VORACITY I - New World

Arc 3 : L'Être aux Mille Visages

Chapitre 10

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Harddyn regarda sa carte. Normalement, il devait être arrivé là où il désirait. Si la signalisation était assez précise sur la grande route, ça l'était bien moins sur les plus petites. Sans compter que sans panneaux pour indiquer le nom du village, il était facile pour un étranger de se tromper. Même si celui-ci était Explorateur.

Bah. De toute façon, il pouvait toujours se renseigner. Il talonna sa monture et la fit avancer au pas sur le chemin de terre. Il n'y avait pas grand monde. C'était normal, on était en milieu de matinée. La plupart des habitants devaient être aux champs pour les semailles. Il croisa néanmoins une vieille femme qui étendait son linge sur un fil tendu.

« Excusez-moi de vous déranger » dit-il en s'approchant.

« Qu'est-ce que je peux faire pour vous, Monsieur ? » Grogna la femme sans arrêter ce qu'elle faisait ni même regarder Harddyn.

« Je suis bien au Village de Glenarm ? »

« Mouais. C'est ici. »

« Mon nom est Elbeo. Tiervain Elbeo. Je travaille pour la Maison de Commerce Venceol, à Arwintar. »

« En cette saison, on a rien à vendre » grogna à nouveau la femme.

« Je me doute bien, en fait, je désirerais trouver quelqu'un pour une offre d'emploi. »

Cette fois, la femme s'arrêta et se tourna vers l'étranger à cheval.

« Quel genre de boulot ? »

« Un travail assez simple, mais assez épuisant. Si possible, la personne devra posséder un cheval. »

« Il y a bien mon petit-fils, Bral » dit-elle.

Elle avait l'air assez détachée en disant ça, mais Harddyn pouvait sentir un certain intérêt dans sa voix.

« Son père avait une jument. Elle était pleine au moment de sa mort. Elle a pas survécu à la mise bas, mais son petit oui. Aujourd'hui, il est fort. Comme mon petit-fils. »

« C'est… passionnant » fit Harddyn en se tenant de rouler des yeux (il n'avait pas vraiment le temps qu'elle lui raconte sa vie). « Me serait-il possible de le rencontrer pour lui parler de mon offre ? »

« Il est aux champs là tout de suite. Vous serait-y possible d'attendre jusqu'à ce soir ? »

« Malheureusement, je suis assez pressé. Si je ne peux pas le voir rapidement, je devrais m'adresser à quelqu'un d'autre. »

La femme se mordit la lèvre et fronça les sourcils. Apparemment, elle se tâtait.

« Un moment, je reviens » dit-elle.

Elle sortit de son petit jardin, passa devant Harddyn et se planta au milieu de la rue pour regarder autour d'elle. Elle avisa un enfant qui courrait et le héla.

« Juhned ! Presse-toi d'aller aux champs Nord me ramener mon Bral ! »

« Et qu'est-ce t'y que j'y gagné, Lerli ? » Demanda insolemment l'enfant.

La vieille femme grommela, mais finit par promettre des biscuits au garçon qui détala rapidement.

« Il devrait être là sous peu » dit Lerli en se tournant vers Harddyn. « Est-ce que je peux vous inviter à entrer ? J'ai du thé à l'intérieur. »

« Laissez-moi le temps d'attacher mon cheval et je vous suis. »

La femme s'inclina et se précipita à l'intérieur, probablement pour faire bouillir l'eau de son thé. Harddyn, ou plutôt Tiervain Elbeo, lui, descendit de cheval et en attacha la bride à un arbre tout proche. Il avait eu l'idée de ce nouvel avatar en travaillant avec Neiryl. Que ce soit lui ou Aryn, ils possédaient tous les deux suffisamment de pouvoir pour contrôler Neiryl et avec lui toute la Maison Venceol. Cependant, que ce soit sous leurs identités respectives d'épouse et de belle fille, ils ne pouvaient pas paraître à ses côtés. Bien entendu, grâce à la Magie, il était facile de ne pas se faire remarquer. Toutefois, en tant que dirigeant d'une Maison de Commerce, Neiryl ne pouvait pas être tout le temps seul.

Les autres Chefs de Maisons avaient des gens autour d'eux, le plus souvent nombreux. Cependant, ceux qui étaient les plus proches d'eux étaient leurs secrétaires. D'après ce qu'Harddyn avait observé, ces derniers restaient 80 % du temps auprès de leur employeur et les 20 % restants, ils étaient en commissions pour eux (avant de rapidement retourner à leur côté). Rien de bien anormal pour ce genre de profession. De plus, leur travail était important. Ils géraient l'emploi du temps de leur employeur, ses rendez-vous, organisaient les rencontres et les événements, éloignaient les gêneurs… il était donc nécessaire que Neiryl ait lui aussi au moins un secrétaire.

Cependant, cela s'avérait assez problématique. Harddyn ne pouvait pas permettre qu'un inconnu reste en permanence aux côtés de son époux. Il fallait donc que ce soit l'un des leurs. Il avait hésité à demander à Anya. Cela n'aurait pas été une complication insurmontable pour la Doppelgänger Supérieure, toutefois, en plus du rôle d'Aryn, la fille de Rakell Carnelian, elle devait également jouer celui de Rakell elle-même quand Harddyn n'était pas là. Ce n'était pas tant la difficulté d'incarner trois personnes différentes que l'impossibilité pour les trois d'apparaître ensemble qui gênaient Harddyn. Il lui fallait donc quelqu'un d'autre et qui de mieux qu'un second Doppelgänger.

C'était assez simple, il suffisait d'en conjurer un comme n'importe quel Serviteur de Nazarick, à partir d'un Livre d'Invocation pour en assurer la pérennité et de lui donner une apparence humaine. Cependant, cette fois, Harddyn avait décidé de ne pas la créer lui-même. Au contraire, il allait utiliser toutes les capacités que lui offrait le Démon. En effet, les Doppelgängers n'avaient pas seulement le pouvoir de changer d'aspect. Ils pouvaient littéralement remplacer quelqu'un. Grâce à leurs facultés télépathiques, ils pouvaient lire les pensées de surfaces de ses victimes et, plus tard, de ses interlocuteurs. Cela lui permettait d'obtenir des informations sur le personnage qu'ils incarnaient et alors d'adapter leur jeu.

Donc, Tiervain Elbeo était un individu bien réel jusqu'à ce qu'Harddyn le capture et le tue après que son nouveau Serviteur ait pris son apparence. Le choix n'avait pas été dû au hasard. Tiervain était la fierté de Bradyn Brandsara, le Chef de la Maison Brandsara, l'une des plus influentes de la ville. Il n'y avait pas une seule journée où le secrétaire ne recevait pas des demandes d'autres Maisons, comme les Vermillons, de travailler pour eux en échange de salaires faramineux. Cependant, Tiervain avait toujours refusé. Sa fidélité était à la hauteur de ses compétences.

Or, un Doppelgänger, en plus d'imiter l'apparence et les souvenirs de ses victimes, pouvait également copier leurs Capacités. Ainsi, le nouveau Tiervain avait acquis la rigueur et l'efficacité de son modèle quand il avait pris son identité. Aux yeux de tout le monde, le secrétaire avait seulement reçu une offre plus alléchante que les autres alors qu'en fait il était mort. Son départ avait d'ailleurs mis Bradyn Brandsara hors de lui. Il avait cherché des explications auprès du faux Tiervain, mais s'était vu envoyé sur les roses. Sa visite n'avait cependant pas été inutile, car le Doppelgänger avait pu rassembler de nombreuses informations sur sa cible dans la tête du patriarche. Bien entendu, à présent, la Maison Brandsara était hostile aux Venceol, mais un peu de concurrence ne faisait pas de mal. D'autant plus qu'Harddyn avait assuré ses arrières en détachant quelques Démons des Ombres là-bas pour surveiller afin de ne pas avoir de mauvaises surprises.

Toujours est-il que Neiryl possédait dorénavant un secrétaire extrêmement doué et reconnu. Certes, on était loin de l'objectif premier de discrétions souhaité au départ par Harddyn, mais on n'en était plus là. Avec la patente reçue pour les cartes, le brevet sur la méthode d'imprimerie sans compter les transactions juteuses qu'ils avaient faites, la Maison Venceol n'était plus inconnue dans le milieu. Et c'était exactement ce qu'ils cherchaient.

Cependant, la raison pour laquelle c'était Harddyn qui était aujourd'hui sous les traits de Tiervain, c'était parce qu'il s'agissait d'une mission dont il voulait s'occuper personnellement. C'était toujours le cas quand c'était quelque chose d'innovant et cette fois ne faisait pas exception.

Il se dirigea donc vers la bicoque de la vieille Lerli, y entra et s'assit à table alors que la femme posait une tasse en terre cuite ébréchée devant lui. Ce n'était pas le summum du luxe, mais il n'était pas là pour chipoter. Il la prit et but une gorgée du breuvage. Au moins, le thé n'était pas trop mauvais. Il eut le temps de finir sa tasse et d'en commencer une seconde quand il entendit des bruits de sabots au-dehors. Harddyn jeta un coup d'œil par la fenêtre et vit un jeune homme d'une vingtaine d'années d'allure rustique sauter pratiquement du haut de son cheval et courir dans leur direction.

« Grand-mère, vas t'y tu bien ? » Interrogea-t-il dès qu'il entra.

« Oui, oui, mon petit, oui, oui » dit-elle. « Je t'ai appelé pour ce Monsieur venu de la Capitale. Il aurait un travail pour toi. »

« Un travail ? » Demanda le jeune homme avec un air confus en se tournant vers l'invité de sa Grand-mère.

Harddyn hocha la tête en guise de salut et détailla son interlocuteur des pieds à la tête. Comme il l'avait remarqué au premier abord, il était assez rustique. De taille moyenne, assez large d'épaules, il portait une tunique aux manches roulées sur ses biceps tandis que des braies semblaient étirées par ses cuisses musclées. Les vêtements étaient rapiécés et on voyait des ajouts de tissus par endroit. Apparemment, il devait les avoir depuis pas mal de temps et il les avait raccommodés et agrandis au fil du temps. Cependant, même ces pauvres atours ne parvenaient pas à diminuer l'intérêt que ce corps massif avait suscité chez Harddyn.

« Mme Lerli, voudriez-vous bien nous laisser pour que je puisse discuter avec Bral, seul à seul ? » Dit-il en accompagnant ses paroles de quelques vagues de son [Aura de Charisme I].

« Mais bien sûr » répondit la femme, subjuguée. « De toute façon, j'ai encore de la lessive à étendre. »

L'[Aura de Charisme] permettait d'inciter les gens à vous écouter, à vous croire et à vous faire confiance. À son plus haut niveau, elle pouvait même entraîner un État de Dévotion totale. Les personnes atteintes faisaient tout ce que le lanceur commandait, pouvant aller jusqu'à tuer ou mourir. Mais au premier, cela avait juste encouragé une vieille femme fragile à laisser un inconnu avec son petit fils sans opposer de résistance.

« Vous… vouliez me parler d'un travail, Monsieur ? » Demanda Bral, mal à l'aise alors qu'Harddyn se levait et s'approchait de lui.

« En effet » répondit celui-ci en examinant son visage.

On ne pouvait pas dire que Bral était beau. Sa tête était légèrement aplatie, sa mâchoire assez large, de même que sa bouche et son nez. Il avait également des taches de son et des sourcils broussailleux. Ses cheveux blond sale étaient secs et tombaient sur ses yeux marron. Il dégageait cependant un charme indéniable qui n'avait pas échappé à Harddyn. Celui-ci s'en lécha d'ailleurs les lèvres. Il s'était levé assez tôt et l'Incube en lui avait faim.

« Mais tout d'abord, j'aurais aimé que nous fassions un peu mieux connaissance » ajouta-t-il en en caressant doucement la joue rendue duveteuse par une barbe naissante.

Ce seul contact suffit pour que le jeune Bral n'eût plus la force ou même la volonté de résister à Harddyn. À partir de ce moment-là, il lui fut totalement soumis sans s'en rendre vraiment compte et sans se souvenir si oui ou non ses préférences le menaient vers les garçons. Cependant, il était évident que le dénouement de cette expérience le changerait à jamais.

Toutefois, alors qu'Harddyn avait l'habitude de prendre son temps et de faire durer ses ébats sexuels pendant des heures, cette fois, ce fut un peu plus rapide et expéditif. Bien entendu, chacun y trouva tout de même son compte, Bral compris. Il était même probable (voir certain) que le jeune homme n'avait jamais ressenti autant de plaisir.

Toujours est-il que les minutes qui suivirent l'effleurement de la joue de Bral par Harddyn, aucun des deux ne parla. Les seuls bruits que l'on pouvait entendre étaient les gémissements étouffés du garçon alors que l'Incube était occupé à dévorer sa bouche tout en le déshabillant et en caressant son corps déjà presque adulte. Tout comme sa barbe, sa pilosité était d'un blond clair presque transparent et doux. Elle recouvrait une grande partie de sa peau, en particulier son torse, ses avant-bras, ses jambes et ses fesses. Elle était également humide à cause de la transpiration. En effet, Bral s'était activé aux champs toute la matinée. Cependant, l'odeur de sueur ne dérangeait pas Harddyn, au contraire. Elle agissait sur lui comme un aphrodisiaque.

Rapidement, ce fut un Bral totalement nu qui fut renversé sur la table du séjour de la maison de sa grand-mère. Harddyn, lui, était toujours habillé. Il avait seulement détaché la braguette de ses chausses afin de faire surgir son membre qu'il pointa en direction de l'anus encore inviolé (il en était presque sûr) du jeune paysan. Celui-ci était humide des coups de langue sauvages qu'Harddyn lui avait donnés quelque temps plus tôt. Son gland pénétra pourtant plus facilement qu'il ne l'aurait dû le muscle délicat. La particularité lubrifiante de sa physiologie de Slime lui permit de glisser son sexe d'un seul coup jusqu'à la garde, provoquant un cri de la part de Bral. Mais ce n'était pas un cri de douleur. En effet, Harddyn avait presque totalement occulté celle-ci grâce à son pouvoir d'Incube.

C'est grâce à cela qu'il put immédiatement commencer à marteler le corps alangui de Bral dont les gémissements se firent de plus en plus fort. Heureusement, Harddyn avait dès le début jeté un Sort de silence sur la pièce et, grâce à [Aura de Charisme], Lerli ne reviendrait pas à moins qu'Harddyn ne lui dise de le faire. Ils étaient donc tranquilles pour une chevauchée qui ne dura certes qu'une dizaine de minutes, mais qui furent les plus intenses de la vie du jeune paysan. Si intenses qu'il finit par jouir sans même se toucher. La contraction de son anus provoqua celle d'Harddyn qui se vida avec bonheur dans la cavité accueillante.

« Bien. Et si nous revenions aux choses sérieuses ? » Proposa Harddyn en sortant son sexe humide du trou ravagé de Bral et en le remplaçant dans ses chausses.

Il referma ensuite sa braguette, ajusta son costume et s'assit à la table comme si rien ne s'était passé.

« Les… les choses… sérieuses ? » Haleta Bral.

Son regard était brumeux, encore voilé par la jouissance. Allongé sur la table, il respirait profondément pour reprendre son souffle.

« Oui. J'étais venu pour te proposer un travail, non ? »

« Ah… Oui » balbutia Bral.

Il se redressa puis descendit de la table sans faire attention à la rivière de sperme qui coulait de son anus ouvert, trempant ses cuisses. Harddyn eut pitié de lui et lui lança un rapide sort de nettoyage. Il utilisa également ses pouvoirs mentaux pour dissiper la brume de l'orgasme qui lui obscurcissait toujours l'esprit. Il avait besoin de lui avec toute sa tête pour ce qu'il avait à lui dire.

« Euh… oui. Un travail » reprit Bral, déjà plus lucide, alors qu'il remontait à nouveau ses chausses.

« C'est cela » dit Harddyn. « En fait, j'aurais besoin d'un coursier. »

« Un coursier ? » Demanda le jeune homme en passant sa tunique par-dessus sa tête pour l'enfiler. « Et vous êtes venu pour la capitale jusqu'ici rien que pour ça ? »

C'est vrai que ça pouvait étonner. Arwintar se trouvait pas moins qu'à une dizaine de jours entiers de voyage. Mais Harddyn, lui était sur les routes depuis au moins une vingtaine. Il avait fait de nombreux arrêts sur le trajet.

« En effet » répondit-il au jeune homme qui venait à présent d'attacher sa ceinture avant de s'asseoir face à lui pour enfiler ses bottes.

« Mais c'est que… je peux pas quitter ma grand-mère comme ça… » balbutia-t-il. « Elle a besoin de moi. »

« Ça tombe bien, pour le travail que j'ai en tête, tu n'auras pas à déménager » répondit Harddyn. « Tu es déjà allé au village de Croydon ? »

Il s'agissait d'un hameau presque aussi perdu que Glenarm, mais situé plus au Nord.

« Plutôt, oui » dit Bral. « Nous on fait plutôt pousser de l'orge et eux du blé alors ça nous arrivé de faire du troc. »

« Et Nancledra ? »

Cette fois, il ne s'agissait pas d'un village, mais d'une ville, l'une des plus importantes de la partie sud de l'Empire. C'était la première cité majeure après la frontière avec le Royaume de Re-Estize, au-delà de la Plaine de Katze.

« Quelquefois » répondit Bral, plus hésitant. « Pour vendre la récolte. »

« Ça suffira » dit Harddyn. « Pour ce qui est de ton travail, tout ce que tu auras à faire ces attendre un signal qui annoncera l'arrivée d'un messager. S'il vient de Nancledra, tu devras l'amener à Croydon et s'il vient de Croydon, tu devras l'amener à Nancledra. »

« C'est tout ? » Demanda Bral, surpris.

« Attention, ce n'est pas aussi facile » le prévint Harddyn. « Dès que tu entendras le signal, qui sera envoyé par une trompe, tu devras abandonner ce que tu fais pour seller ton cheval et te tenir prêt au départ. Dès que tu as le ou les messages, il ne sera pas question de traîner et tu devras filer aussi vite que possible à destination sans oublier d'envoyer toi même le signal avant d'arriver à destination, et ce, quel que soit l'heure du jour où même de la nuit. »

« De la nuit ? » S'exclama le jeune homme, stupéfait.

« Oui. Même la nuit » lui répondit Harddyn.

« Mais… je dois me lever tôt pour aller aux champs. Si je dois aller à Croydon pendant la nuit, je ne rentrerai qu'au petit matin et je n'aurais pas le temps de dormir. »

« Si ce que j'ai en tête fonctionne, ce travail te permettra de vivre sans que tu aies besoin de faire autre chose. »

« Vrai ? »

« C'est vrai. Et mon employeur te fournira également un équipement et du fourrage gratuit pour ton cheval en plus de ta paye. »

Les yeux du jeune homme brillaient. C'était en effet une belle opportunité pour lui. Cependant, il n'était pas encore tout à fait convaincu.

« Je ne comprends pas » dit-il. « Pourquoi faire passer des messages entre Nancledra et Croydon ? »

« Pas entre Nancledra et Croydon, entre Nancledra et Arwintar. Vois-tu, la personne qui habite à Croydon et à qui tu vas délivrer les messages, va ensuite les transmettre à quelqu'un d'autre dans un village plus au Nord qui le transmettra à quelqu'un d'autre et ainsi de suite jusqu'à Arwintar. Et même chose dans l'autre sens. »

« Pourquoi ne pas demander seulement à un seul cavalier ? »

« Parce que celui-ci aura besoin de faire des arrêts pour manger, dormir, reposer son cheval, etc. De plus, il ne connaît pas forcément bien la région et peut se perdre ou prendre un chemin plus long. En engageant des personnes au niveau local qui ne font aucun arrêt, mais seulement sur des petites distances et avec une bonne connaissance des raccourcis possible, ce sera comme si les messages voyageaient sans s'arrêter. Grâce à ça, il pourrait aller d'une ville à l'autre en 5 jours et même moins. »

« Je crois que je comprends » dit finalement Bral. « Je ne sais pas pourquoi vous voulez que des messages aillent plus vite, mais si je peux vous aider alors je veux bien. »

Harddyn hocha la tête.

« Bien » dit-il. « Pour le moment, ce système est à l'état de projet. Il faut d'abord le tester. Dans quelques jours, je ferai partir un message Nancledra pour Arwintar. Selon le temps que la réponse mettra à revenir, je pourrais voir s'il est viable. »

« Comment vous saurez si ça marche ? » Demanda Bral.

« Simple. Il faut une dizaine de jours pour faire la route entre les deux villes. Il en fait donc une vingtaine pour faire l'aller-retour. Pour que ça fonctionne, il faut que le message mette moins de temps à revenir. L'idéal serait la moitié. Dix jours environ. »

Bral hocha la tête, mais Harddyn vit à ses yeux qu'il ne comprenait pas vraiment. Il ne pouvait l'en blâmer. Il avait dû rester toute sa vie dans son village, ne le quittant que pour de brefs séjours. Ces notions de temps et de distances devaient donc lui paraître assez abstraites.

« À partir d'ici, je vais rallier directement Nancledra. J'aimerais que tu m'accompagnes. »

« Pourquoi auriez-vous besoin que je vous accompagne ? » Demanda Bral.

La rougeur charmante sur ses joues fit comprendre à Harddyn qu'il avait quelques raisons possibles en tête.

« Il faudrait que je te montre l'endroit où tu devras apporter les messages. »

« Ah… très bien » répondit le jeune homme.

On aurait presque dit qu'il était déçu.

« Je vais te laisser le temps de parler à ta grand-mère et de te préparer » dit Harddyn en se levant.

« Ah ! Euh… oui ! » S'exclama Bral en faisant de même. « Au fait, combien est-ce que je serai payé ? »

Harddyn eut un sourire satisfait. Le gamin ne perdait pas le Nord et il avait l'esprit vif. C'était une bonne nouvelle. Il fouilla dans sa bourse et en sortit une pièce qu'il lança à Bral. Celui-ci la rattrapa au vol. Il posa ensuite les yeux sur elle et les écarquilla de surprise.

« U… une petite pièce d'or ? » Balbutia-t-il.

Il ne devait jamais avoir vu d'or.

Le système monétaire de l'Empire était plus complexe que celui du Royaume. Ils utilisaient eux aussi les étalons cuivre, argent et or, mais chacun était subdivisé selon la taille de la pièce, petite, moyenne ou grande, pour un total de 9 devises. Il en existait également une 10e, les pièces de platines, mais celles-ci étaient réservées aux très gros échanges commerciaux ou dépenses Impériales majeures.

Si dans le Royaume, la pièce d'or équivalait à la valeur internationale de l'étalon or, dans l'Empire, c'était la moyenne pièce d'or. La petite se trouvait donc juste en dessous. Elle avait donc une certaine valeur.

« Tu en recevras une tous les mois en plus bien sûr, comme je l'ai dit, de l'équipement et du fourrage » précisa Harddyn. « Celle-là, c'est un acompte. Garde-la. »

Bral écarquilla encore plus les yeux, bouche ouverte. Harddyn se retint de rire et sortit de la cabane. Oui, cela devait vraiment représenter une petite fortune pour lui. Tout comme pour tous les autres à qui il avait fait sa proposition depuis le début de son voyage. Et d'une certaine façon, tous ces salaires mis bout à bout pouvaient effectivement représenter une fortune pour lui également. Seulement, le jeu en valait la chandelle.

S'approchant de son cheval, Harddyn en ouvrit l'une des fontes et en retira un parchemin. Il s'agissait d'une carte très précise de la région entre Arwintar et Nancledra. Un tracé avait été fait en parallèle de la grand-route et passant par des villages entourés de cercles rouges. La majorité était barrée de croix de la même couleur. Harddyn utilisa sa Compétence d'Explorateur [Annotations] et fit apparaître une croix à l'emplacement du dernier village avant la grande ville. Il posa ensuite le doigt dessus et une fenêtre apparut avec une image de Bral et plusieurs renseignements sur lui.

D'un geste négligent, Harddyn fit disparaître la fenêtre puis regarda fièrement son travail. Il avait presque terminé. Plus qu'une personne à trouver et il aurait achevé la première ligne de son système postal. Quelque chose qui n'avait jamais été vu dans ce monde.

Dans le sien, ces systèmes avaient été nombreux. Mais celui qui avait survécu était le système mis en place en Italie, au XIIIe siècle, par Omedeo Tassis, un système de relais entre plusieurs personnes sur un trajet donné au lieu d'une seule. De plus, tout comme celui que créait Harddyn, ce serait un système privé. Pour l'instant. En effet, Harddyn avait bien l'intention d'étendre le système au niveau national et de devenir riche.

Cependant, les premiers revenus ne viendraient pas du système en lui-même, mais plutôt de ce qu'il transportait : de l'information. Comme l'avait dit Harddyn aux Serviteurs de Nazarick, l'information était l'un des pouvoirs les plus puissants du monde, et ce dans tous les domaines, même l'économie. Il l'avait d'ailleurs prouvé grave à ses investissements audacieux. Toutefois, le tout n'était pas de posséder l'information, mais de la posséder avant les autres. Grâce à son système postal, Harddyn et la Maison Venceol pourront être au courant des tendances du marché bien avant les autres et alors s'accaparer les profits.

Harddyn fondait donc de grands espoirs dessus même s'il ne lui faisait gagner qu'un seul jour par rapport à ses concurrents. Après tout, dans son monde et à son époque, même avoir quelques millisecondes de plus que les autres pouvait permettre de faire une bonne affaire.

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Il fallut près de cinq heures à Harddyn et Bral pour rejoindre Nancledra. Ils s'arrêtèrent en bordure de la ville, au niveau du quartier périurbain des entrepôts de commerces. Là-bas, Harddyn avait fait l'acquisition d'un bâtiment pour servir de succursale, comme beaucoup d'autres Maisons Marchandes. Habituellement, c'était pour que les agents puissent être sur place afin de faire les achats. Pour Harddyn, ce serait aussi le lieu où seraient rassemblés et envoyés

les informations qui lui seraient transmises via le réseau.

Quand ils arrivèrent, la nuit tombait déjà. Harddyn proposa donc à Bral de venir avec lui à l'auberge afin qu'il ne reparte que le lendemain matin. Bien évidemment, il n'avait pas vraiment l'intention de dormir et le jeune homme l'avait parfaitement compris. Cependant, sans même une incitation d'une quelconque nature que ce soit de la part d'Harddyn, il accepta l'invitation et le suivit docilement quand il l'entraîna vers sa chambre.

Ma nuit fut longue, très longue pour Bral dont le corps fut délicieusement abusé sans répit par Harddyn. Alors que la première fois ils n'avaient pas pu prendre le temps, cette fois ils l'avaient et l'Incube avait bien l'intention d'en profiter pour faire perdre la tête à son amant… mais pas trop. Tour à tour, le jeune Bral prit et fut pris dans toutes les positions par Harddyn dont l'imagination et, bien sûr, l'appétit étaient sans fin. Il ne put s'endormir qu'aux petites lueurs du jour et Harddyn dut lui jeter un sort de soin pour restaurer son endurance afin qu'il puisse se contenter des deux heures de sommeil qu'il avait pu avoir avant son départ.

Bien entendu, en le renvoyant chez lui, il n'oublia pas de lui donner un cor qui devait lui servir à émettre le signal d'alerte pour le suivant du relais. Il lui dit de se tenir prêt à recevoir bientôt un message à envoyer qui servira de test. Quand Bral demanda quand, Harddyn lui répondit qu'il ne savait pas. C'est pour ça qu'il devait se tenir prêt comme il devrait le faire par la suite. Bral promit et prit le départ. Harddyn ne put s'empêcher de sourire de fierté en voyant à quel point le jeune homme était mal à l'aise sur sa selle. Nul doute que son derrière devait lui faire du mal.

Cependant, il n'avait pas que cela à faire aujourd'hui. La raison pour laquelle il ne savait pas encore quand il allait envoyer le message n'était pas seulement pour préparer Bral et les autres. Il devait également embaucher le coursier qui les transmettrait depuis Nancledra, un choix plus important dans cette ville, car il devait trouver quelqu'un qui ne se laisserait pas acheter par leurs adversaires.

Car oui, bien sûr, les autres Maisons de Commerce voudront soudoyer ses agents pour tenter d'obtenir leurs informations. Il était fort probable aussi qu'une fois au courant à propos de son réseau ils ne se mettent en tête de monter le leur afin de lui faire concurrence. Pour éviter cela, il n'y avait alors qu'une seule solution. Comme pour les cartes, ils devaient absolument acquérir une lettre patente. C'était également pour cela que cet essai était si important. Il devait servir à prouver l'efficacité et l'utilité de leur méthode.

Mais pour cela, il fallait que le test réussisse.

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Une semaine. Sept jours entiers pour faire l'aller-retour entre Nancledra et Arwintar au lieu de vingt. Le résultat dépassait toutes les espérances d'Harddyn.

Certes, cela venait également du fait que les coursiers avaient fait du zèle. Bien entendu, Harddyn les avait suivis par la voie des airs afin de surveiller ses agents. Il voulait voir qui prenait son travail au sérieux et qui ne le faisait pas, qui prenait du retard et qui filait sans s'arrêter. Au final, ils s'étaient tous montrés exemplaires. C'était sans doute à cause de la récompense promise, mais Harddyn était assez content. Bien entendu, une fois leur contrat signé, ils penseraient probablement qu'ils pourraient se relâcher. Heureusement, Harddyn avait aussi prévu cela. Tant qu'ils ne dépasseraient pas un certain délai, il laisserait faire. Naturellement, au-delà, il devrait prendre des sanctions.

Mais il n'en était pas encore là. Il en était loin. Certes, l'essai avait réussi, mais il y avait encore une étape importante. Convaincre le gouvernement de confier aux Venceol la charge de diriger le réseau en son nom et sans qu'il puisse y avoir de concurrence de la part d'autres Maisons de Commerce.

Malheureusement, ce n'était pas si simple. Dès le début, l'Administration Impériale avait su voir l'intérêt, mais aussi le danger que représentaient les cartes. En tant que support d'information important, il était urgent que l'État impose un certain contrôle sur elle. La patente reçue par les Venceol n'était pas tant une récompense pour leur garantir un monopole qu'une assurance que la production ne se ferait qu'en un seul endroit et que le gouvernement puisse avoir un droit de regard sur ce qui est publié.

Cependant, cette fois-ci, ils n'arrivaient pas à se rendre compte en quoi l'organisation du transport rapide des messages était un atout majeur pour le pays. Ils étaient prêts à délivrer un brevet, mais ils ne percevaient pas l'intérêt d'une lettre patente. Or un simple brevet n'était pas du tout suffisant pour Harddyn. Contrairement à l'imprimerie, le système postal n'était pas quelque chose qu'il voulait se voir être diffusé dans l'avenir. Obtenir l'exclusivité était impératif pour garder la mainmise sur l'information. Il était donc absolument nécessaire d'acquérir cette patente. Par tous les moyens.

Bien entendu, avec ses pouvoirs. Il aurait été très facile pour Harddyn de la soutirer. Il aurait suffi d'obliger mentalement l'agent du Service des Brevets de l'Administration Impériale pour qu'il délivre cette fameuse lettre patente. Mais malheureusement, puisqu'il s'agissait d'une administration, il y avait toute une hiérarchie qui pourrait s'étonner de sa décision. Cela voulait dire qu'il faudrait par la suite les « convaincre » les uns après les autres. Harddyn considérait ça comme une perte de temps.

Non, pour lui, il était préférable de passer par-dessus le fonctionnaire et de négocier directement avec ses supérieurs. Cependant, ce n'était pas n'importe quel supérieur auquel pensait Harddyn. Comme le disait l'expression, mieux valait s'adresser au Bon Dieu qu'à ses Saints. Et ici, le Bon Dieu, c'était l'Empereur, Jircniv Rune Farlord El-Nix.

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Les événements mondains auxquels assistait l'Empereur n'étaient pas légion, mais ils existaient. C'était particulièrement le cas pour le bal du Jour de la Fondation qui faisait en quelque sorte office de Fête Nationale. Il commémorait comment, 200 ans auparavant, Empire avait été fondé après la chute des Divinités Maléfiques.

À cette époque-là, l'Empire était plus vaste, car il occupait également les territoires appartenant aujourd'hui au Royaume de Re-Estize. Selon l'histoire officielle, ce territoire se serait rebellé et aurait fait sécession peu de temps après sa fondation. C'était la raison pour laquelle chaque année, il y avait des combats entre eux. Bien entendu, à en croire le Royaume, c'était l'Empire qui s'était rebellé et avait fait sécession.

Toujours est-il que cette célébration était l'occasion d'une grande fête au palais où le Monarque se devait, évidemment, d'être présent. Étaient invitées les familles les plus influentes de la noblesse, des notables, des forces armées, de la bourgeoisie ou du commerce. Malheureusement, malgré ses profits et son expansion spectaculaire, la Maison Venceol ne faisait pas encore partie de ces derniers. Cependant, il y avait d'autres moyens d'assister au bal, notamment celui d'être convié par l'un des convives officiels.

C'est pour cela que se trouvaient également présentes des personnalités moins éminentes qui avaient eu la chance d'avoir les bonnes connexions : érudits, artistes, courtisanes, religieux, étrangers… ainsi que certains membres des catégories plus aisées comme ceux qui avaient été invités, mais de moindres importances. La Maison de Commerce Venceol par exemple.

Bien entendu, quand elle apparut, tous les yeux furent braqués sur Rakell Carnelian. Elle portait une robe qui épousait des formes à la perfection et dont la teinte du tissu se rapprochait de celle de sa chaire si bien qu'on avait l'impression que les broderies métalliques et les pierres précieuses avaient été cousues directement sur sa chair. À côté d'elle, son mari, Neiryl Venceol, paraissait presque disparaître. Il était cependant vêtu d'une tenue parfaitement ajusté et accordé à celle de sa compagne.

« Maître Neiryl et son épouse, Dame Rakell, de la Maison de Commerce Venceol » annonça le héraut à leur arrivée.

Mais c'était inutile, car déjà, presque tout le monde ne regardait qu'eux… ou plutôt qu'elle.

« Mes très chers amis ! Quel plaisir de vous voir ici ! » S'exclama alors un homme ventripotent en s'approchant d'eux.

Il portait un manteau long de velours carmin brodé d'or et de rubis fermé par une double rangée de boutons de cuivre doré par-dessus la ceinture et ouvert en bas sur ses jambes courtaudes et arquées enfoncées dans des chausses manifestement trop serrées. Il avait des bagues à chaque doigt, un énorme pectoral de pierres précieuses ainsi que des épaulettes d'or pur. Le tout sans compter ses mocassins festonnés de perles multicolores.

Il s'approcha du couple et prit Neiryl dans ses bras comme s'il s'agissait d'un vieil ami. Ce n'était pas le cas cependant puisque c'était principalement Harddyn, ou plutôt Rakell qui avait traité avec lui et sa femme. Cela ne l'empêcha pas de serrer fort le Maître de la Maison Venceol, autant que lui permettait sa bedaine qui étirait tellement le manteau que les boutons semblaient en passe de craquer.

« C'est plutôt un plaisir pour nous et un honneur d'être ici, Duc Vobal » répondit Neiryl en espérant que l'homme influent ne remarquerait pas le changement dans sa voix.

Il se retenait de respirer par le nez, car son interlocuteur transpirait abondamment et, à cause d'une très mauvaise alimentation, répandait une odeur piquante qui, mélangée aux parfums censés la dissimuler, ne faisait que la rendre plus forte et désagréable.

« Nous vous sommes extrêmement reconnaissants de nous avoir invités » ajouta-t-il alors que l'autre reculait enfin.

« Mais non, ce n'est rien ! » Répondit l'homme en essuyant son crâne luisant de sueur avec un mouchoir. « C'est tout naturel. Et je suis ravi que vous ayez également amené votre charmante épouse. Elle illumine cette soirée. »

« Votre Grâce est trop bonne » répondit Rakell en faisant une révérence.

« Allons, très chère, pas de ça entre nous » lui dit l'aristocrate en posant sa main aux doigts boudinés sur l'épaule de la femme.

Il la laissa là plus que nécessaire, caressant la peau nue à cet endroit. En effet, sa robe ne couvrait pas cette partie de son corps et ses cheveux étaient relevés et maintenus par un filet d'or serti de diamants du plus bel effet.

« Toujours aussi magnifique, très chère » commenta le Duc sans enlever sa main de l'épaule de Rakell. « Vous devriez faire attention, Maître Venceol. Quelqu'un pourrait essayer de vous la voler. »

L'homme gloussa ensuite à sa remarque. Il devait penser à quel point cette remarque était ironique, car c'était déjà fait. En effet, pour pousser l'aristocrate à les rajouter sur la liste, Rakell avait usé de ses charmes.

Pour l'approcher, elle était passée par son épouse, Dame Kalucia Vobal. Celle-ci était une femme intelligente et d'une beauté que beaucoup qualifiaient de quelconque. C'était juste que, passionnée par les études, elle n'accordait que le minimum d'effort pour sa mise. C'était son engouement pour les cartes de la Maison Venceol qui lui avait fait rencontrer Rakell et qui avait permis à celle-ci de devenir une habituée de leur domaine. Il avait par la suite été facile de se heurter au Duc.

Que la Dame Kalucia soit au courant était probable, mais elle avait l'habitude. Son père était un riche marchand, ce qui avait poussé le Duc Vobal, un dépensier notable, à l'épouser. Et bien entendu, celui-ci était connu pour la tromper à tour de bras. Dans ces circonstances, comment aurait-il pu dire non aux avances intéressées de Rakell.

Celle-ci, ainsi que son époux, étaient arrivés depuis une vingtaine de minutes quand une série de trompes sonna, suivit de près par une annonce du héraut.

« Sa Majesté Impériale, Jircniv Rune Farlord El-Nix, Souverain de l'Empire de Baharut. »

Rakell tourna la tête en direction de la porte et sourit en voyant sa proie. L'Empereur était un jeune homme de 22 ans, un âge assez tendre compte tenu de tout ce qu'il avait déjà fait. Grand, la silhouette gracile, mais les épaules larges, il se dégageait de lui une certaine virilité. Sa peau était pâle et contrastait avec ses cheveux d'un blond doré. Leur couleur était tellement vive que la couronne de laurier en or qui se trouvait sur sa tête paraissait presque invisible. Le reste de sa personne était resplendissant dans un ensemble où dominaient le rouge, le noir et surtout, le doré. Il portait des bracelets, des brassards, des bagues et même des anneaux de chevilles ciselés dans ce précieux métal et sertis de joyaux.

Cependant, ce qui le démarquait n'était pas son apparence ou ses vêtements, c'était son attitude. Les épaules droites, il marchait avec résolutions et noblesse. Son visage surtout était impressionnant. Le regard clair, il affichait une expression presque neutre, mais qui lui donnait l'air de sourire. Ses yeux balayaient la foule et chacun avait l'impression qu'il le regardait. Une attitude assez étrange chez un homme aussi jeune, mais qui convenait parfaitement à sa fonction.

Il était précédé de chaque côté par deux serviteurs chargés de répondre à tous ses besoins et derrière lui se trouvait quatre soldats en armures noirs décorés d'or. Il s'agissait de la garde rapprochée de l'Empereur, les Quatre Chevaliers Impériaux. Parmi eux se trouvait Nimble Arch Dale Anoch, le Vent Furieux, le plus jeune des quatre, Nazami Enec, l'Impénétrable, qui se trouvait être le plus âgé, Leinas Rockbruise, la Violente Explosion, la seule femme du groupe, et enfin, le capitaine de l'équipe, Baziwood Peshmel, connue également sous le nom d'Éclair Foudroyant.

Dès que l'Empereur fit son entrée, la plupart des invités convergèrent dans sa direction. Pour leur présenter leur respect. Se faire bien voir par lui était le meilleur moyen pour qu'il se souvienne d'eux ce qui pourrait être bénéfique par la suite. Bien entendu, il ne fallait pas non plus être mal vu d'autres personnalités plus importantes dont on aurait pris la place.

« Je suppose que vous n'avez jamais rencontré Sa Majesté » dit le Duc Vobal au couple Venceol. « C'est donc la meilleure occasion pour vous. Venez, allons présenter nos respects. »

L'aristocrate fendit alors la foule qui le laissa passer sans sourciller. Son rang ne leur permettait pas de protester. Il jeta un regard noir à un Marquis qui s'était avancé pour saluer le Souverain puis se plaça lui-même devant celui-ci.

« Votre Majesté, quel plaisir de pouvoir vous présenter mes respects en ce jour béni de la Fondation » dit-il avec une révérence.

« Duc Vobal, je vous remercie » dit l'Empereur en hochant simplement la tête. « Ravi de voir que vous allez bien. »

Et ces paroles étaient sans doute sincères. Après tout, le Duc était suffisamment efficace et pas assez corrompu pour que Jircniv ait jugé utile de le faire exécuter comme tant d'autres parasites. Vobal le savait et en profitait au maximum en prenant bien garde de ne pas mécontenter son suzerain. En définitive, même prestigieux, son titre ne le protégerait pas du billot.

« Si vous me permettez, j'aimerais vous présenter des amis très chers qui désireraient également vous saluer » dit le Duc en s'écartant légèrement. « Maître Neiryl Venceol, Maître de la Maison de Commerce Venceol et son épouse, la Dame Rakell Carnelian. »

Neiryl s'inclina avec raideur tandis que Rakell fit une très élégante révérence.

« C'est un plaisir de vous rencontrer Votre Majesté » répondit le premier d'une voix un peu faible.

« Nous vous présentons nos respects en ce jour faste qui commémore la Fondation de notre bien-aimé Empire » ajouta son épouse.

« Ah oui » dit l'Empereur. « La Maison Venceol. J'ai entendu parler de vous. Je pensais d'ailleurs acquérir l'une de vos cartes. »

« C'est un honneur que vous nous faites » répondit Neiryl. « Nous attendrons votre commande avec impatience. »

Il suivait mot à mot les paroles dictées par Rakell dans son esprit. Il était mal à l'aise, mais il sentait la présence à la fois rigide et chaleureuse de son épouse dans sa tête. Grâce à elle, il ne faillirait pas. Non, plus que cela, il voulait vraiment réussir. Pour elle.

« Dame Rakell » dit alors l'Empereur en se tournant vers elle. « Beaucoup ont vanté votre beauté et votre grâce, mais ils étaient bien en dessous de la vérité. »

« C'est sans doute qu'ils craignaient qu'on les traite d'affabulateurs, Votre Majesté » répondit Rakell avec une pointe de sarcasme.

L'Empereur Jircniv plissa légèrement les yeux en regardant la femme. Soudain, de la musique commença à résonner dans la salle. Cela signifiait le début officiel du bal. Pour le Souverain, c'était surtout le début de l'attroupement des jeunes filles célibataires autour de lui. Chacune allait faire des minauderies afin d'être invitée à danser et peut-être même pour devenir la future Impératrice. Après tout, il n'était pas encore marié. Il était donc une proie de choix pour ses demoiselles.

« Vous serait-il agréable de danser avec moi ? » Demanda-t-il alors à Rakell.

« Ce serait un privilège, Votre Majesté » répondit celle-ci.

« J'espère que cela ne vous dérange pas que je vous emprunter votre épouse, Maître Venceol » demanda ensuite Jircniv à Neiryl.

« Pas du tout, Votre Majesté. Pour tout dire, je suis moi-même un piètre danseur. Je serais donc heureux que quelqu'un permette à mon épouse de profiter de la soirée. »

L'Empereur hocha la tête et tendit la main vers Rakell. Celle-ci s'inclina et la prit. Jircniv emmena alors sa compagne en direction de la piste de danse sous les gémissements déçus de dizaines de jeunes filles. À ce spectacle, le regard de Neiryl était neutre, mais les petits yeux porcins du Duc Vobal brillaient d'intérêt. Si jamais l'Empereur venait à s'enticher de la femme et décidait de l'épouser (en forçant sans doute son époux actuel à annuler le mariage ou, pire, à faire de celle-ci une veuve), il ne manquerait pas de se rappeler que c'était lui, Amadas Vobal, qui les avait présentés ce qui lui permettrait sans doute d'en retirer quelques privilèges.

Mais l'Empereur était assez loin de ces manigances alors qu'il faisait valser la femme magnifique avec laquelle il dansait.

« Vous m'intriguez, Ma Dame » dit-il au bout d'un moment.

« Vraiment ? » Demanda Rakell sur un ton taquin.

« Disons que je m'intéresse à vous depuis que j'ai appris que je vous aura proposé de danser pour moi. »

« Les rumeurs, que voulez-vous… » Répondit nonchalamment Rakell.

« Mais la suite m'a donné raison. Une danseuse venue de nulle part épouse l'héritier d'une petite Maison de Commerce d'Arwintar qui devient en peu de temps un acteur assez important du commerce national. Sans compter que la Maison obtient également une lettre patente et devient Maître des Cartes de l'Empire. Quelle coïncidence étrange, n'est-ce pas ? »

Rakell sourit. Elle savait qu'elle n'avait pas besoin de jouer au jeu de la potiche avec l'Empereur. Elle pouvait donc lui parler directement sans utiliser la marionnette qu'était devenu Neiryl.

« En fait, c'est justement à cause de ça que je souhaitais vous rencontrer ce soir. Une patente. »

« Donc c'était un piège » ironisa Jircniv. « Mais est-ce bien le moment de parler d'affaires ? Pendant un bal ? »

« Et de quoi voulez-vous donc que nous discutions ? Si vous dansiez avec les autres invités, elle vous raconterait tout ce que vous n'avez pas envie de savoir au sujet de leur robe, de leurs bijoux, de ragots ou de leurs rêves profonds censés vous émouvoir. Au moins, ce que j'ai à dire est intéressant. »

« Présenté de cette façon » ricana l'Empereur, « je vous écoute. »

« Dans ce cas, laissez-moi vous parler d'un projet de création de systèmes de transport de messages… »

Rakell expliqua son entreprise en long, en large et en travers comme elle l'avait fait déjà plusieurs fois ces derniers jours (par l'intermédiaire de Neiryl). Cependant, contrairement aux autres, son interlocuteur sembla intéressé… même s'il était assez doué pour ne pas le montrer.

« C'est un projet d'utilité publique attrayant » dit finalement l'Empereur après la fin de l'exposé. « Toutefois, je ne vois pas en quoi cela nécessiterait l'intervention de l'état à l'aide d'une lettre patente. »

« C'est simple. Si des informations commerciales ou même personnelles peuvent voyager plus rapidement à travers le pays, qu'en serait-il de tout autre type d'informations… comme politique ou militaire ? »

Après cette question, Rakell se tut afin de ménager son effet. Elle attendait que l'Empereur lui demande plus de détails.

« Poursuivez » dit-il finalement.

« L'information est capitale pour diriger un pays » dit Rakell. « Plus elle vous parvient vite, plus vous pouvez réagir. »

« C'est un bon point. Cependant, imaginons que je préfère ne pas vous donner cette patente et faire en sorte de créer ce système de relais sous la tutelle de l'État ? »

« Et comment le pourriez-vous ? En plus de votre aristocratie, vous avez également décimé une grande partie de votre Administration. Et quand je dis "décimé" c'est au sens littéral, on ne vous appelle pas l'Empereur Sanglant pour rien. »

« En effet » répondit celui-ci d'une voix dangereuse.

Mais Rakell se contenta de sourire.

« Vous êtes déjà bien trop occupé à assurer les fonctions normales de l'état en prenant la charge de travail de plusieurs personnes en attendant qu'elles soient remplacées. Vous n'avez pas trop le choix, il va vous falloir privatiser. Laissez-moi me m'occuper de la communication dans votre Empire et votre travail n'en sera que plus léger. »

Jircniv Rune Farlord El-Nix se mit à réfléchir. Il y avait des avantages à laisser faire la femme. Cependant, il ignorait s'il pouvait lui faire confiance. C'était un problème depuis très longtemps chez lui. La confiance. Il ne l'accordait vraiment qu'à peu de gens.

« Je prends acte de votre proposition » dit-il finalement. « Encore faudrait-il que ça marche. Votre plan est très intéressant, mais des résultats concrets demeurent nécessaires. »

« J'en ai » dit Rakell avec un sourire triomphant. « J'ai d'ores et déjà établi une ligne entre Arwintar et Nancledra en engageant des coursiers dans la population locale. »

« Et cela fonctionne ? » Demanda l'Empereur, dubitatif.

Rakell sourit à nouveau et se pencha vers son oreille.

« Sans cela comment je saurais qu'un incendie a ravagé une perte de la caserne centrale de l'Armée Impériale à Nancledra » murmura-t-elle.

« Comment ? » S'exclama Jircniv tout bas.

« C'était pendant la nuit. Il n'y a pas de victimes, mais le feu s'est dangereusement rapproché des baraquements. »

« Et comment êtes-vous au courant de cela alors que je ne le suis pas ? »

« Parce que cela s'est passé i jours et qu'il en faut un peu plus de 7 à un cavalier monté sur un cheval volant pour rallier Arwintar. Grâce à mon système, cela n'en a pris que 5. »

Évidemment, ce n'était pas tout à fait vrai. La raison pour laquelle Rakell était au courant pour l'incendie c'est parce que c'était elle qui l'avait allumé afin d'avoir quelque chose à dire à l'Empereur. Cependant, la nouvelle avait été transmise à son relais postal qui avait mis 5 jours pour acheminer l'information jusqu'à la Capitale.

« Bien entendu, je ne m'attends pas à ce que vous me croyiez sur parole » ajouta Rakell.

À ce moment-là, la musique cessa et les invités se mirent à applaudir. Les deux danseurs s'arrêtèrent et s'inclinèrent l'un devant l'autre.

« Voilà ce qu'on pourrait faire » dit finalement Rakell. « Nous pouvons en rester là pour le moment. Quand vous aurez reçu la nouvelle à propos de l'incendie et que vous aurez mieux réfléchi à mon projet, contactez-moi. »

Elle s'inclina à nouveau et retourna auprès de son époux. Deux jours plus tard, ils recevaient une lettre frappée du sceau impérial les invitant à rencontrer un haut fonctionnaire pour entériner leur patente.

0o0o0

Rakell prit une grande inspiration pour se calmer. L'Empereur avait beau être favorable à leur projet, les choses en étaient encore au point mort. La faute en revenait totalement à Gontas Alb Rhemo, le Surintendant du Cabinet Impérial qui, malgré son titre ronflant, n'était qu'un fonctionnaire mineur qui tentait de se donner de grands airs en leur faisant perdre leur temps à elles et Neiryl.

Des démarches qui avaient pris à peine quelques heures la dernière fois traînaient à présent depuis déjà trois jours. D'accord, les circonstances étaient différentes à ce moment-là. Ils s'étaient adressés au Bureau des Brevets qui se trouvait quelques échelons au-dessous du Cabinet Impérial. Cependant, comme le produit qu'ils venaient breveter, les cartes, pouvait divulguer des informations de nature sensible pour la sécurité du territoire, le Ministère de la Guerre était intervenu, coupant l'herbe sous le pied de la hiérarchie habituelle et accélérant la procédure.

Toutefois, Gondas Alb Rhemo, lui, ne semblait pas disposé à faire ça. On pourrait même penser que son but était de la ralentir. L'ordre avait beau venir de l'Empereur lui-même, cela ne paraissait pas affecter le petit homme coincé et tyrannique. Apparemment, Jircniv n'avait pas suffisamment « décimé » son Administration si ce genre de parasite inefficace possédait encore un peu de pouvoir.

« Comprenez bien ceci » dit Gontas de sa voix pincée et hautaine, « il y a une procédure à suivre. Et je n'ai pas que cela à faire. »

« C'est ce que vous avez dit il y a trois jours quand nous sommes venus vous apporter les pièces du dossier » dit Neiryl en contrôlant sa diction.

Par moment, l'emprise de Rakell sur lui était telle qu'il avait tendance à partager ses sentiments. Il ressentait donc sa colère un peu comme si elle était la sienne.

« C'était il y a trois jours » repris le fonctionnaire comme s'il s'adressait à un demeuré. « Des choses urgentes sont arrivées entretemps. Je ne pourrais pas compulser votre dossier avant une semaine. »

« Vous avez pourtant dit que ça ne devrait pas prendre plus de trois jours. »

« Et comme je l'ai dit, ça, c'était il y a trois jours. Des choses sont arrivées entre temps. »

« Quel genre de choses ? » Demanda Neiryl alors que Rakell plissait les yeux.

« Je suis bien entendu tenu au secret.

« Bien entendu… » grinça Neiryl, répondant à l'énervement croissant de Rakell.

« Votre dossier n'est pas si important, vous savez ? » Reprit Gontas. « Mais naturellement, il existe toujours la possibilité qu'un événement se produise et que votre dossier redevienne prioritaire. »

Il avait dit ces derniers mots d'un ton nonchalant, mais le sens profond n'avait pas échappé à Rakell. Celle-ci s'apaisa. Donc le petit fonctionnaire était corruptible. Ce n'était pas vraiment une bonne nouvelle pour Jircniv Rune Farlord El-Nix, mais excellente pour elle. Elle était prête à utiliser ses pouvoirs sur lui, mais cette solution était plus intéressante. Ce n'était pas une bonne idée qu'ils dépendent de ses pouvoirs à elle puisqu'elle n'était pas censée rester. Mieux valait savoir qu'un fonctionnaire était corruptible à chaque fois plutôt que de se retrouver devant un mur si jamais ils se trouvaient à nouveau face à lui et qu'elle n'était pas là.

Un sourire aux lèvres, Rakell se pencha alors en avant et posa ses coudes sur le bureau, son visage sur ses mains. Neiryl frémit en se rendant compte qu'il faisait la même chose.

« Et donc, que faudrait-il faire pour que notre dossier redevienne prioritaire ? » Demanda Neiryl d'une voix entendue.

Sauf que ce n'était pas lui. C'était Rakell. Elle ne lui chuchotait plus ce qu'elle voulait qu'il dise, mais parlait directement par sa bouche et contrôlait son corps.

« Oh vous savez, notre service est surtout ralenti par un manque de moyens » répondit Gontas d'un air détaché. « Je suis sûr qu'une donation serait le bienvenu. »

Rakell sourit. Oui, l'argent, c'était une idée. Mais il y avait d'autres solutions. Après tout, ce fonctionnaire était Humain, un Humain avec un appétit pour la chair. Il lui suffisait juste de trouver le bon appât. Mais cela c'était facile. Il n'avait même pas à fouiller son cerveau avec ses pouvoirs de Page d'Esprit. Il était un Incube. Il pouvait lire ses désirs et ce que désirait Gontas Alb Rhemo, c'était…

Rakell sourit et Neiryl imita son geste.

« J'aurais une meilleure idée » dit-il. « Que diriez-vous que je vous fournisse... »

Il se pencha tout prêt du visage du fonctionnaire et murmura quelque chose. Ce dernier écarquilla alors les yeux, d'abord de peur et ensuite de désir. Oui, Rakell savait qu'elle avait ferré le poisson.

0o0o0

Assise dans un fauteuil, elle regarda l'homme nu en face d'elle. Le Doppelgänger qui incarnait habituellement Tiervain Elbeo ne ressemblait plus à l'homme élégant aux cheveux gris et à la fine barbiche duquel il avait l'apparence encore quelques instants plus tôt. Son aspect n'était pas compatible avec les goûts de Gontas Alb Rhemo.

À la place se tenait donc une version de lui blonde, imberbe et aux formes plus arrondies, notamment la mâchoire. Cependant, Rakell n'était pas encore satisfaite.

« Plus jeune » dit-elle.

Le corps de Tiervain rétrécit. Il perdit sa masse musculaire et ses traits se firent plus fins et ronds. Il ressemblait à présent à un adolescent.

« Encore » dit Rakell.

Au fur et à mesure, par petites touches, le Doppelgänger continua à modifier son corps pour le rendre toujours plus jeune et plus conforme au désir de son Seigneur. Finalement, Rakell se leva et tourna autour du garçon qui se trouvait en face d'elle. Il n'avait pas l'air d'avoir plus de 10 ans. Elle le regarda d'un œil critique avant de parler à nouveau.

« Plus jeune » ordonna-t-elle encore.

Le Doppelgänger obtempéra. Encore. Finalement, Rakell sourit et hocha la tête à l'enfant de cinq ans.

« Il va t'adorer » dit-elle.

Elle fit un geste de la main et lui créa des vêtements appropriés à son âge et qui, elle savait plairait au fonctionnaire.

« Tu peux y aller à présent » dit-elle. « Et n'oublie pas, tu dois faire tout ce qu'il t'ordonne. »

« Il sera fait selon vos désirs, Maître Harddyn » dit le Dopplegänger.

Sa voix était celle d'un enfant, mais elle avait le sérieux et la sophistication de la créature adulte qu'elle était vraiment. Gontas voulait un enfant et il en aurait un. Avec lui, Tiervain aurait l'air d'un enfant, avec la voix d'un enfant et le comportement d'un enfant… mais Rakell serait la seule à savoir que ce n'était pas un véritable enfant. C'était tout ce qui comptait après tout.

Tiervain s'inclina avec son petit corps et sortit du bureau. Un carrosse l'attendait devant la propriété pour le mener chez le fonctionnaire. Grâce à cela, ils obtiendraient leur lettre patente le lendemain. C'était parfait. Non seulement ils avaient trouvé un fonctionnaire qu'ils pouvaient facilement corrompre, mais qu'ils pouvaient également faire chanter en le menaçant de révéler ses penchants.

Rakell, elle, resta assise dans son fauteuil en savourant sa victoire. Les choses avançaient. Bientôt, sa présence ne serait plus nécessaire ici. Les choses étant mises en mouvement, elle pourrait superviser de loin et s'occuper de ses propres affaires. Elle ne savait pas exactement ce que c'était encore, mais elle allait trouver.

Dans son dos, la porte s'ouvrit. Elle ne se retourna pas. Elle savait que c'était Neiryl. Celui-ci s'avança dans la pièce et s'approcha son épouse. Il se pencha en l'enlaça par-derrière, respirant la douce odeur de ses cheveux.

« Tu n'es pas humaine » dit-il après un moment.

Sa voix n'était ni en colère, ni joyeuse, ni triste, ni Inquisitrice. Il se contentait d'énoncer un fait.

« Non » répondit simplement Rakell.

Elle aussi ne faisait qu'énoncer un fait.

« Je le savais » reprit Neiryl. « Je pense que je l'ai toujours su. »

Rakell ne dit rien. Neiryl se redressa puis contourna le fauteuil pour se mettre face à elle. Il s'assit alors sur le sol puis enlaça les cuisses nues de son épouse.

« Je t'aime » dit-il, la tête posée sur ses genoux. « Je t'aimerais toujours. »

« Je sais » répondit Rakell en caressant ses cheveux.

« Je ne sais pas si c'est un sort que tu m'as jeté, mais je m'en fiche. »

« Je ne sais pas si ça peut te rassurer, mais je n'ai jamais utilisé mes pouvoirs sur toi pour que tu m'aimes. J'en avais l'intention, mais cela s'est avéré inutile. »

« Est-ce que tu m'aimes ? » Demanda alors Neiryl.

« J'ai de l'affection pour toi, mais je ne suis pas amoureuse. Je n'aime personne à l'exception peut-être de mon frère. »

Elle ne disait pas cela pour le blesser. C'était juste la vérité. Elle l'a lui devait, car son affection était réelle. Mais elle ne l'aimait pas comme on aime un humain. Comme tous les autres êtres autour d'elle à l'exception des habitants de Nazarick et en particulier de Ainz, ils n'étaient pour elle que des animaux de compagnie agréables, mais certainement pas des égaux.

« Est-ce que cela te fait moins m'aimer ? » L'interrogea-t-elle.

« Non » répondit presque immédiatement Neiryl. « Je te l'ai dit. Je suis tombé amoureux de toi. Quel que soit ce que tu es ou à quoi tu ressembles. »

« Vraiment ? » Demanda Rakell.

Quand elle dit ce mot, Neiryl vit le corps de son épouse se mettre à briller d'un éclat intense pendant quelques brefs instants. Puis soudain, il sentit quelque chose de différent. La peau qu'il touchait n'était plus celle qu'il avait l'habitude de toucher. Il leva le regard et ses yeux croisèrent des iris d'un vert scintillant qu'il n'avait jamais fait qu'entr'apercevoir une fois. Ils ornaient un visage qui lui était inconnu, magnifique, mais résolument masculin. Résolument inhumain également avec cette paire de cornes qui s'enroulaient sur les côtés de sa tête et pointaient ensuite dans sa direction.

« Lève-toi et regarde-moi ! » Ordonna l'homme.

Et Neiryl obéit parce que bien que cette voix ne soit pas celle de sa Rakell, il savait que c'était elle. Et donc, il lui obéissait. Debout sur le tapis, nu, il observait l'homme assis dans le fauteuil préféré de son épouse. Il regardait sa peau d'un blanc nacré, son torse plat et ciselé, ses ailes d'un noir de jais au niveau de ses reins et surtout le membre de chaire qui avait remplacé la fente accueillante de sa bien-aimée.

Harddyn se leva alors et se plaça devant son époux. Il avança vers lui jusqu'à ce que leurs corps se touchent. Neiryl sursauta quand le sexe flasque de l'autre homme effleura ses cuisses, mais ne bougea pas. Harddyn approcha son visage et posa ses lèvres sur celles de Neiryl. Celui-ci ferma les yeux pour tenter de retenir ses larmes.

« Est-ce que tu m'aimes toujours ? » Demanda Harddyn en chuchotant à son oreille.

Les larmes de Neiryl se mirent à couler sur ses joues.

« Oui » répondit-il quand même.

« C'est bien » dit Harddyn avec un sourire. « Je vais pouvoir t'amener quelque part. »

« Où cela ? »

« Chez moi. Dans le Grand Tombeau de Nazarick. »

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Et voilà. C'est le dernier chapitre de l'Arc 3. J'espère qu'il vous a plu. L'Arc 4 correspondra à celui de « Homme du Royaume » d'Overlord. Je sais plus quel nom je vais lui donner… si je lui en ai donné un (je sais plus).

Parler du système postal me rappelle quand je regardais les dessins animés de la série « Il était une fois… ». Dans celle sur les Explorateurs, il y avait tout un épisode sur la poste et la famille Tassis (appelé aussi Taxi). Ah… la nostalgie…

J'espère que je ne vous ai pas trop choqué quand Harddyn a envoyé Tiervain transformé en enfant de 5 ans à Gontas pour servir de pot de vin. Comme je l'ai dit dans le texte, Tiervain n'est pas vraiment un enfant. Tout comme pour Aryn dans le chapitre 6. Il n'y aura donc jamais de mention ou de description de sexe avec de vrais enfants. D'ailleurs, il n'y aura pas non plus de description de sexe avec des enfants même s'il ce ne sont pas des vrais.

Voilà, donc n'hésitez pas à me laisser des commentaires et je vous dis… à bientôt en fait, pour l'épilogue. Restez à l'écoute de vos mails, il arrive bientôt.