Notes: Bonjour, bonsoir! Je suis heureuse de vous présenter le nouveau chapitre sous forme d'une journée, de tranches de vie dans le Sanctuaire. Je vous souhaite une bonne lecture.


Quatorzième histoire: Inquiétudes

Proche d'une des entrées officielles du Sanctuaire, pas loin du hameau, Shion patientait le plus calmement possible. Mais il n'y arrivait décidément pas. Aucun moyen de se concentrer sur ces documents qu'il avait pris pour consulter, en attendant. Il avait posé le dossier sur un rocher, l'avait bloqué d'un gros caillou et faisait les cent pas, tel un lion en cage. Il répondait nerveusement que tout allait bien quand un chevalier, un soldat ou un habitant du domaine s'inquiétait sur son état actuel, prenant soin d'adopter une attitude des plus sereines, mais qui ne trompait personne.

Beaucoup étaient au courant de sa descente des escaliers ce jour là, et pour cause: c'était aujourd'hui que revenait l'unité qui avait été envoyée en Asgard, un courrier les ayant précédés.

Très probablement qu'ils allaient être accueillis en héros, car les pluies torrentielles avaient cessé dans les régions du monde qui en étaient menacées.

Le Grand Pope pouvait être fier de Kanon, et ne manquerait pas de le lui dire. Sans connaître en détail du déroulement de cette mission, il savait qu'il pouvait compter sur le chevalier des Gémeaux comme un leader, comme son successeur véritable.

Cependant, il ne pouvait retenir ce nœud, cette impression angoissante qu'il eut trois jours plus tôt en lisant les astres depuis Star Hill. Comme un phénomène étrange qui s'était produit au niveau de la constellation du Capricorne, dans laquelle les étoiles filèrent dans l'obscurité. Le lendemain, elle n'était plus visible dans le ciel. Tout comme le Cancer, après cette attaque nocturne face à un Spectre qui avait également faillir couter la vie à Orphée de la Lyre.

Death Mask fut le premier à tomber au cours de cette guerre. Un chevalier d'Or.

Certes il n'était pas le plus sociable, ni le plus diplomate, mais il accomplissait les missions qu'on lui donnait. Des travaux d'assassinat, notamment. Quand bien même il n'était pas non plus le plus raffiné, souvent retrouvé ici même, là même où Shion marchait en rond, à moitié ivre ou à soulager ses entrailles de nuits passées dans les tavernes à boire trop d'alcool, quand bien même sa fascination pour la mort était vraiment étrange, voire inquiétante parfois, il n'en restait pas moins un protecteur d'Athéna.

Les médecins n'eurent pas le temps de le soigner. Il avait succombé alors que Dohko l'emmenait à l'infirmerie.

Pourvu que ce ne fut qu'un nuage qui passait sur la constellation du Capricorne. Pourvu que Shura revienne...

Petit à petit, l'on se rassemblait autour du Grand Pope, comme si le Sanctuaire entier sentait l'arrivée imminente des chevaliers. Son vieil ami de la Balance se rapprocha de lui, pour le rassurer.

Dohko, toujours là, même s'ils s'étaient éloignés l'un de l'autre pendant plus de deux cents ans pour leurs missions respectives, ils se soutenaient toujours autant.

Même leur déesse était là, accompagnée d'autres chevaliers, notamment celui de la Licorne. Ce petit Japonais avait fait partie des orphelins qui habitaient dans la fondation de Kido, et il avait été trouvé grâce à Kanon, à l'époque.

Des cosmos passèrent la barrière divine de la frontière du domaine.

Ils étaient de retour!

Shion alla à leur rencontre d'un pas pressé.

Kanon était là, son regard assuré et fort qui se radoucissait tout à coup.

« Grand Pope, fit-il. Nous sommes de retour. Le royaume d'Asgard est en sécurité, désormais, et Dame Hilda de Polaris a pu reprendre ses fonctions de prêtresse d'Odin en toute sérénité. Désormais, les Guerriers Divins s'assureront de la reconstruction progressive de leurs terres.

-Tu me raconteras tout ça plus tard, Kanon.

Juste derrière lui, les deux chevaliers d'Argent, Marin de l'Aigle et Asterion du Chien de Chasse le saluèrent humblement. Shion avait connu le jeune homme à sa première venue au Sanctuaire, un garçon énergique et jouant souvent de ce don de lire dans les pensées. Il avait là quelqu'un de fermé et d'éteint, presque fatigué.

Quant à la jeune femme, il ne pouvait voir au travers de ce masque, mais sentait qu'elle allait bien, en tout cas. Cette contrainte pour les guerrières d'Athéna, franchement... Si la situation n'avait pas été aussi urgente avec cette guerre, voilà un point qu'il aurait aimé traiter avec sa déesse et son successeur. Dans l'avenir qui sait...

Les chevaliers de Bronze du Loup et du Phénix saluèrent également l'ancien Bélier. Ils n'avaient jamais été de grands bavards tous les deux, l'un très timide et l'autre peu enclin à côtoyer les gens. Cependant ils étaient là, bien vivants. Et le jeune Andromède vint accueillir son frère avec un grand sourire.

Et puis...

-Où est Shura, demanda Shion.

-Il ne reviendra pas, annonça Kanon comme s'il fuyait son regard. Les témoignages de deux Guerriers Divins l'attesteront, il a sauvé les habitants de la ville principale d'Asgard en se battant contre un Spectre redoutable. Cependant, lui même aurait subi une attaque puissante et ses poumons auraient été touchés outre mesure en se la prenant de plein fouet. Malgré les soins qu'il a pu recevoir, il...

-J'ai compris Kanon. Tu n'as pas à t'en vouloir. Le Sanctuaire vit une période où nous pouvons craindre pour la vie de chacun, mais nous ferons tout pour nous protéger nous ainsi qu'Athéna.

-Oui...

-Demain, nous parlerons de votre mission en Asgard. En attendant, tu es libre de faire ce dont tu as envie.

-Merci Pépé... Grand Pope.

Shion sourit en entendant la reprise dans les paroles du Gémeaux. Malgré ce cosmos incroyable, cette assurance dans cette armure d'Or et dans ses yeux bleu vert, malgré son statut d'ainé et de futur Pope, il décelait encore un éclat dans son regard, une intonation dans sa voix grave du petit garçon qu'il avait élevé avec son frère Saga.

Il s'écarta, laissant la jeune Athéna s'avancer vers les chevaliers rentrés.

-Chevalier Kanon, ainsi que ceux et celle qui t'ont accompagné, fit cette dernière, je vous remercie d'avoir accompli cette mission en Asgard. Je n'ose imaginer à quel point ce fut terrible pour vous. La perte du chevalier du Capricorne est un drame pour tout le Sanctuaire, tout comme celle du Cancer et...

-Death Mask est mort, s'exclama le Gémeau. Veuillez m'excuser de vous avoir coupée mais...

-Je te pardonne. J'ai prié pour chacun de vous qui étiez en Asgard et pour le repos paisible de Death Mask également. Quand bien même je ne les connaissais que trop peu, leur disparition me peine bien plus que je le montre.

-Kanon, le Cancer n'est pas mort en vain, intervint Dohko. Il nous a débarrassés d'un Spectre puissant qui rôdait depuis des mois aux abords du Sanctuaire. Il a défendu notre domaine tel un protecteur d'Athéna.

Les écoutant parler, Shion voyait le regard malicieux et un brin arrogant du Gémeau se charger d'une émotion qu'il pouvait ressentir. Il le connaissait ce grand homme, depuis que lui et son jumeau avaient atterri près du Sanctuaire après le crash d'un avion. Ces deux nourrissons qu'il avait pris sous son aile, il les avait vus grandir, il les avait éduqués, formés pour devenir chevaliers. Le destin et leurs cosmos avaient choisi. L'un était désormais un des plus importants instructeurs des terres sacrées et l'autre se trouvait là, fort, vif d'esprit, sans peur de blesser par sa puissance ou ses paroles, un véritable guerrier. Kanon, son fils adoptif, qu'il connaissait par cœur.

D'ailleurs, son ainé, Saga arrivait, accompagné du Sagittaire, Aiolos et d'un chevalier de Bronze, Seiya de Pégase.

-Kanon, bon retour, fit le professeur.

-Saga... Tu as l'air en forme, grand frère. »

Le Grand Pope sentit son cœur s'alléger en observant l'échange de regards entre les jumeaux. Ils n'avaient pas besoin de grands discours entre eux, ni la peine de leur dire de rentrer dans la troisième Maison du zodiaque. Ils le firent sans rien dire, saluant la foule des habitants du Sanctuaire sur leur passage en partant.

Oui, ceux qui revenaient d'Asgard avaient besoin de repos. Puissent-ils profiter d'une courte mais ô combien précieuse accalmie. Dès le lendemain, les chevaliers d'Or devraient se rendre dans le palais de Shion pour discuter d'une stratégie pour cette guerre qui s'annonçait violente.

迷い

Maison des Gémeaux.

Kanon avait cru que cela faisait une éternité qu'il n'avait pas mis les pieds dans son temple, alors qu'il n'était parti que quatre ou cinq jours en Asgard. Lui même ne savait plus trop tellement l'intensité de sa mission avait été si grande. Cependant, il retrouvait avec plaisir l'espace de vie, la grande pièce principale dans laquelle il pouvait se sentir chez lui, vraiment. Et il n'y habitait pas seul, son grand frère ne l'avait pas quitté depuis le temps où tous les deux avaient du prendre deux chemins différents: l'un chevalier d'Athéna et l'autre professeur. Ils étaient frères, jumeaux et inséparables, même devenus adultes.

Et même la décoration s'en ressentait au travers d'un vieux canapé récupéré dans le local d'une association caritative d'un village voisin, dans lequel le chevalier aimait s'affaler les journées de pluie pour travailler sur ses rapports de mission ou ses dossiers de futur Grand Pope. Tandis que la table pour manger, proche du coin cuisine, était envahie de livres de pédagogie, de grec, d'histoire du monde, de sciences et autant de piles de copies à corriger. Le tout bien organisé en tas où rien ne dépassait, dans un parfait équilibre sans la moindre menace d'une chute.

Chacun avait sa manière de travailler.

Le jeune homme lâcha un rictus, se disant qu'il était bel et bien dans la Maison des Gémeaux, ce signe astrologique qui offrait une dualité dans les personnes nées à cette période de l'année, amplifiée en bien ou en mal pour les chevaliers portant cette armure d'Or. La preuve étant que Saga restait méthodique et un brin ordonné et, malgré ses journées intenses à enseigner aux enfants du Sanctuaire, il prenait le temps de ranger leur logis.

Quant à lui même, il s'était contenté de laisser son armure d'Or aux soins de Mu du Bélier, avant de balancer ses vêtements sales dans le panier à linge avec plus ou moins de réussite, pour aller se verser un grand verre de jus d'orange et l'engloutir avec un plaisir non dissimulé, sans prendre le temps d'enfiler un Tshirt. Après tout, il était chez lui, enfin, et il avait droit à un moment de répit. Court, et c'était la raison pour laquelle il devait en profiter.

Saga arriva.

« Tu ne donnes pas de cours, aujourd'hui, demanda Kanon.

-Non. L'état d'urgence a été décrété par Pépé Shion et Athéna. Je me contente depuis trois jours de rappeler aux enfants les bonnes attitudes à avoir, et je fais des simulations de cachette en cas d'attaque. Les plus jeunes n'ont aucune notion de combat, je vais m'engager à les protéger de mon mieux.

-Je suis fier de toi, grand frère.

-Kanon... cette cicatrice?

Le chevalier se toucha le torse là où se trouvait la marque d'un combat terrible qu'il avait du mener en Asgard, qui barrait de gauche à droite son buste et qui s'étalait sur une largeur de près de dix centimètres.

-... Je peux littéralement dire que c'est une blessure de guerre. J'ai du affronter un Spectre et pas des plus faibles. Il paraît que c'est un des Juges des Enfers, un des plus forts en fait. Je n'ai jamais eu de combat aussi violent de toute ma vie et j'ai cru y passer, je te le dis...

-Kanon...

Le regard de Saga profond et mélancolique se radoucissait toujours plus, avec une pointe d'inquiétude que le cadet connaissait si bien.

-Je l'ai tué, affirma ce dernier. Même si j'ai passé deux jours dans une des pièces du palais d'Odin cloué au lit à cause de cette blessure, je vais beaucoup mieux.

-Tu as mal?

-Encore un peu, oui, mais ce n'est pas comparable à ce que je m'étais pris. Ça passera avec le temps. Hilda de Polaris et ses Guerriers Divins nous ont offert les meilleurs soins que l'on pouvait espérer. Et pour eux, nous devons gagner cette guerre dans laquelle ils n'auraient jamais du être impliqués.

-Tu as raison, Kanon. Et je suppose que tu n'as pas envie d'en parler pour le moment de ce qui t'est arrivé dans le grand nord...

-Tu devines bien, oui.

-J'attendrai de lire ton rapport et de te corriger dans ce cas là.

-J'ai de la chance d'avoir un frère prof, rit le Gémeau. Promis, je le rédigerai avec toi à mes côtés. Mais pas tout de suite.

-Que veux-tu faire alors? Voir Milo?

Le Scorpion! Kanon ne l'avait pas oublié, mais cette envie de rentrer à la maison avait été si forte aussi...

-Je sais qu'il va falloir qu'on se parle. Je l'ai déçu pour avoir refusé de le prendre dans mon unité pour cette mission, mais j'ai mes raisons et elles sont valables encore aujourd'hui. Avant la réunion de demain au treizième Palais, j'irai le voir. Avant cela, j'aimerais aller nager un peu.

-Tu te doutes qu'il est déconseillé d'aller sur ta plage en bas du Cap Sounion.

-Oui. Comme c'est en dehors des frontières du Sanctuaire et sous la garde de Poséidon, je ferai une exception. J'irai au bord de la falaise ouest du domaine. Tu veux venir?

Saga semblait hésiter mais pas tant que ça. Kanon le comprenait. Ils avaient besoin de se retrouver entre frères, avant que la bataille ne reprenne. Même pour un court instant.

-A la condition que tu ranges ton bazar qui dépasse de ta chambre en rentrant, répondit le professeur.

-Oh ça va! »

Les jumeaux quittèrent la troisième Maison du Sanctuaire, le cœur un peu plus léger d'être ensemble pour un moment d'insouciance.

Ils n'avaient pas senti la présence cachée derrière une colonne dans le couloir traversant: Milo qui attendait depuis quelques minutes sans avoir pu reparler à Kanon.

迷い

Dans une zone du Sanctuaire éloignée des douze Maisons et du cœur du domaine, au creux d'un terrain vague, une pluie d'étoiles filantes s'abattait sur le sol à une vitesse vertigineuse alors que le soleil était brulant dans le ciel.

Un poids tomba lourdement et roula aussitôt pour éviter une flèche en métal.

La pause était terminée pour Seiya qui avait du reprendre cet entrainement si intense que lui imposait Aiolos du Sagittaire.

Au début, une semaine plus tôt, il n'avait pas compris. Pourquoi lui? Pour quelle raison? Lui qui n'était qu'un chevalier de Bronze, qui avait accepté cette destinée dans le seul but de protéger sa sœur restée au Japon, pourquoi l'obliger à risquer la mort chaque jour? Et dire qu'il se souvenait des enseignements de son maitre, Marin, qu'il jugeait impossibles, surtout les tractions dans le vide, avec le risque de chuter sur les pierres pointues quand la marée était basse en plein milieu de la nuit et qui étaient jusqu'à il y avait peu son pire cauchemar d'entrainement...

L'archer doré cachait bien son jeu. Cet homme si gentil, si bienveillant avec tous les autres chevaliers était redoutable et intransigeant. Le Japonais avait accepté de se renforcer en sa compagnie, du fait qu'il s'était lié d'amitié avec lui et son frère, Aiolia et que tous trois avaient l'habitude de duels au corps à corps pour maintenir leur forme. Jamais il n'aurait pensé se faire pousser dans ses derniers retranchements à chaque assaut d'Aiolos, jamais il n'aurait pensé faire exploser son cosmos toujours plus fort et surtout s'étonner de la puissance de ses coups de poings toujours plus rapides, comme des météores qui s'abattaient sur les falaises, les détruisant instantanément. Et à chaque progrès, le niveau augmentait. Jusqu'où le Sagittaire allait-il pousser ses capacités?

En tout cas, la raison que cet ainé lui avait donnée, il la connaissait: chaque chevalier Pégase au cours de chaque guerre sainte face à Hadès jouait un rôle primordial qui amenait la victoire ainsi que la paix sur terre. Les mots étaient simples, mais Seiya n'en comprenait pas le sens de manière concrète. Certes, il se doutait de l'enjeu, il savait que si le seigneur des Enfers venait à gagner, Athéna perdrait le contrôle de la surface. Il avait appris grâce aux cours de Saga le déroulement des guerres du passé. Et si le pire finissait par arriver, qui saurait dire l'avenir des Hommes? Que pourrait-il arriver à Seika, sa sœur?

Il ne saisissait pas encore clairement l'importance de ses actions au cours de cette guerre. Comment un simple chevalier de Bronze, un simple chevalier Pégase pouvait-il avoir un rôle aussi décisif au cours d'un conflit divin? Cela le dépassait encore. Cependant, acceptant l'aide d'Aiolos, il se donnait à fond, pour être utile un minimum au Sanctuaire, pour protéger ceux qui l'ont accueilli dans ce domaine sacré tels que le Sagittaire lui même, son frère Aiolia, ainsi que Marin son maitre, mais aussi Shaina avec qui il discutait souvent, Cassios son rival à l'époque où ils étaient apprentis et qui était devenu tailleur de pierre. Il combattrait également aux côtés des autres Bronze qu'il avait connus au Japon, à l'orphelinat, ses amis d'enfance, Shun, Hyoga, Shiryu, Ikki, même Jabu.

Telles étaient les raisons qui le poussaient à dépasser ses limites. Avec la pensée de revoir un jour sa sœur et flâner tous les deux dans les rues de Tôkyô.

Gonflé de tant de motivation, Seiya se releva et lança un regard de défi à Aiolos. Une aura bleutée l'entoura et, préparant son poing droit, il courut en direction de son adversaire, dégainant une pluie de météores qui s'abattit sur le Sagittaire. Il stoppa son attaque et s'avança vers le chevalier d'Or.

« Aiolos...

Ce dernier, allongé au sol, avait du mal à se relever, mais souriait quand même.

-Bravo, Seiya. On en a terminé pour aujourd'hui.

-Mais toi, ça va?

-Oui. Et content de savoir que tu as retenu ta force, sinon j'aurais été bon pour aller à l'infirmerie.

Le plus jeune s'étonna. Le Sagittaire avait compris qu'il ne se donnait pas à fond.

-J'aurais dû?

-Non. Gardes-en un peu pour la vraie bataille. Tu as su progresser si vite depuis une semaine, je ne m'y attendais pas. On continuera autant que possible à s'entrainer tous les deux. Je ne te demanderai pas de te dépasser comme au début. Juste qu'autant toi que moi, nous ne devons surtout pas nous laisser aller. Tout à l'heure, quand Kanon et son unité venait de rentrer d'Asgard, j'ai pu ressentir cette fatigue psychologique dans leur cosmos. J'ignore encore les détails de leur mission, mais cela a du être terrible. De plus, nous avons perdu deux chevaliers d'Or et un chevalier d'Argent est pour le moment invalide. Tu vois où je veux en venir, n'est-ce pas?

-Oui, je crois, répondit Seiya. L'ennemi a l'air fort, mais on ne se laissera pas faire.

-C'est tout à fait ça. Quand nous combattrons, nous aurons nos armures. Nos alliées bénies par Athéna et nos étoiles protectrices. N'oublie pas cela, Seiya. Ton armure n'est pas qu'une simple protection, elle te soutiendra dans chacun de tes mouvements, dans chaque météore que tu lanceras et à chaque fois que tu laisseras ton cosmos exploser. Je sais que tu n'as pas encore eu l'occasion de l'expérimenter, mais tu comprendras sur le moment.

-Merci Aiolos. Je tâcherai de m'en souvenir, fit le plus jeune en aidant l'archer à se relever.

-Je te libère pour aujourd'hui. Demain, je ferai en sorte qu'on puisse s'entrainer encore, mais le Grand Pope et Athéna souhaitent une réunion avec les chevaliers d'Or. Si je ne suis pas là comme d'habitude, ne t'inquiète pas. Échauffe-toi, maintiens ton corps par toi même.

-Je ferai au mieux. »

Tous deux, maitre et élève, quittèrent leur aire d'entrainement ensemble, abordant d'autres sujets plus légers. Puis, longeant un ruisseau qui s'enfuyait vers les bois du Sanctuaire, une envie traversa l'esprit et surtout l'estomac de Seiya sur l'instant. Ses amis de Bronze étaient à nouveau sur les terres sacrées, et pourquoi pas leur offrir du poisson grillé pour le repas de ce soir. Il salua alors Aiolos et bifurqua du chemin pour s'enfuir dans la forêt.

迷い

Aujourd'hui encore, elle avait ressenti cette explosion dans le ciel et ces secousses au sol, alors qu'elle se tenait tout près de la zone d'entrainement où Seiya passait toutes ses journées avec le chevalier du Sagittaire. Aujourd'hui encore, elle avait tenté de s'en approcher un peu plus pour voir ce qu'ils y faisaient, pour savoir la raison d'une telle violence dans leurs cosmos.

Elle ne les espionnait pas. Elle s'inquiétait simplement. Pourquoi le chevalier Pégase avait un enseignement aussi sévère de la part d'un chevalier d'Or, pourquoi il revenait toujours plus faible au fil du temps, et pourtant avec un sourire de satisfaction sur les lèvres, comme s'il se sentait fier de ce traitement?

Elle aurait très bien pu demander à l'intéressé en personne, ils se parlaient normalement d'habitude. Quand bien même elle était une femme chevalier d'Argent, quand bien même son disciple était l'ancien rival de Seiya, Cassios... quand bien même Pégase l'avait déjà vue sans son masque, avec son vrai visage, sans la moindre trace de maquillage. À l'époque où elle débutait en tant que chevalier de l'Ophiucus. Un petit instant d'inattention. Le garçon s'était excusé, probablement avait-il oublié cette anecdote avec le temps, mais elle s'en souviendrait à tout jamais.

La loi sur le masque des femmes chevaliers était stricte et tellement frustrante en même temps, bridant leurs forces, et les obligeant à faire un choix des plus difficiles. Tuer ou aimer celui qui avait vu leur vrai visage.

Elle se doutait qu'avec ce cosmos grandissant à une vitesse fulgurante depuis une semaine, jamais elle ne pourrait assassiner Seiya. Quant à l'autre solution...

Cachée au milieu de branches à l'orée de la forêt, elle entendit une présence s'enfoncer dans les bois. Vu l'état d'urgence pratiquement décrété par le Grand Pope, c'était bien le moment pour des apprentis d'aller jouer dans la nature.

Elle descendit de son perchoir, le Sagittaire et Pégase ayant terminé leur entrainement, et s'engagea sur un sentier pour tenter de ramener les gamins qui pouvaient se trouver près du ruisseau à barboter. Tout en prenant soin de bien remettre son masque sur son visage, elle se dirigea vers le bord de l'eau.

Traversant la barrière de buisson, elle s'arrêta tout net. Une seule personne s'agitait devant elle, attrapant une truite bien grosse entre ses mains. Il se retourna, et après un regard surpris, sourit à la jeune femme.

« Oh Shaina, bonjour, s'adressa-t-il au chevalier d'Argent. Regarde le poisson que j'ai attrap... Oh non! T'en vas pas, s'écria-t-il aussitôt en plongeant dans le ruisseau pour récupérer sa prise.

Sous sa carapace, elle riait doucement. Toujours aussi intenable, ce Seiya.

Ce dernier revint sur la berge un peu penaud et s'assit dans l'herbe, s'essuyant avec une serviette qu'il devait prendre pendant son entrainement. Shaina se surprit à détailler tout son être, rougissant un peu. Elle devait se ressaisir un peu, et rougissant, elle entama une conversation.

-Tu l'as perdue, demanda-t-elle.

-Oui. Je voulais apporter le repas de ce soir à mes amis de Bronze du Japon, mais trois petits poissons ne suffisaient pas. Cette truite était superbe...

-Il y en a d'autres. Ce ruisseau a toujours abrité énormément de poissons.

-Tu as raison! Merci, Shaina! Je vais y retourner et en trouver d'autres. Dont une pour toi, si tu veux...

-Tu n'es pas obligé, tu sais...

-Non, ça me fait plaisir, répondit le chevalier de Bronze, en se relevant d'un coup.

Quelle énergie il avait en lui. Toujours de bonne humeur et de bonnes intentions pour les personnes qu'il estimait. Shaina elle même en faisait-elle partie? Son cœur se resserrait d'un coup. Se rappelant cet épisode dans le manoir de Julian Solo, quelques mois plus tôt. Lorsque ce Marina avait joué et pénétré son cœur et ses pensées les plus intimes. Lorsqu'il était apparu sous la forme de Seiya, avant de la terrasser. Elle en était ressortie à première vue indemne. Cependant son esprit restait embrouillé et elle ne pouvait s'empêcher de penser à ce chevalier de Bronze.

Ses réflexions furent rompues lorsqu'elle entendit le jeune homme pousser un cri de plainte.. non de douleur.

-Seiya?

Ce dernier se tenait comme il le pouvait une zone du dos, sous l'omoplate qu'il ne pouvait atteindre que du bout des doigts.

-Ca va... juste une courbature et...

-Laisse moi voir.

-Non, t'inquiète. J'ai du me faire mal tout à l'heure à l'entrainement.

-Et tu vas retourner dans l'eau comme si de rien n'était?

-Ben... oui. Ça va passer...

-Non Seiya. Si ça se trouve c'est bien plus grave et tes muscles à froid pourraient se contracter encore plus et te bloquer. Vu l'intensité de ton cosmos qui se ressent chaque jour, je doute que tes entrainements avec le chevalier du Sagittaire ne soient que de échanges pour se maintenir en forme.

-Shaina...

-Laisse-moi regarder.

-Tu vas pas m'attaquer?

-Idiot!

Le Pégase obéit et tourna le dos à la jeune femme.

-Je ne vais pas t'attaquer. Sauf que pour mieux voir si tu es blessé, je vais devoir enlever mon masque. Tu tournes la tête une seconde, je te tue.

-Promis, je ne te regarderai pas. Même si c'est stupide cette règle pour les femmes, mais je respecte ton choix... tes mains sont gelées!

-Pardon... »

Shaina frissonnait aussi de toucher la peau du jeune homme. Elle se croyait alors dans un rêve, dans un espace hors du temps et de la réalité. Cela partait d'une intention des plus sincères, sans arrière pensée. Juste prévenir Seiya d'une mauvaise blessure en devenir, mais ce contact signifiait bien plus et elle s'en rendait compte. Du bout des doigts, elle effleurait ce dos musclé lardé de coups et de bleus par endroits, résultats d'un entrainement trop intense. Jusqu'à présent, elle voyait ce chevalier de Bronze comme le seul qui l'avait vue sans son masque. Elle restait réservée et se cachait derrière cette barrière de métal pour paraître un brin naturelle en sa présence. Et puis le Marina de Poséidon avait fait ressortir quelque chose de bien plus fort au fond de son cœur. Il était allé chercher ce qu'elle n'avait pas encore découvert de par elle même. Il avait forcé cette révélation trop brutalement. Malgré le temps, malgré la menace des Spectres d'Hadès qui étaient pratiquement aux portes du Sanctuaire, elle ne pouvait plus se mentir à elle même. Shaina se devait de l'admettre. Elle aimait Seiya.

Sans savoir si elle le lui dirait un jour, elle lui indiqua avec soulagement que ce n'était qu'une petite courbature. Mais soulagée en son for intérieur que ce ne fut pas une blessure grave. Et également heureuse de ce moment incongru, inattendu avec Pégase. Elle s'enfuit alors, loin des bois pour ne garder que le meilleur de ces quelques minutes avec lui.

迷い

Prétextant vouloir consulter Mu du Bélier sur l'état de son armure, Asterion avait quitté le quartier des chevaliers d'Argent deux heures à peine après être revenu dans les terres sacrées. Quand bien même avait-il ressenti l'inquiétude des uns et le soulagement de le revoir de la part d'autres de ses compagnons. Pourtant, lui aussi était heureux de les retrouver, souriant à la remarque de Misty du Lézard comme quoi il avait de belles cernes sous les yeux, manquant tomber sous l'accolade un peu brutale de Moses de la Baleine ou heureux simplement des paroles sincères d'Algol de Persée avec qui il formait un duo efficace dans les missions qu'ils effectuaient ensemble.

Il n'avait pas eu le temps de sonder le cœur de Marin, déjà partie dans la zone des femmes chevaliers se reposer. Mais très probablement qu'elle partageait cette impression de flottement depuis qu'ils avaient mené cette bataille contre les Spectres en Asgard. Comme s'il n'avait pas remis les pieds au sol, l'esprit encore sur le qui-vive à guetter un cosmos redoutable ou un ennemi qui pourrait les attaquer par surprise.

Ce qui en soi n'était pas un délire non plus. Le Grand Pope avait décrété l'état d'urgence sitôt l'unité de Kanon rentrée. L'armée de Hadès pouvait tenter de briser le sceau d'Athéna protégeant le Sanctuaire d'un moment à l'autre, et tous ses protecteurs devaient se tenir prêts à répondre à l'assaut.

Le Chien de Chasse le savait très bien. Mais au delà de ça, cette expérience dans le grand nord lui avait fait prendre conscience d'un fait grave le concernant. Un point faible qui en vérité ne faisait pas de lui le meilleur chevalier d'Argent après Marin, selon les dires de tout le monde. Il s'en était rendu compte. Le Gémeau y avait appuyé dessus en le décrivant comme insupportable, arrogant à force d'en abuser. Des adversaires au cosmos bien plus grand que le sien avaient failli avoir raison de sa vie, le rendant aussi faible qu'un homme normal.

Il s'était rendu à l'évidence que ce don si précieux qu'était la lecture des esprits ne faisait pas tout. Et il avait bien trop compté dessus jusqu'à présent. Oui c'était un avantage non négligeable que d'anticiper les coups des ennemis, de connaître leurs desseins cachés et d'apprendre un peu plus en découvrant leurs personnalités sans rien dire. Cependant certains savaient faire le vide en eux, certains avaient un cosmos si important qu'il écrasait les pensées et d'autres... étaient des dieux.

Pour la toute première fois de sa vie, Asterion s'était senti impuissant, doutant de ses propres capacités, des limites à ce don et même de ses techniques de combat physique.

Pendant de longues minutes sur son lit de repos, sous un tas de couvertures chaudes dans le palais d'Odin, sur le trajet du retour au Sanctuaire et même tout en écoutant ses camarades argentés, il revenait à la même conclusion.

Plus le choix, donc.

Contrairement à ce qu'il avait annoncé, il ne continuait pas son chemin sur la route pavée qui menait aux escaliers du zodiaque et vers la Maison du Bélier. Il bifurqua bien avant d'atteindre la grande arène pour se diriger vers le sentier qui longeait les bois vers la frontière est du Sanctuaire. Il était décidé à repartir sans prévenir. Direction les massifs montagneux d'Autriche, pour revoir son maitre, pour recevoir un entrainement qui le rendrait plus fort... plus utile à Athéna.

Il était presque arrivé aux limites du domaine quand il sentit un vent glacial souffler autour de lui. En ce milieu d'après midi, malgré des températures assez chaudes, ce n'était pas normal du tout. Il avait du être repéré. C'était certain même. Le campement des Bronze n'était pas très loin des bois, et le Cygne était présent.

Cependant, ce n'était pas Hyoga. Le froid était puissant, si puissant que ses pieds refusèrent d'avancer, pris dans une glace pure et brillante qui jurait avec la poussière de la terre battue.

À cet instant, Asterion comprit qui l'avait arrêté. Malgré l'absence de son armure d'Or, sur sa droite un homme à la silhouette fine et musclée et aux cheveux bleu nuit apparaissait. Il arborait un regard sévère et incisif sur un visage fermé comme sans expression. Le plus puissant maitre du froid du Sanctuaire: Camus du Verseau.

« Chevalier, déclara celui-ci, comptais-tu désobéir à l'ordre du Grand Pope qui stipulait qu'aucune entrée et sortie du Sanctuaire ne devaient se faire, à cause de l'état d'urgence? Comptais-tu commettre le crime de désertion dans un moment si crucial au cours d'une Guerre Sainte?

-Seigneur du Verseau... le Chien de Chasse tenta de se ressaisir, à défaut de se concentrer pour lire dans les pensées du chevalier d'Or. Je n'ai aucune intention de fuir le combat, et je suis fidèle à notre déesse sans la moindre erreur. Je pars accomplir une mission pour laquelle je serai de retour sans faute.

-Toutes les missions ont été annulées, répondit Camus du même ton monocorde et pourtant autoritaire. Je sais qui tu es, Asterion, chevalier d'Argent du Chien de Chasse. Je connais ta force et ta capacité à lire le cœur des gens. Sache que tu n'arriveras pas à me sonder. Si tu insistes, je serai obligé de considérer cela comme un acte de rébellion envers un chevalier d'Or, ajouté à ton intention de quitter le Sanctuaire sans raison.

-J'ai une raison, insista Asterion.

-Alors énonce-la.

-Je... je dois retourner en Autriche, auprès de mon maitre. Je... sens le danger dans sa région et...

-Ne dis pas d'âneries, fit Camus en haussant le ton. Ce don que tu as ne t'empêche pas d'être un piètre menteur.

Le chevalier d'Argent encaissa la remarque sans vouloir rien laisser paraître, mais le Verseau avait visé juste.

-Je dois retourner en Autriche auprès de mon maitre, répéta-t-il... pour... me renforcer. J'ai besoin d'être au maximum pour cette Guerre. Pardonnez mes paroles, Seigneur Camus, mais vous n'étiez pas en Asgard il y a quelques jours, à devoir combattre des adversaires si puissants qui ont pu vous faire douter de tout ce que vous avez appris jusqu'à présent. Vous n'avez pas frôlé la mort, vous n'avez pas non plus été mis à terre par un dieu qui vous a propulsé contre un mur juste en levant un doigt. Vous ne...

-Arrête de pleurnicher, Asterion! Ce n'est pas digne d'un chevalier de ton rang, ni même d'un protecteur d'Athéna tout court. Si tu te sens faible, entraine-toi. Si tu as besoin d'aide, demande. Sauf si tu veux mourir. Dans ce cas là, je te laisserai partir, mais sache que tu seras considéré comme un déserteur qui aura désobéi aux ordres directs du Grand Pope et de notre déesse. Alors si tu ne veux pas être la honte des chevaliers d'Argent, tu retournes dans tes quartiers et tu renforces autant ton cosmos que ton corps. On ne peut pas se permettre de perdre bêtement un homme actuellement. Encore moins un bon élément tel que toi.

Le Chien de Chasse soupira, vaincu par les paroles directes, violentes du Verseau. Ce dernier avait raison, et il le savait. Sur ses mollets, la glace fondait à vue d'œil, ne laissant qu'une impression gelée sans conséquence sur sa peau au travers de la toile de son pantalon. Il s'assura de pouvoir encore bouger les pieds après ces quelques minutes prisonnier du froid.

-Confie-moi ton armure, continua Camus. D'après les rumeurs, en effet vous n'avez pas été épargnés dans votre mission en Asgard. Je pense que Mu saura réparer ta protection, au mieux la renforcer s'il a le temps et l'énergie pour cela.

-Seigneur Camus...

-Quant à toi, rentre et entraine-toi. C'est ce que tu as de mieux à faire en attendant, si tu veux être plus fort. Et... arrête d'appeler tes supérieurs 'Seigneur'. Au cours d'une guerre non seulement tu n'auras pas le temps de le dire et au bout d'un moment la hiérarchie n'existera plus. Nous sommes tous des chevaliers d'Athéna unis pour le seul but de faire régner la paix et la sérénité sur la surface de la terre. Si tu as compris tout cela, tu peux t'en retourner. »

Asterion acquiesça seulement d'un signe de tête et rebroussa chemin, comme honteux de son comportement. Mais le Verseau avait raison sur toute la ligne. Et lui n'était qu'un lâche, prétextant sa faiblesse et son combat en Asgard pour fuir. Ce n'était pas lui. Ce n'était pas le Chien de Chasse que son maitre avait entrainé, disant de lui qu'il était un jeune homme intelligent, fort et fin tacticien grâce à sa lecture des pensées. Il devait se comporter comme il fallait: être un chevalier d'Athéna qui pouvait aussi bien agir seul qu'aux côtés de ses compagnons.

Approchant les maisonnettes de la zone argentée, il reconnut la silhouette d'Algol, et d'autres camarades. Et il accepta de se joindre à eux pour un entrainement dans une des petites arènes jusqu'à l'épuisement, tout en leur confiant son désir de se renforcer.

迷い

Nachi sortait du bâtiment de l'infirmerie du Sanctuaire, le corps libéré de tous les pansements que les guérisseurs d'Asgard lui avaient faits avant de revenir en Grèce. Il ne demeurait de cette mission que de légères contusions sans gravité et des bleus sur son corps sans douleur. En apparence, le jeune Loup était tout à fait opérationnel, et pouvait se battre aux côtés de ses camarades face aux Spectres. En apparence.

Dans sa tête, il était resté dans le grand nord.

Cette mission si dangereuse l'avait marqué plus profondément qu'il ne le laissait paraître.

Jamais il n'avait pensé se retrouver dans une unité dirigée par Kanon, le chevalier des Gémeaux, un des plus forts de l'armée de leur déesse, et accompagné d'autres guerriers aux cosmos supérieurs au sien. Même Ikki, qui était un chevalier de Bronze, était beaucoup plus puissant et possédait des techniques redoutables.

Quant à lui, Nachi, le petit timide des orphelins qui avaient été choisis au Japon, on lui avait donné cette chance et lui même avait tout fait pour la saisir.

Cette rencontre avec Fenrir d'Arioth, leur respect commun pour les loups et leur courte – trop courte – entente lors d'un combat restera à tout jamais gravée dans son cœur.

Ce qu'il aurait aimé rester un peu plus en Asgard, rassurer la meute abandonnée par le sacrifice de leur maitre, raconter à Ging le loup gris comment le Guerrier Divin s'était battu avec honneur pour le bien du royaume, pour la paix, pour eux.

Il ignorait tout de ce qui allait se passer désormais. Quand et comment les Spectres se manifesteraient à nouveau. Mais Nachi était sur d'une chose: il ferait tout pour rester en vie. Pour avoir un jour la chance d'aller se recueillir en Asgard, là où Fenrir avait été enterré. Et aussi revenir au Liberia pour raconter tout à sa famille adoptive.

Levant les yeux au ciel, il se retrouva face au visage imposant et si doux de la statue d'Athéna.

« Ô déesse, puissions-nous gagner cette guerre, pensa-t-il. Pour que les gens ne soient plus séparés de leur famille à cause de conflits. Et si un jour je renaitrais, si un jour Fenrir aussi pouvait renaitre, ce serait bien que l'on soit frères... »

Nachi avait gardé ce côté rêveur depuis toujours, le rendant un peu solitaire, timide, même incompris. Il aimait s'imaginer des choses parfois irréalisables, mais ça lui faisait du bien. Comme quand il parlait aux loups en Afrique, après ses entrainements, tout en regardant les étoiles avec eux. Il espérait qu'un jour le monde pourrait vivre en paix, tout simplement.

On l'appela. Shun d'Andromède qui le rejoignit après avoir aidé les médecins. Le frère d'Ikki apprenait à soigner et s'occuper des autres. Ainsi, tous deux rentrèrent dans le quartier des chevaliers de Bronze. Un petit repas simple entre eux se préparait, pour se donner du courage, pour se soutenir dans ce qui arriverait tôt ou tard...

迷い

Resté seul à nager encore dans la mer, Kanon se sentait bien. Il adorait l'eau, il adorait étendre ses bras et ses jambes pour avancer à la surface, plonger parfois pour dénicher des petits poissons fuyants et des coquillages qui se cachaient dans le sable dès qu'il approchait. Il aimait cette sensation de détente lorsqu'il flottait faisant la planche, les yeux fermés, et ne dissimulait pas son sourire quand les vagues le ramenait tout en douceur sur la plage. Lorsque son frère était là, il était bien. Seul aussi il était bien. Du moment qu'il entendait le bruit de la mer, qu'il sentait ce parfum iodé, son cœur était apaisé.

Revenant sur sa serviette de bain, ses longs cheveux bleus dégoulinant d'eau, il réfléchissait déjà à l'après guerre. À la possibilité qu'ils gagneraient, à la succession au poste de Grand Pope. Tel serait son rôle alors. En dehors des grandes questions qui seraient mises sur la table, il y avait un point important qu'il imposerait concernant son travail: avoir au moins une journée à lui seul, sur sa plage sous le Cap Sounion. Même avec des papiers à traiter, même avec des lectures de dossiers, ce n'était pas grave. Il aurait toujours besoin de sa dose marine pour se sentir bien. Pépé Shion avait ses habitudes chez le boulanger du Sanctuaire, lui ce serait la plage.

À l'horizon, le soleil commençait à descendre, et il fallait probablement rentrer dans le temple des Gémeaux. Saga, qui était parti plus tôt après avoir terminé de bronzer en lisant un roman, avait du passer un moment avec Aiolos. Mais ils s'étaient promis une soirée tranquille entre frères, pour lui raconter cette mission en Asgard avant une nuit de sommeil bien méritée et cette réunion importante avec Athéna, le Grand Pope et tous les chevaliers d'Or le lendemain.

Préparer la bataille, établir une stratégie, et écouter les avis de chacun. En espérant que cela se passe bien...

Avant de réfléchir au jour suivant, Kanon leva les yeux alors qu'il essorait ses cheveux sur le sable. Il respira lentement en voyant la personne qui avançait en sa direction et ne pouvait plus reculer.

« Salut, Milo.

Le Scorpion resta un peu en retrait, mais le Gémeaux connaissait ce regard neutre en apparence, mais avec une étincelle un brin piquante. À quel point? Tôt ou tard il le saurait.

-Approche-toi. Par contre, je n'ai plus de serviette propre ou même sèche. Saga a emporté la sienne...

Milo s'assit à côté de lui, et fixa l'horizon toujours sans rien dire.

-Je me doute que tu veux des explications sur mon choix pour l'expédition à Asgard?

Le plus jeune ne répondait toujours pas. Kanon soupira.

-Je sais que tu me fais la gueule. Je t'ai pas vu quand on est rentrés, je m'attendais à ce que tu me donnes une beigne dans la figure, tout ce que j'ai de ta part, c'est toi, là, assis sans rien dire. Je te connais Milo, depuis que je t'ai récupéré dans les bidonvilles. Quand quelque chose te tient à cœur, tu n'hésites pas à t'exprimer, de n'importe quelle manière. Si je t'ai énormément déçu, je te présente mes excuses. Mais de ce que j'avais saisi au moment de partir pour aider les Guerriers Divins et Hilda de Polaris, et cela m'avait été confirmé là bas, stratégiquement, tu n'aurais pas eu ta place, et... pire je crois. Shura en est mort... Un chevalier d'Or.

-Tu m'avais promis qu'on partirait en mission ensemble, fit le Scorpion.

-Je le sais, Milo. Mais on parle là d'une guerre qui pourrait être encore plus dévastatrice qu'on ne l'imagine. Nos ennemis ne sont pas les chevaliers Noirs là.

-Et alors? Tu crois que je suis pas à la hauteur pour me battre contre des Spectres? Tu crois que je n'ai obtenu mon armure d'Or que parce que j'ai été recommandé par le grand chevalier des Gémeaux qui se croit supérieur à tous? Tu as au moins une idée de tous les efforts que je fais pour être digne d'avancer à tes côtés? À quel point j'ai envie qu'on forme ce duo invincible que tu m'avais promis qu'on soit un jour? D'être la fierté de tous les chevaliers d'Or?

Milo s'était levé d'un coup, et observait Kanon à contre jour. Il percevait des larmes dans les yeux de son cadet.

-Je sais que tu y tenais... que tu y tiens à ce qu'on se batte ensemble, répondit le Gémeaux tentant de rester calme. Et mets-toi ça bien dans la tête, je ne me cache pas sous les responsabilités qu'on me donne et que j'aurai par la suite.

-Ca y est! T'as pas attendu longtemps pour sortir le coup du futur Grand Pope!

Kanon s'était levé à son tour, faisant face au Scorpion.

-Putain mais grandis un peu Milo! Tu crois que je sors ça comme une excuse pour tout? J'ai pas le choix! PAS. LE. CHOIX! Moi aussi, j'aimerais passer mon temps à juste m'entrainer, nager et surveiller ma Maison, mais non. Le destin, les dieux m'ont désigné comme le prochain représentant d'Athéna sur terre et je suis obligé de faire avec. Et par conséquent je dois prendre des décisions qui plaisent pas forcément. Je dois composer avec la situation urgente actuelle, je vais devoir gérer une déesse pas encore mature, et ça, je t'assure que je le sens pas du tout cette histoire. Je vais devoir faire en sorte qu'il y ait le moins de pertes possible dans nos rangs... J'ai des milliers de choses auxquelles je dois penser et tu en fais partie. Mon frère également, Aiolos, le Sanctuaire entier. Et si t'es pas venu avec moi à Asgard c'est pour ça. Et à vrai dire, sans savoir ce qui se passait ici, j'ai eu raison.

-Que veux-tu dire?

-Tu as sauvé la vie d'Orphée et de Alice. Si tu n'avais pas été là...

-Alice est dans le coma et Orphée... les médecins ne savent pas s'il pourra combattre...

-Peu importe. Tu étais là... Milo arrête de douter quand t'es seul. T'es un chevalier redoutable, tes techniques sont beaucoup plus efficaces que tu n'imagines. Je t'ai observé assez souvent, même récemment pour le réaliser. J'ai confiance en toi pour cette bataille. Même si tu n'es qu'un gars têtu, trop spontané dans tes réactions, et légèrement rancunier...

-Je te pardonnerai jamais ce que t'as fait.

-Je sais. Mais je me suis déjà excusé trop de fois là.

-Je te le ressortirai jusqu'à ce qu'on soit ensemble...

-Tout dépendra des combats à venir...

Sans qu'il ne puisse comprendre ce qui arrivait, Kanon reçut un coup de poing qui le fit tomber dans le sable. Au dessus de lui, Milo le fusillait du regard, comme si des aiguillons de scorpions étaient prêts à foncer sur lui.

-Non mais ça va pas? Tu m'expliques là?

-C'est toi qui es vraiment con ma parole, s'écria le plus jeune. T'as rien compris de ce que je voulais te dire. Pour toi il y a que les combats, les missions et tout ça on dirait. Mais si t'étais justement le futur successeur du Grand Pope, tu devrais un peu virer de tes œillères et voir ce que ressentent les gens autour de toi.

-Là, en effet, je ne pige rien, répondit Kanon en se massant la joue et se relevant à nouveau.

-Tu le fais exprès, j'ai l'impression. C'est pas par manque de confiance en moi ou je sais pas quoi d'autre que je veux être avec toi. Presque je m'en contrefous de me battre. Kanon! Je veux être avec toi! J'aime être avec toi! Pas seulement en tant que chevalier. Mais parce que... parce que je t'aime, voilà. Je l'ai dit, t'es content?

Ce fut au tour du Gémeaux de fixer son ami sans rien dire. Effectivement, il ne l'avait pas vue venir cette déclaration. Quand bien même ils avaient toujours été proches, Milo et lui, il se rappelait que le Scorpion lui avait confié un jour qu'il aimait quelqu'un, sans le nommer, sans donner le moindre indice dessus. Parce qu'il disait que ce serait une relation impossible.

Oui, pour le coup, Kanon se sentait vraiment bête, là.

-Milo, je ne sais pas quoi te dire. Juste que moi aussi, d'une certaine manière, je tiens énormément à toi, et à tout ce qu'on a partagé ensemble et tout ce que l'on pourra vivre dans l'avenir. Je ne peux rien te promettre, à ce niveau, mais je veux juste qu'on survive tous les deux à cette guerre pour...

-Tu me soules avec ton blabla militaire!

-Tu peux parler, tu me sors ça d'un coup...

-Moi non plus j'ai pas eu le choix! T'as le crâne tellement dur que tu te rends pas compte qui t'aime. À part ton frère mais bon...

-T'es vraiment con, Milo.

-Tu l'es plus que moi.

-Je te le répète, je suis désolé si j'ai pas réalisé tout ça.

-Je te pardonne pas.

-Je m'en doutais... Viens, on rentre au Sanctuaire, il va faire nuit.

Tout en rangeant son sac de sport, Kanon semblait comme troublé par la fin de cette conversation. Il ne le montrait pas, mais il se sentait touché par les propos de Milo. Ce dernier avait toujours été franc avec lui, ne craignant jamais de poser des questions, de faire des remarques, parfois incongrues mais souvent pertinentes, et qui atteignaient leur but à chaque fois.

Lui même avait été inquiet pendant sa convalescence dans le palais d'Odin, se demandant comment allait le Scorpion. Bien sur qu'il tenait à lui. Mais comme il le lui avait déclaré, est-ce qu'il se cachait derrière son rôle de chevalier pour ne pas se laisser aller un peu...?

-Dis... ta blessure sur le torse...

-J'ai encore mal...

-Ca je m'en doute. Mais si j'avais été là, je suis sur que tu ne l'aurais pas eue.

-Milo, ça suffit!

-Jamais... »

Sur le chemin qui menait vers les premières habitations du Sanctuaire depuis la plage, les deux hommes continuaient à se chamailler. Chamailler était bien le terme exact. Kanon avait toujours apprécié ces petites disputes avec Milo, sans grandes conséquences, comme passer du temps avec lui sans aucune barrière entre eux d'âge ou de responsabilité. Même si ce soir là, cela portait sur quelque chose dont il n'avait pas imaginé que cela le toucherait directement: l'amour. Au fond de lui, il se fit une promesse muette. De protéger les personnes qui lui sont chères, telles que Saga et ce fichu Scorpion...


notes de fin: Merci d'avoir lu ce chapitre calme. Ce n'est en vérité que la première partie d'autres épisodes de la vie du Sanctuaire avant le gros gros de la bataille contre Hadès. Je n'ai pas tout exploité encore (notamment la relation Kanon/Milo) mais tout viendra petit à petit.
Je n'ai pas pu m'empêcher de remettre Asterion et surtout Nachi et je suis contente d'avoir pu enfin mettre Camus en action, que je ne savais pas encore trop quoi faire de lui.
Les caractères d'interlude sont mayoi, doutes, hésitation en japonais. Pour l'ambiance un peu étrange à l'intérieur du Sanctuaire
Je vous fais des bisous et à la prochaine.