On est CE lundi. Celui du nouveau chapitre, que j'attends toujours avec impatience (et vous aussi, en tout cas, certains d'entre vous). Cette semaine, on continue avec le point de vue d'Alphonse et un chapitre plus court que d'habitude... Mais bon, ce n'est peut-être pas plus mal ? ^^° Vous vous souvenez ce que je disais plus tôt dans la partie, à propos d'une tournure plus sombre et de scènes violentes ? Bah voila, petit warning, vous n'êtes pas prêts pour ce qui vous attend dans ce chapitre (et les suivants d'ailleurs) !
(Et comme je suis sadique, j'ai hâte de lire vos reviews, d'ailleurs... mais y'a un truc, j'ai toujours hâte de lire vos reviews.)
Pour les news, pas grand-chose à dire, je bosse sur un projet BD (yaoi) qui ne va pas sortir avant un bon moment et vous pouvez toujours trouver d'autres histoires à découvrir sur Mangadraft ou ma boutique...
Ah, si, quand même : vous pouvez toujours retrouver sur mon profil la playlist de Bras de fer. J'ajoute de nouveaux morceaux au fur et à mesure de la publication, donc n'hésitez pas à repasser les découvrir de temps en temps pour vous mettre dans l'ambiance jusqu'au bout. Et et puis, j'ai plus ou moins arrêté de faire des illustrations, mais j'aimerais beaucoup faire une pour ce chapitre... On verra si je trouve le temps au milieu de mes autres projets ! ;)
En attendant de voir ce que ça donnera, je vous laisse et vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 75 : Les ombres du passé — 2 (Alphonse)
Les trois coups frappés à la porte mirent fin à la discussion qui animait notre dîner, et me sentis aussitôt pris par l'appréhension, sentant une menace intangible. Pris par la discussion et les rires, je n'avais pas prêté attention à cette sensation, mais en voyant Flint se lever, elle me sauta aux tripes. Winry et Gordon remarquèrent tous deux mon changement d'expression tandis que je regardais le militaire qui scruter à travers le judas.
— Des militaires… annonça-t-il. Un homme et une femme.
Il ouvrit la porte avec un peu de raideur.
— Bonsoir, que puis-je faire pour vous ?
— Lieutenants Lost et Glent, annonça une voix féminine. Nous venons vous remplacer dans la garde d'Alphonse Elric et de Winry Rockbell.
— QUOI ? s'exclamèrent les deux soldats en cœur.
— Mais nous n'avons pas été prévenus !
— Ça n'est pas possible, bredouilla Gordon.
Je ne dis rien, mais sous la table, j'attrapai la main que Winry avait posée sur ses genoux et la serrai en tremblant, espérant qu'elle comprendrait l'avertissement. Je n'avais jamais vu ces deux soldats, mais entre la peur qui me tiraillait le ventre et leurs yeux violacés, je n'avais aucun doute quant à ce qu'ils étaient réellement.
Des Homonculus.
Si je me fiais aux récits d'Ed et à leurs silhouettes, celles d'une femme planteuse aux cheveux noirs et d'un petit gros aux oreilles décollées, il s'agissait sans doute de Lust et Gluttonny. Quels étaient leurs pouvoirs ? Mon frère me l'avait dit, mais j'avais l'impression que le contenu de mon cerveau s'effaçait sous le coup de la panique. J'avais beau faire de mon mieux pour rester impassible, je ne devais tromper personne. D'ailleurs, la femme posait sur moi un regard lourd.
Gordon me regarda droit dans les yeux avec une attention que je ne lui avais jamais vue, puis tourna la tête vers les nouveaux venus.
— Vos supérieurs n'ont pas été très satisfaits des événements de jeudi dernier. Incapables de surveiller une adolescente dans les locaux mêmes de l'armée, vous conviendrez que ce n'était pas très professionnel de votre part. Imaginez les conséquences que cela aurait pu avoir si elle avait été armée… C'est donc de manière logique que vous avez été remplacés.
— Mais… je ne veux pas, bredouilla Winry, qui partageait maintenant mon inquiétude.
— Nous n'avons reçu aucun avertissement de l'armée ! s'indigna Flint.
— Je conçois que ça ne vous réjouisse pas, mais que voulez-vous ? On récolte ce qu'on a semé.
Je restai pétrifié, et aucun des militaires ne savait quoi répondre à ça. J'avais envie de hurler. J'aurais dû me douter qu'une chose de ce genre allait arriver… En se confrontant à Mustang, on avait rencontré son équipe, et les soldats, évincés par le Général, n'avaient pas été témoins des discussions. La vérité, c'était que les Homonculus voulaient nous tenir directement pour surveiller nos prochains écarts, peut-être même nous interroger sur ce qui s'était passé ce jour-là, sur ce que nous savions.
Une pensée me glaça le sang.
De ce que j'en savais, ils seraient sûrement prêts à nous torturer pour nous extraire des aveux.
Le souvenir d'Edward, boiteux et ensanglanté par son combat avec Envy, le jour où Hugues avait failli mourir, me revint à l'esprit. D'un coup, je regrettais de savoir autant de choses, et je me dis qu'Edward avait eu raison de nous dissimuler la vérité jusque-là, et qu'il aurait dû continuer. Serai-je capable de le protéger s'ils me torturaient, ou pire, s'ils torturaient Winry ? De serrer les dents et de ne rien dire à propos du Bigarré ou Edward se dissimulait ?
Je jetai un coup d'œil vers la blonde qui semblait avoir compris les raisons de ma panique. Nous étions en danger, pris au piège comme des rats… mais comme si ça ne suffisait pas, cela faisait aussi courir un risque à tous les alliés de cette guerre secrète : Edward, Mustang, si détestable soit-il, Hawkeye et les autres, les chimères…
Hugues, aussi, qui était censé être mort et qui connaissait le secret de Juliet Douglas.
Imaginer tout ce qui risquait de se passer à cause de nous était vertigineux, terrifiant.
— Nous n'avons pas toute la nuit, fit remarquer Lust d'un ton agacé. Vous feriez mieux de vous préparer sans attendre.
— Se préparer ? demanda Flint.
— Ils vont être transférés.
— Où ça ?
— Cela ne relève plus de vos fonctions, commenta-t-elle simplement.
Je levai un regard suppliant vers Gordon. Les deux militaires étaient notre seul espoir de protection et nous avions désespérément besoin de leur aide. Pourtant je savais que face à des Homonculus, ils ne faisaient pas le poids, et je me sentais coupable d'espérer qu'ils prennent notre défense. Je n'avais pas le droit d'espérer ça. Pourtant, le militaire me sourit d'un air rassurant et se leva pour rejoindre l'attroupement à l'entrée, m'ébouriffant les cheveux en passant.
— Excusez-moi de vous demander ça, étant donné que vous êtes plus gradés que nous, mais on n'est jamais trop prudents… pourriez-vous me montrer votre ordre de mission ? Cela me rassurerait, on ne sait jamais, vous comprenez…
— Tout à fait, le voici, fit la femme aux cheveux noirs en sortant un papier de sa poche.
— Gordon ! On ne peut pas les lâcher comme ça, non ? Ils nous connaissent, maintenant, et…
— Je sais bien, Flint, mais le fait que nous n'avons pas été à la hauteur la dernière fois… S'il y a un vrai problème, te crois-tu capable de les protéger comme il se doit ?
Flint se redressa, nous regarda et répondit d'un ton indigné.
— Bien sûr ! Je suis un militaire après tout.
Je me pinçai les lèvres. Savait-il à quoi il s'engageait en disant ça ?
— Bon, ces papiers ont l'air vrais, admit Gordon. Allez vous préparer, vous deux ! Désolé si on a l'air pointilleux, mais bon, vous comprenez, nous avons croisé le Colonel Hawkeye qui nous a demandé de les surveiller de près. Ça a peut-être un rapport avec l'enquête qu'ils ont faite. Vous savez, ils ont arrêté Greenhouse, et…
Je le regardai partir dans un grand monologue, nous tournant le dos, et je me serai senti complètement abandonné si je n'avais pas vu la main calée dans son dos, l'index s'agitant comme pour nous faire signe de partir.
Il gagne du temps.
Je hochai la tête, résigné, la gorge nouée.
— Winry, vient, on va chercher nos bagages, fis-je d'un ton rauque.
— Mais… !
— Ça ne sert à rien de discuter, fis-je en la tirant de sa chaise. C'est les ordres de l'Armée.
Elle me suivit à contrecœur tandis que nous marchions vers nos chambres pour prendre nos affaires. Un dernier coup d'œil et je vis le regard vide du gros Homonculus, celui, prédateur, de la femme, et l'inquiétude fébrile de Flint. Gordon, lui, nous tournait le dos, à mon grand regret, et bavardait, prenant les imposteurs à parti d'un ton presque badin.
Je passai la porte de ma chambre et la refermai discrètement derrière moi, pris quelques vêtements que je fourrai à la hâte dans mon sac, empoignai la pochette contenant mes recherches sur les Homonculus et les mis à leur tour. Puis, un crayon à la main, j'ouvris la fenêtre et sautai pour m'accroupir sur le rebord. Me tenant au chambranle pour me pencher dans le vide, je toquai à la vitre adjacente, celle de Winry. Elle l'ouvrit malgré la pluie et me lança un regard paniqué.
— C'est des Homonculus, hein ? souffla-t-elle. Qu'est-ce qu'on fait ?
— On les fuit. On ne peut pas les laisser nous capturer comme ça, murmurai-je.
— Mais… Gordon et Flint ?
— On n'aura pas d'autre occasion, murmurai-je.
J'avais posé ça d'un ton sérieux, mais en réalité, mes mains tremblaient tandis que je traçais le cercle de transmutation. J'avais vu les yeux de Winry s'embuer, signe qu'elle avait pris la mesure de la gravité de la situation. Je touchai le cercle que je venais de tracer pour former par alchimie un éclat bleu qui cavala le long de la façade, formant une échelle à même la pierre qui partait de sa fenêtre.
— Pars devant, murmurai-je. Vite.
Gordon devait être en train de bavarder pour détourner l'attention de l'ennemi, et je ne savais pas dans quelle mesure il était capable de les berner. Une fois qu'ils auraient découvert notre fuite, leurs chances de s'en sortir étaient presque inexistantes, et cette idée me trouait les entrailles.
Ne pas y penser. La priorité c'est de réussir à fuir, sinon, rien de tout ça ne servira à quoi que ce soit.
Je me mis à descendre à la suite de Winry, sentant la pluie me marteler le dos.
Nous n'avions pas pris nos manteaux restés dans l'entrée et nous n'avions que nos sacs en bandoulière remplis à la va-vite. Nous n'allions pas tarder à être glacés par le froid. Même si nous arrivions à fuir, nous n'aurions aucune ressource.
C'est un autre problème, mais on n'a pas le temps d'y penser maintenant, martelai-je dans mon esprit. D'abord, fuir. Après, on verra.
J'arrivai en bas à la suite de Winry, l'attrapai par l'épaule et l'entraînai avec moi vers l'entrée. À ce moment-là, j'entendis des cris par la fenêtre ouverte. Ils avaient compris. Un hurlement. Des coups de feu. Je resserrai ma poigne sur l'épaule de mon amie et couru pour atteindre la porte de l'immeuble et m'enfuir, incapable d'ignorer ce qui se passait, trois étages au-dessus. Je sentais mes entrailles se révulser, enserrées par la peur et la douleur, et pourtant, par je ne sais quel miracle, je gardai la tête froide.
L'obscurité et le silence du hall nous tomba dessus tandis que la porte se refermait derrière nous, et dans cette atmosphère feutrée, j'entendais plus que jamais les battements de mon cœur. Une douleur me vrillait le crâne, doublé de la sensation que les ténèbres allaient nous happer.
Une vague de froid me traversa.
La mort.
Je serrai les dents.
Il fallait continuer à marcher, même si j'avais les larmes aux yeux et la gorge nouée de douleur.
— Où on va ? souffla Winry.
— Loin, répondis-je en poussant la porte.
J'avais la main sur la poignée sur la porte quand une forme noire tomba sur le trottoir et je bondis en arrière sous l'effet de la surprise, me cognant à un corps derrière moi. Je me retournai lentement, pris dans un crescendo de panique. En reculant, je m'étais cognée à Lust, qui me regardait avec un sourire. Elle avait une coulure de sang sur le visage, reste d'une balle qui ne l'avait mise à terre que quelques instants.
— Alors comme ça on voulait nous fausser compagnie ? commenta-t-elle avec un sourire. Ce n'est pas très élégant de votre part.
La masse se releva, s'avérant être Gluttony, qui s'avança vers nous, posant la main sur la vitre avec un sourire digne de mes pires cauchemars. Nous étions pris en étau entre deux monstres immortels.
Je me sentais comme une souris terrée dans un piège.
Lust fit un pas pour me gifler violemment, me balançant contre le mur, et Winry se précipita vers moi avec un petit cri.
— Vous êtes vraiment des gamins idiots. Vous pensiez vraiment nous échapper aussi facilement ? Tout ce que vous y avez gagné, c'est de nous avoir mis en colère. Dommage pour vos anges gardiens, ils seraient restés en vie si vous nous aviez suivis sagement.
Je serrai les dents, retenant les larmes, les mains crispées sur le crayon que je tenais dans mon dos. Je le savais, je l'avais senti, mais je ne voulais pas l'entendre, je ne voulais pas que ça soit réel. Je voyais encore leurs visages, j'entendais leur voix. Et maintenant, à cause de nous, ils…
— Je peux les manger ?
La voix était naïve, presque celle d'un enfant. Mais ces mots me glacèrent plus que n'importe quoi d'autre.
— Pas maintenant, Gluttony. Nous devons d'abord nous occuper de ces petits rats.
Je posai les doigts sur le cercle que j'avais tracé dans mon dos pendant que l'ennemi bavardait trop vite sur sa victoire, attrapant le poignet de Winry pour l'attirer avec moi. C'était maintenant ou jamais. Les yeux violets de notre ennemi s'agrandirent de surprise quand elle vit un éclat bleu fendre le mur pour nous avaler. Elle se précipita vers moi avec un cri de colère et je jetai mon pied en plein visage.
Winry tomba derrière moi et je tendis la main pour refermer le mur, voyant le bras de Gluttony s'engouffrer dans la pierre en train de se refermer. Je sentais mon dos couvert de sueur, le pouls battant la gorge et mes tempes. Et s'il avait assez de force pour briser le mur ? Il en était peut-être capable, après tout, c'était un monstre.
Avec un mélange de soulagement et de dégoût, je vis ma transmutation se refermer sur lui dans un craquement avant de laisser jaillir une coulure de sang et claquer en se refermant tout à fait. Les fragments broyés de sa main tombèrent au sol avec un bruit sourd.
Je tournai vivement la tête, les entrailles retournées par le spectacle, pour découvrir ou nous étions tout en tendant la main à Winry pour l'aider à se relever. Malgré la pénombre, je distinguais clairement les portes métalliques donnant sur une chambre froide et les rangées de couteaux suspendues au mur. Winry eut un hoquet de frayeur en réalisant que nous étions dans la boucherie.
Je sentais son angoisse se mêler à la mienne, mais nous n'avions pas le temps d'essayer de nous rassurer. Je n'avais gagné qu'un bref répit.
— Vite, soufflai-je.
Fuir.
Nous n'avions pas d'autre option, tandis qu'on se précipitait pour traverser l'arrière-boutique.
Le rideau de fer est baissé. Est-ce que j'arriverai à dessiner un cercle à temps? Et s'ils sont de l'autre côté?
J'entendais tambouriner à la porte donnant sur le couloir. Donc, il y avait au moins l'un de nos ennemis derrière nous. Piètre réconfort… Il fallait se tenir prêt à attaquer si nous étions de nouveau prix en étau, ma feinte ne marcherait pas deux fois.
— Winry. Trouve des armes.
Là où nous étions, nous avions l'embarras du choix et elle se précipita pour décrocher des couteaux. Tandis que je dessinai le cercle à même la porte d'entrée, tremblant, priant pour que le résultat soit assez net pour fonctionner, elle me glissa un des couteaux dans la main. J'avais réussi à dessiner le cercle précédent sans regarder, mais j'avais l'intuition terrifiante que c'était un coup de chance que je ne saurai pas recommencer. Dans la nuit, je ne voyais même pas ce que je faisais. Le tonnerre gronda de nouveau, faisant trembler les vitres, et je posai la main sur la porte pour activer le cercle.
L'éclat bleu me rassura et la porte s'ouvrit sur la rue criblée de pluie.
L'extérieur.
Fuir.
Je me précipitai dehors, le couteau en avant, mais un coup violent me rejeta à l'intérieur dans une grande glissade et je levai les yeux en déglutissant.
Évidemment.
Glutonny baissa les yeux sur son bras, constatant que la lame s'était enfoncée jusqu'au manche. Il la retira et la jeta dans un coin sans montrer d'émotion particulière puis attrapa Winry par le poignet.
— Winry !
Je me précipitai vers elle, mais trébuchai et me retrouvai plaqué au sol par Lust. De chaque côté de ma nuque, un de ses doigts transformés en lames. Je les avais empoignés pour m'en dégager, mais je ne parvins qu'à m'entailler les paumes. Je levai des yeux vers Winry et la vis hurler et jeter son autre main en avant, lui plantant le couteau en plein visage tout en tournant la tête pour échapper au spectacle. La vue du visage défiguré et ensanglanté me donna un haut-le-cœur. Je ne savais pas comment je faisais pour ne pas vomir alors que la silhouette massive titubait dans une danse morbide. Winry se dégagea et laissa tomber le corps. Je la voyais trembler incontrôlablement, sous le choc de ce qu'elle venait de faire.
— FUIS ! hurlai-je.
Elle me regarda avec une panique mêlée de larmes et se précipita vers la porte. Une seconde trop tard. Lust lui avait barré le chemin de son autre main, lançant les lames de ses doigts pour les planter sur le chambranle avec un bruit sec.
— Vous m'avez énervée, commenta la femme en plissant les yeux.
— Aïe, fit Gluttony en se rasseyant, retirant le couteau planté dans son visage qui se régénéra aussitôt.
— Vous voyez pourtant que vous ne faites pas le poids, pourquoi insister ?
Une joue plaquée au sol, je me contentai de lever les yeux sans répondre et claquai la main sur un nouveau cercle. Le sol se souleva, la projetant au plafond avec une violence qui me surprit moi-même, et je bondis en avant aussitôt libéré.
Elle ne comprenait pas, elle ne se rendait pas compte que pour une fois, ma rage dépassait encore ma peur.
Je n'arrêterai jamais de me battre. Pour protéger Winry. Pour protéger mon frère. Pour eux tous.
— Vas-y ! criai-je tandis que le corps désarticulé de Lust retombait au sol. Maintenant.
Winry s'engouffra dans la brèche, mais Gluttony l'empoigna de nouveau. Il était beaucoup plus rapide que sa corpulence le laissait croire. Je le vis tirer sur la main de mon amie pour l'attirer vers sa bouche, la perspective de ce qu'il s'apprêtait à faire me donna l'impulsion de me jeter en avant, attrapant le couteau qui traînait au sol pour lui trancher la gorge.
J'avais l'impression que tout mon corps se déchirait quand je vis le sang jaillir et une violente douleur me scia les tempes. J'étais horrifié de ce que je faisais, je ne me savais pas capable d'une telle violence, mais je n'avais pas d'autre choix. Pire, ce n'était pas encore assez pour gagner contre eux. C'était monstrueux, ils étaient monstrueux. J'avais l'impression que ma tête se déchirait en deux. Pourquoi maintenant ? Ce n'était pas le moment.
Je voulais juste que ce cauchemar s'arrête.
Glutonny commença à se relever, alors je le frappai de nouveau, jusqu'à ce qu'il lâche Winry. Une main me prit par les cheveux et jeta contre la vitrine qui vola en éclat. Ma tête cogna contre le rideau de fer ajouré. J'avais tellement mal au crâne que j'aurais pu mourir. J'étais en train de perdre. Mon corps me trahissait. Mais ce n'était pas le pire.
Le pire, c'était que Lust avait empoigné le visage de Winry, lui couvrant la bouche, et souriait en fixant ses yeux bleus où brillait la panique. Elle se débattait, mais Gluttony qui s'était relevé, avait entravé ses bras et ses jambes. Dans les mains immenses de notre ennemi, ses bras semblaient aussi faciles à briser que des allumettes.
— Vous ne voulez vraiment pas nous rendre service… Tant pis pour toi, après tout, contrairement à ton ami, tu es dispensable.
Inondé de panique, je vis Lust glisser lentement son autre main le long de la gorge de mon amie jusque sous le menton, levant son index dans un geste presque caressant. Je me représentais beaucoup trop clairement ce qui allait se passer et je ne pouvais pas le supporter.
Mon sang ne fit qu'un tour, et j'oubliai mon corps endolori, la noirceur hurlante qui m'assaillait si je fermais les yeux et la douleur qui me griffait le crâne. J'oubliai qu'ils étaient immortels que je n'étais qu'un insecte pour eux, et j'empoignai les premiers éclats de verre que je trouvais sous mes doigts, me jetant sur eux avec un hurlement de rage.
Ils n'avaient pas le droit de faire ça à Winry. Jamais je ne les laisserai faire, quitte à en mourir moi-même.
Je sentis les tessons de verre se planter dans leur gorge, me labourant les mains au passage. Tombé à genoux, j'attrapai les couteaux tombés à terre, un dans chaque main, et les lardais de coups sans répit pour qu'ils meurent encore et encore. J'étais dans un état de rage indescriptible, et j'avais beaucoup trop mal pour penser.
Je ne me sentais même plus humain.
Ils n'auront pas Winry.
Deux mains empoignèrent mon visage pour me faire lever les yeux et le regard horrifié de Winry m'arracha à ma rage.
— Fuir, souffla-t-elle.
Je compris et je me laissai porter, plantant les couteaux dans un ultime coup pour courir à sa suite. Cette porte qui semblait hors de portée, je la franchis derrière elle, tiré par le poignet.
Je me mis à courir avec elle, droit devant nous, sous une pluie torrentielle qui se mêla au sang qui nous couvrait et me gela les os en quelques mètres. Mon sac battait contre ma cuisse, contenant la copie du carnet qui aurait pu m'apprendre à les battre si seulement j'avais été capable d'en comprendre le contenu. Mon cerveau tout entier hurlait, bien conscient que notre fuite n'avait aucun sens, qu'ils se relèveraient à notre suite et nous poursuivraient jusqu'à ce que l'épuisement ait raison de nous.
C'était un combat qu'on ne pouvait pas gagner, mais il était limpide pour moi qu'il était hors de question de cesser de lutter. Nous avions trop à perdre pour ne pas nous battre jusqu'au dernier souffle.
En me retournant, je vis le corps de Gluttony se redresser, alors que Lust courait déjà à notre suite.
On aura fait quoi… cent mètres de plus? Tu parles d'une évasion, pensai-je en continuant à courir malgré tout. On n'arrivera jamais à leur échapper.
Mais on doit essayer quand même.
Malgré tout, je me retournai pour continuer à courir toutes mes forces, brûlant de douleur. Nous n'avions aucun espoir, mais je refusais d'abandonner. J'avais encore un couteau à la main, je pourrai encore me battre, utiliser le torrent furieux qui envahissait mon esprit pour lutter jusqu'à ma mort. Ça ne suffirait pas à gagner, mais j'essaierai quand même. Je n'avais pas le choix.
C'était ce que je me disais quand un coup de feu gronda comme le tonnerre, faisant trembler la rue tout entière. Puis un deuxième. Nous avions sursauté, mais continué à courir, et en tournant la tête, je vis les silhouettes de nos poursuivants, effondrées au milieu de la route.
Mon cœur bondit dans ma poitrine.
Gordon? Flint?
Mon regard se leva vers les immeubles sans parvenir à se fixer sur les fenêtres à cause de la course, et je tournai de nouveau les yeux devant moi. Nous n'avions pas le temps de chercher d'où venait cette aide providentielle. Il fallait échapper à la vue de l'ennemi avant qu'ils ne se relèvent. C'était la première marche d'un escalier impossible à gravir, mais si nous réussissions, à ce moment-là peut-être, nous pourrions commencer à espérer. Nous nous engouffrâmes dans une rue perpendiculaire, hors de vue de l'arène de combat.
Winry zigzagua à travers les carrefours, me tenant par la main tandis que de nouveaux coups de feu résonnaient. La pluie striait l'air de griffures orangées. Quand elle courait dans les flaques, j'avais l'impression de voir des éclaboussures de sang. Des images terribles s'imprimaient dans mon esprit à chaque fois que je clignais des yeux, sous le torrent de pluie et de larmes mêlées. Nos vêtements trempés accentuaient la morsure d'un vent fort qui nous poussait de côté. J'avais l'impression que j'allais tomber à chaque pas. Je n'arrivais plus à penser. Ils allaient continuer à nous poursuivre. Ils étaient immortels. Comment leur échapper ? Je crus entendre des coups de feu une nouvelle fois, sans oser faire confiance à mes sens. Était-ce bon signe pour nous ? Probablement… alors que je m'attendais à ce qu'ils nous rattrapent en quelques minutes à peine, rien n'arrêta notre course. Pouvait-on espérer réussir à s'évader ? En tout cas, Winry semblait déterminée à ce que ça soit le cas, traçant notre route d'autorité.
— Où on va ? criai-je pour me faire entendre parmi le tambourinement de la pluie.
— Les tanneries !
Cela semblait évident, mais je ne parvenais plus à savoir pourquoi cela nous aiderait. Je courais avec elle, déchiqueté de douleur, de peur et de dégoût, luttant pour ne pas penser aux corps de Gordon et Flint, au fait que malgré la tempête qui nous entourait, les trombes d'eau qui nous écrasaient ne suffisaient pas à laver nos corps couverts de sang. Ne pas penser à l'horreur de la situation, à la violence de mes gestes. Je ne me savais pas capable de faire ça, et découvrir une telle brutalité chez moi me terrorisait. J'étais mon pire cauchemar. J'étais devenu un monstre. Je sentais mes mains pulser douloureusement tandis que le sang suintait de mes blessures malgré mes poings fermés. Ma gorge se serrait douloureusement, l'air froid me brûlait les poumons, mes flancs étaient déchirés par un point de côté qui m'aurait obligé à m'effondrer en temps normal, mes jambes me faisaient mal et j'avais l'impression que ma tête allait exploser. C'était plus que la souffrance, plus que la panique de devoir se battre pour sa survie… Je sentais quelque chose monter, quelque chose de confus, d'énorme et d'incontrôlable, qui allait m'écraser.
Qu'est-ce que je ressentais ? Ma propre peur ? Celle de Winry ? La présence des Homonculus ? Autre chose encore ? Au milieu de ce chaos, j'essayais d'analyser, de ne pas perdre pied, de comprendre ce qui se jouait, mais je sentais mes pensées tourbillonner et se dissoudre, comme si j'étais sur le point de cesser d'exister. La pluie torrentielle et la nuit rendaient tout ce qui m'entourait aussi incompréhensible que l'intérieur de mon esprit, et même si je continuais à courir, j'avais l'impression d'être en chute libre.
— La pluie… des tanneries… Et l'odeur… devrait… brouiller la piste, cracha la voix de Winry, à bout de souffle.
Sa phrase n'avait aucun sens, comme explosée par la panique, mais je ne lui en voulais pas. J'étais dans le même état.
Je serrai sa main comme si c'était la seule chose qui pourrait m'empêcher de sombrer. Il n'y avait plus que ça qui n'était pas complètement glacée. Il fallait lutter. Contre quoi, je n'en savais rien, mais j'avais l'impression que les ténèbres s'apprêtaient à m'avaler tout entier, qu'il allait se passer quelque chose dont je ne ressortirai pas indemne. Alors que les Homonculus n'avaient toujours pas refait surface, cette peur absurde ne faisait que gonfler encore et encore. J'étais terrifié par cette chose qui me dépassait.
Je ne veux pas!
Fuir.
J'ai peur!
Fuir.
Est-ce que je vais devenir un monstre?
Fuir.
Je me sentais au bord de l'évanouissement quand Winry se figea.
— Merde !
Je clignai des yeux pour chasser la pluie qui inondait mon visage, essayant de comprendre sa réaction. Les réverbères n'étaient plus que des taches orange striées de pluie, et se reflétaient sur des lignes abstraites dans lesquelles j'aurai reconnu des hangars et des grues en temps normal. Devant nous, une eau noire, lourde, tachetée d'éclats orangés.
La rivière nous barrait la route. D'un côté comme de l'autre, pas de pont à proximité.
— Ils sont en route, bredouillai-je d'une voix rauque.
Je ne savais même pas pourquoi je disais ça, je ne savais même pas comment je le savais, mais c'était une certitude au milieu du chaos. La prise de Winry se raffermit sur ma main blessée, m'arrachant un sursaut de douleur.
— Tu me fais confiance ? demanda-t-elle.
Je hochai la tête, trop essoufflé pour parler.
Elle se remit à courir droit sur le fleuve et j'en fis autant, sans lâcher sa main. Je savais que si elle m'échappait, c'était la fin. Il y eut un saut, un instant suspendu, et je me sentis tomber dans une grande éclaboussure avec autant de violence que si je me cognais à un mur. L'eau glacée se referma sur moi comme une gigantesque morsure, me coupant le souffle, et je sentis les ténèbres m'avaler tout entier.
Le peu qui me raccrochait à la réalité disparut, et je perdis pied.
Les ténèbres.
Un vide sans fond.
À ce moment-là, je sentis qu'il n'y avait plus rien entre moi et le néant, plus rien pour retenir cette vague que je tentais de réprimer depuis plusieurs minutes. C'était comme si quelqu'un avait éteint le monde, comme s'il avait explosé.
Je revis l'éclat violacé de la transmutation. Je reconnaissais le cercle, je voyais la panique dans le regard d'Edward. Il était enfant. Les reflets d'un éclair dessinèrent les contours de mon armure et teintèrent ses yeux dorés d'un éclat de panique.
Mon armure?
Le jour où on a essayé de ramener maman.
Je sentis ma conscience me débattre. Je ne voulais pas voir ça, je ne voulais pas me souvenir.
Les feuilles volaient, emportées par le tourbillon de la transmutation, le verre éclatait de toutes parts. Quelque chose n'allait pas. La matière qui dansait en changeant de forme au milieu du cercle me terrifiait. Quelque chose s'ouvrit dans le cercle, et des mains noires m'attrapèrent. Je me tournai vers mon frère, le suppliant de m'aider, mais je vis dans son regard qu'il ne savait pas plus quoi faire que moi. Il se précipita dans ma direction en criant mon nom et je tendis la main dans l'espoir qu'il l'attrape. À la place, je vis mes doigts s'éclairer et sentis mon corps se dissoudre dans un hurlement de douleur et de terreur.
— Ed !
J'étais catapulté dans un néant blanc. J'entrevis une silhouette noire dont seul le sourire se détachait. C'était le même genre de sourire que Glutonny. Ou était-ce l'inverse ?
Pourquoi ce nom avait émergé dans mon esprit ? Pourquoi ce sourire était si familier, si terrifiant ?
— On dirait que tu as fait une erreur…
J'étais assis, le cul par terre dans ce monde d'un blanc inexistant. Je sentais mes mains posées sur un sol inconsistant, sans contours définis, mes vêtements froissés, la sueur froide sur mon dos. Je croyais être mort, j'aurais dû être mort. Je levais les yeux, tremblant.
— Quelle erreur ? demandai-je d'une voix brisée par la peur.
— Je te laisse le découvrir par toi-même.
L'ombre avait à peine prononcé ces mots que je sentis des petites mains noires m'attraper le poignet, les épaules, les chevilles pour m'attirer en arrière. En basculant la tête en arrière, je vis une porte, une immense porte sculptée qui me surplombait, donnant sur une mer noire d'yeux, de mains et de rires. Mon instinct me hurla de fuir et je luttai, griffant ce sol trop immatériel pour que je puisse m'y retenir dans l'espoir vain que la porte ne se referme pas sur moi. Enveloppé de ces lianes noires qui m'étouffaient, je me vis glisser, tomber, et le rectangle de lumière de la sortie, après être barré par ces bras qui évoquaient un nid de serpents, disparu dans un claquement.
C'était un enfer de ténèbres, de rires et de griffures. Ces mains dégoûtantes me tenaient, se lovaient surtout mon corps en m'étouffant. Je sentais des regards, j'entendais des rires. Là où j'étais, il n'y avait pas un seul gramme de tendresse. Ce n'était que de la souffrance, de la moquerie de la haine à l'état pur.
Des mains attrapèrent mes tempes et je poussai un hurlement de douleur en sentant quelque chose s'insinuer dans mon esprit. C'était comme si mon cerveau se déchirait sous le poids de tout ce qu'on y jetait pêle-mêle. Tout se mélangeait, se liquéfiait, et je revis la formule de Newton, le jour de ma naissance, les larmes d'une chimère, une armure vide, du sang, la construction même de l'univers et le sourire de Winry, ma maison en feu, le point de fusion du carbone et la main de Maman retombant sur les draps, une couronne de fleurs, Edward en larmes, un homme à lunettes roué de coups, la naissance d'une pierre philosophale, Edward refusant de transmuter des condamnés à mort pour me sauver, les propriétés de la géométrie dans l'espace courbe, l'échec de notre transmutation, une marche dans le désert, Edward avec le bras et la jambe arrachées, la trajectoire d'un électron, un ennemi qui me frappait en disant que je n'étais qu'une copie créée par mon frère, le pliage d'une molécule, un oiseau qui s'envolait des mains d'un prêtre, l'alignement des atomes du plomb, le regard de Roy Mustang sur mon frère, la montre d'Alchimiste d'État, la désintégration radioactive d'un atome d'hélium, une fillette nous souriant, la sensation d'un soldat tenant en joue un enfant, le murmure d'une révolte, une pierre rouge qui explose, et une infinité d'autres choses qui ne laissaient plus la place d'exister et m'éjectaient de moi-même.
Mais par-dessus tout, je me sentis envahi par un vide affreux : l'absence de sensation, de chaleur, de froid, de fatigue ou de faim, ce dépouillement et cette solitude lancinante qui reliait ces souvenirs et prenait toute la place.
Le vide de l'éternité.
Est-ce que c'était ça, mourir ?
Assommé par la violence de ce mélange brutal et incohérent d'émotions, d'informations et de souvenirs, je me sentis me dissoudre et compris que j'étais en train de perdre conscience, peut-être même de mourir.
La dernière chose dont je me souvins, avant que ma conscience s'éteigne, c'était une sensation.
Celle d'une main qui serrait la mienne, comme pour m'empêcher de couler.
Un très léger roulis. La sensation rêche du tissu sur ma peau. Un mal de crâne atroce. Mes paumes qui chauffaient et me lançaient. Un froid glacial qui me mordait jusqu'à l'os. La rougeur d'une lumière à travers mes paupières. Mon corps endolori. Un brouhaha de voix lointaines et floues. Ma gorge et mon nez me brûlaient. Une sensation instable et douce à la fois. Une chaleur douloureuse sur ma peau, qui ne parvenait pas à dépasser la surface de mon corps gelé. La marque indélébile de la peur. L'épuisement. La nausée. Le froid, le froid. Des souvenirs étrangers. Une sensation familière.
Je n'avais même pas la force d'ouvrir les paupières, ni de bouger ne serait-ce que le bout de mes doigts. Je me sentais sur le fil entre la conscience et le néant, entre la vie et la mort. Terrassé par le trop-plein qui m'avait envahi, je n'arrivais plus à me souvenir du passé ni de l'avenir. Ni de ce qui m'avait jeté là ni de ce que je devais vouloir.
Le temps n'avait plus aucun sens, de toute façon.
Seule restait l'empreinte d'un troupeau de pensées disparues et ce lot de sensations douloureuses, brûlantes, et pourtant apaisantes. Sentir la douleur, c'était déjà faire partie de la réalité, n'est-ce pas ? La moindre chose que percevaient mes sens me semblait douloureuse, même le bourdonnement discret des conversations me donnait mal au crâne. Est-ce que c'était normal de ressentir ça ? Sans doute que non. Pourtant, ça me soulageait. Je ne m'étais jamais senti à la fois aussi lucide, désorienté, effondré, serein.
J'étais vivant.
Il s'était passé quelque chose de grave. Je ne savais plus quoi, j'avais trop perdu le fil de ma propre vie pour savoir quand nous étions, mais la peur n'avait pas encore reflué de mon corps. J'avais la gorge sèche, le dos trempé, et pourtant, si froid…
Je me rappelai cette main tendue. Je revis le geste de mon frère, alors que j'étais emporté par la transmutation. Est-ce que c'était lui qui m'avait arraché à la noyade ?
À tout hasard, je tentais d'articuler son nom. Mes cordes vocales me faisaient défaut, mais j'arrivai à bouger les lèvres.
Les voix ne me remarquaient pas. J'abandonnai mes efforts, sombrant dans une inconscience aux contours flous, plongeant, émergeant par vagues de quelques secondes ou quelques heures, je n'en savais rien, puis je réessayais encore, sans trop d'espoir.
Enfin, quelqu'un s'en rendit compte. Je ne comprenais pas les mots, mais je les entendis se rapprocher, et redoublant d'efforts, je parvins à entrouvrir les yeux. Mon regard flou vit une atmosphère chaude, couleur bois, une lumière qui m'éblouissait, et une silhouette en contrejour au visage flou.
— … E… d ? tentai-je d'articuler.
— Al, tu es réveillé, souffla une voix féminine d'un ton soulagé.
Al.
C'est vrai.
C'est moi.
J'avais l'impression d'entendre une autre langue et de devoir faire un effort énorme pour comprendre ces mots pourtant simples.
— Vas-y doucement, souffla la voix en posant une main sur mon front. Tu as failli te noyer.
Je refermai les yeux. Oui, j'avais failli me noyer… J'avais failli mourir, physiquement. Cela me disait quelque chose. Quand était-ce arrivé ? La lumière m'éblouissait et ce simple contact, pourtant doux, était douloureux. J'avais oublié la douleur. Comment pouvait-on oublier la douleur ?
— Je suis désolée…
— Ça va aller pour ton ami ? fit une voix inconnue.
— J'espère… j'ai fait tout ce que je pouvais pour le moment, mais il est encore en hypothermie.
— En même temps, sauter dans le fleuve en plein hiver, il faut être fou ! fit une voix rauque à l'accent traînant.
— Dans la zone des tanneries, en plus… ce n'est pas le meilleur endroit pour une baignade, avec tout ce qu'ils déversent comme saloperies dans ce coin-là, fit une voix plus grave.
— Vous avez eu de la chance qu'on vous ait repêchés, tous les deux.
Celle-là était plus douce, une voix de femme, peut-être.
— J'en suis bien consciente, et je vous en remercie infiniment.
— Ah, ça sent encore les problèmes, tout ça…
— Désolée…
— Si son état ne s'améliore pas, il faudra voir un médecin.
— Il vaudrait mieux qu'on évite autant que possible. C'est que…
— Vous êtes poursuivi par quelqu'un, c'est ça ? Vous n'avez même pas un manteau sur le dos, ça se voit que vous êtes partis précipitamment…
Suivre la conversation était un effort, le temps de raccrocher un sens à une suite de mots, ils s'étaient déjà répondu. J'avais bien vite renoncé, me contentant du peu que mon cerveau était capable d'assimiler sur le coup et de ces présences sans animosité qui se trouvaient près de moi.
Je sentis quelqu'un remonter les draps sur moi et c'était comme si le moindre relief me griffait la peau. Mais ce geste était rassurant. Je sentais la tendresse, même si cela me faisait mal.
— Bon, je sais pas ce que vous avez fichu, mais vous êtes des gosses, je ne dirai rien… en tout cas, pour le moment.
— Merci…
Je me sentais bercé, comme si quelque chose basculait. Était-ce les vertiges ? Je n'en savais rien, mais j'avais la sensation d'être en sécurité.
— Comment tu te sens ? demanda la voix féminine, penchée sur moi.
Je mis un moment à comprendre que c'était à moi qu'elle parlait, qu'elle attendait une réponse.
— Mal… mais… ça va.
— Repose-toi et guérit, Al, d'accord ? souffla la voix d'un ton encourageant.
Maman?
Non, maman était morte.
Edward?
Pas Edward.
Petit trèfle?
Winry.
C'était Winry.
Je sentais que j'allais m'endormir de nouveau, ou m'évanouir, je ne savais plus la différence. Mais je sentais que là où j'étais, pour le moment, je ne risquais rien. Il y avait la voix d'une amie qui veillait sur moi, et une autre présence et étrangère à la fois, proche et lointaine, diffuse comme une tache d'encre qui m'enveloppait tout entier. Sans parvenir à la reconnaître, je sentis mon cœur se serrer, pris d'une émotion tendre et pesante qui aurait pu me faire pleurer si je me souvenais comment on faisait ça.
Mais il y avait encore autre chose. Quelque chose d'important.
Je fis tout un effort pour tenter de parler. Il y avait cette chose que je devais dire, quelque chose d'important… quels étaient les mots, déjà ?
— Je…
— Oui ?
— Je… me… souviens, articulai-je lentement.
Il y eut un silence, ou ces mots prirent toute la place.
— Tu te souviens ? De quoi, Al ?
J'aurais dû répondre, mais ce qui s'était passé dépassait le cadre des mots, surtout à cet instant où je me sentais roué de coups, à l'orée de la conscience.
— Al ?
Je sentis juste sa main chaude se poser sur mon front, dans un geste aussi doux que douloureux. Ce fut la dernière chose que j'emportai en retombant dans les limbes de mon esprit ou je me nichais profondément pour reprendre des forces.
