VORACITY I - New World
Arc 4 : L'Écuyer Contrefait
Chapitre 8
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La zone aride et dévastée barrait le continent de part en part, séparant le monde connu, au Nord, de l'inconnu. Une fois qu'on s'y trouvait, la seule chose qu'on pouvait apercevoir était une terre poussiéreuse parsemée d'herbes sèches. Çà et là, on pouvait voir des arbres rachitiques qui avaient poussé, bon gré mal gré dans la caillasse, nourrie par les quelques gouttes de pluie qui tombait de temps en temps.
Le sol lui-même était loin d'être égal. Irrégulier, ferme à certains endroits et friable à d'autres, il rendait difficile aux deux véhicules d'avancer. Pourtant ils continuaient à rouler à vive allure sur ce terrain chaotique. La belle carrosserie bleu-violet de la voiture avait depuis longtemps disparu à cause de la terre soulevée par les pneus. Il en était de même pour celle, jaune avec des pointes de doré et de noir, de la moto qui progressait de concert avec elle.
Les nuages de poussière dans leur sillage s'étendaient jusqu'à l'horizon, preuve que leur trajet était déjà assez long. Pourtant, elles ne semblaient pas vouloir ralentir.
Soudain, quelque chose apparut dans le champ de vision des passagères. Alors que jusque là, le paysage était resté désespérément plat, on pouvait à présent apercevoir quelque chose. C'était comme des pointes sortant de terre.
« C'est par là ? » Demanda la conductrice de la voiture.
« Selon le rapport et les données GPS, oui » répondit celle qui se trouvait juste à côté d'elle.
« Pas trop tôt » grogna la première.
« Ne t'emballe pas » reprit l'autre. « Tu vois le chatoiement au niveau du sol ? Cela montre que c'est un mirage. »
« Est-ce que ça veut dire que ces montagnes n'existent pas ? » Demanda une voix provenant des haut-parleurs.
C'était celle de la personne qui conduisait la moto. Grâce à son CrysTel, il lui était possible de suivre les conversations qui avaient lieu dans la voiture.
« Ça veut juste dire que la formation rocheuse est plus loin que ce qu'on peut voir » reprit la co-pilote.
« Heure estimée d'arrivée ? » Demanda la troisième occupante du véhicule qui se trouvait à l'arrière.
« Pas avant la nuit. »
Celle qui conduisait se mit à grogner et tapota le volant d'exaspération. Vu que de longues griffes de métal étaient enfilées à chacun de ses doigts, la pointe de celles-ci heurtait en même temps le tableau de bord en un tap-tap régulier.
« Est-ce que tu vas faire ça jusqu'à ce qu'on arrive ? » Demanda celle qui se trouvait à l'arrière.
« Peut-être » répondit la conductrice en exagérant exprès le bruit qu'elle produisait.
Jidoja, sur le fauteuil passager, soupira. Voilà qui annonçait un voyage particulièrement long et pénible. C'est la raison pour laquelle elle fut la première à sortir quand enfin la voiture s'arrêta au pied de l'imposante masse rocheuse. Elle étendit rapidement ses bras, ses jambes et sa queue pour les dégourdir. Le soleil était couché depuis longtemps, mais la lumière des phares se reflétait dans le cristal qui composait son appendice, jetant des chatoiements kaléidoscopiques aux alentours.
Eodunn descendit juste après. Les pans de sa ceinture, comme doués d'une vie propre, se mirent à serpenter autour d'elle, leurs boucles toujours aussi acérées. Elle contempla avec dégoût la couche de poussière qui recouvrait son véhicule avant de la faire disparaître d'un geste négligent de la main. Elle avait décidément bien fait d'apprendre ces Sorts offerts par Maître Harddyn. Très pratique. Bien entendu, le geste était inutile et il aurait fallu une incantation, mais il était aisé de l'utiliser silencieusement. Le reste, c'était, bien sûr, pour le style.
Comme personne ne semblait décidé à la désincarcérer, Hae rabattit elle-même le siège passager pour sortir. La peau claire, les yeux noirs, son aspect longiligne étaient renforcés par son abondante chevelure soigneusement attachée en queue de cheval haute de laquelle seule une mèche s'échappait, balayant son visage. Une autre, teinte en bleu pastel, courait tout le long jusqu'à la pointe. Elle portait un bustier noir bordé d'une bande bleu métallique en haut, des manchettes d'un violet sombre faites de plaques kaléidoscopées, d'un legging argenté avec une bande noire sur le côté et de bottines basses de la même couleur que ses manchettes.
Le plus captivant dans son accoutrement, cependant, c'était les deux modules qui flottaient dans son dos au niveau de ses épaules. Faits de métal argenté et effilé, ils semblaient découpés comme des diamants, avec des facettes. D'ailleurs, chacun d'eux était paré d'un énorme cristal bleu transparent taillé en octaèdre allongé. Lorsque la jeune femme sortit de la voiture, elle s'étira comme les autres. Au même moment, les cristaux s'illuminèrent, la faisant s'élever de quelques centimètres du sol.
Finalement, la dernière fut la motarde, Yong. Rapidement, elle cala son véhicule et l'enjamba. Elle portait un pantalon de cuir noir épais et des bottes d'une couleur identique, sans talon contrairement à ses compagnes. Elle portait aussi une simple brassière jaune recouverte par une veste métallisée dorée à manche longue dont les pans s'arrêtaient au bas des côtes ainsi que des mitaines de cuir sombre.
Rapidement, elle enleva son casque noir et doré et secoua sa chevelure. Celle-ci semblait dans les mêmes teintes que ses vêtements, blonds dorés avec des mèches noires. Ils étaient attachés en arrière, mais leur volume était tel qu'ils formaient une sorte de crinière dans son dos. Elle avait également des yeux mordorés qui la faisaient ressembler à un énorme félin… ce qu'elle était.
« On va dormir ici cette nuit et on traversera le massif demain » dit Jidoja.
Les trois autres jeunes femmes regardèrent l'élévation avec appréhension.
« Deux questions » dit Eodunn d'une voix persifleuse. « Un, pourquoi on a dû se taper des heures de conduites alors qu'on aurait pu prendre un portail ? Et aussi, après tout ce chemin, tu veux qu'on marche ? Vraiment ? On ne peut pas faire le tour ? »
« Pour répondre à tes questions dans l'ordre, on est venu en voiture pour que ça fasse plus discret qu'un portail qui pourrait être repéré et pour pouvoir se déplacer si nécessaire. »
Eodunn renifla en levant les yeux au ciel, n'ayant rien à objecter.
« Et pour ce qui est de tes autres questions, contourner ce massif serait trop long et, à cause du terrain, nous mettrait à découvert. Pour le moment, les Maîtres Harddyn et Ainz ne veulent pas que nous soyons repérés. »
« Le rapport indique que les spécimens prélevés vivent dans des campements sur les contreforts sud » précisa Hae. « Passer par la montagne garantit de meilleures cachettes et points d'observations. »
« Si tu le dis » grogna Eodunn en se détournant.
« Euh… si c'est une mission d'observation, ça veut dire qu'il n'y aura pas de castagne ? » Demanda alors Yong.
« A priori, non » répondit Jidoja à la plus jeune du groupe qui arborait à présent un air dépité.
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Repérer la cible avait été des plus facile. Plus que traverser la montagne. Celui-ci semblait être la conséquence de concrétions rocheuses amenées là et creusées par la conjonction de vents contraires. Le résultat ressemblait à un labyrinthe de tours rougeâtres sablonneuses. Elles étaient assez friables ce qui avait rendu le trajet plutôt chaotique. Heureusement, la carte créée par Yong grâce à sa Classe d'Exploratrice leur avait été utile.
Ainsi, arrivées de l'autre côté, les quatre Guerrières avaient rapidement repéré la cible. Elles avaient ensuite monté leur campement à une distance raisonnable sur un plateau rocheux qui surplombait le petit village tribal. De cette position, il était facile pour Hae d'observer ce qui se passait en bas grâce à sa vue améliorée et pour Eodunn de sonder les esprits des habitants à l'aide de sa [Télépathie]. Dissimulées par une illusion de Jidoja, elles ne risquaient rien.
Seul Yong rongeait son frein. Des quatre, c'était elle dont le talent était le plus inutile pour le moment. En dehors de l'exploration, c'était plutôt une femme d'action. Elle se contentait donc de faire des rondes aux alentours pour éviter que les autres se fassent surprendre.
En définitive, c'était une équipe d'espionnage à la mécanique très bien huilée. Quoi de plus normal puisqu'elles avaient été conçues pour ça. Leurs apparences et caractéristiques basées sur des pop-stars coréennes virtuelles du début du XXIe siècle, elles étaient Chanteuses et Danseuses à différents degrés. Cependant, le reste de leurs Classes étaient centrées sur deux choses : la recherche et la surveillance.
Chacun d'elle était à la fois Pisteur, Rangée et Traqueur. Elles étaient donc paramétrées pour chasser et appréhender des cibles. Cette fois-ci, elles n'avaient pas eu à utiliser leurs Compétences, car la localisation de leur objectif était connue. Toutefois, au vu de leur mode de vie, la probabilité qu'il soit nomade était assez forte. En cas d'absence, il leur aurait donc été facile de la poursuivre.
Toujours est-il qu'en plus de cela, chacune avait des caractéristiques qui leur étaient propres et qui devaient les aider à accomplir leurs missions.
Jidoja était une Kyuubi, une renarde à neuf queues. Sa Race avait des affinités avec les illusions et le Feu et l'Air. C'est pour cela qu'en plus des Classes d'Élémentalistes associés, elle possédait celle de Phantasma, le plus haut degré des Illusionnistes. Elle lui permettait de se cacher, elle et les autres des regards indiscrets, mais aussi de confusion et ses adversaires. Jusqu'à la mort s'il le faut.
Eodunn, elle, utilisait ses pouvoirs mentaux de Mage d'Esprit autant pour scruter les pensées de leurs cibles que pour contrôler sa ceinture (et étrangement, elle lui permettait aussi d'utiliser la magie Sorcière). Elle possédait des Classes de Corps à Corps, la nature de Femme-Serpent la rendait extrêmement souple et adéquate au style du Poing de Vipère Shaolin. Elle était également Pilote, ce qui lui permettait de conduire n'importe quel véhicule (bien qu'elle réclame un certain standing, raison pour laquelle l'intérieur de sa voiture était en cuir véritable et bois verni).
Hae, elle, se spécialisait dans la surveillance. En fait, elle était performante pour tout ce qui était à distance. Si sa vision était améliorée, c'est parce qu'elle pouvait compter sur ses Compétences de Sniper. Elle pouvait donc observer et, si nécessaire, tuer. Pour cela, elle utilisait d'ailleurs les deux satellites dans son dos qui étaient en réalité des ailes artificielles en même temps que des armes. Elles lui permettaient de voler et de se déplacer à une vitesse supersonique, mais également de générer des tirs d'énergies mortels.
Enfin, Yong, qui était considérée comme la petite dernière du groupe, était principalement une Guerrière. Moine Shaolin spécialisée dans le maniement du bâton, elle en usait comme personne. Elle avait toutefois une prédilection aux doubles barres de fer qu'aux véritables perches de combat. Mais sa contribution ne se limitait cependant pas à cela. C'était elle qui dressait les cartes nécessaires à toute préparation d'intervention par l'équipe. Cette compétence avait été un peu sous-cotée depuis le début de l'opération, mais elle en avait d'autres. En effet, elle possédait une combinaison très intéressante de Classe de Shaman et de Graphiste. La première désignait un Mage de lignée Spirituelle capable de faire appel aux pouvoirs des Esprits et des Bêtes par l'intermédiaire de symboles gravés, dessinés ou tatoués. Avec la seconde, Yong pouvait utiliser cette faculté à l'aide de bombes aérosol de peinture enchantée. En clair, elle était une Shaman urbaine. Cependant, bien qu'elle ne se trouvait pas actuellement en ville, ses tracés magiques étaient parfaitement applicables sur les pierres de l'amas rocheux où elle et son équipe étaient postées. Elle savait que grâce à eux, elle serait alertée si jamais quelqu'un approchait.
Bien entendu, il s'agissait de leur première mission ensemble, mais pour l'instant, tout se passait pour le mieux. Cela faisait à présent une semaine qu'elles étaient stationnées ici et elles avaient déjà accumulé de nombreuses informations.
Les cibles se faisaient appeler « Puazi ». C'était le nom sous lequel ils se désignaient eux-mêmes dans leurs pensées. Ils étaient reconnaissables à leur forme humanoïde à la peau bicolore brune et vermillon, à leurs muqueuses bleu électrique et à leurs attributs caprins : cornes, oreilles, queue et yeux avec des pupilles rectangulaires. Telle était la description exposée par le rapport de Sarin.
Les spécimens disséqués avaient ensuite été ressuscités et parqués au Niveau 7 du Grand Tombeau avec les autres prisonniers. Leurs pensées avaient également été mises à ce moment-là pour en tirer leur désignation ainsi que des données linguistiques. C'était d'ailleurs là qu'un second mystère était apparu. En effet, leur langage était extrêmement soigné et précis. Ce n'était pas un dialecte que l'on pouvait s'attendre à voir chez une espèce au mode de vie comme la leur.
De plus, ce même mode de vie était des plus problématique. En fonction de leurs créations et de leurs habitudes alimentaires et sociales, il était difficile de croire que leur société soit vraiment tribale. C'était plus comme s'ils étaient des naufragés. Appartenant à un milieu avancé, mais se retrouvant obligés de survivre dans un autre plus hostile, ils étaient retournés aux bases, mais sans pour autant renoncer à certains aspects de leur vie précédente.
Le plus évident venait principalement de leur habitat. Ils vivaient dans des tentes faites de structures de bois recouvertes grossièrement de toiles. C'était ces dernières qui avaient interpellé les télépathes de Nazarick et que les espionnes avaient observées. En effet, il était visible que ces toiles étaient manufacturées ce qui était bien trop loin des capacités technologiques de la tribu. Donc, la question était de savoir comment ils se les étaient procurés. Un pillage ? Mais un pillage de quoi ? Et surtout, rien n'indiquait qu'ils aient la moindre aptitude Guerrière.
Et puis il y avait le problème de la nourriture. Les Puazis ne paraissaient être ni des chasseurs ni des cueilleurs. Pourtant, ils semblaient disposés de vivres presque à volonté sans qu'aucune des agents ne parvienne à savoir d'où elle venait précisément. Apparemment, ils étaient approvisionnés par quelqu'un au moyen d'un véhicule, mais il n'y avait pas plus d'informations. Que ce soit Eodunn ou les télépathes du centre de détention du Niveau 7, aucun n'était aussi puissant que leur Maître Harddyn pour ce qui concernait la lecture d'esprit. Leurs données demeuraient donc assez floues, raison pour laquelle cette expédition avait été montée.
La chance voulait que l'arrivée de ce mystérieux transporteur qui, en plus d'amener de la nourriture, débarquait également de nouveaux habitants pour le village, soit imminente. Ce n'était pas très clair, mais il avait été calculé que celle-ci survenait tous les trois mois à peu près.
Cela avait donc laissé le temps aux PNJ d'observer les mœurs pour le moins particulières des Puazis. En effet, et cela avait déjà été documenté à Nazarick, toute la vie des individus Puazis semblait être tournée vers… le sexe. Dépourvus, apparemment, de pudeur, ils ne portaient presque aucun vêtement, pas même pour dissimuler leurs parties génitales. Ils ne paraissaient pas non plus gênés par les activités sexuelles en public. Leurs préférences semblaient inexistantes et ils ne paraissaient avoir aucun tabou, pas même l'inceste. Les très jeunes enfants étaient cependant laissés en dehors des frasques des plus âgés jusqu'à ce qu'ils les rejoignent d'eux-mêmes. Ils semblaient avoir un instinct particulièrement développé à la fois pour comprendre l'acte et pour en appréhender les conséquences pour eux.
Les dissections des spécimens capturés par l'équipe d'exploration de Gluttony avaient permis à Sarin de conclure à la présence de plus de deux genres biologiques simultanés chez cette race. Il en avait compté au moins quatre, mais les observations de Hae et Eodunn en avaient dénombré pas moins de neuf (même si des analyses scientifiques devaient encore le prouver).
Sarin était parvenu à identifier un individu complètement mâle et un autre complètement femelle. Chacun d'eux avec les caractéristiques physiques et sexuelles associées habituellement aux individus de leur sexe (du moins chez les Humains). C'est à dire, taille importante, muscles fermés et organes génitaux mâles pour le premier et poitrine, taille plus réduite, formes arrondies et organes génitaux femelles pour le second.
Cependant, dans le lot, l'Androïde avait également découvert des individus avec des caractéristiques sexuelles mâles (un pénis), mais possédant un physique plus androgyne. Il avait d'abord considéré la possibilité qu'il s'agisse d'une variante moins virile ou plus jeune du mâle. Toutefois, des analyses plus poussées avaient confirmé que non seulement le spécimen était adulte, mais que ses chromosomes sexuels étaient différents de ceux des deux autres individus. La probabilité d'une anomalie génétique avait été écartée à cause de la présence de plusieurs individus du même type et parfaitement intégrée avec les autres.
Un quatrième type avait par la suite pu être identifié, celui-ci avec des organes génitaux féminins, mais un corps androgyne semblable à celui des individus du 3e type. Encore une fois, la probabilité d'un spécimen nubile ou moins développé avait été envisagée. Cependant, les mêmes tests et observations avaient conclu à une quatrième variation de chromosomes sexuels et donc à un quatrième genre.
C'était sur la base de cette hypothèse que les espionnes avaient répertorié cinq nouvelles variations de genre parmi les individus qu'elles étaient chargées d'étudier. Leur nudité rendait plus faciles ces observations, car elle permettait d'examiner les organes génitaux. Ainsi, elles avaient fini par repérer des individus dont le corps ressemblait à celui des individus complètement mâles décrits par Sarin (taille et musculature), mais possédant des organes génitaux féminins. Et inversement avec des individus complètement femelles (formes et poitrine), mais possédant des organes génitaux masculins.
Les trois dernières variations avaient été plus difficiles à discerner et il avait fallu des observations plus poussées des organes génitaux Puazi pour le remarquer. Cependant, quand on n'avait rien à faire, autant admirer le spectacle qui se déroulait tout près. Les 4 PNJ étaient des créations d'Hariel après tout et comme tous leurs semblables de l'Oasis, elles avaient pris de lui le goût pour le plaisir venu avec son nouveau corps.
Toujours est-il que ces observations leur avaient permis de voir trois variations supplémentaires de genre présenté chez les Puazis. Physiquement, ils ressemblaient beaucoup aux autres. Certains avaient un physique masculin, d'autres féminins et d'autres androgynes. Mais leur différence venait de leurs organes génitaux. Aux départs, les espionnes avaient pensé qu'ils ne possédaient que des organes génitaux mâles. Cependant, en y regardant de plus près, ils avaient remarqué qu'ils possédaient les deux. En effet, ces individus avaient, en plus d'un pénis, un vagin dissimulé juste derrière le scrotum, à l'endroit du périnée.
Encore une fois, il pouvait s'agir d'une mutation ou d'une anomalie. Seules des analyses pourraient dissiper ce mystère. Toutefois, d'un point de vue social, ces individus, comme tous les autres, semblaient parfaitement acceptés. Il n'y avait qu'à voir la façon dont tout ce petit monde s'ébattait joyeusement ensemble dans le village.
Cependant, même le spectacle le plus excitant pouvait devenir lassant à force d'être encore et toujours observé. Si bien qu'au bout d'une semaine à les regarder, même Eodunn en avait assez.
« J'en ai marre » siffla la Femme-Serpent en se levant brusquement de son poste de surveillance.
Hae ne bougea pas. Yong était partie en patrouille. Il ne restait plus que Jidoja qui soupira face à la réaction de sa partenaire.
« Je sais que c'est long, mais le transporteur devrait bientôt arriver » dit-elle sur un ton conciliant.
« Mais quand ? » S'exclama Eodunn. « Quand est-ce qu'on va quitter ce rocher pourri pour retourner à la civilisation ? »
Elle était si énervée que les mouvements de sa ceinture dans les airs étaient saccadés.
« On nous a confié une mission » lui rappela Jidoja.
« Oui, je sais » répliqua Eodunn en roulant des yeux. « Suivre ce fichu transporteur mystérieux pour expliquer le fichu problème d'aliments étrange dans l'estomac de ces chèvres humanoïdes ! Et s'il n'arrive jamais ? »
« Il va arriver » intervint Hae, toujours concentré sur son observation du village.
« Si tu le dis » persifla Eodunn. « Moi en tout cas je ne vais pas attendre que… »
Un bruit dans son dos la fit sursauter. Elle se retourna vivement avant de se rendre compte que ce n'était que Yong qui rentrait de sa ronde. Elle siffla en voyant le petit sourire sur le visage de la Femme-Tigre. Elle savait qu'elle avait fait exprès de la surprendre. Cela faisait des jours qu'elle jouait à ce petit jeu.
« J'ai manqué quelque chose ? » Demanda-t-elle.
« Rien à part Hae qui garde le chimérique espoir de voir débarquer le transporteur aujourd'hui. »
« Ce n'est pas un chimérique espoir. Il est vraiment en train d'arriver. »
« Quoi ? »
D'un même mouvement, les trois autres jeunes femmes se précipitèrent vers leur partenaire allongé sur le sol par-dessus le rebord.
« Je ne vois rien » dit Jidoja en plissant les yeux.
« Moi non plus » ajouta Hae. « Mais les Puazis se sont mis à agiter anormalement. Je surveille les alentours, mais pour le moment il n'y a rien à signaler. »
« Dites… est-ce qu'ils ne seraient pas en train de pointer le ciel ? » Demanda Yong qui, après la Fée, avait la vue la plus perçante.
Hae se concentra donc à nouveau sur les villageois et vit qu'en effet, leurs têtes n'étaient pas tournées vers un point de l'horizon, mais était fixé plus haut, sur quelque chose qui se trouverait… en l'air.
Ajustant sa vision, elle se redressa et leva à son tour les yeux. Elle finit enfin par le remarquer. Ce n'était au début qu'une tache noire, mais celle-ci se mit à grossir rapidement. Finalement, il fut assez près pour que la jeune femme puisse comprendre de quoi il s'agissait.
Elle écarquilla les yeux en voyant ce qu'était vraiment la chose. L'étrangeté de la situation lui sauta aussitôt au visage, car ce qu'elle pouvait à présent parfaitement percevoir n'était rien de moins… qu'une navette spatiale.
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Sebas sentit un frisson parcourir son dos quand il vit Solution. Elle avait abandonné ses habits de Noble pour son uniforme de Pléiade. Elle se tenait, droite, face à la porte d'entrée que le Majordome venait de franchir.
« Maître Sebas » dit-elle de son ton emprunté habituel. « Maître Ainz vous attend dans le salon. »
« Pou… pour quelle raison ? » Interrogea celui-ci d'une voix qu'il espérait assurée.
La servante le regarda dans les yeux et se contenta de répéter sa phrase. Mot pour mot. Sebas comprit qu'il n'en tirerait rien de plus. Mais qu'avait-il à tirer ? Il connaissait bien entendu la raison de la visite de son Maître. Il suivit donc la femme d'un pas pesant jusqu'à la double porte menant au séjour.
Solution se posta à côté et lui laissa le soin d'ouvrir. Alors que les gonds avaient toujours été parfaitement huilés, ce processus lui sembla bien plus ardu qu'à l'accoutumée. C'était comme si la porte s'adaptait à la lourdeur de ses pensées à ce moment-là.
Quatre personnes se trouvaient à l'intérieur. Près de la porte se tenait Cocytus. Une brume glacée s'échappait d'entre les mandibules du géant insectoïde et refroidissait considérablement la pièce. Dans le fond, il y avait Démiurge, vêtu de son éternel et impeccable costume et qui fixait le Majordome au travers de ses petites lunettes rondes. Dans ses bras, il tenait la forme aux allures de fœtus fripé de Victim. L'Ange disgracieux regardait aussi Sebas de ses grands yeux globuleux.
Et puis il y avait son Maître. Ainz Ooal Gown. Assis dans le fauteuil auprès duquel se trouvait le Démon, il tenait à la main le sceptre d'or à l'aura ténébreuse qui représentait la Guilde qu'il personnifiait à présent. Les deux flammes écarlates qui brûlaient dans ses orbites étaient braquées sur lui.
« Veuillez excuser mon retard » dit Sebas en s'inclinant.
« Ce n'est rien » répliqua l'Être Suprême d'une voix claire. « Ne t'en fais pas pour cela, Sebas. C'est moi qui suis venu sans prévenir. Ne reste pas dans l'entrée, approche donc. »
« Oui » dit simplement le Majordome.
Il fit un pas avant de se figer légèrement. La pression d'une aura hostile commençait à se faire sentir. Il jeta un coup d'œil à ses deux collègues, mais aucun d'eux ne semblait prêt à l'attaquer. Cependant, leur antipathie et leur vigilance étaient palpables.
Reprenant rapidement ses esprits, Sebas se remit à marcher vers son Maître, et ce jusqu'à ce que Démiurge intervienne.
« Je te conseille de ne pas avancer davantage » déclara alors le Démon d'une voix limpide.
Sebas se figea et inclina la tête. La distance n'était pas si grande que cela, mais plus grande que ce dont le Majordome avait l'habitude auprès de son Suzerain. Cet écart montrait le fossé qui les séparait à présent.
« Je vais maintenant verrouiller la pièce » dit Solution qui était entrée à la suite de Sebas.
« Pas encore » la retint Ainz. « Une dernière personne devrait bientôt nous rejoindre. »
Comme il disait ses mots, le bruit d'une porte qui se ferme se fit entendre par delà celle du salon. Puis ce fut au tour de pas qui se rapprochaient de plus en plus. Finalement, les poignets de la grande entrée pivotèrent et les deux battants s'ouvrirent en même temps. Sebas écarquilla alors les yeux. Reconnaissant parfaitement la personne qui venait d'arriver.
Un regard indéchiffrable sur son visage, Aliz pénétra lentement dans la pièce. Solution voulut réagir, mais Ainz leva la main pour l'en empêcher. La Servante se figea puis s'inclina profondément devant son Maître. La jeune Écuyère s'avança ensuite en direction de Ainz. Demiurge ne bougea cependant pas. Puisque leur Seigneur attendait cette personne, il se devait de ne pas intervenir.
Aliz passa juste à côté de Sebas et lui jeta un regard en coin. Elle aurait presque eu envie d'éclater de rire en voyant l'expression de stupéfaction sur le visage du Majordome. À la place, elle se dirigea directement vers le côté droit du fauteuil et s'assit nonchalamment sur l'accoudoir. Reconnaissant cette position, Sebas s'inclina profondément.
« Maître Harddyn » dit-il à la surprise des autres Serviteurs présents.
Aliz sourit puis retira la bague qui comprimait son aura. Celle-ci se mit alors à envahir la pièce. À partir de ce moment-là, il ne faisait plus de toute pour personne que cette jeune Humaine était bien leur second Maître.
« À présent, Sebas, j'aimerais que tu répondes à une question » dit Ainz une fois son partenaire installé. « Ais-je besoin de t'expliquer la raison de ma présence ici ? »
« Non, c'est inutile » dit aussitôt Sebas.
Il ne gagnerait rien à jouer aux innocents. Surtout que maintenant, Maître Harddyn était là et il était au courant de toutes les transgressions de son Serviteur.
« Dans ce cas » reprit Ainz, « j'aimerais l'entendre de ta bouche. Sans en avoir lu le moindre mot dans un rapport, j'ai ouï dire que tu avais un animal de compagnie. »
Une douleur semblable à celle d'épines de glace étreignit le cœur du Majordome. Sa respiration se bloqua dans sa gorge. Il se rendit alors compte qu'il se taisait déjà depuis trop longtemps.
« Oui » dit-il finalement.
« Tu as été bien tardif » fit remarquer l'Overlord. « Je vais donc te pose à nouveau la question : il paraît que tu t'occupes d'un charmant petit animal de compagnie. Est-ce vrai ? »
« Oui. C'est exact » répondit le Majordome.
« Bien » acquiesça Ainz. « Deuxième question à présent : pourquoi n'as-tu rien dit à ce sujet ? »
« Et bien… »
Cherchant visiblement ses mots, le Majordome se tut. Ainz, lui, s'appuya contre le dossier de son fauteuil en fixant l'homme en face de lui.
« Et bien Sebas, qu'y a-t-il ? » Intervint alors Harddyn avec sa voix propre et non celle de la jeune Aliz. « Tu transpires à grosses gouttes. »
« Veuillez pardonner ce pitoyable spectacle » répondit celui-ci.
« C'est assez pénible à voir » dit Ainz en sortant un mouchoir d'un blanc immaculé et en le lançant vers Sebas.
Celui-ci se pencha pour le ramasser, mais hésita.
« Ne t'inquiète pas » lui dit Ainz. « Il n'est pas souillé du sang de ton animal de compagnie. »
« Je vous remercie, Maître » dit Sebas en essuyant ses tempes humides.
« Revenons-en à nos affaires » dit ensuite l'Overlord. « Il me semble que les ordres que nous t'avons donnés étaient de diriger les rapports du réseau d'espionnage ici, à la capitale et de compléter ceux-ci par des investigations plus poussées. Tout cela bien sûr dans le but de ne pas manquer une information qui pourrait paraître de prime abord inutile. De fait, tu as même mentionné certaines rumeurs entendues, mais qui n'avaient pas été rapportées par nos agents. Est-ce que je me trompe ? »
« Non, Seigneur Ainz. »
« Bien, Demiurge, toi qui as lu tous les rapports, y a-t-il une mention d'un animal de compagnie ? »
« Non, Maître Ainz » répondit le Démon. « Pas la moindre. Je m'en suis assuré. »
« Dans ce cas-là, Sebas, reprenons. Puisque les faits sont avérés, j'aimerais savoir pour quelle raison tu n'as rien mentionné dans tes rapports. Je veux savoir pourquoi tu as ignoré nos ordres. Est-ce que nos paroles ne sont plus dignes d'obéissance à tes yeux ? »
« Pas du tout ! » S'exclama alors Sebas, désespéré par l'impact que les mots avaient eu sur lui. « J'ai simplement égoïstement pensé qu'une information de si faible importance ne méritait pas de vous être rapportée. »
« Tu t'enfonces… » commenta Harddyn alors que l'hostilité des personnes dans la pièce montait encore d'un cran.
Sebas ne craignait pas la mort. Cependant le déshonneur, être considéré comme un traître et être exécuté pour cela sans avoir pu laver son nom. Ça, c'était une idée insoutenable.
« En d'autres termes » reprit Ainz. « C'était simplement une décision stupide de ta part. »
« Oui ! » S'écria le Majordome. « C'est tout à fait cela, Maître Ainz. Veuillez excuser ma bêtise. »
« Mmm… Très bien » dit finalement celui-ci. « J'ai compris. »
Cependant, le soulagement de Sebas se transforma en terreur quand son Maître se tourna vers Solution.
« Amène l'animal de compagnie ici » lui ordonna-t-il.
« À vos ordres » répondit la Servante en s'inclinant avant de disparaître sans un bruit.
Sebas déglutit difficilement. Maître Harddyn et Démiurge pouvaient paraître humains, mais c'était impossible de dissimuler la nature de Maître Ainz. De Victim ou de Cocytus. Si leurs Créateurs avaient choisi de se dévoiler malgré l'impératif du secret, cela ne voulait dire qu'une seule chose. Qu'ils feraient en sorte que Tuare ne puisse révéler ce qu'elle avait vu à personne… en la tuant.
« J'aurais dû la laisser partir plus tôt » pensa-t-il avec regret.
« Et où serait-elle allée ? » Demanda la voix douce, mais ferme, de Maître Harddyn dans sa tête. « Isolée, sans famille, sans logement ni compétences, que serait-il advenu d'elle ? La seule chose qui l'aurait attendu c'est l'enfer dont tu l'as tiré. »
C'était vrai. Il ne pouvait pas le nier. Mais peut-être qu'il y avait une autre solution ? Déjà, ses sens surdéveloppés lui disaient que deux personnes venaient dans leur direction. Bientôt, il serait obligé de prendre une décision. Une décision dont seule l'une des options était envisageable.
Soudain, la porte s'ouvrit de nouveau et Solution pénétra dans la pièce suivie par une jeune femme. Elle n'avait pas la beauté irréelle de la Servante, mais elle était indéniablement jolie. Blonde, les iris bleus, le teint pâle, un corps fin portant les séquelles d'une sous-alimentation et d'abus… Sans en savoir la raison, Harddyn sentit Ainz se tendre à sa vue.
Puis, quand elle pénétra dans la salle, il la vit écarquiller les yeux en grand à la vue des personnes qui s'y trouvaient. Un insecte géant et bleu, un Démon, un Squelette et une sorte de fœtus boursouflé. Le spectacle devait être impressionnant. Effrayant même. Et pourtant, ce n'était pas tant leur apparence que la pression inimaginable provenant des deux premiers qui la faisaient vaciller. Cependant, quand elle fixa le dos de Sebas toujours incliné, sa peur sembla refluer et les tremblements de son corps s'atténuèrent. Toutefois, l'aura menaçante était encore là.
« Demiurge, Cocytus, ça suffit ! » Les fustigea Ainz. « Prenez donc exemple sur Victim. »
L'Ange était d'un calme olympien. Les deux autres s'inclinèrent alors devant leur souverain en guise d'excuse et la pression diminua. Ainz hocha la tête de contentement puis se tourna vers la nouvelle venue.
« À présent, approche petite animale de compagnie de Sebas… Tuare » dit-il en tentant la main.
Comme hypnotisée, la jeune femme fit un pas. Puis un autre.
« Tu fais preuve de beaucoup de courage » dit-il. « À moins que Solution ne t'ait menacé sur le chemin. »
Harddyn en doutait. Ce n'était pas son genre. Au contraire, elle aurait voulu ne rien dire en espérant que la domestique fasse une erreur et provoque la colère de leur maître… et sa mort. Quelle petite vicieuse ! C'était charmant.
« Ou bien t'a-t-elle dit que le sort de Sebas dépendait de toi ? »
La jeune femme ne répondit à aucune des questions. Elle continua à avancer jusqu'à être arrivée aux côtés du Majordome et prit délicatement le bord de sa manche. Pour Sebas, ce simple geste était lourd de sens. Il lui rappelait comment elle avait saisi son vêtement ce jour-là, dans la ruelle. Elle avait beaucoup plus de force maintenant qu'auparavant, mais le désir qui lui était lié était le même. Elle voulait se sentir rassurée.
« Agenouille… » commença Démiurge en utilisant le pouvoir de sa voix.
Mais deux claquements, l'un de mâchoire et l'autre de langue, le stoppèrent dans sa lancée. Comprenant le message de ses Maîtres, il s'interrompit et s'inclina une nouvelle fois devant eux.
« Je vous prie de le pardonner » dit-il.
« Ce n'est rien » dit Ainz en levant la main en signe d'apaisement. « Mais le courage dont elle a fait preuve doit être récompensé. Nous passerons donc sur son impertinence. »
« Comme il vous plaira. »
Ainz hocha du crâne et se tourna à nouveau vers Tuare alors que, sans qu'elle ne le remarque, Cocytus se glissait dans son dos, se positionnant juste derrière elle.
« Avant tout, laisse-moi nous présenter » dit-il. « Je suis Ainz Ooal Gown. Et voici Harddyn Emeryas. »
Harddyn inclina la tête alors que son ami le désignait de la main.
« Nous sommes tous deux les suzerains de Sebas. »
« Oh ! » S'exclama alors la jeune femme en tentant de faire une révérence. « Je… »
Mais Ainz l'interrompit d'un geste de la main.
« Ne t'en fais pas Tuare. Nous avons entendu parler de toi » dit Ainz avant de s'adresser à Harddyn par la pensée. « Je suis désolé de ne pas être entré dans les détails tout à l'heure. Le mieux c'est que je t'explique tout après… »
« Ne t'inquiète pas pour ça » répondit celui-ci. « Je suis déjà au courant de tout. »
« Comment… »
Mais il n'eut pas l'occasion de poser sa question. Cela faisait déjà trop longtemps qu'il était silencieux.
« Commence par me dire ton nom complet » dit-il finalement.
« Tu… Tuareninya » balbutia-t-elle.
« Et ton nom de famille ? »
« Veyron… Tuareninya Veyron. »
« Mm… » émis seulement Aîné en réponse.
Étrangement, ce nom n'était pas inconnu à Harddyn, mais il ne savait plus où il l'avait entendu.
« Toujours est-il que tu ne m'intéresses pas vraiment » reprit le Squelette. « Ne parle pas, reste là et tout ira très bien. Tu comprendras rapidement pourquoi je t'ai convoqué. »
« D… D'accord » dit la jeune fille en s'inclinant.
Ainz hocha la tête puis l'étincelle rouge de son regard se dirigea de nouveaux vers Sebas de même que deux prunelles couleur émeraude.
« L'ordre qui t'avait été donné était d'agir sans te faire remarquer, n'est-ce pas ? » Demanda le Squelette.
« Oui, Maître. »
« Et pourtant tu as attiré l'attention pour une femme sans importance, est-ce vrai ? »
Sebas frissonna d'une colère incontrôlée, mais répondit par l'affirmative.
« Sache que nous te pardonnons » dit alors Ainz. « Chacun peut faire des erreurs. C'est dans la nature des choses. »
« Je vous remercie, Maître Ainz. Maître Harddyn » dit le Majordome en s'inclinant devant chacun de ses souverains.
Mais à nouveau, le soulagement devait laisser place à l'horreur quand l'Overlord reprit la parole.
« Cependant, tu dois bien comprendre que toute erreur mérite sanction » dit-il. « Pour cela, je te demanderais personnellement de te débarrasser d'elle. »
À ces mots, le choc figea Sebas.
« Qu… Qu'avez-vous dit ? » Balbutia le vieil homme.
« Il est normal que l'objet de ta faute disparaisse » dit Ainz d'une voix détachée. « Après tout, tu es la Majordome de Nazarick. Tu te dois donc de montrer l'exemple et en assumer toutes les conséquences. C'est pour ça que ce sera à toi de te débarrasser d'elle. »
Sebas fixait ses Maîtres avec appréhension, cherchant un indice quelconque qui pourrait lui faire savoir qu'il avait mal entendu. Mais ce n'était pas le cas. Les orbites vides de Maître Ainz ne bougeait pas quand à Maître Harddyn, lui qui avait été à ses côtés pour châtier les esclavagistes, il se contentait de le regarder. Son corps était celui de la jeune fille auprès duquel il s'était battu, mais ses yeux étaient ceux d'un Créateur.
« Alors Sebas » dit-il. « Qu'est-ce que tu es ? À quoi va ta loyauté ? Aux 41 Êtres Suprêmes ou bien à tes propres principes ? »
« Je… » commençai le Majordome.
Mais Harddyn le stoppa d'un geste.
« Inutile de répondre. Contente-toi de nous le montrer. »
Sebas inclina la tête. La réponse était claire dans son esprit. Il avait réfléchi autant qu'il le pouvait, pesé le pour et le contre, mais c'était la seule solution. Si Tiare se trouvait dans cette situation, c'était de sa faute. S'il l'avait mentionnée auparavant, alors elle aurait sans doute pu être épargnée. Mais à présent, comme l'avait dit Maître Ainz, il devait prendre ses responsabilités. Pour Nazarick… et pour elle.
Il se tourna donc vers la jeune femme, son regard devenu aussi dur que l'acier. Celle-ci, comprenant son choix, lâcha sa veste et sa main retomba mollement contre sa jupe. Elle sourit alors à l'homme et ferma les yeux. Sans lui, elle serait morte des mois auparavant dans la souffrance. Il l'avait sauvée, soignée, nourrie et lui avait donné une raison d'être heureuse. Cela n'avait pas duré longtemps, mais c'était plus que ce qu'elle n'avait jamais reçu. Elle n'avait donc rien à regretter. Elle allait mourir et elle l'acceptait parce que c'était lui qui allait lui donner la mort. Elle savait qu'il ne la ferait pas souffrir.
Le sourire de Tuare libéra Sebas de ses derniers doutes. Comme une permission. Il enfouit alors tous ses sentiments et ferma le poing. Celui-ci se détendit alors à la vitesse de l'éclair et fusa en direction du visage innocent de la jeune femme.
Cependant, à ce moment-là, l'attaque fut bloquée. Sebas écarquilla les yeux en voyant l'une des griffes de Cocytus emprisonner son poing dans une étreinte glacée. Il l'avait positionné juste devant le visage de Tuare, la sauvant de la mort.
« Que… » s'exclama alors Sebas. « Je ne comprends pas ! Pourquoi me gêner ? »
Le Guerrier Insecte avait-il pris cette femme en pitié de la même façon qu'il avait plaidé la cause des Lacertéens ? Non, sinon il serait intervenu plus tôt. Il l'aurait fait en parole et n'aurait pas ainsi défié un ordre des Êtres Suprêmes. Le doute se mit à germer dans l'esprit d'un vieil homme.
« Recule, Sebas » lui intima soudain Ainz.
C'était un coup monté compris alors le Majordome. C'est pour cela que Cocytus était intervenu et que leurs Maîtres ne l'avaient pas réprimandé. De son côté, Tuare rouvrit les paupières, surprises d'être en vue et également soulagée. Les larmes lui vinrent aux yeux et elle se mit à trembler. Sebas ne s'avança pas pour l'aider. Il n'en avait pas la force.
« Cocytus » demanda alors Ainz, « est-ce que ce coup était destiné à mettre fin aux jours de cette femme ? »
« Il n'y a pas d'erreur » dit le géant en faisant claquer ses mandibules. « C'était une attaque fatale qui l'aurait instantanément tuée. »
« Dans ce cas, nous pouvons considérer l'allégeance de Sebas comme intacte » en conclut Harddyn. « Aucune objection ? »
« Non » répondit Cocytus.
« Aucune, Maîtres » dit Demiurge.
« PAS LA MOINDRE » déclara Victim à son tour, sa voix s'imprimant dans les esprits.
« Dans ce cas-là, parlons d'un autre sujet » dit alors Ainz. « Harddyn et moi pensons officialiser la cellule de surveillance dans le Royaume. Comme l'un et l'autre avez des responsabilités à Nazarick, Sebas et Solution allez être rapatriés.
« Une autre équipe prendra la main et endossera vos identités » reprit Harddyn. « Ils les feront s'intégrer à la population afin d'avoir accès à plus d'information. Comme pour le moment l'identité de fille de marchand de Solutions était une simple façade, nous allons la développer afin de prendre du même coup le contrôle du commerce du Royaume comme nous l'avons fait dans l'Empire. »
C'était une discussion que lui et Ainz avaient déjà eue il y a quelque temps. La mission principale de leurs deux serviteurs était de collecter des informations sur les Arts Martiaux, les Sorts inconnus dans YGGDRASIL et les Artefacts de Rang Monde. Malheureusement, la couverture créée par eux au départ ne leur avait pas permis d'accéder à énormément de renseignements. En vérité, en presque deux fois moins de temps, Harddyn avait recueilli plus de données sur les Arts Martiaux grâce à son identité d'Aliz.
Pour ce qui était de la Magie, les Sorts achetés par Sebas étaient intéressants, mais sans connaître le processus par lequel les Magiciens de ce monde étaient parvenus à les concevoir (c'est-à-dire sans les coder comme avait fait Harddyn), tout cela se révélait un peu inutile. Sans compter tous les Sorts existants déjà et qui avaient été amenés là par les Joueurs précédents. Harddyn n'avait pas la moindre idée de la façon dont ils les avaient appris. Cependant, celui-ci avait déjà mis un plan en place pour pallier à ce problème. Puisque l'Empire était considéré comme un pays à la pointe de la science magique, c'était là qu'il avait décidé d'agir. La meilleure manière d'y parvenir était donc de passer par la voie normale : l'éducation.
L'Académie Impériale de Magie accueillait tout élève qui réussissait son rigoureux test d'entrée. Elle accordait d'ailleurs des bourses aux plus méritants et sans moyens. Ce n'était cependant pas le cas d'Anya, ou plutôt d'Aryn. En tant que fille adoptive de Neiryl Venceol, Chef de la tout récemment riche Maison de Commerce Venceol lui assurait de pouvoir payer n'importe quelle étude. De plus, les informations puisées dans l'esprit des quelques Magiciens qu'Harddyn avait rencontré et quelques Cristaux de Données de Classes de Mages avaient fait de la Doppelgänger une candidate sérieuse. Suffisamment pour y entrer à l'automne suivant.
À partir de là, il lui serait aisé d'en apprendre le plus possible et par la suite, qui sait, intégrer le Ministère de la Magie où tous les secrets de l'Empire étaient dissimulés. Ainz avait dû en convenir, c'était un excellent plan. Un peu fastidieux sur le long terme, mais ils étaient immortels donc cela n'avait pas vraiment d'importance.
Cependant restait le problème des Objets de Rang Monde sur lesquels ils n'avaient toujours aucun renseignement. Mais cela, de l'avis d'Harddyn, c'était normal et il ne s'était pas attendu à ce que l'équipe formée par Sebas et Solution parvienne à saisir la moindre information notable sur le sujet. Dans ce monde où le niveau de puissance était relativement médiocre, de tels Artefacts relevaient du divin. Il n'était donc pas surprenant qu'elles ne soient pas accessibles au premier venu. De son avis, les seuls qui pouvaient avoir des renseignements sur ce sujet devaient faire partie des sphères les plus hautes… ou bien des plus basses. En effet, il était fort probable que, comme souvent, la pègre soit aussi bien informée que les rois.
Toujours est-il que l'implication de Sebas et de Solution n'était plus nécessaire à ce niveau. D'ailleurs, quand ils avaient été chargés de cette mission, au départ, c'était principalement à cause de l'urgence qu'avait Nazarick de trouver des données viables sur ce monde. Ils avaient donc dû faire avec les moyens du bord. Cependant, à présent, ils étaient mieux établis et pouvaient ainsi créer un système pleinement fonctionnel.
Ainsi, de la même façon que la cellule de leur réseau d'espionnage basé dans l'Empire était dirigée par 3 personnes, c'est-à-dire Anya, Neyril et le Doppelgänger qui se faisait passer pour Tiervain Elbeo, il y en aurait également trois ici. Un Slime reprendrait le rôle de Solution et un second jouerait celui de son père, finalement arrivé à la capitale et bien décidé à faire des affaires. De cette façon, quand celui-ci prendrait le contrôle du milieu commercial, sa fille deviendrait la coqueluche des cercles mondains.
Le personnage de Sebas, lui, serait repris par un Doppelgänger pour la simple et bonne raison qu'Ainz et Harddyn voulaient qu'il serve de garde du corps aux deux autres. En effet, en prenant l'apparence du Majordome, il acquerrait par là même certaines des capacités de l'original. Cela ne dépassait pas les Compétences de Niveau 40, mais un Sebas de Niveau 40 était tout de même un ennemi redoutable dans ce monde. Il aurait également pour tâche de s'occuper de toutes les corvées et opérations plus discrètes nécessaires à sa fonction d'espion et que les deux autres ne pourraient pas accomplir à cause de leur rang.
« C'est un plan brillant, Maître Ainz, Maître Harddyn » fit remarquer Demiurge après les paroles de leurs Maîtres.
Ceux-ci hochèrent la tête puis Ainz s'adressa à nouveau au Majordome.
« Tu es libre de disposer de cette femme comme tu l'entends » lui dit-il. « Puisque nous nous sommes assurés de ta loyauté, nous n'avons plus rien à dire à ce sujet… cependant, il serait gênant que tu la libères avec tout ce qu'elle sait déjà sur Nazarick. Qu'en penses-tu, Demiurge ? »
« En effet, ce serait regrettable » répondit le Démon. « Nous ne pouvons nous permettre une telle fuite. »
« Et bien dans ce cas, amenons-là à Nazarick » dit soudainement Harddyn d'une voix détachée. « Elle est une servante ici, elle pourra très bien être servante là-bas. »
« Sauf qu'elle est humaine » dit Demiurge.
« Aucune importance » trancha son maître.
« Si je puis me permettre, elle n'a pas les qualités requises pour être Servante du Grand Donjon » intervint Solution. « Ses compétences sont au mieux passables. »
« Elle cuisine très bien » dit Sebas. « Mais sa cuisine est plutôt de type… familial. Je ne sais pas si elle est appropriée pour Nazarick. »
« Elle ne l'est pas » lui répondit Démiurge. « Imaginez servir des patates à la vapeur sur les tables du grand Donjon. »
Harddyn renifla.
« J'aime les patates à la vapeur » dit-il.
« Veuillez m'excuser, Maître Harddyn » dit aussitôt Demiurge en s'inclinant. « Je ne voulais pas dire… »
Mais Harddyn fit un geste nonchalant de la main qui fit taire le Démon.
« Tout le monde a beaucoup d'idée sur ce qui est approprié ou pas » dit-il. « Et ça me fatigue. »
Il se leva de l'accoudoir du fauteuil où Ainz était toujours assis et se plaça face à son Serviteur. Celui-ci était très grand, plus qu'Harddyn sous sa vraie forme. Il le paraissait encore plus sous celle d'Aliz.
« L'attitude, la nourriture, l'habillement, la façon de faire les choses… Toutes ces restrictions sont si… humaines. »
Il avait ajouté ce dernier mot comme une insulte et, aux yeux du Démon, cela devait en être une.
« Nous n'avons pas à nous soucier de détails aussi triviaux. Nous sommes bien au-dessus de cela. Nous ne devons pas laisser les conventions dicter notre conduite. C'est nous qui dictons les conventions. Tu comprends ? »
« Oui, Maître Harddyn, veuillez excuser ma réaction. Je vous remercie de votre explication au jeune fou que je suis. Dorénavant, je mangerais plus de pommes de terre vapeur. À tous les repas s'il le faut pour honorer vos paroles. »
Harddyn roula des yeux.
« Et en faisant cela, tu passerais totalement à côté du message que je souhaiterais te faire passer » Dit-il avec un soupir. « Je ne veux pas te forcer à manger une nourriture, je ne veux pas que tu la rejettes sous un prétexte autre que tes goûts personnels. Tu n'as jamais goûté de patate à la vapeur. Si tu le fais et que tu trouves cela bon, manges-en. Si au contraire tu n'aimes pas, n'en mange pas. C'est tout. »
« Je comprends… » dit le Démon, pensif.
Harddyn espérait vraiment que ce soit le cas.
« Ça, c'était le premier point » dit-il finalement. « Le second est que, même si elle ne sait pas cuisiner autre chose, elle peut facilement apprendre. »
« Apprendre ? »
« Oui, l'action d'acquérir une information ou un savoir-faire à l'aide d'un support tel qu'un document ou une personne. »
La majorité des connaissances que possédaient les Servantes de Nazarick faisaient partie d'elles. L'idée de devoir former quelqu'un ne leur viendrait pas à l'esprit. Et c'était bien là le problème. Peu, à Nazarick avaient dû travailler pour acquérir leur force ou leur savoir. Ils étaient donc particulièrement intolérants aux autres et ne pouvaient pas comprendre leur potentiel de croissance.
Mais cela allait changer… du moins, Harddyn l'espérait. Cependant, ils avaient des choses plus urgentes à faire pour le moment.
Il se tourna alors vers Tuare et avança vers elle. Se faisant, son apparence se modifia. Son visage s'affina, sa peau s'éclaircit et sa chevelure s'allongea et s'assombrit. Quand il fut enfin en face d'elle, il avait de nouveau les traits d'Harddyn Emeryas. La seule différence était sa taille. Il avait gardé celle d'Aliz afin que ses vêtements ne s'abîment pas. Debout devant la jeune femme tremblante, il prit une mèche de ses cheveux et la caressa doucement.
« La Vierge de Cœur… » murmura-t-il avant de tourner les yeux vers Sebas. « Et le Dragon. »
C'était les mots qui étaient apparus dans la prophétie de Tyresia. Ce n'était que plus tôt qu'il avait vraiment compris ce qu'elle voulait dire. À cause de son passé, Tuare n'était plus vierge, mais son cœur était demeuré pur. L'identité de Sebas ne faisait aucun doute. La Princesse d'or et son Chien le plus fidèle, c'était Renner et Climb, le Plus Fort des Guerriers, Gazef, et personne d'autre ne pouvait incarner l'Écuyer Contrefait que lui.
Quant à l'Araignée et le Démon…
« Oui, mon enfant » dit-il une nouvelle fois à Tuare. « Tu as bien ouvert la voie… »
« M… Monseigneur… » balbutia enfin la jeune femme.
Harddyn sourit et se tourna encore une fois vers Sebas.
« Je pense qu'il serait bien de l'amener se reposer » dit-il au Majordome. « La dernière heure a été plus qu'éprouvante pour elle. »
« Bien Maître » dit Sebas en s'inclinant.
« Mais avant cela, j'aurais besoin d'une réponse » intervint Ainz. « Tuareninya Veyron, je te laisse un choix à faire. Tu peux venir avec nous au Grand Tombeau de Nazarick ou vivre dans une contrée lointaine sans jamais manquer de rien grâce à la fortune que nous pouvons t'offrir. Sache cependant qu'il n'y a que peu d'Humains à Nazarick. En fait, ce n'est pas un endroit pour les gens ordinaires. J'ignore si tu pourras y trouver le bonheur… ou y survivre. »
La jeune fille tremblait entre les bras d'Harddyn. Ses yeux alternaient entre les orbites macabres du Squelette et le regard intense de l'homme à côté d'elle.
« Je… j'aimerai vivre… avec Maître Sebas » balbutia-t-elle d'une voix forte et empressée, comme si ce choix allait lui être ôté.
« Très bien » dit Ainz en hochant la tête. « Dans ce cas, je vais faire une déclaration. »
Tous se tournèrent vers lui, Harddyn le premier, surpris par le ton solennel de son ami.
« Au nom d'Ainz Ooal Gown, Tuareninya sera dorénavant sous notre protection. Nous pourrions t'accueillir au grand Donjon en tant qu'invités, mais as-tu un souhait à formuler ? »
« M… Merci mille fois. Je voudrais travailler avec Maître Sebas. »
« Si tel est ton désir » dit Ainz, « tu serviras sous ses ordres en tant que Servante. Sebas, je te charge de lui trouver des tâches appropriées. »
« Oui, Maître » répondit le Majordome en s'inclinant.
« Bien. À présent, tu peux l'emmener. »
Sebas se redressa et tendit la main à Tuare qui la prit. Il la guida à l'extérieur et referma la porte derrière eux. Harddyn se retourna alors vers Ainz et les autres. Un grand sourire ornait ses lèvres.
« Je crois que nous avons pas mal de choses à discuter » dit-il.
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Le seul son qu'on entendait était celui de leur pas sur le sol de marbre. Aucun des Deux ne parlait. Ce n'est que quand ils se trouvèrent devant la chambre de la jeune femme que Sebas ouvrit la bouche.
« Je n'ai pas l'intention de te demander pardon » dit-il simplement.
Tuare eut un léger sursaut face à ces propos impromptus.
« Ceci dit, ta situation actuelle est entièrement de ma faute. Si j'avais opté pour d'autres moyens, nous n'en serions pas là. »
« Maître Sebas… »
« Je sers Maîtres Ainz et Harddyn ainsi que les Quarante et Un Êtres Suprêmes. Si on m'ordonnait à nouveau de te tuer, je le ferais sans hésiter… comme aujourd'hui. C'est pour ça que j'aimerai que tu puisses trouver ton bonheur ailleurs. Si je le demande, peut-être que mes Seigneurs te permettraient de revenir sur ta décision et t'envoyer dans un endroit loin d'ici. Certes, ta mémoire serait modifiée, mais… »
« Même les souvenirs que j'ai de vous ? Si c'est cela, je refuse » dit la jeune fille avec une fermeté inhabituelle.
L'homme se retourna alors vers elle, incrédule. Une sorte de feu brillait dans ses yeux. Une étincelle nouvelle, comme une résolution.
« Mon bonheur se trouve auprès de vous » dit-elle.
« Tu es aveuglé par la reconnaissance que tu as pour moi parce que je t'ai sorti de cet enfer. Et ton esprit est embrumé par les évènements cauchemardesques de la soirée. »
« Il n'y avait rien de cauchemardesque à mes yeux » dit-elle. « Et je n'ai jamais été aussi heureuse que lorsque j'étais avec vous. »
« Encore une fois, c'est la reconnaissance qui te pousse à dire cela. Je suis sûr qu'avant l'horrible endroit où je t'ai trouvé. »
« C'est la première fois de ma vie que je mange à ma faim, que j'ai un vrai lit, une vraie maison » dit la jeune femme. « Je viens d'un petit village. La vie était rude et le peu de nourriture que nous parvenions à faire pousser était presque entièrement prélevé par notre Seigneur. Il nous prenait tout. Notre nourriture, nos vies, nos corps… nous n'étions que des jouets dont il usait avant de s'en débarrasser. Et cela l'amusait. Il riait parfois quand il me… quand il me…. »
« J'ai compris » dit Sebas en la prenant dans ses bras.
Tuare pleurait. C'était la première fois. C'était comme si une digue avait cédé en elle.
« Si c'est ce que tu désires, je te garderai auprès de moi » dit l'homme. « Tu es sûr que tu n'auras aucun regret ? »
« Ma petite sœur. Une partie de moi aurait voulu la revoir. Mais cela fait trop longtemps et je veux laisser mon passé derrière moi. »
Sebas ne répondit pas. C'était inutile. À la place, il aida la jeune fille à entrer dans sa chambre et à se mettre au lit. Elle s'endormit dès que sa tête toucha l'oreiller. Sebas la regarda quelques instants avant de se diriger vers la sortie. Doucement, il referma la porte derrière lui puis s'achemina à nouveau vers le salon.
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« Tu m'expliques ? » Demanda Harddyn une fois le Majordome parti avec sa précieuse charge.
« Connaissiez-vous cette fille, Maître Ainz ? » Interrogea Démiurge au même moment.
Ainz ne répondit pas de prime abord. Il se cala dans son fauteuil puis tendit la main sur le côté. L'air ondula et sa main disparut. Quand il l'a ressorti de son inventaire, il tenait un petit carnet usé.
« Voyez-vous, je pense qu'il fait rendre un bien par un bien et un mal par un mal » dit-il. « Sur le même modèle, une dette se doit d'être acquittée. »
Harddyn leva un sourcil dubitatif. Quelle dette ?
« Ce journal » dit-il en montrant le carnet. « Est l'original d'une copie se trouvant à la bibliothèque. Il raconte la vie de deux sœurs et m'a beaucoup appris sur le bon sens de ce monde. Dans une certaine manière. »
Harddyn se rappela soudain où il avait entendu le nom de « Veyron ». Ainz lui en avait parlé au sujet de l'un de ses compagnons de route lors de sa toute première quête en tant que Guerrier Momon. C'était là qu'il avait rencontré Nfirea. C'était aussi là qu'il avait vengé cette équipe en tant Clémentine, l'assassin ancien membre de la Sainte Écriture des Ténèbres. L'un d'eux s'appelait Ninya Veyron et c'était une fille qui se faisait passer pour un garçon.
« Donc la sœur de cette Tuare est morte… » murmura-t-il pour lui-même.
« Et comme je ne peux plus rembourser ma dette envers elle, je m'en acquitterai avec elle » confirma Ainz avant de ranger à nouveau l'ouvrage.
« Je comprends… » dit Demiurge.
Il paraissait soucieux. Ou plutôt, méditatif.
« Tu as quelque chose à dire ? » Lui demanda Harddyn. « Parle, nous t'écoutons. Je suis sûr que c'est important et que cela nous permettra de profiter de l'erreur malencontreuse de Sebas à notre avantage. »
« Vous me connaissez si bien, Maître » dit Demiurge avec un sourire plein de dents aiguisées.
Harddyn rit.
« Bien entendu. Après tout, tu es notre Démon. »
À suivre…
.
Pour ceux qui ne s'en souviennent plus, je remets la prophétie de Tyresia :
Entre le temps du Gel et celui du Soleil viendra le temps de la Trahison. Sous la couronne faiblissante est Tapie l'araignée. Point ne tue, mais aspire ses forces vitales. Seigneur du Grand Tombeau prenez garde, car de ses huit pattes avides qui tissent une toile invisible seront l'outil de votre gloire. Mais la sainte aux roses d'azur guidé par la princesse d'or s'apprête à sortir son corps d'ombre et de ténèbres pour la frapper. Il vous faudra saisir cette chance pour la dominer ou la perdre à jamais. La Vierge de cœur ouvrira la voie au Dragon. Et dans le tumulte du Démon masqué, nul ne saurait voir qu'elle est enchaînée. Souvenez-vous. Le Dragon, la Vierge, le Démon, la Princesse d'or et son Chien le plus Fidèle, le Plus fort des Guerriers et l'Écuyer Contrefait
.
Et voilà un autre chapitre de terminé. J'espère qu'il vous a plu.
Cette fois, les 4 PNJ inspirées des K/DA sont toutes réunies. Je ne l'avais pas dit la dernière fois, mais les noms de Jidoja et Eodunn signifient respectivement « Meneuse » et « Ombre » en coréen. Pour les autres, Hae, inspirée de Kai'sa, veut dire « Soleil », et Yong, inspirée d'Akali, « Jeune ». J'espère qu'elles vous plaisent parce qu'on va les revoir souvent par la suite.
N'hésitez pas à me laisser un commentaire et je vous dis à bientôt.
