VORACITY I - New World
Arc 4 : L'Écuyer Contrefait
Chapitre 3
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L'homme n'avait pas beaucoup changé. Toujours vêtu d'habits criards un peu râpés, avec de longs cheveux blonds retenus en natte mêlée de rubans multicolores et avec, par-dessus, un chapeau à plumes incliné vers l'un de ses yeux de manière canaille. La grivoiserie se lisait dans son regard vert et sur ses lèvres bien ourlées.
« Monsieur Taliesin » dit simplement Climb en saluant l'autre homme.
« Mais quel étrange hasard ! » S'exclama le Ménestrel en riant. « Je n'ai pas remis les pieds à la capitale depuis que nous nous sommes quittés, il y a plus de 6 mois ! Voilà que j'y reviens enfin et qu'elle est la première personne sur laquelle je tombe, ce très cher Climb. »
« Un étrange hasard, en effet » dit le jeune homme entre ses dents.
Il ne détestait pas vraiment le ménestrel souriant en face de lui. Cependant, on ne pouvait pas dire non plus qu'il l'appréciait. En fait, sa façon de le fixer le mettait mal à l'aise. Il avait beau porter une armure, il se sentait nu sous son regard ce qui n'était pas vraiment une sensation très agréable. De plus, ce regard, en provenance d'un autre homme, heurtait d'une certaine façon sa sensibilité de mâle d'une manière qu'il ne comprenait pas vraiment. Mais ça, c'était parce que l'expression « masculinité toxique » n'existait pas ici.
« Vous avez l'air… moins bien loti que la dernière fois, si je ne me trompe pas. »
En effet, un léger duvet couvrait à présent ses joues et creusait encore plus son visage hâve et un peu pâle. Ses vêtements étaient plus abîmés qu'auparavant et on pouvait voir ça et là quelques réparations discrètes.
« Oh, tu parles de mon apparence ? » Demanda le Ménestrel en tournant sur lui-même. « C'est pour attirer la sympathie du public. Les femmes ont plus souvent pitié des Bardes qui semblent souffrir comme les sujets de leurs chansons. Réussi non ? »
Climb se retint de soupirer de frustration. Il avait oublié à quel point l'homme était superficiel et pénible.
« En tout cas, je suis ravi de vous revoir » dit-il d'une voix légèrement acide.
« Je sais que c'est faux, mais ce n'est pas grave. Je te pardonne. »
Climb serra les dents. Cet homme semblait lire en lui.
« En tous les cas, je suis sûr que la Princesse sera ravie de savoir que vous êtes ici. »
« Il sera sans doute plus difficile cette fois de pouvoir jouer pour elle, cependant je ferais tout pour la combler de mes talents. »
Climb savait que les paroles du Ménestrel étaient parfaitement innocentes. Cependant, il y avait quelque chose dans son attitude et le son de sa voix quand il avait dit ces mots qui lui donnaient envie de le frapper pour avoir osé souiller la Princesse. Il se retint toutefois. Comme à son habitude, il ne ferait rien pour entacher la réputation de sa maîtresse.
« Elle en sera satisfaite, j'en suis sûr » répondit Climb de façon aussi neutre que possible. « Maintenant si vous voulez bien m'excuser, j'ai une commission à faire de sa part. »
« Une commission ? Quelle commission ? » Demanda le chanteur d'une voix intéressée.
« Juste un message à délivrer, rien de plus » dit Climb sur un ton évasif en commençant déjà à s'éloigner.
« Ne serait-ce pas à l'auberge de la Sirène Pourpre par hasard ? »
Le jeune homme se figea soudain. Il se retourna prestement et fixa son interlocuteur d'un regard suspicieux.
« Comment le savez-vous ? » L'interrogea-t-il.
« Parce que j'ai vu juste ? » Demanda Taliesin en écarquilla tu exagérément les yeux. « C'est extraordinaire ! »
Climb se précipita alors et saisit le chanteur par le col de sa chemise.
« Qui êtes-vous et que savez-vous ? » Grinça-t-il.
« Oh, Climb ! Tu sais que ce rapprochement me ravit au plus haut point » minauda Taliesin en posant sa main sur celle du jeune homme. « Mais que va penser la Princesse ? »
Celui-ci lâcha le Ménestrel et s'écarta brusquement de lui, mais sans jamais cesser de le fixer. Celui-ci gloussa et commença à jouer quelques accords sur son luth.
« Allons, allons, ce n'est pas grand-chose en vérité » dit-il. « Juste quelques déductions. »
Il se mit à marcher nonchalamment autour de Climb tout en continuant sa mélodie.
« C'est un fait connu que la Princesse n'a que peu de contacts à l'extérieur du palais. L'un des principaux n'est autre que Dame Aindra, la meneuse des Roses Bleues. Or, il se trouve que la rumeur raconte qu'elles sont en ville en ce moment, à l'auberge de la Sirène Pourpre. Vu que c'est dans sa direction que tu te rendais, j'en ai conclu que c'était elles que tu devais rencontrer. »
« Comment êtes-vous au courant de tout ça ? Sur la Princesse et la Présence des Roses Bleues ? »
« Je suis un Ménestrel, voyons ! » S'indigna faussement Taliesin. « Savoir fait partie aussi de notre travail. Si jamais tu as besoin d'un renseignement, n'hésite pas. Pour toi, ce sera toujours gratuit. »
Climb se détendit alors (juste un peu, les avances à peine déguisées de l'autre homme lui faisaient froid dans le dos). Donc c'était seulement parce qu'il était très perspicace. Rien à voir avec un espion ou autre chose. Il n'empêchait qu'à présent, entouré de personnes comme Taliesin, Alix ou la Princesse, il avait tendance à se trouver extrêmement stupide. Il avait toujours craint que son manque d'éducation porte préjudice à sa maîtresse. Qui supporterait d'être vu aux côtés de quelqu'un d'idiot ?
« Si vous m'excusez » dit-il finalement au Ménestrel, « je dois y aller. Cette course est assez pressante. »
« Oh ! Ne t'inquiète pas, nous pouvons continuer à discuter, je viens avec toi. »
« Pardon ? » S'exclama Climb.
« Il se trouve que la Sirène Pourpre est justement l'auberge où je devais me rendre quand je t'ai rencontré. »
« Vraiment ? »
Taliesin gloussa à nouveau.
« En fait, pas du tout » dit-il. « C'est juste que c'est une occasion en or de pouvoir discuter avec les célèbres Roses Bleues. Avec un peu de chance, je pourrais même en tirer une chanson. Et puis je n'ai encore nulle part où dormir pour ce soir, alors… »
« Faites comme vous voulez » soupira Climb en roulant des yeux et en se remettant en route.
Fort heureusement, ladite auberge n'était pas trop loin. Sa splendide façade donnait sur l'avenue principale. Sur sa droite, une porte cochère permettait d'amener les chevaux des voyageurs jusqu'aux vastes écuries situées à l'arrière. Les installations extérieures étaient complétées par un jardin d'assez belle taille pour un établissement de ville et pourvu d'équipement d'entraînement. En effet, cette auberge était plus destinée aux Guerriers et plus particulièrement aux Aventuriers de Haut Rang. Il n'était donc pas étonnant que l'une des deux, ou plutôt maintenant des trois équipes Adamantites du Royaume ait pris ses quartiers ici.
Pendant quelques instants, Climb admira la devanture. Les boiseries des portes, fenêtres et colombages étaient polies et brillantes, la chaux des murs, d'un blanc étincelant et les peintures rouges et dorées de l'enseigne finement sculptée semblaient avoirs étaient faits la veille à peine.
« C'est fou ce qu'une bonne dose de magie peut faire pour rendre n'importe quel boui-boui, habitable » ricana Taliesin.
« C'est tout de même l'une des meilleures auberges de la Capitale ! » S'indigna Climb.
« Si tu le dis » répondit Taliesin en haussant les épaules.
Il précéda le jeune homme à l'intérieur en ignorant les gardes postés à l'entrée. Au passage, il jeta un coup d'œil à l'enseigne avec un rictus. Sa vision de Mage lui permettait parfaitement de discerner les Glamours (ou quel que soit le nom donné à ses illusions dans ce monde) posés dessus pour qu'elle ait toujours l'air flambant neuve. Et après on disait que c'était lui qui était vaniteux ?
À l'intérieur, le brouhaha des conversations se tut à l'entrée des deux hommes. Les Aventuriers présents les scrutèrent pendant quelques instants puis retournèrent à ce qu'ils faisaient auparavant. Ils avaient remarqué qu'ils n'avaient rien à craindre d'eux. En effet, tous étaient plutôt de Rang élevé et auraient pu battre Climb en quelques minutes et le Barde en encore moins de temps (si Taliesin avait été un Barde ordinaire).
Repoussant la déprime qui le prenait à chaque fois qu'il pénétrait dans la salle, il fouilla celle-ci des yeux. Bien évidemment, il remarqua assez vite la silhouette massive de Gagaran, la Guerrière des Roses Bleues. Même sans son armure de plate à pointes, elle demeurait impressionnante. En la voyant, on se croyait en train de regarder une montagne : haute, compacte et surtout pleine de dangers.
À ses côtés Evileye, le Mage en cape rouge et toujours masquée semblait minuscule. Presque fragile. Cependant, il savait de source sûre que les apparences étaient trompeuses. La jeune fille (car oui, il savait qu'elle était une jeune fille malgré son timbre déformé qui émergeait de sous son masque quand elle parlait) était extrêmement puissante et habituée aux combats.
« Hey ! Salut, le puceau ! » S'exclama Gagaran de sa voix rauque en apercevant Climb.
L'intervention de la femme eut pour seul effet d'attirer à nouveau l'attention des gens dans la salle sur lui. Aucune raillerie ne fusa à l'exception d'un léger rire dans son dos qu'il se doutait venir de Taliesin. Cependant, toutes les personnes présentes retournèrent rapidement à leurs activités, non sans avoir lancé au garçon un regard de profonde pitié.
Mais Climb avait fini par avoir l'habitude de ce surnom. Il avait beau s'être disputé avec elle sur ce sujet, cela n'avait jamais rien changé. Il en avait donc pris sa partie et si, auparavant, il avait furieusement rougi, à présent il parvenait à conserver une expression assez neutre.
« Restez là » dit-il au Ménestrel. « Je dois leur parler seul à seul. »
Il se dirigea vers la table où se trouvaient les deux Aventurières et inclina la tête devant chacune d'elles.
« Cela faisait longtemps Da… Gagaran. Dame Evileye » les salua-t-il.
« Un bail, ouais ! » Dit la Guerrière avec son sourire de prédateur coutumier en lui montrant une chaise du menton pour l'inviter à s'asseoir. « Qu'est-ce que tu fais là ? T'es venu coucher avec moi ? »
Encore une fois, Climb était habitué. Gagaran lui faisait des avances depuis déjà quelques années. Apparemment, elle avait un faible pour les jeunes hommes vierges. Comme pour le reste, le garde du corps avait fini par ne plus s'en préoccuper.
« Vous faites erreur » dit-il d'une voix égale. « Dame Aindra m'a sollicité pour une faveur. »
« Quoi ? La Cheffe ? »
« Elle voulait vous faire passer un message. Apparemment, vous allez devoir agir au plus vite. Elle a dit qu'elle vous expliquerait les choses plus en détail à son retour, mais elle vous demande de commencer à vous préparer au combat. »
« Quoi ? Elle t'a fait te déplacer juste pour ça ? Mon pauvre ! Je sais qu'elle est à cran, mais quand même. Ils vont pas s'envoler ces huit… »
« Silence » intervint alors Evileye.
Elle parlait pour la première fois. Sa voix était étouffée, mais on sentait que ce n'était pas seulement dû au masque. Comme si elle tentait de la dissimuler.
« On nous écoute » ajouta-t-elle.
Climb se retourna et vit que Taliesin s'était rapproché. Il essayait de faire semblant de rien, mais son attitude nerveuse et la façon dont il regardait partout sauf dans la direction de la tablée le trahissaient.
« Je vous avais dit que je devais leur parler seul à seul » soupira Climb.
« Désolé, je n'ai pas pu résister » dit le Barde avec excitation. « Elles sont si… impressionnantes, j'en suis tout retourné. »
« C'est un ami à toi ? » L'interrogea alors Gagaran.
« Une connaissance, plutôt » grogna Climb.
« Taliesin, Ménestrel préféré de la Princesse Renner, enchanté de vous rencontrer » se présenta celui-ci avec une révérence gracieuse.
« C'est vrai ça ? » Demanda la Guerrière en se tournant vers le garde du corps de ladite Princesse.
« Malheureusement, oui » répondit celui-ci.
« Intéressant » dit la femme en inspectant soigneusement Taliesin.
C'était la première fois que Gagaran voyait Climb afficher clairement son antipathie envers quelqu'un. Surtout si ce quelqu'un était dans la pièce. À force de se contrôler pour que son attitude ne nuise pas à sa maîtresse, il en était devenu assez rigide. Généralement, il se montrait ses émotions qu'à la Princesse et parfois à elle quand elle arrivait suffisamment à le pousser à bout. Qu'il se laisse aller en présence de ce gratteur de mandoline était intrigant.
« Ça te dirait de coucher avec moi ? » Demanda-t-elle alors de but en blanc.
« Avec plaisir » répondit Taliesin du tac au tac.
« J'aime les hommes qui n'ont pas froid aux yeux » dit la Guerrière en se levant et en passant son énorme bras musclé autour des épaules du Ménestrel. « Allez, je t'emmène dans ma chambre. »
« Ce n'est pas le moment pour des frivolités » intervint alors Evileye.
« Rabat joie » renifla Gagaran en se rasseyant.
« Puis-je rester un peu avec vous ? » Demanda Taliesin. « C'est tellement rare de pouvoir discuter avec des Aventurières aussi célèbres que vous. Je me demandais si vous pouviez me raconter quelques récits de vos exploits pour que j'en fasse des chansons. »
« Bien sûr » dit Gagaran.
« Absolument pas » grinça Evileye en même temps qu'elle.
« Laissez-moi au moins vous offrir à boire » dit le Ménestrel.
Il agita la main pour attirer l'attention du barman puis leva quatre doigts. Comme l'homme hochait la tête, Taliesin s'assit à la table sans se faire prier. À ce moment-là, il se passa quelque chose d'étrange. L'attitude des trois personnes près de lui changea. Alors qu'Evileye s'était dressée pour objecter protester contre son sans-gêne, elle s'était soudain rassise et Climb, qui affichait une expression ennuyée face à l'action désinvolte du Ménestrel, repris rapidement un visage plus neutre.
C'était comme s'ils avaient oublié qu'il était là. Ou plutôt, comme s'ils ne se rappelaient plus qu'il ne devait pas être là. Il faisait partie des meubles, comme la chaise sur laquelle il était assis, mais sans que ses compagnons ne l'ignorent vraiment. C'était sans contexte la subtilité de l'effet de l'[Aura de Confiance] d'Harddyn. Il s'était promis de ne plus utiliser la télépathie à tort et à travers. Il n'avait jamais parlé de ses Auras.
« Au fait Gagaran » dit Climb alors que ses traits s'illuminaient légèrement. « J'ai eu la chance de recevoir une leçon de Maître Stronoff ce matin. Il a même fait l'éloge de l'une des attaques que vous m'avez enseigné, le coup vertical. »
« Ah ! Celui-là… » dit Gagaran sur un ton qui se voulait nonchalant.
Cependant, elle avait légèrement rougi, comme si c'était elle qui avait reçu le compliment du Capitaine des Chevaliers.
« C'est pas mal » reprit-elle. « Mais tu sais… »
« Oui, je sais » l'interrompit le jeune homme. « Je continuerai à m'appliquer à l'entraînement sans me satisfaire de mon niveau actuel. »
« Lui, il y a ça aussi » approuva la Guerrière. « Mais ce que je voulais dire, c'est qu'il faudrait que tu inventes le mouvement qui suit celui-là. Au cas où il serait contré. »
« Comment ça ? » Demanda Climb. « Ce mouvement n'est pas fait pour achever l'adversaire ? »
Gazef lui avait à peu près dit la même chose mot pour mot le matin même.
« Bien sûr que si » lui répondit Gagaran. « Mais au vu de ton niveau actuel, tu ne peux pas être sûr de tuer ton ennemi du premier coup. De plus, les coups imparables ça n'existe pas. L'idéal serait un enchaînement de trois coups au cas où le premier serait bloqué. Ça empêchera aussi ton adversaire de passer à l'attaque. »
Climb hocha la tête comme un écolier devant sa maîtresse.
« Et puis, ben… il arrive que même ça, ça marche pas. Surtout si ton adversaire à plusieurs bras. Mais bon, contre un humain, ça devrait le faire. Tu pourras peut-être pas le réutiliser à l'infini sur le même gars parce qu'il pourrait finir par retenir le schéma. C'est pour ça que ta technique doit pouvoir acculer complètement ton adversaire. »
« Je comprends » dit Climb avec ferveur.
Loin d'être désespéré par l'ampleur de la tâche, Climb n'en était que plus excité. Lors du duel, nombre de ses assauts avaient été devinés par son opposant, mais il était tout de même parvenu à le bloquer pendant quelques précieuses secondes graves à son attaque spéciale. Ce n'était pas grand-chose, mais pour quelqu'un d'ordinaire comme lui, parvenir à ce résultat avec le Guerrier le plus puissant du Royaume, c'était une réussite en soi. Et loin de se satisfaire de cette petite victoire, il en voulait encore plus. Il n'était pas sûr d'arriver à créer trois coups parfaits, mais il allait s'efforcer d'y parvenir.
« Mais au fait » dit alors Gagaran. « T'avais pas demandé à Evileye de t'apprendre la Magie aussi ? »
« Si » répondit la jeune fille.
Puis elle tourna son masque dans sa direction.
« Écoute-moi bien gamin » dit-elle de sa voix modifiée. « Tu n'as aucun talent pour la Magie. Tu devrais te focaliser sur autre chose. »
Ça, au moins, ça avait le mérite d'être clair. Cependant, Climb ne semblait pas abattu pour autant. Il le savait. Il savait qu'il n'avait pas de talent pour la Magie. Pour le combat non plus d'ailleurs. Il avait beau s'entraîner jusqu'à avoir les mains en sang, il ne parvenait pas à dépasser le niveau qu'il s'était fixé. Alors que pour certains la différence ressemblerait à un vulgaire muret, pour lui c'était une haute muraille qui paraîtrait infranchissable à n'importe qui. Sauf lui. Il n'avait certes pas de talent, mais cela ne voulait pas dire qu'il devait abandonner pour autant.
« Tu n'as pas l'air convaincu » remarqua Evileye. « Je pense que cette histoire de "talent" est un peu surfaite. Tout le monde n'arrête pas de dire que le talent c'est comme un bourgeon qui attend de s'épanouir, mais moi je pense que c'est une excuse des gens faibles et paresseux. C'est comme le leader des Treize Héros. C'était un homme ordinaire auparavant. Il est même dit qu'il était plus fiable que les autres. Et pourtant il est devenu le plus puissant des Guerriers. »
« Mais lui possédait un talent » rétorqua Evileye. « Sa force pouvait augmenter à l'infini. C'est juste qu'au départ, il n'avait pas pu le développer comme il l'aurait voulu. »
Quoi qu'on en dise, Evileye avait parfaitement raison, se dit Harddyn. Le talent était une composante importante du succès. Mais il ne jaillissait pas comme ça. Il ne s'épanouissait pas comme ça, du jour au lendemain, comme un bouton de fleur. Un talent, c'était un diamant brut. Or un diamant brut, ce n'est rien d'autre qu'un caillou translucide. C'est parce qu'il a été travaillé et poli qu'il dévoile sa valeur. Contrairement à ce que beaucoup pensaient, avoir un talent ne dispensait pas de fournir des efforts. Loin de là.
Cependant, certaines personnes ne comprenaient pas ça. Pour eux, ceux qui possédaient un talent avaient la vie facile, ils n'avaient pas à faire d'effort. Et à cause de cela, ils provoquaient des jalousies. Ceux qui n'avaient pas leur talent se mettaient à les envier et à les détester tout en oubliant qu'eux-mêmes avaient leurs propres talents. C'était ce qui s'était passé avec Ron, il y a bien longtemps. Face aux exploits d'Harry et aux sentiments négatifs qu'ils faisaient naitre en lui, il avait complètement omis le fait que non seulement son ami s'était entraîné très dur, mais que lui aussi avait des facultés particulières. Tacticien hors pair grâce aux échecs, il n'avait jamais su exploiter ce don parce qu'il enviait ceux des autres.
« Alors oui, le talent existe bel et bien » reprit Evileye. « Certains en ont et d'autres pas. Et toi, tu n'en as pas. Je ne te dirais pas d'abandonner, ça, je pense que tu le feras toi-même, mais n'oublies pas quelle est ta place. »
« Je comprends » dit Climb d'une voix franche.
La langue d'Evileye claqua sous son masque.
« Malgré mes avertissements, tu ne comptes pas t'arrêter, n'est-ce pas ? »
« Non » répondit le jeune homme sur le même ton que précédemment.
« Quelle bêtise » soupira le Mage. « Si tu continues à essayer d'atteindre la lune, tu y laisseras des plumes, tu en es bien conscient ? »
« Oui, je comprends. »
Mais il ne semblait cependant pas décider à changer d'avis.
« Décidément, le mot "stupide" ne suffit pas à te décrire » grinça-t-elle. « Tu es du genre à mourir jeune. Mais tu sais qu'il y a des personnes qui pleureront ta disparition, quand même ! »
« Ben alors, Evileye » intervint alors Gagaran avec un rictus. « En fait, tu dis ça parce que tu t'inquiètes pour lui.
« Ferme-la, espèce de brute sans cervelle ! » S'écria la jeune fille en saisissant sa coéquipière par le col.
« Donc j'ai raison » ricana la Guerrière.
Evileye se figea, ne sachant que répondre. Elle se rassit sur sa chaise puis détourna le regard.
« Essaie d'en apprendre plus sur la Magie » dit-elle alors à Climb. « Tu ne pourras peut-être jamais l'utiliser, mais si tu sais reconnaître les Sorts de tes adversaires, tu pourras mieux les contrer. »
« C'est un peu cruel de lui demander d'apprendre un tel pavé » commenta Gagaran.
« Les Mages de combats utilisent à peu près toujours les mêmes Sorts au final » répondit Evileye en haussant les épaules. « Donc ça ne fait pas tant que ça. Et puis s'il n'est pas capable de les mémoriser, il ferait mieux d'abandonner. Le plus sûr serait d'apprendre tous les Sorts de combats jusqu'à Niveau 3. »
« Au fait, Evileye » intervint à nouveau la Guerrière. « Il y a une question que je me posais depuis pas mal de temps. »
« Je crains le pire » commenta la Magicienne sur un ton fataliste.
« On dit que les rangs des Magies vont jusqu'au niveau 10, mais que personne ne peut utiliser de Sort aussi élevé. Comment on sait qu'ils existent alors ? »
« Hum… c'est moins stupide que ce à quoi je m'attendais » dit pensivement Evileye.
« Merci » répondit Gagaran, mi-ironique, mi-sérieuse.
La Magicienne s'agita quelques instants sous sa cape et soudain les sons environnants semblèrent se faire plus lointains. Les conversations s'estompèrent jusqu'à ce qu'il n'y ait presque plus de bruit. Harddyn reconnut immédiatement un Sort de confidentialité. Apparemment, la Magicienne ne souhaitait pas être entendue. Analysant sa structure, il en vint à la conclusion que ce n'était pas si impressionnant que ça. Il avait déjà eu affaire à des protections bien plus subtiles que ce simple voile isolant. Surtout que, visiblement, Evileye n'en était pas la source. Elle avait simplement utilisé un Artefact.
Dire que la puissance qu'elle dégageait l'avait rendue si intéressante quand Harddyn l'avait observée de plus près. À présent, il se trouvait un peu… déçu. Franchement, qui avait besoin d'un Artefact pour un Sort aussi basique ?
« Dans les temps anciens » reprit-elle, « si anciens que les récits de cette époque ne soient considérés que comme des contes existaient des êtres qu'on appelait, les Huit Rois Avides. »
Elle avait un ton à la limite entre celui d'un professeur et celui d'un conteur.
« Selon la légende, ils auraient dérobé les pouvoirs des Dieux et régné sur le monde d'une main de fer. »
« Selon la légende » ? « Des temps si anciens qu'ils paraissent sortir de contes » ? Franchement, si les estimations d'Harddyn étaient correctes, ça s'était passé i PEINE 500 ANS. C'était clairement un peu court pour oublier, non ? Évidemment, on aurait pu croire à un effet de style de la part d'Evileye, mais pas du tout. Suspectant que ces Huit Rois Avides aient pu être des Joueurs (ce dont il était à peu près sûr), il avait mené sa petite enquête. C'est comme cela qu'il avait réussi à retracer une chronologie de l'émergence d'êtres supra normaux dans ce monde.
Cependant, ce n'était pas la seule chose qu'il avait trouvée. Apparemment, pour la majorité des gens à qui il avait posé la question, les Huit Rois Avides étaient bel et bien une légende et les 500 ans qui les séparaient d'eux les plaçaient dans des temps reculés et au-delà de la mémoire humaine. À peine 500 ans quand même. Ça montre à quel point la transcription de l'histoire ne semble pas vraiment être une préoccupation dans ce monde.
Mais outre cela, cette histoire n'était pas vraiment appréciée. Ces Huit Rois étaient des êtres qui avaient eu une puissance phénoménale. Certains disaient que c'étaient des Géants, d'autres, des Dragons. En vérité, s'il s'agissait bien des Joueurs auquel Harddyn pensait et dont il avait lu le rapport de disparition des années auparavant, sur Terres, il s'agissait en fait de Dragonoïdes (mais ça, c'était un détail). Toujours est-il que le surnom d'« Avide » leur avait été donné parce que ces Rois s'étaient tout simplement entre-déchirés les uns les autres dans le but d'acquérir les richesses des autres.
Le seul vestige de leur civilisation encore présent à ce jour serait une vaste cité perdue dans le désert, loin au Sud du Royaume. Selon ses habitants, elle aurait servi de capitale aux Rois Avides alors qu'ils régnaient sur le continent. Cependant, beaucoup d'érudits niaient cette hypothèse. Une partie de leur scepticisme venait du peuple qui vivait dans cette ville. C'était des gens étranges vêtus de robes chamarrées attachées par des ceintures serrées et colorées, qui mangeaient des céréales aux grains blancs et allongés et se battaient avec des sabres fins. Qu'est-ce que ça avait à voir avec la possibilité que leur cité ait été la capitale d'un empire, ça Harddyn l'ignorait, mais apparemment, ça faisait sens pour eux.
« On dit que les Huit Rois Avides possédaient une infinité d'Artefacts puissants » repris Evileye. « On dit aussi que le plus important d'entre eux serait Le Grimoire Sans Nom, un livre qui expliquerait tout. »
« Quoi ? Genre, tous ces Sorts fantastiques seraient à l'intérieur ? » Demanda Gagaran.
« Précisément » dit la Magicienne. « Dans ce Grimoire dépassant l'entendement laissé par ces êtres de légende que sont les Huit Rois Avides, tous les Sorts existants seraient notés. Et selon la rumeur, les nouveaux y sont également inscrits au fur et à mesure de leur création, même si on ignore comment c'est possible. »
En entendant ces mots, Harddyn faillit recracher la bière qu'on leur avait apportée quelques minutes auparavant. Ce livre, ce Grimoire Sans Nom dont parlait Evileye, ça ne serait quand même pas le Septième Tome du Compendium ? Si c'était vraiment le cas, alors ce serait bien la confirmation que les Huit Rois Avides étaient bien des Joueurs.
Le Compendium était en fait une encyclopédie d'YGGDRASIL, un ensemble de 10 Objets de Rang Monde indépendants les uns des autres, mais formant une collection. Chacun avait un thème différent et ils détaillaient la géographie, les Artefacts, les Monstres, les Donjons, les Races, les Classes, les Sorts, les Techniques, les Mécaniques et les secrets d'YGGDRASIL.
Ils avaient été créés à cause du principe fondamental qui régissait YGGDRASIL : l'information est le pouvoir et c'est à vous de la trouver. Que ce soit à son lancement ou à l'annonce de chacune de ses extensions, les renseignements fournis aux Joueurs étaient minimaux. Tout ce qu'ils avaient, c'était les déclarations officielles de la société de production (parcellaires et mystérieuses), les fuites sur internet (le plus souvent délibérés et toujours contrôlés) et, par la suite, les nombreux forums, chaînes et pages de médias et réseaux sociaux (entre autres). C'est pour cela que de tels ouvrages étaient importants. Ils avaient été conçus pour se mettre à jour automatiquement à chacune des extensions pour être les plus précis possibles.
Cela voulait donc dire, s'il s'agissait bien d'un volume du Compendium, que sa fonction de mise à jour marchait toujours et qu'il répertoriait tous les Sorts créés dans ce monde et basés sur sa Magie de Niveau. Un tel ouvrage serait une mine d'or d'information pour Nazarick. Et qui sait combien d'autres merveilles provenant d'YGGDRASIL se trouvaient encore ici ? Rien que le reste des volumes du Compendium seraient inestimables. Si la géographie, ou même le bestiaire complet de ce monde venait à se retrouver entre leurs mains…
Note à moi-même, donner pour consigne aux équipes d'explorations de relever toute trace ou mention d'artefacts puissants.
Mais en attendant, puisque celui-ci était évoqué…
« Et une Magicienne aussi éminente que vous n'a jamais été tentée d'entrer en possession d'un tel recueil ? » Demanda-t-il à la jeune femme.
Celle-ci hésita quelques instants, mais une impulsion plus puissante d'[Aura de Confiance] suffit à la faire parler.
« D'après le peu de personnes qui l'ont vu, le Grimoire est protégé par une barrière magique qui le rendrait intouchable pour toute autre que son propriétaire légitime » répondit-elle.
Ah oui. C'est vrai. À présent, Harddyn se souvenait que les volumes du Compendium avaient cette faculté. La propriété ne pouvait être obtenue que si le possesseur précédent en faisait don… ou mourait. Et généralement, quand c'était cette condition-là qui arrivait, ce n'était pas un choix volontaire, enfin pas le choix du propriétaire en tout cas. Sans maître, le Grimoire revenait à celui qui l'ouvrait le premier.
« C'est un ouvrage unique au monde et donc avec une valeur impossible à estimer » reprit la Magicienne. « Il n'en est donc que plus dangereux à cause de l'avidité qu'il provoque. »
Cela rappelait fortement à Harddyn l'histoire de la Baguette de Sureau, l'une des trois Reliques de la Mort qu'il avait rassemblées quand il était encore Humain. Au final, celui des trois frères qui l'avait extorqué à la Mort avait été assassiné le jour même par quelqu'un qui convoitait le précieux artefact.
« Comme moi je sais me tenir à ma place, je refuse de partir à la recherche d'un artefact qui pourrait provoquer ma mort de façon aussi stupide que celle des Rois Avides. »
« Donc vous savez où il se trouve » insista Taliesin.
« Des rumeurs parlent de la Théocratie de Slane » répondit la Magicienne. « Ça ne m'étonnerait pas de leur part. De la même façon que ça ne m'étonnerait pas s'ils faisaient tout pour garder secret le fait qu'ils le possèdent. Mais personnellement, je m'en fiche. Qu'ils le gardent ! Comme je l'ai dit, je n'ai certainement pas envie de mourir. »
« Même en faisant partie d'une équipe dont la cheffe est connue pour détenir l'une des armes des Treize Héros ? » Demanda Climb.
« Il paraîtrait que le Grimoire est d'un tout autre niveau. »
Vexant, mais vrai, pensa Harddyn. Kilineiram était une arme puissante, mais elle n'était que de Rang Divin. Rien à voir avec la suprématie des Objets de Rang Monde.
« Bon, je suppose qu'on s'est un petit peu éloigné du sujet » dit alors Evileye. « Tu as la réponse à ta question, non ? Gagaran ? »
« Ouais, je crois » répondit la Guerrière. « N'empêche, ça a l'air assez dur à croire qu'un vulgaire bouquin soit plus puissant qu'une épée née de la concentration des Ténèbres infinies. Il paraît même que l'énergie des ombres qu'elle peut relâcher à son plein potentiel engloutirait une ville. »
Au moins, pensa Harddyn.
« D'où tu sors ça ? » Lui demanda Evileye.
« Un truc que j'ai entendu de la commandante une fois où elle se croyait seule. Elle se tenait le bras droit tout en baragouinant des trucs bizarres, comme quoi seule une femme servant Dieu comme elle pouvait endurer le pouvoir de l'épée tout en conservant sa volonté. »
Harddyn leva un sourcil. Hein ?
« C'est la première fois que j'entends ça… » marmonna Evileye, pensive. « Mais si c'est la propriétaire actuelle qui le dit, ça doit être vrai. »
Hein ?
« Alors son double maléfique né de son esprit sombre serait aussi réel ? »
« Pardon ? » S'exclama Evileye.
J'allais demander la même chose. C'est quoi ces conneries ?
« C'était une autre fois où je l'ai surprise à marmonner des trucs. C'était pas très net, genre : "Si tu baisses ta garde, les ténèbres en toi t'envahiront et je déchaînerai le pouvoir de l'épée démoniaque pour détruire tout ce que tu chéris."
« Mmmm… ça ne paraît pas impossible » commenta Evileye sur un ton plus sérieux. « Quelques objets maudits ont la capacité de dérober la conscience de leurs possesseurs. »
Sauf que c'est pas le cas de mon épée ! Elle est PAS maudite ! Enfin… il l'espérait. Après tout, beaucoup de choses avaient changé une fois dans ce monde. Il était envisageable que le pouvoir des ténèbres contenu dans Kilineiram ait pris vie… ou alors c'était juste cette pétasse de Lakyus qui se faisait des films. Les délires de désillusions, c'était courant. Comment ils appelaient ça déjà au Japon ? Ah oui, « Chūnibyō ».
« En tout cas si Lakyus se fait manipuler, nous aurons plus qu'une petite mésaventure sur le dos » conclut Evileye.
« Elle avait l'air de vouloir garder ça secret » commenta Gagaran.
« Lakyus est une prêtresse censée dissiper les malédictions. Qu'elle soit la proie de l'une d'entre elles doit l'embarrasser. Elle a décidé de tout garder pour elle afin de nous protéger. Quelle idiote. »
« Au fait, tu as remarqué que c'est depuis qu'elle a cette épée qu'elle a commencée à porter ces bagues armures inutiles. »
« Mmmm… Je croyais qu'elle ne faisait que suivre la mode, mais peut-être qu'ils ont une fonction plus importante, comme sceller le mal ou catalyser ses pouvoirs religieux. »
« Dame Renner est-elle en danger ? » Intervint alors Climb, inquiet.
Il se releva. La Princesse était toujours seule avec Lakyus. Si jamais elle venait à se faire posséder alors qu'il n'était pas là…
« Calme-toi » dit Evileye en le retenant. « Ça ne risque pas d'arriver aujourd'hui. Quelle que soit la puissance de cette magie sombre, elle ne perdra pas le contrôle sans s'en rendre compte. Si elle ne nous dit rien, c'est sûrement parce qu'elle estime avoir encore une certaine marge de manœuvre. Cela ne m'étonne d'ailleurs pas compte tenu de sa force mentale. N'empêche, j'ignorais totalement que cette épée avait un tel pouvoir… »
Elle en a pas ! C'est une mytho cette fille ! Elle a grillé un fusible ! "Force mentale" mon cul ! Elle est bonne pour l'asile !
« Tu crois qu'on devrait prévenir Azuth ? » Interrogea alors Gagaran.
Evileye renifla.
« Ce serait frustrant de demander de l'aide à la concurrence, mais Lakyus reste sa nièce » répondit-elle.
Là, Harddyn savait de qui il était question. Azuth Aindra était non seulement l'oncle de Lakyus, mais également le chef de l'une des deux équipes de Rang Adamantite du Pays, les Larmes Rouges.
« Ah ! Au fait, Gagaran, puisqu'on parle de Rang Adamantite, tu savais qu'une nouvelle équipe avait atteint ce niveau à E-Rantel ? » Dit Evileye.
Enfin, l'une des trois.
« Quoi ? C'est vrai ? » Demanda la Guerrière avec intérêt. « Je n'étais pas au courant. Tu l'as appris à la guilde ce matin. »
« Euh… non, désolé. En fait, je le sais depuis déjà quelques mois, mais ça m'était sorti de la tête. Mais je ne sais pas grand-chose sur eux à part que leur couleur est le noir. »
« Rouge, puis bleu, maintenant noir… j'avoue que j'espérais un peu que le prochain serait jaune ou vert… »
« Le noir est aussi l'une des couleurs utilisées dans le Culte des Six Grands Dieux » fit remarquer Evileye. « Si c'est bien à cela que ça se rapporte alors il est possible que le prochain soit blanc… »
« Je n'aime pas trop la Théocratie de Slane » dit Garantie avec une grimace. « Surtout depuis qu'on a affronté leurs troupes secrètes… »
Donc les Roses Bleues avaient rencontré l'une des Saintes Écritures ? Probablement pas la Noire. Si c'était le cas, elles ne seraient plus en vie. La Blanche sans doute.
« Tu les détestes ? » Lui demanda Evileye. « Personnellement, même si je sais qu'ils essaieraient de me tuer à vue, j'avoue éprouver une certaine sympathie pour leur politique. Plus précisément, je trouve que le serment de protéger l'humanité qu'ils se sont imposé est quelque chose de juste. »
« Pardon ? » Demanda Gagaran avec colère. « Donc ça leur donnerait le droit de massacrer des Semis-Humains ou des Elfes innocents ? »
Oui, ça devait définitivement être la Sainte Écriture Blanche. C'était elle qui était chargée de l'extermination. Les Roses Bleues les avaient probablement rencontrés pendant l'un de leurs raids.
« Les nations Humaines sont assez nombreuses dans cette zone du continent » fit remarquer Evileye sans se démonter. « Mais laisse-moi te dire une chose. Plus on s'éloigne de cette région, plus les États Humains sont rares. Les espèces qui leur sont supérieures comme les Semi-Humains forment aussi des États. Dans la plupart d'entre eux, les Humains y sont traités comme des esclaves. La raison pour laquelle ils n'ont pas pu s'étendre vers nous c'est parce que la Théocratie les a tenus en échec depuis des siècles. »
Gagaran eut une grimace maussade.
« C'est vrai qu'ils ont de meilleures capacités et qu'on ne pourrait pas grand-chose s'ils venaient nous attaquer en masse » avoua-t-elle de mauvaise grâce.
« Certes, ils sont extrêmes, mais ils sont l'outil le plus utile de l'humanité à ce jour. »
Donc c'était la seule solution à leurs yeux ? Chasser ou être chassé. Quel manque d'ambition, renifla intérieurement Harddyn.
« Et puis tu sais, c'est probablement eux qui ont fondé la première Guilde des Aventuriers » rajouta la Magicienne.
« Vraiment ?
« C'est une hypothèse qui court. Elle aurait été mise en place après la défaite des Divinités Maléfiques pour pallier à la faiblesse de l'humanité après les conflits. Ayant été relativement épargnés, ils ont sans doute voulu partager leur force avec le reste des nations. »
Il y avait quelque chose d'étrange dans la voix d'Evileye. Elle avait beau dire qu'il ne s'agissait que d'hypothèses, elle semblait très sûre d'elle. Comme si elle possédait des connaissances de première main, mais voulait faire comme si elle ne les possédait pas. Harddyn mourait d'envie de regarder dans son esprit, mais il se retenait. Non, ce serait plus amusant de lui tirer les vers du nez.
« Pardonnez-moi de vous déranger, Dame Evileye, mais est-ce que vous ne parliez pas d'une nouvelle équipe d'Aventuriers Adamantite tout à l'heure ? » Demanda soudain Climb.
« Mm ? Ah oui, c'est vrai. Leur chef est appelé le "Héros Noirs", mais je crois que son véritable nom est Momon. Apparemment, ils n'ont pas décidé officiellement de leur nom, mais tout le monde les appelle "Ténèbres". »
« Oh ! Je vois… » dit Climb.
Malgré son air détaché, il ne pouvait empêcher ses yeux de briller. Il admirait tellement les héros.
« Et qu'en est-il des autres membres ? » Demanda-t-il avec empressement.
« Apparemment, il n'y aurait qu'un seul » lui répondit Evileye. « Un Mage de la lignée Arcanique du nom de Nabe. Surnommé "la Resplendissante". »
Harddyn ricana. C'était lui qui lui avait donné ce nom.
« Quoi ! » S'exclama Gagaran. « Ils ne sont que deux ! C'est quoi cette histoire ? Ils sont soit idiots, soit suicidaires… non, ils ne seraient pas de Rang Adamantite, sinon… Et donc ? Qu'est-ce qu'ils ont accompli ? »
« Tu te souviens de l'incident des Morts-Vivants à E-Rantel ? C'était eux. »
« Bon sang ! » Siffla la Guerrière. « J'ai entendu des rumeurs et même elles me fichaient froid dans le dos. Je me demande bien comment ils ont fait. »
« Il y a plusieurs chansons sur leurs exploits, notamment sur celui-là. Je l'ai entendu récemment, et elle n'est pas mal du tout. »
« Toi ? Evileye ? Apprécier une ritournelle de troubadour ? »
« Eh bien oui, tu vois. C'était frais, c'était moderne et pas trop alambiqué. Moi, j'ai bien aimé. »
« Oh, je vous remercie de ce compliment, Dame Evileye » intervint alors Taliesin. « Cela me va droit au cœur. »
« Pa…pardon » balbutia la Magicienne. « C'est toi qui…. »
« En effet » dis le Barde avec une fausse révérence (puisqu'il était toujours assis). « J'étais présent quand Sire Momon et Dame Nabe sont revenu du cimetière d'E-Rantel. J'ai ainsi pu obtenir d'eux le récit de leurs exploits. Et c'est également à moi qu'ils ont donné la primeur du récit de leur raid sur l'alliance des tribus Gobelines du Nord, de leur chasse du Basilic Géant et bien sûr, de leur combat plus qu'épique avec le redoutable Vampire Honyopenyoko. »
« Un Basilic Géant… » murmura Climb, rêveur.
« Ça semble louche… » fit remarquer Gagaran. « Tuer un Basilic Géant à seulement deux devrait être impossible. »
« Sauf que peu de temps auparavant, Sire Momon avait réalisé un autre exploit en domptant le Roi Sage de la Forêt, et en en faisant son fidèle destrier. »
Ne pas rire. Surtout ne pas rire…
« Le Roi Sage de la Forêt ? C'est quel genre de Monstre ? » Interrogea Gagaran.
« Selon la légende, ce serait une créature mythique vivant depuis des temps immémoriaux dans la Grande Forêt de Tob. Sa puissance serait sans pareille. »
Ne surtout, surtout pas rire…
« C'est quand même un peu fort, vous ne trouvez pas ? » Demanda la Guerrière. « Dans quelle mesure cette histoire est vraie ? »
Son regard était braqué directement sur Taliesin en disant ces mots.
« Il n'y a rien d'inventé dans mes chansons » dit-il, légèrement vexé.
« En effet, il y a eu de nombreux témoignages » acquiesça Evileye. « Des gardes de la porte l'auraient vu tuer un Mort-Vivant géant rien qu'en lui lançant l'une de ses lames. Ils ont également vaincu les deux instigateurs de l'invasion, dont on a retrouvé les corps, et deux Dragons d'Ossements. »
« Vous auriez pu le faire, vous ? »
« Les Squelettes, ça irait » déclara pensivement Gagaran. « Les Dragons aussi, avec quelques efforts. Par contre pour les instigateurs, difficiles à dire sans information. »
« Un communiqué non officiel aurait dit qu'ils appartenaient à Zurernorn. »
« Alors dans ce cas, et avec tous les combats précédents, ça aurait été plus difficile… et puis personne n'est à l'abri de la paralysie ou du poison. Comment ils font pour les soins ? Leur chef a des sorts de lignée religieuse ? Ou peut-être la Resplendissante… toi tu aurais pu y arriver, Evileye, je pense. Mais pour ce qui est de moi… »
« Je connais bien votre force, Gagaran » intervint Climb. « vous n'auriez pas perdu contre un type venu d'on ne sait où. »
« Merci pour l'estime que tu me portes » ricana la Guerrière. « Alors, on baise ? »
« Désolé, je vais devoir refuser. »
« C'est pas très sain tout ça. Et puis comment tu vas faire quand tu te retrouveras au lit avec une fille si tu sais pas y faire ? Elle va croire que tu es nulle au pieu. Ce sera la honte. C'est ça que tu veux ? »
La femme soupira.
« Bon, je te forcerai pas » dit-elle. « Mais si tu changes d'avis, je serais toujours disponible. Et c'est pareil pour toi, le gratteur de luth. Comme ça, tu me parleras un peu plus du "Héros Noir".
« Ce sera avec plaisir. »
« Bon, il me semble que le papotage a assez duré, non ? » Dit finalement Evileye, sûrement pour couper court à la conversation. « Il ne faut pas oublier que nous avons des préparatifs à faire. »
« Tu as raison » approuva Gagaran. « Désoler mon petit Climb. J'aurais aimé avoir le temps de faire quelques passes avec toi. »
« Merci, Gagaran. »
« Tu vas rentrer, j'imagine » dit Evileye.
« Oui, Dame Renner doit m'attendre. »
« Et toi ? » Demanda la Magicienne au Barde.
« J'espérais pouvoir échanger une bonne nuit de sommeil dans cette auberge contre quelques chansons » répondit-il. « Peut-être que vous pourrez me recommander. »
« Si tu as d'autres chansons comme celle sur Momon, peut-être. »
« Quant à toi, Climb, on te confie notre Cheffe, d'accord ? » Ajouta Gagaran. « Arme-toi bien, c'est compris ? Et n'oublie pas les objets. Tu as ceux que je t'ai donnés, hein ? »
« Les clochettes ? » Demanda Climb. « Bien sûr. Je les ai toujours sur moi. »
Il tapota la sacoche à sa ceinture.
« Bien. Et garde aussi des potions sur toi en permanence. Moi ça m'a plus d'une fois sauvé la vie. »
« Tu es étonnement prévenant avec lui » remarqua insidieusement Evileye.
« Ne te moque pas toi. Les préparatifs c'est important. Il faut toujours être vigilant. »
« Merci pour ces conseils » dit Climb.
Il s'inclina alors devant la Guerrière, salua ensuite la Magicienne et le Barde et repartit retrouver sa Princesse, tel le petit chien obéissant et fidèle qu'il était.
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La main posée délicatement sur les pages du livre abandonné ouvert sur ses genoux, Suprema regardait l'Oasis par la fenêtre de sa chambre. Un vent illusoire pénétrait dans la pièce et gonflait le pan de son sari couleur lavande brodée d'argent qui couvrait sa tête. Elle avait l'impression que cela faisait des jours qu'elle était là. Et peut-être que c'était vrai. Elle n'éprouvait ni le besoin de manger ni celui de boire ou de dormir. Elle était comme ça. Une Entité.
C'est comme ça qu'elle avait été créée et c'est comme ça qu'elle était. Les jours passaient dans ce paradis artificiel où elle habitait. Mais elle ne s'ennuyait pas. Elle avait ses livres. Des milliers et des milliers de livres que quelques âmes charitables acceptaient de lui amener de la bibliothèque de Nazarick. Mais elle, restait dans sa chambre.
Quelqu'un frappa à la porte. Ça arrivait de temps en temps. Elle ne répondit pas. La porte s'ouvrit alors.
« Suprema ? » Interrogea la jeune femme qui venait d'entrer.
Elle était d'une beauté à couper le souffle. Grande, la peau claire, de longues jambes déliées… elle avait un visage ovale, des lèvres roses et des yeux d'un bleu électrique scintillant. De ses cheveux blonds platines aux extrémités fuchsias émergeaient deux oreilles animales de la même couleur. Des oreilles de renard. Elles étaient complétées par une queue qui avait la particularité de ressembler à du cristal bleuté étincelant.
« Je venais voir si tu allais bien » dit-elle. « Et aussi… si tu voulais, je ne sais pas, aller te promener avec nous. »
Suprema tourna son visage dans sa direction et un petit sourire triste vint étirer ses lèvres à la carnation violet pâle.
« Merci, mais non. C'est gentil. »
« Tu es sûr ? On pourrait prendre le thé quelque part si tu veux. Bon, d'accord, ce sera pas aussi chic que les réceptions de Jeanne-Elizabeth… »
« Encore heureux » dit une voix à l'extérieur.
La jeune Femme-Renard se retourna pour froncer les yeux dans la direction de celle qui avait parlé puis dirigea à nouveau son attention vers Suprema.
« Qu'est-ce que tu en dis ? Tu es partante ? »
En même temps qu'elle disait ces mots, elle tendit sa main gauche gantée d'une mitaine de cuir bleu. Elle n'en avait qu'une. Le bustier bleu métallisé qu'elle portait n'avait qu'une seule manche à droite et donc, elle n'avait de gant que sur la main gauche. Le reste de sa tenue se composait d'une jupe blanche fendue laissant apparaître un short noir et des talons aiguilles de la même teinte que son haut.
« C'est très gentil à toi » dit Suprema de sa voix douce. « Mais je crois que je vais rester dans ma chambre aujourd'hui. »
« Comme tous les autres jours » soupira à nouveau l'autre personne, toujours invisible.
« Eodunn ! » S'exclama la jeune Femme-Renard.
« Allons, Jidoja, si elle ne veut pas sortir, laisse là donc. »
Une main se dessina alors dans l'encadrement de la porte et se posa sur son épaule. Celle-ci était ornée de bagues armures à chacun de ses doigts, tous se terminant par de longues griffes métalliques. L'une d'elles, celle du majeur était d'une teinte bleutée avec des diamants incrustés tout le long de l'ongle. Sa propriétaire se glissa dans le dos de la dénommée Jidoja et jeta un regard sarcastique à l'occupante de la chambre par-dessus ses fines lunettes de soleil. Ses yeux en amande, fendus comme ceux d'un serpent étaient d'une couleur jaune qui brillait littéralement. Pourtant, leur expression effrayante, ainsi que le maquillage glacé sur son visage, ne semble pas désarçonner Suprema qui se contenta de sourire.
« Tu n'es décidément pas drôle » soupira la dénommée Eodunn en s'écartant.
Se faisant, elle fit passer ses cheveux à l'arrière de son épaule de sa main non pourvue de griffes. Ceux-ci étaient d'une teinte violet pâle métallique et soigneusement coiffé avec deux petits chignons sur le dessus de sa tête en forme de cornes. Ils se reflétaient dans les sequins bleus de la veste de sa tenue, elle-même recouvrant un ensemble formé d'un short court taille haute moulant et une brassière, les deux en vinyle noir. Sa taille était serrée par une ceinture souple en peau de serpent violet sombre. Les pans de celle-ci étaient suffisamment longs pour pendre dans son dos et trainer derrière elle. Cependant, comme mue d'une vie propre, ils flottaient dans les airs tels des reptiles, s'enroulant autour de son corps et celui de Jidoja. Leurs extrémités étaient pourvues de ferrures formant trois lames aiguisées dont la plus grosse, au milieu, était décorée d'un énorme joyau bleu transparent en forme d'octaèdre irrégulier. Une arme qui paraissait des plus redoutable et totalement sous le contrôle de leur possesseur puisqu'elles semblaient se dresser contre Suprema.
« Je suis désolée pour elle » soupira Jidoja.
« Ce n'est pas grave » dit simplement Suprema.
« Tu es sûr que tu ne veux pas venir ? »
Suprema se contenta de secouer lentement la tête. Jidoja soupira et lui dit simplement au revoir avant de partir en refermant la porte derrière elle. À ce moment-là, le sourire de la femme s'effaça et elle se tourna à nouveau vers les paysages à l'extérieur.
Sortir. Elle rêvait de cela et le redoutait également. Elle avait toujours répondu aux convocations officielles, mais sentir le regard des autres sur elle lui était intolérable. Elle n'était pas comme eux. Elle était… différente. Unique. Trop unique. Chacune des Races et des Classes qui composaient son être lui étaient exclusifs et ne se trouvaient nulle part ailleurs… pas même dans l'YGGDRASIL originel.
Elle était née d'un projet spécial de leur Seigneur Harddyn, un projet grandiose qui devait donner au jeu une toute nouvelle dimension. Littéralement. La 5eextension avait introduit des armes à feu, des robots et une technologie jusque-là absente d'YGGDRASIL, plus orientée médiévale fantasy. Les Ennemis des Mondes censés clôturer cette épopée, les Envahisseurs des Neuf Mondes, devaient mener à ouvrir le jeu à l'espace. Ils devaient permettre aux Joueurs de construire des vaisseaux spatiaux afin de se rendre d'un monde à l'autre et de rencontrer d'autres Races possédant des Classes inédites avec les moyens de les acquérir eux-mêmes.
Suprema, elle, devait être le prototype d'un personnage important qui aurait porté l'histoire jusqu'aux confins des étoiles.
Mais comme de trop nombreuses fois auparavant, les associés de leur Maître Harddyn avaient refusé un projet selon eux trop ambitieux pour se rabattre sur une solution de facilité. À cette époque-là, leur Créateur n'avait pas la passion nécessaire pour s'attacher à défendre ses intentions jusqu'au bout et Suprema était resté un produit inachevé et inachevable, sans passé et sans avenir.
Plus que cela encore, elle était une bombe. Car leur Maître n'avait pas seulement fait d'elle une exception, il l'avait également doté d'un pouvoir hors du commun. Chacune de ses Races ainsi que de ses Classes était singulière et rare… et puissante. Dans ces conditions là, comment supporter le regard et surtout les attentes des autres ?
Elle s'était donc écartée. Elle restait dans sa chambre sans participer aux activités de l'Oasis et sans que personne ne le lui reproche. Certains avaient protesté. C'était normal. Eux travaillaient et pas elle. Pourquoi un tel traitement de faveur ? Mais Maître Harddyn les avait fait taire. C'était comme ça et pas autrement. Tous avaient donc obéi.
Mais ce n'était pas un traitement de faveur. Au contraire. C'était un exil, un exil auto infligé pour que personne n'apprenne la vérité que leur Seigneur et Maître Harddyn Emeryas lui avait avoué à elle et à elle seule.
Il était probable, possible même, que dans son état actuel, son niveau de puissance soit encore supérieur… à celui de son Créateur.
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Sebas traversa le portail et se retrouva à nouveau dans la rue. Les gardes le regardèrent passer, mais comme au moment où il était entré, ils ne réagirent pas. À la main, le Majordome tenait le Parchemin qu'il venait d'acquérir à la boutique de la Guilde des Magiciens de la capitale.
Cela faisait également partie de ses tâches. Devant en apprendre un maximum sur le niveau de connaissance du Royaume, il se rendait de temps à autre là-bas pour acheter un Sort inédit. C'est-à-dire un qui n'existait pas sur YGGDRASIL. La Guilde était le lieu idéal pour cela, car, contrairement à celle des Aventuriers, son but n'était pas de fournir les services de Magiciens. Plus centré sur la recherche, c'était également un lieu de production et de vente d'objets magiques ce qui assurait leurs revenus.
Le Sort acheté était ensuite envoyé à Nazarick pour être analysé par des experts pour voir s'il était possible de reproduire le Parchemin ou même d'apprendre la Magie qu'il contenait. Cela ne semblait pas toujours utile, mais les consignes étaient claires : rassembler le maximum d'information même si cela ne paraît pas intéressant. Selon Maître Harddyn, un renseignement d'apparence anodin peut parfaitement prendre une importance capitale avec le temps ou en faisant le lien avec d'autres connaissances. En bon Serviteur, Sebas suivait donc les consignes à la lettre.
Le Sort qu'il avait acheté aujourd'hui s'appelait Planche Flottante. De Niveau 1, il était apparemment utilisé pour le transport de matériel et permettait de générer une planche de Mana qui flottai du sol environ. En temps normal, la taille et le poids maximum étaient déterminés par la puissance du Mage. Cependant, puisqu'il s'agissait d'un Sort lancé à l'aide d'un Parchemin, ces mesures demeuraient fixes et la planche était de 1x1m et capable de supporter jusqu'à 50 kg. Le Sort permettait également à cette planche de suivre le lanceur 5m derrière lui (Si jamais celui-ci se retournait brusquement alors elle se déplaçait à vitesse réduite pour se trouver à nouveau dans son dos).
Certes, pour des personnes possédant un inventaire ou des sacs magiques, ce Sort pouvait sembler peu utile. Cependant, il aurait dû l'être un peu plus pour les habitants de ce monde. Après tout, il permettait l'économie d'un cheval et de sa nourriture pour le transport de marchandises. Cependant, le coût du Sort lui-même pouvait être rédhibitoire. 1 pièce d'or et 10 d'argent pouvaient représenter une fortune pour certains marchands, surtout que les Parchemins n'étaient qu'à utilisation unique. C'est d'ailleurs pour cela que la Guilde en avait de nombreux sur les bras. Toutefois, il ne leur est pas venu à l'idée de baisser les prix pour appâter plus d'acheteurs.
Voyant le ciel tourner au rouge, Sebas sortit sa montre à gousset. Son achat lui avait pris plus de temps que prévu. Cependant, il avait d'autres choses à faire avant de rentrer.
« Démon de l'Ombre » dit-il à voix basse. « Transmets le message suivant à Solution : "Je serais en retard". »
Aussitôt, une flaque sombre se détacha de l'ombre sous ses pieds et fils au travers des rues. Satisfait, Sebas rangea son parchemin dans la poche intérieure de son veston et en sortit un autre. Celui-ci n'était pas roulé, mais plié. Il l'ouvrit alors et l'examina. Il s'agissait d'une carte de la ville. Elle lui avait été confiée par Maître Harddyn lui-même pour l'aider dans sa mission. Il regarda le parchemin puis les voies qui s'offraient à lui de là où il était.
« Je vais prendre cette route » marmonna-t-il pour lui-même.
Cela ne lui avait pas spécifiquement été ordonné, mais dans le cadre de sa recherche d'information, il essayait des chemins différents chaque jour afin de rassembler des données. Grâce à la carte, il savait où tout se trouvait dans la cité. Cela lui permettait ainsi de mieux orienter ses investigations.
La route qu'il avait empruntée menait vers les quartiers les moins reluisants de la ville. Au fur et à mesure qu'il avançait, les rues se faisaient plus sales et les odeurs plus nauséabondes. Les ruelles à peine assez grandes pour laisser passer plus de deux personnes formaient ici une sorte de dédale inextricable. Malgré cela, l'excellente mémoire et le grand sens de l'orientation de Sebas lui permettaient de savoir où il était exactement.
Au bout d'un moment, il se décida enfin à rentrer. Il aurait aimé prolonger sa promenade, mais s'adonner ainsi à une active qui n'était au final qu'une simple distraction n'avait rien d'honorable. Dire qu'il recueillait des informations n'était qu'un prétexte. Il ne devait donc pas pousser l'outrage plus loin et retourner jusqu'à la maison.
Dans l'endroit où, les gens étaient rares, tous préfèrent soit rester chez eux, soit dans leur boutique. Chacun semblait se mêler de ses affaires. Probablement pour leur propre survie. Cependant, le lieu où il se trouvait était plus désert et perdu encore. Cela n'empêcha pas le Majordome de savoir exactement comment rentrer.
Alors qu'il s'engageait dans une ruelle tout aussi étroite, sale et malodorante que les autres, un bruit soudain le fit s'arrêter. Devant lui, une lourde porte en acier était en train de s'ouvrir. Un homme en émergea et sembla regarder de chaque côté. Heureusement, Sebas était dissimulé dans les ombres et ne pouvait être vu. Apparemment satisfait, il retourna à l'intérieur puis revint avec un grand sac qu'il jeta à l'extérieur. Sa forme était assez étrange et Sebas aurait juré l'avoir vu bouger.
Cependant, alors que l'homme était à nouveau rentré, Sebas décida que ce n'était pas ses affaires. La rue étant le chemin le plus court pour atteindre la maison, il continua donc à marcher dans la même direction. Il arriva près de la porte, toujours ouverte, ainsi que du sac quand il s'arrêta. Il avait senti comme une résistance au niveau de son pantalon. Comme s'il s'était accroché quelque part.
Il baissa les yeux et vit qu'une main avait saisi son vêtement. Celle-ci était attachée à un bras, lui-même attaché à un buste qui émergeait de l'intérieur du sac. La jeune femme à qui ils appartenaient était nue. Ses cheveux blonds, coupés aux épaules, étaient sales, secs et emmêlés et ses yeux bleus étaient vides. Du moins ce qu'on pouvait en voir. Son visage avait tellement gonflé à cause des coups qu'on les apercevait à peine. En fait, on avait bien du mal à discerner un visage au milieu de cette chaire boursouflée et meurtrie. Elle était maigre, très maigre et sa peau était cireuse et parcourue de taches rougeâtres de la taille d'un ongle.
On aurait pu croire qu'il s'agissait d'un cadavre si elle ne tenait pas l'ourlet du pantalon de Sebas aussi fermement. C'était comme si une toute dernière étincelle l'habitait et qu'elle l'avait utilisé pour ce simple geste d'appel à l'aide.
« Pourriez-vous me lâcher, je vous prie » demanda-t-il à la jeune femme.
Celle-ci ne bougea pas. Il était fort probable qu'elle n'ait pas entendu. Elle n'était pas encore morte, mais elle n'était pas non plus tout à fait consciente. Bien entendu, il aurait été facile pour Sebas de se soustraire à l'étreinte de ses doigts d'un simple mouvement de sa jambe. Et pourtant, il n'en fit rien.
« Êtes-vous dans le besoin ? » demanda-t-il. « Si oui, je… »
« Hey, le vieux ! » l'interrompit alors une voix. « D'où tu viens ? »
Un homme, probablement celui de précédemment, se trouvait sur le pas de la porte. Son ton comme son expression étaient menaçants. D'une haute stature, musclée, le visage couturé de cicatrices, il incarnait parfaitement le « gros bras » typique. La lanterne rouge qu'il tenait à la main ne faisait qu'accentuer encore l'hostilité et la laideur de ses traits.
« Hey, oh, Papi ! Tu regardes quoi comme ça ? » grogna à nouveau l'homme.
Mais Sebas ne répondait pas. L'homme fit alors quelques pas et referma la porte derrière lui. Il posa la lanterne au sol et se redressa, le tout d'une lenteur calculée. Probablement pour avoir l'air plus menaçant.
« T'es dur d'oreille ou quoi, le vieux ? »
L'homme carra les épaules et serra les poings. Encore des tactiques pour paraître menaçant. Sebas, lui, se contenta de sourire. Un gentil sourire de gentleman tout ce qu'il y a de plus inoffensif. Pourtant, au même moment, le malfrat crut être face à un redoutable prédateur. Sans s'en rendre compte, il recula d'un pas, puis d'un autre.
Cependant, il n'était pas encore assez loin. En effet, Sebas n'eut qu'à tendre la main pour saisir le col de l'homme et le soulever dans les airs avec une facilité déconcertante. Le gros bras poussa un couinement paniqué et se mit à battre des jambes dans le vide. Il était plus jeune, plus musclé, plus violent et pourtant il se faisait maîtriser par un simple vieillard. Il agrippa alors son bras dans l'espoir de lui faire lâcher prise, mais celui-ci semblait être d'acier.
« Qu'est donc cette femme ? » demanda Sebas d'une voix si sereine qu'elle remplit le malfrat d'une peur incontrôlable.
« Une… une de nos employées » gémit l'homme.
« En êtes-vous… sûr ? »
L'homme s'étrangla sans répondre. La prise de Sebas se raffermit.
« Elle… elle est malade ! » s'écria-t-il alors. « Je l'emmenais au Temple. »
« Je n'apprécie guère le mensonge » dit le Majordome dont la poigne se faisait encore plus intense.
Rien dans la situation ne pouvait faire croire une seconde aux mots du malfrat. La femme avait été fourrée dans un sac, jetée comme des ordures dans la rue et son visage étaient tuméfiés. Rien qui ne faisait penser à une maladie.
« Arrê… » gargouilla l'homme.
Il tenta de donner un coup de poing à Sebas, mais celui-ci l'arrêta facilement. S'il n'avait pas encore appelé à l'aide, c'est probablement parce qu'il savait que personne n'était assez proche pour l'entendre et intervenir. Cependant, Sebas ne voulait pas provoquer plus de grabuge. Il avait reçu l'ordre de ne pas se faire remarquer. Il n'aurait pas dû s'immiscer. Il allait donc devoir terminer ça rapidement.
« Mettons que je vous crois. Et si je vous proposais d'amener cette femme au Temple moi-même » dit-il.
Le regard de l'homme se fit méfiant.
« J'ai aucune garantie que tu le feras… » dit-il.
« Vous n'avez qu'à venir avec moi pour vérifier » lui dit Sebas.
« Je… j'ai pas le temps là. C'est pour ça que je voulais y aller plus tard » contra son interlocuteur.
Sebas plissa alors les yeux et le malfrat sembla paniquer.
« D... D'après la loi, elle nous appartient ! » couina-t-il. « Si tu te mêles de nos affaires, je pourrais te dénoncer comme kidnappeur ! »
Sebas se figea. L'homme venait de toucher un point sensible. Il avait reçu pour ordre de se faire discret, de ne provoquer de grabuge que dans le cadre de leur comédie à Solution et à lui. Si jamais les autorités étaient alertées, leur position serait compromise.
« Tu voudrais pas causer des problèmes à ton maître, hein ? » demanda le malfrat qui reprenait peu à peu confiance en lui. « Si ça se trouve, il est même de notre côté. Il pourrait te passer un savon. »
« Pensez-vous vraiment que mon maître ne puisse résoudre ces petits détails ? Les règles n'existent que pour être brisées par les forts. »
Une expression apeurée traversa le visage de l'homme, mais cela semblait plus dû à un souvenir plutôt qu'aux paroles de Sebas.
« Et si t'essayais, pour voir ? » dit-il alors avec bravade.
« Hum… » dit simplement le Majordome.
Apparemment, le malfrat avait suffisamment repris confiance en lui pour résister à son bluff.
« Je vois » dit-il. « Certes, ça pourrait s'avérer problématique du point de vue juridique. Toutefois, la loi dit aussi qu'il est possible de venir en aide à quelqu'un qui le demande. Ce ne serait donc, bien sûr, pas un enlèvement. Évidemment, comme elle est inconsciente, il faudrait tout d'abord l'amener au Temple, n'est-ce pas ? »
Sebas ne connaissait pas la loi de ce pays. Un manque qu'il lui faudrait combler rapidement. Cependant, pour le moment, cette loi inventée semblait suffisante pour tromper l'homme. Bien sûr, c'était une arme à double tranchant. Si jamais celui-ci inventait également un article de loi pour le contrer, il était coincé.
Sebas lâcha alors le malfrat qui tomba sur le sol puis posa un genou à terre près de la jeune femme.
« Souhaitez-vous que je vous aide ? » l'interrogea-t-il.
Elle n'eut aucune réaction ; il réitéra sa demande, mais il n'y avait toujours rien. Vu l'état dans lequel elle était, c'était on ne peu plus normal après tout. C'était déjà un miracle qu'elle ait eu suffisamment de force pour attraper le pantalon de Sebas au vol. Cependant, comme en réponse à la question posée, les lèvres de la femme se mirent à bouger presque imperceptiblement. Sebas se pencha alors et fit semblant d'écouter.
« Oui, je comprends » dit-il en hochant la tête.
Il posa ensuite doucement sa main sur ses yeux et ferma ses paupières.
« Oubliez toute crainte » dit-il. « Et dormez à présent. Vous êtes sous ma protection. »
« Tu mens… » balbutia le malfrat.
« Vraiment ? Je mens ? » demanda Sebas en se relevant.
« Je…. »
L'homme émit un gargouillement étouffé face au Majordome.
« Puisque c'est réglé, je l'emmène » dit-il.
Il se pencha à nouveau puis prit le corps décharné dans ses bras puissants.
« A… Attend ! » s'exclama alors le malfrat.
« Autre chose à dire ? » demanda Sebas.
« Non.. Enfin… écoute… Si tu emmènes cette femme, il va y avoir du grabuge. Tu connais les Huit Doigts. »
Sebas en avait en effet entendu parlé.
« Si tu l'emmènes, je vais me faire zigouiller, moi ! » gémit-il.
« Alors, échappez-vous » répondit nonchalamment le Majordome.
Le malfrat s'étrangla.
« Où voulez-vous que je trouve le fric pour fuir » geignit-il.
« S'il le faut, je vous paierais » soupira Sebas.
Il aurait vraiment préféré tuer l'homme, mais il ne voulait pas laisser un cadavre derrière lui. Au moins, avec quelques pièces il réglait le problème.
Du moins, il l'espérait.
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« Maître Sebas, qu'est-ce que cela signifie » demanda Solution d'un ton froid en voyant le Majordome arriver avec son paquet dans les bras.
« Je l'ai trouvé » répondit celui-ci.
La Servante regarda la forme humaine avec mépris avant de lever à nouveau les yeux.
« Comme je suppose qu'il ne s'agit pas d'un encas pour moi, je me demande ce que vous voulez que nous en fassions. »
« Installe-là dans l'une de nos chambres d'amis » dit-il. « Ensuite, examine-là et soigne-là. »
« Pour ce qui est des soins, Dame Pestonya serait mieux indiqué » dit la Slime.
« Je préfère éviter de la déranger. Tu disposes de Parchemins avec des Sorts de Soin, non ? »
La Servante plissa les yeux.
« Ils nous ont été remis par nos Créateurs » siffla-t-elle. « Je doute qu'ils apprécient que nous les utilisions sur une humaine. »
« Fais-le » ordonna Sebas sur un ton autoritaire et métallique.
Il ne savait pas si elle pourrait survivre le temps de la soigner par d'autres moyens.
« Entendu » dit simplement Solution d'une voix encore plus froide. « Et qu'en est-il de son esprit ? La guérir nécessiterait de faire appel à Maître Harddyn. »
« Inutile de le déranger pour quelque chose d'aussi mineur » répondit Sebas.
Il confia alors le corps émacié de la jeune femme à Solution qui le prit aisément dans ses bras. Ce n'était pas tant à cause de la légèreté maladive de la blessée que grâce à sa force inhumaine. Sebas la regarda s'éloigner pensivement. Il ne savait pas bien pourquoi il l'avait sauvé. Son Créateur, Touch Me, avait pour doctrine de protéger les plus faibles et, même s'il y adhérait, il ne l'avait jamais comprise.
De même, il n'arrivait pas à comprendre l'empressement qu'il avait à vouloir absolument cacher cette information à leurs Maîtres.
Il soupira en se demandant s'il n'avait pas fait une erreur finalement…
À suivre…
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Et voilà un autre chapitre de terminé. J'espère qu'il vous a plu. L'histoire n'a pas beaucoup avancé, mais pas mal d'informations ont été diffusées donc j'espère que ça ira.
Oh ! Climb ! Pov petit hétéro persécuté ! . Oui, je lui ai donné une attitude d'hétéro basique dans… pratiquement tous les mangas où le héros est un homme hétéro qui rencontre un gay (forcément caricaturé). À chaque fois que je vois ça, ça gâche un peu le manga que je regarde. Quand il est super, c'est assez dommage. Enfin bref, oui, Climb a un peu cette personnalité. Ça se voit pas dans l'anime, mais ça lui va comme un gant (malheureusement).
Jidoja ainsi qu'Eodunn, les 100 qui apparaissent dans la partie sur Suprema, sont inspirés du groupe virtuel de K-Pop K/DA. Il est composé d'avatars du jeu League of Legend redésigné et animé avec des voix de véritables chanteuses mis en scène dans des clips aux graphismes éblouissants. Jidoja est l'homologue d'Ahri et Eodunn, celui d'Evelynn (les deux autres font également partie des 100). Pour ce qui est de leur apparence, je me suis inspiré de celle qu'elles ont dans le clip de leur chanson "More", si vous voulez faire un petit tour et voir.
Et voilà, n'hésitez pas à me laisser un commentaire et je vous dis à la prochaine fois.
