VORACITY I - New World

Arc 4 : L'Écuyer Contrefait

Chapitre 10

.

Renner était assise dans son petit salon. Elle avait renvoyé les Roses Bleues ainsi que Climb afin de pouvoir parler au Marquis Raeven seul à seul. Cette pensée fit naître un sourire aérien sur ses lèvres et elle jeta un rapide coup d'œil à son ombre qui s'étendait sous ses pieds.

Un léger bruit contre sa porte lui fit relever le regard.

« Entrez » dit-elle.

La porte s'ouvrit alors sur un homme assez grand et hâve au port altier. La Princesse hocha la tête pour saluer le Marquis Raeven, mais se leva en s'apercevant de qui l'accompagnait.

« Ravi de te voir, mon cher frère » dit-elle en faisant une révérence simple au Prince Zanac. « J'ignorais que tu serais également présent. »

Le jeune homme grassouillet entra nonchalamment dans la pièce à la suite du Marquis. Ses yeux chafouins regardèrent un peu partout avant de se poser sur leur hôte.

« Bonjour à toi aussi chère sœur » répondit-il avec une voix emplie de fausse gaieté. « Tu as l'air en forme. »

Il se mit à nouveau à observer autour de lui, mais d'un air légèrement plus détendu, comme s'il visitait.

« Comme la conversation risquait de prendre une tournure des plus intéressantes, j'ai décidé de participer » dit-il en s'arrêtant devant l'une des gravures qui décoraient le boudoir.

« Quant à moi, je suis présent conformément à vos ordres » dit le Marquis en s'inclinant respectueusement devant la Princesse. « Veuillez excuser mon arrivée tardive. »

« Je vous excuse volontiers et vous en remercie » dit-elle. « Relevez la tête, je vous prie. »

Alors que l'homme obéissait, elle leur montra les fauteuils qui se trouvaient face à son petit sofa. Le premier s'assit avec élégance tandis que l'autre s'affala sur son siège. Renner se retint de sourire face au jeu de son frère. Elle le savait, c'était quelqu'un d'intelligent. C'est pour cela qu'il se confinait dans le rôle du « gros empoté ». S'il avait été l'héritier, cela avait été une autre paire de manches, mais voilà, il ne l'était pas. Alors pour rester en vie, mieux valait jouer les idiots.

Renner s'approcha donc d'un petit vaisselier et l'ouvrit pour en tirer une tasse qu'elle déposa sur le plateau qui se trouvait sur le dessus du meuble, juste à côté de deux autres identiques et d'une théière encore fumante. Elle prit ensuite celui-ci et l'amena jusqu'à la table basse entre eux.

« En veux-tu, cher frère ? » Demanda-t-elle. « Je sais que tu n'aimes pas le thé… »

« J'aime encore moins n'avoir rien pour m'hydrater » grommela l'homme. « Alors ton eau chaude colorée fera l'affaire. »

« Je peux demander à une servante de nous amener du jus de fruits si tu le désires. »

« Inutile. Ce serait dommage que la nouvelle de notre rencontre s'ébruite bêtement. »

« Si nous agissons dans la soirée, les servantes ne devraient pas avoir le temps de parler à leurs familles. »

« Il vaut mieux rester prudent, non ? Après tout, les femmes sont extrêmement bavardes. Et la rapidité à laquelle les servantes du palais diffusent leurs informations est étonnante. Mais ça, tu dois déjà le savoir, n'est-ce pas ? »

« De quoi parles-tu ? Demanda ingénument Renner en versant une tasse pour son frère.

« Bah, peu importe » dit Zanac en prenant une gorgée de thé.

Il grimaça. Il était brûlant. Et amer.

« À présent, Votre Altesse, pourrais-je connaître les motifs de votre convocation ? Bien entendu, je suis à votre disposition à tout moment. »

« Et je vous en remercie. Il y a, voyez-vous, une situation pressante qui requiert notre attention et pour cela, j'ai besoin de vos lumières. »

« Mes lumières ? » Demanda le Marquis en écarquillant les yeux. « S'il existe un problème que même vous ne pouvez résoudre, je doute d'y arriver moi-même. »

« Je pense que vous le pouvez » le contredit la Princesse. « Il n'y a, en effet, personne d'autre que vous qui maîtrisez aussi bien le sujet au palais. »

Le Marquis échangea un regard avec le Prince. La jeune femme était connue pour ne pas s'impliquer dans les luttes de pouvoir. C'était son propre moyen de protection. Alors dans ce cas, que pouvait bien être le "sujet" qu'elle mentionnait ? Il avait bien une petite idée, mais il était trop tôt encore pour les suggestions. Mieux valait ne pas dévoiler lui-même ses cartes avant qu'elles ne soient exposées. La suite la conversation lui prouva à quel point c'était inutile.

« En vérité, je voulais savoir si, en tant que maître de l'ombre de la Faction Royale, ou plutôt en tant que son médiateur, vous seriez capable de mobiliser les soldats de ses membres. »

« Pardon ? » S'étouffa le Marquis.

Habituellement, celui-ci se montrait pas si expressif et n'importe qui aurait été choqué de le voir ainsi tout comme d'autres auraient ri des propos de la Princesse. En effet, le Marquis passait pour quelqu'un de neutre, un papillon qui voletait d'une Faction à l'autre sans s'y attacher vraiment. Personne ne pouvait alors s'imaginer qui était en fait le plus fidèle allié du Royaume et son plus grand bienfaiteur.

En guidant les Nobles proches du Souverain, il prévenait les luttes intestines qui pourraient faire s'écrouler le pays entier et le tout, en restant dans l'ombre. Sa position lui permettait ainsi d'avoir également les faveurs de la Fraction des Nobles afin de mieux les contrôler. Peu étaient au courant de son véritable rôle. Même le Roi Ramposa l'ignorait. Zanac, lui, savait, mais c'était parce que le Marquis pensait qu'il était le seul à pouvoir s'asseoir sur le trône sans que le pays ne s'effondre. Le Prince avait donc accepté la lourde charge du secret s'il lui garantissait la couronne.

Il déglutit tout de même péniblement aux mots de sa sœur. Il savait qu'elle était intelligente. Monstrueusement intelligente et retorse. Pourtant, être le témoin de ses facultés presque inhumaines était quelque chose auquel il n'était pas vraiment préparé. La savoir au courant d'une vérité connue de lui seul en dehors du Marquis alors qu'elle était comme séquestrée, aveugle et sourde avait de quoi être effrayant.

Bien entendu, cela aurait pu être un coup de bluff, mais l'un comme l'autre des deux hommes rejetèrent immédiatement cette idée. Renner avait énoncé cette information comme s'il s'agissait d'une évidence. Rien dans son attitude ne pouvait laisser croire qu'elle n'était pas convaincue de ses paroles même si aucun de ses interlocuteurs ne savait comment elle était arrivée à cette conclusion.

« Pour tout vous dire » reprit Renner après avoir reposé sa tasse de thé devant elle, « on pourrait penser qu'il serait peut-être préférable d'écouter ce que les deux autres nobles des Six de la Fraction Royale auraient à dire, mais, comme vous le savez parfaitement, le Marquis Blumrush vend des secrets à l'Empire, alors… »

« Qu… Quoi ? Balbutia Zanac sans pouvoir formuler plus sa question.

« Attendez un instant » s'écria alors le Marquis Raeven. « Le Marquis Blumrush est… »

« Vous êtes bien au courant de ce fait, non ? » Demanda Renner. « Ne régulez-vous pas le flux des informations pour que la majorité n'atteigne pas ses oreilles ? »

Les deux hommes ne répondirent pas. Bouche bée, ils regardaient la jeune femme devant elle qui les observait de ses grands yeux candides.

« Est-ce que je me serais trompé ? » Demanda-t-elle, ingénument.

« Vous… comment vous… »

Les stratagèmes qu'il avait mis en place pour que personne ne s'aperçoive de la traîtrise sans que des informations trop compromettantes arrivent aux oreilles de l'Empereur étaient censés être indiscernables par quiconque. N'est-ce pas ? Zanac lui-même ne l'avait jamais deviné, c'était le Marquis qui lui en avait fait part. Dans ce cas, comment la Princesse qui avait plus de ressemblance avec un oiseau en cage qu'avec un membre légitime d'une famille royale pouvait-elle être au courant ?

« Il suffit d'écouter un peu les conversations pour le comprendre » répondit Renner à la question informulée. « Et puis il m'arrive de discuter avec les servantes. »

Elle avait dit cela comme si l'information lui était tombée dans l'oreille à l'occasion d'une conversation anodine avec le personnel. Après tout, à quel point pouvait-on croire les ragots des serviteurs ? Cependant, ce n'était pas la première fois qu'il se rendait compte que la jeune femme savait parfaitement séparer le bon grain de l'ivraie.

« Un monstre… » murmura-t-il dans un souffle.

Loin de s'offusquer de l'insulte, Renner ne fit que sourire de plus belle. Après tout, elle avait l'habitude. Si elle avait été un homme, son intelligence aurait été louée, mais comme elle était une femme, elle devenait un monstre. Cependant, et même si elle ne le montra pas, elle fut surprise par le changement d'attitude du Marquis à son égard. Agréablement surprise. En effet, le regard de l'homme se fit plus profond et son corps, plus tendu. Il la prenait enfin au sérieux.

« Très bien » dit-il. « Je propose donc que nous parlions à cœur ouvert. Mon Prince, êtes-vous d'accord avec ça ? »

Zanac se contenta d'acquiescer. Le Marquis Raeven se tourna alors à nouveau vers Renner en la fixant du regard de la même manière qu'un Guerrier tel que Gazef Stronoff le ferait avec son épée.

« Cependant, pour que nos négociations se fassent sans heurt, je voudrais discuter avec la vraie Princesse » dit-il.

« Que voulez-vous dire par là ? » Demanda Renner en clignant des yeux d'étonnement.

« Autrefois, j'ai rencontré une étrange fillette » se mit à raconter le Marquis. « J'ai tout de suite remarqué que sa perspicacité dépassait de loin la mienne alors même qu'elle n'était qu'une enfant. Les propos qu'elle m'avait tenus à cette époque m'avaient fascinée. Tout le monde autour d'elle l'ignorait, prenant ses paroles pour un simple babillage sans importance, mais pas moi. Il m'a cependant fallu quelque temps pour comprendre la véritable portée de ses mots. C'est à ce moment-là que j'ai compris à quel point cette petite fille était dangereuse. »

« Dangereuse ? Comment cela ? » Demanda ingénument Renner sans se départir de son sourire.

« Quand j'ai vu ce phénomène pour la première fois, c'était tellement fugace que j'ai cru l'avoir imaginé. Pourtant je me suis dit alors que le regard de cette fillette était celui de quelqu'un qui méprise toute chose. Un regard vide qui n'éprouve aucun intérêt pour ce monde. »

Les épaules du Marquis bougèrent comme si un frisson glacial parcourait son dos.

« Toutefois, quand je la revu plus tard, elle ressemblait à toutes les petites filles de son âge. J'ai donc cru que j'avais rêvé, mais ce que j'avais vu m'obsédait encore… ».

Il avait dit ces derniers mots les yeux dans le vague, comme s'il se remémorait cet épisode. Il y eut ensuite un court silence avant qu'il ne braque à nouveau son regard sur la Princesse.

« Ce que je veux donc savoir, Votre Altesse, c'est si ce que j'ai vu n'était que le fruit de mon imagination ou si vos talents vous ont permis de vous jouer de tout le monde. »

Zanac, qui n'avait plus dit un mot depuis le début de la confrontation, regardait les deux adversaires alors que ceux-ci se fixaient avec insistance. Cela ressemblait à une lutte pour la domination. Et puis, finalement, Renner céda. Non, c'était inexact de dire ça. Le fait de dire qu'elle avait cédé impliquait que le Marquis l'avait en quelque sorte battu dans ce duel de regard ce qui était faux. Elle lui avait simplement et magnanimement concédé la victoire.

Cependant, il n'eut pas tellement le temps d'appesantir sur les subtilités du langage, car le spectacle qui se déroulait à présent sous ses yeux faisait dévaler des sueurs glacées dans son dos. Le sourire innocent de sa sœur se mit à s'élargir. Non, encore une fois, c'était faux. C'était plus comme si elle s'était toujours abstenue de sourire et que maintenant les plis de ses lèvres reprenaient leur place. De la même manière, ses yeux aussi chaleureux et bienveillant qu'à l'accoutumée se vidèrent alors de toute émotion autre qu'un amusement sans fin. Celui d'un enfant qui joue avec des insectes.

Bien sûr, il avait toujours su que sous son visage parfait de poupée se cachait un monstre. Cependant, le voir en vrai n'en était pas moins effrayant.

« Alors c'est à ce point-là… » dit le Marquis Raeven en esquissant un mince sourire. « Vos yeux n'ont pas changé depuis votre enfance. Vous jouez la comédie depuis cette époque ? »

« Non. Rien de tel » répondit Renner d'une voix détachée et froide. « Je ne faisais rien de tel. J'étais… comblé. »

Son timbre s'était réchauffé pour dire ce dernier mot et quelque chose de malsain était passé dans son regard.

« Vous parlez de votre garde, le jeune Climb ? » Demanda le Marquis.

« Oui. C'est grâce à mon Climb. »

« Donc ce jeune homme arrive à vous toucher ? C'est… étrange. Je ne le voyais que comme un simple man… enfant. Que représente-t-il à vos yeux ? »

Ce qu'il représentait ? Quelle question ridicule ! Climb était son monde. Là où tous ne la voyaient que comme une poupée sans volonté ou comme une enfant sinistre qui marmonnait des choses incohérentes, Climb, lui, était différent.

Dès le premier jour, son regard si pur l'avait transpercé. Elle avait aussitôt su qu'il était comme elle. Ou plutôt comme l'être qu'elle aurait pu devenir si le monde autour d'elle ne l'avait pas irrémédiablement pourri. C'était ça qui l'attirait chez lui. Son innocence. Cette même innocence qui le poussait à la vénérer. Cette gentillesse qui lui faisait lever les yeux vers elle avec admiration alors même qu'il était incapable de comprendre tout ce qu'elle disait. Il savait juste que c'était brillant et c'était tout ce qui comptait pour elle.

« Climb… et bien… si je pouvais être unie à lui, je… si je pouvais l'enchaîner pour l'empêcher de partir et s'il pouvait ne dépendre que de moi, comme un petit animal de compagnie, j'en serais heureuse » dit Renner avec fébrilité.

Les deux hommes frémirent de stupéfaction face à ces paroles. Pourtant, l'un comme l'autre se doutait qu'il n'aurait pu en être autrement. C'est juste qu'ils ne s'étaient pas rendu compte que cela irait aussi loin.

« Je… je vois » dit le Prince dont la gorge se faisait plus sèche. « C'est donc ça ta véritable nature. Comment dire… quand on était gamins, je ressentais comme un léger malaise. Comme quand on sent qu'on a mal boutonné sa chemise. Mais à présent… ton excentricité me saute aux yeux. »

« Vous trouvez, cher frère ? » Demanda Renner en tournant son regard fou dans la direction du Prince. « Pourtant je ne pense pas avoir dit quelque chose de particulièrement anormal. »

« Mais qu'en est-il de le garder tout simplement auprès de vous comme maintenant ? » Demanda le Marquis Raeven. « Personne ne trouvera à redire… oui, bien sûr, je comprends. Dans ce cas de figure, ce ne sera pas possible. Pas sans la complicité de… »

« En effet. Ce serait assez laborieux puisque je dois sauver les apparences. Et puis connaissant Climb, si je venais à me marier, il refuserait d'entacher mon honneur et s'éloignerait. La seule solution qui me resterait serait de le faire demeurer par la force, mais je m'y refuse. Je ne veux pas attirer l'attention par la force. Je veux qu'il soit à moi de sa propre volonté, l'enchaîne sans qu'il perde son regard… »

« Vous voulez l'enchaîner… cela veut dire que vous ne l'aimez pas ? »

« Mais bien sûr que si. Mais j'aime tout autant son regard et le fait qu'il ne me quitte pas d'une semelle comme un petit toutou. »

« Mais ce n'est pas de l'amour ça » intervint Zanac.

« Je pense que l'amour peut revêtir plusieurs formes. »

« Pardonnez-moi, mais j'ai du mal à vous suivre. »

« Je ne cherche pas à ce que vous compreniez. Seulement, que vous acceptiez le fait que je l'aime du plus profond de mon cœur. »

« Et bien, en dehors du problème de statut entre vous » commença le Marquis, « le penchant sexuel est… »

« Je ne parle pas de sexe, mais d'amour. Un amour pur. »

« Certes, comme vous voudrez, de l'amour » concéda l'autre homme en retenant ce qu'il voulait vraiment dire. « Seulement dans les circonstances actuelles, vous unir au jeune Climb serait… »

« Impossible » termina Zanac. « Et si cette histoire s'ébruite, on te mariera rapidement à un titre quelconque pour étouffer le scandale. Probablement de la Faction des Nobles puisque notre Frère est de leur côté. »

« En fait, Zanac, si notre frère venait à monter sur le trône, c'est probablement la première chose qu'il ferait » fit Renner qui semblait s'être un peu calmée. « D'ailleurs, je pense que les négociations à propos de mon éventuel mariage sont déjà bien avancées puisque certains Nobles que je croise me regardent comme si je leur appartenais. »

« Je sais que certains sont prêts à entrer dans la Faction des Nobles en échange de fiançailles avec vous. »

« Restons logiques » intervint Zanac. « Même si par chance nous arrivions à faire anoblir Climb, il n'aurait toujours pas le droit de t'épouser. »

« Je le conçois parfaitement », acquiesça Renner sans hausser le ton. « Dans l'état actuel du Royaume, c'est impossible. »

« Et si je te proposais un marché » dit alors le Prince. « Si tu m'aides à obtenir le trône, je ferais en sorte que votre union devienne possible. »

« Je suis d'accord » dit précipitamment Renner.

« C'était rapide » commenta son frère.

« Je n'ai aucune raison de refuser puisque dès votre arrivée ensemble j'ai voulu mener la conversation dans cette direction. »

« Alors tout se déroule selon tes plans » dit le Prince en espérant que sa voix ne tremblait pas trop.

Il avait l'impression de n'être qu'une marionnette entre les mains de sa sœur et il n'aimait pas ça. Elle n'avait même pas proposé ce marché. Elle avait fait en sorte que ce soit lui qui en parle.

« Aussi, j'ai une requête à formuler, cher frère… en fait, non. Ce serait plutôt pour le Marquis Raeven. Vois avez bien un jeune fils si je ne m'abuse ? »

« En effet » répondit l'homme dont la voix s'était adoucie. « Il a 5 ans. Mais je ne vois pas ce qu'il… »

« Faites de lui mon fiancé » l'interrompit Renner.

« Jamais ! » Rugit alors le Marquis en tapant du poing sur la table. « C'est hors de question que je permette que mon fils soit offert en matière à une fée de ton espèce ! »

Renner émit un petit rire amusé. L'amour du Marquis pour son enfant était un secret de polichinelle au palais. Du moins pour elle. Le terme de vénération était sans doute plus proche de la vérité. Ou celui de « papa poule ». Cependant, il se rendit compte assez rapidement qu'il était trop loin, car il rougit et se calma.

« Veu… veuillez excuser mon insolence » dit-il d'une voix faible. « Je le suis légèrement emporté. Pourrais-je toutefois vous demander les raisons de votre… proposition ? »

« Il me semble que vous la connaissez, non ? » Lui répondit Renner du tac au tac.

« Allons petite sœur. C'est toi qui as lancé le sujet. Comment veux-tu… »

« Je suppose que vous comptez épouser mon fils, mais donner naissance à l'enfant du jeune Climb » l'interrompit le Marquis, pensif. « Quant à mon fils, il pourrait avoir un enfant avec la femme dont il serait épris, en secret. Cela suffirait pour que mon petit fils devienne mon héritier. C'est bien cela ? Vous vous auriez votre enfant et le jeune Climb et moi un enfant que tous penseraient de lignée royale. »

« Si c'est le Marquis qui propose les fiançailles, Père ne pourra pas les refuser sans réfléchir. Au final, tu auras ton Climb, le Marquis, son héritier de sang royal et moi deux collaborateurs zélés prêts à m'aider à monter sur le trône » conclut Zanac. « Mais franchement, est-ce que c'est vraiment nécessaire que je sois au courant ? Si ça se sait, je tombe avec vous. »

« Disons que c'est pour assurer que tu seras notre allié » répondit Renner. « Et puis je suis sûr que tu aurais horreur d'être prévenu après coup, n'est-ce pas ? »

Zanac grogna, mais ne put rien répliquer. Sa sœur avait évidemment raison.

« Puisque nous nous sommes mis d'accord, je propose que nous revenions au sujet principal de cette réunion » dit finalement le Marquis de Raeven. « Il me semble que vous désirez affronter les Huit Doigts. J'ai également appris que vous aviez capturé le chef du département de trafic d'esclave. »

« C'est exact » répondit Renner. « C'est pourquoi j'aimerais passer le plus rapidement possible à l'offensive avant que l'organisation n'entre dans la clandestinité. Le mieux serait dans la soirée. Le problème c'est que nous manquons de troupes. »

« Raison pour laquelle vous voulez mobiliser les nôtres » en conclut le Marquis. « Et donc ? Quels endroits aller vous prendre d'assaut ? »

Renner leur tendit les informations qu'elle avait recueillies, les documents trouvés par les Roses Bleues dans le village de cultivateur de drogue et la carte qu'elle avait créée à partir de ce qu'elle avait décodé. Toutes avaient déjà été vérifiées, il ne restait plus qu'à mener l'attaque.

« L'autre problème de cette opération est que les établissements se trouvent sur les terres de nobles différents. »

« Cela ne devrait pas poser de problème » dit le Marquis après avoir examiné les documents. « Tant que nous trouvons des preuves de leur implication avec les Huit Doigts, nous pourrons faire pression sur eux. »

« Il y a aussi une petite chose dont je dois te faire part, chère sœur » reprit Zanac.

Pour la première fois depuis le début de la conversation, le Prince se mit à regarder autour de lui comme pour s'assurer que personne n'était présent. Renner se retint de glousser d'amusement. Il y avait bien quelqu'un d'autre dans la pièce, mais jamais ni lui ni le Marquis ne verraient cette personne.

« Pour tout te dire, notre frère reçoit des sommes d'argent de la part de l'une des divisions des Huit Doigts » dit-il finalement. « On cherchait justement la base de cette division dans la capitale en espérant nous servir des informations que nous y aurions trouvées afin de le faire tomber. Est-ce que ça te dérange de l'ajouter à la liste ? »

« Pas vraiment » répondit nonchalamment Renner. « C'est l'occasion de faire le grand ménage. Si nous laissons échapper. Cette chance, qui sait quand elle se présentera à nouveau ? De quelle division s'agit-il ? »

« Trafic de drogue » répondit son frère.

« Voilà qui est embêtant » dit Renner en tapotant pensivement son menton. « La majorité de nos informations nous viennent de plusieurs raids sur des camps utilisés pour la culture de la drogue. Si nous n'agissons pas rapidement, il y a des risquent qu'ils s'enfuient. »

« Je vois » dit le Prince avec une grimace. « Marquis Raeven ? Pourrions-nous entrer en action immédiatement ? »

« Difficile mais pas impossible » répondit l'homme. « Cependant, il existe un autre problème. »

« Lequel ? »

« Obtenir les hommes ne sera pas compliqué, mais je doute qu'ils puissent affronter des adversaires puissants. »

« S'il s'agit de votre garde personnel, cela ne devrait pas poser de problème, non ? » Demanda Renner.

Il était de notoriété publique que le Marquis s'était entouré d'anciens Aventuriers, tous au minimum de Rang Mithril. Or, les Aventuriers, par on ne sait quel mystère, faisaient partie des Combattants les plus puissants. Même des soldats entraînés ne leur arrivaient pas à la cheville. D'autant que la plupart avaient développé des pouvoirs presque surhumains. Diverses hypothèses tentaient d'expliquer le phénomène : intervention divine, adaptations aux situations extrêmes, absorption anormale de mana… Le fait de combattre des ennemis puissants quasi au quotidien en faisait également partit. Les gens du commun, même les soldats n'avaient jamais autant à faire aux Monstres que les Aventuriers et ceux-ci devenaient plus forts à chaque combat.

« Leur puissance est non négligeable, je le reconnais » dit le Marquis Raeven en évoquant sa grade personnelle. « Mais le risque de tomber sur des adversaires plus puissants encore est grand. Je vous rappelle que chacun des membres des Six Bras est considéré avoir une puissance équivalente à des Aventuriers de Rang Adamantite. »

Zanac grimaça. Même une dizaine d'Aventuriers de Rang Mithril pouvaient difficilement résister à une personne équivalents à un Rang Adamantite.

« Dans ce cas… » proposa Renner. « Il faudra demander aux Roses Bleues de se diviser entre chacun des différents établissements au cas où l'un d'eux se montrerait. »

« Les Roses Bleues ne sont que 5" dits Raeven.

Or, si on comptait le dernier endroit qui venait d'être ajouté, on en était à 8 cibles.

« Le mieux serait donc d'en attaquer d'abord 5 au risque que les 3 autres réagissent et parviennent à être évacués » dit Zanac.

« Il serait tout de même extrêmement fâcheux de fermer les yeux sur 3 lieux, mais a-t-on vraiment le choix ? » Soupira Raeven. « J'imagine que mobiliser les soldats de la capitale serait assez problématique, n'est-ce pas Votre Altesse ? »

« Je pourrais toujours parler à père » proposa Zanac en grattant pensivement son menton quasi inexistant. « Je n'aimerais pas vraiment abandonner des cibles. Il fait dire que je suis assez avide, voyez-vous. »

À ce moment-là, on frappa à la porte. Les deux hommes sursautèrent, mais le sourire de Renner s'agrandit encore.

« Le voilà » dit-elle.

Comprenant qu'il s'agissait de quelqu'un que la Princesse attendait, le Marquis voulut se lever. En l'absence de servante, il était celui dont le rang était le plus bas. Cependant, Renner le prit de vitesse et se dirigea vers la porte. Elle l'ouvrit puis se tourna vers ses interlocuteurs. À nouveau, son regard était chaud et pétillant et son sourire charmant.

« Désolé de ne pas vous en avoir parlé auparavant, mais voici la personne qui va nous aider à prendre plus d'établissements » dit-elle.

Elle s'écarta alors pour laisser entrer la large silhouette de Gazef Stronoff.

0o0o0

« Au Cœur de notre nuit fatale

Éclairés par un million d'étoiles

Tes os opalescents luisent

Comme des cristaux me protègent et m'enlisent.

Dans un clair de lune de sang

J'ai connu ton touché sur mes lèvres

Je ne rêve plus que de ce moment

Ô mon Seigneur, Ô mon rêve… »

Micro dans une main, Nyan Nyan se trémoussait sur les notes de la musique qu'elle avait elle-même composée. Elle portait une robe à froufrous bleu layette qui faisait ressortir ses cheveux et ses yeux roses.

Derrière elle, Angel Step exécutait une chorégraphie complexe à l'aide de son [Équipe de Doublures], des danseurs illusoires, fruit d'une Compétence née de ses Classes de Danseur et d'Illusionniste. Il était vêtu dans les mêmes couleurs que sa partenaire, mais dans des tons pastel avec un tee-shirt moulant coupé juste au-dessus du nombril et un baggy tombant laissant apparaître ses sous-vêtements.

« Oh, Mon Seigneur, mon Seigneur Ainz » continuait Nyan Nyan dont les mouvements se faisaient plus amples. « Je te donne mon cœur pour ta cage thoracique.

Ta cage thoracique.

Prends le tout entier même si ça me tue.

Parce que pour moi, tu… KYAHHH ! »

« Hey ! Fais gaffe ! »

Tout en exécutant ses pas de danse, Nyan Nyan avait reculé en percutant Angel (le vrai, malheureusement). Les deux étaient à présent emmêlés au sol et tentaient par tous les moyens de se dégager.

« Mais va-t'en ! » S'exclama le jeune Sidhe en repoussant la Robote.

« Arrête ! Tu vas abîmer ma robe ! »

« Et ce sera bien fait ! » Siffla Angel, rageur, en réussissant finalement à se dégager et à se remettre debout. « Qu'est-ce qui t'a pris de reculer comme ça ? C'est moi qui fais la chorée ! »

« Pff » fit Nyan Nyan en haussant les épaules, boudeuse. « Je suis tout à fait capable de chanter et de danser. »

« Moi aussi je te signale ! Je suis Danseur et Chanteur. Toi, tout ce que tu es, c'est une Idole. »

« Justement, une Idole peut tout faire ! Chanter, danser, jouer la comédie… »

D'un certain côté, c'était exact. L'Idole était une Classe Supérieure spéciale d'Artistes qui avaient des Compétences dans ces trois domaines. Seulement, c'était surtout une Classe qui permettait d'accroître les Capacités des autres Classes. Elle n'était pas vraiment destinée à être utilisée seule.

« Ouais ben tu sais quoi ? » Dis finalement Angel. « Démerde-toi toute seule puisque tu es si douée. Moi je vais demander à Maître Harddyn de me donner mes propres Danseurs et je monterais mon groupe seul ! »

« Non ! C'est moi qui vais lui demander ! Je suis sûr qu'il créera des filles mignonnes et douces spécialement pour moi. »

« Ah ouais ? Et vous vous appellerez comment ? Nyan Nyan et ses Meringues insipides ? Ou mieux, Nyan Nyan et ses Chattes en Chaleur ! »

« Méchant ! » S'insurgea la jeune fille alors que sa queue de chat se hérissait. « Je suis une Idole ! Mon corps est sacré et n'appartient à aucun homme et mon cœur est tout entier dévoué à mon public. »

« Tu sais que je peux faire la liste de tous les PNJ avec qui t'as couché ? »

« Et toi, tu… »

« Oh, vos gueules, les mioches ! » S'exclama alors une 3e voix.

Solo Band soupira de frustration puis abandonna sa table de mixage pour monter sur scène.

« Je vous rappelle qu'Albedo attend qu'on finisse rapidement ce putain de show. En plus, c'est elle qui sera la star et vous deux les chœurs. »

« Elle sait même pas chanter… » grommela Nyan Nyan.

« Le playback, tu connais ? J'enregistre ta voix, je la modifie un peu pour la faire correspondre à celle d'Albedo et Maître Ainz pensera que c'est elle qui chante. »

« Mais c'est pas juste ça ! »

« Ouais ben c'est sa chanson je te signale » dit le Démon Sirène en croisant ses bras sur son torse nu et couvert de tatouage. « Elle l'a écrite et toi tu te contentes de la chanter puis tu joueras les seconds rôles dans le fond avec l'autre victime de la mode. »

« Hey ! » S'insurgea Angel. « Je te permets pas de me critiquer ! C'est pas comme si t'étais irréprochable non plus niveau trempé ! Tu crois que c'est facile de suivre ta musique de noob ! »

« Sauf que moi, je te rappelle, ma spécialité c'est le Hard Rock, le Métal et de temps en temps le Classique. Pas la Pop merdique ! »

« Qué tout lé monde sé calmes ! La vraie star est là ! » S'exclama soudain une autre voix.

Elle avait un accent hispanique prononcé et roulait les « r ». Les trois Artistes se tournèrent alors en direction de la silhouette dissimulée dans les ombres de la scène jusqu'à ce qu'une poursuite s'allume, éclairant le singulier personnage qui les avait rejoints.

C'était un squelette qui avait la particularité d'avoir des yeux dans ses orbites. De plus. Son crâne était décoré de motifs floraux et d'arabesques colorées qui semblaient presque creusées dans l'os. Il portait également une perruque de cheveux noirs attachés au sommet de la tête par des rubans et des fleurs, une tunique courte à col carré et une longue jupe serrée au-dessus de son bassin, le tout dans tes tons flamboyants d'orange, de jaune, de rose et de pourpre.

L'ensemble était accentué par une pose tragique, jambe pliée sur le côté, tête baissée, main sur la hanche et l'autre pointé vers le ciel de façon théâtrale.

« Euh… Cal… tu as quoi sur le front ? » Demanda Solo.

Il faisait référence à l'énorme barre de sourcils qui traversait le dessus des orbites du squelette qui avait pour patronyme Cal Avera. Shaman, Nécromancien, Médium… c'était également un Barde ce qui expliquait sa présence ici.

« Chut trésor » dit le squelette en se trémoussant sur scène et en posant la phalange distale de son index sur les lèvres du Démon. « Laissé moi canaliser ma Frida intérieure pour faire dé ce spectacle oune ode à la perfectionne dé notre Seigneur. D'ailleurs, c'est moi qui devrais chanter, no ? »

« N'importe quoi ! » S'insurgea Nyan Nyan. « Tu as la voix d'un ogre asthmatique ! »

« Sans compter ton accent ! » Ajouta Angel. « Que ça nous plaise ou non, c'est Albedo qui sera vu en train de chanter. Elle y tient pour remonter le moral de Seigneur Ainz. »

« Ouais et bé je la pousserais bien dé la scène, celle-là. »

« Si tu ne tiens pas à ta vie, ne te gêne pas » ricana Solo. « Bon, trêve de plaisanterie, revenons-en à quelque chose de sérieux. »

« Hey ! Jé né vous permet pas dé m'ignorer ! »

0o0o0

Debout devant sa fenêtre, Renner regardait l'agitation en bas. Elle, son frère Zanac, le Marquis Raeven et Gazef Stronoff étaient finalement parvenus à finaliser leur plan. Suite à cela, les deux derniers avaient commencé la mobilisation de leurs troupes.

C'était cela qu'elle observait.

Il faisait presque nuit déjà. La lueur des braseros et des torches à l'extérieur éclairait la chambre dont les lumières étaient à présent éteintes et jetait l'ombre de la Princesse sur le sol.

Au bout d'un moment, celle-ci se mit à ondoyer et quelque chose en émergea. Une femme. Jeune, les cheveux châtains, les yeux marrons, elle portait l'uniforme des servantes du château avec, pour seule fantasy, un tour de cou de satin noir.

« Tu rapporteras l'intégralité de notre conversation à Nazarick, je te prie » dit Renner sans détacher son regard de la fenêtre et surtout d'un jeune homme blond en armure blanche étincelante en contrebas.

« Il sera fait selon vos désirs, Votre Altesse » répondit la modeste servante en s'inclinant humblement.

Elle se dirigea alors vers une commode et ouvrit le tiroir du bas, le plus haut. Elle en retira une boîte de forme carrée avec un petit tiroir à son sommet. Dans ce dernier, elle prit un objet plat et allongé avec des arrêtes saillantes. Cependant, au lieu d'utiliser le CrysTel, elle le posa sur le tablier de marbre du meuble puis ouvrir la boîte.

À l'intérieur se trouvait… une tête. Pâle, avec un visage en forme de cœur, elle avait la particularité de posséder un maquillage assez chargé et une coiffure rocambolesque, un assemblage de boucles rigides couleur bubble gum, assez haute et aux arrêtes décorés de petits diamants. En regardant bien, on remarquait qu'il s'agissait d'une tête d'automate. La bouche était articulée de même que les paupières.

La femme plaça alors ses deux mains sur ses oreilles et soulevé. Sa propre tête se détacha sans effort, la coupure exactement à l'endroit où se trouvait le raz de cou qui s'était défait au moment de la séparation. La servante sans tête la posa près du CrysTel avant de la remplacer rapidement par celle qui se trouvait à l'intérieur de la boîte.

« Oh ! » Dit-elle en se regardant dans le miroir juste devant elle, fixé au-dessus du meuble. « Ça fait du bien. Quelle triste tête ! Mais après tout, elle appartenait à une triste fille. »

Elle rangea ladite tête dans la boîte, la referma et prit le CrysTel, prête, cette fois à faire son rapport.

« En parlant de "triste fille" » l'interrompit alors Renner en se tournant vers elle. « Qu'as-tu fait de son corps ? »

« Je n'ai personnellement que l'usage de sa tête et seulement afin de me faire passer pour elle » dit la servante. « Cependant, un cadavre a beaucoup d'utilité à Nazarick. »

La Princesse acquiesça.

« Quel est ton nom déjà ? »

« Adellia » répondit la servante. « Adellia Boopie, créé exclusivement pour vous par mon Maître Harddyn Emeryas. »

0o0o0

La sphère dans la main de Climb frémit et gigota sous la pesanteur. Extrêmement flasque, la matière sombre se déformait au moindre mouvement. Qu'importe sa forme de toute façon puisque le jeune homme se contenta de l'écraser sur son armure. Le liquide sembla alors se reprendre instantanément et le métal blanc pur devint d'un noir mat et discret.

Le Colorant Magique, comme on appelait cet artefact, avait la capacité de changer la teinte d'un objet. Certains parmi les plus puissants pouvaient également leur donner de propriétés spéciales comme la résistance à l'acide, mais ce n'était pas le cas pour celui-ci. Climb avait simplement besoin de rendre son armure scintillante moins voyante en vue des évènements à venir.

À côté de lui, Aliz avait troqué ses vêtements habituels contre un plastron léger en cuir sombre par-dessus un gambison molletonné. Sa cuirasse n'était pas pourvue d'épaulettes pour lui permettre une plus grande facilité de mouvement. Elle portait également une jupe composée de lanières de cuir épais, un pantalon serré et des bottes montantes sans oublier, bien sûr, sa fidèle rapière.

Fin prêts, ils se dirigèrent alors en direction de Lakyus qui, dominant la scène, avait appelé les meneurs des différentes troupes à se rassembler auprès d'elle.

Il aurait été facile de comparer la jeune femme à une farouche amazone. Sous son armure, elle portait une combinaison d'un rouge profond molletonné afin de protéger son corps alors que par-dessus, son tabard couleur azur flottait autour d'elle. L'armure elle-même, composée d'un plastron, de bottes et de gantelets était faite de platine décoré de motifs de licornes d'or. Appelée Neige Pure, on disait qu'elle ne pouvait être portée que par une vierge. Mais au vu des caractéristiques de l'équipement que pouvait voir Aliz, cela devait encore être une mythomanie de sa part.

Toujours est-il que son regard veille pâle était attiré par autre chose, un objet accroché dans son dos à peine recouvert par une cape grise d'apparence miteuse et qui améliorait un peu la vitesse, l'agilité et l'esquive de son porteur (probablement un trésor pour les gens de ce monde, mais pour Harddyn à peine un déchet qu'on pouvait droper dans un donjon de bas niveau sur YGGDRASIL). On ne pouvait en voir que la poignée, mais il était impossible de ne pas reconnaître cette arme. Il s'agissait bien entendu de Kilineiram, l'épée démoniaque à la lame d'un noir de nuit couleur d'étoile et au pommeau orné d'un saphir sombre.

Un jour, oui, un jour il la récupérerait. Alors qu'il n'éprouvait pas vraiment d'attachement sincère à l'arme, il était plus contrarié d'avoir perdu quelque chose qui était à lui. C'était l'une des caractéristiques qu'il avait conservée de l'époque où il était un arbre mort : un besoin irrépressible d'amasser des choses. Cela pouvait être des savoirs, parfois des richesses, mais aussi des créations. Dans le but de tester son jeu, il avait incarné plusieurs avatars là où un seul aurait suffi.

En effet, dans le YGGDRASIL originel, si les Joueurs ne pouvaient posséder qu'un unique compte, il était tout à fait envisageable de le recommencer à zéro. La nature rigide du système de Races et de Classes ainsi que son foisonnement toujours grandissant au fur et à mesure des extensions faisait qu'il devait exister des moyens pour les usagers de pouvoir les modifier.

Il était ainsi possible pour certaines Classes d'évoluer après une quête (comme par exemple un Magicien qui devenait Magicien Moderne) et certains artefacts permettaient également de changer de Race (comme les Graines de Déchu permettaient de devenir un Démon). Toutefois, la première situation était assez exceptionnelle et la seconde peu pratique parce qu'elle était seulement effective sur les Humanoïdes.

Cependant, il existait aussi dans le jeu des Potions capable de supprimer une ou toute les Races ou Classe voir même de retourner au menu de création. Bien entendu, toute l'expérience, les Compétences, les Sorts et les Techniques acquis étaient perdus. Mais avec des efforts et tout ce qu'il possédait dans son inventaire qu'il conservait, un Joueur pouvait parfaitement retrouver son Niveau.

Pourtant, ce n'était pas ce qu'avait fait Harddyn pour la simple et bonne raison qu'il ne voulait pas perdre les personnages qu'il avait créés. Ou l'équipement qu'il avait acquis ou fabriqué. Comme Kilineiram.

Mais pour le moment, il se contentait d'écouter la voleuse exposer leur plan. Ils avaient formé 7 groupes. C'était le maximum qu'ils pouvaient faire. Ils n'avaient pas assez de monde pour en faire un 8e. Ou plutôt personne d'assez puissant pour résister à un membre des Six Bras s'ils venaient à tomber dessus. Chacune des 5 Rose Bleue pouvait le faire ainsi que Gazef Stronoff. Ils avaient donc été chacun nommés chefs d'équipe. Gazef avait alors proposé que Brain Ungleus prenne la tête d'un 7e groupe. Ce que l'homme ainsi que les autres avaient accepté.

La stratégie était donc une attaque simultanée de 7 des cibles afin d'en prendre le contrôle, capturer les membres de l'organisation si c'était possible et les tuer si ça ne l'était pas. Une fois les lieux sécurisés, les chefs se dirigeraient vers la dernière en laissant leur troupe veiller sur les sites conquis au cas où d'autres arriveraient. Ce n'était pas un plan parfait, mais c'était probablement le meilleur auquel ils pouvaient penser avec les moyens à leur disposition.

Lakyus termina son discours par des recommandations puis pressa tout le monde de se préparer pour l'assaut. En entendant cela, Climb frissonna. Brain n'avait accepté sa position de commandant que si lui et Aliz étaient à ses côtés. La jeune femme avait dit quelque chose comme quoi il ne pouvait à présent plus se passer d'elle et le Mercenaire avait rougi intensément. Climb en avait été étonné alors que son amie avait éclaté de rire. Cependant, comme ni l'un ni l'autre ne semblait prêt à partager, il laissa tomber.

Il n'y eut heureusement aucune objection malgré son manque d'aptitude au combat. La majorité des personnes impliquées représentaient le pouvoir du Prince Zanac ou du Marquis Raeven. Les Roses Bleues se représentaient elles-mêmes, il n'y avait donc personne pour représenter Renner. La présence de Climb à un poste important lors de l'opération permettait de prouver son investissement.

« Tu es prêt ? » Lui demanda Brain alors qu'ils étaient sur le départ.

Climb hocha la tête.

« Tiens, regarde notre itinéraire » lui dit le commandant de l'escouade.

Climb prit la carte d'assez bonne qualité qu'il lui présentait et vit le chemin tracé au rouge traversant la ville. Il remarqua que ce n'était pas des plus direct.

« C'est lui qui l'a choisit » dit Brain en indiquant un homme derrière lui.

C'était un Aventurier de Rang Orichalque des troupes du Marquis Raeven. Les quelques-uns ayant ce rang avaient rejoint l'équipe de Brain afin de renforcer leurs effectifs. Au vu de son équipement, il devait s'agir d'un Voleur. Il était donc plus à même de se faufiler pour créer un itinéraire rapide même s'il n'était pas direct.

« Hey, le puceau ! » S'exclama alors une voix bien connue dans son dos.

Climb avait appris à ignorer le surnom que Gagaran lui avait donné, mais aujourd'hui c'était différent. Il n'était pas moins que le vice-commandant d'une escouade dont les membres commençaient à l'observer d'un drôle d'air. Fort heureusement, il n'y eut aucun regard moqueur. Cependant, le paternalisme qu'il pouvait voir dans leurs yeux demeurait assez gênant.

« Qu'y a-t-il, Dame Gagaran ? » Demanda-t-il d'une voix détachée en se retournant vers elle.

La femme, déjà imposante au naturel, paraissait encore plus massive à présent qu'elle avait revêtu son armure bordeaux garnie de pointes qui portait le nom de Fléau des Yeux Mystiques (encore, un nom grandiloquent pour un équipement au rabais se disait Harddyn). Elle était également munie d'un énorme nadziak, un marteau de combat avec un crochet à l'arrière ainsi que plusieurs autres objets magiques devant servir à la protéger et à augmenter sa force. Dans l'ensemble, même si c'était de basse qualité, Harddyn devait reconnaître que c'était une ingénieuse combinaison.

« Je pensais juste venir pincer les fesses d'un certain puceau pour le détendre un peu » dit-elle en réponse à la question de Climb.

Le ton était enjoué, mais on sentait parfaitement l'inquiétude par dessous. Manifestement, la géante se souciait réellement de son bien-être… même si Climb apprécierait qu'elle cesse de l'appeler "puceau". Heureusement pour lui, la femme tourna rapidement son attention vers les deux autres membres principaux du commando.

« Je sais qu'on s'est vu ce matin, mais on a pas été officiellement présenté » dit-elle en tendant la main en direction d'Aliz.

En fait, l'Écuyère connaissait très bien la Guerrière. Bibliquement même. Sous les traits de Taliesin, ils avaient partagé une nuit de sexe torride au cours de laquelle le Barde avait pris plaisir à faire supplier sa partenaire. Il était finalement parvenu à l'épuiser, mais n'était pas parti sans avoir solennellement promis de garder pour lui les détails de la soirée.

« Aliz Jouvelon. Du Clan Toldeyne » dit celle-ci en prenant la main qui lui était tendue.

Bien entendu, le geste de salutation se transforma rapidement en duel de force et Harddyn dû se résoudre à laisser gagner son adversaire pour ne pas gâcher sa couverture.

« Pas mal » dit-elle avec un ricanement avant de se tourner enfin vers le dernier membre du trio. « Brain Ungleus. L'homme qui a fait jeu égal avec le Capitaine des Guerriers. Oui… je vois… on dirait bien que ta réputation n'est pas usurpée.

« Quel compliment de la part de Gagaran des Roses Bleues ! Tu es forte et perspicace. Pas étonnant pour un membre éminent d'une équipe d'Aventurières de Rang Adamantite. Alors ? Je suis qualifié ? »

Devant le regard incrédule de Climb, Aliz gloussa légèrement.

« Elle est venue nous tester » dit-elle. « Elle voulait savoir si on serait assez bon pour te protéger. »

« Vraiment ? » Balbutia le jeune garçon.

« N'importe quoi » grogna la géante avec une moue boudeuse tout en haussant les épaules. « Je m'en fiche de ce qui pourrait t'arriver. C'est juste que ce serait dommage si tu devais crever alors que t'es encore puceau. Je me suis dit que je pourrais me charger de ça… »

Elle soupira alors que Climb rougissait.

« Tu veux pas ? Dommage » dit-elle avant de commencer à s'éloigner non sans avoir au préalable demandé au jeune homme de faire gaffe à lui.

« C'est dur de l'imaginer vu son apparence, mais c'est une femme attentionnée » dit Brain en se penchant vers les autres au cas où celle-ci l'entendrait.

« Gagaran est gentille. Comme toutes les Roses Bleues. Même Dame Evileye est étonnement prévenant malgré son aspect effrayant. »

« Je vois… » dit Brain. « Tiens, ça commence à bouger. »

« Les groupes qui doivent se rendre dans des lieux éloignés sont obligés de partir plus tôt afin que nous puissions attaquer tous en même temps » répondit le jeune homme.

« Je le savais » répliqua son commandant d'unité.

« Mais bien sûr » persifla Aliz. « C'est pour ça que tu as deux seconds au lieu d'un. »

Brain voulu répondre, mais rien que le fait de regarder la jeune femme le faisait rougir jusqu'à la racine des cheveux alors lui parler. Après tout, cela ne faisait que quelques heures depuis qu'ils avaient… enfin, qu'ils avaient appris à se connaître plus intimement. Il s'ébroua donc tout en espérant que Climb n'avait pas remarqué sa gêne. Fort heureusement, le jeune homme ne faisait que scruter la foule. Il devait pourtant savoir que celle qu'il cherchait n'était pas ici, mais il ne semblait pas pouvoir s'en empêcher.

« Climb ? » L'appela son commandant. « Tu es prêt à partir ? »

« Mm ? Euh oui. Je suis prêt. »

« Dans ce cas, allons-y » dit Brain en prenant la tête de leur petit groupe.

Celui-ci ne comptait pas moins, en plus du trio, de 4 Aventuriers vétérans de Rang Orichalque, d'une vingtaine de soldats du Marquis Raeven, d'un prêtre de haut rang pour les soins et de quelques Mages. En tout, 33 personnes se mirent en route vers leur destination. Ils le savaient tous, la nuit allait être longue.

0o0o0

Sebas regardait la troupe qui passait le Portail ouvert dans le petit salon de la villa. Ils étaient suffisamment nombreux pour remplir l'espace.

« Je ne m'attendais pas à recevoir autant d'aide » dit-il. « Il faudra que je remercie Maître Ainz et Maître Harddyn. »

En effet, en plus d'être en nombre, les envoyés de Nazarick avaient été choisis parmi les plus puissants. Des Gardiens, il y avait Demiurge, Shalltear et Mare. Il y avait également l'une des Pléiades, Entoma, qui venait s'ajouter à Solution déjà présente. Enfin, il y avait pas moins de 6 personnes que le Majordome ne connaissait pas vraiment, mais qu'il avait croisées.

En effet, il savait qu'il s'agissait de Serviteurs créés exclusivement par Maître Harddyn dans son Oasis. Il savait aussi qu'ils faisaient partie du groupe appelé les 100 dont tous les membres avaient atteint le niveau maximum tout comme lui et d'autres. En clair, même s'il ne les connaissait pas, il était conscient que leur force était au moins égale à celle d'un Gardien.

Parmi eux, il y avait deux jeunes femmes, deux hommes et une femme adulte ainsi qu'une vieille dame. Du moins en apparence. À Nazarick, rien ne semblait toujours être ce qu'il paraissait. Des êtres ayant l'air d'avoir des dizaines d'années de différence pouvaient avoir été créés le même jour et des personnes d'un âge vénérable comme lui étaient en fait de redoutables Combattants.

« Voir que même les plus puissants des Gardiens et des membres des 100 de l'Oasis sont présents est un soulagement sans fin » dit Sebas en s'inclinant.

« Hum » acquiesça Demiurge. « D'après les ordres de Maîtres Ainz, j'ai été nommé en charge de cette opération et ai reçu les pleins pouvoirs. Y vois-tu un inconvénient ? »

« Pas le moindre » répondit immédiatement le Majordome.

« Tout d'abord, je vais donc te présenter les membres de notre escouade que tu ne connais pas » dit le Démon en tendant la main vers les PNJ de l'Oasis. « Voici les deux Chefs d'équipe, Miss Alice Lidell et Miss Red Ridding Hood. »

Il s'agissait des deux jeunes femmes.

La première était une Vampire. À en juger par ses sens, Sebas pouvait dire qu'elle était une Vampire Pure tout comme Shalltear, mais pas aussi puissante (bien que ça en était proche). Elle avait la peau diaphane des membres de son espèce ainsi que leurs crocs et leurs yeux rouges. Elle cachait ces derniers derrière des petites lunettes rondes à verre d'un noir sombre aux reflets carmin.

De taille moyenne, elle avait un corps dont les formes féminines étaient peu marquées. Poitrine mince, hanches étroites… cependant son charmant visage en forme de cœur contrastait avec cette apparence androgyne. Elle avait des lèvres pleines décorées d'un rouge sombre, des pommettes rondes et un cou gracile. Ses cheveux étaient d'un blond clair avec une racine plus sombre, retenus en arrière par un ruban bleu.

D'ailleurs, cette couleur se retrouvait un peu partout sur sa tenue. Elle portait une blouse à large décolleté et dont les manches ballons tombaient sur ses épaules. Celle-ci était maintenue par un gilet bleu sans manche attaché sur le devant par un ruban noir. Sa jupe, de la même couleur était rendue légèrement bouffante par des jupons de dentelle visible par en dessous. Ses jambes déliées étaient recouvertes de bas à rayures bleues et blanches qui remontaient jusqu'à mi-cuisse et elle portait également des escarpins fermés noirs.

Avec une pose aguicheuse, jambe semi-repliée et main sur la hanche, elle fit un léger signe avec l'autre au Majordome assorti d'un sourire de prédateur au moment où le Démon la présenta. C'était tout le contraire de sa compagne qui se contenta d'un simple hochement de tête.

Elle portait une jupe crayon déchirée remontant jusqu'aux genoux et un chemisier blanc semblable à celle d'Alice sauf que celui-ci était maintenu par une ceinture corset formé de lanières de cuir sombre entrelacées dans lesquels étaient passés plusieurs poignards de jet ainsi que deux armes à feu, dans son dos. Ses épaules étaient drapées d'un large tissu écarlate dont une partie était passée par-dessus sa tête. Cette capuche dissimulait le haut de son visage à l'exception de l'éclat lunaire de ses yeux. Il cachait également en partie ses longues oreilles qui, ajoutées à son teint bronzé et son corps longiligne, faisaient dire à Sebas qu'elle était un Elfe Noir.

« De l'équipe de Miss Lidell, appelé Wonderland, voici également Mrs Queen of Heart et Mr Mad Hatter Hightop. »

Les ailes de cuir noir de la première l'identifiaient sans le moindre doute possible comme un Démon. Son corps aux proportions plus que généreuses était d'un teint gris cendre parcouru de veines noires. Elle portait une robe à la taille cintrée et à la jupe longue et volumineuse, toute en noir et écarlate. Son bustier serré dissimulait à peine la rondeur de sa poitrine opulente. Ses bras, plus fins, étaient enserrés dans des manchettes en cuir garnies de pointes qui remontaient jusqu'à la naissance de ses manches ballons. Deux bracelets dorés à ses poignets maintenaient l'imposante cape bordée d'hermine dans son dos.

D'une grande beauté, elle avait un visage en forme de cœur. Ses longs cheveux rouge sang et bouclés étaient coiffés en deux énormes rouleaux de chaque côté de sa tête ce qui lui donnait également la forme d'un cœur. Juste entre les deux était posée une couronne d'or décorée de rubis et de velours écarlate. Ses yeux étaient totalement noirs et ses lèvres pincées maquillées de rouge, mais seulement au centre, la partie de l'arc de cupidon. Avec la pointe formée sur la lèvre inférieure, le maquillage prenait, encore une fois la forme d'un cœur.

De son côté, Mad Hatter Hightop ressemblait à un dandy excentrique et sinistre. Il était vêtu d'un costume bariolé, mais dont les couleurs étaient extrêmement défraîchies. Le tissu était sale, râpé et, par endroit, en lambeaux. La seule partie de sa tenue qui ne soit pas dans un état de délabrement était son chapeau. C'était un haut-de-forme d'un noir de jais décoré d'une bande de soie d'un rose parme piqué d'épingles et de plumes. Une étiquette était également glissée dans celle-ci. C'était un simple morceau de papier d'un blanc sale marqué d'un énigmatique "10/6". Des cheveux ondulés et filasses d'un roux passé en émergeaient. Quelques mèches tombaient ainsi devant ses yeux dont les paupières étaient cousues ensembles. Ses lèvres l'étaient également, ce qui ne l'empêchait pas d'arborer un sourire des plus lugubre.

Sebas remarqua que son visage, son cou, ses mains et probablement son corps entier étaient recouverts de cicatrices. Non, pas de cicatrices, de coutures. Comme si on avait assemblé sa peau plutôt que de la réparer. Cela voulait sans doute dire que l'homme était un Décharneur, un Mort Vivant Anthropophage qui dépeçait ses proies pour dévorer leur peau ou s'en vêtir.

Cependant, en y regardant de plus près, il remarqua également que ses deux oreilles étaient distinctes l'une de l'autre, comme si elles appartenaient à des personnes différentes. Il ne pouvait pas dire pour ses mains car l'une d'elle était recouverte d'une peau animale en forme de marionnette de lapin, toutefois, celle qui demeurait visible semblait assez disproportionnée par rapport à sa physionomie. Celà était tout à fait possible si Mad Hatter était aussi un Incarnateur, un autre Anthropophage qui après avoir englouti une partie de sa victime, utilisait les morceaux restants pour se les greffer.

« Quant aux membres de Into the Woods, l'équipée de Miss Ridding Hood, elle est composée de Mr Big Bad Wolf et de Mrs Mère-Grand. »

« Juste Mère-Grand, mon petit » dit la vieille femme d'une voix chevrotante mais chaleureuse.

Elle paraissait très, très âgée. Légèrement voûtée, sa peau et en particulier celle de son visage était ridée comme une vieille pomme, un état encore accentué par son grand sourire sincère. Elle avait un menton allongé et un nez crochu sur lequel était posée une paire d'épais lorgnons. Quelques cheveux bouclés d'un blanc pur s'échappaient de la charlotte de dentelle qu'elle avait sur la tête. Elle portait une vieille chemise de nuit de serge écrue à col serré autour du cou et manchettes, mais fendue sur les côtés, révélant un pantalon bouffant de la même couleur ainsi qu'une paire de pantoufles.

À la regarder, elle avait simplement l'air d'une inoffensive petite grand-mère, mais son apparence était loin de tromper le Majordome rompu au combat. Sa posture ainsi que l'aura qu'elle dégageait lui disait que c'était une Guerrière, un Moine formé au corps à corps et à la manipulation du Ki. Tout comme lui.

D'un autre côté cependant, le dernier membre du commando ne cherchait pas à dissimuler sa puissance. Très grands, les épaules, les bras et les cuisses larges, c'était un homme d'apparence sûr de sa force. Il portait des vêtements décontractés mais en même temps assez classieux, un pantalon blanc, des chaussures de cuir et une chemise ouverte sur un torse extrêmement velu. En fait, tout son corps semblait posséder une pilosité importante. Bras, avant-bras, cuisses, mollets et même dessus des mains et des pieds étaient recouverts de poils sombres. Il portait énormément de bijoux dorés et clinquant. Son menton et sa mâchoires étaient recouverts d'une pilosité rase du même châtain que ses cheveux coiffés en arrière sur lesquels reposaient une paire de lunette de soleil.

Ses yeux marrons avaient de temps en temps un éclat d'un jaune mordoré et songer sourire en coin laissait entrapercevoir des dents blanches et pointues. L'odorat développé de Sebas sentait du sang venir de lui et aussi un parfum musqué, âcre et sauvage de bête. À un moment, le visage de l'homme se déforma légèrement, laissant apparaître pendant une seconde à peine le départ d'un museau sombre.

Sebas les salua d'un simple signe de la tête avant de se tourner à nouveau vers Demiurge.

« À présent que les présentations ont été faites, il me faut te corriger sur un point » reprit le Démon. « Certes, nos Maîtres nous ont ordonné de secourir la dénommée Tuare, mais notre objectif principal est d'annihiler cette souillure infâme que sont les Huit Doigts en châtiment de leur crime contre Nazarick et les Êtres Suprêmes. »

« J'en suis bien conscient » répondit le Majordome avec gravité. « Le sauvetage de Tuare est un objectif secondaire. »

« C'est exact. Cela dit, nous fournirons tout de même les efforts nécessaires à son sauvetage attendu qu'elle soit évidemment encore en vie. Je doute qu'elle puisse résister à un Sort de Résurrection. »

Le ton était sarcastique et la remarque des plus condescendantes. Les personnes plus faibles ou dont le corps était trop dégradé avaient tendance à se transformer en tas de cendre quand on tentait de les ressusciter. Cependant, de nombreux Serviteurs à Nazarick étaient capables d'utiliser des Sorts ou des Compétences de Résurrection plus puissante et qui serait à même de ramener la jeune fille d'entre les morts (le Seigneur Harddyn également). Mais ce que Demiurge voulait dire, c'est que personne ne se donnerait la peine de gaspiller de la magie pour un simple objectif secondaire.

Sebas, bien qu'il avait parfaitement compris l'insinuation, n'avait rien à dire. Il était encore en période probatoire après tout. Sans compter que c'était le Démon qui donnait les ordres pour le moment.

« Si jamais elle devait mourir de la main de ses bourreaux, nous devrions bien sûr agir en conséquence, mais j'en doute. »

« Je suppose qu'ils préféreraient la torturer pour lui faire payer sa trahison et le faire souffrir » déduit Sebas.

« Tu as parfaitement raison. Si c'était moi, j'immobiliserai son sauveur et l'obligerai à la regarder souffrir pendant des heures… enfin, ce n'est pas tout à fait exact. Si c'était vraiment moi, j'utiliserais mon pouvoir pour forcer le sauveur à exécuter lui-même les tortures. Ça oui, ce serait un spectacle réjouissant. »

« De ta part, cela ne m'étonne pas du tout » dit Sebas en dissimulant sa colère derrière un sourire de façade.

Mais à en juger par son rictus triomphant, le Démon était loin d'être dupe.

« Bien sûr, avant cela, je ferais semblant de les laisser s'échapper avant de les reprendre au moment même où ils croiraient être sauvés. Plus l'espoir est grand, plus le désespoir l'est également. »

« Ça a l'air amusant en effet » dit Alice dont le sourire laisse voir la pointe de ses crocs.

« On devrait peut-être essayer un de ces jours » rajouta Shalltear qui se trouvait finalement des points communs avec l'autre Vampire.

« M… mais si à cause de ç… de ça ils s'enfuient vraiment, ce… ce serait embêtant » bégaya Mare de sa voix fluette.

« T'inquiète pas, gamin » ricana Big Bad Wolf en posant une main gigantesque sur la petite tête de l'Elfe Noir. « Il suffira de les prendre en chasse, hein ? »

Mare se contenta de pousser un petit bruit étranglé. Il s'était raidi quand le Loup l'avait touché et maintenant aucun son ne pouvait sortir de sa gorge.

« Et si jamais ils y parvenaient quand même, j'applaudirai leur exploit » rajouta Demiurge.

On sentait, à son ton, qu'il n'avait pas la moindre envie d'applaudir.

« Bien entendu » ricana Shalltear. « Ton orgueil empêcherait qu'ils s'enfuient. Je te reconnais bien là. »

« Si le plan consiste à éliminer les Huit Doigts, je suppose que tu disposes des informations nécessaires, Demiurge » interrompit Sebas que ce discours irritait.

« C'est l'évidence même » répondit le Démon. « Il n'y a pas le moindre problème. »

Sebas plissa les yeux face à l'assurance de son collègue. Il n'était parti que quelques heures en compagnie de Maître Harddyn. C'était bien assez pour que ce dernier lui dise ce qu'il savait, mais ils n'avaient pas besoin d'aller aussi loin pour cela. Il y avait donc autre chose, mais il ignorait ce que c'était.

« Les cibles sont multiples et les attaques se doivent d'être simultanées » explique-t-il finalement. « Il sera nécessaire pour vous de capturer certains individus importants que je vous indiquerai et qui pourraient posséder des informations utiles. Quant aux autres, à vous de faire ce qu'il faut pour leur faire réaliser la stupidité de leurs actes. Y a-t-il des objections ? »

Il n'y en avait pas la moindre. Satisfait, Demiurge commença par vérifier l'adresse que les ravisseurs avaient donnée à Sebas pour l'échange. Si elle n'apparaissait pas dans la liste que possédait le Démon, il faudrait ajouter un nouvel objectif. Heureusement ou malheureusement, selon le point de vue, elle était bien inscrite sur le morceau de parchemin.

« À propos des humains qui se trouvent dans ce bâtiment et qui ont entaché l'honneur de Maître Ainz » reprit Demiurge une fois la vérification faite. « Si jamais tu les épargnes, je te tuerais pour de bon. »

« Vous savez, je vous observe depuis tout à l'heure et je me demande pourquoi vous ne pouvez pas discuter un peu plus amicalement ? » Les interrogea soudain Shalltear.

C'était une excellente question auquel ni l'un ni l'autre n'avait de réponse. La seule présence de Demiurge agaçait Sebas au plus haut point et vice versa. Ils ignoraient que cette inimitié leur venait en fait des fragments de la personnalité de leurs créateurs qui leur avait donné vie. Cependant, comme l'heure n'était pas à la dispute, il préféra ravaler sa colère.

« Pardonnez-moi de me comporter si grossièrement alors que vous venez réparer mon erreur » dit-il alors en s'inclinant.

« Ce n'est rien » dit Demiurge avec un air détaché de grand seigneur. « Quoi qu'il en soit, une fois ton Humaine sauvée, tu devras immédiatement l'évacuer jusqu'à Nazarick. C'est bien compris ? »

« Oui. Parfaitement » répondit le Majordome, raide. « Est-ce que tout est prêt pour elle ? »

« Ça devrait aller. On a fait ce qu'on pouvait » dit Entoma, la Pléiade, parlant pour la première fois.

« Très bien » dit le Démon. « Maintenant, je vais former des équipes et assigner une cible à chacun… oh ! Shalltear, j'ai failli oublier ! J'ai un avertissement à formuler. »

« Un avertissement ? Pour moi ? »

« En effet. Tu as pour consigne de rester en arrière pour ce combat histoire que le sang que nous allons versé ne provoque pas de… réaction trop dérangeante chez toi. »

« Pas… pas la peine d'en arriver là » bredouilla la Vampire. « Si j'aspire tout avec ma Lance-Pipette, les chances que ma Compétence s'active sont minces. »

« Cela n'est pas suffisant » intervint alors Red Ridding Hood qui parlait pour la première fois.

Sa voix était sombre et lisse, mais pas mécanique. Seulement factuelle.

« Les paramètres de la mission indiquent que nous devons agir avec prudence. Une donnée aussi aléatoire que [Frénésie de Sang] ne pourrait que risquer de la compromettre » reprit la jeune Elfe Noir sans prêter attention à la grimace gênée de la Vampire à la mention de son échec passé.

« En effet » approuva Demiurge, scellant ainsi le destin de sa collègue Gardienne. « Oh ! Une dernière chose, Sebas. Le sauvetage de Tuare et la punition des Huit Doigts ne sont que la première partie d'un plan plus vaste dont je ne te révélerai pas les détails. Comme tu es censé rentrer à Nazarick après avoir retrouvé ton Humaine. Tu seras considéré comme étranger à l'opération. Et comme je veux éviter les fuites d'information, je préfère limiter les personnes y ayant accès. J'espère que tu comprends. »

« Je comprends » dit Sebas avec une voix sans émotion. « Sur, ce, je vais me préparer. »

Demiurge attendit qu'il soit parti pour se tourner à nouveau vers le groupe et plus particulièrement vers l'une des Pléiades.

« Entoma ? Tu es capable de créer des illusions, si je ne m'abuse ? Je voudrais que tu matérialises une image selon mes instructions. »

La servante à l'uniforme ressemblant à un kimono hocha la tête. Son visage, comme à l'accoutumée, était inexpressif. Elle fixait le Démon de ses yeux noirs aux pupilles en forme de trois hexagones allongés rouges en attendant ses directives.

« Ce que je vais vous dire est capital » dit Demiurge alors que la servante terminait de générer son image. « Ouvrez bien vos yeux et vos oreilles. »

Il désigna les deux silhouettes qu'elle venait de créer dans le vide.

« Il est strictement interdit de tuer ces individus » dit-il. « C'est important. La consigne vient de Maître Harddyn lui-même. Vous pouvez les blesser un peu, mais rappelez-vous qu'en principe aucun mal ne doit leur être fait. Tu m'entends, Shalltear ? »

« Inutile d'insister, j'ai compris » grogna la Vampire avec une moue boudeuse.

« Est… est-ce qu'on n'aurait p… p… pas dû en parler aussi… aussi à Sebas ? » Demanda Mare.

« Le connaissant, il ne leur fera pas de mal » dit nonchalamment le Démon. « Aucun souci à se faire de ce côté-là. Mais au cas où, puisque tu l'accompagnes Solution, tu l'arrêteras si nécessaire. »

La jeune femme s'inclina en réponse. Demiurge en était satisfait. Tout se passait comme prévu. Avec un peu de chance, il n'y aurait pas de problème et l'opération serait un succès. Grâce à elle, Nazarick se verrait apporter un bénéfice énorme, mais pas seulement. Cela renforcerait la confiance de leurs Maîtres dans leurs capacités et leur prouverait que leurs serviteurs pouvaient être utiles. Ceux-ci n'avaient pas semblé trop contrariés de l'échec de Shalltear ou de Cocytus. Pour ce dernier. On pouvait même dire que c'était prévu. Cependant si plus d'entre eux se montraient incapable de remplir leur tâche, qu'adviendrait-il ? La plus grande peur du Démon (et il n'était pas le seul dans ce cas) c'est que leurs tout derniers Créateurs se lassent de leur incompétence et décident de les abandonner. Comme les autres.

C'était une idée trop insupportable. Il était donc nécessaire qu'il réussisse.

« Bien » dit-il. « Maintenant que tout cela est clair, il est temps que je vous explique la seconde partie de mon plan qui est en fait l'objectif central de notre action. Prêtez donc attention à ce que je… »

Une courte sonnerie l'interrompit alors. Fronçant les sourcils, il passa la main dans sa poche et en tira un CrysTel d'un rouge profond. La couleur avait été spécialement choisie pour lui. Il alluma donc l'écran et consulta le message qu'il venait de recevoir.

« Mmm… » fit-il alors qu'il semblait réfléchir à quelque chose. « Apparemment, selon mon contact, il y aurait une huitième cible dont nous devrions nous occuper. »

0o0o0

Le groupe mené par Brain Ungleus était parvenu à destination assez rapidement. La capitale était sombre et propice aux embuscades. Pour une fois, cet état de fait leur servirait bien.

Leur cible était une maison de ville entourée d'une grande clôture métallique. Bien que la bâtisse semblait assez charmante, la muraille qui l'encerclait lui donnait des allures de prison… ou de forteresse.

Tapis dans l'ombre, ils finissaient d'entendre le rapport de l'un des Aventuriers qui les accompagnait. Le Voleur s'était déjà infiltré dans la base ennemie afin de repérer les lieux. Il était revenu avec deux informations importantes. La première était qu'une personne, une femme, était séquestrée dans le bâtiment et l'autre qu'il avait noté la présence des personnes correspondant à la description des Six Bras.

« Combien y en avait-il ? » Demanda Brain.

« 5 » répondit le Voleur. « Puisque le Fantôme Infernal a été capturé, ils sont tous là. »

Ce n'était vraiment pas une bonne nouvelle. Chacun d'eux avait la puissance d'un Aventurier de Rang Adamantite et ils n'en avaient pas même un seul avec eux. La seule solution était le repli. Ils étaient trop peu nombreux pour battre leurs adversaires et laisser le Voleur se glisser à nouveau dans le bâtiment pour récupérer le plus de documents compromettants que possible était trop risqué.

« Ils n'ont pourtant pas l'air d'avoir remarqué quoi que ce soit » dit Climb en observant l'activité à l'intérieur de la maison.

« Ça pourrait être un piège pour nous inciter à revenir » dit Aliz.

Le jeune homme savait qu'elle avait raison. Il n'aimait pas ça, mais il savait qu'ils devaient abandonner la mission. Savoir qu'il allait sans doute décevoir la Princesse Renner lui déchirait le cœur, mais faisant partie des leaders de ce groupe, il devait avant tout penser à eux.

Cependant, un mouvement attira soudain son attention. Une silhouette avançait résolument en direction du portail.

« Ce ne serait pas… » balbutia-t-il.

Brain et Aliz regardèrent également dans la direction de la maison.

« Maître Sebas… » le reconnut Brain.

Il avait parlé tout bas, presque dans un souffle. Pourtant le Majordome tourna la tête vers eux puis e détourna de son objectif pour avancer dans leur direction.

À suivre…

.

Et voilà un autre chapitre de terminé. Je suis désolé du retard, mais la première semaine janvier a été un peu stressant au boulot. Apparemment, les gens ne comprennent pas qu'envoyer des fichiers de près de 30 go chacun par internet pour les télécharger sur des ordis portables de bureau datant de Mathusalem et que la connexion internet est pas terrible et ben ça marche pas… ou c'est très long, chiant et stressant parce que ma date butoir approche et qu'ils répondent pas aux mails… désolés de me décharger ici 😅. J'espère que le chapitre pour a plu.

Pour la chanson de Nyan Nyan, imaginez un style J-Pop avec le rose, les paillettes, les lumières et la petite voix douce. Pour Cal, de son vrai nom Cal Avera, notre nouveau personnage, il a exactement la même tenue que Frida Kahlo dans le film Coco.

Le groupe Wonderland est inspiré bien sûr d'Alice au Pays des Merveilles, des personnages d'Alice, du Chapelier Fou et de la Reine de Cœur. L'étiquette avec le "10/6" sur le chapeau de Mad Hatter est la même que celle du chapeau du Chapelier dans le dessin animé de Disney datant de 1951. Elle représente le prix du chapeau (10 shillings et 6 pence en monnaie anglaise ancienne). Elle avait été mise pour renforcer son aspect lunatique puisqu'une personne normale aurait retiré l'étiquette après l'achat.

Le groupe Into the Wood, est lui inspiré du petit Chaperon Rouge, du Grand Méchant Loup et de Mère Grand. Il fait référence au film musical du même nom sorti en 2014 et traduit par « Promenons-nous dans les bois ».

Voilà. N'hésitez pas à me laisser un commentaire et je vous dis à la prochaine fois.