Notes: Bonjour, bonsoir! Voici un nouveau chapitre de Saint Kanon. Cette fois ci, plutôt penché sur des tranches de vie de ci de là au Sanctuaire. Je précise juste à titre d'info, il n'y a aucune suite chronologique entre les parties de ce chapitre. Ce sont des moments piochés au hasard, au fil du temps. Je vous souhaite une bonne lecture.


Huitième histoire : Nuages à l'horizon

Par ce début de journée, où dans le ciel, les nuages se faisaient chasser après une nuit d'orage, Shion descendait en direction du hameau du Sanctuaire, un petit village en plein milieu du domaine d'où arrivaient les provisions et les produits de première nécessité de l'extérieur. Là bas, des petits commerces et d'autres personnes s'activant dans d'autres métiers vivaient en harmonie avec les chevaliers et futurs protecteurs d'Athéna, en un petit univers particulier, quasiment coupé de tout, entre cette époque du XXème siècle et l'ère mythologique. La plupart des habitants du hameau était composée de personnes ayant abandonné leur formation de chevalier, et n'ayant nulle part où aller et voulant rester fidèles à ces terres qui les avaient adoptés.

Depuis sa prise de fonction de Grand Pope, il y a pratiquement deux siècles et demi, Shion veillait aussi au bien être de cette zone. Il tenait à être informé de tout dans le Sanctuaire, et dès qu'il en avait marre de faire des papiers, depuis son palais en haut des escaliers du zodiaque, il s'accordait des promenades parmi les arènes et aires d'entrainement, il saluait les soldats qui montaient la garde aux extrémités, se perdait parfois dans les bois pour profiter de la nature, tout en apercevant des animaux sauvages, et surtout, il ne manquait pas d'aller acheter sa miche de pain chez le boulanger du hameau. C'était son rituel à lui, son plaisir simple malgré son rang et sa notoriété. Il avait connu celui qui avait ouvert ce premier commerce dans le Sanctuaire, une dizaine d'année après la fin de sa Guerre Sainte, alors que les survivants étaient si peu nombreux, affaiblis, et mourant de faim. L'ancêtre de ce boulanger, un simple soldat à l'époque, aimait manger et s'était réfugié dans le village de Rodorio, chez le boulanger, justement qui lui avait appris à faire du pain. Shion l'avait retrouvé et proposé de revenir dans le domaine d'Athéna, lui donnant une mission importante: nourrir ses habitants avec un peu de pain. Les siècles avaient passé, la recette de cette miche croustillante sur le dessus et la mie si légère s'était améliorée et ravissait toujours plus les chevaliers et bien plus sur ces terres sacrées. Et Shion, le premier, qui honorait sa promesse d'aller les voir plusieurs fois par semaine, quand son travail l'en autorisait.

Ainsi, le Grand Pope descendait jusqu'au hameau, mais il n'empruntait pas les escaliers du zodiaque. Il connaissait d'autres accès, d'autres pentes plus ou moins dangereuses qui menaient vers son palais ou les douze Maisons et tant de raccourcis. Le privilège d'être le représentant de leur déesse en attendant son retour: il avait eu deux siècles pour connaître par cœur chaque endroit du Sanctuaire, caché ou non et les avait répertoriés, puis caché ses trouvailles au Mont Etoilé au milieu de ses rapports de lecture des étoiles.

Il sentait d'ailleurs le moment où il devrait léguer tous ces documents à Kanon approcher. Lors de sa dernière observation des astres, il y avait eu de l'agitation dans le ciel, une agitation anormale, confirmée par le message télépathique d'un être cher vivant trop loin de lui en cette période qu'il qualifiait de calme avant la tempête. Dohko, son plus vieil ami, depuis les Cinq Pics de Rozan en Chine, lui avait transmis ses pensées comme il le faisait depuis toujours. Et ces dernières n'étaient pas de bon augure. De mauvaises étoiles, maléfiques, dont une trainée de cosmos inquiétant se dégageait pendant leur course, s'étaient enfuies de la prison dans laquelle Athéna les avaient scellées il y a plus de deux siècles et demi. Il n'y avait rien de régulier, aucun danger n'avait été déclaré juste après. Mais les faits étaient là: l'affrontement serait pour bientôt. Et Shion savait que le retour du chevalier de la Balance parmi les autres guerriers dorés pourrait le réjouir après tant de temps de séparation mais, qu'il annoncerait le début de cette guerre entre dieux. Et son issue, même les étoiles ne pouvaient la lui prédire...

Au cours de sa marche, perdu dans ses pensées, il n'avait pas réalisé qu'il avait bifurqué du sentier pour se retrouver non pas en bas des marches, mais devant son ancienne demeure, la Maison du Bélier. Sur le perron, un jeune garçon roux était assis, en train d'écrire, à priori.

« Bonjour, Kiki, fit Shion en s'approchant.

-Oh! Grand Pépé Shion, répondit l'enfant en lui offrant un grand sourire teinté de malice.

-Tu n'es pas à l'école? Tu t'entraines à garder le Temple?

-Ben oui... Maitre Mu est reparti à Jamir pour étudier l'armure du chevalier noir et je loge ici en attendant son retour. C'est Aldébaran, le chevalier du Taureau qui s'occupe de moi en son absence et qui m'apprend à bien me battre. Quant à l'école...

Kiki baissa la tête sur sa feuille, comme honteux.

-Ca se passe pas bien dans la classe de Saga?

-Si c'est un bon professeur, au contraire mais... il m'a puni...

-Pardon?

-Y a un gars, il a osé dire que Maitre Mu, il était pas un chevalier mais un garagiste parce qu'il se bat jamais et qu'il est tout le temps avec des outils dans les mains. Moi ça m'a énervé et je l'ai soulevé la tête en bas dans les airs grâce à la télékinésie. Ça a fait marrer tout le monde jusqu'à ce que le prof arrive et il m'a viré de la salle de cours. Maintenant, je dois traduire en grec dix pages du traité de réparation de Jamir pour demain, et en plus je dois le faire signer par Aldébaran. C'est la honte...

Le Grand Pope se retint de rire. Depuis plus de treize ans que Saga est devenu instructeur, il avait un peu acquis en autorité et ne se laissait plus trop faire.

-Il est au courant, Aldébaran pour ta punition?

-Non. Il est parti en mission au Brésil. Il revient ce soir.

-Bon. On ne lui dit rien, je vais signer à sa place, déclara Shion en griffonnant en bas d'une page noircie par Kiki.

-Grand Pépé?

-Je sais que c'est énervant quand on insulte une personne qu'on respecte, mais ne rien dire ça agace encore plus. Ton énergie, tu dois la garder pour protéger ceux qui te sont chers. Mais je sais que tu es jeune et que tu vas pas écouter un vieillard de 261 ans, hein?

Le garçonnet sourit:

-Bien sur que je vais t'écouter. Parce que je connais la force de Maitre Mu, et je veux prouver que c'est une belle personne, et pas qu'un réparateur d'armures. Il me l'a dit que notre rôle, en tant que peuple de Jamir, c'est de veiller sur les protections des chevaliers d'Athéna.

-Tu as raison, Kiki. Il ne faut pas prendre à la légère cette mission. Et en plus de cela, les chevaliers du Bélier ont deux autres rôles et pas des moindres: ils doivent protéger notre déesse comme tout un chacun ici, mais aussi cet escalier qui mène vers la grande statue.

-Oui, Saga nous a dit que c'est un symbole très important, tout autant qu'Athéna elle même et que c'est une fierté de la voir des quatre coins du Sanctuaire.

-Et elle est magnifique, la nuit quand la lune et les étoiles l'éclairent, n'est-ce pas?

-Oui! J'ai pu escalader le toit de la Maison pour voir ça une fois, c'était magique!

-Je te comprends, Kiki. Est-ce que tu sais quand Mu reviendra?

-Mmmh... Dans trois jours je crois.

-Alors je vais te confier ta première mission importante, Kiki. Quand il sera de retour, il devra me remettre un papier sur ses recherches. Est-ce que tu pourras me l'emmener, toi et toi seul?

Le regard et le sourire du rouquin s'agrandirent d'un coup, et son torse comme gonflé de fierté.

-Vous pouvez compter sur moi, Grand Pope!

Shion lui sourit tendrement.

-Je te fais confiance, futur Bélier. Je te laisse finir ton travail, je me rends au hameau.

-Bonne journée, Grand Pépé! »

曇り空

Après des jours réfugiée dans l'infirmerie réservée aux chevaliers et apprentis, une jeune fille foulait pour la première fois la terre battue du domaine sacré. L'on lui avait dit que ce matin, il n'y avait peu de gens aux alentours et que son compagnon d'infortune ferait également ses premiers pas dans le Sanctuaire.

Elle avait eu du mal à accorder sa confiance, même aux médecins et servantes qui veillaient sur eux.

Dans son esprit, ses premières années sur cette ile infernale revenaient sans cesse. Les pics de chaleur, les éruptions volcaniques imprévisibles, les séismes toujours plus violents. Sans parler de son père qui était un homme sévère, parfois méchant et surtout très violent envers ce garçon qui était devenu son disciple. Qu'était-il devenu? Avait-il réussi à s'en sortir avec l'armure du Phénix? Il n'était pas mauvais. Il avait été écrasé par la dureté de cet entrainement sur ce caillou incandescent perdu au milieu de l'océan. Parfois, quand elle venait lui passer un linge humide pour apaiser les coups qu'il subissait, elle l'entendait murmurer des ''Shun... Shun...'' Elle avait appris que c'était le prénom de son petit frère. Ce garçon s'accrochait certainement à l'idée de le retrouver et semblait revenir chaque fois d'entre les morts pour rentrer chez lui, tel un oiseau de feu immortel.

Puis il y eut l'invasion de ces chevaliers noirs, et tout s'était brisé. Le peu de vie qui subsistait en elle s'évaporait comme l'eau de mer au contact de la chaleur du sol de Death Queen Island. Elle avait vu son père se faire assassiner sous ses yeux sans qu'il n'ait eu le temps de se défendre. Elle fut réduite à un état en dessous d'un animal, à obéir aux ordres dégradants de ces meurtriers. Elle faisait le repas machinalement, dépourvue de la moindre émotion. Elle n'espérait plus rien, n'attendait plus un miracle qui ne viendrait pas. Son père, quand bien même il fut banni du Sanctuaire et exilé comme un criminel, était sa seule famille et n'était plus. Quant à Ikki, elle le voyait aussi s'affaiblir. Lui aussi allait disparaître et ne reverrait jamais son frère. Pourtant il s'était relevé à nouveau comme un Phénix, un vrai. Il était revenu à la vie, flamboyant et puissant et une haine se dégageait de cette aura couleur lave qui l'entourait. Il avait comme nettoyé l'ile et s'en était allé. Où? Par quel moyen? Elle l'ignorait. Il l'avait laissée là, à moitié en vie, près d'un chevalier noir pratiquement mort également, mais épargné. Parce que cet homme n'était qu'un pantin, tout comme elle. Le Dragon noir, son frère jumeau, l'utilisait, lui et sa cécité pour attaquer en fourbe les ennemis. Aucune compassion, aucun état d'âme, pas même entre eux.

Instinctivement, tous les deux s'étaient soutenus sans un mot. Pour survivre le plus longtemps possible dans cet enfer. La faim et l'épuisement eurent raison d'eux. Elle avait cru mourir là bas, sur Death Queen Island, près de ce chevalier. Au moins, ils n'étaient plus que deux sur ce caillou incandescent. Le grondement du volcan prêt à exploser encore était le seul bruit alentour, et la terre tremblait, presque les berçait dans leurs derniers instants. Elle était prête à quitter cet enfer...

Cependant le destin en décida autrement pour les deux survivants. Malgré les paroles et les actes bienveillants de gens qui les soignaient, elle avait peur. Peur des contacts, peur d'être touchée, d'être approchée. Elle avait mis des mois à accepter d'être examinée plus de cinq minutes, à autoriser les docteurs à lui changer les pansements. Elle avait même rencontré le petit frère de Ikki qui veillait sur lui, retrouvé tuméfié après avoir dérivé dans l'océan. Elle avait découvert un garçon naturellement gentil qui servait d'intermédiaire entre elle et les visiteurs.

Aujourd'hui encore, c'était difficile pour elle de faire face aux gens. Un homme aux cheveux châtain foncé avec un bandeau rouge entourant sa tête la salua de loin. À priori, c'était un des plus puissants chevaliers, et il prenait souvent des nouvelles du Dragon noir. Il restait quelques minutes avec lui et repartait juste après. Toujours poli, toujours avec une impression de bonté. Mais pour le moment, lui dire bonjour à quelques mètres de distance et d'un seul et timide geste de la tête était le plus grand effort qu'elle pouvait faire.

Elle s'arrêta près d'un édifice qui devait être une ancienne arcade qui tombait en ruine. La frontière pour la jeune fille entre la cour de l'infirmerie et le reste du Sanctuaire qu'elle n'osait franchir, même accompagnée de servantes ou de son compagnon d'infortune. Cependant, elle s'autorisa quelques pas pour rejoindre une colonne couchée dans les herbes sauvages et s'y assoir. Elle n'irait pas plus loin.

Levant les yeux au ciel, elle savourait enfin pour la première fois de sa vie le vent sur son visage, frais, doux, ne lui agressant pas la peau avec des cendres encore brulantes provenant d'un volcan. Ici, il y avait un léger parfum marin dans l'air mêlé à celui de la végétation de la forêt. Elle se sentait apaisée au milieu de cette nature aux multiples couleurs. Quand bien même il pouvait y faire chaud en plein après midi, c'était tellement plus respirable que sur Death Queen Island. Elle avait l'impression de vivre à nouveau, de renaitre.

En tournant la tête, elle vit à nouveau le chevalier rebrousser chemin, accompagnant l'ancien Dragon Noir. Ils semblaient venir à son encontre.

« Esméralda, fit le chevalier. Accepterais-tu de t'occuper de Zack?

Zack était le nom de baptême du chevalier noir. Il ne connaissait pas son vrai prénom et dès qu'on l'interrogeait, il répondait seulement ''Czarny Smok'', Dragon Noir en polonais. En raccourcissant le tout, on obtint ce prénom qui semblait lui convenir.

-Seigneur Aiolos, bien sur.

-On dirait que ça va mieux, vous deux, se réjouissait le Sagittaire. J'étais venu prendre de vos nouvelles, simplement. Je vais vous laisser, on m'attend ailleurs. Profitez de ce beau temps, il paraît que dans les prochains jours, il risque de pleuvoir.

-Merci à vous, articula difficilement Zack d'une voix enrouée. Passez une bonne journée.

Une fois le chevalier d'Or parti, Esméralda descendit de la colonne et, donnant la main au dragon noir, elle le guida vers son perchoir. Il était aveugle et quand bien même ce n'était pas la première fois qu'il sortait, il ne semblait bien pas sûr de lui.

Finalement tous les deux s'assirent au pied du morceau de marbre, l'un à côté de l'autre.

-Le Seigneur Aiolos est gentil, constata Zack. Il dit que je ne suis pas un danger pour le Sanctuaire.

-C'est vrai, n'est-ce pas?

-Oui. Je n'ai jamais aimé me battre, mais j'étais forcé.

-Je sais. Tu me l'avais confié.

-Mais je veux aider le Sanctuaire à combattre les chevaliers noirs. Quand je serai définitivement rétabli, j'aiderai le Seigneur Aiolos en lui donnant toutes les informations possibles.

-Pourquoi pas maintenant? Étant donné qu'il vient souvent ici, et même Shun aussi, c'est quelqu'un de confiance...

-Parce que j'ai encore des blessures et que... qu'il fallait que je reste avec toi.

-Zack...?

-Il a raison. Même si je suis aveugle, que je suis faible au combat et encore tuméfié, on s'est soutenus tous les deux, et je veux continuer à le faire. Je veux que tu te sentes bien ici, alors je ne te quitterai pas et je te protègerai à mon niveau.

-Idiot... c'est à moi de veiller à ce que tu ne tombes pas à cause d'une pierre sur la route.

-Alors on ne se sépare pas », conclut Zack.

Esméralda laissa tomber sa tête sur l'épaule du Dragon, mêlant ses cheveux blonds ondulés à ceux longs et noirs de son compagnon. Ellle n'était toujours pas sure d'elle mais une chose était certaine: si Zack était à ses côtés, elle irait un tout petit peu plus loin dans son exploration du domaine d'Athéna qui les avait accueillis. Mais elle le ferait pas à pas, sans se précipiter. Ses yeux aperçurent une ombre perchée en hauteur, au pied d'une falaise. Elle connaissait cette silhouette: celle d'un oiseau de feu solitaire qui lui aussi s'inquiétait pour eux deux. Il les observait de loin et disparut aussitôt. Andromède le lui avait confié: Ikki veillait sur Zack et elle même également...

曇り空

Une masse s'effondra sur la terre battue en un nuage de poussière immense qui s'envola dans les airs. Une faute d'inattention qui coûta à Aiolos une chute mémorable. Mais quel idiot! Il l'avait vu pourtant, ce pied lui foncer dessus et il aurait très bien pu si ce n'est l'éviter, au moins le parer. Mais non.

C'était un peu gênant qu'un chevalier d'Or, l'un des plus puissants et des plus respectés se fasse mettre à terre comme un jeune apprenti par un chevalier de Bronze. Même au cours d'un entrainement de routine. Mais son adversaire n'était pas un débutant, loin de là, et il progressait chaque jour à vue d'œil.

Une main tendue et un sourire franc sur les lèvres, Seiya proposa à Aiolos de se relever, comme pour mettre fin à leur duel.

« Bravo, admit le Sagittaire. Tu m'as bien eu cette fois ci. La prochaine fois, je ne me laisserai pas avoir!

-Je me suis surtout rappelé d'une technique que m'avait apprise Marin. Et après la dérouillée que Aldébaran m'a mise avant que je parte au Japon, je ne voulais pas me laisser faire...

-On m'avait raconté...

-Oui... J'ai cru que j'allais encore devoir repousser mon voyage pour retrouver ma sœur vu les blessures que j'ai eues!

Aiolos se mit à rire devant la fausse plainte de son cadet:

-Mais c'est une bonne chose de vouloir t'entrainer et de perfectionner avec des adversaires plus forts que toi. Tu progresses toujours plus.

-C'est toi et Aiolia qui me l'avez appris. Et même si je sais que vous êtes super sympa, vous ne faites jamais de cadeaux en combat et ça me plait. Je me contente pas de battre d'autres Bronzes comme cet idiot de Jabu qui veut juste flamber devant Saori-san... Athéna parce qu'il a encore ratatiné Ban pour la dixième fois de la semaine. C'est pas comme ça qu'il arrivera à quelque chose le jour où on l'enverra dans une mission importante! Enfin, moi non plus j'ai jamais été envoyé en mission, mais j'imagine que c'est ça...

-Continue de t'entrainer, Seiya. Je suis sur qu'un jour tu auras ton moment et notre déesse sera fière de toi.

-Merci Aiolos. Même si je ne cherche pas la gloire. Je veux juste que ma sœur soit en sécurité et qu'un jour on puisse vivre en paix.

Le Sagittaire sourit devant ce jeune Japonais toujours plein d'énergie, même après un combat au corps à corps très intense. Lui même, malgré ce devoir de chevalier qu'il avait accepté depuis son adoubement, souhaitait une vie sans embuche pour son petit frère et lui, et pour tous les gens qu'il connaissait et avait connus. Pourtant ils étaient destinés à se battre contre Hadès et son armée et la guerre éclaterait d'un moment à l'autre. Et ces entrainements entre chevaliers avec comme prétexte de se perfectionner, étaient de sa propre initiative: faire que chaque protecteur d'Athéna soit au maximum de ses capacités afin de défendre le Sanctuaire face aux ennemis. Il encourageait les guerriers à se mêler entre eux, sans distinction de rang ou de sexe pour ce faire.

-Merci à toi, Seiya pour ce combat. Je vais te laisser, à présent.

-Ah? Tu viens pas manger avec Aiolia, Shun et moi?

-Non. Je vais déjeuner vite fait et après je dois monter au Palais du Grand Pope pour de la paperasse.

-Oh... D'accord. Bon courage alors!

-Merci. Toi aussi, continue à progresser!

-Compte sur moi! Je veux battre le Taureau! »

D'un signe de la main, toujours riant des paroles positives et passionnées de Seiya, Aiolos le quitta, s'époussetant sa tenue de combat en chemin, et accéléra de plus en plus le pas, vers les bâtiments de l'école du Sanctuaire.

C'était le moment de la pause de midi, et le seul où les instructeurs étaient séparés de leurs élèves.

Sans hésiter, il ouvrit la porte d'une salle de classe sans frapper et découvrit celui qu'il voulait voir, concentré sur une pile de feuilles, tandis que ses longs cheveux bleus, pourtant retenus par un cordon, tombaient sur le bureau.

Profitant de l'instant, le Sagittaire s'avança et déposa un baiser sur la joue du professeur sans prévenir. Ce dernier sursauta.

« Aiolos! Tu m'as fait peur!

-Désolé Saga, c'était tellement tentant! Je ne te dérange pas?

-Non, fit le professeur en se levant... Tu me sauves d'une copie vraiment déplorable... Ca fait des années que j'enseigne mais je n'ai jamais vu un... truc pareil. Je suis poli et j'aime pas dire du mal des élèves mais là...

-Allez, viens faire une pause, dit le Sagittaire en l'entourant dans ses bras.

Il sentait le corps malgré tout musclé de Saga se laisser aller contre lui et tous deux s'appuyèrent contre le mur, au niveau du tableau noir pour profiter au mieux de leur étreinte.

Au bout de quelques secondes trop longues, leurs lèvres s'unirent en un doux baiser. Juste ce contact grisait Aiolos qui souhaitait que cela dure encore et encore.

Il aimait Saga, le frère jumeau de son meilleur ami. Au début, quelques années plus tôt, il pensait que ce n'était qu'une forte amitié qui les liait, que par instinct, il voulait protéger l'ainé du chevalier des Gémeaux, mais c'était bien plus que cela. Peu à peu ils se rapprochaient, et un jour, presque sans crier gare, ils s'étaient embrassés. Pour voir ce que cela faisait. Et ils avaient recommencé et aimé ce contact. Et les sentiments s'en étaient mêlés. Aiolos ignorait s'il devait ou non afficher cette relation amoureuse qui se solidifiait avec le temps. Non pas parce qu'il craignait d'être raillé ou peu respecté, du fait qu'il aimait un homme. Mais il planait cette menace de guerre face à Hadès encore et toujours. Et il partageait le même avis que Kanon: Saga n'était pas un chevalier, et il était hors de question de le mettre en danger. Il le protègerait autant qu'il le ferait pour son frère à lui.

Le professeur rompit le baiser.

-Tu as l'air soucieux?

-Juste un peu fatigué. L'entrainement était intense, ce matin. Je le suis fait battre par Pégase comme il faut...

-Oh! Pourtant tu es plus fort que lui. Ça se ressent au travers de ton cosmos.

-On ne fait que des combats au corps à corps lors des entrainements. Notre véritable force, on la garde pour des occasions plus importantes. Et même au sein de son domaine, Athéna interdit les combats pour des raisons personnelles.

-C'est vrai. C'est important pour vous de vous renforcer.

-Et tu sais qu'avec Kanon, on est toujours d'accord pour te dérouiller un peu les muscles.

-Mon propre frère, il m'envoie à l'infirmerie, quand je m'entraine avec lui. J'en ai pour toute une journée de courbatures horribles, et il suffit que le lendemain j'ai une classe de terreurs, tout va bien...

Aiolos ramena son amant contre lui. Sa bouche proche de son oreille, il lui chuchota:

-Si tu veux un corps à corps tout en douceur, je serai seul dans ma Maison en fin d'après midi...

Il sentit les bras de Saga et tout le reste se raidir d'un coup. Quand bien même ce n'était pas dans ses habitudes de faire des propositions comme ça, le Sagittaire aimait passer des moments de tendresse avec celui qu'il aimait et profiter de ce corps nu que le frère des Gémeaux n'avait pas honte de lui montrer. Il était amoureux et dès que l'occasion se présentait, il fallait profiter de chaque moment en couple.

Son amant ramena son visage face à lui, avec ce regard d'un bleu mélancolique dans lequel il adorait s'y noyer. Il résistait tant bien que mal à la tentation de l'embrasser encore et toujours plus passionnément...

-Vivement que cette journée se finisse, fit le professeur. Ces copies elles sont pour la semaine prochaine, elles pourront attendre! Je monterai jusqu'au neuvième temple après mes cours.

-Tu seras le bienvenu. J'espère que la réunion avec Pépé Shion et Athéna ne s'éternisera pas.

-Vas-y alors. Plus tôt tu y seras au Palais, plus vite tu reviendras chez toi pour qu'on s'y retrouve.

-A tout à l'heure », répondit Aiolos déposant de furtifs baisers sur ces lèvres qu'il aimait tant.

Saga le raccompagna jusqu'à la porte de sa salle de classe, tous deux ne se lâchant pas la main pour autant.

Dehors, les enfants jouaient, insouciants, sans prêter la moindre attention à deux adultes qui semblaient discuter de choses et d'autres. Alors qu'ils se donnaient un dernier baiser avant de se quitter.

Ainsi, un sourire aux lèvres qu'il avait vraiment du mal à dissimuler et l'esprit léger, Aiolos repartit vers l'escalier du Zodiaque sans avoir remarqué que son petit frère à lui l'avait vu lâcher tout doucement la main de Saga...

曇り空

Assis à l'ombre d'un olivier, sur sa plage privée et secrète en contrebas du Cap Sounion, le chevalier des Gémeaux travaillait. Il n'était pas prêt psychologiquement à rester des heures enfermé dans un temple antique aux murs épais pour étudier des parchemins datant de plusieurs siècles. Tant qu'on ne l'y obligeait pas, il préférait le bruit des vagues, l'air iodé et le vent soufflant doucement sur lui pour traiter les papiers et écrire des rapports de missions. Sur ce point, il n'était toujours pas d'accord avec Pépé Shion dont il ne comprenait pas la résignation à se cloitrer pendant des jours avec un soleil radieux à l'extérieur qui ne pouvait que motiver pour avancer dans son travail.

D'autant que cette fichue guerre contre Hadès qui se faisait désirer allait éclater... un jour... peut-être... Récemment, beaucoup de chevaliers revenaient au Sanctuaire suite à des conflits à travers le monde et pas dus à l'organisation noire. Ils s'étaient calmés eux aussi depuis peu... Le jeune Ichi de l'Hydre s'était présenté avec son maitre, Belinda du Poisson Volant, tous deux rétablis enfin. Ils avaient confirmé que leur adversaire n'était pas un chevalier noir, malgré sa protection sombre. Le Grand Pope avait dès lors supposé qu'une première étoile maléfique du Seigneur des Enfers s'était échappée. Un Spectre d'Hadès. Il en était presque certain, d'après les descriptions des attaques que les chevaliers de Bronze et d'Argent avaient encaissées.

Kanon soupira. Il se doutait que la guerre allait bientôt éclater, mais comment? Quels seraient les desseins de leurs ennemis cette fois ci? Il avait lu tant de fois des textes sur l'histoire d'Athéna et de ses protecteurs, et sur les Guerres Saintes. Même si elles se déroulaient régulièrement, il remarquait à chaque fois l'originalité dans les offensives des Spectres ou même dans les défenses de son camp à lui. L'implication d'un autre dieu malgré lui, la confection d'un tableau dans les cieux qui éliminait peu à peu la population sur terre ou même des épidémies... Tout ça pour posséder la surface de la terre et ses habitants. L'on racontait que les Enfers étaient une dimension assez vaste également, toujours d'après les textes que le chevalier des Gémeaux avait lus, alors pourquoi vouloir plus? Parce qu'il y a la lumière ici et pas en dessous? Parce que comme pour toute raison à l'origine d'un conflit l'herbe est plus verte chez le voisin?

Le jeune homme jura. Ça ne servait à rien de se poser des questions auxquelles il n'avait pas les réponses. Son regard se posa sur la mer au loin. S'il s'écoutait, il laisserait tomber ses papiers et serait déjà en train de nager dans l'eau. Mais il était résolu à finir son travail avant. Au moins répondre à cette lettre venant de l'armée de Poséidon, précisément de Bud, le Dragon des Mers.

Avec ce dernier, dans le cadre de l'accord de paix entre Athéna et le souverain des océans, il entretenait une correspondance diplomatique, sur le devenir de chacun des camps. C'était l'origine de ces lettres. En vérité, le Gémeau et le Général s'étaient liés d'amitié, grâce à de nombreux points communs tels que leur rôle de meneur des troupes ou bien le fait qu'ils eussent des frères jumeaux.

Dans ce dernier courrier, Bud expliquait entre autres le devenir de Kaasa des Lyumnades, ce Marina qui avait tenté de nuire à la délégation d'Athéna lors de sa visite dans le manoir Solo. Il y disait que d'après les multiples interrogatoires, cette attaque était un prétexte pour tester la bonne foi des chevaliers et que lire dans le plus profond de leur cœur pour y déceler la pensée la plus malsaine envers Poséidon était sa tactique, mais personne, pas même le dieu des océans lui même ne croyait à ces paroles. Il en avait conclu que Kaasa avait violé les esprits des chevaliers et que pour ce manquement diplomatique, il resterait emprisonné dans cette fosse marine jusqu'à nouvel ordre. Bud lui écrivait également que la colère de son dieu après le départ était terrible envers le Marina des Lyumnades, entrainant des pluies torrentielles dans une région du globe.

« … ''J'ignore comment votre guerre face à Hadès se déroulera, mais notre Seigneur Poséidon et tous les Marinas feront tout leur possible pour protéger les mers et océans de cette terre. Je te souhaite d'être en bonne santé à toi et à ton frère Saga également. Prends soin de lui. En espérant que nous nous revoyions un jour prochain où la paix règnera sur notre planète. À bientôt. Bud.'' Et bah dis donc, on dirait une lettre d'amour enflammée, là!

Kanon sursauta en découvrant Milo dans son dos qui lisait la lettre du Dragon des Mers en même temps que lui.

-Qu'est-ce que tu fous là, toi, s'écria le Gémeaux cachant sa surprise en râlant.

-Je m'embêtais alors je te cherchais, répondit simplement le Scorpion. Et toi, tu fais quoi?

-Je bosse, figure-toi.

-Sérieusement? Avec ton vieux tshirt et ton short, assis sur une serviette de plage et ton sac de sport?

-Parfaitement! Je suis plus concentré au bord de l'eau que dans ma Maison des Gémeaux. Surtout les jours où mon frère n'enseigne pas et n'est pas chez nous.

-Je comprends pas. Saga ne reste pas dans votre temple quand il ne bosse pas?

-Non, il est tout le temps fourré avec Aiolos. Enfin...

-Alors Aiolia a vraiment pas dit des bêtises...

-C'est à dire?

-Bah que ton frère et le sien, ils sont vraiment ensemble et amoureux...

Kanon ouvrit grand les yeux, ne dissimulant pas son étonnement.

-J'ai dit un truc que j'aurais pas du, fit Milo.

-Non... C'est juste que... c'est la première fois que quelqu'un d'autre que mon frère me parle de sa relation avec Aiolos. J'étais au courant, Saga est incapable de mentir. Je me rappelle même qu'il se sentait mal pour moi parce que lui découvrait l'amour alors que j'étais parti en mission... je ne sais plus pourquoi, mais c'est pas si important. Il avait peur que ça brise l'amitié qu'on avait pour Aiolos et que ça pose un problème pour mon futur rôle de Pope et pour mon futur chef des armées.

-Et t'es pas fâché?

-Pas du tout. Saga et Aiolos sont proches depuis qu'on est tout petits. Juste que ça fait cinq ans qu'ils sont ensemble et qu'ils ont attendu deux ans pour me le dire... Mon frère a cédé une fois. Je savais qu'ils se voyaient souvent, pour moi ce n'était que des sorties en tant qu'amis, mais Saga m'a dit presque sur un ton coupable, presque en s'excusant qu'il était avec Aiolos et qu'il s'en voulait de ne pas me l'avoir dit plus tôt. Il était comme paniqué. Mais il a l'air heureux, donc, tant que tout va bien dans leur couple, je les laisse tranquilles. Et puis je sais que Aiolos prend soin de mon grand frère autant que moi et qu'il le protègera aussi.

-Si je te connaissais pas aussi bien, je serais en train de penser que ton plus grand tracas dans ta vie c'est même pas protéger Athéna mais plutôt ton frère...

-T'es bête!

-En tout cas, Aiolia aussi est au courant, mais je comprends pas pourquoi son frère a attendu aussi longtemps pour le lui dire, dit Milo comme s'il réfléchissait tout haut. Ça doit être des trucs de grands frères d'attendre avant de dire qu'ils sont casés?

-T'arrêtes de sortir l'excuse des frères pour les questions dont tu n'as pas la réponse, réagit Kanon.

-Parce que tu le sais toi?

-Je me doute, j'en suis pas sur, que Aiolos n'a pas parlé à Aiolia non seulement parce que c'est pas un sujet qu'on aborde facilement mais aussi il y a le fait que Saga n'est pas chevalier et qu'il s'inquiète sur sa sécurité. Tu le connais le Sagittaire, quand il voit son frère rentrer de mission avec un bras dans le plâtre c'est le drame, et inversement. Ils sont très protecteurs l'un envers l'autre et le fait de faire partie des douze chevaliers d'Or, en plus d'être une fierté et un honneur pour tout le Sanctuaire, c'est une source de tracas entre eux deux. Je pense qu'ils en discuteront ensemble.

-C'est trop compliqué franchement, soupira Milo. En tout cas, c'est bien s'ils sont heureux, Aiolos et ton frangin.

-Oui. J'espère que ça durera.

-Et toi, Kanon, on dirait que ça se profile pour toi aussi!

-De quoi?

-Ben l'amour, banane!

-Qu'est-ce qui te fait dire ça?

-Depuis que t'es rentré du sanctuaire de Poséidon, tu n'arrêtes pas d'écrire à ce Bud. Va pas me faire croire que c'est des lettres diplomatiques. Je te connais, tu râles beaucoup trop quand Pépé Shion te refile des papiers administratifs.

-Tu te trompes vraiment, Milo. C'est vrai qu'on n'est pas que deux représentants d'Athéna et de Poséidon, Bud et moi, mais on n'est juste que des amis. On a longuement discuté de nos vies quand on s'était vus, et même dans les lettres. J'ai vraiment aimé notre visite des fonds marins, et lui songerait à découvrir notre domaine un jour. Et en vérité, j'aimerais aussi te montrer leur royaume sous les océans, c'est extraordinaire. Et... mais pourquoi je me justifie aussi?

-Ah c'est toi qui as parlé tout seul! Je t'y ai pas forcé!

-Sale gosse, rit Kanon.

-Mais si c'est possible, la prochaine fois que tu vas sous l'eau, je voudrais t'accompagner. J'adore les voyages qu'on fait ensemble.

-Tant qu'on dort pas ensemble, parce que t'es insupportable à bouger sans arrêt.

-C'est toi qui t'étales comme un gros pachyderme!

-Je vais te taper, Milo!

Les deux hommes se mirent à rire et le Gémeau rangea les papiers qu'il traitait dans un dossier, lui même enfoncé dans son sac de sport. L'arrivée de son ami signait définitivement l'arrêt de son travail pour la journée.

-Sinon, toi? Tu as quelqu'un en vue ou avec qui tu sors?

-Non, pas même un ami d'un autre royaume avec qui correspondre.

-Vraiment?

-Oui. Et je suis pas comme ton frère et Aiolos, je ne vois pas à Lia autrement qu'un très cher ami. Après toutes les conneries qu'on a faites ensemble et qu'on continuera à faire, j'aurais du mal à l'imaginer comme un potentiel petit ami. Rien que d'y penser c'est même pas la peine. Et puis... J'ai quelqu'un en tête.

-Oh?!

-Oui, mais là aussi c'est mort. Ça se fera jamais.

-Pourquoi?

-Parce que cette personne est pareille que moi. C'est dur de changer d'avis sur quelqu'un parfois et de le voir autrement. Et je sais que ça n'arrivera jamais.

-Milo, tu es trop vague là. Tu me dirais même pas son nom ou son rôle au Sanctuaire si c'est quelqu'un qui y vit?

-Désolé, Kanon. Un jour peut-être tu le sauras, mais... je me suis rendu compte de tout ça récemment. Et la Guerre approchant, on a d'autres priorités.

C'était la première fois que le Gémeaux voyait son ami aussi grave pour un sujet considéré comme léger par rapport à la dureté de leur vie.

-Bon tu es venu jusqu'à ma cachette pour m'embêter, non?

-Oui...

-Alors tu vas arrêter de faire cette sale tête. De toute façon, un scorpion ça sait pas nager, provoqua Kanon.

Comme prévu, Milo réagit aussitôt à ce défi:

-D'où? Tu vas voir que je vais pas te foutre ta tignasse sous l'eau et que tu vas pas boire la tasse! »

Le chevalier des Gémeaux se leva et retira son tshirt avant de courir vers la mer, suivi et imité par son meilleur ami.

曇り空

Les rues de Rodorio, dernier village avant la barrière invisible qui protégeait le Sanctuaire d'Athéna du monde extérieur, étaient sombres. En pleine nuit, il y avait peu d'éclairages et seule la rue principale traversante ne comportait pas plus de cinq lampadaires électriques. Pourtant, en avançant un peu et tournant sur la droite, une des tavernes était encore ouverte et animée malgré cette heure tardive.

C'était dans ce lieu qu'un chevalier passait du temps, seul ou en compagnie d'autres clients, mais toujours une choppe de bière à portée de main. Ou un verre d'alcool plus fort, comme à chaque fois qu'il rentrait d'une dure mission. Et ces derniers temps, cet homme que les villageois considéraient comme l'un des hommes les plus forts de cette époque, à l'instar des autres guerriers de l'élite dorée, et ce depuis la nuit des temps, était là, devant son gobelet, l'air sombre isolé de la fête qui régnait dans l'établissement. L'on célébrait les fiançailles d'un habitant de Rodorio, parait-il, mais il en avait cure. Aucune envie de se mêler à cette hypocrisie et à ces concours de boisson insipide que le patron du bar avait commandée exprès pour l'occasion. Son double raki, son cendrier et son paquet de cigarettes presque vidé lui suffisaient comme compagnie.

Il n'avait pas envie de rentrer dans le domaine sacré ce soir. En plus, son armure avait pris cher lors d'un combat. Encore ces foutus chevaliers noirs qui avaient mis la zizanie, il avait été dépêché dans un quartier désaffecté d'une ville paumée aux États-Unis et avait découvert un réseau de trafics d'êtres humains... des orphelins vendus ou tués s'ils n'étaient pas en bonne santé. Et un dirigeant de cette ville qui avait payé cette organisation criminelle pour faire le ''ménage''. Lui, détestait jouer les flics. Il avait embarqué le jeune Dragon, Shiryu, avec lui pour faire ce boulot. Même si ce gamin était consciencieux, un brin moralisateur sur ses manières d'agir, il se débrouillait malgré tout et avait pu résoudre cette affaire. Lui, il s'était contenté de corriger les malfaiteurs et de tuer le Cerbère Noir lentement et d'une cruauté proportionnelle au nombre d'enfants malmenés. D'ailleurs, ceux-ci auraient été confiés à la fondation de leur déesse et placés dans des établissements qui prendraient soin d'eux.

Shiryu et lui étaient rentrés en Grèce ce soir là, mais il laissa au Bronze le soin de rédiger le rapport de mission. Il a toujours détesté faire ça, il écrivait très mal et paumait tout le temps ses stylos.

Il était un homme d'action, préférant être sur le terrain et se battre et surtout tuer. Il était un assassin, purement et simplement.

Du plus loin qu'il se souvenait, il était fasciné par la mort, par ce passage d'un état à un autre provoqué brusquement ou d'une manière plus lente, parfois sereine ou douloureuse. Et ces corps qui changeaient d'un coup, et ces âmes qui se détachaient en un cri déchirant que lui seul pouvait entendre et qui ne l'effrayait pour le moins du monde.

Enfant, on le prenait pour un fou, un taré, un malade et tous les synonymes possibles. Pour cette capacité et cette sensibilité avec les âmes, mais aussi pour ses expériences à tuer des insectes, les torturer parfois jusqu'à la mort ou même cet enthousiasme qu'il avait lors des cours théoriques du Sanctuaire en science naturelle, quand il se mettait à côté des professeurs pour observer les dissections des animaux. Il s'en fichait de l'étude de l'anatomie, c'était ce qui se passait avant qui l'intéressait.

Ses affinités avec la mort l'avaient conduit à briguer l'armure d'un des chevaliers les plus ambigus de l'élite dorée, et son cosmos puissant et inquiétant confirmait sa destinée.

Ses traits de caractère l'éloignaient des autres et le rendaient quelque peu asocial et effrayant aux yeux des enfants et même des plus vieux des terres sacrées, mais il s'en fichait. Il était un des assassins du Sanctuaire et ce n'était pas le rôle le plus glorieux. Pourtant il en fallait bien pour éliminer ces raclures de chevaliers noirs entre autres.

« Tiens, Tonio, fit le patron de la taverne en lui donnant un cendrier propre. Je te fais pas la morale, mais tu t'es fumé près de deux paquets de clopes ce soir...

-C'est pas tes affaires, en effet, répondit le chevalier. Va t'occuper des autres avant qu'ils saccagent ton comptoir en étalant leur gerbe dessus...

-Juste, tu vas rester dormir ici ou tu rentres au Sanctuaire?

-Je vais rester.

-Ok. Tu sais où se trouve ta chambre, mais oublie pas de me payer cette fois.

-J'ai du fric. Va bosser, toi. »

Tonio... On l'avait baptisé ainsi à cause des ses origines italiennes et de sa formation en Sicile. Mais lui même ignorait son véritable prénom. Il aimait bien aussi ce surnom de Death Mask qu'on lui avait affublé, au début pour faire peur, mais qui finalement était l'appellation la plus commune pour parler de lui, l'actuel Chevalier d'Or du Cancer. En vérité, il préférait qu'on le nomme Death Mask, cela apportait un peu plus de crédibilité et d'impression quand il s'apprêtait à tuer ses adversaires. Il gardait Tonio pour sa vie nocturne dans les tavernes des villages autour du Sanctuaire et comme nom de couverture quand il était en mission.

Alors qu'il allait boire une gorgée de sa boisson, il stoppa net son élan. Il avait senti une présence incongrue au milieu des hommes qui faisaient la fête et qui s'approchait de lui, dans le fond de la taverne.

Un homme à l'apparence musclée, des cheveux raides et mal coiffés, un visage carré et anguleux au milieu duquel un morceau de cuir cachait un œil probablement mort et de fines lèvres s'étirant en un sourire malsain. Définitivement pas un villageois. Ni un chevalier imposteur. Ce cosmos était différent, dégageant une noirceur écrasante presque effrayante.

L'étranger resta debout devant la table, et observait le chevalier d'Or.

« Il y a d'autres tables de libre, fit ce dernier en guise de salutations.

-Tu es bien un chevalier d'Athéna? Demanda le sombre homme d'une voix grave presque enrouée.

-Et toi, qui es-tu? Surement pas un des gus qui se bourrent la gueule. Tu dois même pas être de la région...

-Death Mask, chevalier du Cancer, je dois te parler.

-D'abord, tu t'assois. On a jamais du t'apprendre la politesse, parce que regarder de haut les gens avec cette tronche c'est une vraie provocation.

L'étranger prit place en face.

-Si tu connais mon nom, dis moi le tien, ajouta le chevalier avant de consulter son paquet de cigarettes et allumer la toute dernière dans un soupir de désespoir.

-Je m'appelle Fyodor, de la Mandragore, étoile céleste de la Blessure et Spectre aux ordres de notre Seigneur Hadès qui s'éveillera très bientôt.

Death Mask fit tomber sa cigarette dans le verre vide et s'éteignit aussitôt. Il regarda alors l'homme devant lui, la méfiance prenant le dessus. Il ne devait laisser paraître la moindre émotion. Juste un raclement sortit de sa gorge, comme un rire nerveux.

-Je vois... ça va commencer alors... Et qu'est-ce que je peux faire pour toi? À part te sortir d'ici et t'exploser la tronche?

-Je ne suis pas là pour me battre. Nous ne sommes que quelques Spectres à être revenus à la vie, sans ordre de nos supérieurs. Seulement, toi, tu nous intéresses.

-Viens en au fait, tu commences à me gonfler...

-Nous avons un point commun toi et moi. Les chevaliers du Cancer ont toujours eu une affinité avec la mort et sont les gardiens de la Yomotsu Hirasaka, côté terrestre du moins. Or, moi, j'agis toujours de l'autre côté de cette colline. Je garde la sortie de ce puits des âmes. Tel est mon rôle aux Enfers.

-Content de le savoir, s'impatientait l'Italien.

-Prends le comme un compliment, mais tu es attiré par la mort, par ce processus de néant et de cruauté. Je n'ai qu'un œil, mais je le vois dans ton regard que la vie sur cette terre ne t'intéresse pas. Je te propose de rejoindre les rangs de notre Seigneur où je suis certain, tu te sentirais plus dans ton élément. Tu pourras alors guider les âmes de tes compagnons vers la mort, ainsi que tous les habitants de cette terre à la victoire de Hadès.

Le Cancer le fixait. Comment ce borgne avait pu lire tout ça en quelques secondes? Et ce cosmos malsain qu'il dégageait... pour ne pas dire qui l'attirait. Ce que ce Fyodor racontait était vrai. Il se sentait mieux en tuant et en guidant les âmes dans ce puits des morts...

-N'essaye pas d'embrouiller un mec déjà bourré, répondit Death Mask. Et ne t'approche plus de ce village ni des autres.

-Je ne fais qu'une simple proposition en attendant l'éveil de notre Seigneur et de mes supérieurs, dit le Spectre dont le mauvais rictus s'élargissait un peu plus. Je te laisse y réfléchir, car je n'ai aucun intérêt à discuter davantage avec un ivrogne. Mais je saurai être là quand tu te seras décidé enfin.

-Casse-toi...

-A très vite, Death Mask », salua le Spectre avant de disparaître.

Quelques secondes après, le Cancer se leva, et, poussant quelques clients, rejoignit la sortie de la taverne qui donnait sur la rue. Il ne ressentait plus ce cosmos malsain. Envolé.

L'air quelque peu frais de l'extérieur n'aidait pas le chevalier à améliorer son état de trouble, qui n'était pas du à l'alcool qu'il avait bu. Dans son esprit, il se répétait sans cesse les quelques paroles de Fyodor qui avaient du sens malgré tout...

曇り空

Chine, région des Cinq Pics de Rozan.

La cascade d'eau s'écoulait encore et toujours, tandis qu'un petit vieillard, une jeune fille et deux jeunes hommes étaient réunis au pied d'une falaise.

« Mes enfants, l'heure est venue pour moi de quitter ce lieu, après plus de deux siècles, annonça le vieil homme.

-Vieux Maitre...

-Shiryu et même toi, Ohko, mes fiers élèves, mes fils. Le moment est arrivé et nous ne pouvons plus reculer. L'armée du Seigneur des Enfers a commencé à se réveiller, des étoiles s'échappent de plus en plus de la colonne dans laquelle Athéna les a scellées. J'ai passé de longues années à la surveiller. Telle était ma mission en tant qu'ancien combattant de la précédente guerre. Elle est terminée désormais.

-Que va-t-il se passer, Vieux Maitre? S'inquiéta le Dragon.

-Nous deux allons repartir au Sanctuaire. Ohko, même si tu n'as pu obtenir l'armure de Bronze, tu es mon élève. Je te confie... je t'ordonne de protéger les terres de Rozan et Shunrei.

-Vieux Maitre, Shiryu, vous reviendrez, n'est-ce pas, demanda la jeune fille dont la voix tremblait.

-Je te le promets, Shunrei, déclara le Dragon. On reviendra vivants, le Vieux Maitre et moi. »

L'ainé regardait les plus jeunes de ses grands yeux noirs. Lui même ignorait l'issue de ce qu'il allait se passer. Mais comme lui à son époque, ils avaient de l'espoir de se revoir, dans un monde de paix, loin de ces guerres entre les dieux qui impliquaient les humains. Son départ des Cinq Pics signifiait tant de choses au delà du début de ce conflit. Comme retrouver son ancien compagnon à lui. Peut-être serait-ce la toute dernière fois que Shion, l'ancien Bélier et Dohko de la Balance seraient réunis...


notes de fin: Merci d'avoir lu ce chapitre. Pour les petites explications:
J'ai ma vision du Sanctuaire, qui est bien structuré avec bien sur les Maisons, les arènes de combat, les bâtiments réservés aux logements et autres habitations pour les chevaliers et apprentis, mais aussi un petit hameau d'appoint pour la vie de tous les jours aussi austère soit-elle et indépendant de Rodorio qui pour moi est un village en dehors du Sanctuaire, appartenant au monde ""normal"" en fait

Pour le Dragon noir n°2, je lui ai trouvé un nom en effet, Zack. Un mix approximatif de dragon noir en polonais (pays d'origine des Dragons noirs selon les data de Kurumada dans le manga). J'avais pensé à chercher un prénom typiquement polonais mais aucun ne me semblait bien pour ce personnage donc, j'ai fait ainsi.
Concernant le passage avec DM... déjà grande nouveauté pour moi, c'est la première fois que j'écris sur lui en tant que chevalier du Cancer. Sachant que c'est pas mon Or préféré, j'appréhendais un peu ce défi que je me suis lancée. Ce qui est sur, c'est qu'il ne sera pas le gars hyper cruel du début du manga d'origine. Je le définis ici comme une version plus sombre de Manigoldo si on voulait faire une comparaison. Après, l'introduction du Spectre, c'est encore une fois une première pour moi. En
écrivant cette partie je me disais "ça y est, tu fous un pied dans les enfers, tu peux plus reculer" mdr

J'ai pris Fyodor de TLC parce que je voulais pas d'emblée un ennemi trop puissant et/ou charismatique. Et surtout, en me renseignant sur lui, il a ce point commun du la Yomotsu Hirasaka avec DM, ça tombait bien.
Quant au prénom de DM, dans mes HC c'est Tonio. Sachant qu'il n'y a pas de prénom officiel pour lui, j'aime bien ce prénom pour ce chevalier.
Pour la suite de Saint Kanon, j'ai une idée. Je sais pas quand et comment je la commencerai mais je vais encore une fois faire au mieux pour rendre un chapitre à la hauteur de ses attentes.
Les caractères d'interlude sont 曇り空 kumori sora, ciel nuageux en japonais.
Je vous fais des bisous et vous dis à la prochaine.