Stiles avait oublié de programmer une alarme pour se réveiller à temps, mais ce n'était pas grave : son corps avait des réflexes qu'il ne lui connaissait pas. En effet, l'hyperactif avait émergé juste à temps pour prendre une douche rapide, se préparer et décamper de l'appartement.
Lorsqu'il arriva au bar, il n'avait pas mangé. A vrai dire, il était si fatigué qu'il n'y pensait pas vraiment. Son ventre ne s'était pas serré, n'avait émis aucun bruit. Il ne l'aidait pas, lui aussi. Qu'importe. Cet après-midi, ça irait. Il était là parce qu'on le lui avait demandé. Il devait dépanner le patron, parce qu'un de ses collègues avait eu un empêchement. Il l'avait su la veille. Alors, il était là, prêt à aider. C'était le soir que les choses se gâteraient, dans le sens où il y aurait du monde. A ce moment-là, il serait impossible pour lui de se reposer. Avec un peu de chance, s'il allait assez vite pour préparer cette soirée, on lui accorderait un peu de temps pour piquer un somme dans les vestiaires…
- Stiles, mon chou, par ici !
L'hyperactif tourna la tête, cherchant la propriétaire de cette voix, qu'il connaissait si bien. Il eut juste un peu de mal à la voir. Pas parce qu'elle était loin ou cachée de quelque manière que ce soit. Stiles y voyait juste… Un peu mal. Comme d'habitude. En général, il avait tendance à mettre ce détail sur le compte de la fatigue et parfois, c'était juste. Sauf que sa vue avait commencé à baisser, un peu. Pas beaucoup, pas suffisamment pour qu'il s'embête à aller voir un professionnel de la vue. Puis ce genre de rendez-vous avait un coût.
Et depuis qu'il avait arrêté ses études au FBI, Stiles comptait chaque dépense. Celle-ci n'ayant aucun caractère prioritaire, il ne s'en préoccupait pas. Tant qu'il y voyait, il pouvait travailler, alors c'était suffisant pour lui. Il n'avait pas besoin de plus. La netteté perdue n'allait pas l'aider à augmenter son salaire.
Stiles adressa un sourire franc mais limité à Maïa, qui l'étreignit chaleureusement. Il referma ses bras sur elle sans hésiter, même si les contacts physiques ne l'emballaient plus vraiment. Plus le temps passait, moins il aimait ça. Parce que… Il était fatigué, tout le temps. Ressentait tout à outrance. Chacun de ses sens était exacerbé à cause de la fatigue et ce, par intermittence. Son ouïe faisait naître dans son crâne un capharnaüm sans nom, son odorat lui donnait envie d'éternuer, comme si chaque particule était la source d'une allergie potentielle. Sa sensibilité à la lumière était accrue et son toucher, exacerbé.
Stiles n'était pas un loup-garou, non. Il était juste humain. Un humain épuisé, pour qui le repos était un luxe. Chez lui, la fatigue rendait tout… Trop fort, trop coloré, trop… Tout. Le comble dans tout ça ? Cela ne faisait rien de plus que renforcer la teneur de son épuisement. Stiles était au bord du burn out physique, mais il n'en avait cure.
Parce qu'en fait, il n'avait d'autre choix que celui de tenir.
La bonne humeur habituelle de Maïa lui donna du baume au cœur. C'était bête, mais ce genre de petites choses l'aidait à avancer, à se dire que tout était possible. Qu'il pouvait supporter quelques heures de plus, se mentaliser pour ne pas s'effondrer avant d'être rentré. Au départ, Maïa n'était qu'une simple collègue un peu revêche, mais… Le temps l'avait transformée en une amie certaine. Le genre de personnes qu'il ne se sentait pas capable d'effacer de sa vie.
Elle était comme la meute. A jamais dans son cœur.
Maïa se recula sans se départir de ce sourire qui en faisait tomber plus d'un, et qui pourtant n'était rien de plus qu'amical. Certains hommes y voyaient ce qu'ils voulaient. Une forme de séduction illusoire, le sourire d'une femme affamée.
Non, Maïa souriait juste comme ça aux gens qu'elle portait dans son cœur. Ceux qui décidaient de l'interpréter d'une autre manière et qui le lui montraient finissaient généralement par goûter à la texture quelque peu dure du plancher. Il en allait de même pour ces étreintes qu'elle offrait régulièrement à Stiles. Lui, il qualifiait ça de « câlins-nounours », parce qu'il voyait Maïa comme une dur à cuire face aux autres, mais extrêmement tendre et démonstrative avec lui. Ils avaient développé ce genre d'amitié un peu étrange, parfaitement clair pour eux, ambigu pour d'autres. Maïa, c'était la mère poule de cet hyperactif un peu tête en l'air. Stiles, c'était le gars discret qui temporisait cette femme au tempérament sanguin. Au boulot, ils étaient tout le temps ensemble et les rares fois où le châtain avait un peu de temps libre – qu'il ne passait pas à tout simplement dormir –, ils se voyaient.
Pour dire la vérité, elle était sa seule amie, ici. La seule qu'il avait accepté de se faire, qui s'était naturellement créée une place dans son cœur.
- Toi, dit-elle en croisant nonchalamment les bras sur sa poitrine, tu as passé une mauvaise nuit.
Par là, elle sous-entendait que celle-ci avait été plus courte que les autres. Bien loin de chercher à mentir, Stiles haussa les épaules. Il avait l'habitude, et elle le savait. Cependant, il fallait avouer qu'il avait eu bien du mal à trouver le sommeil. L'air de rien, ses préoccupations habituelles le minaient et… L'angoisse de n'être pas certain d'avoir assez d'argent sur son compte à la fin du mois le chevillait au corps. Il y avait cela, bien sûr, mais aussi le fait de savoir que son colocataire était en train de s'envoyer en l'air avec une énième conquête. Une fille, sans doute trouvée sur une application de rencontre.
Jace n'avait aucun mal à trouver de quoi apaiser cette faim qui revenait sans arrêt.
Du côté de Stiles, c'était le calme plat et il n'allait pas s'en plaindre, même s'il lui arrivait parfois de vouloir décompresser. Se sentir désiré et désirable, au moins le temps de quelques heures. Mais il ne faisait rien, ne cherchait personne. Il était rare pour lui d'avoir le temps de se reposer ou bien de se détendre avec Maïa en dehors de ses heures de travail. Alors un coup comme ça ? Trop chronophage par rapport au temps libre qu'il avait.
Stiles se dirigea vers les vestiaires, Maïa le suivit. Elle était déjà changée, mais pas son ami. Ils étaient seuls dans la pièce, et la jeune femme regarda distraitement l'hyperactif retirer son haut, qu'il balança en boule dans le casier qui lui était attribué. Entre eux, il n'y avait pas d'ambiguïté, pas de gêne non plus. Bien vite, elle fronça les sourcils.
- Stiles, tu as pensé à manger avant de partir ?
- J'y ai pas pensé, répondit tout naturellement le châtain en enfilant la chemise règlementaire.
Stiles était un peu maigre, c'est vrai. La faute à ses quelques oublis, et cette manie qu'il avait de ne pas toujours acheter tout ce dont il avait besoin au niveau de la nourriture. A la coloc, chacun gérait ses repas et ses courses, personne ne prenait dans la réserve de l'autre. Enfin, l'on pouvait se servir en cas de nécessité, mais Stiles ne se le permettait jamais. Mis à part cela, il allait bien. Il mangeait juste un peu moins que ce dont il avait besoin.
Maïa soupira. Elle déverrouilla et ouvrit son propre casier. Habituée aux oublis de Stiles tant ils étaient récurrents, elle lui tendit un petit sandwich. Il secoua la tête avec un petit sourire gêné, en lui disant que ça irait. Si elle l'écouta ? Pas du tout. Connaissant le personnage, elle savait qu'il valait mieux ne pas lâcher l'affaire.
- Tu le prends et tu le gobes.
Stiles esquissa un rictus amusé et céda en attrapant le sandwich. On ne résistait pas au côté maman poule de Maïa. Et de toute façon, il n'en avait pas envie. Alors il tapa un croc et leva un pouce en l'air en direction de son amie. Elle avait mis du bacon – à force de le côtoyer, elle commençait à bien connaître ses goûts. Son quotidien, aussi. Au courant de ses problèmes financiers et de ceux, médicaux, de son père, Maïa essayait de prendre soin de lui à sa manière. Il le méritait. Mais, pour ne pas le gêner, elle restait discrète sur certains points. Comme le fait qu'elle parlait parfois dans son dos au boss du bar pour alléger ses horaires. C'était d'ailleurs pour cette raison qu'il ne travaillait pas toute la soirée : elle avait décidé d'assumer le service seule passée une certaine heure – le patron était d'accord. Mais ça, Stiles ne le savait pas, on lui avait donné son emploi du temps de la semaine sans rien lui dire. Et, fatigué comme il l'était, il se souciait assez peu des détails de ce type. Alors, Maïa lui glissa rapidement le fait que le programme avait légèrement changé et qu'il pourrait partir plus tôt. Stiles hocha la tête, sans se douter que Maïa était à l'origine de cette manœuvre.
Vint rapidement le moment de s'activer. De retour dans la grande salle, Stiles salua les collègues qu'il n'avait pas encore vus et chacun s'occupa des tâches qu'on lui donna. Et même s'il se savait littéralement entouré de loups-garous et autres créatures surnaturelles, car le bar était une safe place pour ces êtres-là, Stiles chercha tout de même à faire bonne figure. Dissimuler émotions et fatigue, juste pour avoir l'air bien. Il pouvait bien évidemment compter sur l'hypocrisie de certains collègues, qui eurent le culot de lui dire qu'il avait bonne mine. Dans son coin, Maïa grimaça. Certains étaient limites avec Stiles, parce qu'il avait réussi à être embauché alors qu'il n'était qu'un humain. Quelques idiots entretenaient un mépris clair envers la race humaine… Et Stiles le savait, mais s'en fichait. Lui, tant qu'il travaillait et qu'il était payé, la façon dont certains collègues le voyaient ne lui faisait rien.
Le temps passa relativement vite et prendre une pause s'avéra impossible tant il y avait à faire. La grande salle était nickel et bien ordonnée lorsque les premiers clients de la soirée arrivèrent. Stiles se para de son sourire le plus commercial et exécuta son rôle de serveur à la perfection. Sauver les apparences, c'était son truc. Endormir les sens d'autrui avec son bagout, également. Comme d'habitude, il fut d'une efficacité remarquable, une efficacité qui n'était plus à prouver, à tel point qu'il était difficile de lui faire des crasses sans que cela se voie. Disons que le patron du bar connaissait l'humain et sa valeur, alors tenter de lui faire croire qu'il pouvait être à l'origine d'erreurs de commandes ou autres ne fonctionnait pas – d'autant plus que mentir et colporter des rumeurs dans un bar où le patron lui-même était un loup-garou n'était pas une chose des plus judicieuses. Pas qu'il protège spécialement l'humain, mais il savait reconnaître lorsque le travail était bien fait et ne tolérait pas l'injustice ou les crasses sur fond de jalousie.
En début de soirée, alors que le service commençait à prendre de l'ampleur mais n'était pas à son paroxysme, il alla voir Stiles et lui apprit qu'il pouvait partir d'ici une demi-heure. Bien que surpris, l'hyperactif ne chercha pas à discuter. Il avait appris à prendre les choses telles qu'elles venaient et, dans le rush, n'avait pas envie de consacrer son énergie à autre chose que son travail. Il continua juste d'être le parfait serveur devant les clients quand, derrière eux, il échangeait des regards blasés ou moqueurs avec Maïa. Oui, ils se moquaient parfois en douce de certains buveurs un peu lourds ou excentriques, et personne n'en savait jamais rien. On ne faisait pas attention aux serveurs en eux-mêmes. La barmaid, si elle attirait les regards, ce n'était pas pour son attitude ou sa personnalité. On ne voyait que son physique, et on tentait souvent de la draguer. Maïa adorait ça, parce qu'elle prenait toujours un malin plaisir à rembarrer ces idiots et à les faire rabaisser plus bas que terre. Ce n'était qu'une petite revanche face au manque de retenue et de respect de certains. Une revanche qu'elle mangeait chaude. Avec des remarques épicées.
Ainsi, Stiles la salua chaleureusement avant d'aller se changer, et de partir assez rapidement. Les quelques heures de sommeil supplémentaire qu'il pouvait grapiller… Il ne cracherait certainement pas dessus, d'autant plus qu'il continuait d'y voir un peu flou. Ça, c'était désagréable.
Si Stiles ne s'était pas autant pressé, s'il était parti quelques pauvres minutes plus tard, sans doute aurait-il été surpris. Parce qu'il aurait vu Derek Hale pénétrer dans le bar d'un air fatigué et perdu, l'air d'un homme qui avait passé une longue journée.
La rencontre aurait sans doute été cocasse, d'autant plus que Stiles n'était absolument pas au courant du fait que Lydia avait commissionné l'ancien alpha pour venir le chercher dans le but de le convaincre d'accepter la proposition à laquelle il ne faisait qu'apposer excuses sur excuses.
Oui mais voilà, Stiles s'en était allé, les fesses vissées dans sa vieille auto décharnée garée quelques rues plus loin tandis que Derek venait à peine d'arriver, sans imaginer que celui qu'il cherchait s'était trouvé là où il se rendait.
