VORACITY I - New World

Arc 4 : L'Écuyer Contrefait

Chapitre 2

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Climb sursauta en voyant la personne qui l'attendait à l'extérieur de sa chambre. Après son entraînement, il était d'abord allé au réfectoire pour son petit déjeuner avant de retourner à ses appartements pour se changer. Comme d'habitude, personne ne lui avait parlé. Que ce soit les gardes attablés autour de lui ou les serviteurs dans les couloirs. Il était en quelque sorte persona non grata. Certes, il entendait bien quelques commentaires désobligeants sur son passage, mais il avait appris à les ignorer. Il ne pouvait pas risquer de causer un esclandre. Avec qui que ce soit. Hors de question de nuire à la réputation de sa maîtresse.

Il s'était donc habitué à cette existence solitaire où la seule personne à qui il adressait la parole de la journée était la Princesse Renner et parfois Gazef. Personne d'autre ne cherchait à avoir de contact avec lui. Et même eux ne seraient certainement pas nonchalamment appuyés sur le mur à l'extérieur de ses appartements… à l'exception d'Aliz.

« Salut ! » Dis la jeune fille avec enthousiasme.

« Qu'est-ce que tu fais là ? » Balbutia Climb, se remettant de sa surprise.

« Je t'attendais. »

« Pourquoi ? »

« Je ne sais pas. Pour discuter. »

Climb soupira. Il ne savait que penser de cette fille. Leur rang était équivalent et si elle venait de la même famille que le Baron Toldeyne, alors elle faisait partie de la Faction des royalistes qui était en quelque sorte également celle de la Princesse. Cependant, ça ne serait pas la première fois que certains membres de son propre camp tentaient d'approcher de Son Altesse Renner. Sauf que généralement, c'était des Nobles (parfois assez âgés) qui espéraient l'épouser pour élever encore plus leur position sociale et qu'ils ne passaient pas par lui. Il ignorait donc totalement pourquoi Aliz Jouvelon s'intéressait à lui de cette façon.

« Désolé » dit-il en commençant à partir. « Je n'ai pas le temps. Son Altesse Renner m'attend. »

« Attends ! » S'exclama la jeune fille en le rattrapant. « Je viens avec toi ! »

« Quoi ! » S'étouffa Climb. « Il n'en est pas question ! »

« Je n'ai jamais rencontré la Princesse Renner. En fait, je n'ai jamais rencontré de Princesse du tout. Ce sera ma première. »

« Mais tu ne peux pas la rencontrer comme ça ! Il faut demander audience auprès du palais pour ça. Et leur proposer un motif valable autre que le fait que tu n'as "jamais rencontré de Princesse" ! »

« Bah, tu n'as qu'à me présenter à elle. »

« Et qu'est-ce que je lui dirais quand elle me verra introduire une étrangère dans ses appartements privés ? »

« Tu n'as qu'à dire que je suis une amie. »

Climb se figea alors au milieu du couloir. Il ne savait pas ce qui le dérangeait le plus dans cette idée. Le fait d'avoir vraiment une amie, le fait d'utiliser ça comme prétexte, le fait que la Princesse constate qu'il ait une amie, une amie fille ou celui qu'elle remarque qu'il utilisait cette relation comme prétexte. Un rire cependant le sortit de son dilemme mental.

« Idiot ! » Dit Aliz avec une légère moquerie. « Bien sûr que je ne vais pas m'imposer avec toi chez la Princesse. C'est elle qui m'a invité. »

« Vraiment ? » Demanda Climb, incrédule.

« Elle m'a envoyé une missive peu de temps après mon arrivée pour me souhaiter la bienvenue. Elle m'a dit qu'elle comprenait la situation d'être une femme dans un monde d'homme et qu'elle serait ravie que nous prenions le thé ensemble à l'occasion. »

Cette invitation lui ressemblait bien. C'était la parfaite illustration de son cœur bon et attentionné. Elle était toujours prête à tendre la main aux faibles et aux opprimés. Elle avait de grandes idées pour le Royaume, malheureusement, étant une femme, elle était très peu écoutée. Cependant, certaines fois elle l'était. Et c'est pour cela que, grâce à elle, l'esclavage avait été aboli. C'était une révolution qui montrait quelle personne remarquable et soucieuse des autres elle était.

« Mais cela fait… euh… un mois que vous êtes au château, non ? » Se rendit-il soudain compte. « Vous n'avez pas encore répondu à son invitation. »

« Et bien… j'étais un peu mal à l'aise en fait. Je ne savais pas vraiment quel serait le moment idéal… »

La jeune fille avait les joues légèrement roses et détournait le regard. Elle se balançait d'avant en arrière en enroulant ses cheveux courts autour d'un de ses doigts. Elle était visiblement assez gênée. Climb ne put s'empêcher de trouver ça mignon. Il se secoua cependant à cette pensée. Non, la seule femme vers qui se tourneraient ses yeux serait toujours la Princesse.

« Mais si j'y vais avec toi, ce sera plus facile, tu ne crois pas ? » Reprit Aliz en fixant à nouveau Climb avec un regard intense.

« Sans doute » marmonna celui-ci.

Il était sûr qu'il rougissait et se maudit pour ça.

« Bon, ben… allons-y. D'accord ? » Balbutia-t-il en se détournant.

Dans son for intérieur, Harddyn ricana. Faire tourner Climb en bourrique était toujours aussi amusant. Cependant, il ne fallait pas abuser des bonnes choses. Il se contenta donc de le suivre dans la vieille forteresse de Ro-Lente puis dans le Palais de Valencia. Si la première était d'inspiration médiévale, avec une architecture de pierre brute, la seconde était plus raffinée. Harddyn l'aurait même plutôt comparé à un style Renaissance. De larges baies vitrées éclairaient des couloirs d'un blanc éclatant. Les murs étaient décorés de moulures et le sol de marbre lisse était recouvert d'un long tapis incarnat brodé d'or. Quoi de plus normal pour un endroit destiné à accueillir à la fois la famille royale, l'aristocratie et également tous les visiteurs étrangers.

Des Chevaliers en armures rutilantes montaient la garde à intervalles réguliers. Cependant, Harddyn savait que le sentiment de sécurité qu'ils devaient inspirer était plus ou moins factice. En effet, dans le Royaume, seuls les Nobles pouvaient être Chevaliers. C'était donc des deuxièmes ou troisièmes fils de Maison envoyés au palais pour faire leurs armes. Bientôt, Cedoric et Enan, ses "cousins", rejoindraient ce pseudo corps d'élite (si Harddyn le permettait). Mais bien entendu, ces Chevaliers n'avaient rien à voir avec ceux de l'Empire. Eux étaient des soldats de métier reconnus pour leur excellence. Des gens comme Gazef… ou Climb.

Il n'empêche que, conscient de leur devoir ou de leur rang, ceux-ci saluaient le jeune homme d'un hochement de tête quand celui-ci s'inclinait devant eux. En tant que gardes de la famille royale, ils étaient censés être dans le même camp. La moindre des choses était donc de garder une entente cordiale. Cependant, ce n'était pas le cas de tous les habitants du château.

Les servantes, par exemple, lui étaient particulièrement hostiles. La majorité ne faisait que grimacer en le voyant, mais les autres, les plus hardies, ne se gênaient pas pour lancer des commentaires désobligeants à mi-voix, juste assez fort pour qu'il les entende, mais pas assez pour être pris.

Leur assurance venait du fait que, contrairement à la plupart des servantes du Royaume, celle du palais de Valencia était issue de l'aristocratie. C'étaient toutes des filles cadettes ou des cousines de membres de la Noblesse, voire de la Haute Noblesse. Tous comme leurs frères venus faire leurs armes, elles venaient remplir leur devoir en servant au palais. Mais bien entendu, leur but premier était de trouver un époux, un bon parti de préférence.

Mais en attendant, elles demeuraient tout de même d'un rang social plus élevé que Climb. Mais comme elles n'étaient officiellement que servantes, l'étiquette voulait qu'elles s'inclinent devant lui, une blessure d'orgueil qu'elles ne lui pardonnaient pas. Le jeune homme, de son côté, comprenait parfaitement la situation et c'est avec stoïcisme qu'il acceptait leurs regards méprisants et leurs insultes.

Bien évidemment, ce n'était pas le cas d'Harddyn qui avait, lui aussi, son lot d'œillades mauvaises et de remarques. Mais les siens étaient plus des moqueries que des insultes. Après tout, ces filles de la noblesse étaient ici pour devenir des épouses et considérant son choix de « carrière » il était certain pour elles qu'Aliz Jouvelon ne se marierait jamais. La demoiselle Écuyère gardait cependant le sourire, mais c'était plus à la pensée de ce qu'elle leur ferait subir que par véritable entrain.

« Toi, je vais te tuer… toi aussi… toi, je t'arracherai la langue avec les dents pour ce que tu as dit sur Climb… toi, je vais te tuer… Toi, je vais t'arracher les yeux à la petite cuillère… toi, je vais te forcer à t'arracher les yeux à la petite cuillère et je te les ferai bouffer… »

Ses pensées sanguinaires devaient se saisir sur son visage, car au bout d'un moment, les servantes s'étaient mises à manifester une certaine peur dans leur regard. Fort heureusement, Climb, lui, marchait devant et ne voyait pas du tout l'expression de sa nouvelle amie.

Cependant, à force de circuler dans les couloirs, il était évident qu'ils finiraient par rencontrer quelqu'un d'important. Deux personnes en fait.

Celui qui marchait derrière était un homme grand, au visage allongé et légèrement émacié avec des cheveux blonds plaqués en arrière. Son regard semblait acéré et receler une certaine intelligence. Il s'agissait du Marquis Raeven, l'un des six Grands Nobles du Royaume. Un personnage éminent et puissant, mais dont le rang était cependant inférieur à celui de l'homme qu'il suivait.

Ce dernier était petit, rondouillard, avec un visage flasque, de petits yeux et des cheveux blond filasse. Son regard était aussi empreint d'intelligence que son associé, mais celle-ci semblait plus retorse. Il s'agissait rien de moins que de l'un des frères de Renner, le 2nd Prince, Zanac Valleon Igana Ryle Vaiself.

Bien évidemment, en les apercevant, Climb s'arrêta, se mit sur le côté et s'inclina, rapidement suivi par Aliz. Le Prince et son compagnon arrivèrent bientôt à son niveau et s'arrêtèrent.

« Tiens, mais ne serait-ce pas Climb ? » Demanda le premier avec emphase et un sourire sarcastique. « Tu rends visite au monstre ? »

Harddyn se retint de hausser un sourcil. Voilà une attaque bien directe. On aurait dit qu'il cherchait à provoquer Climb. Cependant, celui-ci resta très calme, plus que ce qu'Harddyn ne l'avait jamais vu être quand on parlait de la Princesse.

« Votre Altesse » répondit-il d'une voix assurée. « Permettez-moi d'affirmer que Dame Renner n'a rien d'une créature monstrueuse. C'est une jeune femme tendre et splendide que l'on pourrait considérer comme un trésor national. »

À ces mots, le Prince Zanac éclata de rire et Harddyn ne fut pas loin de l'imiter. Décidément, Climb était bien ingénu. C'était adorable. Cependant le plus intéressant, c'était que Zanac semblait parfaitement au courant de la nature déviante de sa sœur. Et au vu du manque de réaction du Marquis à côté de lui, celui-ci devait l'être également.

Bien entendu, Harddyn aurait pu aller faire un petit tour dans le cerveau des deux hommes pour voir ce qu'il en était. Toutefois en arrivant ici, il avait décidé de ne plus le faire. Ou plus aussi souvent. Cela rendait les choses trop faciles et pas amusantes du tout. Il préférait donc vraiment jouer au jeu de devinettes et des suppositions. C'était plus intéressant.

« Je ne me rappelle pas avoir précisé qu'il s'agissait de Renner » persifla Zanac de plus belle. « Mais si tu as compris, c'est sans doute parce que c'est que tu penses aussi au fond de toi. Cela étant dit, un « trésor ? C'est un peu exagéré, non ? Après tout, elle s'ingénie à proposer des idées qui ne seront jamais acceptées. À croire qu'elle le fait exprès. »

Harddyn vit Climb serrer les dents, mais il ne réagit pas à la pique. Oui, Zanac devait le faire intentionnellement. Il était probable qu'il cherche à faire s'emporter Climb pour avoir un prétexte de demander son renvoi.

« Je doute que ce soit le cas » répondit le jeune homme.

« La connaissant, je suis sûr que c'est le cas » se dit Harddyn dans son for intérieur.

« Donc tu ne vois pas le monstre en elle » ricana le Prince. « Soit tu es aveugle, soit c'est vraiment une bonne actrice. »

« Les deux. »

« Tu devrais peut-être commencer à te poser quelques questions, non ? »

« Pourquoi ferais-je ça ? » Demanda Climb en réponse à la question de l'autre homme. « Son Altesse Renner est l'un des êtres les plus exceptionnels du Royaume. Je n'en ai jamais douté et n'en douterai jamais. »

« Je vois, je vois » ricana le Prince. « Voilà qui est distrayant. Pourrais-tu lui transmettre un message puisque tu vas la voir ? Dis-lui que je la considère comme un outil politique et que si elle coopère avec moi, je la déshériterai et lui donnerais un domaine reculé et une rente pour qu'elle puisse vivre tranquille. »

« Votre Altesse doit plaisanter » répondit Climb avec un sourire forcé. « Un tel sujet n'est pas vraiment une conversation de couloir. »

« C'est bien dommage. Bien dommage. Dans ce cas, allons-y, Marquis Raeven. »

Il commença à s'éloigner avant de stopper une nouvelle fois.

« Ah oui. Maintenant que j'y pense. Le marquis aussi considère que c'est un monstre. C'est d'ailleurs cet avis commun qui nous a rapprochés. »

« Votre Altesse… » intervint l'homme.

« Allons, laissez-moi le prévenir » l'interrompit le Prince. « Écoute-moi, Climb. Je sais que tu n'es pas un fanatique sans discernement. Tu es un garçon intelligent, mais assez simplet sur les bords. C'est donc normal que tu te sois fait berner. Crois-moi, cette fille est un monstre. »

Harddyn vit Climb hésiter avant de reprendre.

« Votre Altesse, veuillez excuser mon impolitesse, mais pourquoi croyez-vous que la Princesse Renner est quelqu'un d'abominable ? Personne n'a plus à cœur qu'elle notre nation et son peuple. »

« C'est parce que pratiquement tous ses actes sont vains » répondit le Prince. « Ses agissements finissent trop souvent en queue de poisson. Au départ, je pensais qu'elle n'était tout simplement pas assez douée, mais ce n'est pas ça. Je l'ai compris lors d'une conversation avec le Marquis. En fait, tout serait calculé. En partant de là, tout prend sens et on s'aperçoit que cette femme recluse, sans lien apparent avec les Nobles parvient pourtant à manipuler la cour à sa guise. Monstrueux, non ? »

« Je pense que ce n'est qu'une coïncidence » répondit Climb. « Son Altesse Renner n'est pas ce genre de personne. »

« Au moins, j'aurais essayé » dit le Prince en haussant les épaules avant de partir.

À aucun moment de la conversation il n'avait fait attention à Aliz. Harddyn avait donc pu observer à loisir (et avec plaisir) le drame qui se jouait. Cependant, il était bien conscient que le Marquis Raeven, lui, l'avait vu. Il avait senti son regard le scruter pendant une bonne partie de la discussion. Il ne savait pas ce qu'il en avait réduit (il restait fermement persuadé de plus s'amuser sans savoir), mais il était clair que c'était un homme avec une grande acuité.

De son côté, Climb demeura quelques instants sans bouger à tenter d'évacuer sa colère. Au bout d'un moment, il prit une grande inspiration et reprit son chemin sans même accorder un coup d'œil à Aliz.

0o0o0

Un pied posé sur la base beaupré de son navire, la jeune fille regardait l'horizon, la main sur le front pour se protéger du soleil. Satisfaite, elle se pencha légèrement pour effleurer, comme elle le faisait, toujours les deux mains, l'une humaine, l'autre squelettique, qui semblaient soutenir le mât quasi vertical. Ce n'était qu'une apparence, car celui-ci était fermement fixé sous le pont, au niveau du gaillard d'avant. Hors de question de toute façon de faire porter un tel poids à l'impressionnante figure de proue du Nagalfr.

Celle-ci représentait un être à la fois magnifique est effrayant avec la beauté d'une femme d'un côté du corps et un squelette de l'autre. Selon Maître Harddyn, elle reproduisait une divinité de son monde, Hel, la Déesse des Morts. Cependant, ici, elle ne pouvait manquer de remarquer en cette dualité celle qui existait entre leurs deux souverains bien-aimés. D'ailleurs, que le visage de la figure ressemble un peu à Ainz et Harddyn était loin d'être un hasard. Elle l'avait fait resculpter par Wrath quelque temps auparavant et était particulièrement contente du résultat.

« M. Teach » dit-elle d'une voix calme à la personne qui se trouvait derrière elle sur le gaillard d'avant. « Veuillez sonner le rassemblement. »

« Oui, Capitaine » répondit simplement l'homme au corps massif et musclé qui arborait un torse nu barré de lanières en cuir avant de souffler dans un petit sifflet.

Du mouvement se fit alors entendre depuis les cales et sur le pont. La jeune fille se pencha sur la balustrade et regarda les différents membres de son équipage se mettre en rang face à elle. Elle fronça les sourcils. Ce qu'ils pouvaient être désordonnés. Certains tournaient sur eux-mêmes comme des poulets sans tête, ne sachant pas vers quel côté regarder, certains ne cessaient de changer de place et d'autres restaient au milieu. Elle allait devoir leur apprendre un peu plus de discipline. Après tout, c'était son équipage.

En effet, tout comme Shalltear avait ses Fiancées Vampire et Tyresia ses Voyantes Araignées qui lui servaient de Prêtresses, tous des Monstres invoqués, Aude-Lise Deaunnadieu avait son équipage Pirate. Un équipage assez hétéroclite puisqu'il était composé de Morts-Vivants, d'Elfes, d'Hommes-Bêtes, de Gobelins… et d'Humains comme par exemple, , son Second.

En effet, sur YGGDRASIL, les Humains pouvaient être considérés comme des « Monstres ». En vérité, ce terme réunissait toutes les créatures natives du système qui pouvaient attaquer le Joueur… et inversement que le Joueur pouvait attaquer. Quelle que soit leur Race, s'il pouvait les attaquer et les tuer, c'était des Monstres. Sinon, c'était des PNJ du système (c'est à dire non créé par les Joueurs ou faisant partie des défenses intégrées des bases de Guilde).

Quant au fait que ce soient des Pirates, cela venait du fait que, comme les joueurs qui pouvaient se rassembler en Équipes ou en Guildes, les Monstres pouvaient eux aussi se regrouper. Cela donnait donc des Pirates, des Bandits ou des Mercenaires. De plus, à l'intérieur de ces groupes, chacun pouvait avoir un attribut particulier (l'équivalent des Classes, mais chez les Monstres) : bretteur, archer, magiciens, etc.

Cependant, la particularité de l'équipage d'Aude-Lise était qu'il avait été invoqué par elle personnellement grâce à une capacité de sa Classe Supérieure, Capitaine Pirate, renforcée par sa Classe de Commandement Reine des Pirates. En tant que Capitaine, elle pouvait invoquer une troupe de Pirates de la même façon qu'Enri, au village de Carne, avait invoqué une troupe de Gobelins avec la Corne du Général Gobelin que lui avait donné Ainz après lui avoir sauvé la vie peu de temps après leur arrivée en ce monde. Cependant, en tant que Reine, c'est un équipage entier, composé d'espèces choisies au hasard, qu'elle pouvait amener à lui obéir.

Toutefois, c'était là que les similitudes avec YGGDRASIL s'arrêtaient. En effet, tout comme les Chevalier de la Mort d'Ainz, les Pirates d'Aude-Lise ne semblaient pas vouloir partir. Et comme les Gobelins d'Enri, ils avaient acquis une personnalité qui leur était propre. De plus, alors que sa Compétence d'invocation pouvait être utilisée une fois par jour, elle n'avait plus réussi à l'activer après avoir invoqué ses hommes. L'hypothèse qu'avait émise Harddyn était que c'était parce qu'elle disposait déjà d'un équipage. Donc elle ne pouvait en invoquer un autre à moins que tous les membres de celui-ci ne soient morts. Aude-Lise avait accepté la théorie, mais refusé de tenter de la vérifier. C'était son équipage après tout et elle l'aimait.

« Écoutez-moi, bande d'enfants de putain vérolée ! » Cria-t-elle d'une voix forte. « Si vous n'êtes pas en position dans 10 secondes, je vous fais tous nettoyer ce bâtiment de fond en comble avec votre langue ! »

Même si elle avait une étrange façon de le montrer.

En tout les cas, quand les dix secondes furent terminées, plus personne ne bougeait. Tous étaient presque au garde à vous en travers du pont sur trois rangs. Devant, il y avait les officiers, c'est-à-dire Miss Bonny, la Maitre-Canonnière et Second Lieutenant d'Aude-Lise près ainsi que , le Maître d'Équipage et également que les surnuméraires, , le Chirurgien (en fait un Mage avec des Pouvoirs de Soins), , le Coq et , le Cambusier (chargé de surveiller les réserves). Juste derrière eux se tenaient les matelots. Ils étaient sous les ordres directs de sauf quand celui-ci les mettait à disposition de la Maitre-Canonnière ou des surnuméraires pour les aider dans leurs tâches… enfin, en théorie.

Suivi de son premier Lieutenant, Aude-Lise descendit du gaillard d'avant et se mit à arpenter le pont en inspectant soigneusement ses gens. C'était amusant de voir ces marins endurcis presque trembler devant une gamine d'environ quinze ans, assez petite de surcroît.

La peau pâle, limite blême, la jeune fille avait un aspect lunaire. Son corps était fin, notamment son cou ce qui contrastait avec sa tête ronde qui semblait plus grosse que le reste. En vérité, ses petites lèvres fines, son nez retroussé et ses grands yeux gris perle aux reflets bleutés sans compter ses cheveux couleur ivoire jaunis ondulés et coupés au carré la faisaient ressembler à une poupée gothique…

… Une poupée habillée comme un pirate. Elle portait en effet une chemise de lin blanc à manches bouffantes et un gilet de satin noir brodé d'or cintré à la taille, une jupe plissée plus longue sur un côté et bordée de dentelle, des collants blancs et des souliers vernis à boucle d'or. Elle portait également plusieurs bijoux, quelques bagues massives, un collier, deux bracelets de cuir ainsi qu'une boucle d'oreille pendante décorée de laine, de perles et de plumes avec, au bout, un doublon d'or orné d'un crâne.

« Aujourd'hui, le soleil brille, c'est un jour idéal pour naviguer ! » Dit Aude-Lise après avoir fini son inspection (qu'elle avait ponctuée d'un « ça ira » grogné à contrecœur).

« Mais pour aller où, Capitaine ? » Demanda l'un des marins. « Elle est pas si grande que ça cette chambre. »

En effet, malgré le ciel au-dessus de leur tête et l'océan autour d'eux, ils se trouvaient bien dans les appartements de la Reine des Pirates à l'intérieur du Pavillon des 100. Bien entendu, l'ensemble était assez vaste. C'était un dôme d'environ 500 m de diamètre en majorité recouverte d'eau à l'exception d'une petite île avec sable blanc et cocotiers sur laquelle s'ouvrait la porte d'entrée. Tout comme le 6e niveau de Nazarick, la Jungle, les murs étaient pourvus d'une illusion qui faisait paraître l'espace infini, mais l'endroit restait tout de même trop restreint pour vraiment naviguer avec un gallon de plus de 100 m de long de la pointe du beaupré à l'extrémité de la lanterne du gaillard d'arrière.

« On va encore foncer dans une paroi, moi je vous le dis » dit un autre marin.

« Tais-toi ! » S'écria un troisième en le frappant dans les côtes. « Si jamais on abîme la figure de proue, le Capitaine va nous tuer. »

« C'est bien gentil, mais passer du temps à enrouler et dérouler des cordes et courir dans tous les sens pour aller nulle part, c'est pas mon truc. »

« C'est toujours mieux que les simulations de combats. J'en ai marre de me prendre des sabres au travers du corps. »

« Mais t'es un Squelette ! Ça passe entre tes cotes ! »

« Hey, les gars, et si on avait une petite partie de… vous savez quoi ? »

Le sourire graveleux et les gestes obscènes du Nain qui venait de parler étaient suffisamment équivoques pour que tous sachent de quoi il s'agissait.

« Ouais ! Partouze géante ! »

« Oh non ! » S'exclama le Squelette. « Marre des activités dont je peux pas profiter. »

« Oh aller ! On te laissera participer. »

« Comment ? En utilisant mes os longs comme jouet sexuel comme la dernière fois ? »

« C'était marrant ! »

« Vos gueules, bande de mouettes ! » S'écria alors Aude-Lise en tirant, d'on ne sait où sous ses jupes, un mousquet qu'elle pointa sur l'équipage terrifié.

Elle avait beau avoir l'air fragile, elle n'en était pas moins un PNJ de Niveau 100. Chaque coup de ses deux mousquets magiques pouvait arracher la tête d'un monstre de Niveau 50 ou raser une forteresse. Et c'était sans compter son mauvais caractère.

« Maintenant, on arrête de cancaner comme des poules et on se prépare à appareiller… »

« Youhou ! Aude-Lise ! » S'écria alors une voix forte qui venait d'au-delà du bastingage.

« Oh putain ! Tout le monde à terre ! » S'écria le Capitaine en se plaquant au sol suivi par son équipage au grand complet.

Elle se mit à ramper sur le pont jusqu'au parapet par-dessus lequel elle pouvait voir la plage.

« J'en étais sûr » grogna-t-elle en apercevant les trois silhouettes, une bleue, une rose et une verte, debout sur le sable.

« Vous croyez qu'elle a entendu ? » Demanda Lily-Rose.

« Peut-être pas » dit Anne-Claire avec sarcasme. « Tu devrais crier plus fort, Marie-Alice. »

« Youhou ! Aude-Lise ! On a amené de quoi pique-niquer ! » Cria une nouvelle fois cette dernière, encore plus fort.

« Toi et le second degré ça fait deux » remarqua la jeune rouquine en robe verte.

« Merci ! » La remercia l'autre.

« Elle devrait nous avoir entendus, cette fois, non ? » Demanda à nouveau la blonde aux yeux roses.

Comme pour répondre à sa question, il y eut soudain une détonation.

« Je crois, oui » dit Marie-Alice. « Et on dirait qu'elle veut jouer. »

Elle sortit de nulle part une énorme masse de métal clair paré de joyaux bleu brillant et s'en servit pour renvoyer le boulet de canon noir qui fonçait sur elles. Celui-ci décrivit une ellipse parfaite avant de se planter dans le mur illusoire de la chambre et d'exploser à cause de la magie qu'il contenait. Fort heureusement, ceux-ci étaient plus résistants que nature.

« Trop loin » chantonna Marie-Alice.

« Feu à volonté ! » Cria alors Aude-Lise.

Aussitôt, les trois rangées de canons du côté bâbord (1 sur le pont, 2 dans les cales) se mirent à cracher leurs munitions en continu sur les trois jeunes filles. Marie-Alice se jeta dans la bataille, rapidement suivie par Lily-Rose et Anne-Claire, la première armée d'un marteau de guerre et la seconde, d'une massue, les deux du même métal clair que la masse de leur sœur, mais décorée de cristaux roses pour l'une et verts pour l'autre.

Les trois armes étaient immenses, bien plus grandes que leurs propriétaires. Pourtant celles-ci les maniaient avec une étonnante facilité et une certaine dextérité. Étant des Guerrières de type Walkyrie, et en plus de Niveau 100, elles disposaient d'une force incommensurable qui leur permettait de renvoyer les boulets de canon aussi aisément que s'il s'était agi de volants de badminton.

« Mais atomisez-les, bande de moules ! » Criait Aude-Lise. « Feu ! Feu ! Feu ! »

« Mais on essaye, Capitaine ! » Geignit le canonnier le plus proche.

« Bande de bons à rien ! »

« On a plus de munitions, Capitaine ! » S'exclama alors Miss Bonny comme les derniers coups retentissaient.

« Bordel de merde, tout à l'abordage ! » Cria Aude-Lise en prenant son deuxième mousquet.

« Mais on va se faire tuer ! » Geignit un matelot.

« Tu préfères le supplice de la planche ? »

« À choisir, oui, y'a pas plus de trois ou quatre mètres de profondeur. »

« Roh, espèce de… à l'abordage, j'ai dit ! »

« Capitaines, elles ont disparu ! »

À ce cri, Aude-Lise scruta sur la plage et vit qu'effectivement, leurs cibles n'étaient plus là.

« Faites attention » dit-elle alors en chargeant ses mousquets. « Elles peuvent être n'importe où. »

Prudemment, la jeune fille recula en regardant de chaque côté. Elle était attentive au moindre son, au moindre frémissement d'air. Grâce à ses sens de Tireuse d'Élite, il n'y avait aucun risque que ces petites pestes la surprè…

« Coucou ! »

Avec un réflexe fulgurant, Aude-Lise se retourna et colla le canon de chacune de ses armes droit sur le front de Marie-Alice et Anne-Claire. Les deux jeunes filles ne bronchèrent pas le moins du monde. Lily-Rose, au milieu, se contenta de sourire et souleva le panier qu'elle tenait entre ses mains.

« Pique-nique ? » Demanda-t-elle.

Quelques heures plus tard, les Petites Filles Modèles étaient de retour dans les appartements de Jeanne-Elizabeth.

« Ah ! Vous voilà enfin ! » S'exclama celle-ci. « Alors ? Vous avez réussi ? »

« Oui, c'était très bon ce pique-nique ! » dit Marie-Alice alors que ses sœurs hochaient la tête.

« On a passé un super moment » rajouta Anne-Claire.

« Aude-Lise et ses amis en ont bien profité » dit à son tour Lily-Rose.

Le visage de la plus grande se figea et une veine se mit à battre sur sa tempe.

« Est-ce que par hasard vous aviez oublié que le but de cette opération était de ramener Aude-Lise ici pour le pique-nique ? … Pas le manger avec elle, chez elle ! »

Les trois jeunes filles regardèrent leur aîné pendant quelques instants avant de dire simplement.

« Oh… »

0o0o0

Au bout d'un moment, Climb arriva devant une large porte blanche aux motifs décorés à la feuille d'or. À l'intérieur, on pouvait entendre des voix féminines s'exprimer avec enthousiasme. Il posa la main sur la poignée, dans l'intention visible de l'ouvrir, mais, au dernier moment, il se figea en jetant un regard à Aliz. À la place, il frappa délicatement, le métal de son gantelet produisant un bruit clair.

Les voix se turent.

« Entrez ! » Dis finalement quelqu'un après un moment.

Climb souffla puis abaissa la poignée tout en poussant le panneau de bois richement orné.

« Climb ! » S'écria alors une voix mi-joyeuse, mi-réprobatrice. « Tu m'avais pourtant promis de ne plus frapper et de rentrer directement. Est-ce que j'aurais fait quelque chose qui t'aurait amené à penser que tu n'étais pas toujours le bienvenu dans mes appartements ? Je t'en prie, dis-moi ce que c'est et je ferais tout pour me faire pardonner. »

« N...Non, Princesse Renner » balbutia Climb en rougissant. « Vous n'avez rien fait. Rien du tout. Au contraire. C'est juste que comme je n'étais pas seul, j'ai préféré frapper pour ne pas vous déranger. »

« Oh ? Alors tu amènes quelqu'un dans les appartements de ta maîtresse, mon petit Climb ? » Dis la seconde femme dans la pièce avec moquerie. « Tu es devenu bien téméraire. »

« Oh ! Non, Dame Aindra » se défendit celui-ci en rougissant de plus belle. « Je sais que la Princesse lui a donné la permission de passer… enfin… »

Il était gêné. Et si c'était faux ? Et si Aliz l'avait manipulé pour qu'elle puisse voir sa maîtresse sans invitation. Bien entendu, Dame Renner ne chasserai jamais personne, mais elle lui en voudrait durement d'avoir introduit une opportuniste dans ses appartements.

« Oh, vraiment ? » Demanda Renner. « Je suppose qu'il s'agit de la Demoiselle Aliz Jouvelon. »

Climb souffla de soulagement et se déplaça pour laisser passer la jeune femme.

« Votre Altesse Renner, c'est un grand honneur pour moi de vous rencontrer » dit Aliz en s'inclinant avec aisance. « Je suis Aliz Jouvelon. Du Clan Toldeyne. Écuyère à la cour. Je vous rends grâce de votre invitation. »

La Princesse aux longs cheveux dorés et aux yeux bleu éclatant courba légèrement son cou de cygne immaculé pour saluer la jeune fille.

« Tout l'honneur est pour moi Écuyère Jouvelon » dit-elle. « C'est un plaisir de rencontrer une jeune femme aussi courageuse que vous. »

« Une femme Écuyer ? » Intervint la seconde personne présente. « Voilà qui est rare. Inédit même. En tout cas au Royaume. »

Il y avait un soupçon de sarcasme dans sa voix, mais c'était principalement de l'intérêt qu'on entendait. C'était une femme d'âge mûr avec des cheveux mi-longs d'un blond plus soutenu que ceux de Renner et des yeux verts. Habillé d'une robe luxueuse, on pouvait sentir une certaine noblesse dans son attitude. Cependant, elle semblait aussi extrêmement décontractée alors même qu'elle se trouvait en présence d'une Princesse.

En la voyant, Harddyn se retint de faire une grimace. Il l'avait déjà rencontrée. C'était cette nuit-là, il y a quelques jours, alors qu'elle et son groupe avaient détruit des plantations de drogue. Il la détestait toujours autant, mais il était préférable qu'elle ne s'en rende pas compte. Pas tout de suite en tout cas.

« Oh ! Je suis désolé Lakyus, j'en oublie mes manières. Je te présente donc Aliz Jouvelon, un membre du Clan Toldeyne. Elle est L'Écuyère des Sires Cedoric et Enan. »

« Les Toldeyne, hein ? » Remarqua la dénommée Lakyus. « Le Clan est assez vaste. Le vieux Baron est quelqu'un de très… productif. »

« En effet, Ma Dame » dit Aliz avec un grand sourire. « Personnellement, je suis la petite fille de la cadette de sa première femme. »

« Je… je vois » balbutia Lakyus qui essayait de se représenter la chose.

« Écuyère Aliz, je voudrais vous présenter Dame Lakyus Alvein Dale Aindra » reprit Renner.

« De la très Noble Famille Aindra ? » Demanda Aliz avec des étoiles dans les yeux.

Les cousins Cedoric et Enan avaient été… parfaitement inutiles pour connaître le contexte politique du Royaume. Fort heureusement, pour que son nouveau personnage soit crédible, Harddyn avait fait un petit tour au domaine Toldeyne. Pour tout le monde là-bas, Aliz Jouvelon était une personne réelle. Elle était aimée par sa famille et ses amis, respectés par les serviteurs et les gardes ainsi que par les sujets du Baron. Bien entendu, il en avait profité pour fureter dans les têtes de-ci, de-là, afin que lui-même soit crédible dans son rôle. Grâce à cela, il en avait encore appris beaucoup.

Apparemment, la famille Aindra ne faisait pas partie du groupe que l'on appelait les Six Grands Nobles. Cependant, c'était une maison extrêmement respectée et influente dont l'un des ancêtres avait fait partie des Treize Héros qui avaient défait les Divinités Maléfiques. La dénommée Lakyus faisait partie d'une branche principale, mais avait fui de chez elle pour devenir Aventurière comme l'un de ses oncles. Grâce à cela, elle était à présent à la tête des Roses Bleus, l'une des plus puissantes équipes d'Aventuriers du pays… et c'était une voleuse.

« Dame Aindra est une grande amie de Son Altesse » rajouta Climb avec une espèce de fierté.

« Allons, Climb, je t'ai dit que tu pouvais m'appeler Lakyus, non ? » Fit la femme sur un ton taquin.

« Je fais une exception juste pour toi, tu pourrais en profiter. »

« Allons, Lakyus, ne pousse pas la plaisanterie trop loin » lui dit Renner.

« Désolé. Mais Climb est bien trop sérieux. Ça donne envie de la taquiner » dit la femme avec un léger rire.

« C'était une plaisanterie ? » Demanda Climb, au grand amusement de celle-ci.

« Évidemment » dit-elle. « Je ne vais pas voler son Climb à Renner. »

Le rougissement de la Princesse déclencha à nouveau l'hilarité de l'Aventurière.

« Réaction de puceau » dit alors une voix qui semblait provenir de nulle part.

Les mains de Climb et Aliz se déplacèrent subitement vers la garde de leur épée alors qu'ils se tournaient dans la direction de la voix. Une personne était accroupie par terre dans un coin d'ombre. Elle était vêtue d'une tenue moulante noire et paraissait se fondre dans les ténèbres.

« Qu'est-ce que… » s'exclama Climb en se plaçant entre l'intruse et Renner.

« Je crois que ta posture les a surpris » dit nonchalamment Lakyus en s'adressant à la jeune femme.

« Compris, Boss » répondit celle-ci en se relevant d'un bond.

« Désolé pour elle. Il s'agit de l'un des membres de mon équipe. Je pense que tu ne la connais pas non plus, Climb. »

« C'est Tina, n'est-ce pas ? » Demanda Renner alors que la jeune fille s'inclinait devant les deux arrivants.

Climb retira alors la main de la fusée de son épée et s'inclina en retour devant elle.

« Pardonnez mon impolitesse » dit-il. « Enchanté de vous rencontrer. Je me nomme Climb. »

« Mm. T'en fais pas » dit Tina.

À ce moment-là, elle jeta un nouveau coup d'œil à Aliz, et plus particulièrement au baudrier qui ceignait sa taille. Lakyus fit de même.

« On t'a autorisé à porter une épée » remarqua-t-elle. « Je suppose que tu sais t'en servir. »

« Le Capitaine de Guerrier ne tarit pas d'éloges sur son talent » intervint Renner.

« Disons que je me débrouille » dit Aliz sur un ton gêné.

« Si c'est le Capitaine Stronoff qui le dit, alors c'est que ça doit être vrai » dit Lakyus d'une aire calculateur. « Si jamais tu en as assez de ces bœufs du château qui ne savent pas reconnaître le talent, tu pourrais peut-être rejoindre mon équipe. »

« Tu peux toujours crever, pétasse ! » S'écria alors Aliz d'une voix forte.

Cependant, malgré l'insulte, Lakyus ne réagit pas. Ni Climb. Ni même Tina. En fait, aucun d'eux ne bougeait… à l'exception de Renner. Avec un sourire énigmatique, la jeune femme versait du thé dans une tasse vide près d'elle. Harddyn s'avança parmi les personnes figées, s'approcha de la table et s'assit lourdement sur une chaise. Renner poussa alors la tasse vers lui.

« Je me doutais que tu me reconnaîtrais » dit-il en la prenant.

« C'était plutôt facile » dit la Princesse. « La cadette de la première femme du Baron n'a qu'une seule petite fille et c'est encore un nourrisson. Mais bien sûr, je dois être la seule à le savoir. »

« Heureux de te revoir, Renner » dit Harddyn avec un sourire.

« Moi de même, Taliesin » répondit celle-ci avec la même expression.

« Je pense que maintenant tu as gagné le droit de m'appeler par mon nom. »

« Je le ferais avec plaisir si je le connaissais » dit nonchalamment la Princesse en buvant une gorgée de thé.

La jeune fille en face d'elle se leva alors et se pencha vers son interlocutrice.

« Harddyn… Emeryas… »

En disant ces mots, une sorte de voile sembla se déchirer quelques instants et Renner put admirer la véritable apparence du Maître de la Mort. Son expression, cependant, ne changea pas le moins du monde.

« Harddyn… » répéta-t-elle simplement. « Tu as mis le temps pour venir me voir. »

« Ça rentrait mieux dans mon personnage » répondit celui-ci en haussant les épaules. « Et puis ça m'a permis de revoir Climb seule à seule. Il est toujours aussi craquant. J'aurais presque envie de… »

« Attention, Harddyn. Si tu le touches, je serais dans l'obligation d'essayer de te tuer. »

Elle semblait ne se faire aucune illusion sur l'impossibilité d'y arriver. Pourtant, elle paraissait prête à le faire, quitte à mourir elle-même. Question de principe sans doute.

« Ne t'inquiète pas » dit alors Harddyn. « Je ne vais pas prendre le risque de perdre une amie intéressante pour un garçon. Ce serait dommage. »

Il prit sa tasse et but une gorgée de son thé. Il était brûlant, mais sa Compétence Passive [Immunité aux Variations de Température] était toujours active si bien que cela ne lui faisait littéralement ni chaud ni froid.

« Cela ne posera pas de problème de les laisser dans cet état ? » Demanda finalement Renner. « Si nous discutons trop longtemps, n'y aura-t-il pas de décalage pour eux ? »

« Aucun risque » répondit simplement Harddyn. « Je ne les ai pas figés, j'ai stoppé le temps pour l'intégralité du monde. Enfin normalement. »

C'était l'un de ses Sorts du Niveau 12, ceux qui lui étaient exclusifs. Il était tout de même assez déçu que Renner ne soit pas un peu plus impressionnée que ça. Pétasse. Elle était presque pire que lui. C'est pour ça qu'il l'adorait.

« Tu n'as donc pas à t'inquiéter. Cette salope vérolée ne. Se. Ren. Dra. Compte. De. Rien » dit-il en tapotant méchamment la tête de la femme à chacune de ses syllabes.

« Tu n'as pas l'air de beaucoup l'aimer » remarqua Renner.

« Ce n'est pas que je ne l'aime pas, c'est surtout que je la hais profondément » répondit Harddyn avec un sourire avant de regarder Lakyus avec un désir malsain. « Je suis en train de me demander quel supplice je pourrais lui faire subir pour lui faire expier son crime. J'hésite encore entre lui couper bras et jambes et la laisser comme ça pour l'éternité ou bien la faire violer par toute une armée déchaînée… ou alors les deux en même temps. »

Puis il se tourna vers Renner.

« Oh pardon. C'est ton amie, je crois. »

« Plus un pion utile et amusant à regarder » dit pensivement la Princesse. « Ce serait gênant si elle venait à disparaître, mais je m'en remettrai. »

« Tant mieux. »

« Qu'a-t-elle fait pour mériter une telle haine ? » Demanda Renner.

« C'est une voleuse » répondit Harddyn.

« Ça ne lui ressemble pas. Elle est droite et loyale jusqu'à l'écœurement. »

« Elle ne le sait pas en fait. Mais qu'importe. »

Le regard d'Harddyn se fit alors plus sombre.

« Killineiram » dit-il simplement.

« L'épée d'Aindra ? Celle qui appartenait au Chevalier Noir, l'un des Treize Héros ? »

« Elle était à moi auparavant. »

« Vraiment ? »

« C'était il y a longtemps. »

En fait, cela datait même d'avant qu'il ne soit Harddyn Emeryas, celui de la Guilde d'Ainz Ooal Gown. L'avatar qu'il avait incarné juste avant, l'Ange Déchu Belphégor Ik'Baal, avait été tué par traîtrise par des Francs-Tireurs et son épée avait été volée. Comment elle avait atterri ici, c'était un mystère. Harddyn était persuadé que certain des Treize Héros, ou au moins un, avaient été amené dans ce monde par la Mort depuis YGGDRASIL. Peut-être qu'ils faisaient partie de ceux qui l'avaient tué ou peut-être que son arme avait seulement été revendue et qu'elle était en possession du ou des Joueurs quand ils avaient débarqué.

Mais tout cela n'avait pas d'importance. En ce moment, c'était Lakyus Alvein Dale Aindra qui possédait la lame. Elle en devenait ainsi le réceptacle de toute la colère d'Harddyn et allait donc payer un de ces jours.

« Ça a l'air charmant » dit Renner.

Impossible de savoir si c'était sincère ou ironique.

« Tiens, au fait » dit alors Harddyn. « Je me rappelle. Climb et moi avons croisé ton frère en venant. Zanac. »

« Je suppose qu'il a encore fait des remarques. »

« Ton petit toutou a été très obéissant et très loyal » ricana Harddyn.

« Je l'ai dressé pour ça » répondit Renner avec un sourire.

« D'ailleurs, je voudrais vérifier quelque chose. Bon, d'un côté, il sait que tu es un monstre et son ami Raeven aussi. Mais ça je suppose que tu es déjà au courant. »

Renner se contenta de continuer à sourire.

« D'ailleurs, il a essayé d'en persuader Climb, mais comme tu dois t'en douter, sa foi en toi est totalement inébranlable. »

À nouveau, la Princesse se contenta de sourire.

« Par contre, comme argument, il a dit que tu faisais exprès de faire en sorte que tes projets tombent à l'eau. Vu que je ne pense pas que tu sois du genre à faire des choses pour rien, j'imagine que c'est pour Climb que tu le fais. »

« Bien entendu. »

« En entreprenant de grandes actions altruistes, tu lui fais croire au mythe de la Princesse parfaite et qui aime son peuple. Mais en même temps, vu que tu méprises tous les gens de ce Royaume, tu ne veux pas qu'ils profitent de ton intelligence alors tu te sabotes. Bien entendu, de temps en temps, il faut bien que tu arrives à tes fins pour renforcer la fidélité de Climb et c'est pour ça que tu as fait interdire l'esclavage. »

Renner se mit à applaudir doucement.

« C'est parfait » dit-elle. « Tu as tout compris. Je ne sais pas si je dois m'enthousiasmer sur ta perspicacité ou me sentir vexé d'être aussi facilement prévisible. »

Son sourire s'agrandit presque jusqu'à ses oreilles alors que son regard se faisait plus animé.

« Cela fait longtemps que j'ai décidé qu'aucun ne méritait que je fasse quoi que ce soit pour eux. »

« Je vois » dit Harddyn avec un sourire. « Et moi ? Tu ferais quelque chose pour moi ? »

« Peut-être. Si j'en retire quelque chose. »

« Je peux faire en sorte que tu ais Climb à toi toute seule pour toujours. »

« J'accepte » répondit immédiatement Renner.

« Même si ça peut impliquer la destruction du Royaume ? »

« J'accepte » répéta Renner presque encore plus rapidement.

Le sourire d'Harddyn s'agrandit.

« Je n'en attendais pas moins de toi » dit-il.

Il se leva et se dirigea vers l'endroit où il se trouvait auparavant.

« Je vais en discuter avec mon partenaire. Cependant, je ne crois pas que ça pose problème. Je pense que je vais disposer un serviteur auprès de toi pour nous servir d'agent de liaison. »

« Et pour me surveiller si besoin est. »

« Oui aussi. »

Il se remit exactement dans la position dans laquelle il était avant de stopper le temps et interrompit son Sort.

« Vous me flattez Dame Aindra » dit alors Aliz avec gêne. « Mais je ne crois pas vraiment être au niveau… »

« Si c'est ce que tu penses » dit Lakyus en haussant légèrement les épaules.

« On dirait que nous nous sommes écartés du sujet principal » dit soudainement Renner.

« Ah oui. L'agriculture c'est ça ? »

« L'agriculture ? Vous avez vraiment ce genre de discussion ? » Demanda mentalement Harddyn à Renner.

« J'essayais de lui expliquer en quoi la culture simultanée de 4 types de plantations différentes pour augmenter les rendements, à la fois des récoltes et de l'élevage. »

« Ah oui, un plan de culture quadriennal. J'ai fait ça dans le Village de Carne. Ils étaient subjugués. »

« Tu as eu plus de chance que moi. Je n'ai fait qu'en discuter avec Lakyus et déjà elle trouve que six années avec un rendement de seulement 80 %, ça n'en vaut pas la peine, même si, après cela, il serait 30 % supérieur à la normale. Les Nobles, quelle que soit leur faction, ne l'accepteraient pas. Encore moins s'ils doivent payer de leur poche les 20 % manquant pendant ces six années. Même avec un remboursement. »

« Oui, j'ai remarqué que les Nobles du Royaume se comportaient comme de petits industriels avides. Ils ignorent qu'il faut dépenser de l'argent pour en gagner. En plus, même sans profits futurs, c'est tout de même leur devoir de s'occuper du peuple en augmentant la nourriture disponible, non ? »

« Tu comprends pourquoi je les méprise autant. »

« Ma pauvre… »

« Non, Lakyus, je parlais de notre autre sujet. Les Huit Doigts. »

L'Aventurière reprit alors une expression sérieuse et jeta un coup d'œil à Aliz.

« Je ne suis pas sûr que cette discussion soit… »

« Je pense qu'on peut lui faire confiance » l'interrompit Renner. « Je crois fermement qu'Aliz ne fera rien pour me porter préjudice. »

C'était une réponse subtile. Bien entendu, Aliz, ou plutôt Harddyn, ne ferait rien contre son amie et probablement futur agent. Et Climb était protégé puisqu'il était son paiement. Cependant, elle n'avait rien dit pour tout le reste.

De son côté, Harddyn avait tendu l'oreille à la mention des Huit Doigts. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour déduire que l'araignée citée dans la prophétie de Tyresia, celle aux huit pattes avides désignait cette organisation criminelle qui, dans l'ombre, aspirait les forces vitales du Royaume. Après son infiltration, il avait donc commencé ses recherches et appris certaines choses à leur sujet.

C'était comme ça qu'il s'était retrouvé quelques nuits auparavant en bordure de ce village où il avait rencontré pour la première fois Lakyus. Il ignorait son nom à l'époque. Ou qui elle était. Cependant, avec ce qu'il savait maintenant, il pouvait dire avec certitude qu'elle la Sainte aux Roses d'Azur de la prophétie et que Renner était, bien sûr, la Princesse d'Or. Cela voulait donc dire que cette réunion était en fait une préparation de l'assaut à donner contre « l'araignée » qu'étaient les Huit Doigts.

Raison de plus pour rester.

« Si tu es sûr de ça » dit Lakyus, toujours légèrement tendue.

« Laisse-moi deviner. Encore une tentative pour impressionner Climb ? »

« Oui, plus ou moins » répondit Renner. « Bien sûr, comme je n'ai pas de soutien puisque la plupart des Nobles sont en cheville avec eux, je dois passer par Lakyus. Son amitié m'est très utile. »

« Je vois. »

« Est-ce que ça te contrarie ? Je peux faire échouer le projet plus vite s'il le faut. »

« Non. Tant que le but final est juste de les affaiblir, ça sert mes plans. On profitera de leur état pour les annexer et les remanier. Ils auront l'air d'avoir disparu, mais nous allons en fait étendre leur influence. »

« Ça me convient. »

Lakyus tendit la main vers Tina. Celle-ci ouvrit la sacoche qu'elle portait à la taille et en sortit plusieurs parchemins qu'elle transmit à sa cheffe.

« On en a trouvé plusieurs comme ça sur les lieux » dit-elle en les tendant à son tour à Renner. « C'est codé, mais comme on s'est dit que ça pouvait être des directives, on a préféré les récupérer. Tu arrives à y comprendre quelque chose ? »

Renner étala les papiers sur la table devant elle et se mit à les examiner. Sur chacun, on pouvait voir des lignes et des lignes de symboles géométriques étranges. À première vue, c'était un chiffrement par substitution.

« On a cherché d'autres documents qui auraient pu contenir la clé pour l'interpréter, mais il n'y avait rien. Ils doivent probablement l'apprendre par cœur. On pensait essayer un Sort d'envoûtement sur l'un des prisonniers qu'on a fait, mais tu sais que ce genre de Magie devient moins efficace s'il est utilisé plusieurs fois par la même personne. »

Ça, c'était une information intéressante. Ce type de limitation n'existait pas sur YGGDRASIL. La réussite dépendait de la différence entre la Stat de Volonté de l'émetteur et le Niveau général du Monstre ou la Stat de Résistance mentale du Joueur sur lequel il était lancé. Ce phénomène devait sans doute être dû à une accoutumance. Le Sort devait synchroniser les ondes cérébrales de la cible avec celle de la victime, mais à force d'utilisation, celles-ci devaient s'adapter pour résister au changement.

« C'est pour ça que j'ai préféré t'en parler d'abord, pour garder cette option en dernier recours. »

« Je vois… » dit pensivement Renner. « Je me demande pourquoi ils ont laissé de tels documents là-bas. Est-ce que ça pourrait être un piège ? Si c'est le cas alors, il faudrait un code qu'ils soient sûrs que l'on puisse briser facilement. Celui-là, à l'air assez simple en fait… »

Une expression d'étonnement passa sur les visages de Lakyus et Tina. Apparemment, ni l'une ni l'autre ne pensait que ce code soit vraiment « facile ». Pourtant elles semblaient confiantes dans les capacités à Renner de le résoudre.

« S'il s'agit de la langue du Royaume, alors la première lettre doit être un article. Masculin, féminin ou neutre. »

Grâce à ses nombreux voyages dans les cerveaux d'habitants de ce monde, Harddyn avait à présent des connaissances assez poussées de la langue pour arriver à déchiffrer le message. Apparemment, chaque lettre avait son propre signe. Si la première était connue, il suffisait de remplacer les symboles identiques puis d'utiliser quelques règles logiques de grammaire pour deviner quelques mots afin de remplir le tableau de correspondances. Une fois celui-ci complet, le reste du décodage se faisait presque sans effort.

« Attends, c'est facile à dire ça » objecta Lakyus après que Renner lui ait expliqué cela. « Mais si on ne connaît pas des milliers de mots, c'est impossible. »

« On n'est pas obligé d'en connaître des milliers » intervint Aliz.

Tout le monde se tourna alors vers elle.

« Et bien… en fait… ce sont des ordres, non ? » Balbutia-t-elle, gênée de l'attention soudaine. « Cela réduit le champ des possibilités. Sans compter que s'ils concernent les plantations dont vous avez parlé, cela vous fournit un contexte qui le réduit encore. Et puis, ces malfrats ne doivent pas être des érudits, donc le vocabulaire doit être assez simple, vous ne croyez pas ? »

« C'est exactement ce que j'allais dire » dit Renner avec un sourire.

Lakyus, de son côté, regardait la jeune fille d'un œil calculateur.

« Autant chez la Princesse ça ne me surprend pas, autant je ne m'étais pas attendu à un tel degré d'intelligence chez une Écuyère. »

« C'est juste du bon sens, voyons » dit Aliz, gênée.

Non, mais vraiment, de la simple logique de bas étage, pensa Harddyn en son for intérieur. Sérieusement, ils sont tous attardés du bulbe ou quoi ?

Se retenant de soupirer de frustration, il préféra se concentrer sur le code. Renner allait vite pour le déchiffrer. Presque aussi vite que lui. Il lui fallut cependant une minute de plus que lui avant de terminer son tableau de correspondance.

« Par contre, ce ne sont pas des ordres » ajouta-t-elle.

En effet, c'était principalement des noms de lieux. Tous étaient dans le Royaume et sept d'entre eux au sein même de la capitale. La probabilité que ce soit un piège était somme toute faible. Toutefois, il n'était pas à exclure que ces documents eussent vraiment été laissés à l'attention des Roses Bleues.

Il faut dire que, malgré leur apparence d'organisation uniforme, les différentes branches des Huit Doigts n'étaient pas forcément unies. C'était plus des groupes disparates qui collaboraient les uns avec les autres… la plupart du temps. Sept adresses, sept branches. On pouvait dire que la Division du trafic de drogue indiquait à ses adversaires où trouver ses concurrents. Enfin, "concurrents", c'était vite dit. N'ayant pas du tout les mêmes secteurs d'activité, il était totalement aberrant aux yeux d'Harddyn qu'ils ne coopèrent pas plus.

À ce moment-là, le mot « maison de plaisir » survint dans la conversation. Apparemment, la Division du trafic d'esclave gérait également certaines d'entre elles parmi les plus "underground". Pour qui y mettait le prix, il était possible d'y assouvir ses instincts les plus bas. Après tout, ceux qui y travaillaient n'étaient que de la marchandise. Certes, le trafic d'esclave était à présent illégal, mais cela n'avait jamais empêché certains marchés parallèles. L'approvisionnement en chair fraîche devait être plus difficile, mais certainement pas inexistant.

C'était surtout vrai à cause des alliances entre le milieu et les différents nobles du Royaume. Tout comme certains permettaient à la Division de trafic de drogue de créer des plantations sur leurs terres, d'autres étaient en cheville avec le reste de l'organisation. Soit comme actionnaire, soit comme client (ou les deux). C'est pour cela qu'il était difficile à la Princesse d'obtenir des résultats. Non seulement elle était court-circuitée parce qu'elle était une femme, mais également parce que beaucoup de ses adversaires ne voulaient pas voir leurs intérêts disparaître.

« Dis, Renner » intervint finalement Lakyus. « Puisqu'on ne peut pas enquêter, ne pourrions-nous pas infiltrer les lieux et les démasquer ? Tant que nous trouvons des preuves, ça ne posera pas de problème, si ? Si la Division de traite d'esclave gère vraiment cette maison de plaisir, son démantèlement serait un autre coup dur pour eux. Et puis selon ce que l'on obtiendrait en fouillant là-bas, cela nous donnerait un bon moyen de pression contre les Nobles impliqués. »

Coercition et chantages ? Zut, la voleuse remontait dans l'estime d'Harddyn.

« Peut-être… » répondit pensivement Renner. « Seulement, agir de manière aussi directe ne risque-t-il pas de causer des problèmes à la famille Aindra ? Ce serait compliqué… Et il en serait de même en déployant les Roses Bleues. Le mieux serait que ce soit quelqu'un d'autre qui intervienne. Malheureusement, Climb est incapable de détruire l'établissement à lui seul. »

« Je vous prie de pardonner mon impuissance » dit alors ce dernier en baissant la tête.

On aurait vraiment dit un chien triste à ce moment-là. Tellement mignon et vulnérable.

« Excuse-moi, Climb » dit Renner en lui prenant la main. « Je ne voulais pas donner cette impression. C'est la seule maison de plaisir de la capitale. Elle doit donc être extrêmement protégée. Personne ne pourrait s'en occuper seul. Tu es la personne en qui j'ai le plus confiance. Je sais à quel point tu te démènes pour moi. Mais, je t'en prie, ne fais rien de téméraire. Ce n'est pas une requête, c'est un ordre. S'il t'arrivait malheur, je… »

Harddyn ne put qu'être admiratif face à la performance d'actrice de Renner. Le larmoiement de ses yeux, c'était du grand art. À leur expression, même Lakyus et Tina étaient bernés touchés par la fausse sollicitude de la Princesse.

« Ne vous inquiétez pas, Votre Altesse » intervint-il alors avec la voix claire d'Aliz. « S'il venait à arriver quelque chose, je serais là pour couvrir ses arrières. »

La jeune femme s'avança et posa une main sur son cœur.

« Il ne sera pas dit qu'un membre du Clan Toldeyne faillira à seconder la couronne. Par votre attitude, vous êtes plus digne que n'importe qui de représenter notre Royaume. Ce serait un honneur pour moi de vous prêter main-forte à vous et à votre Chevalier. »

Il savait que ses yeux brillaient comme des étoiles. Lui aussi était capable d'enflammer les foules avec ses mensonges.

« Merci Écuyère Jouvelon » répondit Renner. « Savoir qu'une lame telle que la vôtre puisse se trouver au côté de mon cher Climb me remplit de bonheur. Sachez que vos efforts ne seront ni vains, ni oubliés. »

« Peu m'importe les récompenses tant que je peux vous servir et servir le Royaume, Votre Altesse. »

« Dans ce cas, Climb est chanceux d'avoir une amie telle que vous, Aliz. »

Lakyus regarda la scène qui se déroulait devant elle. Renner souriait, son petit Chevalier était écarlate tandis que la nouvelle recrue dévisageait la demoiselle en face d'elle avec des étoiles dans les yeux. Apparemment, le charme de la Princesse d'Or avait encore frappé. Cependant, comme la situation semblait au point morte, elle se décida à intervenir.

« Heum. L'enquête que nous avons menée nous a aussi permis d'obtenir plusieurs noms liés au trafic d'esclave. L'un d'eux en particulier est souvent répété. Cocco Doll. Peut-être le chef. Il y a également plusieurs Nobles, mais aucune de ces informations n'a vraiment été confirmée. »

« La fille de celui-là travaille pour moi » dit Renner en entendant l'un des noms de la liste.

« Elle a peut-être été envoyée auprès de toi pour t'espionner » fit remarquer Lakyus. « Mais peut-être aussi que non, difficile à dire. Certains Nobles veulent juste renforcer leur prestige. »

« Il y a un moyen facile de le savoir » intervint Aliz. « Il suffit de lui donner accès à de fausses informations. Si celles-ci ressortent, alors c'est que c'est une espionne, non ? »

« C'est une possibilité » approuva Renner. « En attendant, il faudra faire attention à tous ces gens. Toi aussi, Climb. Retiens bien leurs noms. »

« D'ailleurs, en parlant de ton petit chevalier, j'aurais besoin de lui. Il faudrait qu'il aille à notre auberge prévenir Evileye et Gagaran que nous aurons peut-être à intervenir en urgence. »

« Alors elles sont à votre auberge » remarqua Renner. « Comme elles n'étaient pas venues, je pensais que tu les avais envoyés en mission. »

« En fait, elles ont décliné l'invitation » répondit Lakyus en roulant des yeux. « Apparemment, elles sont allergiques aux formalités. Pourtant ce n'est pas si formel que ça. Moi je porte une robe pour le principe, mais elles n'étaient pas obligées. Et puis regarde Tina. Et Tia aurait fait la même chose si elle était venue. »

« Mais elle n'a pas pu parce que notre leader démoniaque lui a tout à coup refourgué une mission » intervint la jeune femme d'une voix monocorde.

La meneuse de leur groupe, loin de s'offusquer de cette épithète, s'en enorgueillit plutôt et gratifia sa subordonnée d'un sourire des plus diabolique. Harddyn jura intérieurement. En plus, elle était du genre à surcharger les autres de travail. Décidément, si elle n'était pas une sale voleuse, elle aurait tout pour lui plaire.

0o0o0

Climb sortit de la citadelle et s'engagea dans l'avenue principale de la ville. Il était seul. Dès la fin de leur entrevue avec la Princesse et la meneuse des Roses Bleues, elle lui avait dit qu'elle ne pouvait pas l'accompagner dans sa mission. Il était déjà tard et ses cousins devaient l'attendre. Elle semblait tellement mortifiée de ne pas pouvoir respecter la promesse qu'elle avait faite à la Princesse quelques minutes auparavant que le jeune homme en fut gêné.

Il l'avait été encore plus quand sa nouvelle amie lui avait pris les mains pour lui sommer d'obéir à Son Altesse et à ne pas faire de folie. Son regard inquiet avait fait rougir Climb qui s'était maudit pour ça. Détournant les yeux, il avait marmonné quelques mots avant de rapidement retirer ses mains et s'enfuir à toutes jambes vers sa chambre pour se changer et passer une tenue plus discrète.

Il marchait depuis déjà quelques minutes en direction de la fameuse auberge quand une voix familière dans son dos le fit frissonner et se retourner brusquement.

« Mais c'est ce cher Climb ! Quel plaisir de te revoir ! »

À suivre…

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Merci de m'avoir lu. J'espère que le chapitre vous a plu. J'aimerais notamment que vous me disiez ce que vous pensez de l'interlude. Tous ne seront peut-être pas aussi longs cependant.

Les noms des membres d'équipages d'Aude-Lise sont ceux de vrais pirates. Edward Teach (Barbe Noir), Anne Bonny, Jack Rackham (Calico Jack), Sir Henry Morgan, Samuel Bellamy (Black Sam) et Edward 'Ned' Low.

La menace intérieure d'Harddyn d'arracher les yeux d'une servante à la petite cuillère provient du film Robin des Bois, prince des voleurs de Kevin Reynolds avec Kevin Costner, Morgan Freeman et surtout, feu Alan Rickman (alias Severus Rogue). Ce dernier joue le Shérif de Nottingham, le méchant principal du film. À un moment donné, il discute de Robin des Bois avec son adjoint, Guy de Gisborne (Michael Wincott) et menace de lui arracher les yeux à la petite cuillère. Guy lui demande pourquoi à la petite cuillère et le Shérif répond « Parce que moins c'est tranchant, plus ça fait mal ». Réplique culte.

Pour ceux qui se souviennent de l'Arc 1, Harddyn fait déjà allusion à l'épée de Belphégor Ik'Baal.

En tout les cas, n'hésitez pas à m'envoyer des commentaires et je vous dis à bientôt.