VORACITY I - New World
Arc 4 : L'Écuyer Contrefait
Chapitre 5
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Harddyn se lécha les lèvres d'envie. Le spectacle qui s'étalait sous ses yeux était des plus appétissant… littéralement.
Comme il rentrait au palais avec Climb, Harddyn, ou plutôt Aliz, avait capté une odeur. Un fumet délicieux qui s'échappait d'un petit restaurant d'une rue parallèle à celle qu'elle et son amie arpentaient. Elle sentit alors quelque chose s'agiter en elle, au niveau de son ventre, une sensation accompagnée du bruit caractéristique des gaz provoqués par la contraction des intestins en préparation d'une arrivée imminente de matière. Autrement dit, un gargouillement.
C'était un évènement assez rare pour Harddyn, mais pas complètement illogique. Certes, il était un Slime, une masse visqueuse de liquide gluant et corrosif. Il ne devait donc pas avoir de système digestif. Cependant, lorsqu'il adoptait une apparence plus humaine, son architecture interne était également transformée pour copier celle de son modèle. L'hypothèse d'Harddyn était qu'il s'agissait d'un phénomène instinctif lié au souvenir du fait qu'il avait, à une époque, possédé un organisme et qu'il le reproduisait quand il avait l'air de nouveau Humain.
Après tout, même des Slimes métamorphosés comme Solution n'étaient en fait qu'un sac de fluides d'aspect humanoïde. Ils ne pouvaient pas appréhender les fonctions corporelles de leurs modèles et considéraient qu'il était inutile de les singer.
Toujours est-il que grâce à cela, le corps d'Harddyn était en mesure de réagir de manière identique à celui d'un être humain. Il n'avait certes pas de sang dans les veines, mais c'est pour cela qu'il était capable, par exemple, d'éjaculer. Il possédait donc également un système digestif et celui-ci se comportait exactement un vrai : il gargouillait pour signaler que l'organisme était prêt à ingérer de la nourriture… et Harddyn n'allait pas se priver.
« Où vas-tu ? » Lui demanda Climb en voyant sa nouvelle amie bifurquer.
« J'ai faim » dit-elle. « Il est midi. »
« On pourra manger une fois au palais » répliqua le jeune homme en la rattrapant.
« Oui, mais j'ai senti une bonne odeur et j'ai envie de goûter ce que c'est. »
Climb Jura et accéléra pour rester près de la jeune femme. Il faillit d'ailleurs lui rentrer dedans quand elle s'arrêta net. Le petit restaurant devant lequel elle était plantée ne payait pas de mine, mais il était vrai que l'odeur était délicieuse. Elle provenait de la grande cheminée à l'intérieur duquel un porc entier avait été mis à cuir.
La peau de l'animal auparavant rose était à présent d'un magnifique doré. Certains endroits avaient pris une couleur plus sombre, toutes en teintent de brun, là où la chaire avait grillé. Même de loin, on pouvait voir que ces parties étaient croustillantes à souhait.
Assise à côté, une femme tournait lentement la broche pour que la chaleur se répartisse harmonieusement à la viande. De temps en temps, elle prenait une louche et versait de l'eau sur l'animal. Le liquide clair grésillait sur la peau brûlante, mais s'infiltrait aussi dans les chaires. Grâce à cela, la chair du porc devait être tendre et juteuse à souhait.
Une marmite était également posée au-dessus du feu. Quand elle n'arrosait pas la viande, la femme remuait le contenu qui paraissait assez épais. Des odeurs grasses en émanaient. Des lentilles, des navets, des pommes de terre, tous cuit, semblait-il, avec la graisse de l'animal.
« On y va ! » Décida alors Aliz sans ambages.
« Mais, attends ! » S'écria Climb. « Je… je n'ai pas d'argent… »
Il avait dit ces derniers mots à voix basse et avec un rougissement sur ses joues.
« Moi j'en ai » répondit Aliz.
« Je ne peux pas te laisser payer » décréta Climb sur un ton péremptoire.
L'Écuyère leva un sourcil.
« Pourquoi ? Parce que je suis une femme ? »
Climb dû percevoir l'acidité dans ses paroles, car il ne répondit pas. À la place, il se contenta de rougir encore plus. Aliz, elle, roula intérieurement des yeux. Connerie de galanterie. Encore un moyen inventé par les hommes pour diminuer les femmes. Beaucoup de personnes (des deux sexes) prenaient ça comme des marques de considérations, mais c'était faux.
Bien entendu, c'était parce que les femmes étaient trop fragiles et faibles que les hommes devaient leur ouvrir la porte, porter leurs bagages ou rabaisser la lunette des toilettes. C'était parce que leurs volumineuses robes étaient trop imposantes qu'ils dussent leur pousser la chaise ou les aides à descendre de voiture. Et bien sûr, l'homme devait payer pour toutes les dépenses de la femme parce que de toute façon, elle n'avait pas d'argent à elle puisque l'unique chose que fait une femme c'est attendre le mariage (et quand celui-ci est consommé, elle est trop affairée à tenir la maison et s'occuper des enfants pour en avoir besoin d'un).
Et bien n'en déplaise à ces messieurs, les femmes pouvaient se débrouiller seules, merci beaucoup. Elles pouvaient ouvrir leur porte, baisser leur lunette de toilettes et porter leurs bagages sans leur aide. Elles n'étaient pas obligées de s'habiller avec des meringues en guise de fringues et n'avaient donc pas besoin d'assistance pour marcher d'un point A à un point B, surtout si celui-ci se trouve à 10 m. Et surtout. Une femme peut gagner son propre argent et se payer son restaurant, qu'elles soient accompagnées ou non. Elle pouvait même conjuguer la maternité et le travail. Après tout. Qu'un enfant doive préparer son petit déjeuner et son goûter tout seul n'a jamais fait de mal à personne.
C'est exactement ce que déclama Aliz à son ami rougissant (tout en expurgeant la partie sur la voiture).
« Maintenant que c'est dit, allons manger » conclut-elle son monologue.
« Mais… mais je peux quand même pas te laisser tout me payer… » gémit Climb, qui hésitait encore à suivre la jeune femme.
Aliz comprit alors que ce qui retenait le garçon était plus profond qu'un simple sexisme non assumé. Climb avait été pauvre. Plus que ça, il avait été un orphelin miséreux qui serait sans doute mort dans la rue si Renner ne l'avait pas trouvé. C'était elle-même qui le lui avait raconté.
Avoir été ainsi sauvé puis logé, nourris et blanchit avait provoqué chez lui un sentiment d'infériorité. Il avait l'impression de ne rien avoir mérité et de ne rien mériter de plus. C'était la raison pour laquelle il travaillait aussi dur pour devenir fort, pour rembourser la Princesse de ses bienfaits. Et c'était également la raison pour laquelle il ne voulait pas qu'Aliz paye pour lui, parce qu'il ne voulait pas devoir encore autre chose à quelqu'un. Il ne voulait pas dépendre encore de la générosité d'une autre personne.
En s'apercevant de cela, L'Écuyère se détendit.
« Écoute, comme tu n'as pas d'argent sur toi aujourd'hui, c'est moi qui paye » dit-elle d'une voix plus douce. « Et ma prochaine fois qu'on va au restaurant, ce sera toi, d'accord ? »
Climb réfléchit quelques instants puis finit par hocher la tête et suivre son amie à l'intérieur. Il était encore tôt si bien qu'il n'y avait pas trop de monde. L'espace était de taille moyenne, un peu plus petite que la salle à manger de la Sirène avec plusieurs longues tables et des bancs.
Climb et Aliz s'assirent l'un en face de l'autre au bout de l'une d'elles et attendirent que quelqu'un vienne les voir. La femme à la cheminée fit un signe de tête. Un garçonnet se précipita prendre sa place alors qu'elle se levait pour se diriger vers les nouveaux clients.
« Qu'est-ce que je vous sers, messieurs dames » dit-elle sur un ton accort en essuyant ses mains avec m grand tablier blanc passé sur sa robe.
« Deux repas, patronne » répondit Aliz avec enthousiasme. « Vote cochon saint rudement bon ! »
« On le sert avec notre potée de lentilles » dit-elle en désignant la marmite qu'elle remuait auparavant.
« Deux potées alors » dit Aliz. « Vous avez quelque chose d'autre sur le feu ? »
« J'ai une quiche si vous désirez » dit la femme. « Et je peux l'accompagner de salade. »
« Va pour deux parts de quiche avec salade » commanda la jeune fille.
Climb voulut protester sur la quantité, mais déjà, la femme reprenait.
« Et comme boisson ? » Demanda-t-elle. « J'ai un excellent hydromel provenant du sud d'E-Pespel. »
« On en prendra deux alors. Et ça ira pour le moment. »
« Très bien. »
« On ne va jamais arriver à manger tout ça » souffla Climb à son amie une fois la tenancière repartie.
« Comment ça "on" ? J'ai juste commandé pour moi. »
L'expression de pure incompréhension du jeune homme fit éclater son interlocutrice de rire.
« Je plaisante, je plaisante, c'est pour nous deux. Et comme je t'ai dit, j'ai faim. Au pire, je finirais ta part. »
Il ne fallut pas deux minutes à la femme pour revenir les voir. D'une main elle tenait deux chopes par leurs anses et de l'autre, deux assiettes, l'une posée en équilibre sur son avant-bras et sa paume et l'autre maintenue entre ses doigts. Arrivée à la table, elle déposa les boissons afin de libérer sa main et poser chacune des écuelles devant ses clients.
« La potée viendra dans quelques minutes, le temps que le porc finisse de cuir » dit-elle.
« Prenez votre temps » dit Aliz. « Nous avons déjà à faire ici. »
Alors que la femme repartait, elle reporta son attention sur ce qui se trouvait devant elle. La chope de cuivre était remplie à raz bord d'un liquide ambré qui semblait particulièrement frais. Aliz effleura le récipient et, en effet, celui-ci répondit des frissons agréables qui remontèrent le long de ses doigts (encore une fois, elle se félicitait d'avoir désactivé son [Immunité aux Variations de Température]).
Elle se pencha alors et posa ses lèvres sur le rebord pour en aspirer une lichée. Le goût sucré et fleur du miel se déversa dans sa gorge. Il était tellement prononcé qu'elle sentait à peine l'alcool. Cependant, c'était cette petite pointe forte qui demeurait en arrière-bouche qui la rendait si délicieuse et désaltérante. Sa fraîcheur était également exquise sur la langue de la jeune fille, toutefois elle se disait que ce serait encore meilleur après avoir mangé quelque chose de chaud.
Elle se tourna alors vers la part de quiche. Celle-ci était d'un magnifique jaune bouton-d'or avec des taches plus sombres. La pâte sablée était aussi cuite à la perfection, d'une apparence ferme et pas juste farineuse. La parfaite forme en triangle permettait de voir l'intérieur duveteux du plat, un mélange de pâte ferme et cotonneuse d'un jaune pâle et des pointes roses des lardons qu'elle contenait.
Posée sur une assiette de terre vernie, elle était accompagnée de quelques feuilles de salades vert encore brillant d'humidité auxquelles on avait ajouté des tomates cerises entières. Les petits corps rebondis étaient d'un rouge si soutenu qu'Aliz ne put résister à l'envie d'en prendre une entre deux doigts pour la porter à ses lèvres.
Elle mordit alors à l'intérieur, perçant la peau ferme et faisant gicler le jus sur sa langue. Elle ressentit le léger picotement agréable de l'umami, un goût riche et doux qui demeurait en bouche comme elle dégustait le reste de son petit fruit écarlate.
Satisfaite, elle, prit la part de quiche à main nue et en attaqua le bout. Ses dents s'enfoncèrent toutes seules dans la texture douce. Même le fond de la croûte était rendu moelleux par le liquide de la farce. La cuisson l'avait imbibé à la fois des œufs et de l'huile des lardons, la rendant à la fois grasse et tendre. Elle se mit à mâcher la quiche qui glissa d'elle-même jusque dans son gosier. Elle allait en reprendre une bouchée quand elle décida d'essayer avec la salade.
Elle prit l'une des grandes feuilles et la plaça par-dessus la part de quiche puis mordit dedans. Cette fois, le croquant du légume se fit entendre alors qu'il enfonçait ses incisives à l'intérieur. La fraîcheur du végétal et l'eau qu'il contenait se mélanger au tiède de la quiche. Aliz mâcha l'amalgame qu'elle agrémenta rapidement d'une gorgée d'hydromel. L'alliance de chaud et de froid, de salé et de sucré produisit une explosion dans sa bouche.
Elle continua ainsi à dévorer son repas en variant les combinaisons pour trouver de nouvelles saveurs. En face d'elle, Climb la regardait avec incrédulité tout en mâchonnant sa propre nourriture. À voir son enthousiasme, on aurait dit que la jeune fille ne s'était pas alimentée depuis des lustres. En fait, il n'avait jamais vu personne avant elle prendre autant plaisir à manger.
Et en effet, Harddyn éprouvait un très grand bonheur de ce déjeuner. Avec tout ce qu'il avait à faire, elle avait oublié ce qu'était la sensation d'un vrai repas. Il n'avait pas besoin de se nourrir pour survivre ce qui fait qu'il avait délaissé une bonne part de ce qui faisait sa nature.
L'Incube était un jouisseur et le Slime, un prédateur. La nourriture aurait dû être une part plus importante de sa façon d'être, mais il l'avait négligé. C'était cette simple odeur dans la rue qui lui avait rappelé que depuis qu'il n'était plus un arbre mort, il pouvait à nouveau apprécier un fumet ou le goût des aliments. Il avait dit à Climb qu'il le laisserait payer la prochaine fois qu'ils iraient manger à l'extérieur et Harddyn ferait en sorte que ça arrive bientôt.
Aliz avait à peine terminé sa quiche que l'aubergiste revint avec le plat principal. L'écuelle de bois était fumante et la fragrance riche de son contenu venait titiller ses narines. Des étoiles se mirent à briller dans ses yeux quand la femme la posa devant elle.
Les lentilles nageaient dans un bouillon épais composé d'un mélange d'eau et de matières grasses. De gros morceaux de carottes, de navets et de pommes de terre ainsi que des rondelles de saucisses en émergeaient. Sur le côté étaient posées deux belles tranches de viande de porc. Si Aliz ne se trompait pas, il s'agissait d'une part d'échine. La peau sur l'un des côtés était brune et le grésillement qui en émanait était de la musique aux oreilles de L'Écuyère. La chaire, elle, était rose et luisante. Des gouttes de jus claires glissaient dessus et tombaient dans les lentilles.
Aliz se saisit de sa cuiller en bois et la plongea dans son assiette. Elle cueillit des lentilles, un morceau de pomme de terre et une rondelle de saucisse qu'elle enfourna d'un seul coup. Elle se mit alors à souffler. C'était chaud. Elle resta quelques minutes les lèvres entrouvertes en tentant de refroidir ce qu'elle avait dans la bouche avant de se mettre à mâcher.
La pomme de terre était un peu farineuse et s'effritait sous la langue, mais, grâce à cela, elle se mélangeait à la perfection aux lentilles tendres. Cela faisait plus une purée qu'autre chose, mais c'était délicieux et ça coulait presque tout seul dans la gorge. Cependant, il y avait aussi la saucisse. D'une exquise texture spongieuse, chaque coup de dent en faisait jaillir un jus huileux, salé et chaud qui se mêlait à la purée.
Aliz déglutit, se lécha les lèvres puis prit une seconde cuillerée. Cette fois-ci, elle prit bien garde à souffler dessus avant de la mettre dans sa bouche et de commencer à mâcher. Elle soupira de plaisir. Sur sa langue, carottes, navets et pommes de terre se mélangeaient aux lentilles. Les saveurs semblaient se compléter les unes les autres en un festival délicieux.
Reposant sa cuiller, elle décida de s'attaquer aux morceaux de porc. Comme tout le monde autour d'elle, elle prit la viande entre ses doigts et mordit à l'intérieur. Elle en arracha ainsi une grosse part qu'elle commença à mâcher. Comme tout à l'heure, ses coups de dents faisaient jaillir le jus de l'animal. S'associait à cela le craquement agréable de la peau grillée et huileuse. La chair elle-même était tendre et pas séchée du tout. Comme un bon jambon.
Aliz se lécha les lèvres, laissant des traces de gras dessus. Elle récupéra ensuite la cuiller et reprit de la potée. Mais cette fois au lieu de la mâcher tout de suite, elle prit également une bouchée de porc. Elle continua comme cela jusqu'à ce qu'il ne reste plus que quelques sillons de sauce dans son assiette. Elle prit alors la tranche de pain complet que l'aubergiste avait amené peu après leurs plats. Elle s'en servit pour saucer le reste des lentilles et nettoyer entièrement son écuelle.
Elle termina le pain un peu sec et compact puis sortit délicatement un mouchoir de sa poche qu'elle utilisa pour s'essuyer les doigts et la bouche. Finalement, elle soupira de contentement et pencha sa tête en arrière toute se retenant au banc.
« Et bien… c'était bon » dit-elle.
Elle se redressa et fixa Climb. Le garçon l'observait toujours avec le regard troublé d'un homme qui voit une femme « moderne » pour la première fois, un mélange de fascination, d'incrédulité et réprobation refoulée.
« Tu comptes finir ton assiette ? » Demanda alors ma jeune fille en désignant le plat à peine touché devant son ami. « Je peux t'en débarrasser si tu veux. Et comme ça, on pourra voir ce qu'ils ont comme desserts. »
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Aliz se sentait définitivement mieux quand elle et Climb ressortirent du restaurant. Elle se sentait presque… rassasiée.
Climb, de son côté, ne savait que penser. Aliz était différente de toutes les femmes qu'il avait rencontrées jusque-là. Enfin presque. Par certains aspects, elle lui rappelait un peu Gagaran. Sauf que dans son cas, son physique très viril rendait ses manières directes moins choquantes. Mais Aliz c'était autre chose. En effet, elle était beaucoup plus féminine que la Guerrière des Roses Bleues. Même ses vêtements masculins d'Écuyer ne parvenaient pas à masquer le fait qu'elle était très jolie. Pas aussi belle que la Princesse, mais une physionomie assez agréable tout de même. Des mains fines, une silhouette gracile, un nez droit, de grands yeux verts brillants… avec les cheveux plus longs et une robe, elle pourrait faire une demoiselle de la cour assez enviée.
Et pourtant, elle était loin d'agir comme celles-ci. Elle était même loin de se comporter comme les femmes de moindres naissances. Climb ne savait pas vraiment que penser de cette attitude. Il n'était pas tellement choqué par elle, mais il ne savait pas s'il l'appréciait. C'était plutôt que ça n'avait pas vraiment d'importance puisque c'était elle. En fait, à mesure qu'il la fréquentait, Climb avait de moins en moins l'impression de côtoyer une femme et plus celle de côtoyer un autre homme… un ami.
« Il faudrait tout de même rentrer à présent, non ? » Dit Climb alors que ledit ami s'était une nouvelle fois arrêté.
« Je me lave juste les mains, elles sont toutes grasses » dit Aliz qui avait plongé celle-ci dans l'eau d'une fontaine.
Climb soupira et se mit à regarder autour de lui en attendant. Il fonça les sourcils en voyant un attroupement d'où émanait des bruits de colère.
« Il se passe quelque chose là-bas » dit-il. « Il faudrait sans doute aller voir. »
« Il y a des gardes pour ça, non ? » Fit remarquer Aliz en désignant deux hommes en armes qui se tenaient sur le côté.
Malheureusement, ceux-ci ne semblaient pas vraiment décidés à intervenir. Ils observaient nerveusement la situation comme s'ils se demandaient s'ils devaient vraiment agir ou non. Ce n'était pas vraiment anormal. En effet, leur équipement reconnaissable de seconde main, leur apparence négligée et leur manque de forme physique les identifiaient plutôt comme des gardes de la cité. Contrairement à ceux du château et aux chevaliers, ils étaient recrutés parmi la populace et entraînés sommairement avant d'être lâchés dans les rues avec une simple côte de maille recouverte d'un tabard aux armes du royaume et d'une lance. Ce n'était pas avec ce bagage qu'ils allaient pouvoir faire régner l'ordre dans la ville.
« Je vais voir ce qu'il se passe » dit alors Climb en se dirigeant vers eux.
« On ne devait pas rentrer ? » Remarqua Aliz.
Mais sa question resta sans réponse. La jeune fille soupira et suivit son ami.
« Qu'est-ce que vous attendez pour agir ? » Demanda celui-ci sur un ton impérieux.
« Et tu es ? » répliqua l'un d'eux, irrité.
« Un soldat au repos » répondit Climb.
« Et une Écuyère ! » Clama joyeusement Aliz qui l'avait rejoint.
La gêne des deux hommes augmenta immédiatement. Les deux nouveaux arrivants étaient plus jeunes qu'eux, mais d'un rang plus élevé. Même beaucoup plus élevé si on prenait en compte qu'en tant qu'Écuyer, Aliz était noble. C'est donc avec une plus grande diligence qu'ils répondirent à la question.
« Il semblerait qu'un léger incident se soit déclaré » dit le premier qui avait parlé.
« Ça, je crois qu'on l'avait déjà compris » fit remarquer Aliz, sarcastique.
De son côté, Climb n'en pensait pas moins, mais il trouvait inutile d'accabler les deux hommes. Mieux valait s'occuper de régler le cas par lui-même. Cela outrepassant un peu ses prérogatives, mais, avec un peu de chance, la seule mention de son appartenance au palais suffirait à disperser l'attroupement.
« Restez là » dit-il alors.
« J'espère que ça ne s'adressait pas à moi parce que je vais te suivre. »
Finalement, Aliz trouvait la situation assez amusante. Et puis, voir Climb donner des ordres était assez… sexy. Elle n'allait certainement pas manquer le reste. Cependant, en traversant la foule jusqu'à la source de leurs émois, la jeune femme aperçut l'un des protagonistes de l'incident mentionné par les gardes et il se trouvait qu'elle le connaissait.
Sebas ?
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Par nécessité, certains Niveaux du Grand Donjon avaient été en partie réaménagés. En effet, il fallait de la place pour établir les départements conçus par Harddyn et Ainz.
L'intégralité du centre névralgique du service d'espionnage ne pouvait être située ailleurs qu'au 10e Niveau. Créer un nouvel espace à proximité de la bibliothèque d'Ashurbanipal était facile. Ce Niveau accueillait déjà le Planispherium. Rassembler toute l'information au même endroit était logique. De plus, il n'existait aucun autre emplacement où l'installer. En effet, le 9e Niveau était hors de question. Beaucoup s'y seraient opposés. Les Appartements Royaux appartenaient aux Êtres Suprêmes, même si seul deux d'entre eux restaient. Il était inenvisageable que quiconque, à part les servantes chargées de l'entretenir, puisse y circuler librement. Même les PNJ ne s'y rendaient que pour une raison impérieuse.
De plus, il était absolument nécessaire que toutes ces informations importantes soient rassemblées au-delà du 8e Niveau. Celui-ci avait toujours été le dernier rempart contre les envahisseurs. Victim veillait sur ce Niveau et il n'était pas le seul. Deux autres PNJ d'une puissance quasi incommensurable protégeaient et faisaient de ce Niveau une muraille imprenable. Même lors de la tentative d'invasion du Grand Tombeau, des années auparavant, du temps d'YGGDRASIL, tous les ennemis s'étaient heurtés à ce rempart infranchissable. Il était donc impensable qu'une telle source de pouvoir pour Nazarick ne soit pas à l'abri derrière.
De plus, créer de nouveaux espaces n'était pas un problème. Quand tout cela n'était encore qu'un jeu, la surface totale d'une base de Guilde était soumise à des restrictions : nombre de membres, puissance totale de chacun, rang de la Guilde, etc. Tout comme le nombre de Niveaux à diviser entre les PNJ qu'ils pouvaient créer était limité, le nombre de mètres carrés de la surface l'était également. Bien sûr, après avoir conquis le Donjon originel et en avoir fait leur base, Ainz Ooal Gown l'avait massivement modifié, ils n'avaient jamais dépassé un certain seuil. C'est pour cela qu'aucun des autres Niveaux n'était aussi vaste que celui de la Jungle (le 6e), qui totalisait 4 km2.
Cependant, ça, c'était avant. Avant que le Donjon dans son intégralité soit transporté dans un autre monde, un monde « réel » et qu'Harddyn ne devienne Administrateur. Son pouvoir lui permettait de dépasser les limites acquises par le passé par Ainz Ooal Gown, voire de les ignorer. Ainsi, à la manière des Sorciers de son monde qui amplifiaient des espaces par magie, les rendant plus grands à l'intérieur, il manipulait les dimensions du Donjon.
Grâce à cela, il avait pu donner à Démiurge un centre de test digne de ce nom, un établissement moderne planté au milieu des rivières de lave du 7e niveau. Plus qu'une simple prison, c'était une ville en devenir où les captifs faits par Nazarick étaient parqués à seule fin de servir de cobaye pour les expérimentations démentes (mais contrôlées cette fois) du Démon. Les soldats de la Sainte Écriture du Soleil, les bandits capturés par Harddyn, les esclaves de ces derniers ainsi que d'autres pauvres hères qui s'étaient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, tous étaient rassemblés dans ce lieu aseptisé.
Auparavant, la plupart étaient enfermés dans les cellules glacées des Geôles Frigorifiées du 5e Niveau, cependant le froid intense était problématique pour l'objectivité des résultats. Bien entendu, il aurait été possible de créer cette autre prison-là, mais Harddyn avait déjà implanté un autre secteur tout aussi important : celui de la Recherche et du Développement Technologique. Certes, la plupart des aboutissements de ces recherches étaient testés par les cobayes du 7e Niveau donc les séparer n'aurait pas bien de sens, mais Harddyn préférait ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Ce secteur était déjà suffisamment vaste pour qu'on évite d'y ajouter la gestion d'un centre de test/prison.
En effet, c'était là que se trouvaient les ateliers de Cybertina Gadget et Gear McFly, la première développant les technologies nouvelles de Nazarick et le second les produisant en masse. Il y avait également un garage où le vieil androïde pouvait créer des prototypes de véhicules, mais aussi de machines-outils. En effet, l'automatisation des productions industrielles pourrait représenter un tournant dans l'évolution du Grand Tombeau.
Le Centre, comme on l'appelait, possédait également des laboratoires qui analysaient en permanence les échantillons végétaux, minéraux et animaux ramenés par les équipes d'exploration. C'était un travail de titan. Effectivement, au départ, Clematia Nightshade et Sarin C4H10FO2P étaient les seuls à travailler sur les masses de matériel stockées dans des entrepôts à leur mesure. Trouver des effectifs n'était pas aisé. Il n'y avait personne à Nazarick et encore moins dans ce monde qui ne soit formé à l'analyse scientifique de pointe et les éduquer dans ce sens serait trop long. Même l'équipement leur faisait encore défaut. Après les Crystel, Cybertina s'était attelé à la création de machines d'expertise, mais pour le moment, seul un microscope était sorti de son atelier (même s'il était en fait extrêmement performant).
Fort heureusement, les capacités d'Harddyn avaient une nouvelle fois été mises à l'épreuve. Si sa Télépathie lui permettait de copier les connaissances d'une personne afin de les assimiler, l'inverse était également vrai. Grâce à ses pouvoirs, Harddyn avait forcé ses propres connaissances et la méthode nécessaires à toutes les analyses qu'ils pourraient désirer (même s'ils n'avaient pas encore le matériel).
Le travail des deux directeurs des sections de recherches avait donc été allégé en particulier celui de Clematia. En effet, le nombre d'espèces végétales et minérales trouvées dans ce monde était bien plus important que celui des animaux même si on y rajoutait les insectes. La Sorcière avait alors encore fort à faire.
Pourtant, ce jour-là, elle avait déserté son poste pour se diriger vers les laboratoires de dissections de son collègue Sarin.
Quand la porte automatique s'ouvrit devant elle, elle vit que celui-ci se trouvait déjà en plein travail. Penché sur sa table d'opération, le grand Androïde s'affairait et ne semblait pas avoir remarqué l'arrivée de son hôte. Clematia soupira puis poussa un petit toussotement. La tête de métal allongée se retourna alors sur 180° et les diodes rouges qui localisaient la caméra qui servait d'œil à Sarin se braquèrent sur elle. De leur côté, les mains de chrome brillant du robot ne paraissaient pas vouloir s'arrêter de travailler.
« Tu voulais me voir ? » Dit-elle.
« Je dénote des pointes de colère dans ta voix, Nightshade » dit l'Androïde de sa voix mécanique.
« Qu'est-ce que tu veux ? » Demanda la Sorcière.
Les diodes clignotèrent alors que le robot réfléchissait quelques instants. Le résultat de son analyse était qu'il valait mieux pour lui qu'il enchaîne. Sans arrêter ce qu'il faisait de la main gauche, il tendit l'autre vers plusieurs bocaux emplis de substances brunâtres.
« J'ai fait un prélèvement du contenu stomacal de plusieurs spécimens et j'ai trouvé des végétaux qui ne sont pas dans la base de données. »
« Et bien, ça veut probablement dire que mon équipe ne l'a pas encore répertorié » répondit Clematia sur un ton acide.
« Ce serait étonnant, ces spécimens viennent d'une zone particulière que vous avez complétée. »
La Sorcière plissa les yeux.
« Est-ce que par hasards vous sous-entendriez que mon équipe aurait manqué des spécimens ? »
« Bien sûr que non. Je ne sous-entends jamais rien, j'énonce. Et de plus, une erreur de votre part serait hautement improbable. Mon hypothèse serait qu'un végétal non natif de cette région aurait été importé et consommé par les autochtones. Ce qui pourrait signifier une sorte de commerce. »
Le problème avec Sarin était qu'il était logique d'une façon des plus irritante. Les faits qu'il énonçait pouvaient être élogieux, mais ce n'était jamais vraiment des compliments si bien que personne ne savait comment les prendre.
Toujours était-il que l'analyse de son collègue était tout de même assez intrigante.
« N'est-il pas possible qu'il y ait eu changement de zone entre le moment de l'ingestion est celui de la capture ? »
Afin de préserver les données biologiques, tout organisme vivant récolté était mis en stase. Ainsi toutes les particules de son environnement étaient conservées et ce jusqu'à analyse complète, dissection comprise.
« J'en doute, les facteurs géographiques et physiologiques liés à ces spécimens rendent l'hypothèse impossible. Ils étaient bien trop loin des frontières de la zone pour avoir pu les passer après avoir mangé l'aliment en question et s'être retrouvé à l'endroit de la capture… à moins d'une intervention extérieure. »
« Bien » dit Clematia après un instant de réflexion. « Je vais étudier ces contenus stomacaux. On verra on ne peut pas trouver d'explication. S'il le faut, je demanderai à Jidoja et aux autres d'aller investiguer sur place. »
Elle fit un geste vers les pots qui s'envolèrent dans sa direction. Elle ouvrit alors une sacoche attachée à ma ceinture de sa robe violette et y déplaça les éléments à analyser.
« Au fait » dit-elle en se souvenant pourquoi elle était si énervée en arrivant. « Pourquoi m'avoir demandé de venir ? Tu ne pouvais pas dépêcher quelqu'un pour me l'apporter ? »
« Je préférais que ce soit remis en main propre » répondit l'Androïde qui était retourné à se dissection.
« Dans ce cas, pourquoi ne pas me l'avoir amené toi-même ? »
« J'ai trop de travail pour me déplacer. »
« Parce que moi je n'en ai pas ? » S'exclama la Sorcière, outrée. « Sarin ! »
Avec de grandes enjambées, elle se rapprocha de la table de dissection. Elle tendit la main et saisit la tête du robot pour ma tournée vers elle. Le bruit des vérins forcé à effectuer un mouvement non exécuté était assez effrayant, mais à ce niveau là, elle s'en fichait.
« Tu n'es pas le seul à être débordé de travail je te signale ! Nous sommes tous débordés. Maître Harddyn nous en demande beaucoup. Il sait que nous ne pouvons rien faire seul et c'est pour ça qu'il nous a donné du personnel adapté à nos besoins, mais même avec ça, ça reste dur pour tout le monde, moi y compris ! »
Elle ne savait pas vraiment si le robot l'écoutait. Ses mains dont les doigts étaient remplacés par des outils chirurgicaux continuaient leurs mouvements incessants dans le corps de son spécimen. Cependant, les diodes près de sa caméra clignotaient. Il était très difficile d'arriver à lire Sarin.
« C'est pour ça que je te prierais de t'en remettre à un intermédiaire pour m'apporter des échantillons, qu'ils soient importants ou pas. Notre personnel nous a été confié par Maîtres Harddyn pour nous être utile et nous aider. Nous travaillons tous ensemble comme… comme un grand organisme. »
Les diodes continuèrent à clignoter quelques instants avant que l'Androïde ne reprenne la parole.
« Je comprends » dit-il. « Je ferais plus attention à l'avenir pour ne pas vous monopoliser. Je suis désolé de vous avoir interrompu. »
Clematia soupira.
« C'est un premier pas » admit-elle. « Après, si vous voulez me parler, rien ne vous empêche d'utiliser votre Cystel. C'est fait pour cela, non ? Depuis la dernière mise à jour, il y a même une fonction d'appel vidéo. »
« Mmmm… » Fit le robot (ce qui ressemblait étonnamment à un bruit blanc).
Clematia roula des yeux. Aussi étrange que ça puisse paraître, Sarin était technophobe. Cela faisait partie de son caractère. Il n'avait confiance qu'en sa propre technologie ce qui fait que l'utilisation d'un autre appareil le mettait mal à l'aise. Fort heureusement que ses assistants n'étaient pas aussi bornés. Au moins, ils pouvaient faire les analyses pendant que le Robot s'occupait des dissections.
« Communiquer est important » assena la Sorcière.
« Je sais » dit simplement l'Androïde.
Clematia soupira. Elle savait qu'elle n'en tirerait rien. Au pire, s'il y avait un autre problème du même type, elle irait se plaindre directement à Maître Harddyn ou à Maître Ainz. Eux, saurait sans doute résonner cette tête de mule.
Alors qu'elle allait repartir, Elle jeta un coup d'œil au spécimen sur la table de dissection. Définitivement humanoïde, ma créature avait une chaire bicolore, brune sur la nuque, le dos, les bras et les jambes et rouge orangé sur le visage et le torse jusqu'aux organes génitaux. Elle avait des longues oreilles à l'horizontale semblables à celles de chèvres et possédait une paire de cornes, ou plutôt des excroissances rigides de la même couleur et texture que la peau du visage.
D'autres spécimens se trouvaient dans la pièce. Ils flottaient dans des tubes de stase en attendant d'être analysés à leur tour. Elle remarqua que tous avaient les mêmes carnations (à quelques tons près), mais avec des variations dans la disposition. Certains avaient un peu de rouge sur la raie des fesses, d'autres à l'intérieur des bras, d'autres en haut des cuisses (aussi à l'intérieur). Certains avaient aussi des tâches de l'une des couleurs sur l'autre, formant des motifs géométriques. La forme des appendices sur la tête différait également.
En regardant bien, Clematia remarqua de petites queues touffues sur chacun des échantillons. Cela semblait être un trait commun de l'espèce. Ça, les cornes et les tissus internes bleus. En effet, certains avaient la bouche ouverte et leur langue ainsi que leurs muqueuses buccales avaient une teinte céruléenne. Pour ce qui était de leurs yeux… Clematia se retourna alors vers le spécimen de Sarin dont elle avait aperçu les paupières ouvertes. Ceux-ci avaient une couleur bleu-vert avec du doré autour de la pupille. Cependant, celle-ci, au lieu d'être ronde était linéaire. Pas comme celle des chats ou de certains reptiles, à la verticale, mais à l'horizontale comme celle des caprins (comme les chèvres).
Toutefois, ce n'était pas leur apparence qui frappa la Sorcière, c'était plutôt le fait qu'ils s'agitaient compulsivement dans leurs orbites avec une expression pour le moins… terrifiée.
« Est-ce qu'il est vivant… et conscient ? » Demanda-t-elle à son collègue.
« Oui, je trouve qu'il est plus intéressant de disséquer un spécimen vivant afin de comprendre le fonctionnement de son corps sur le vif » répondit le robot sans s'arrêter. « Je leur injecte donc une substance paralysante plutôt qu'anesthésiante. »
Délicatement, il souleva une partie de l'intestin puis commença à le dérouler avant de poser le trop-plein sur un plateau. Les deux extrémités étant toujours connectées au reste de l'organisme, cela ne causait aucun dommage réel à la créature à l'exception sans doute d'une terreur atroce d'apercevoir ses entrailles ainsi en dehors de ses chairs.
« … Et puis c'est amusant de les voir si apeurés » rajouta l'Androïde avec ce qui pourrait se rapprocher d'une satisfaction morbide dans la voix.
La Sorcière regarda à nouveau le spécimen.
« J'avoue que je suis assez d'accord avec toi… »
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Le Majordome était embêté. L'agent de patrouille Steffan Heivish et ses trois compagnons venaient de partir et ce dont ils avaient parlé était très préoccupant.
Dès le début de la conversation, Solution s'était retirée. C'était à Sebas de mener les débats. D'abord parce qu'il était son supérieur et ensuite parce que c'était lui la cause de leur visite. Ou plutôt, la cause était Tuare.
Quel que soit le trafic dont elle avait fait l'objet, il était clair que ces hommes étaient mouillés dedans jusqu'au cou. Il n'était pas inhabituel que les criminels se servent de contacts dans les autorités afin de régler leurs problèmes. Après tout, les pots-de-vin étaient monnaie courante dans tous les systèmes.
Ce qui avait le plus préoccupé Sebas, c'était de savoir comment ils l'avaient retrouvé. Personne ne l'avait suivi. Ça, il en était certain. Et puis il s'était souvenu du parchemin de la Guilde des Magiciens. Sûrement que celui-ci devait dépasser de sa poche quand il avait récupéré la jeune fille. Après ça, il avait été facile pour la bande d'interroger leurs contacts sur place afin d'obtenir des informations sur lui et l'endroit où il résidait.
Quant au contenu de la discussion, il s'agissait bien évidemment de chantage. Un chantage déguisé sous le couvert de la loi, mais un chantage tout de même.
Parce que Sebas avait donné une somme d'argent à l'homme dans la ruelle avant d'emmener Tuare, cela pouvait être considéré comme une transaction financière et Sebas pouvait alors être considéré comme un acheteur. Or, l'esclavage étant devenu illégal, il était donc interdit de payer pour posséder quelqu'un.
Bien entendu, ils avaient un témoin de l'affaire et bien entendu également, il n'était pas possible de savoir de qui il s'agissait. Il était plus que probable que ledit témoin soit en fait l'homme à qui Sebas avait "acheté" Tuare, qu'il avait été retrouvé en tentant de s'enfuir, qu'il avait sans doute parlé pour éviter de mourir, que cela avait potentiellement échoué et que son corps nourrissait en ce moment les vers ou les poissons.
Toujours est-il que l'agent de patrouille Heivish était certain que tout cela n'était qu'une regrettable erreur et qu'il serait facile de prouver l'innocence de Sebas. Cependant, toute la démarche aurait bien évidemment un coût que le Majordome (ou plutôt sa maîtresse) devrait payer de sa poche. Dommages, intérêts, frais de cassations…
Il s'agissait de toute évidence d'extorsion. Il suffisait de voir les yeux brillants d'envie d'Heivish et de son complice au profil de tueur que l'agent de patrouille avait appelé Succulent. Et malheureusement, l'esprit de cet homme était également très affûté. À cause d'une stupide erreur de Sebas, il avait deviné l'attachement du Majordome à la jeune femme et il comptait bien en profiter.
« Allez-vous mettre fin à cette affaire en leur livrant l'humaine ? » Lui demanda Solution après leur départ.
En effet, l'idée de ce Succulent avait tout bonnement été de leur "prêter" sa maîtresse en attendant que Tuare soir remis ou les laisser s'occuper eux-mêmes de son rétablissement. Bien entendu, tout cela n'était qu'un moyen pour pouvoir faire pression sur lui.
« Je doute que ça résolve le problème » dit le Majordome.
« Pourquoi cela ? »
« Parce que ce genre de personne ne risque certainement pas d'abandonner une source de revenus après avoir vu notre faiblesse. Ils continueront à nous sucer jusqu'à la moelle en utilisant le plus petit prétexte possible. Malheureusement, lors de leur enquête, ils pourraient tomber sur certains détails compromettants nous concernant. »
« Alors comment comptez-vous y remédier ? »
Sebas ne dit rien. Il se leva et se dirigea vers le hall d'entrée.
« Je vais me promener » dit-il. « Je pourrais sans doute convenir d'un plan pendant ma marche. »
La porte claqua et Solution se retrouva alors seule. Elle hésita pendant longtemps. Plus longtemps qu'elle ne l'avait jamais fait. Sebas lui avait ordonné de ne pas le faire, mais la situation risquait à présent de dégénérer. Elle devait donc agir.
De l'intérieur de son corps émergea un Parchemin Magique. Elle le déroula et en activa le sort.
« Maître Ainz ? » Dit-elle à voix haute.
La voix de son maître retentit dans son esprit. Claire, précisé, rafraîchissante. Habituellement, cette seule voix suffisait à apposer ses doutes. Mais pas cette fois. Elle hésita encore et finalement se décida à parler.
« Je pense que Maître Sebas nous a trahis… »
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Ignorant de l'action de sa subordonnée, Sebas ruminait. Il ne savait pas comment se libérer de cette situation sans impliquer Nazarick ou abandonner Tuare. Parce que bien sûr, l'un comme l'autre était impensable. Comme il l'avait dit, se débarrasser de la jeune Humaine ne les sortirait pas d'affaire. Il était impossible que les malfrats les lâchent comme cela. Ce serait comme tuer la poule aux œufs d'or et c'était contraire à toute logique.
Non, la seule solution serait de s'occuper du problème à la source et de liquider purement et simplement des gêneurs, mais comment faire ? Sebas manquait cruellement de données pour agir. Il ne pouvait pas risquer de laisser plus de témoins qui pourraient venir se venger. Ce serait contraire au but recherché.
Décidément, il comprenait à présent le véritable sens des paroles de Maître Harddyn. Sans informations, Sebas était limité. Pire encore, il était coincé. Il ne pouvait agir sans créer plus de remous et d'impliquer Nazarick dans son intégralité… ce que leurs Maîtres voulaient éviter à tout prix.
La question était de savoir où les trouver. Mais peut-être que les 6 hommes qui le suivaient depuis qu'il avait quitté la maison pourraient le renseigner. Ils étaient discrets, mais les sens du Majordome étaient plus aiguisés que ceux de n'importe quel Humain. Il les avait immédiatement remarqués et c'était seulement par crainte de causer un scandale qu'il n'avait pas réagi.
Cependant, à ce moment-là, il aperçut un attroupement. Aux murmures des badauds qui regardaient la scène, il était évident que ce qui se passait était de nature violente. Sebas fut tenté de changer de direction, mais le même instinct qui l'avait poussé à sauver Tuare se faisait de plus en plus fort en lui. Il hésita tout de même quelques instants puis avança vers la foule.
« Veuillez m'excuser » dit-il aux personnes en se faufilant parmi elles.
Cela n'aurait normalement pas dû être possible tellement ceux-ci étaient épaules contre épaules, mais les mouvements fluides du Majordome lui permirent de traverser ce mur d'individus sans en bousculer un. Il fut bien le seul. Le voyant, certains avaient tenté de l'imiter juste pour se retrouver coincés.
Finalement, il déboucha à l'intérieur du cercle formé par les gens et put enfin voir ce qu'il se passait. Plusieurs hommes en haillons étaient rassemblés autour de… quelque chose. Ils étaient tellement proche de lui en train de lui donner des coups de pied que Sebas peinait à apercevoir ce dont il s'agissait autre que cela semblait humain.
Sebas s'avança alors vers eux, suffisamment prêt pour les toucher.
« Qu'est-ce que tu veux, le vioc ? » Éructa l'un d'eux en se tournant vers le Majordome.
« Je vous trouve fort bruyant » répondit celui-ci avec son flegme habituel.
« Quoi ? Tu veux morfler toi aussi ? »
Les malfrats, qui étaient au nombre de cinq encerclèrent le vieil homme, permettant à ce dernier de pouvoir, enfin, apercevoir leur malheureuse victime. C'était un enfant. Un jeune garçon. Ses assaillants aussi, mais plus âgés. Sa bouche et son nez étaient en sang et ses habits étaient déchirés. Il semblait inconscient. En tout les cas, Sebas pouvait entendre les battements de son cœur. Cela voulait dire qu'il était encore en vie. Pour l'instant.
Revenant à ses agresseurs, il remarqua que leur corps ainsi que leurs vêtements empestaient l'alcool. Leur visage était rouge, un phénomène qui n'avait strictement rien à voir avec de l'exercice. La seule solution qui s'imposait était donc qu'ils étaient dans un état d'ivresse plus qu'avancé et incapable de se contrôler.
« J'ignore la raison de tout ceci, mais ne pensez-vous pas qu'il serait temps de s'arrêter ? » Demanda le Majordome.
« De quoi j'me mêle ? » S'écria l'un des hommes qui semblaient être le chef. « Ce morveux a sali mes vêtements avec sa bouffe merdique ! Je vais quand même pas laisser pisser ! »
En disant ces mots, il désigna sa tunique qui, en effet, semblait avoir été tachée. Sebas leva cependant un sourcil d'incrédulité. L'accoutrement de ces jeunes n'était pas seulement défraîchi, mais aussi constellé de diverses saletés. Celle que le meneur montrait du doigt paraissait uniquement être la plus récente.
« Cette ville me semble décidément assez peu sûre » soupira Sebas.
« Ah ouais ? » Grogna l'un des autres agresseurs en pensant que le vieil homme les ignorait.
Mais il n'en était rien, car, soudain, il braqua sur eux un regard empli de dédain et d'autorité.
« Disparaissez ! » Leur ordonna-t-il simplement.
« T'as dit quoi, papi ? » S'offusqua le chef.
« Je ne vous le répéterai qu'une seule fois : disparaissez ! »
« Vieux sénile » s'écria le jeune homme en fermant son poing.
Mais, à ce moment-là, il s'effondra sur le sol. Les spectateurs de la scène avaient juste vu la main du vieillard percuter rapidement le menton de son adversaire. Cependant, le coup avait été suffisant pour le sonner. Bien entendu, Sebas aurait pu frapper bien plus vite et bien plus fort, mais il s'était retenu. D'abord pour ne pas tuer son opposant et ensuite pour effrayer les quatre autres. Si aucun d'eux n'avait pu voir son mouvement, ils auraient simplement continué à s'interroger sur ce qui s'était passé au lieu d'avoir peur.
« Désirez-vous poursuivre ? » Leur demanda-t-il alors.
Le flegme qu'il avait conservé, sa position rigide ainsi que son ton intimidant suffisent à faire fuir les malfrats en emportant également leur blessé. Sebas s'approcha alors de l'enfant. Il se mit à genoux pour l'aider, mais se figea. Avait-il vraiment le temps de s'occuper de quelqu'un d'autre ? Alors que justement il cherchait une solution au problème que son premier sauvetage avait causé ? Non, certainement pas.
Il se tourna vers les gens autour et vit deux personnes qui n'étaient pas là auparavant, deux adolescents. Un garçon blond et une fille aux airs de garçon manqué rousse. Ils avaient dû traverser la foule malgré l'encombrement. Cela voulait dire qu'ils se sentaient assez concernés pour prendre la suite.
« Emmenez cet enfant au temple », leur dit-il. « Ses côtés semblent cassés. Mieux vaut le transporter dans un brancard en évitant les secousses. »
Le garçon blond hocha la tête. Cela suffit à Sebas pour se sentir déchargé de toutes responsabilités. Il s'apprêtait à se faufiler à nouveau, mais ce ne fut pas nécessaire. Les badauds s'écartèrent d'eux même pour le laisser passer. Il s'aventura alors dans une ruelle en se demandant que faire des six hommes qui le suivaient depuis tout à l'heure et des trois qui venaient de se lancer à sa poursuite.
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Des frissons avaient parcouru le corps de Climb en voyant le vieil homme. Ses gestes. Son attaque. On aurait dit un prédateur. Ou plutôt d'un sabre. Une arme de métal glacé et suffisamment effilé pour trancher l'air lui-même.
Puis il avait posé les yeux sur lui et le jeune Guerrier s'était hérissé. Une réaction instinctive de combattant rencontrant un adversaire plus puissant et prêt à en découdre. Il avait déjà ressentir cela quand il avait affronté Gazef. Mais l'effet produit par cet homme était sans commune mesure. Il était donc probable, possible même, qu'il soit supérieur au Capitaine Stronoff, lui qui était considéré comme le plus fort du Royaume.
Incapable de répondre quand il lui parla, il se hâta néanmoins au chevet de l'enfant. Il fouilla dans sa poche et trouva ce qu'il cherchait : une Potion. Il avait écouté le conseil de Gagaran et en portait à présent une ou deux sur lui. Tenant la tête du blessé avec une main et la fiole dans l'autre, il la déboucha avec les dents puis commença à reprendre le liquide bleuté sur son corps. Contrairement à la croyance populaire, il n'était pas forcément nécessaire de la boire pour qu'une Potion soit efficace. La preuve, la préparation pénétrait déjà au travers des vêtements pour être absorbée par la peau.
En tous les cas, il était maintenant tiré d'affaire. Mais il était tout de même plus prudent qu'il soit vu par un prêtre. Cependant, Climb ne pouvait pas l'y emmener lui-même, il y avait autre chose qu'il voulait faire. Heureusement, du coin de l'œil, il vit les gardes arriver enfin sur les lieux.
« Transportez cet enfant au Temple » leur dit-il d'une voix autoritaire.
« Que… qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
« Acte de violence » répondit le jeune soldat. « Il avait des côtes cassées, mais je lui ai donné une Potion. Il serait tout de même plus prudent qu'il voit quelqu'un. »
« À vos ordres » dirent les deux gardes, martialement.
Grâce à la magie, une civière n'était plus nécessaire. L'un des hommes prit l'enfant sur son dos et lui et son compagnon s'éloignèrent rapidement pour éviter les regards noirs que leur lançaient les personnes dans la foule.
Climb, lui, se releva et partit en courant dans la direction qu'avait empruntée le Majordome. Derrière lui, Aliz l'appela, mais il ne répondit pas.
La jeune fille n'était pas tant préoccupé par le comportement de son ami que par ce à quoi elle avait assisté. Que Sebas aide quelqu'un en détresse était normal. Il était l'enfant bien aimé de Touch Me. Bien que faisant partie d'une Guilde dite maléfique, il avait toujours eu un complexe du héros presque pire que le sien quand il était adolescent. Comme beaucoup d'autres PNJ, Sebas avait ainsi hérité de certains des traits du comportement de leurs créateurs au plus grand plaisir d'Ainz et d'Harddyn qui voyaient cela avec nostalgie.
Cependant, ce qui était plus étrange, c'était sa conduite par la suite. Habituellement, Sebas aurait amené lui-même l'enfant au Temple et se serait assuré qu'il soit pris en charge. Là, il paraissait presque… fuir. Ce n'était décidément pas une attitude normale pour lui.
Et puis il y avait ses poursuivants. Ses sens n'étaient pas aussi aiguisés que les siens, mais il avait parfaitement remarqué les six individus adultes qui filaient le vieil homme. Ils se déplaçaient avec précision et rapidité donc ce n'était pas de simples curieux… contrairement à eux, car voilà qu'à présent, deux nouvelles personnes suivaient le Majordome. Non, pas deux, trois.
Elle ne l'avait pas perçu tout de suite, mais Aliz s'était rendu compte qu'ils étaient également pris en chasse. Elle l'avait aperçue à l'écart de la foule un peu plus tôt. Elle l'avait remarqué parce qu'il lui était familier. Ce n'est que plus tard qu'elle s'était souvenue. Il s'agissait du chef du groupe de brigand que Shalltear avait attaqué plusieurs mois auparavant. Elle l'avait vu grâce à son sort de vision temporelle. Son nom était Brain Ungleus quand à savoir ce qu'il faisait à la capitale ou même pourquoi il les suivait, mystère.
Aliz se contenta donc de l'ignorer, suivant Climb qui suivait Sebas. Cependant, cette situation ne pouvait pas durer. Ce n'était pas du genre du jeune soldat de filer quelqu'un comme ça. Ce n'est que lorsqu'ils se trouvèrent dans une petite ruelle déserte qu'enfin il eut le courage d'aborder le vieil homme.
« Excusez-moi… » dit-il avec hésitation.
Sebas se retourna. Il ne paraissait pas surpris. C'était normal. Aliz était certaine qu'il savait qu'il était suivi, par eux et par les autres. Ses yeux scrutèrent Climb puis Aliz successivement. Apparemment, il ne l'avait pas reconnu. C'était un bon point. Cela voulait dire que son déguisement était, une nouvelle fois, au point. Le Majordome avait déjà été leurré par Taliesin. Harddyn était donc satisfait que ce soit la même chose pour Aliz.
« Vous désirez ? » Demanda-t-il à Climb.
L'aura menaçante qui l'entourait prit le jeune soldat de court. Il se figea et se mit à bafouiller. Aliz, de son côté, dû s'adapter assez rapidement pour que l'homme ne se doute de rien. Elle commença par exprimer la surprise puis l'appréhension mêlée de crainte. Harddyn avait étudié la psychologie, les micros expressions et le langage corporel. Il savait comment lire une personne sans utiliser ses pouvoirs mentaux. Il savait également ce qu'il fallait faire, les mimiques à adopter pour rendre un mensonge crédible. Sa physionomie malléable pouvait donc manifester des émotions qu'il ne ressentait pas et son corps, des expressions inconnues.
Cela fonctionna à la perfection, car, ne reconnaissant pas de menace, Sebas diminua la pression.
« Puis-je savoir qui vous êtes ? »
« Je… je m'appelle Climb » dit finalement le jeune homme. « Je suis un soldat du Royaume. Et voici mon am… ma camarade, Aliz Jouvelon de Toldeyne, Écuyère du palais. Je… je voulais vous remercier d'avoir accompli le travail qui aurait dû être le nôtre. »
Il accompagna ses paroles d'une révérence profonde, rapidement imité par sa compagne.
« Ce n'était rien » répondit Sebas. « Sur ce, je dois vous laisser. »
« Attendez, s'il vous plaît ! » S'exclama Climb alors que le vieil homme commençait à repartir. « Pour tout vous dire, je vous ai suivi pour une autre raison. Ma requête pourra vous paraître absurde, mais… je voudrais que vous m'enseigniez la technique que vous avez utilisée tout à l'heure. »
« Que voulez-vous dire ? »
« Et bien, je m'entraîne depuis des années pour devenir plus fort en étudiant différentes techniques. Le mouvement que vous avez utilisé était vraiment magnifique et j'aurais voulu en apprendre ne serait-ce que les rudiments. »
Sebas détailla le jeune homme.
« Montrez-moi vos mains » dit-il.
Climb s'exécuta docilement. Sebas prit les deux appendices calleux et les examina tant avec ses yeux qu'avec ses doigts. Climb rougit d'embarras. Le Majordome examina également ses ongles avant de les libérer.
« Elles sont épaisses et rugueuses » dit-il avec un sourire satisfait. « Ce sont des mains de guerriers. »
Le rouge des joues de Climb s'intensifia.
« Non, je ne suis… qu'un simple soldat » dit-il.
« Un soldat qui est quand même le protecteur de la Princesse Renner » intervint Aliz.
« Impressionnant » commenta Sebas. « Je ne pense pas que vous ayez à vous montrer modeste… pouvez-vous me faire voir votre épée ? »
Climb obéit avec réluctance cette fois. Ce n'était pas vraiment son épée. Il s'agissait d'une arme de réserve qu'il avait prise alors qu'elle était à l'entretien. C'était d'ailleurs pour cela qu'Aliz et lui étaient en ville ce jour-là. Il avait déposé la lame chez un forgeron qui lui en avait donné une de rechange.
« Je crois que j'ai compris votre nature » dit finalement Sebas. « Pour un Guerrier, ses mains et son arme sont tel un miroir qui le reflète. Vous me laissez une bonne impression. »
Le visage de Climb était à présent cramoisi. Cela sembla amuser le Majordome.
« Très bien, j'accepte de vous entraîner un peu, toutefois… »
Son regard se fit alors inquiet, une expression qu'Aliz n'avait jamais vue sur ses traits.
« Je souhaiterais vous demander quelque chose. Vous avez dit être gardé. Si je ne m'abuse. Il y a quelques jours, j'ai sauvé une jeune fille… »
L'histoire que raconta l'homme par ma suite était assez incroyable et… totalement normale pour lui. Pourtant, Sebas s'était mis dans de beaux draps. Au regard de sa mission et de son devoir de discrétion, c'était une belle et magnifique entorse. Harddyn comprenait bien pourquoi il l'avait fait, cependant il aurait tout de même apprécié que le Majordome leur en parle à lui et Ainz.
Mais, d'un autre côté, cette histoire résonnait étrangement en lui. Comme si cela aurait dû lui être familier. Pourtant, il n'arrivait pas à savoir pourquoi.
De son côté, Climb était furieux. Que quelqu'un utilise une législation qu'avait réussi à faire passer la Princesse au prix d'efforts immenses et de nuits blanches pour son propre profit le mettait en rage. C'était comme si tout ce qu'elle avait fait n'avait servi à rien. Non, c'était pire que cela. À bien y réfléchir, il se rendait bien compte du peu d'impact de la loi. L'esclavage en tant que tel était interdit, mais il existait encore des centaines de personnes de part et d'autre du Royaume forcées de travailler dans des conditions déplorables pour rembourser des dettes.
Bien évidemment, les "employeurs" prétextaient d'intérêts supplémentaires pour en augmenter encore et toujours le montant ce qui faisait que ces personnes étaient condamnées à travailler pour eux jusqu'à la fin de leur vie. Une autre forme d'esclavage.
Mais s'il ne pouvait rien faire pour tous ces gens, peut-être qu'il pouvait faire quelque chose pour le vieil homme. Le plus logique serait d'analyser en détail le contrat de la jeune femme, mais il était sûr que les malfrats y avaient pensé. S'il faisait appel à la loi, celui-ci n'avait aucune chance.
« Ne connaîtriez-vous pas quelqu'un de suffisamment honnête pour nous aider ? » Dit celui-ci.
Le problème, c'était que la seule personne qui correspondait à cette définition dans son entourage était la Princesse. Malheureusement, elle n'avait pas assez de pouvoir pour intervenir. Il avait également et dans une certaine mesure confiance en Aliz, mais elle était dans le même cas. Malgré son statut d'Écuyère, sa position était précaire, d'abord en tant que femme et ensuite en tant que membre d'une famille de la faction royale.
« D'après le témoignage de la jeune fille, l'endroit enfermerait d'autres personnes. Des deux sexes » reprit Sebas.
« Peut-être… que nous pourrions les aider à fuir » proposa Climb. « Il faudrait que j'en parle à ma maîtresse. Elle possède des terres. Si nous les y emmenions… »
« Et pourrait-elle faire de même avec ma protégée ? »
« Pardonnez-moi, Maître Sebas, mais je ne peux rien vous promettre avant d'en avoir dit quelques mots à ma maîtresse. Toutefois, c'est une personne de grand cœur. Je suis certain que tout ira pour le mieux. »
Climb le perpétuel optimiste…le nomma Aliz dans sa tête.
« Mais si jamais nous venions à découvrir des indices qu'un tel trafic existe bel et bien » reprit Sebas, « que se passerait-il ? Est-ce que les preuves seraient étouffées ? »
« Pas à moins de donner ces informations à la bonne personne » lui répondit le soldat. « J'aimerais croire que tout le Royaume n'est pas complètement pourri. »
« Dans ce cas, laissez-moi vous poser une autre question » dit le Majordome. « Pourquoi vous battez-vous ? Pour quoi ou qui désirez-vous devenir plus fort ? »
Avant même qu'il ne puisse réfléchir à une réponse, un visage s'imposa à son esprit. De longs cheveux d'or et des yeux bleu-turquoise. Renner était depuis toujours au centre de ses pensées. Depuis ce jour de pluie où elle lui avait sauvé la vie. Il la respectait, l'adorait… l'aimait… Il savait que ce qu'il ressentait était voué à ne jamais se concrétiser. Que jamais la Princesse ne pourrait partager ses sentiments. Et dans l'improbable cas où elle le ferait, il n'y avait aucun avenir pour leur couple.
Certes, Renner n'était pas mariée ni même fiancée et Climb chérissait le temps passé auprès d'elle. Pourtant cela ne durerait pas. Un jour, son père choisirait quelqu'un pour elle, un homme dont le statut pourrait servir les intérêts de la famille royale et cet homme ne serait certainement pas lui. Et à ce moment-là, Climb devrait s'effacer pour laisser sa place et abandonner le côté de sa maîtresse.
Pourtant, jusqu'à ce que ce jour redouté n'arrive, il était décidé de profiter de chaque instant avec elle pour savourer sa présence et de chaque minute où il n'était pas avec elle pour s'entraîner afin de la protéger.
« Parce que je suis un homme » fut la réponse qu'il donna à Sebas.
Le Majordome plissa alors les yeux et observa minutieusement son interlocuteur. Finalement, il hocha la tête avec un léger sourire satisfait.
« Si c'est ce que vous avez à dire, alors j'ai décidé de la manière dont j'allais vous entraîner. »
Cependant, un geste de sa main tempéra l'enthousiasme du jeune homme.
« Cela dit, et je suis désolé de vous le signaler, mais vous ne me semblez n'avoir aucun talent pour le combat… contrairement à votre amie » ajouta-t-il en désignant Aliz. « Vous entraîner risquerait de prendre du temps ce qui est la seule chose dont je ne dispose pas. Il y aurait bien un exercice dont les effets se feraient ressentir en un court laps de temps, cependant… il est très rigoureux. »
Le regard sombre de l'homme provoqua un malaise chez Climb. Il déglutit, mais refusa de reculer. S'il pouvait devenir plus fort, il saisirait sa chance… quoiqu'il lui en coûte.
« Soyons clairs, cela pourrait vous tuer. »
Climb sut d'instinct que c'était vrai, mais il ne recula pas pour autant.
« Votre survie dépendra de la force de vos sentiments » poursuivit Sebas. « Si quelque chose vous est précieux, s'il existe en vous une raison de rester en vie quitte à ramper dans la boue alors tout devrait très bien se passer. »
« J'y suis préparé » dit finalement Climb après un moment. « Allez-y »
« Seriez-vous sûr de survivre ? »
Climb secoua la tête. Non, il n'était pas vraiment sûr. Pourtant il souhaitait vraiment essayer.
« Très bien, dans ce cas, Demoiselle, si vous voulez bien vous positionner derrière moi. Nous allons procéder à l'exercice ici même. »
« Quoi ? Ici ? »
« Cela ne prendra que quelques minutes » lui assura Sebas. « À présent, préparez-vous. »
Climb et Aliz se regardèrent. Finalement, le jeune homme tira son épée et se mit en garde face à son adversaire alors que son amie se plaçait derrière ce dernier.
« Je me lance » dit alors celui-ci. « Concentrez-vous, je vous prie. »
Climb ne savait pas trop à quoi s'attendre. En tous les cas, pas à ce qui allait se passer. Soudain, l'air jaillit de ses poumons alors qu'il avait l'impression d'être assailli par des lames de glace. La pression qui émanait de Sebas était phénoménale. Il avait déjà été saisi par celle qu'il avait émise précédemment, mais cette fois, c'était d'un tout autre niveau.
Tout en lui semblait crier une seule chose. Son corps, ses yeux, son souffle, sa respiration… tout semblait crier à Climb qu'il allait mourir. Que l'homme allait le tuer. C'était comme… une certitude, un instinct animal et primaire venant du plus profond de son cerveau reptilien. C'était celui de la proie devant le chasseur.
Sous la pression, le cœur de Climb s'accéléra tout en se mettant à battre plus fort et plus vite. Il avait l'impression d'entendre un cri d'âme en peine, mais ce n'était peut-être que le sang qui pulsait à ses oreilles. Ou alors c'était tout simplement lui qui criait.
Cependant, malgré ce vacarme, il perçut parfaitement la voix pleine de déception de Sebas.
« C'est donc cela pour vous, être un "homme" ? Ce n'est pourtant qu'un avant-goût de ce que je pourrais vous faire… »
Pendant un instant, les mots durs marquèrent le cœur de Climb telle une lame, lui faisant oublier ma peur. Il souffla longuement. Il sentait son désir de fuir saturer chaque fibre de son corps, mais il résistait de toutes ses forces.
Mais ce n'était pas assez. Comme Sebas l'avait dit, ce n'était qu'un avant-goût. La pression augmenta encore si bien qu'il perçut à peine la voix de son "maître" dans le tumulte des bruits autour de lui… et pourtant il en comprit tout à fait le sens.
« A présent » disait Sebas. « Il est l'heure de mourir. »
L'homme leva le poing et le dirigea droit vers le visage de Climb. Ce coup n'était pas fait pour frapper ou même blesser. Il était fait pour tuer et Climb, en cet instant, se voyait parfaitement périr.
Sauf qu'à nouveau une image s'imposa devant ses yeux. Celles de sa maîtresse bien-aimée, la raison pour laquelle il existait. La Princesse Renner. C'était pour elle qu'il débattait et c'était pour elle qu'il devait survivre. Pour qu'elle concerne son magnifique sourire, celui qu'elle avait quand… non en fait. À présent qu'il y pensait, ce jour-là sous la pluie elle ne souriait pas. Depuis quand est-ce qu'elle souriait ainsi ? À part ce jour-là, il l'avait toujours connue radieuse. Pouvait-il espérer que ce soit grâce à lui ?
Non. Il devait espérer que ce soit grâce à lui. Il n'avait pas le choix. Il devait l'espérer et surtout tout faire pour qu'elle conserve sa joie. Et pour cela, il devait vivre. Il devait survivre à cette attaque.
Sa détermination sans borne mêlée à de la colère lui permit alors de faire bouger sa main, puis ses jambes. Ses sens analysaient son adversaire, ses yeux grand ouverts suivaient le mouvement du poing, ses oreilles, le bruit qu'il faisait en perçant l'air et sa peau, le souffle de son passage.
Tout ce qu'il voyait, entendait et sentait lui disait qu'il ne pourrait pas éviter l'attaque et pourtant il se battait contre la raison afin de survivre. Il devait bouger, il devait esquiver… et c'est ce qu'il fit. Dans cette brève période de temps dilaté, il avait l'impression d'être aussi lent qu'une tortue. Et pourtant… pourtant… il réussit.
« Bravo » le félicita finalement Sebas en reprenant sa posture rigide.
Le souffle de Climb était court. Le poing de l'homme avait seulement effleuré sa joue. Il avait pu l'éviter. Il avait réussi.
« Alors ? » Reprit le Majordome. « Qu'avez-vous ressenti ? Quand vous avez affronté votre peur de mourir. »
Climb ne répondit pas. Il tenta de balbutier quelque chose, mais finalement ses jambes le lâchèrent et il tomba assis dans la ruelle. Aliz, de son côté, se précipita vers lui. Son visage exprimait de l'inquiétude, mais intérieurement, elle était satisfaite du spectacle.
Elle savait parfaitement ce qu'avait fait Sebas et aussi ce qui avait permis à Climb dû résister. L'intention de tuer du Majordome avait été contrée par quelque chose que l'on appelait l'énergie du désespoir. Acculé ou en situation critique, l'être humain pouvait déployer des capacités insoupçonnées. Dans ces cas-là, leur encéphale sécrétait quantité d'hormones forçant le cerveau à se tourner tout entier vers la survie. La sienne ou celle des autres. C'est qui, dans son monde, avait permis à des mères de soulever des voitures pour sauver leur enfant… ou ici, c'était ce qui avait permis à Climb de bouger de quelques centimètres seulement.
« J'espère que ce tour de force ne vous a pas trop effrayé, Damoiselle » dit Sebas en s'inclinant légèrement devant Aliz.
« N… Non, ça va » dit-elle en aidant Climb à se relever.
Elle tremblait un peu, mais tout cela faisait partie du rôle. Même derrière le Majordome, Harddyn avait ressenti l'énorme pression qu'il dégageait, mais pour lui, c'était à peine plus puissant qu'un vent frais.
« Je suis heureux que le choc ne vous ait pas tué » dit Sebas en posant une main sur l'épaule de Climb après que celui-ci se soit remis debout. « Ça arrive parfois. Certains sont tellement persuadés de leur décès prochain que leur cerveau cesse de lui-même leurs fonctions vitales. »
La victoire de l'esprit sur la matière en quelque sorte… ou plutôt dans ce cas-là, sa défaite. Climb avait un mauvais goût dans la bouche. Celui de cette défaite potentielle… ou de la mort.
« Encore quelques répétitions et vous devriez être capable de surmonter une peur normale » dit Sebas. « Mais laissez-moi vous prévenir. La peur existe pour une raison bien précise, celle de stimuler l'instinct de survie. Lorsque cette fonction naturelle est complètement mise de côté, il devient impossible de reconnaître un danger réel. »
« En clair, ne sois pas trop téméraire et réfléchis toujours à la situation » en conclut Aliz.
« C'est exact » approuva Sebas.
« Pa… pardonnez ma grossièreté, mais… qui êtes-vous au juste ? » Demanda alors Climb au Majordome.
« Comment cela ? »
« Votre… votre soif de sang n'est pas comparable avec celle d'une personne normale. Qui êtes-vous ? »
Sebas le regarda et lui sourit.
« Je ne suis qu'un vieil homme confiant en ses capacités » répondit-il.
Climb observa son interlocuteur. Son sourire était celui d'un grand-père, mais par-derrière il y avait autre chose. Une sorte de férocité qui caractérisait les êtres puissants. Le soldat en vint donc à penser vraiment qu'il pouvait l'être plus que maître Stronoff. Pourtant, il accepta la réponse pour ce qu'elle était, celle d'une personne qui avait le droit à sa vie privée et à ses mystères.
« Bien » dit alors le Majordome. « Et si nous reprenions. »
Mais à ce moment-là, un bruit se fit entendre. C'était très léger, mais Zebas le perçut et Aliz aussi. C'était celui d'un corps qui bougeait. Un corps qui se trouvait tout près d'ici… et qui venait dans leur direction.
À suivre…
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Et voilà un autre chapitre de terminé. J'espère qu'il vous a plu.
Pendant cette pause que j'ai prise, je me suis rendu compte que je parlais beaucoup de sexe et de torture dans mon histoire, mais que j'avais presque passé à la trappe l'un des éléments constitutifs de la nouvelle personnalité d'Harddyn : son appétit. Un appétit pas seulement tourné vers le sexe. En plus, le titre de mon histoire est VORACITY et j'ai parlé de bouffe à peine une fois durant toutes ces pages. Croyez-moi, ça va changer. Ce qui veut dire : food porn.
Je suis aussi très content d'avoir pu placer mon petit monologue sur la galanterie. Pour moi, c'est effectivement une forme de sexisme. Il s'agit de pratique visant à vouloir aider les femmes PARCE QUE ce sont des femmes et que « par nature » il y a certaines choses qu'elles ne devraient pas pouvoir faire. Je pense que c'est important de rappeler que les femmes sont nos égales en tout. C'est aussi important d'en parler maintenant quand on voit les droits de ces mêmes femmes être bafoués aux États-Unis. Le retour de la possibilité d'interdire l'avortement est la porte ouverte à toutes les déviances politico-religieuses possible et imaginable. Déjà, le Texas parle d'interdire à nouveau les rapports entre personnes du même sexe. Je trouve qu'on se rapproche dangereusement d'un monde qui ressemble à celui décrit dans la saga de la Servante Écarlate.
Petit supplément, le passage sur l'enfant qui doit préparer seul son goûter vient du film On the basis of sex, le biopic sur Ruth Bader Ginsburg, l'avocate puis juge de la Cour Suprême qui a fait supprimer les lois américaines sur l'inégalité des sexes. Dans le film, elle tente de plaider son tout premier cas afin de faire précédent et ses ennemis veulent lui opposer le fait que si une femme travailler alors les enfants devront vivre dans un monde où aucun goûter ne les attendra en rentrant de l'école. Oui, c'est sur que c'est ça qui va faire s'effondrer l'état américain… et pas la prolifération des armes.
L'être que Sarin dissèque dans son laboratoire est inspiré d'une espèce créée par un auteur appelé Incase (ses œuvres sont disponibles sur le site e-hentai). Il fait principalement des histoires et des dessins hétéros, mais certains sont plus queers. L'espèce qu'il a créée, les Puazi (que je vais totalement récupérer), est une espèce de femmes et d'hommes androgynes (mais je vais rajouter quelques mâles virils) extrêmement sexualisés, un grand appétit sexuel et peu de limites familiales (inceste). Bref, une espèce parfaite pour moi.
