VORACITY I — New World

Arc 3 : L'Être aux Mille Visages

Chapitre 7

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Harddyn soupira de contentement. La première partie de son plan s'était déroulée encore mieux qu'il l'avait imaginé. Il tourna la tête pour voir les deux formes pelotonnées dans le lit à côté de lui.

Neiryl s'était évanoui après son orgasme. Il était à présent sereinement assoupi, Aryn, ou plutôt Anya, blottis dans ses bras. Celle-ci n'était pas vraiment endormie. Elle n'en avait pas besoin. Elle faisait semblant pour coller au personnage que son maître lui avait donné. Celui d'une humaine.

Pour l'heure, Harddyn, ou plutôt Rakell était fiancée à Neiryl Venceol et c'était tout ce que désirait le Seigneur de Nazarick. Vendre des copies de ses cartes auraient rapporté de l'argent, mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas faire plus ? Aller plus loin ? Faire plus grand ? Pourquoi ne pas simplement créer un empire commercial florissant afin de financer Nazarick ? Après tout, Harddyn l'avait déjà fait. Sur Terre. Grâce à ses connaissances, il savait comment faire.

Il savait également, comme au village de Carne, comment faire évoluer cette société et comment profiter pleinement de toutes les retombées. Il avait fait ses recherches. Le système de brevet industriel existait bien. Cela lui permettrait d'avoir l'exclusivité de l'exploitation de ses inventions suffisamment de temps pour empocher des fortunes. Malgré le faible avancement de ce monde, un tel procédé n'était pas surprenant. Après tout, les plus anciens brevets de son monde à lui dataient du XVe siècle.

Le problème, c'est que bâtir un empire à partir de rien était compliqué. Ça nécessitait des fonds, bien sûr, mais également, un réseau, des contacts, une certaine réputation. Des choses qui étaient bien plus complexes à acquérir que de l'argent. Bien entendu, Harddyn y serait parvenu. Cependant, cela aurait pris énormément de temps, en particulier dans un monde sans journaux, sans internet et sans réseaux sociaux. La lenteur de la circulation de l'information ne jouait pas en sa faveur.

La seule solution était de s'accaparer le réseau, les contacts et la réputation de quelqu'un d'autre. D'une maison de commerce déjà établie dont le chef lui servirait de façade. Bien entendu, le choix de celle-ci était également important. S'il s'orientait sur l'une des plus influentes, il aurait accès à un meilleur réseau, mais il serait plus difficile pour lui de la contrôler. La personne à sa tête serait trop exposée, trop connue. Un changement dans son attitude, ses décisions inhabituelles et la présence d'Harddyn à ses côtés ne ferait qu'éveiller les soupçons. Au contraire, une petite n'aurait pas un réseau suffisamment étendu pour lui être utile. Il lui faudrait le bâtir de presque zéro et ce n'était pas ce qu'il voulait même si la discrétion était assurée. Non, le mieux était d'en choisir une d'importance moyenne.

C'est comme ça qu'il avait opté pour la maison Venceol. Elle était connue, mais juste assez et pas du tout en dehors de la capitale. Pile le niveau de réputation nécessaire pour que sa brusque ascension ne paraisse pas trop étrange. Le tout était ensuite de savoir comment s'y introduire. Comment y pénétrer et en devenir un habitué ? La réponse était somme toute assez simple : le mariage. Seule une union formelle lui donnerait suffisamment de légitimité pour intégrer et diriger (même si c'était dans l'ombre) une entreprise familiale.

Épouser le vieux Destan Venceol était hors de question. L'homme avait beau être veuf, il était mourant. Se retrouver lui-même « veuve » trop rapidement serait un problème pour asseoir sa position. Bien entendu, il était possible pour Harddyn de le maintenir en vie autant qu'il le fallait ou même de le guérir. Cependant, cela aurait gâché tous ses efforts pour rester sous le radar. Le mieux était donc d'épouser son fils, Neiryl, l'Héritier qui, par chance, était célibataire (il n'aurait pas à supprimer d'épouse et à risquer le scandale en se mariant avec lui trop tôt).

Faire en sorte qu'il s'éprenne de lui n'était qu'une bagatelle. Il était un Incube et un Mage d'Esprit après tout. Un soupçon d'[Aura de Séduction III] suffisait. Elle provoquait l'Altération d'État Passion qui rendait la cible amoureuse du lanceur. Assez pour l'épouser s'il le lui demandait. Il aurait juste ensuite, après le mariage, à le soumettre à de hautes doses d'[Aura de Séduction IV] qui le transformerait en loque servile qui obéirait au moindre de ses caprices.

La question était donc de savoir comment l'approcher. Le croiser par hasard dans la rue était trop suspect. Et même s'il réussissait à persuader tout le monde que leur histoire d'amour était sincère, il serait difficile de faire accepter Harddyn par le reste de Venceol. Le seul moyen était de se rendre à leurs yeux à la fois respectable et indispensable. En effet que ce soit pour les aristocrates ou les bourgeois, la femme était avant tout un trophée. Elle devait amener pouvoir, argent et/ou prestige à la famille de son époux. Un clan de commerçants comme les Venceol voudrait que leur héritier se marie soit avec une noble qui leur apporterait de l'influence, soit avec une riche bourgeoise qui augmenterait leur patrimoine, soit avec une femme dont la renommée personnelle accroisserait la leur.

Se faire passer pour une noble était dangereux et demandait trop de travail. Vouloir passer pour une bourgeoise était ridicule puisqu'il cherchait justement à gagner de l'argent. Il lui fallait donc une certaine réputation propre, chose qui était plus facile à fabriquer qu'un titre ou une fortune individuelle.

Il avait eu l'idée de créer Rakell Carnelian peu de temps après avoir mis son plan en place. Il avait déjà choisi la Maison Venceol et grâce à quelques investigations télépathiques, avait appris tout ce qu'il lui était nécessaire sur Neiryl et notamment sur les désirs de puceau frustré qui l'obsédaient. Donc, le personnage qu'il devrait incarner serait une femme. La question était de savoir quel genre de femme. Quel genre de femme était susceptible d'obtenir du prestige par elle-même dans ce pays ?

Il y avait les Guerrières. Les femmes étaient tout aussi considérées que les hommes. Toutefois, comme dans toute civilisation phallocrate, elles en devenaient moins attrayantes. Moins en tout cas que les Magiciennes. Cependant, l'une ou l'autre de ces carrières nécessiterait pas mal de temps avant de gagner l'influence suffisante pour être remarquée. Ou trop de modifications de mémoire à faire pour être crédible.

Il fallait donc que son personnage reste désirable et puisse obtenir une ascension rapide. Une prostituée était une possibilité. Mais le problème de son manque de respectabilité risquait de jouer dans la balance à l'avenir. Harddyn devait alors découvrir un autre moyen d'exposer ses charmes, mais sans les vendre. Il aurait pu créer un nouveau Barde ou une cantatrice, mais il était finalement venu à trouver la seule solution acceptable : une danseuse.

En tant qu'artiste, une danseuse gardait tout de même une certaine respectabilité et elle la conservait même lorsqu'elle paraissait pour habiller. Les tenues aguicheuses étaient une partie intégrante du spectacle et n'étaient donc pas considérées comme indécentes. Grâce à cela, Harddyn, ou plutôt Rakell pouvaient avoir l'air d'un fantasme ambulant sans que personne ne mette en doute sa moralité par la suite.

Par la suite, son personnage enfin au point, Harddyn avait dû s'occuper de sa future notoriété. Pour cela, il avait commencé par lancer une Rumeur. Il s'agissait d'une très puissante magie qui avait notamment permis aux Sorciers de son monde de se cacher après la mise en application du Code International du Secret Magique en 1692. À cette époque-là, même si tous les Sorciers de la Terre avaient uni leur force, il leur aurait été impossible de jeter un sortilège de mémoire suffisamment important et précis pour que les Moldus oublient leur existence ainsi que celle des différents animaux fantastiques et de la magie elle-même. Ils en avaient donc créé un pour lancer une Rumeur.

À la base, qu'est-ce qu'une rumeur ? Il s'agit d'une information de source inconnue et incontrôlée et qui se reprend et qui devient une vérité incontestable. La Rumeur magique, elle, c'était une idée propagée à travers le monde que les gens perçoivent sans vraiment savoir d'où elle vient et qu'ils diffusent entre eux. C'est ainsi que les Sorciers ont fait croire petit à petit que la Magie n'existait pas, que c'était une chimère, un rêve et que ceux qui se disaient capables de telles choses étaient fous. Le fait que les Sorciers se soient cachés et aient dissimulé toute trace de créatures fantastiques étayait la rumeur et finalement la majorité des gens ont fini par en être persuadés.

C'était donc ce sortilège qu'Harddyn avait utilisé pour faire connaître Rakell Carnelian, la belle danseuse. Au départ, les habitants d'Arwintar en avaient entendu parler. Certains louaient son talent, d'autres sa beauté, comme s'ils en avaient été témoins, emportés par le désir de se vanter auprès des autres. Certains disaient qu'ils l'avaient vu, d'autres que quelqu'un leur avait dits qu'elle avaient été à tel endroit. Et puis la rumeur avait enflé et quelqu'un avait essayé de l'approcher et de l'engager pour un spectacle. Puis il y en avait eu un second, puis un troisième et en à peine un mois, elle était devenue la coqueluche d'Arwintar. Il ne lui fallait plus à présent qu'une occasion pour rencontrer Neiryl Venceol.

La chance a voulu qu'à peu près à ce moment-là, Hieronymus Vermillion, le Chef de la Maison Vermillion, l'avait contacté pour danser lors du gala de l'Équinoxe de l'Eau donné par la Guilde des Marchands. Harddyn savait que Neiryl avait assisté aux deux précédents à cause de l'état physique de son père. Ils seraient donc forcément à celui-là. L'occasion était trop belle pour la manquer.

La suite avait été des plus facile. Il n'avait même pas eu besoin d'utiliser son charme d'Incube pour séduire sa cible, celle-ci était déjà subjuguée. Cependant, il lui avait fallu en faire usage pour le soumettre à ses ordres et le forcer à dépasser sa timidité maladive. Pourtant, ce n'était pas son pouvoir démoniaque qui lui avait permis d'amener le jeune homme jusqu'à sa chambre, mais celui de sa féminité.

Bien entendu, comme tout puceau qu'il était, il n'avait pas tardé à jouir. Harddyn avait toutefois été surpris que cela arrive après seulement un baiser. Il aurait pu se sentir flatté s'il savait vraiment que cela venait de son talent ou juste du fait qu'il avait un peu trop chauffé son futur amant quelques instants auparavant. Certes, Neiryl était légèrement trop âgé pour rebander aussitôt après avoir joui, mais c'était loin d'être un obstacle pour un Incube. Neiryl avait donc par la suite abusé son corps de diverses manières et, s'il n'était pas immensément doué, au moins était-il enthousiaste et peu égoïste. Il ferait un bon en-cas une fois qu'ils seraient mariés.

Parce qu'ils allaient bien se marier. Ça, Harddyn y veillerait. Il utiliserait tous ses pouvoirs pour que son fiancé se souvienne de la promesse qu'il avait faite sous l'orgasme et ait le courage d'en parler à sa famille. Il ne savait pas quand la cérémonie aurait lieu, mais d'ici là, il allait travailler les gens de la Maison Venceol au corps (littéralement s'il le fallait) pour que tous l'adorent. Et également pour qu'ils adorent sa fille.

La présence d'Aryn n'était pas une lubie et le choix d'Anya pour l'incarner, pas un hasard. Harddyn se voyait mal rester coincé dans l'Empire pour jouer les femmes d'affaires. Il avait bien l'intention de reprendre son voyage d'exploration de ce monde. Cependant, il ne pouvait pas laisser Neiryl seul à la tête de son futur business. Il fallait quelqu'un à ses côtés, quelqu'un qu'on ne s'étonnerait pas de voir, qui contrôlerait son époux aussi bien que lui et qui pourrait même prendre sa place si nécessaire. Anya était une Doppelgänger Supérieure. Assumer plusieurs identités n'était pas un problème pour elle.

Lui ayant également octroyé une Race de Succube, Harddyn comptait bien l'utiliser comme appât vivant pour remporter certains marchés. Anya saurait ainsi lire les désirs de ses victimes et se transformer et agir en conséquence. Le sexe demeure toujours un important élément de négociation. Et si Harddyn pouvait obtenir des avantages en offrant sa « fille » (ou quelle que soit l'apparence qu'elle doive prendre pour séduire) en pâture à quelques pervers, il n'allait pas se gêner. Les affaires sont les affaires.

C'est donc pour rendre Neiryl autant accro à Aryn qu'à lui qu'Harddyn leur avait fait jouer cette petite comédie. Grâce à elle, Anya aurait à présent le même pouvoir que son maître sur l'humain qui allait les aider à bâtir leur fortune et à apporter richesse au Grand Tombeau de Nazarick.

« Harddyn »

Celui-ci ne sursauta même pas en entendant la voix de son ami dans sa tête.

« Ainz » répondit-il simplement.

« J'espère que je n'interromps pas… »

Un toussotement gêné se fait alors entendre.

« J'espère que je ne te dérange pas » se corrigea l'Overlord.

« Non, ne t'inquiète pas, j'avais fini. Il m'a demandé en mariage. Dommage que je ne puisse t'inviter à la noce. »

Cette dernière phrase avait été dite avec un léger ton ironique. Harddyn avait dès le début fait part de ses plans à Ainz qui les avait accueillis avec enthousiasme. Il était particulièrement préoccupé lui-même par les finances de leur Donjon. Fort heureusement, son fonctionnement interne ne nécessitait que de l'argent D'YGGDRASIL, ce dont ils avaient à foison. Cependant, il y avait d'autres dépenses importantes, notamment pour vivre dans ce monde. De plus, celles-ci allaient se faire de plus en plus considérables à mesure que leur réseau d'espionnage se développerait. Les pots-de-vin et récompenses divers revenaient chers et il était pour le moment hors de question de permettre aux trésors de Nazarick de sortir du Grand Tombeau.

Il leur fallait donc de l'argent.

« C'est… c'est bien » approuva Ainz, gêné.

Tout plan impliquant du sexe le mettait mal à l'aise. Pauvre Albedo qui attendait que son prince la déflore.

« Tu m'as appelé pour une raison précise ? » Demanda Harddyn.

« Euh… oui. Il faudrait que tu rentres à Nazarick quelque temps. Cocytus a échoué à envahir le territoire des Lézardiens. Toute son armée a été décimée. »

Cette nouvelle n'ébranla pas particulièrement Harddyn. Il se contenta de se lever du lit et de reprendre son apparence ordinaire.

« J'arrive » dit-il simplement.

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Les Lézardiens. C'était le nom que donnait la population à ce peuple autochtone. On les appelait aussi parfois les Hommes-Lézards. Ce nom était trompeur, car il laissait penser que ceux-ci étaient une espèce d'Hommes-Bêtes ce qui n'était pas le cas malgré certaines ressemblances. Ils étaient cependant, tout comme eux, considérés comme des Semi-Humains.

Toujours était-il que les Lézardiens étaient un taxon indépendant de lézards anthropomorphes. Digitigrades, ils se tenaient sur leurs membres antérieurs et possédaient des mains préhensiles avec des pouces opposables sauf que celles-ci, ainsi que leurs pieds, étaient pourvues de griffes. Ils avaient une tête de reptile triangulaire avec une puissante mâchoire d'où émergeaient parfois des crocs en haut et en bas et étaient également pourvus d'une longue queue leur permettant de conserver leur équilibre.

Le corps des mâles était recouvert de scutellum épais et résistant sur la tête, le dos, le dessus de la queue, des bras et des jambes. Les parties inférieures ainsi que le ventre et la mâchoire du bas étaient plus mous et clairs, à la manière des crocodiles. Les femelles, elles, avaient des écailles plus douces, comme celles des serpents.

La taille d'un mâle adulte ordinaire était d'environ 1m90 pour plus de 100 kilos. Comme pour beaucoup d'espèces animales où les mâles dominent, les femelles n'atteignaient que rarement cette taille ou ce poids. Ce n'était pas le cas cependant de la longueur de leur queue qui pouvait atteindre près de 140 cm, mais seule celle des mâles était suffisamment épaisse ou puissante pour servir d'arme. Leurs pattes étaient adaptées à la circulation sur terrain marécageux. Ils étaient également bons nageurs et pouvaient voir dans le noir.

La proposition d'Albedo de les envahir avait donné lieu à une période d'observation assez importante afin de connaître leurs coutumes. Un détachement spécial d'unités du département d'espionnage de Chess avait donc été envoyé pour recueillir des informations. Ils s'étaient propagés tout autour de l'immense lac qui se trouvait dans la partie Nord de la Grande Forêt de Tob, dans des villages sur pilotis en partie immergés. Les Démons des Ombres qui composaient ce groupe étaient parfaits pour la mission. Personne ne pensait jamais à vérifier son ombre ou celles de tout ce qui les entourait alors que c'était là qu'ils se cachaient, à attendre et à écouter. Ils composaient donc une grande partie des forces de Chess.

À cause de leur tendance à l'isolationnisme, les humains avaient peu de renseignements sur leur société. L'expédition d'information était donc la bienvenue. Elle avait démontré qu'ils étaient loin d'être stupides. Ils possédaient une culture tribale assez évoluée où chaque village élisait un chef pour quelques années. Cependant, elle avait mis en lumière que leur civilisation était celle de chasseurs-cueilleurs. Ils prenaient leurs ressources dans la nature ce qui devait inévitablement amener à une lutte pour la survie du plus fort.

Tout autour du lac, il y avait exactement cinq villages. Une observation plus approfondie avait amené à remarquer des disparités physiques notables entre certains, prouvant la présence de races distinctes liées sous la même dénomination taxonomique. L'une d'elles, cependant, possédait des individus d'au moins trois types différents. Cela, ainsi que certaines ruines vieilles de quelques années, avait poussé Harddyn à faire une hypothèse sur la raison de ce phénomène. L'éloignement des villages signifiait qu'ils avaient peu de contact entre eux, voire même qu'ils se défiaient les uns des autres.

En sachant qu'un environnement est fluctuant, il est possible qu'à un moment ou à un autre, le poisson, qui est la ressource première de cette espèce soit venu à manquer. Que ce soit à cause d'une surexploitation, d'une maladie au sein de la population piscicole ou bien une sécheresse, toujours est-il que les tribus ont dû se battre entre elles. Il est probable que certains aient fait des alliances entre eux ou soient restés neutres. Le résultat a été que deux des tribus d'origines ont disparu et les survivants intégrés à une troisième, faisant passer le nombre de villages de sept à cinq.

Toujours était-il que chacun d'eux semblait être soumis à une hiérarchie simple et stricte. Le Chef était au sommet de celle-ci. Ensuite venait le Conseil des Anciens. Comme beaucoup de systèmes tribaux, l'âge avancé était souvent synonyme de sagesse. Logique. Pour une civilisation de combattants, s'ils avaient survécu aussi longtemps, c'est qu'ils étaient suffisamment intelligents et possédaient l'expérience nécessaire pour guider un Chef. De même, comme dans toutes ces civilisations, les Guerriers avaient une place dominante dans la société. Ils étaient favorisés au détriment du reste des citoyens, c'est à dire femme, enfants ainsi que les autres hommes, généralement des chasseurs et des pêcheurs.

Deux catégories, cependant, semblaient être à part dans cette organisation. Certains des Lézardiens étaient en effet capables d'utiliser la magie. D'après les informations qui avaient été rapportées, Harddyn en avait déduit que c'était principalement des Druides. Ceux-ci étaient identifiables par les peintures sur leur corps. Situés entre les Guerriers et le Conseil des Anciens, ils ne paraissaient toutefois pas partie prenante dans la politique et se contentaient d'assister le village grâce à leurs pouvoirs.

La dernière catégorie, elle, était reconnaissable par une marque au fer rouge sur leur poitrine. Harddyn n'avait pas immédiatement compris l'origine de cette marque. Les Combattants qui l'arboraient étaient rares. Ils semblaient cependant ne pas avoir l'autorité de la caste des Guerriers, plutôt en dessous. Pourtant, il arrivait qu'ils parlent au Conseil des Anciens et que ceux-ci les écoutent. Au départ, Harddyn avait pensé à des sortes de Héros, des Guerriers qui s'étaient distingués à la guerre. Cela expliquait qu'il y en ait peu et surtout pas partout. Mais ce n'était pas ça.

À force d'observation, ils avaient appris que cette caste s'appelait les Voyageurs. Il s'agissait de Lézardiens qui avaient décidé de quitter leur tribu pour partir à l'aventure dans le Monde. La façon dont ils étaient traités était assez étrange. D'après les informations rassemblées, quand un Lézardien devenait Voyageur, il était comme mort pour son peuple avec pour preuve la marque au fer rouge sur leur torse. Cependant, s'ils revenaient (ce n'était pas toujours le cas), ils étaient accueillis à bras ouvert, car ils amenaient avec eux des connaissances de l'extérieur ainsi que de nouvelles idées bénéfiques pour la tribu. Toutefois, jamais ils ne retrouvaient un statut ordinaire parmi ses semblables. Ou du moins rarement.

Telles étaient donc les informations qui avaient été collectées pendant plus d'un mois, temps nécessaire à la préparation de l'opération. Une opération qui avait pourtant échoué.

S'ils avaient choisi une tactique à efficacité optimale, ils auraient opté pour des attaques-surprises de nuit. La noirceur n'aurait pas dérangé les Lézardiens puisqu'ils étaient nyctalopes, mais les Morts-Vivants qui constituaient l'armée aussi. Et l'effet de surprise aurait été total. De plus, avec le nombre de troupes dont disposait Cocytus, le commandant de l'expédition, il aurait été possible d'attaquer tous les villages en même temps.

Cependant, ce n'était pas une stratégie qu'Harddyn ou Ainz désirait. Et Cocytus, de toute façon, aurait eu trop de mal à l'exécuter compte tenu de son caractère. À la place, les deux souverains de Nazarick avaient préféré une bataille rangée, une véritable démonstration de force afin d'éprouver leurs armées… et leur commandant.

La tactique était simple. Tout d'abord, Ainz avait envoyé l'une de ses invocations, un Messager Mort-Vivant qui ressemblait à une sphère flottante faite de visages hurlants. Elle avait fait le tour des villages afin de leur transmettre une déclaration, celle de leur anéantissement prochain par les Êtres Suprêmes et leur clémence de leur accorder huit jours pour se préparer. Ajouté à cela une météo manipulée par magie pour couvrir le ciel de sombres nuages et ils étaient assurés que les Lézardiens les prennent au sérieux.

Le contenu était le même pour chaque village à un détail près. Le Messager avait été sommé de dire à chacun quelle serait leur place dans le combat. Premier, deuxième, troisième. Cela avait eu l'effet voulu, car les Lézardiens avaient compris que toutes les tribus étaient ciblées et qu'elles seraient détruites les unes après les autres. La seule solution pour eux était donc de s'unir contre leur adversaire au lieu d'attendre l'anéantissement chacun de leur côté.

Par la suite, grâce à l'impulsion d'un petit groupe, non seulement les armées s'étaient réunies, mais les tribus avaient été dissous afin de former une grande alliance Lézardienne, probablement la première de leur histoire. Alors qu'ils s'étaient affrontés depuis des siècles, ils avaient été obligés de combattre contre un ennemi commun et ils l'avaient vaincu.

L'Armée de Mort qu'Ainz avait confié à Cocytus était constituée de 300 Bêtes Mortes-Vivantes, de 2200 Squelettes, de 150 Archers Squelettiques, de 100 Cavaliers Squelettiques, de 2200 Zombies. Elle était dirigée par unité particulière, Iguva=41, une Liche Ancestrale de Niveau 22 dont les pouvoirs lui permettaient d'égaler un Mage de Niveau 30. Elle était censée servir de meneur aux troupes.

La différence en termes de nombre était écrasante. Malgré tout, les difficultés du terrain ainsi que les manques dans la stratégie avaient rapidement causé la destruction des Morts-Vivants. De plus, quand Iguva avait été déployé, il s'était trouvé face à plusieurs Guerriers compétents, un Voyageur et quatre des cinq Chefs, secondés par le dernier, une femelle Druide ainsi qu'une Hydre qui avait servi de bouclier. Malgré sa puissance et à cause de son arrogance, la Liche avait été vaincue et par là même, Cocytus. En effet, celui-ci avait reçu d'Ainz et Harddyn des consignes précises. Il ne devait pas mettre un pied sur le terrain et Iguva devait être son atout, une carte qu'il ne pouvait révéler qu'en cas de nécessité absolue. Enfin, il avait obligation de se débrouiller pour ce qui était de la stratégie.

Cela faisait de cette défaite sa faute et donc la raison pour laquelle il était à présent jugé pour ses actions face à tous les PNJ de Nazarick et de l'Oasis et en présence, bien évidemment, de Ainz et Harddyn.

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L'immense Insectoïde couleur cyan se tenait à genou, tête baissée devant le trône encore vide des Êtres Suprêmes. Derrière lui se trouvaient les Gardiens de Niveau Demiurge, Shalltear, Aura et Mare ainsi qu'un cinquième qui n'était encore jamais ne parut en ce lieu. Il s'agissait de Victim, le Gardien du 8e Niveau.

Il ressemblait à un fœtus rose et flottant pourvu de petits bras et jambes et d'une grosse tête aux yeux globuleux de chaque côté. Dans son dos étaient plantes deux branches d'arbre qui avaient l'air d'ailes sans plumes. Malgré sa hideuse apparence et comme l'attestait l'auréole au-dessus de lui, Victim était de race angélique. À cause de cela, et par la volonté de son créateur, il parlait en Énochien, une langue totalement incompréhensible pour le commun des mortels, mais dont le sens s'imprimait directement dans le cerveau.

Il n'était que de Niveau 35, pourtant il était l'une des dernières forces de défense du Grand Tombeau. Grâce à sa Classe de Martyr, il était capable, en se sacrifiant, d'utiliser de très puissantes Compétences.

Le voir ici alors qu'il était habituellement confiné à son étage par mesure de sécurité prouvait l'importance de l'événement.

Tout comme Cocytus, les Gardiens étaient silencieux, mais avaient gagné le droit de se tenir debout face à leurs Maîtres. C'était aussi le cas pour les 100 qui se trouvaient justes derrière eux.

La porte de la Salle du Trône s'ouvrit alors et Yuri Alpha, la Chef des Pléiades, pénétra dans la Pièce.

« Le Seigneur Ainz Ooal Gown et le Seigneur Harddyn Emeryas, Souverains du Grand Tombeau de Nazarick, et Dame Albedo, Régente des Gardiens » annonça la femme.

Elle s'inclina au passage de ses maîtres puis prit sa place juste derrière Albedo, à la tête des autres Pléiades qui escortaient les deux suzerains. Ceux-ci avancèrent sur le vaste tapis de la salle laissé libre par l'assemblée qui baissa la tête à leur passage. Arrivés près de l'estrade, ils ignorèrent Cocytus et le dépassèrent pour grimper. Ainz s'installa sur le trône et Harddyn s'assit sur l'accoudoir juste à côté de lui. Albedo se plaça alors debout de l'autre côté, quant aux servantes, elles se mirent en retrait, dans l'ombre.

La Régente semblait irradier de colère. Pourtant elle garda sa composition quand, sur un signe de ses Seigneurs, elle s'avança pour faire face à la foule.

« Relevez la tête et contemplez l'autorité de nos Maîtres ! » S'exclama-t-elle.

Tous obéirent. Même Cocytus. Il ne voulait pas ajouter le blasphème à son échec. Ainz Ooal Gown se tenait droit dans son trône, le Sceptre de la Guilde à la main. Une aura d'un noir maléfique suintait de son corps. À ses côtés, Harddyn était vêtu de sa tenue blanche et or et une aura d'un jaune ambré scintillant le nimbait tel un halo. Ils étaient la véritable incarnation de la Mort et de la Vie.

« Maître Ainz. Maître Harddyn. Les Gardiens de Nazarick sont rassemblés devant vous » reprit Albedo en se tournant vers les Souverains.

« Nous vous remercions de votre présence à une heure aussi tardive » dit Ainz. « Et plus particulièrement Victim. »

« Nous t'avons convoqué pour une raison bien précise » continua Harddyn. « Dans le cas d'un imprévu, tes Compétences nous seront peut-être indispensables afin de nous protéger, les Gardiens et nous. Sachant que cela entraînerait immédiatement ton décès, nous te faisons nos excuses et te promettons de te ramener à la vie aussitôt. »

Ce qui serait sans doute l'occasion de voir si les Sorts de Résurrections, notamment l'Ultime créé par la Mort serait à même de le faire sans avoir à payer.

« DEMIURGE ME L'A EXPLIQUÉ, NE VOUS INQUIÉTEZ PAS MAÎTRE HARDDYN. MAÎTRE AINZ » Répondit Victim.

Sa voix ressemblait à une cacophonie de sons prononcés en même temps et qui se diffusaient dans l'air en faisant vibrer les cerveaux de ceux qui l'entendaient. Cependant, le sens de ses paroles demeurait tout à fait clair.

« JE SUIS VOTRE HUMBLE SERVITEUR » Reprit-il. « ET J'AI ÉTÉ CRÉÉ POUR MOURIR. SI CE POUVOIR PEUT-ÊTRE UTILE AUX ÊTRES SUPRÊMES ALORS MA MORT NE POURRAIT PAS ME RENDRE PLUS HEUREUX. »

« Pardonne-nous » dit Ainz en s'inclinant.

Harddyn fit de même, sincèrement touché par la dévotion du petit être.

« JE NE MÉRITE PAS DE TELLES LOUANGES » dit cependant celui-ci.

« Parmi les devises propres à Nazarick, il en existe une provenant des Évangiles » dit Ainz. « Il n'y a pas plus grand amour que celui de se sacrifier pour ses amis. Ce vers te reflète parfaitement. Donc, Victim, nous te remercions pour ton amour. »

Le fœtus angélique inclina sa tête déformée en guise de dévotion.

« À présent, Cocytus, Maître Ainz et Maître Harddyn ont quelque chose à te dire » annonça Albedo en lançant un regard furieux à l'insecte.

À nouveau, celui-ci baissa les yeux. C'était autant par respect pour ses Seigneurs que parce qu'il n'avait pas le courage de les contempler en face.

« J'ai pris la liberté d'observer la bataille face aux Lézardiens, Cocytus » dit Ainz calmement. « J'ai également partagé mes souvenirs avec Harddyn sur ce sujet. »

« Oui, Maîtres » répondit seulement le grand insecte.

« Cette bataille s'est finie par une défaite » reprit l'Overlord.

« Oui ! Je porte le blâme de cet échec. Je suis sincèrement désolé. Je… »

Sa phrase fut interrompue par le claquement sec et guttural du sceptre de Ainz sur le sol suivi par une remarque cinglante d'Albedo.

« Ton attitude envers nos Maîtres est impolie » dit la Régente. « Relève immédiatement la tête. »

Rapidement, le Guerrier obéit et contempla ses Seigneurs.

« Cocytus » dit alors Ainz d'une voix forte, « nous voudrions savoir ce que tu as à dire en tant que général d'une armée vaincue ? »

« Cette fois, tu n'étais pas un simple soldat » repris Harddyn. « Mais un commandant. Qu'as-tu ressenti ? »

« Je me sens plein de remords pour mon incapacité à vous offrir cette victoire » répondit Cocytus. « Je suis également mortifié par toutes les pertes que le Grand Tombeau a subies par ma faute, notamment cette Liche Ancestrale que vous avez personnellement créée, Maître Ainz. »

« Ces Morts-Vivants n'étaient que de vulgaires POPs générés par le Donjon. leur perte n'a pas la moindre importance, Cocytus » dit nonchalamment Ainz. « Cependant, ce que nous voulons savoir c'est ce que tu as ressenti alors que tu commandais cette bataille. »

« Mais laisse-nous d'abord être clair sur un point » intervint Harddyn. « Aucun de nous n'a l'intention de te blâmer pour cette défaite. »

Des regards confus parcoururent l'assemblée, plus particulièrement parmi les Gardiens. Albedo, Demiurge et quelques-uns des 100 n'étaient, eux, pas surpris.

« Tout le monde peut échouer » reprit Harddyn. « Même nous. »

Il y eut un léger brouhaha parmi les Gardiens et certains Serviteurs de Nazarick. Pour eux, il était impensable que les Êtres Suprêmes puissent se tromper. Après tout, ils ne l'avaient jamais fait jusqu'à maintenant.

« Et c'est normal. N'ayez jamais ni peur ni honte de vos échecs. Vous en retirerez un meilleur enseignement que dans vos réussites. Car c'est de cela qu'il s'agit. D'enseignement. Ni Ainz ni moi ne nous attendions forcément à une victoire de la part de Cocytus. N'ayant jamais commandé ou suivit de formation, il est même normal qu'il ait échoué. Si aujourd'hui il apprend de ses erreurs, alors la prochaine fois, il vaincra. Donc, Cocytus, que penses-tu qu'il aurait fallu faire pour gagner cette bataille ? »

Cocytus se mit à réfléchir. Libéré du poids de la honte par ses Maîtres, il était plus à même de penser à ses lacunes, aux fautes qu'il avait commises et à ce qu'il aurait fallu faire pour les éviter.

« J'ai sous-estimé les Lézardiens » dit-il après un instant.

Harddyn se retint de soupirer. Il faudrait qu'il trouve un nouveau nom. Lézardien, c'était tellement moche.

« J'aurais dû me montrer plus prudent. »

« C'est juste » dit Ainz. « peu importe à quel point votre adversaire à l'air faible, vous ne pouvez pas vous permettre de le mépriser. J'aurais sûrement dû montrer cette bataille à Narberal. »

Harddyn sourit au commentaire que son ami avait fait dans son esprit.

« Souviens-toi de la bataille que Ainz a menée contre Shalltear » ajouta-t-il. « Quelle que soit leur différence de statut, il n'a jamais cessé de l'estimer à sa juste valeur. Le mieux est toujours de considérer qu'il est possible que ton ennemi soit plus fort que toi. Autre chose ? »

« Je n'ai pas anticipé le nombre d'ennemis et je n'ai pas tenu compte de la topographie. »

En effet, le combat n'avait pas eu lieu sur la terre ferme, mais sur une portion marécageuse des bords du lac. Le terrain offrait donc un net avantage aux Lézardiens (Varanodiles ? Est-ce que c'était mieux comme nom ?).

« Nous avons pourtant passé plus d'un mois à recueillir des informations sur nos ennemis, leur nombre et leurs habitats » dit sèchement Harddyn. « Donc ce que tu dis, c'est que tout ce travail préparatoire n'a servi à rien. Quoi d'autre ? »

« Le manque d'une chaîne de commandement qualifiée a posé problème. Comme l'armée était composée de Morts-Vivants de faible Niveau, Il aurait fallu leur assigner une unité apte à leur donner des ordres en fonction des circonstances. »

Il est vrai que les Morts-Vivants étaient rarement intelligents et capables de raisonner et de prendre des décisions. Plus particulièrement quand ils étaient d'un Niveau assez peu élevé.

« De plus, Compte tenu des armes des Lézardiens, j'aurais dû envoyer les Zombies en premier pour les fatiguer. »

Les Lézardiens (Scutellides ? il faudrait qu'il y songe) possédaient principalement des armes contondantes. Or, les Squelettes, qui avaient été les premiers envoyés lors de l'assaut, étaient particulièrement sensibles aux dégâts faits par ce genre d'armes. Les Zombies, plus vulnérables à ceux des armes blanches, auraient combattu plus longtemps, épuisant les forces de leurs adversaires et donc permis aux Squelettes de résister à leurs coups.

De plus, il avait envoyé chacune des factions les unes après les autres, attendant que l'une d'elles soit vaincue pour lancer la suivante sur le champ de bataille. Ce n'était pas un choix judicieux. Même une attaque groupée et désordonnée aurait donné de meilleurs résultats.

« As-tu une autre remarque à faire ? » demanda finalement Harddyn.

« N...Non, je suis désolé, je ne vois pas » répondit Cocytus gêné.

« Peu importe » dit Ainz. « Ton analyse est excellente. Si chacun de ces problèmes avait été résolu alors, tu aurais probablement gagné cette bataille. »

« Quelques lacunes sont pourtant encore à déplorer, mais tu sembles avoir déjà beaucoup appris » acquiesça Harddyn. « Cependant, j'aurais une dernière question : pourquoi n'as-tu pas pensé à cela dès le début ? »

« Je croyais pouvoir les abattre par la seule force » avoua Cocytus.

« Et donc, par la suite, tu as compris que la force brute ne servait à rien sans un esprit éclairé derrière » remarqua Harddyn.

L'insecte géant hocha la tête.

« Nous pouvons alors dire que cette bataille t'a été profitable » conclut l'Incube.

« Cependant, il reste que tu as échoué » intervint Ainz. « Nous ne t'en voulons pas de cet échec et nous nous y attendions. Il n'empêche que celui-ci aurait tout de même pu être évité avec quelques efforts de ta part. Tu devras donc être puni pour ton manque de discernement. »

« Comme il plaira à mes Seigneurs et Maitres » répondit Cocytus.

Son ton était léger. Il savait qu'il avait encore les faveurs de ses Souverains. De plus, il savait que tout châtiment qu'ils lui donneraient achèverait de l'absoudre à leurs yeux.

« À l'origine, j'avais pensé te laisser à l'arrière-garde, cependant, je pense que cette nouvelle position te conviendra mieux » dit Ainz un peu comme s'il se parlait à lui-même avant de s'adresser à leur serviteur. « Cocytus. Lave cet affront de tes propres m… pattes. Extermine les Lézardiens. Et cette fois, sans l'aide de quiconque. »

Jusqu'à il y a peu, Cocytus aurait obéi sans sourciller. Toutefois, tant Ainz qu'Harddyn avaient bien œuvré. À la place, il se mit à trembler de tous ses membres, comprenant parfaitement l'horreur de l'acte qu'on lui ordonnait d'accomplir. Il inspira profondément puis expira en libérant un nuage de brume givrée.

« Maître Ainz. Maître Harddyn. J'aurais une faveur à vous demander » dit-il en baissant la tête.

À ce moment-là, le silence dans la salle se ressentit presque. Cocytus sentit l'attention de toutes les personnes présentes se tourner directement sur lui et un frisson parcourut son exosquelette de glace. Immédiatement, il regretta son impudence. Il n'osait même plus relever la tête de peur de voir le visage de ses Maîtres déformés par la colère.

« Pauvre sot ! » S'exclama alors une voix.

Mais ce n'était ni celle de Ainz ni celle d'Harddyn. C'était celle d'Albedo. Impérieuse, elle avait frappé Cocytus comme si une énorme pierre était tombée sur ses épaules.

« Comment oses-tu faire une requête à Maître Ainz alors que tu as apporté la disgrâce sur Grand Tombeau de Nazarick ? » S'exclama la Régente. « Tu devrais connaître ta place ! »

Malgré la colère de la femme, Cocytus resta en place, sans bouger. Albedo plissa les yeux de rage et rouvrit la bouche.

« À présent, va-t… »

« Silence ! »

L'ordre d'Harddyn avait claqué tel un fouet et s'était répandu dans toute la salle, à la fois tranquille comme les ondulations sur une mare, mais aussi puissant comme la tempête. En l'entendant, la Régente ravala immédiatement ses mots et s'inclina devant ses Maîtres. Harddyn, lui, se leva et s'avança.

« Je passerai sur le fait que, dans tes paroles pleines de ires, tu m'ais totalement oublié » dit-il en passant à côté d'elle.

Puis il se plaça juste au bord des marches.

« Requêtes. Questions. Propositions » dit-il en détachant bien ses mots. « N'hésitez jamais à parler si vous en avez le désir. Nous, vos Souverains vous écouteront toujours et aucune punition ne sera donnée à qui se sera exprimé sans crainte, comme Cocytus. C'est une marque d'intelligence, de libre pensée et de considération pour soi et les autres. Cependant, une remarque stupide vous vaudra sans doute un sermon tandis que des paroles éclairées et des arguments valables vous vaudront d'être considérés et même, si nous le jugeons digne, approuvés. »

Puis il se tourna vers le Gardien insecte.

« Parle, Cocytus. Nous t'écoutons. »

La voix d'Harddyn était calme et même chaleureuse. Pourtant, Cocytus se sentait glacé de l'intérieur. La pression qui pesait sur lui était énorme et, s'il n'avait possédé des Artefacts le protégeant des attaques mentales, il aurait cru que le trouble venait de l'esprit de son Seigneur. Cependant, c'était dans son cœur que se trouvait son origine. Le Gardien avala sa salive empoisonnée avec difficulté puis il releva la tête. L'expression de ses Suzerains était indéchiffrable. Mais comme il avait été encouragé dans ce sens, il décida de se lancer.

« Je suis opposé à l'idée de détruire les Lézardiens, Maîtres. Je vous en prie, accordez-leur votre clémence. »

À ces mots, la colère d'Albedo s'enflamma. Elle allait répliquer, mais Harddyn leva la main pour la faire taire. Elle hésita, mais un regard noir de l'Incube la fit reculer.

« C'est nous qui lui avons demandé de parler et c'est à nous qu'il s'adresse » entendit-elle alors dans son esprit. « Toi aussi, apprends où se trouve ta place. »

À ces mots, elle s'inclina profondément. Harddyn détourna les yeux d'elle pour revenir à Cocytus.

« L'élimination des Lézardiens est nécessaire pour que jamais la nouvelle de la défaite de Nazarick ne vienne aux oreilles de quiconques. Pas plus que la façon dont elle se bat. Cependant, comme je l'ai dit, si tu défends ta position avec suffisamment d'intelligence, nous pourrons reconsidérer notre demande. Alors, vas-y, parle, en quoi épargner les… ces êtres seraient bénéfique pour nous. »

« Je… je pense qu'il y ait des chances que de puissants guerriers puissent naître parmi eux » dit Cocytus. « Je crois donc que ce serait gâchis de les éliminer maintenant. Si nous leur inculquons une certaine loyauté envers le donjon et que nous en faisons nos subordonnés, alors nous pourrons aisément accueillir les plus puissants d'entre eux dans nos rangs. »

Un plan sur un aussi long terme et basé seulement sur des hypothèses n'était pas très intéressant de l'avis d'Harddyn. Pour lui, créer des êtres forts était très facile. Grâce à [Réparation], il pouvait modifier n'importe quel PNJ de l'Infinité des Deux ou même un simple humain trouvé par hasard pour en faire un combattant supérieur en lui ajoutant des Cristaux de Données. Peut-être même l'un des 100. Et grâce à [Don d'Existence], il pouvait même en créer de toute pièce (théoriquement puisqu'il n'avait encore jamais essayé).

« Il est vrai que les cadavres de Lézardiens qui ont été ramenés de la bataille ne permettent pas de produire de Mort-Vivant plus puissant que les autres » dit pensivement Ainz. « Si des Guerriers plus forts apparaissaient parmi les Lézardiens, cela vaudrait peut-être le coup… »

« Dans ce cas… »

« Mais » dit l'Overlord en interrompant son serviteur, « cela reste hypothétique alors que les centaines de cadavres que nous apportera leur annihilation permettront de renforcer nos troupes. »

Il était difficile habituellement de décrypter les expressions de Cocytus. Comment parvenir à lire le visage d'un insecte ? Pourtant, cette fois c'était très clair et tout son corps en même temps que son visage montrait l'abattement le plus total. Il ne devait pas arriver à penser à d'autre argument à lui opposer.

Harddyn le comprenait. Il savait exactement pourquoi Cocytus voulait sauver les hommes lézards. En tant que Guerrier, il avait été ému par leur force, leur ingénuité et leur détermination dans le combat. Harddyn, qui avait pu lire la mémoire de Ainz devait également convenir que la bataille avait été épique. Il était donc normal que leur Serviteur soit empli d'une grande admiration pour ces euh… Lacertéens ? (Troisième essai, mais il n'était pas encore sûr). Mais toujours est-il que de l'admiration seule ne suffirait pas à les sauver.

« Tu n'as aucune autre idée à soumettre, Cocytus ? » Demanda Ainz. « Vraiment aucune ? »

Mais l'insecte ne répondit rien.

« Dommage » soupira le Squelette. « Tu vas donc devoir les tuer. »

Cocytus sentit tout le poids du mot « Dommage » peser sur ses épaules. Il sentait dans ce mot que la solution pour le salut des Guerriers envers lesquels il avait tant d'admiration existait, que ses Maîtres la connaissaient, mais qu'ils lui en avaient laissé la seule tâche de la découvrir. Et, une nouvelle fois, il avait échoué.

« Maître Ainz, Maître Harddyn, si vous me permettez d'intervenir… »

« Nous te le permettons, Demiurge » dit l'Overlord.

« Je vous en remercie » dit le Démon en s'inclinant. « Je sais que vos Grandeurs sont toutes deux adeptes de la méthode scientifique. Dans ce cas, je propose d'utiliser les Lézardiens comme sujets d'expérimentation. »

« Hum… une idée intéressante » commenta Ainz. « Poursuis. »

« Merci, Mes Seigneurs. Toujours est-il que quoiqu'advienne Nazarick dans l'avenir, il viendra probablement un moment où nous dirigerons un territoire. Et il est possible que celui-ci nous oblige également à diriger des sujets de ce monde. Mener, à postériori, une expérimentation sur la façon de gouverner ces êtres ne pourra que nous être bénéfique. »

Ni Ainz ni Harddyn ne dirent mot. Ils se contenteront de retarder le Démon qui s'adressait fièrement à eux. Celui-ci en profita alors pour donner sa conclusion.

« Et donc » dit-il, « je propose d'asseoir notre emprise sur le village des Lézardiens… »

Varanodiles ? Scutellides ? Lacertéens ? Harddyn hésitait entre ces trois-là. Tout, plutôt que ce nom stupide.

"... et de procéder à des expériences sur un règne sans recours à la terreur » conclut le Démon.

Ainz frappa son sceptre sur le sol.

« Une fabuleuse démonstration » dit-il.

« Je vous remercie » dit Demiurge en s'inclinant.

« En ce cas, nous ferons suite à ta proposition. Le groupe des Lézardiens n'est plus sujet à extermination, mais à occupation. Que ceux qui ont une objection lèvent la main ! »

Mais sous le regard enflammé de Ainz et celui, plus calme, mais résolue d'Harddyn, personne n'osa bouger.

« Une brillante analyse, Demiurge » remarqua Harddyn.

« Allons, Maîtres, je suis sûr que vous aviez déjà pensé à cette solution manique vous attendiez que Cocytus arrive seul à cette conclusion. »

Aucun des deux ne répondit, mais le petit sourire d'Harddyn était très évocateur.

« Vous avez tous les deux compris seuls que l'obéissance aveugle est dangereuse pour vous, nous et Nazarick toute entière » dit-il finalement. « Nous ne vous invitons pas à contester nos ordres, mais à les analyser pour trouver la meilleure solution qui soit. »

« Cela étant dit, Cocytus, nous étions censés te sanctionner… »

« Une punition me demandant d'éliminer les Lézardiens, oui, Maîtres. »

« Le plan ayant changé, la punition le doit également. En conséquence, nous te donnons l'ordre de diriger les Lézardiens qui auront juré allégeance à Nazarick. Tu devras régner sur eux sans user de la force ou de la peur. Est-ce bien clair ? »

Cocytus hocha la tête. Ainz et Harddyn savaient qu'il n'avait pour l'instant pas les compétences nécessaires pour cette tâche. Et apparemment, il le savait aussi.

« Je suis à vos ordres, Mes Seigneurs. Cependant, je suis inquiet à propos de nombreuses choses, alors j'aurai besoin d'assistance » dit-il.

Les deux Souverains de Nazarick hochèrent la tête. Satisfaits.

« Bien sûr » dit Ainz. « Matériel, vivres, effectifs… en quantité que tu jugeras nécessaire pour remplir ta mission. »

« N'oublie pas que nombre des Serviteurs de l'Oasis sont désœuvrés. Certains pourraient t'être utiles » rajouta Harddyn. « Et n'hésite pas non plus à te renseigner à la bibliothèque sur la façon de diriger une communauté de manière pacifique. Les 5 Doigts seront ravis de t'aider. »

« Merci mille fois » dit Cocytus. « Je vous jure de fournir des résultats qui justifieront votre clémence et votre confiance en moi. »

« En ce cas, nous allons nous préparer à une sortie. Afin de gagner leur allégeance, il nous faut leur faire une démonstration de force. À moins que tu ne penses que cela soit dommageable pour le règne à venir, Cocytus. »

Comprenant que ses Maîtres attendaient de lui qu'il agisse déjà en chef, l'Insectoïde réfléchit soigneusement à la question qui lui avait été posée.

« Je ne pense pas que cela soit problématique » dit-il finalement.

Harddyn était d'accord. Les sociétés les plus primitives étaient souvent gouvernées par la loi du plus fort. Ils se soumettraient donc à la toute-puissance de Nazarick sans trop opposer de résistance ou avec trop de désir de vengeance. Surtout s'ils leur démontraient également les avantages à être leurs alliés.

Harddyn sourit. Oui. Tout allait pour le mieux. Lui-même ne souhaitait pas la destruction des… de ce peuple. La domination était plus son style. Cependant, l'éducation de leurs Serviteurs était une priorité. Fort heureusement, c'était le meilleur scénario possible qui s'était produit. Ils avaient beaucoup appris aujourd'hui et les reptiles humanoïdes étaient libres de devenir ses nouveaux jouets. C'était parfait.

L'heure était à présent venue de lever le rideau.

0o0o0

Ce furent les nuages qui annoncèrent aux Lézardiens le retour de leur ennemi. De lourds nuages gris qui recouvrirent intégralement le ciel bleu de ce début de Saison de l'Eau.

Puis vint le fracas des armes. Perchés derrières leurs palissades, les reptiles humanoïdes virent une armée émerger de la forêt, au même endroit d'où avait émergé celle qu'ils avaient vaincue auparavant. Si leur ennemi avait rassemblé une autre armée aussi vite, ils pensèrent que les troupes devraient être plus faibles ou mal préparées. Mais en les examinant, ils surent immédiatement que ce n'était pas le cas.

Les Squelettes qui les avaient attaqués étaient nus et ne portaient que des armes rouillées. Ceux-ci, cependant, étaient vêtus d'armures complètes et ils étaient équipés d'arme de bonne facture. Plus que cela encore. Au halo qui les entourait, les Lézardiens n'avaient aucun doute : c'était des armes magiques. Oui, cette armée-ci n'avait rien à voir avec la première. Elle était même pire. Une armée mythique.

Celle-ci formait un front solide comme un mur et s'arrêta juste au bord de la partie marécageuse. Les nerfs à fleur de peau, les Lézardiens les fixèrent pendant un moment alors que ceux-ci étaient immobiles. Mais soudain, ils se remirent en mouvement. Opérant des quarts de tour, ils se mirent à marcher pour ouvrir une voie au milieu d'eux avant de stopper et de reprendre leur position.

Quelque chose émergea alors encore une fois de la forêt. Deux silhouettes. Elles avançaient côte à côte et, malgré la distance, les Lézardiens pouvaient voir que la première était à peine plus grande qu'un adolescent de leur espèce. L'autre était encore plus petit. Frêle également, alors que la première paraissait plus large. Mais c'était sans doute à cause de l'ample cape qui la recouvrait.

Comme elles marchaient vers eux, les Lézardiens commencèrent à sentir quelque chose. Du vent. Un vent glacé qui semblait venir de l'Armée des Morts, s'infiltrant entre les os de ses soldats pour déferler ensuite sur le lac directement sur eux. On était dans la Saison de l'Eau. Un tel vent était normal, mais il ne pouvait pas se mettre à souffler aussi brusquement. Quelque chose devait le provoquer. De la magie.

Au départ, les Druides avaient pensé que le Sort utilisé par leur ennemi la première fois, quand le Messager était venu leur apprendre leur destruction prochaine, était Contrôle des Nuages un Sort de Niveau 4 qui témoignait de la puissance de leur adversaire. Cependant si la magie permettait également de générer du vent, celui qui avait été utilisé n'était pas Contrôle des Nuages, mais Contrôle Météorologique, un Sort de Niveau 6 réservé aux êtres de légendes et aux Dieux.

Les Lézardiens sentirent alors la peur les glacer plus que le vent même. Et pourtant ils n'avaient pas encore constaté la véritable puissance de l'adversaire. En effet, comme ils arrivaient à proximité de la berge, la silhouette la plus petite s'arrêta et l'autre, celle en cape, avança seule quelques mètres avant de stopper. À ce moment-là, un dôme de lumière bleuté parcouru de cercles et d'écritures magiques apparut autour de lui. Les Lézardiens n'avaient jamais rien vu de tel.

Création

Le mot sembla venir de partout et nulle part à la fois, comme porté par le vent. Aussitôt, la lumière du dôme s'intensifia. Un souffle d'énergie se diffusa alors dans l'air sur le lac et sur son passage, l'eau se mit à geler. Les Lézardiens écarquillèrent les yeux face à ce prodige, mais leur surprise se transforma en souffrance quand la vague de magie atteint le village. En effet, ceux qui se trouvaient au sol virent leurs pattes être prises dans la glace. La douleur les fit crier et tomber à la renverse. Ils essayaient de se dégager, mais c'était difficile. Comme si la glace avait pris depuis des jours déjà.

Quel monstre, pensaient-ils avec frayeur.

« Regardez ! » Cria soudain quelqu'un.

Tous ceux qui le pouvaient se tournèrent à nouveau vers l'Armée des Morts et virent alors l'impensable. Derrière eux, une montagne bougeait. Non, ce n'était pas une montagne. C'était un être. Une figure humanoïde géante faite de pierre. Un immense cristal rouge brillant était fiché dans sa poitrine et sa lueur se diffusait dans le corps de l'être gargantuesque au travers de crevasse sur toute sa surface. C'était comme si de la lave dormait en dessous. Elle éclairait également ses yeux d'un éclat violent, mais vide de sens et de raison.

Le géant ne venait pas les mains vides. Il portait sur son épaule un énorme cube de pierre. Arrivé juste derrière l'Armée des Morts, il s'arrêta puis souleva son fardeau et le lança. La roche monumentale fut propulsée dans les airs à une hauteur vertigineuse puis retomba avec pesanteur. En voyant cela, les Lézardiens crurent qu'elle était dirigée directement contre eux, mais aucun ne songea à bouger. Comment échapper à une attaque pareille ?

Cependant, celui-ci atterrit sur le lac, brisant la surface gelée pile au milieu de la distance qui séparait les deux camps. Le fracas était épouvantable et résonna sur des kilomètres. Pourtant, les Lézardiens ne purent protéger leurs oreilles sensibles, car le choc fit vibrer le sol si fort qu'ils furent incapables de rester debout.

Le temps qu'ils arrivent à se relever malgré leurs membres tremblants, constatent qu'ils étaient encore en vie et regardèrent à nouveau par-delà leur palissade, le géant avait tout simplement disparu. Envolé, comme s'il n'avait jamais existé. Toutefois, l'armée, elle, était toujours là et se mettait déjà en mouvement. Ils avançaient en larges colonnes, mais pas en direction du village. Ils se déplaçaient vers le monolithe. Arrivé à ses pieds, le premier rang s'agenouilla et chacun des squelettes plaça son bouclier par-dessus sa tête. Le second grimpa par-dessus eux et se mit dans une position identique alors que le troisième faisait la même chose, mais derrière le premier.

Petit à petit, les différentes lignes répétèrent la même formation encore et encore, montant toujours plus haut le long du rocher, et ce jusqu'au sommet. Il fallut un moment pour les Lézardiens afin de comprendre ce qu'ils faisaient. Mais la réponse finit par leur sauter aux yeux. Cette gigantesque armée de Morts-Vivants puissants pourvus d'armes magiques, ces troupes de légendes présentées seulement dans les mythes formaient… un vulgaire escalier.

Finalement, alors que ce dernier atteignait le sommet du monolithe, d'autres, différentes encore, apparurent. Elles semblaient plus puissantes et légendaires encore que les premières. Elles portaient des armures d'or et d'argent et des armes étincelantes. C'était comme si leurs ennemis avaient ressuscité les Héros d'antan pour les servir. Ceux-ci se mirent alors à avancer en deux colonnes largement espacées puis grimpèrent l'escalier jusqu'à son sommet. Ils étaient suffisamment nombreux pour que les derniers se tiennent aux côtés de leurs Souverains. Soudain, ils firent un quart de tour, sortirent leurs épées et les tendirent dans les airs.

À présent, les Maîtres des Morts avaient leur haie d'honneur et pouvaient avancer. Cependant, il ne bougea pas tout de suite. À la place, il attendit que la seconde silhouette le rejoigne. Donc ils étaient deux ? Un couple ? Ils n'étaient pas sûrs.

À mesure qu'ils avançaient, les Lézardiens furent capables de discerner leurs traits. Ils frémirent en voyant le crâne poli du Mage. Un autre Squelette. Pourtant il semblait n'avoir rien à voir avec les troupiers qu'ils avaient affrontés. Celui-ci respirait la puissance et l'éclat rouge dans ses yeux, une intelligence retorse et formidable. Il tenait dans l'une de ses mains un sceptre d'or entouré d'un halo de pouvoir. L'autre était tendu en direction de la seconde silhouette, celle-ci étant posé ses doigts délicats sur les phalanges osseuses.

Mais ce n'était pas seulement ses doigts qui étaient délicats. Tout son être respirait une beauté à couper le souffle. Son corps gracile était mis en valeur par l'or et les voiles blancs de ses vêtements. Sa chevelure couleur de nuit coulait librement dans son dos et ses yeux verts scintillaient comme des étoiles. On aurait pu croire qu'il s'agissait d'une femme, cependant quelque chose émanait de lui qui convainquit les Lézardiens qu'il était en fait de sexe masculin. Devant cette dualité, certains se montrèrent perplexes. Pourtant, quelque chose était sûr à propos de lui : il n'était pas humain.

En effet, deux ailes aussi noires que sa chevelure émergeait de ses reins et des cornes sombres prenaient naissance sur ses tempes et s'enroulaient de chaque côté de sa tête. Est-ce que ce serait… un Démon ? Probablement un Démon puissant si on se référait à l'aura qui se dégageait de lui.

C'est alors que les Lézardiens se rendirent compte que ceux-ci n'étaient pas seuls. Ils étaient tellement obnubilés par les Maîtres qu'ils ne s'étaient pas aperçus qu'ils étaient suivis. Juste derrière eux se trouvaient une femme en robe blanche. Cette fois, impossible de se tromper. La taille de la poitrine et des hanches de son corps humanoïde était sans équivoque. Elle possédait également une paire d'ailes sombres et des cornes. Après elle se tenaient deux enfants Elfes Noirs, des jumeaux, puis une créature difforme flottante, une jeune fille aux cheveux argentés parée d'une lourde robe pourpre et un homme dégingandé, vêtu d'un costume rouge et avec une longue queue caparaçonnée dans le dos.

Tous dégageaient une aura de puissance comme ils n'en avaient jamais vu. Ils étaient persuadés que n'importe lequel d'entre eux aurait été capable de souffler leur village d'un battement de cil et de tuer les milliers de Lézardiens qu'il contenait. Ils se rendirent compte alors qu'ils s'étaient montrés bien arrogants de croire qu'ils m'avaient emporté après avoir gagné une petite bataille contre de faibles adversaires. L'exploit de la veille se transformait en cauchemar. À présent, ils étaient réveillés et la réalité était pire encore.

Le Squelette et son compagnon Démon finirent par arriver au bas de l'escalier. Suivi de leur escorte, ils le grimpèrent puis avancèrent sur sa surface jusqu'au bord. Cette fois, ils étaient bien visibles par tous Lézardiens qui penchaient la tête par-dessus la palissade. Les Serviteurs se divisèrent alors en deux et se repartirent autour du couple. À ce moment-là, un immense trône noir surgit de nulle part derrière le Squelette. Celui-ci s'y installa et le Démon se percha à ses côtés, sur l'accoudoir.

Soudain, une vingtaine de boules de brume sombres qui semblaient faites de visages hurlants apparurent autour du village. C'était les mêmes Messagers qui les avaient prévenus neuf jours plus tôt de leur fin imminente.

« Voici les mots des Êtres Absolus » dirent les visages. « Envoyez des représentants sur le champ pour négocier votre reddition. Ne provoquez pas leur colère en les faisant attendre. »

Puis les Monstres fantastiques et puissants retournèrent auprès de leur maître après ce simple message, laissant les Lézardiens dans le désarroi. Ce ne fut que quelques instants après que trois d'entre eux sortirent du village et s'avancèrent prudemment sur la glace.

L'un d'eux avait les scutelles d'un vert forêt, une capeline de paille et une large lame dans le dos. Les deux autres arboraient la marque des Voyageurs. Le premier avait des scutelles brun clair, une écharpe jaune et une étonnante épée au côté. On aurait dit qu'elle était faite de glace. Le second était plus massif. D'une couleur verte soutenue, il semblait exhiber ses nombreuses cicatrices. Le plus étrange était ses bras. L'un d'eux était significativement plus épais et long que l'autre.

Ils arrivèrent au pied de l'énorme rocher, s'arrêtant suffisamment loin pour pouvoir garder les yeux sur les Maîtres de la Mort.

« Nous voilà ! » S'écria alors celui qui se trouvait au centre, le Lézardien à la grande épée. « Je suis Shasuryu Shasha. Et voici deux de nos plus puissants guerriers. »

« Je suis Zaryusu Shasha ! » Se présenta le brun.

« Et moi, Zenberu Gugu ! » Dit l'autre, celui qui avait un énorme bras.

Ils ne cherchaient pas spécialement à flatter l'adversaire. C'était un jeu dangereux auquel ils jouaient. Mais aucun des deux Seigneurs ne répondit. Ils se contentèrent de jauger les lézards humanoïdes avec des visages inexpressifs. La femme à la robe blanche prit alors la parole.

« Nos Maîtres considèrent vos postures comme inadéquates » dit-elle.

« Quoi ? » S'étonnèrent les Lézardiens.

Mais la femme ne répondit pas. À la place, elle se tourna vers l'homme en rouge, celui qui avait une queue. Celui-ci hocha la tête et s'avança sur le rebord du rocher avant de baisser les yeux sur les trois hommes en dessous.

« Prosternez-vous » dit-il simplement.

Aussitôt, sans qu'ils puissent s'en empêcher, les Lézardiens se jetèrent au sol et enfoncèrent leur visage dans la glace et la boue du marécage. Ils frissonnaient de froid, mais ils ne voulaient pas se relever. Ils ne pouvaient pas se relever. C'était comme si une main énorme et implacable les forçait à se vautrer au pied des Seigneurs de la Mort. Quoi qu'avait fait l'homme en rouge, ils lui avaient obéi comme s'ils n'avaient pas d'autre choix. Et c'était le cas.

« Maître Ainz. Maître Harddyn » dit la femme en se tournant vers les Souverains. « Ils semblent prêts à écouter. »

« Bien » dit le Squelette. « Relevez la tête. »

« Je vous autorise à relever la tête » dit alors l'homme en rouge.

La force qui contrôlait les gestes des Lézardiens parut perdre un peu de son emprise et les trois purent lever les yeux en direction du sommet.

« Nous sommes les Maîtres du Grand Tombeau de Nazarick » dit le Squelette. « Je me nomme Ainz Ooal Gown et voici Harddyn Emeryas. »

Il avança sa main vers son compagnon qui ne bougea pas, se contentant de fixer les lézards anthropomorphes.

« Laissez-moi vous remercier, chers Lézardiens, de nous avoir aidés dans notre petite expérience. »

Les regards des trois hommes se chargèrent alors d'horreur, d'incompréhension et de dégoût. Ils ne pouvaient concevoir que le carnage auquel ils avaient assisté la veille et qui avait tué tant des leurs n'était aux yeux de leur ennemi qu'une « petite expérience ».

« Mais pour en venir directement au sujet, je serais bref et concis » reprit le Squelette dénommé Ainz Ooal Gown. « Je souhaite que vous vous soumettiez à moi. Mais comme je doute que vous désiriez vous mettre au service d'un adversaire que vous avez déjà vaincu, je vous propose une revanche. Dans quatre heures, nous reprendrons l'attaque. Si vous l'emportez encore une fois, nous vous laisserons en paix. Je fais même le serment de vous indemniser comme il se doit. »

Les trois Lézardiens se regardèrent, puis celui à l'épée s'adressa au Squelette.

« Puis-je poser une question ? » Demanda-t-il.

« Je l'autorise » répondit le Mort-Vivant.

« Serez-vous notre adversaire, Monsieur Gown ? Ou Monsieur Emeryas ? »

La jeune femme aux cheveux argentés renifla et celle en robe blanche leva un sourcil. Apparemment, elles n'appréciaient pas la formulation de la question. Cependant, comme aucun de leurs deux Maîtres n'avait dit quelque chose, elles se turent.

« Nous ne sommes pas cruels à ce point » répondit le Squelette. « Il n'y aura qu'un seul attaquant, l'un de mes sujets du nom de Cocytus. C'est lui qui devait mener l'assaut contre vous. Il a échoué et doit donc être sanctionné afin de retrouver son honneur. »

Les Lézardiens savaient ce que ça voulait dire. Ainz Ooal Gown et Harddyn Emeryas voulaient laver leur défaite. S'ils n'envoyaient qu'un unique soldat contre eux, même si c'était pour le punir, alors c'est qu'il avait toute leur confiance. Même contre tout le reste de leur armée, il était sûr qu'il vaincrait.

« Nous capitu… »

« Évitez de dire ça avant même d'avoir combattu, ce serait d'un ennui » soupira Harddyn Emeryas en interrompant le Lézardien.

C'était la première fois qu'il parlait. Sa voix était à la fois douce, forte… et désabusée. Apparemment, le massacre du peuple des Lézardiens était un spectacle auquel il désirait assister. Un spectacle !

« C'est vrai » reprit le Squelette. « Après tout, nous aussi voulons goûter aux joies de la victoire. »

Ainz Ooal Gown se leva alors et pointa son doigt sur les Lézardiens.

« Dans quatre heures, vous combattrez. Peu importe le nombre d'adversaires que vous enverrez, ceux qui se présenteront mourront. Les autres seront épargnés et deviendront nôtres. C'est tout ce que j'avais à dire. Je vous souhaite de bien vous amuser. »

« A… Attendez ! » S'exclama le Lézardien qui s'appelait Shasuryu. « Cette glace. Va-t-elle fondre ? »

Harddyn Emeryas eut alors un petit rire.

« Désolé d'avoir ainsi modifié votre habitat. Nous ne voulions juste ne pas nous salir. Je m'en occuperai avant de partir. »

Les Lézardiens frémirent. Une telle débauche de magie et d'énergie juste pour ne pas se salir. C'était en dehors de leur compréhension. Ces êtres étaient en dehors de toute compréhension. De toute mesure également.

« Sur ce, nous vous disons adieux Lézardiens » dit Ainz Ooal Gown.

Il fit un geste dans les airs et un tourbillon violet et noir apparut. Comme une porte dans le vide. Le Squelette hocha la tête en guise de salut et passa au travers du portail magique. Un à un, ses Serviteurs firent de même en les saluant. D'une parole, l'homme en rouge les libéra puis les salua et partit à son tour. Il ne restait plus que la magnifique créature nommée Harddyn Emeryas.

Celui-ci s'inclina gracieusement puis se redressa et eut un grand sourire. Le Lézardien au bras énorme, Zenberu, eut alors l'impression diffuse et étrange que celui-ci lui était directement adressé. Mais l'être se détourna simplement et traversa le portail qui se referma sur son passage.

Dès qu'il fut reparti, le monolithe tomba en poussière et l'Armée mythique qui formait un escalier fut de même, disparaissant sans laisser de traces. La glace fondit autour des Lézardiens, les laissant mouillés, couverts de boue, mais également effarés et inquiets pour l'avenir de toute leur espèce.

À suivre…

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Et voilà encore un autre chapitre. J'espère que ceux qui avaient des interrogations sur le précédent ont eu leurs réponses ici.

Quand j'ai utilisé le mot « nyctalope » tout de suite, j'ai pensé « je savais bien que t'étais une salope ! ». Elle commence à dater cette référence. Qui connaît ?

Donc, je lance un SONDAGE pour le nouveau nom des hommes lézards. Tout comme Harddyn, je trouve finalement que le premier nom que j'ai donné est assez hideux donc, j'ai essayé de trouver autre chose : Varanodiles (Varan + crocodile), Scutellides (les scutelles sont la peau des crocodiles) ou Lacertéens (Lacerta est le nom scientifique de la famille des lézards). Vous pouvez me dire quel est votre préféré ou si vous avez d'autres idées, n'hésitez pas.

Je voulais faire une référence aux Annales du Disque Monde avec l'Énochien de Victim. La façon dont il s'exprime ressemble à celle de la Mort. Je voulais même qu'il s'exprime en petites majuscules… mais j'étais pas sûr que ça apparaisse dans le texte ^^ ».

Et voilà. Dans deux semaines, il y aura le combat avec Cocytus, mais avant on va connaître un peu mieux les Lézardiens. J'aime bien leur histoire donc je voudrais en parler. Cependant, ce n'est pas la seule raison. En effet, l'un d'eux va devenir un personnage très important pour la suite. Vous devinez lequel ? Je vous laisse avec cette question et n'hésitez pas à y répondre ainsi qu'à laisser des commentaires et je vous dis à dans deux semaines.