, avouai-je.

Hayles hocha la tête en silence, compatissant.

- Vous voulez en parler ?

Je secouai négativement la tête.

- Même si vous nous avez beaucoup aidés, vous ne faites pas partie de l'équipe officielle, je n'en ai pas le droit sans l'aval du Général, soufflai-je.

Elle baissa les yeux, pas surprise mais déçue tout de même.

- Je comprends que l'enquête doivent rester confidentielle… Mais… je voulais dire, parler de comment vous vous sentez, murmura-t-elle.

Un long silence passa, un de ceux ou l'on sentait l'atmosphère des lieux, la pluie qui cognait les vitres, l'obscurité austère de l'extérieur, les couloirs désertés du bâtiment. Il était déjà tard, et d'un coup, j'eus la sensation que nous étions seules au monde. Cette idée me fit respirer plus vite, le coeur accélérant sous l'effet d'une bouffée d'appréhension mêlée d'espoir.

Nous étions face à face, debout, si proches… J'avais cet espoir, cette idée que peut-être, je pourrais faire un pas, juste un pas, et la serrer dans mes bras… mais je me sentais absolument incapable de faire un geste pareil, et cette distance semblait infranchissable. Quand bien même j'aurais osé, je n'aurais pas su quoi faire après ça, alors, je restais immobile, me sentant un peu ridicule.

- Je n'ai pas vraiment l'habitude de dire comment je me sens, avouai-je finalement en me rappelant que c'était à moi de parler. Je ne sais pas faire ça.

- Vous n'avez pas de confidents ?

- … Pas vraiment. A part Black Hayatte, mais il n'a pas beaucoup de conversation, fis-je en esquissant un sourire gêné.

En réalité, même à lui, je ne parlais pas. Après tout, mes problèmes n'auraient aucun sens avec sa perception, et il n'avait pas besoin de mots pour sentir ma détresse et me soutenir en se lovant contre moi et me léchant les mains. Il n'y avait pas besoin de mots pour le serrer dans mes bras et fourrer le visage dans sa fourrure pour retenir mes larmes, en attendant de retrouver la force de se relever. La vie ne m'avait jamais laissé le droit d'être aussi extravertie que Hayles. Je me rendis compte je ne savais tout simplement pas comment on faisait pour exprimer ses émotions avec des mots.

- Je ne sais pas comment vous faites pour être aussi forte… Moi, j'ai toujours eu quelqu'un vers qui me tourner dans les moments difficiles, je ne sais pas comment j'aurais fait si ça n'avait pas été le cas. Ça ne vous pèse pas ?

- Non.

Si.

Elle planta ses yeux dans les miens, ses yeux noisettes toujours brillants, et je sentis qu'elle avait compris que je mentais. Mais qu'aurais-je pu dire d'autre ? Elle eut un sourire, posant sa main sur mon épaule. Un geste qui m'incendia intérieurement tandis que je tentais de rester impassible.

- Si un jour, ça vous pèse, vous pouvez me parler, à moi.

- Merci, répondis-je, un peu guindée, avant qu'un silence embarrassant ne retombe.

Encore une fois, c'était un geste, une main sur l'épaule, le bras, posée quelques secondes de plus que nécessaire. C'était ce que je me refusais à voir comme une invitation, de peur d'être déçue. Pourtant, j'étais assoiffée de contact, je ne rêvais que de ça. Pourquoi ce pas était-il si infranchissable, pourquoi m'était-elle inaccessible ?

Hayle fit un pas en avant et me prit dans ses bras. Je cessai de respirer, estomaquée par son geste, tremblant de sentir son corps contre moi, ses bras, sa tête contre mon épaule, ses mains glissées dans mon dos, tétanisée à l'idée d'oser l'enlacer à mon tour. Je ne m'attendais pas à ce geste, je n'osais pas le rêver, et maintenant que cela arrivait, je ne savais pas quoi faire. Comment faisait-on pour enlacer quelqu'un ? Quelle était la dernière fois que j'avais serré quelqu'un dans mes bras ?

C'était elle, le jour où je l'avais retrouvée en larmes parce que Byers l'avait agressée. Déjà, ce jour-là, je n'avais pas trop su quoi faire.

Et avant…

Je ne m'en souvenais pas.

Je sentais la tendresse, la maladresse, la vulnérabilité de son geste, et j'étais bouleversée. Un peu incrédule, aussi.

Je la sentis s'écarter, me penchai vers elle pour voir qu'elle était écarlate, les yeux vissés au sol, visiblement envahie par la honte. Je réalisai alors que, perdue dans ma confusion, je n'avais pas fait le moindre geste vers elle et qu'elle avait sans doute pris ma stupéfaction pour un rejet.

- Je suis désolée, je me suis laissée emportée, bafouilla-t-elle. Ce n'était pas correct de ma part.

Elle était au bord de larmes, et je me sentis mal de ne pas mieux savoir quoi faire dans ce genre de situation.

- Je, non, bredouillai-je, en me sentant être la dernière des idiotes.

"Ça m'a plu, tu peux recommencer." Jamais je ne pourrais dire une chose pareille, peu importe à quel point je le pensais… mais quand je la vis s'éloigner, prête à me fuir, j'attrapai son poignet pour l'empêcher de disparaître.

- Ce… ce n'est pas grave, fis-je en tentant de peser mes mots pour y faire passer en filigrane ce que je n'arrivais pas à dire.

- Si, ça l'est, souffla-t-elle du bout des lèvres.

Un silence, son poignet qui me semblait si fin sous le tissu de sa manche d'uniforme, sa tête tellement baissée que son visage disparaissait derrière sa frange et ses mèches… J'avais envie de l'attirer dans mes bras pour la serrer à mon tour, mais j'étais terrifiée. Comment pouvait-on vouloir quelqu'un comme ça ? Comment faisaient les autres, quand ils devaient composer avec ce genre de sentiments ? Est-ce qu'ils se sentaient tous aussi désemparés que moi ?

- Je suis désolée… Je crois que je suis amoureuse de vous, murmura-t-elle, les yeux vissés au sol.

Je me sentis perdre pied face à l'aveu. Il n'y avait plus d'équivoque, plus de faux semblants, et plus de possibilité de prétendre que je me faisais des idées. Face à une telle honnêteté, je me retrouvai paniquée, déchirée entre mes émotions et ce que j'étais. Je ne pouvais pas la lâcher, je ne pouvais pas répondre, et je restais plantée là en regrettant de ne pas être quelqu'un d'autre, quelqu'un d'assuré et de serein qui l'aurait déjà serrée dans ses bras en lui murmurant à l'oreille que la réciproque était vraie. Ma main sur son bras devait semblait dure et froide, mais je n'osais pas lâcher de peur de la voir s'envoler.

Je retins mon souffle, levant une main tremblante pour la poser sur sa tête dans une caresse maladroite. Sous mes doigts, ses cheveux étaient doux comme de la soie, tandis que ma main glissait en arrière, enveloppant sa nuque. Je n'avais qu'à plier le bras pour l'attirer contre moi, et là, peut-être qu'elle comprendrait ce que je ne parvenais pas à dire.

Le téléphone sonna à ce moment-là. Je sursautai et sentis qu'elle en avait fait autant, et je la lâchai pour répondre au bout de trois sonneries, sans pouvoir la lâcher des yeux. Je la vis relever la tête pour me regarder de l'autre bout de la pièce avec une expression pétrie d'incertitudes. Mais elle n'était pas partie.

- Allô ?

- Allô, je suis bien au bureau de l'équipe du Colonel Mustang ?

- Oui.

- On m'a dit de contacter votre équipe s'il se passait quelque chose de suspect dans le quartier de la vieille ville ou le deuxième arrondissement… On a entendu des coups de feu place Bearn. Apparemment, cela vient d'un magasin de spiritueux, au 4 de la place.

- Oui, merci à vous. J'avertis le Général et je vais sur les lieux.

Je raccrochai et composai aussitôt un nouveau numéro, celui du bureau de Mustang.

- Que se passe-t-il ?

- Une fusillade dans l'Est de la ville, répondis-je tandis que le téléphone sonnait à mon oreille.

- Vous pensez que ça a un lien avec votre enquête ?

- Pour l'instant, je n'en sais rien, j'aimerais déjà que le Général réponde, soufflai-je d'un ton agacé.

- Je peux faire quelque chose pour aider ?

- Vous avez votre arme de service à disposition ?

- Oui.

Je raccrochai rageusement, retournant dans le salon pour reprendre mon manteau et des munitions, puis revins dans la pièce.

- Vous êtes prête à m'accompagner ? Dans ces conditions, je ne peux pas vous garantir d'être en sécurité.

Elle hocha la tête, avec une expression raffermie qui donnait à notre précédent échange des airs de rêves en train de s'estomper, tandis que le téléphone sonnait de nouveau. Elle avait une forte conscience professionnelle, assez pour mettre de côté les questions laissées en suspens. Je tentai d'appeler de nouveau Mustang, à son appartement cette fois, sans plus de succès. Après quelques sonneries, je raccrochai de nouveau d'un geste rageur.

- Qu'est-ce qu'il fiche, bon dieu ?

- Peut-être qu'il est avec Angie ?

- J'espère que non, répondis-je d'un ton rogue. Je retente à son bureau et chez lui, et dans le pire des cas, on ira sans lui.

Je composai le numéro de son bureau, en vain. Ces derniers temps, il était rarement parti si tôt du QG. Cette idée me donna un mauvais pressentiment. Je tentai une dernière fois chez lui, et l'entendis décrocher avec une rapidité surprenante après son silence.

- Allô ?

Il avait sa voix des mauvais jours, un ton teinté de colère dont je ne me serais davantage préoccupée en temps normal.

- Général ? Enfin, j'arrive à vous avoir !

- Qu'est-ce qui se passe ?

- Une fusillade en cours place Bearn, au 4. Je m'apprêtais à partir des bureaux quand j'ai eu l'appel de la Gendarmerie. On se prépare à y aller.

- On ?

- Je suis avec Hayles.

En énonçant cela, je lui jetai un coup d'oeil. Même si nous avions mis de côté son aveu, cette pensée restait ancrée dans mon esprit et je peinais à ne pas me laisser bouleverser. Si la fusillade avait un rapport avec Harfang, j'allais avoir besoin de toutes mes capacités de réflexion. Il ne fallait pas que je me laisse déconcentrer.

- Je vous retrouve directement là-bas ?

- Oui.

Je raccrochai et me tournai vers le Sergent.

- Allons-y. Il sera probablement sur place avant nous.


Mon pronostic s'était avéré juste. En revanche, je ne n'avais pas prévu de le retrouver en train de passer à tabac un grand brûlé. Il était furieux comme je l'avais rarement vu, lâché comme une bête sauvage. Si je n'étais pas du genre à me laisser désarçonner si facilement, Hayles était terrifiée. Je l'avais giflé et il avait un peu repris pied, réalisant la gravité de ses actes. Que s'était-il passé pour qu'il se mette dans des états pareils ? Je n'en savais rien, mais la première chose que j'avais faite avait été de limiter les dégâts. Évacuer le blessé, demander à Hayles de passer sous silence ce qu'elle avait vu, jeter les bases de l'enquête, puis, une fois que nous avions étudié les indices que nous pouvions, ramener Mustang chez lui en lui passant un savon. Entre l'état de sa voiture et son haleine, j'avais rapidement compris qu'il avait bu plus que de raison et j'avais pris le volant pour éviter qu'il ne se prenne un lampadaire au retour.

Dans tout cela, l'aveu de Hayles était resté en suspens… jusqu'à aujourd'hui, dans ce Hangar désaffecté frappé par une pluie battante.

- Je suis désolée… de ne pas avoir répondu plus tôt, dis-je finalement.

Elle secoua la tête, avant de répondre.

- Je vous ai prise au dépourvu, et vous avez eu beaucoup à penser avec les derniers évènements.

- Je dois avouer que nous avons été très occupés ces derniers jours.

Tandis que je prononçais ces mots, je sentais sa main effleurer la mienne. Après l'angoisse de retrouver Angie à temps, je me sentais épuisée, tremblant encore à l'idée que nous aurions pu ne pas la sauver. Plus que jamais, j'avais besoin de tendresse.

- Est-ce qu'on peut se tutoyer ? souffla simplement Hayles, demandant à demi-mot où nous en étions.

- En privé, oui, répondis-je tout aussi bas.

- Et tes collègues ? Ils nous ont vues.

- Ils n'oseront pas répandre ma moindre rumeur à notre sujet.

- Tu crois ? Ils ont pourtant diffusé pas mal de ragots à propos du Général.

- Ils ont plus peur de moi que de Mustang, répondis-je avec un petit sourire.

Ma remarque lui amena un rire, et l'éclat des phares nous annonça l'arrivée des renforts. Je m'écartai à contrecoeur, regrettant que l'enquête ne me laisse pas la possibilité de simplement rester à ses côtés et la serrer dans ses bras. Seulement, j'avais déjà du mal à lui montrer mon affection, je n'étais vraiment pas prête à affronter les regards de nos collègues… et j'avais d'autres raison encore de vouloir la garder à distance.

Les camionnettes se garèrent à l'entrer du bâtiment et des militaires sortirent à la hâte pour nous héler depuis l'entrée.

- Colonel ! Qu'est-ce qu'on peut faire pour aider ?

- Dans un premier temps, relever les empreintes de pneus et voir si on a des indices au sol. Traces de chaussures, objets perdus, etc… Puis on fera deux équipes qui se concentreront sur le téléphone et… ça.

J'avais braqué la lampe sur la chouette géante maculée de sang, ne sachant pas comment désigner cette mise en scène, et l'homme sursauta.

- Rassemblez un maximum d'informations et ne négligez rien. Notre ennemi laisse généralement peu d'indices utiles derrière lui, le moindre détail peut faire la différence dans l'enquête.

Il hocha la tête.

- Si vous avez un pied, je pourrai prendre une première série de photos des lieux, proposa Hayles. Enfin, si vous avez de l'éclairage supplémentaire à disposition ?

- Une fois qu'on aura fait une première analyse du sol, on pourra rapporter la camionnette pour éclairer plein phares, on y verra mieux.

- Oui. Mettons-nous au travail dès maintenant, plus l'enquête avancera vite, plus nous aurons de chances d'arrêter les coupables.


- Bonjour, je viens rendre visite à la patiente Bérangère Ladeuil, annonçai-je à l'accueil de l'hôpital.

- Pouvez-vous me montrer vos papiers, s'il vous plaît ?

Je hochai la tête et obtempérai. C'était moi qui avais donné l'ordre que les visites soient limitées et surveillées, j'étais satisfaite de savoir que la procédure était bien respectée. L'infirmière de l'accueil consulta la liste qu'on lui avait donnée et hocha la tête avant de me rendre mon insigne et ma carte d'identité, puis héla une de ses collègues.

- Pilgrim, tu pourras mener le Colonel à la chambre de mademoiselle Ladeuil ? J'ai vérifié son identité, c'est bon.

L'infirmière en question, une femme qui aurait pu être jolie si elle n'avait pas été aussi voûtée, hocha la tête et me fit signe de la suivre. J'arpentais les couloirs, sentant une angoisse sourde dans mes entrailles.

J'avais fait de mon mieux la veille pour compiler des informations sur l'enlèvement d'Angie, mais, si nous avions récolté de nombreux indices, nous avions peu de perspectives mis à part la voiture qui avait servi à l'enlèvement. Du côté de l'usine JEB, nous n'étions pas beaucoup plus avancés : au terme d'une course-poursuite plutôt violente, les militaires n'avaient pas pu arrêter le convoi autrement qu'en faisant feu sur les ennemis, ne laissant aucun survivant, et donc aucun prisonnier à interroger. Restait la camionnette ensanglantée, remplie d'une quantité d'armes spectaculaire, face à laquelle Mustang était resté abasourdi. Quelque chose clochait, mais, encore secoué par l'enlèvement d'Angie et la brutalité des événements, ni lui ni moi ne parvenions à déterminer quoi.

Mon principal espoir, dans cette affaire toujours aussi brumeuse, c'était qu'Angie puisse nous donner des informations utiles à l'avancée de l'enquête, que l'on puisse enfin aboutir quelque part, trouver un coupable, et le protéger de celle-ci…

- Vous savez si son état s'est amélioré ? demandai-je.

- Le dossier de Bérangère Ladeuil a été classé confidentiel par le Docteur Ross, et je ne fais pas partie du personnel qui s'occupe de lui, donc je ne connais pas ce genre d'information, répondit l'infirmière d'un ton serein.

- Cela ne vous dérange pas de travailler dans le secret ?

- Nous travaillons souvent en association avec l'armée, cela fait partie du fonctionnement courant… Et nous prenons d'autant plus garde qu'après l'attentat du passage Floriane, une personne a été tuée par le personnel au sein des locaux de l'hopital Ferrer.

- Je me souviens, confirmai-je.

- C'est la chambre 507, désigna-t-elle. Je suis étonnée que votre collègue ne soit pas en train de monter la garde.

En effet, il n'y avait personne devant la porte. Je sentis l'angoisse monter et empoignai mon arme, prête à dégainer pour protéger Edward. Qui était censé s'occuper de lui avant que je prenne la relève ? L'infirmière, sentant mon inquiétude, resta en retrait tandis que je m'approchais de la porte restée entrouverte. Je la poussai d'une main légère, glissant un oeil, et reconnus la silhouette de Mustang, assis dos à la porte, penché sur une Angie encore alitée et lui parlant à mi-voix. Mon angoisse laissa place à une autre sorte d'inquiétude. Je fis un signe à mon accompagnante qu'elle pouvait repartir.

Il n'était pas absolument impossible que ce soit en réalité Envy qui soit accoudé à ce lit. Après tout, s'ils avaient réussi à kidnapper Edward malgré ses aptitudes de combattant, l'ennemi devait savoir qui se cachait derrière l'apparence frêle d'Angie et pouvait avoir revendu l'information… Cependant, il y avait dans sa posture une douceur dont je n'imaginais pas les Homonculus capables.

Dans le doute, je restai silencieuse, me retrouvant presque malgré moi à espionner la situation, prête à intervenir au moindre signe suspect.

Comment tu te sens ? demanda Mustang, posant une main bandée sur son front.

- Coupable, souffla-t-elle tout aussi bas.

- Ne dis pas ça, tout ce qui est arrivé est de ma faute. Si je n'avais pas enquêté sur Harfang, et si je ne n'avais pas passé autant de temps à tes côtés, tu n'aurais jamais été prise pour cible.

Angie rouvrit les yeux qu'elle avait fermé en sentant la main du militaire se poser sur elle, et secoua négativement la tête avant de se tourner vers lui, vers moi. Son regard, vague, croisa le mien sans s'arrêter, et je sentis mon coeur se serrer en comprenant que sa vue restait affectée par le traumatisme.

- Je ne peux blâmer que moi-même, j'ai récolté ce que j'avais semé.

- Non, tu ne méritais pas ça.

- Vraiment ? Si tu savais à quel point je t'ai menti, tu ne me pardonnerais jamais.

Sa voix était faible, son visage pâli n'était plus masqué par des lunettes qui avaient été brisées et récupérées dans le cadre de l'enquête. En ayant frôlé la mort, son vernis s'était écaillé, laissant réapparaître la personne qu'il était réellement. Comment le Général pouvait-il ne pas reconnaître Edward ? J'étais à la fois soulagée que ça ne soit pas le cas et perplexe devant cette situation absurde. Il y eut un long silence avant que Mustang ne reprenne la parole.

- … C'est toi qui as volé le mandat d'arrêt, mercredi dernier ?

Elle baissa les yeux, avec une expression de surprise mêlée de culpabilité qui me mit un coup à l'estomac. Angie, Edward, traître ?

- Oui, croassa-t-elle. Je suis désolée.

- Et jeudi soir, tu as obéi à des ordres en m'éloignant de la vieille ville.

Elle hocha la tête, et je regardai le duo, les yeux exorbités devant son aveu. Mustang se redressa et passa la main sur son visage, repoussant ses cheveux en arrière. De là où j'étais, je ne pouvais qu'imaginer son expression, mais je vis clairement ses mains trembler.

Je n'étais pas prête à encaisser l'idée qu'Angie soit responsable, en partie du moins, de l'enlisement de l'enquête. Et en voyant ses yeux s'embuer de larmes, je sentais qu'elle prenait elle aussi la mesure de ce qu'elle avait fait.

- Tu vois, je suis impardonnable, murmura-t-elle.

- Dans la voiture… c'était aussi un ordre ?

Angie rouvrit de grands yeux horrifiées, et secoua la tête.

- On ne m'a jamais demandé. Et je n'aurais jamais dû…

- En effet, répondit froidement Mustang. Je ne laisserai pas d'autres occasions que cela arrive, nous n'aurions jamais dû être aussi proches.

Ces deux-là étaient empêtrés dans une situation dans laquelle, pour rien au monde, je n'aurais voulu être.

- Je suis tellement désolée.

- Pourquoi tu leur as obéi ?

- Ils savent des choses sur moi. Des choses qui me mettent en danger, et pour lesquelles tu me détesteras encore plus. J'aurais dû te dire la vérité, toute la vérité, bien avant… Roy… il faut que je te dise…

Je pris une grande inspiration en comprenant qu'il était sur le point d'avouer. Les choses allaient être tellement plus simples, tellement plus douloureuses, aussi, une fois que Mustang saurait la vérité.

- Je… je suis… bredouilla-t-elle. Je suis…

Il avait posé la main sur son front, brossant ses cheveux en arrière et la coupa d'une voix aussi froide que son geste était doux.

- Angie… On va arrêter de se voir.

Je coupai ma respiration, prise au dépourvu par la réponse de Mustang et le visage décomposé d'Edward. Je sus immédiatement qu'il n'aurait pas le courage de continuer sa phrase, et pour une fois, je ne parvenais pas à l'en blâmer.

- Je te mets en danger, et la réciproque est vraie. Les reste de mon équipe se chargera de te protéger jusqu'à ce que je mette un terme à cette affaire. Je leur fais confiance, tu seras en sécurité. Dans ma situation, je ne peux pas me laisser distraire par quoi que ce soit, il faut que je me concentre sur l'enquête. La personne qui a fait ça le paiera, je t'en fais le serment. Je ne la laisserai pas s'en tirer si facilement après avoir tenté de te tuer.

Le petit blond était incapable de s'immiscer dans le silence que le militaire avait laissé et resta muet, encore sous le choc de l'annonce. Qu'aurait-il bien pu répondre à ça ?

- Hawkeye se chargera de ton témoignage, tu pourras lui parler plus librement qu'à moi, n'est-ce pas ? Dis-lui tout ce qui peut aider à avancer dans l'affaire. Même si tu en as honte, pense bien qu'il en va de ta sécurité… et… tâche de guérir

Mustang se leva après avoir asséné ces derniers mots et Edward se redressa, jetant sa main au hasard pour le rattraper avec un regard vide qui me serra le coeur. L'adolescent parvint à happer la manche du militaire, qui baissa de nouveau les yeux vers lui.

- Roy… souffla-t-il d'un ton suppliant.

- Oui ?

- Est-ce que tu me détestes pour ce que j'ai fait ?

Il y avait dans ces mots un désespoir profond qui ne pouvait laisser personne indifférent. Mustang secoua négativement la tête, oubliant qu'elle ne pouvait pas vraiment le voir et tenta de s'en écarter, mais Edward semblait ne pas vouloir lâcher. Pris par la culpabilité, le militaire céda et posa une main rassurante sur sa tête. L'adolescent sursauta, puis ferma les yeux comme pour se retenir de pleurer, s'abandonnant complètement à son contact.

Je regardais la scène, emmurée dans une stupéfaction mêlée de gène. Leur discussion, leurs gestes étaient beaucoup plus intimes que ce à quoi je m'attendais, et je sentais bien que je n'aurais jamais dû en être témoin. Je savais que Mustang lui avait tourné autour, mais, après sa tentative de séduction avortée, j'avais naïvement cru que la situation s'était résolue, au moins en partie… je constatais qu'au contraire, les choses étaient plus compliquées que jamais.

Face à des sentiments aussi confus et torturés que les leurs, je ne savais plus moi-même comment j'étais censé réagir. Si j'annonçais la vérité, l'un comme l'autre m'en voudraient terriblement. Je risquais de faire plus de mal que de bien… mais cette situation était insupportable à voir, et par-dessus tout cela, une question me taraudait : comment diable Mustang faisait-il pour ne pas reconnaître Edward, alors que plus aucun déguisement ne travestissait son visage ?

- Prends soin de toi, souffla Mustang en reculant, lui prenant délicatement le poignet pour le forcer à le lâcher, offrant un spectacle déchirant.

Je réalisai tout-à-coup que c'était une question de secondes avant qu'il ne se retourne et me voie espionner et je me représentais très bien à quel point il serait furieux. Aussi, je pris les devants en toquant précipitamment à la porte, tenant la poignée de l'autre main avant de la laisser s'ouvrir comme si je venais d'arriver en trombe. Les deux sursautèrent et Mustang se retourna vers moi en tâchant de se composer une expression impassible.

- Général, je viens prendre le relais du tour de garde.

- Bien. Je compte sur vous pour interroger votre cousine, si son état le permet.

Je hochai la tête avant de m'écarter pour le laisser passer, le gratifiant d'un petit salut militaire avant de poser les yeux sur Edward qui semblait plus abattu encore que lorsque nous l'avions réanimé avec Hayles. J'avais l'impression que même si j'avais pu prédire toute cette situation, je ne serais pas parvenue à changer le cours des événements.

- Je vais m'occuper d'organiser la suite de l'enquête. Je compte sur toute l'équipe pour être présente dès 8 heures demain pour une réunion, nous avons un plan de bataille à mettre en place.

- Je transmettrai l'information à mes collègues, confirmai-je d'un ton ferme.

- À demain, répondit-il avant de s'éloigner.

En observant son visage avant qu'il ne tourne dans le couloir, je vis qu'il s'était totalement renfermé, comme s'il avait encapsulé toutes ses autres émotions pour ne plus garder qu'une rage froide et distante, celle qui le motiverait à retrouver le coupable et à tuer si besoin. Non seulement Harfang s'était attaqué à Angie, ciblant indirectement toute l'équipe et prouvant qu'il savait à qui il avait affaire, mais en plus, il avait utilisé le souvenir de Mila pour achever d'ébranler Mustang.

La surveillance de l'usine JEB avait été un échec cuisant, qui nous avait laissé sur les bras de nombreux morts et un camion remplis d'armes, sans témoin ni destinataire connu. Nous n'avions pas besoin de parler pour savoir que nous allions payer cher d'avoir abandonné notre poste et laissé une telle bavure arriver sous notre juridiction, tout ça pour sauver une unique personne, une civile qui plus est. Edward était précieux entre tous, mais cela, personne dans l'armée n'était censé le savoir.

Les jours à venir s'annonçaient bien sombres.

Je regardai partir cette silhouette noire avec une profonde angoisse vissée au coeur. Quelle allait être la gravité de nos actes ?

- … Riza ? souffla Edward d'une voix brisée.

Je tournai la tête, réalisant que, perdue dans mes pensées, j'avais abandonné l'adolescent à son désarroi. Je fermai la porte, prenant bien garde à ce qu'elle soit claquée cette fois, puis m'approchai. Edward était assis sur le lit, le dos voûté, couvert de compresses et de bandages, au poignet gauche, à l'arcade sourcilière, à l'oreille droite, à l'arrière du crâne. Ses yeux dorés au regard décroché du monde se tourna vaguement vers moi, se remplissant de larmes qui coulèrent sur ses joues en silence.

- J'ai déconné, hein ?

Cette voix rauque, ces larmes… je ne pensais pas le voir un jour dans un état pareil, et j'aurais préféré que ça n'arrive jamais.

- Oui. Tu as sacrément "déconné", comme tu dis… Mais tu es en vie.

À ces mots, il se recroquevilla et éclata en sanglots comme un enfant, l'enfant qu'il n'avait jamais cessé d'être. Je restai figée, stressée par cette effusion d'émotions, avant de tâcher de réagir en posant maladroitement une main sur son dos pour le tapoter avec sollicitude.

- Il ne veut plus me voir… C'est parce qu'il m'a reconnu ? Il m'a reconnu ?

Je secouai négativement la tête. Il n'avait pas pu voir son visage, mais j'en étais persuadé, Mustang n'avait pas reconnu Edward dans ses traits. Si ça avait été le cas, il aurait laissé éclater sa colère, il m'aurait pris à part pour demander des explications, il aurait… agi autrement.

- Je ne pense pas qu'il t'ait reconnu… même si, je dois avouer, je ne sais pas comment il fait pour être aussi aveugle… Breda n'a pas eu besoin d'autant d'indices.

- Je te jure que j'ai essayé de lui dire la vérité… j'ai vraiment essayé.

- Je sais, soufflai-je.

J'avais longtemps été en colère contre Angie pour avoir reporté son aveu sans arrêt, et pire encore, avoir renoncé à dire la vérité, mais après les avoir vus discuter ensemble, je prenais la mesure du rôle de Mustang dans la situation. Il l'avait interrompue, rejetée, avant même qu'elle ne puisse avouer la vérité. Combien de fois avait-il fait obstacle à Edward de la sorte ?

- … Je crois qu'il ne veut pas savoir, énonçai-je, moi-même surprise de ce qui était pourtant une évidence.

Je le connaissais et l'estimais… s'il ne comprenait pas quelque chose qui crevait autant les yeux, à un moment donné, je n'avais pas d'autre choix que d'admettre qu'il était stupide — je savais que s'était faux — ou dans le déni le plus total.

- Il ne voudra plus jamais me voir…

- Ne soit pas si dramatique.

- Il m'a fait ses adieux, souffla-t-il

- Je sais, j'ai entendu.

Il tourna vers moi un regard outré, le visage encore ravagé de tristesse.

- Ne me regarde pas comme, ça, je ne comptais pas espionner, mais… Je m'inquiétais pour toi, blessé et privé de ta vue, tu es particulièrement vulnérable. Si Envy avait pris son apparence…

- Ce n'était pas le cas. Au moins, mon odorat me sert à quelque chose, grommela-t-elle sans s'en réjouir réellement.

- Ton odorat ?

Ed laissa passer un long silence, ignorant mon interrogation pour fixer le vide d'un air abattu.

- Il me déteste, hein ?

Je lui donnai une petite tape encourageante dans le dos.

- Il veut se concentrer sur l'enquête, te protéger à sa manière, tempérai-je. Et sa manière, c'est de prendre de la distance.

- Comment tu peux en être aussi sûre ?

J'ouvris la bouche et hésitai. Devais-je lui parler de son état durant les recherches, de sa perte totale de contrôle en apprenant son enlèvement, de ses mains ensanglantées, de l'absence de remords avec lequel il avait abandonné sa mission pour la sauver, de ses larmes quand nous l'avions retrouvée crucifiée, inanimée, à deux doigts de la mort ?

Devais-je lui parler de Mila ?

Non.

- … Je le connais, répondis-je simplement.

Edward haussa les épaules, n'acceptant qu'à moitié l'argument.

- Par contre, je te préviens, j'ai quelques reproches à te faire. Je sais que tu as souffert hier, mais, sérieusement ?! Comment as-tu pu laisser quelqu'un te faire chanter sans nous en parler ? Tu te rends compte à quel point c'était idiot et dangereux de ta part ? Pour nous tous ?

- "Il paraît que vous avez une poigne de fer sous votre gant de velours, mademoiselle Iris Swan"… récita-t-elle. Quelqu'un qui connaissait mon secret et qui pouvait me livrer à l'armée… J'ai juste… paniqué.

Agacée au possible, je ne résistai pas à la tentation de lui donner une petite tape au sommet du crâne. Pas bien fort, elle était quand même blessée, mais assez pour qu'elle sache ce que j'en pensais.

- Bon sang… Je suis Colonel, Mustang est Général de Brigade. Tu ne crois pas qu'une information pareille pourrait arriver sans que l'on en ait au moins des échos ? Et Havoc, Breda et les autres, tu crois qu'ils laisseraient l'armée t'emprisonner sans rien faire ? Tu nous prends pour qui ?

À ces mots, des larmes lui revinrent aux yeux et je soupirai. L'épuisement et le choc l'avait mise à fleur de peau, et je n'étais jamais à l'aise face à ce genre de comportement. J'avais besoin de l'aide d'Edward, pas d'Angie.

- Bon, maintenant, fais preuve d'intelligence et décris-moi les événements aussi précisément que possible, annonçai-je en tirant de mon sac de quoi écrire. Quand tu as commencé à recevoir des menaces, par quel biais, qu'est-ce que tu as été forcée de faire… N'omet aucun détail. Je te promets que si tu oublies quelque chose, tu auras un Colonel en rage sur le dos. Et ne t'attends pas à ce ce que je laisse passer tes frasques comme le faisait Mustang, sous prétexte que tu es blessée.

- Bien, Colonel, fit-elle, entre rire et larmes. Je… Je n'arrive pas m'habituer à l'idée que tu sois passée Colonel.

- Ce n'est pas étonnant, moi aussi j'ai du mal. Enfin… ne détourne pas le sujet.

- Pardon… Pour mon enlèvement, je ne serai pas très utile, fit-elle honteusement. J'ai des souvenirs très flous de cette journée et je ne voyais rien… J'en sais presque plus grâce à ce que Havoc m'a raconté qu'avec mes propres souvenirs.

- Et ta vue ? demandai-je. Comment elle évolue ?

- Je ne suis pas totalement aveugle, je perçois des zones, des mouvements, expliqua-t-elle d'un ton étrangement détaché. On m'a dit que si j'avais de la chance, ma vision pourrait se rétablir en quelques jours… j'ai l'impression de voir une amélioration, mais ce n'est pas très probant, et… Je n'ai pas envie de prendre mes espoirs pour des réalités, donc j'évite de sauter à des conclusions hâtives.

- Et si ça ne se résorbe pas… que comptes-tu faire ?

Il haussa les épaules dans un geste d'une désinvolture purement Edwardesque.

- Je ferai avec, je trouverai des solutions… Après tout, dans la famille, on est habitué à perdre des choses, ajouta-t-il avec un sourire vague, le regard lointain, perdu dans son monde sans contours.

Je laissai le sujet en suspens, me doutant que la situation était bien plus douloureuse que ce qu'il voulait bien montrer, et me concentrai sur son interrogatoire, remontant le fil des événements qui l'avaient jeté là de manière aussi professionnelle que possible. Je tâchai de mettre de côté mes propres émotions. Je ne pouvais plus compter sur Mustang, et il fallait bien que l'un de nous garde la tête sur les épaules.

J'encaissai en silence les aveux d'Angie : la lettre de menace qu'elle avait reçue le premier janvier, enveloppe bleue portant le sceau d'une chouette blanche, qu'elle avait brûlée aussitôt après l'avoir lue, à mon grand désespoir. Les appels qui avaient suivi, des voix anonymes lui donnant des ordres. Aller récupérer une valise pour aller la déposer ailleurs. Appeler un numéro inconnu pour transmettre un message. A chaque fois qu'elle agissait, c'était dans l'ignorance la plus totale des conséquences de ses actions. Un simple pion. Elle raconta ensuite l'ordre de voler le mandat de fouille de l'usine JEB, accompagné de la menace à peine voilée de s'attaquer à son frère et Winry, puis la manière dont elle avait obéi, profitant d'un instant d'inattention de l'équipe pour fouiller le manteau que Mustang avait laissé sur sa chaise.

Dire que ce soir-là, tout ce dont nous en avions retenu, c'était sa prestation trop érotique et le fait qu'elle s'était retrouvé soûle contre son gré. Comment avait-elle pu tromper notre vigilance à ce point ? À la disparition du mandat, j'avais envisagé un vol, mais c'était la dernière personne que j'aurais soupçonnée. Rétrospectivement, elle avait eu mille occasions au cours de la soirée. La trahison était d'autant plus difficile à avaler.

- Ce jour-là, on m'avait donné deux missions, ajouta Angie d'une voix nouée. Voler l'enveloppe et la détruire, mais aussi… Trouver un prétexte pour éloigner Mustang du centre-ville, jeudi soir. On s'était donné rendez-vous après son travail, j'avais donné comme prétexte de récupérer des tissus pour Lily-Rose au sud de la ville.

- Pourtant, il était chez lui, ce soir-là. J'ai pu l'appeler.

Angie soupira et ferma les yeux.

- On s'est disputés. Je suis rentrée à pied, et il est sans doute revenu chez lui en voiture… Bien plus tôt que prévu.

- Vous vous êtes disputés…. À quel sujet ? demandai-je.

La blonde se tourna vers moi, cherchant mon regard sans pouvoir s'y accrocher.

- Désolé, mais… Je préfère ne pas en parler.

Je la regardais avec un mélange de tristesse, de lassitude et d'agacement. Qu'est-ce qui s'était dit ce jour-là pour qu'elle ne veuille pas en parler malgré la situation ?

Je soupirai.

- Bon, admettons que Mustang étant présent aussi, et qu'il sait tout ce qu'i savoir de ce soir-là, abdiquai-je.

- C'est le cas. Et… je suppose que mon maître-chanteur voulait l'empêcher d'être présent lors de l'incendie place Bearn.

Je restai silencieuse, ne m'attendant pas à ce qu'elle tire d'elle-même ces conclusions.

- Je suis les actualités avec attention, l'affaire a fait la une des journaux le lendemain, ce n'était pas difficile de faire le lien quand on prend le temps d'y réfléchir.

- … Je vois.

- Est-ce que vous avez trouvé des choses utiles là-bas ?

- … Tu crois vraiment que je peux te répondre après ce que tu as fait ? Je ne peux pas te transmettre des informations aussi sensibles… d'autant que Harfang a toujours ses moyens de pression contre toi. Ton secret… ton frère…

Angie hocha la tête avec un semblant de sourire. Elle comprenait, bien sûr qu'elle comprenait.

- Bien sûr… ne me dis rien, je ne voudrais pas que ça se retourne contre vous. J'espérais juste que… que vous étiez parvenus à enquêter malgré moi.

Il y eut un silence pendant lequel elle prit trois inspirations tremblantes, comme pour se retenir de pleurer.

- Quand… quand on s'est disputés, j'ai su que j'avais fait une erreur, et que… Harfang ? La personne qui me faisait chanter, allait me le faire payer, d'une manière ou d'une autre. Ce qui est arrivé, c'est entièrement de ma faute. Parce que je lui ai désobéi.

- Crois-moi, cela va bien plus loin qu'une punition, s'il t'a enlevé, toi, à ce moment précis, c'était parce que ça servait ses intérêts.

Je vis la tête d'Edward dodeliner vers l'avant, signe qu'il était plus éprouvé qu'il ne voulait l'accepter.

- Rallonge-toi. Tu es épuisé.

Il obéit et laissa sa tête s'enfoncer dans l'oreiller, levant les yeux au plafond en tâchant de se remémorer son enlèvement, qui était, comme il m'en avait averti, plutôt flou. Emmuré dans ses pensées, la vision restreinte par le parapluie, il s'était fait surprendre en passant par une ruelle, se faisant frapper par derrière avant même d'avoir pu apercevoir qui que ce soit. Quand il s'était fait réveiller à coup de poings, il s'était rendu compte qu'il était privé de sa vue. Il se souvenait vaguement d'avoir été interrogé et frappé, mais de cet échange, il lui restait surtout des sensations, le goût de fer dans la bouche, un froid terrible, de la douleur et de la confusion, alors qu'il était attaché à une chaise, pratiquement aveugle, incapable de comprendre le sens des questions et des coups qui pleuvaient sur lui.

- Je crois… qu'ils m'ont demandé ce que je savais sur Harfang. Je ne sais pas… je ne sais pas qui c'est, murmurai-je. J'aimerais bien, comme ça, je pourrais aller lui casser la gueule, mais ils ont eu beau me frapper, j'étais incapable de répondre.

Je mordis les lèvres, fronçant les sourcils. Ce n'était pas logique de poser cette question. Cela voulait-il dire que c'était quelqu'un d'autre qu'Harfang qui avait commandité ça ?

À moins qu'il ait voulu vérifier qu'elle ne savait rien de l'enquête, pour pouvoir l'achever si besoin.

Son ignorance de notre travail lui avait peut-être sauvé la vie.

Il lui semblait qu'il y avait eu deux hommes, peut-être plus. Après l'avoir frappée, l'un deux avait annoncé que c'était l'heure puis avait passé l'appel en lui ordonnant d'être obéissante. Il avait fallu plusieurs essais, avec cet ordre de demander Roy Mustang et de ne répondre à aucune autre question.

Quand elle l'avait enfin eu au bout du fil, quand elle avait commencé à parler à Roy d'une voix précipitée, l'un d'eux avait arraché une de ses boucles d'oreille pour l'empêcher de parler, pour la punir. Elle s'était pris des coups pour désobéissance, pour ne pas avoir lu les instructions braquées sous ses yeux voilés. Une fois qu'ils avaient compris cela, l'un de ses agresseurs lui avait dicté ses paroles, lui murmurant à l'oreille ce qu'elle avait répété d'une voix tremblante. Après cela, elle avait été hissée en hauteur malgré ses tentatives de fuir, incapable de voir où aller, et s'était retrouvée perchée sur une corniche trop étroite pour y tenir correctement, le tout sous le choc d'une commotion à la tête et de nombreux coups. Elle avait entendu les hommes partir sans les voir, et elle avait lutté contre ses chaînes plus lourdes qu'elle dans l'espoir de se dégager, de survivre, avant de perdre complètement conscience, se raccrochant à nous comme ultime espoir.

C'était à peu près tout ce qu'elle pouvait nous raconter. Pas de visages, pas de noms, une discussion floue, approximative. Je doutais que cela nous permette de faire avancer l'enquête. Voyant qu'elle était épuisée, je lui ordonnai de se reposer et me posai en faction devant sa porte, attendant que Havoc vienne prendre la relève.

Je soupirai et basculai la tête en arrière pour me frotter les yeux, vidée par notre discussion. D'un bout à l'autre, Angie n'avait été qu'un pion. C'était lamentable, mais je préférais quand même cela à l'idée qu'elle nous ait trahie de sa propre volonté.