VORACITY I - New World

Arc 4 : L'Écuyer Contrefait

Chapitre 12

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Les poings de Zero étaient si durs qu'il pouvait heurter la lame de Brain sans être blessé. Qui plus est, chaque impact produisait un son métallique qui aurait été impossible si c'était la chair de quelqu'un d'autre. Plus qu'un simple combattant à main nu, Zero était un Moine. Pas au sens religieux du terme, mais un artiste martial à même d'utiliser l'énergie pour renforcer ses capacités physiques comme la résistance de sa peau.

Les deux adversaires échangeaient coup sur coup à pleine puissance à un rythme endiablé et sans que la moindre fatigue ne se lise sur leur visage. Les assauts de Brain étaient vifs, précis, calculés… mais il était limité par l'espace restreint. Au contraire, Zero ne se gênait pas pour effectuer de vigoureux coups directs et amples. Peu importe les murs, ses poings y laissaient des marques comme s'ils n'avaient été faits que de glaise fraîche.

Des légendes couraient sur les Moines. On disait que ceux de premier ordre avaient des poings aussi durs que l'acier. Mais les rumeurs de la rue prétendaient que ceux de Zero étaient encore plus durs que ça. Certains leur donnaient la robustesse du mithril ou encore celle de l'orichalque. Mais peu avaient eu l'occasion de le vérifier. En vérité, ceux qui s'étaient battus contre lui étaient morts sans témoins. Cela avait renforcé le mythe du Démon Guerrier et la peur que ce surnom inspirait.

Climb les regarda se battre pendant au moins une minute. Il lui semblait que c'était la plus longue et la plus intense de toute sa vie. Les deux adversaires étaient si rapides que le temps paraissait s'allonger autour d'eux.

« Pas trop mal Ungleus » dit Zero au bout d'un moment.

Aussi étrange que cela puisse paraître, son admiration n'était pas feinte.

« Tu es peut-être le premier homme à encaisser mes coups aussi longtemps. »

« Je te retourne ces mots » répondit Brain avec sincérité. « C'est la 2e fois de ma vie que je vois un Moine d'une telle trempe. »

« Oh ? » Fit Zero avec une grimace mêlant curiosité et irritation. « Je ne savais pas qu'il existait un autre Moine de mon niveau. N'oublie pas de me donner son nom avant de mourir. »

« Inutile. Il doit probablement déjà être en chemin après avoir vaincu les membres des Six Bras que tu as postés de l'autre côté. »

Le Moine éclata alors d'un rire sonore.

« Quoi ? Tu parles du vieux ? Arrête de rêver ! Contrairement à Succulent, ces quatre-là sont forts. Ils ne sont peut-être pas de mon niveau, mais il n'y a aucune chance qu'il parvienne jusqu'ici. »

« Tu crois vraiment ? » Demanda Brain avec un ricanement. « Moi je le verrai bien arriver à l'improviste. »

« Ce que ça fait peur » répliqua Zero en roulant des yeux. « Tellement que je vais m'y mettre un peu plus sérieusement. »

Climb frémit en entendant ces mots. Cela voulait donc dire que jusque-là il ne se battait pas à son maximum ? C'était effrayant. Toutefois, il remarqua également que cela ne paraissait pas surprendre Brain. Il espérait que ce n'était pas qu'une façade et que le Mercenaire avait aussi d'autres atouts dans sa manche.

À ce moment, celui-ci rengaina son sabre, cependant, loin de sembler abandonner, on aurait dit qu'il se préparait pour un nouvel assaut. Genoux pliés, il maintenait fermement son fourreau dans une main. L'autre était en suspens au-dessus de la poignée, prêt à tirer sa lame. Climb avait déjà eu l'occasion d'observer cette pause. La veille, elle lui avait permis d'abattre Succulent d'un seul coup. Est-ce que cela fonctionnerait aussi pour Zero ?

Cependant, alors que Brain se mettait en position, celui-ci bondit en arrière, se plaçant hors de portée de son adversaire.

« Edström est capable de former une sorte de bouclier avec ses épées. Ta technique est vraiment différente de la sienne, mais il y a suffisamment de points communs pour que je me méfie. Si je n'avance pas assez prudemment, je vais me faire couper en deux, c'est ça ? »

Qu'il ait pu ainsi analyser le style de son adversaire et la nature probable de ses Arts Martiaux avec ce seul échange pouvait relever du génie… ou d'un instinct bestial.

« De plus » ajouta-t-il, « je parie que cette technique ne peut être utilisée que dans cette position. »

Il donna alors un coup de poing dans le vide. Il était bien évidemment trop éloigné pour véritablement toucher son adversaire, cependant l'onde de choc provoquée par l'attaque heurta bien le corps de Brain, le secouant dangereusement.

« Tu vois ? Je pourrais facilement l'emporter en continuant à attaquer de cette façon. À moins que toi aussi tu puisses trancher à distance. »

« Non. Je n'ai aucune technique comme celle-là » dit sereinement Brain. « Mais si tu comptes continuer à attaquer comme ça, il me suffira tout simplement de changer ma posture. »

Zero était également très paisible. C'était un comportement qui n'allait pas à un être tel que lui.

« Est-ce que c'est ça, ton atout, Brain Ungleus ? » Demanda-t-il.

« Tout à fait, c'est bien ça. C'est bien mon atout et il n'a été déjoué qu'une seule et unique fois. »

« Il a été déjoué et tu appelles encore ça un atout ? » S'esclaffa finalement Zero. « Qu'à cela ne tienne, ça sera alors la deuxième fois… et la dernière. »

Lentement, posément, le Moine ramena son poing en arrière.

« Je vais te détruire à la loyale » dit-il. « Je te battrai en pulvérisant cette technique dont tu es si fier. Après cela, tout le monde saura que j'ai vaincu Brain Ungleus et, un jour, que Gazef Stronoff tombera lui aussi à mes pieds. »

« Tu vends un peu la peau de l'ours avant de l'avoir tué, Zero » dit calmement Brain. « Je suis toujours là alors ne perds pas ton temps en rêveries. »

« Je dirais bien que ta langue est plus tranchante que ton épée, mais après ce combat je sais que c'est faux » cracha Zero. « Mais n'oublie pas, une fois dans l'autre monde, n'hésite pas à dire à qui veut l'entendre à quel point tu as été stupide de me défier, moi, Zero, le Démon Guerrier. »

Un rictus hideux déformait ses traits. Les différents tatouages qui parsemaient son corps commencèrent alors à luire légèrement.

« Me voilà » dit-il simplement.

De son côté, Brain restait immobile. Un néophyte aurait pu penser qu'il ne faisait qu'attendre, mais Climb, lui, le voyait bien. Il percevait chacun des muscles du Mercenaire se rendre en prévision de l'assaut. Il était prêt lui aussi. L'un comme l'autre étaient comme deux animaux féroces en passe de se jeter dessus à tout moment. On aurait pu croire que rien n'aurait pu les empêcher de se battre en cet instant. Rien à part une voix qui surgit dans leur dos.

« Ah ! Vous étiez donc là ! »

La surprise était telle que même Brain et Zero, alors que chacun faisait face à un adversaire qu'il ne valait mieux pas quitter du regard, se tournèrent dans sa direction. Climb avait déjà reconnu la voix de Sebas, bien sûr, quant au Moine, il s'aperçut qu'il s'agissait tout bonnement de celui dont on lui avait fait la description.

« Que… Qu'est-ce que ça veut dire ? » S'exclama le bandit, interloqué. « Les quatre autres devaient t'affronter ! Comment tu es arrivé ici ? Tu t'es faufilé à l'intérieur, comme eux ? »

« Ce n'était pas nécessaire » répondit le Majordome d'une voix claire. « En ce qui concerne vos camarades ainsi que les hommes que vous aviez placés avec eux, ils ont été vaincus. »

« Im… Impossible ! Tu mens ! Ils ont beau être plus faibles que moi, ce sont quand même des membres des Six Bras ! Tu n'aurais jamais pu arriver jusqu'ici sans une égratignure après les avoir affrontés ! »

« La vérité, même absurde à vos yeux, reste la vérité. »

« Maître Sebas ! » S'exclama alors Climb. « C'était un piège ! Succulent s'est fait passer pour Tuare grâce à une illusion. Il n'y avait personne d'autre en bas. Il faut rapidement partir à sa rescousse. »

« Je vous remercie de votre sollicitude, mais ce ne sera pas nécessaire » dit le Majordome.

Il jeta un coup d'œil dans son dos et deux silhouettes émergèrent de l'ombre derrière lui. Climb identifia immédiatement Aliz. Elle escortait une jeune femme blonde d'une vingtaine d'années pudiquement drapée dans une vieille couverture. Elle semblait fatiguée et tremblait légèrement, mais elle ne paraissait pas avoir peur. Au contraire, elle avait l'air animée d'un feu intérieur alors qu'elle fixait le dos de Sebas.

Brain, lui, observait Aliz avec attention, détaillant son corps à la recherche de blessures. Il y avait du sang sur sa cuirasse, mais apparemment, ce n'était pas le sien. Il en était soulagé.

« Comme vous pouvez le voir, elle va très bien, à part ce petit problème de vêtements. »

Climb rougit en regardant la robe tachée de sang de Tuare que portait toujours Succulent.

« Oh ! Je suis désolé » dit-il. « Vraiment, je… »

« Ne vous en faites donc pas » l'interrompit Sebas. « Ce n'est que du tissu. Je suis cependant ravi de voir que vous vous en êtes sorti avec un adversaire plus puissant que vous. »

« Il n'était pas bien équipé et j'ai été aidé » dit Climb avec gêne.

« Ne soyez pas modeste. Vous étiez mieux préparé et vous avec gagné. C'est la loi des comb… »

« He oh ! Vous avez fini de taper la discute et de m'ignorer comme ça ? » S'exclama soudain Zero avec fureur.

Il savait que c'était dangereux de tourner le dos à un adversaire, mais. Au comble de la rage, il le fit tout de même et dirigea son regard ainsi que l'expression haineuse de son visage vers le Majordome.

« Écoute Papi, je te le demanderai pas une troisième fois » crachat-il, « qu'as-tu fait de mes hommes ? »

« Ils sont morts » dit simplement Sebas avec nonchalance mais avec une voix qui charriait des glaçons.

Inutile de dire qu'il les avait tués. Ce n'était pas exact et il détestait mentir. De cette manière, c'était plus ambigu et il était persuadé que tout le monde penserait que c'était lui qui l'avait fait.

« C'est… c'est impossible » balbutia Zero en frissonnant.

Mais il se reprit rapidement et rugit de colère.

« Comment veux-tu que je croie des conneries pareil ? »

Sebas ne dit rien. À la place, le coin de ses lèvres se souleva légèrement. Voyant le rictus condescendant que le vieil homme lui lançait, la fureur de Zero redoubla.

« Brain Ungleus, je remets notre duel à tout à l'heure, le temps que je montre la force des Six Bras à ce vioc » dit-il sans quitter Sebas des yeux.

« Je dirais bien d'accord, mais je pense que je n'aurais plus à me battre à présent » répondit Brain en lâchant le fourreau de son arme et en se redressant.

Il en profite pour détendre ses muscles. Il savait que Zero ne reviendrait jamais pour la suite de son duel. Quand il avait dit que sa technique n'avait été déjouée qu'une seule fois, il se rendait compte que c'était en partie faux. Son Art Martial [Domaine], lui permettait de percevoir tout ce qui l'entourait sur un rayon de 3 m autour de lui. Rien ne pouvait le pénétrer sans qu'il le sache et lui permette de l'affronter ou de l'esquiver. Shalltear Bloodfallen, cependant, avait été une exception. Même à l'intérieur de son [Domaine], il n'avait rien pu faire contre elle. Sebas, d'un autre côté, était imperceptible. Par deux fois alors qu'il utilisait son Art Martial, la veille et quelques instants auparavant, il était parvenu à l'approcher sans qu'il ne s'en rende compte. Si le Majordome possédait le même genre de force que la Vampire, alors il était heureux qu'il soit de leur côté.

« Adieu Zero » ajouta-t-il à l'adresse de son ancien adversaire.

« Cause toujours » cracha celui-ci avant de se tourner vers Sebas. « Quant à toi, Papi, tu vas payer tes mensonges de ta vie. »

À nouveau, l'homme se contenta d'un petit sourire, rendant Zero plus furieux encore. Ses tatouages se mirent à luire alors qu'il se préparait à attaquer. En tant qu'Adepte Chamanique, les dessins sur sa peau hébergeaient des esprits animaux qui lui conféraient leur force. C'est grâce à cela qu'il savait qu'il était le plus puissant. Assez pour battre Brain Ungleus et Gazef Stronoff en combat. Toutefois, sans informations, il prenait des risques. Il était impossible qu'il ait vaincu les quatre autres. Cependant, s'il était parvenu à faire une percée et à arriver jusqu'ici, il ne devait pas être seul. Le plus sûr était de faire étalage de sa puissance en pulvérisant le vieil homme avant de se replier en promettant une vengeance future.

C'est pour cela qu'il prit la décision d'en appeler au pouvoir de tous ses tatouages simultanément. Il en utilisait rarement plus d'un à la fois parce que cela consommait énormément d'énergie. Comme cela suffisait généralement à tuer son adversaire ou à instiller la peur dans leur cœur, ce n'était pas un problème. Cependant, cette fois, il se disait qu'il n'avait pas le choix.

Il activa donc un à un ses tatouages, la panthère sur sa jambe, le faucon dans son dos, le rhinocéros sur son bras, le buffle sur sa poitrine et le lion sur son crâne. À chaque fois que l'un d'eux se gorgeait d'énergie, le dessin se mettait à briller plus fort et à onduler comme s'il prenait vie. Dans le même temps, il sentait une puissance considérable le parcourir. Les effets n'étaient pas trop visibles sur son corps, mais ils étaient pourtant indéniables. Il était plus rapide, plus précis, plus fort et plus destructeur. Il se sentait plein de cette énergie au point que ça en était insupportable. Tout ce qu'il devait faire pour l'évacuer, c'était attaquer. Et c'est ce qu'il fit.

Poing en avant, il chargea. Sa vitesse n'avait rien à voir avec celle qu'il avait durant le duel avec Brain. Elle était à présent d'un tout autre niveau. Elle était même trop pour qu'il puisse la contrôler correctement. Cependant, sa cible était en face de lui, il lui suffisait de foncer droit devant. Tel un éclair fulgurant, il fondit sur Sebas, prêt à le frapper de son poing. L'énergie qu'il dégageait était faramineuse. Elle faisait vibrer l'air tout autour de lui. Zero, lui, était comme dans une autre dimension, un monde de sensations décuplées où il percevait tout et rien à la fois puisque toute son attention était dirigée vers une seule et même personne, sa cible, Sebas.

Arrivé à bonne distance, Zero détendit son poing et frappa directement dans l'abdomen vulnérable du Majordome. Son esprit était déjà dans l'avenir. Il voyait le corps de l'homme voler dans les airs, s'écraser contre un mur et retomber sur le sol telle une poupée de chiffon. Mort sur le coup, les organes explosés par le choc du coup. Il pouvait presque entendre le craquement des os et les cris de terreur des autres présents. Pourtant ce n'est pas du tout ce qui se produisit, car au lieu de s'envoler, sa victime ne bougea pas d'un pouce. Le poing de Zero avait bien percuté sa cible, mais celle-ci resta exactement là où elle se trouvait comme si le coup n'avait été qu'un courant d'air.

Abasourdi, le Moine se redressa en tremblant. Il était tellement déboussolé par ce qui venait d'arriver qu'il vit à peine la chose noire qui passa devant son nez. Il leva cependant les yeux et vit qu'il s'agissait en fait d'une chaussure. Dans un mouvement gracieux, Sebas avait soulevé sa jambe qui était à présent à complètement à la verticale au-dessus du sol.

« Mais t'es qui toi ? » Balbutia Zero.

Pour seule réponse, les commissaires des lèvres de Sebas remontèrent légèrement. Puis, dans un silence de mort, la jambe du Majordome s'abaissa comme un couperet et le talon de sa chaussure heurta le sommet de son crâne. Celui-ci explosa presque sous le choc. La nuque se brisa de même que sa colonne vertébrale, le craquement des os résonnant dans le silence du couloir de pierre. Le corps sans vie de celui qui se disait le plus fort du monde oscille quelques instants avant de s'effondrer sur le sol.

« Et bien, je l'ai échappé belle » dit Sebas en époussetant son costume impeccable à l'endroit où Zero avait frappé.

Voyant son sang se reprendre dans sa direction, Sebas s'écarta afin de ne pas salir ses chaussures.

« Il semblerait que j'ai été un peu plus fort que lui » dit-il nonchalamment. « Reste-t-il quelque chose à faire ici ? L'air est assez vicié donc je pense que nous gagnerions tous à partir au plus vite. »

Il fallut quelques secondes pour que quelqu'un lui réponde. Climb, Brain ainsi que Lockmeier étaient tout simplement abasourdis par le spectacle auquel ils venaient d'assister. Certes, les deux premiers étaient certains de la victoire du Majordome, mais aucun des deux n'aurait pu croire que ça aurait été aussi… expéditif.

« Et bien… je… il faudrait… euh… » commença à balbutier Brain.

« Chercher des informations ? » Demanda Aliz avec malice. « C'est pour ça qu'on est venu au départ, non ? »

« Ah… oui, c'est ça ! » Acquiesça le Mercenaire. « Nous devons trouver des informations utiles contre les Huit Doigts. »

« Peut-être que vous pourriez partir devant Maître Sebas » dit finalement Climb.

« Je m'en voudrais de vous abandonner maintenant » dit le Majordome.

« Vous devez prendre soin de Tuare, et… »

« Je… je vais bien » l'interrompit la jeune fille. « Je vais me reposer en attendant que vous ayez fini. »

« Dans ce cas… »

La fouille permit de mettre à jour de nombreux papiers important de l'organisation. Avec ça et la disparition de l'intégralité des Six Bras, ils devaient être le groupe ayant eu les meilleurs résultats possibles. La mort de Zero était à déplorer puisque ses informations auraient pu être précieuses, mais ils avaient récolté suffisamment pour pallier cela. Ce qu'ils ignoraient cependant, c'est qu'une partie des documents qui se trouvaient dans la villa n'était jamais arrivée jusqu'à eux puisque Solution, toujours présente sur les lieux, avait prélevé les plus notables. Sebas et Aliz, eux, étaient restés afin de vérifier si les autres ne tombaient pas sur autre chose d'important. Ce ne fut pas le cas.

C'est donc bien chargé qu'ils ressortirent enfin de la bâtisse. Climb était confiant de pouvoir rapporter de nombreux renseignements à sa maîtresse. Il avait vraiment hâte de lui faire part de ce qu'il avait découvert. Il ne savait pas cependant quoi lui dire sur les évènements. Il ne désirait pas l'inquiéter en lui relatant le combat avec Succulent, mais il savait que cela viendrait rapidement à ses oreilles et qu'elle lui en voudrait de ne pas lui en avoir parlé.

Toutefois, en émergeant à l'extérieur, son dilemme s'évanouit de son esprit alors qu'un spectacle à la fois extraordinaire et alarmant s'offrait à lui. En effet, de là où il était il pouvait voir que tout un quartier de la ville était entouré… par un mur de flammes.

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C'est la soif qui réveilla Hilma. Elle avait pour habitude de préparer une cruche d'eau qu'elle posait sur sa table de nuit, mais, ce soir-là, elle avait oublié. Elle grogna. Voilà à présent qu'elle devait se lever. Sa gorge était sèche.

Avec résignation, elle se décida finalement à bouger. Elle s'assit sur l'épais matelas de son grand lit double et bâilla. Elle menait une hygiène de vie assez stricte. Elle se couchait tôt, car elle devait se lever tôt. Elle s'assurait ainsi d'avoir suffisamment de sommeil pour garder son teint frais et la jeunesse de sa peau. Or, cela ne faisait qu'une seule heure depuis qu'elle était couchée et elle se sentait somnolente. En se levant, elle risquait d'être trop éveillée pour se rendormir facilement, mais elle savait également qu'elle n'arriverait certainement pas à le faire sans s'être désaltérée.

Rapidement, elle enfila une robe de satin par-dessus son fin vêtement de nuit et sortit de sa chambre. Le silence qui régnait dans la maison la surprit. En effet, elle se couchait vraiment tôt. À cette heure-là, une dizaine de ses subordonnés étaient censés encore s'affairer à diverses tâches de gestion de plus ou moins grandes importances. Toutes concernaient bien entendu le département de trafic de drogue des Huit Doigts dont elle était la dirigeante. Aucun de ses hommes ne prendrait alors le risque d'être vu à flemmarder, car elle serait dans l'obligation de se séparer d'eux. Or, le seul moyen de partir de l'organisation était les pieds devant.

Ce silence était donc pour le moins inquiétant.

Malgré le risque, Hilma se décida à voir ce qu'il se passait. De toute façon, il y avait peu de chance que ce soient des Voleurs. La majorité appartenait aux Huit Doigts. Ils devaient savoir que sa maison était hors limite. Et si c'était des nouveaux venus, ils seraient chassés par ses gardes et assez rapidement mis au pas par les instances supérieures. Et au pire, suprême ironie, elle pourrait toujours faire appel à la Garde en cas de vol. Si certains parmi les autorités la connaissaient, ils pourraient en profiter pour chercher des preuves de son implication avec le syndicat du crime, mais ils ne trouveraient rien. Aucune marchandise ne transitait par chez elle. Il n'y avait que des documents et ceux-ci étaient cryptés et très bien cachés.

Alors qu'elle marchait dans le couloir vide, le son de ses pas résonnait autour d'elle en un bruit inquiétant. Jamais encore, elle ne s'était retrouvée plongée dans un tel silence. Et dire qu'elle pensait auparavant qu'une dizaine d'hommes cavalant dans la maison était synonyme de calme… il faut dire qu'elle avait pour habitude d'accueillir pas mal de monde en journée. Des bourgeois, des fonctionnaires et aussi, des aristocrates.

Les salons, les pique-niques, goûters et autres fêtes qu'elle organisait servaient moins à son amusement personnel qu'à établir un réseau de relations. Les jeunes aristocrates étaient particulièrement recherchés. En effet, ils étaient généralement héritiers des titres de leurs pères, mais ne pouvaient pas leur succéder avant leur mort. C'est pour cela que malgré le fait qu'ils soient déjà dans la trentaine et qu'ils soient mariés avec enfants, ils se retrouvaient à devoir demander, voir supplier pour obtenir un peu de l'argent paternel.

En les accueillant chez elle, elle toussait des liens avec eux afin qu'ils le lui rendent une fois leur titre en poche. S'ils se montraient utiles, elle se montrait généreuse, mais s'ils tentaient de couper leurs mines alors elle utilisait toutes les informations qu'elle avait obtenues d'eux pour le détruire. La carotte et le bâton. C'est de cette façon que le monde fonctionnait. Et c'était ce qui lui avait permis de faire son trou dans la haute société du Royaume.

Le silence autour d'elle commençait à lui peser. Des sueurs glacées parcouraient tout son corps. Elle qui se passait du bruit des fêtes et aimait le calme aurait tout donné pour percevoir ne serait-ce qu'un son prouvant qu'il y avait quelqu'un dans la maison. Même ses gardes étaient absents. Il y en avait généralement deux au bas de ses escaliers, mais arrivé là, elle n'en vit aucun.

« Que se passe-t-il ? » Demanda-t-elle d'une voix forte.

Ce n'était peut-être pas la meilleure chose à faire, mais elle espérait vraiment que quelqu'un l'entende, lui réponde et lui explique ce qui se passait. Mais personne ne se manifesta. L'écho de sa voix se dissipa et ce fut à nouveau le silence. Elle commençait à avoir peur.

La première idée qui lui vint alors était de remonter dans sa chambre et de s'y enfermer. Mais le côté plus rationnel de son esprit l'en empêcha. Si jamais elle faisait cela, elle serait piégée. Quelqu'un incapable de bouger quand c'était nécessaire était tout aussi bien mort. C'était cette conviction profonde qui lui avait permis de passer de simple prostituée à l'une des dirigeantes de la plus grande organisation criminelle du Royaume.

Le mieux pour elle était de partir. Cette villa en bordure de la capitale était sa base principale d'opération, mais elle possédait d'autres résidences en dehors de la ville. Cela ferait l'affaire jusqu'à ce qu'elle découvre ce qui s'était passé. Toutefois, elle ne pouvait pas s'en aller comme ça, en chemise de nuit et sans armes ou commodités.

Heureusement, elle avait fait aménager une pièce secrète où l'attendaient des vêtements de voyage, divers objets magiques et de l'argent. Dissimulé dans l'épaisseur de l'une des parois de la bâtisse, personne ne l'avait jamais trouvé. De plus, la cachette possédait également une sortie de secours qui lui permettrait de rejoindre rapidement les écuries.

À pas de loup et s'aidant de ses sens pour naviguer dans l'obscurité, elle se mit en marche. Rasant les murs, elle évitait les fenêtres pour empêcher que quelqu'un la voie depuis l'extérieur. C'est d'ailleurs en tentant de vérifier si elle pouvait apercevoir quelqu'un au travers qu'elle remarqua quelque chose d'étrange.

« Que… qu'est-ce que c'est… que ça ? » Balbutia Hilma avec effarement.

Oubliant toute prudence, elle se rapprocha pour mieux voir. Du lierre. C'était du lierre qui avait grimpé le long des murs et par-dessus la fenêtre. Il y en avait tellement qu'il filtrait la lumière. C'était la raison pour laquelle il faisait si sombre. Intriguée, elle voulut l'ouvrir pour observer le phénomène de plus près, mais elle se rendit alors compte que celle-ci était bloquée.

« Qu'est-ce que ça veut dire ? » S'exclama-t-elle.

Elle commençait à nouveau à paniquer. Rapidement, elle se dirigea vers une seconde fenêtre, mais elle aussi était envahie de lierre et refusait de s'ouvrir. Le cœur battant, elle se mit à accélérer pour atteindre sa pièce secrète. À chaque fois qu'elle regardait au travers d'une vitre, celle-ci était complètement recouverte de ces lianes sombres.

Finalement, elle arriva dans l'aile ouest de sa villa. C'était un hall secondaire pour les invités. Là, un splendide jardin d'hiver ouvrait sur le parc ouvragé. Habituellement, de grandes doubles portes garnies de carreaux de verre permettaient de voir les massifs luxuriants, mais à présent, c'était impossible. Le lierre les recouvrait aussi.

Rapidement, Hilma voulut continuer. Elle n'était plus qu'à quelques mètres de l'entrée de sa cachette. Mais c'est à ce moment-là qu'elle aperçut quelqu'un. Une silhouette se tenait dans l'ombre du jardin d'hiver. Elle ne paraissait pas se dissimuler, elle était juste là et elle la fixait.

Hilma se figea, apeuré. La silhouette se mit alors à avancer et pénétra dans le cône de lumière provenant du petit dôme de verre qui couronnait le hall secondaire. Il n'était pas très grand, mais suffisamment pour que quelques rayons de lune éclairent la salle. Surtout que contrairement au reste, il ne semblait pas envahi par le lierre.

L'intrus était de petite taille. Il avait des cheveux blonds, la peau sombre et des oreilles pointues. Un Elfe Noir. Ou plutôt une Elfe noir. Assez jeune en apparence, elle portait une jupe et un gilet blanc sur une chemise bleue, des collants blancs et des bottes ainsi que deux étranges gantelets dépareillés, un noir et un blanc. Elle avait également une cape verte sur les épaules et un épais bâton à la main. Hilma s'approcha d'elle. Elle espérait du plus profond de son cœur que la fillette ne soit que le jouet oublié de l'un de ses nobles invités ou qu'un de ses serviteurs l'aurait introduit ici. Mais elle savait que ce n'était que de folle supposition. Malheureusement, l'Elfe lui barrait le passage vers sa cachette. Elle n'avait donc d'autre choix que de lui parler.

« Dis-moi, petite… » commença-t-elle.

Maintenant qu'elle était tout près, elle se rendit compte qu'elle se trompait. Ses années de prostitution l'avaient rendue physionomiste et observatrice. Elle pouvait donc parfaitement voir à présent que l'intrus n'était pas une fille, mais un garçon. De plus, ses vêtements étaient extrêmement luxueux, surtout pour une espèce qui était censée avoir disparu de la Grande Forêt de Tob. Elle savait qu'il en existait encore bien au sud, mais il aurait dû pour cela traverser la Théocratie de Slane et ça, c'était impossible.

« Que fais-tu ici, mon garçon ? » demanda-t-elle alors de sa voix la plus douce et inoffensive.

« Euh… est-ce que vous êtes la personne la plus importante de cette maison, Madame ? »

Décidant de passer sur la Madame, chose qu'elle faisait rarement (pour quelqu'un d'aussi jeune, toutes les personnes plus grandes devaient paraître bien âgées) elle préféra, par prudence, répondre par la négative. Cependant, alors qu'elle ouvrait la bouche, un mauvais pressentiment l'empêcha de parler. Jusqu'à présent, elle avait toujours plus suivi son instinct que sa raison. C'est ce qui lui avait permis non seulement de rester en vie, mais aussi de parvenir à la position qu'elle occupait aujourd'hui.

« Oui, c'est moi » dit-elle finalement. « Je suis en effet la maîtresse de cette demeure. »

« Ah… je… je vois. C'est bien » dit l'enfant.

Il accompagna ses paroles d'un sourire si innocent qu'Hilma sentit le désir de souiller les êtres purs qu'elle avait toujours possédés être brusquement attisé. Cet enfant était comme un appel pour les personnes aussi cruelles qu'elle l'était. Un phare dans cette nuit sombre.

« J'ai b… bien fait de demander à tout… tous ces gens alors. »

À ce moment-là, la porte de l'autre côté du hall, celle vers laquelle se dirigeait Hilma s'ouvrit et un autre enfant (une vraie fille, ça elle en était certaine) s'avança. Elle était charmante, mais ses yeux avaient quelque chose de dérangeant que la femme ne pouvait pas déterminer à cette distance. Elle portait une étrange tenue de servante avec une jupe plutôt courte, des manches si longues qu'elles recouvraient ses mains et une corde rouge nouée à l'avant en guise de ceinture. Elle charriait également une odeur métallique. Une odeur de sang.

À ce moment-là, Hilma s'aperçut qu'elle tenait quelque chose à la main. Immédiatement, elle plaqua alors les siennes à sa bouche pour étouffer le cri d'horreur que cette vision avait généré. Il s'agissait d'un bras, un bras d'homme sectionné au niveau de l'épaule. Arraché serait plus précis, on pouvait encore voir des fibres musculaires déchiquetées à son extrémité.

« Qu'est-ce que… qu'est-ce que… » bégaya Hilma.

« Et bien, en fait, euh… il… il y a des gens qui vont bientôt attaquer cet endroit, et on a beaucoup de choses à faire ici alors, ben… euh… je l'ai amené pour aider. »

« Ne vous en faites pas » dit la jeune fille d'une étrange voix traînante. « Je suis repu… donc je suis satisfaite. »

Ses lèvres n'avaient pas bougé quand elle avait prononcé ces mots. C'était assez singulier et déroutant, mais Hilma avait d'autres chats à fouetter pour le moment. Comme par exemple, rester en vie parce qu'au vu de la nourriture que semblait apprécier cette fille, elle pouvait être la suivante sur le menu.

« Dis… dis-moi petit » bégaya-t-elle en se tournant à nouveau vers l'Elfe. « Moi aussi… est-ce que je vais être mangé moi aussi ? »

Elle tentait de paraître calme, mais sa voix avait gagné plusieurs octaves dues à la panique.

« Hein ? » Fit le garçon étonné. « Ah non, pas du tout. Vous, on vous réserve autre chose. »

Cette affirmation était loin de la rassurer. Elle devait absolument tenter de tirer son épingle du jeu au plus vite.

« Dis-moi, mon petit » demanda-t-elle alors d'une voix plus sombre et plus langoureuse, « ça ne te dirait pas en attendant de faire quelque chose d'agréable avec moi ? »

En disant ces mots, elle desserra les pans de sa robe de chambre. Le tissu vaporeux glissa légèrement, découvrant une épaule quasi nue.

Hilma était fière de son corps. Quand elle était encore prostituée dans les meilleurs bordels, sa compagnie se vendait à prix d'or. Bien sûr, ce n'était pas un métier où on pouvait vieillir, mais même après sa retraite, elle avait continué à surveiller son poids et à entretenir sa chevelure et sa peau. Elle lui arrivait encore d'user de ses attraits avec ses invités et elle était certaine de pouvoir faire bander un impuissant ou exciter un enfant.

Sauf que celui-ci ne montra aucun signe d'intérêt. Certes, elle était moins jolie (ou jeune) que la soubrette, mais elle demeurait une professionnelle. Pour les vrais pros, ce n'était pas tant là beauté qui comptait, mais le charme et la technique. Et sur cela, elle était imbattable. Elle se mit donc à avancer vers lui en ondulant son corps, exposant ses atouts. Ses mouvements semblaient presque naturels et sa progression, relever du hasard. Mais encore une fois, c'était en vain.

Fort heureusement, elle avait un plan B, un artefact magique qui ne la quittait jamais et pour cause puisqu'il était incrusté dans sa chaire. Comme elle enroulait ses bras autour du cou de l'Elfe en faisant mine de continuer son jeu de séduction, elle activa le Tatouage de la Vipère sur sa main. Le serpent fait d'encre se détacha alors de sa peau et se précipita vers sa victime. C'était le seul atout d'Hilma. N'étant pas un combattant, il lui fallait un moyen de se défendre. C'est pourquoi, en cas de nécessité, elle utilisait le reptile enchanté qui injectait un poison neurotoxique à ceux qu'il mordait. La cible était alors prise de violents spasmes avant de s'écrouler raide morte.

Cependant, ce n'est pas ce qui se produisit. En effet, alors que le serpent détendait son corps, gueule ouverte sur ses crocs pointus comme des aiguilles, l'Elfe le saisit au vol dans son poing et l'écrasa sans la moindre hésitation. Aussitôt, l'image de la vipère réapparut sur le dos de la main d'Hilma. L'objet magique n'était pas cassé, mais le reptile ayant été détruit, il lui faudrait au moins toute une journée avant qu'elle ne puisse l'utiliser à nouveau.

Acculée, privée de son dernier atout, Hilma se recula en chancelant. Le plus effrayant était que depuis le début l'Elfe n'avait jamais changé d'expression. Ni intérêt face à ses charmes ni même d'hostilité face à sa tentative ratée de le tuer. C'était comme si tout ce qu'elle tentait avait pour lui autant d'importance que le bourdonnement silencieux d'un insecte.

« Euh… si vous le voulez bien, nous allons y aller » dit-il alors.

Hilma ne répondit rien. Elle en était incapable. Tout ce qui traversait son esprit à cet instant, c'était des questions à propos du lieu où il pouvait bien l'emmener. Cependant, à ce moment-là, elle entendit un craquement et une douleur atroce provenant de son genou irradia dans son cerveau. Elle poussa un cri de pure souffrance et s'effondra sur le sol. Le souffle court. Le front trempé de sueur, elle baissa alors les yeux vers sa jambe. Celle-ci était tordue dans un angle improbable et elle pouvait voir son os surgir de sa chair ensanglantée.

En sanglotant, Hilma voulut agripper son membre blessé, sans doute pour le remettre en place, mais un simple effleurement lui arracha un autre cri de douleur. À ce moment-là, le garçon la saisit sans ménagement par ses cheveux et se mit à la traîner derrière lui. Hilma tenta de se débattre. Elle gigota et attrapa le petit poing fermé pour lui faire lâcher prise, mais il c'était en vain. Malgré son allure frêle, la poigne de son ravisseur était aussi solide que l'acier. Sa force était également impressionnante alors qu'il traînait la femme adulte sur le sol sans le moindre effort apparent.

« Aïe ! Ça fait mal ! » Criait Hilma en sanglotant de plus belle. « Je t'en prie ! Arrête ! Arrête ! »

Mais le petit Elfe ne semblait pas s'en soucier.

« On… on doit y aller » dit-il simplement.

Et il continuait à traîner la femme vers une destination qui lui était parfaitement inconnue. À ce moment-là, elle ignorait encore que la douleur de sa jambe blessée n'était rien par rapport à ce qui l'attendait.

0o0o0

Ce n'était au départ qu'un simple lieu de transit qui était, par la force des choses, devenu une planque. Avec la loi interdisant l'esclavage, il avait rapidement dû faire entrer les marchandises dans la clandestinité pour ne pas avoir à les libérer. Le seul avantage était que de nombreux commerçants, qui avaient suffisamment de puissance auparavant pour les ignorer, s'étaient tournés vers les Huit Doigts afin de mettre leurs esclaves à l'abri et ne pas tout perdre.

Mais en dehors de cela, la loi de cette salope de Princesse les avait bien mis dans la mouise. Ils ne pouvaient pas garder tous ces esclaves en ville. Les bordels qu'ils possédaient, les officiels et l'officieux, n'y auraient pas suffit et cela aurait paru suspect. Ils avaient donc dû les faire sortir de la capitale et les parquer ici, dans cette grange miteuse au milieu de nulle part.

Ce n'était pas très sécurisé et ils étaient les uns sur les autres, mais cela devait être suffisant jusqu'à trouver un lieu plus adéquat. Après tout, des Nobles véreux, il y en avait des tas. L'un d'eux serait assez cupide pour prendre le risque de cacher des chargements d'esclaves lors de leur transit vers les nations voisines. Le trafic avait beau être devenu illégal, il n'allait pas s'arrêter pour autant. Cependant, pour les Huit Doigts, cela voulait dire qu'il y aurait des frictions entre leur chef de département, Cocco Doll, et celui du département de la contrebande. Après tout, le transport et la vente de marchandise illicite, c'était leur rayon.

Sauf que voilà, les choses avaient légèrement changé à présent. Leur saloperie d'enculé de chef s'était fait arrêter par le Royaume et son bordel, fermé. Ils se retrouvaient sans chef et, jusqu'à ce que les hautes instances des Huit Doigts se bougent les fesses, sans directives pour la marche à suivre.

C'était ce que pensait Georgr, en buvant d'une traite sa pinte de bière. Ce n'était pas la première de la journée ni même de la soirée. Cela avait commencé le matin quand un mioche était venu lui annoncer ce qui s'était passé la veille. Il faisait partie de ces gamins des rues qui espionnaient pour eux en échange de quelques pièces. Ils étaient souvent plus au courant que n'importe qui de ce qui se produisait en ville. Il s'était donc dépêché de les prévenir de l'arrestation de leur boss en crevant presque son cheval. Il devait espérer une récompense pour ses efforts, mais ce n'était pas le type de Georgr.

À la place, il avait fait ce qu'on évite généralement de faire dans une telle situation : il avait tué le messager. Sous le coup de la rage, il avait roué de coups l'adolescent qui avait fini par succomber. Du moins, c'était ce que pensait Georgr. Quand il s'était calmé, il avait tout simplement arrêté de frapper et comme le morveux bougeait plus, il s'était dit qu'il devait être mort. De toute façon, s'il ne l'était pas à ce moment-là, il avait dû rapidement l'être.

Ce n'était qu'après ça qu'il avait entraîné ses camarades dans une beuverie monumentale. Leur idiot de chef était en prison et les patrons les avaient abandonnés. Ils pouvaient donc finir leurs réserves d'alcool et se saouler pour oublier. Sans compter qu'ils avaient aussi de quoi s'amuser dans la grange. Après tout. Que serait une beuverie sans orgie ? Les esclaves n'étaient peut-être pas toutes très jolies, mais elles étaient disponibles. Et comme tout ce beau monde était enchaîné dans des coins différents, c'était facile (et amusant) de violer les femmes devant leurs époux, les filles devant leurs pères et sœurs devant leurs frères.

À cette heure de la nuit, la fête battait toujours son plein, mais Georgr commençait à ressentir les mauvais effets de l'alcool, raison pour laquelle il s'était mis à ruminer. C'est à ce moment-là qu'il entendit cogner à la porte.

« Hey ! Que quelqu'un aille ouvrir ! » cria-t-il.

Mais personne ne lui répondit. Les rires, les chansons à boire, les cris des femmes et les pleurs des hommes devaient couvrir sa voix.

Il grogna.

Il n'était pas très loin de la porte, mais il n'avait pas envie de se lever. Il avisa alors un tas de chiffons à ses pieds auquel il donna un grand coup de pied. Le tas de chiffon roula sur le sol puis le haut d'un visage émergea d'en dessous.

« Hey ! La balafrée ! Rends-toi utile et va voir qui est à la porte » cria-t-il à la personne sous les couvertures.

Celle-ci se redressa alors en tremblant. C'était une jeune femme. Elle devait avoir entre 20 et 25 ans. Les cheveux auburn sale cachaient des traits émaciés. Malgré sa maigreur et les guenilles qui la recouvraient, on pouvait voir qu'elle avait des formes comme il fallait là où il fallait. Cependant, elle n'avait que rarement quitté cette grange et personne n'aurait pensé à l'acheter.

En effet, son visage, qui aurait dû être assez beau, était barré par plusieurs cicatrices boursouflées. L'une d'elles passait même sur son œil. À sa couleur totalement laiteuse, il était certain que ce qui lui avait fait ça l'avait rendu aveugle. À leur forme, on comprenait rapidement qu'il s'agissait de griffures. Encore petite, elle avait été attaquée par un chien alors qu'elle ramassait des herbes dans la forêt. Celui-ci lui avait non seulement lacéré le visage, mais aussi tout le corps, la laissant pour morte. Le temps qu'il avait fallu pour la retrouver ainsi que les maigres soins que ses parents avaient pu lui donner avaient empêché une bonne cicatrisation. Elle en était donc ressortie défigurée.

Mais ses ennuis ne s'étaient pas arrêtés là. En effet, son père et son frère étaient partis à la poursuite du chien pour la venger. En le pistant, ils étaient parvenus à le rattraper et à le tuer. Malheureusement, l'animal n'était pas sauvage, au contraire. C'était l'un des chiens de la meute du Seigneur qui dirigeait ses terres. Inutile de dire que la mort de l'un de ses limiers, même coupable d'avoir attaqué une enfant, avait mis l'homme dans une rage folle.

Son père avait été exécuté. Ça, elle en était certaine puisque les gardes du Seigneur leur avaient montré sa tête quand ils étaient venus les chercher, sa mère et elle. Elles avaient beau n'avoir rien fait, elles furent considérées comme fautives par association et vendues comme esclaves. Pour ce qui est de son frère, elle l'ignorait, mais elle avait quelques soupçons. Il était très jeune, mais déjà assez robuste et charmant. Au vu des goûts très particuliers qu'avait leur Seigneur, elle doutait que son sort soit moins pire que le leur.

Rapidement, on les avait séparées. L'enfant n'avait par la suite plus jamais revu sa mère. À cause de son visage et de son corps, personne ne voulait d'elle. Le marchand d'esclaves qui l'avait acheté ne l'avait fait que sous la pression du Seigneur. Incapable de la vendre dans cet état, il l'a mis au travail pour qu'elle apprenne certaines tâches ménagères. Au moins s'il ne pouvait pas la vendre, il pourrait l'utiliser. Finalement, il avait été poussé au suicide par les Huit Doigts et elle avait été offerte en cadeau à un cadre du département de la traite des esclaves.

Celui-ci, comme son Seigneur, avait des goûts particuliers. Mais au lieu d'aimer les très jeunes garçons, ce qu'il préférait, c'était les filles avec des cicatrices. Il l'avait donc amené dans cette grange pour satisfaire ses désirs pervers. Comme elle était la seule femme qui ne faisait pas partie de marchandises et que son maître n'était pas très regardant sur qui l'utilisait, les hommes en station ici avaient commencé à abuser d'elle. Après tout, s'ils étaient vraiment excités, ils pouvaient baiser n'importe quoi.

Finalement, son maître avait fait une erreur. Les Huit Doigts l'avaient exécuté et son poste ainsi que ses possessions étaient revenus à son second (celui qui l'avait dénoncé), Georgr. Celui-ci n'avait pas les mêmes goûts déviants que son prédécesseur, mais comme il se plaisait à dire : « un trou est un trou et une bite n'a pas d'œil ». Il avait donc continué à abuser d'elle et les autres hommes aussi.

Mais ce soir-là, ils avaient de la chair plus désirable et plus fraîche à se mettre sous la dent ce qui fait qu'elle avait été laissée tranquille… enfin, jusqu'à présent.

« Et prends pas dix plombes ! Si c'est pas des gars de l'Organisation, tu les envoies bouler et tu reviens. T'as compris, la Balafrée ? Pas d'entourloupe ! »

C'était comme ça qu'il l'appelait. La Balafrée. De toute façon, il ne connaissait pas son nom. Son maître précédent ne le connaissait pas non plus et idem pour le marchand d'esclaves. Aucun ne lui avait demandé. Ils s'en fichaient. Elle avait donc gardé pour elle ce secret, son identité qu'elle chérissait comme un trésor. Mais ce trésor avait été souillé. On l'avait appelé "esclave", "monstre", "fardeau"… Mais cela encore ce n'était rien.

Son premier maître, celui qui l'avait défloré, lui donnait des petits noms. "Ma perle hideuse à moi", "ma scarifiée", "ma laideur adorée", "ma mouchetée"… Il les avait tellement répétés tous les jours, quand il la violait, qu'ils avaient rempli son esprit au point qu'elle en oublie son propre nom. Et ainsi le trésor secret c'était envolé et avec lui, son innocence. Alors aujourd'hui, "La Balafrée" ou autre chose, peu lui importait.

Elle avança donc vers la porte et ouvrit le judas, cette petite fente qui coulissant pour lui permette de regarder à l'extérieur. Ce qu'elle vit lui fit écarquiller les yeux.

Dehors se tenait un homme grand. Massif. Plus musclé que tous ceux qu'elle avait vus jusqu'alors. Il portait une étrange chemise, ouverte sur le devant et dévoilant son torse extrêmement rigide, poilu et bronzé. Le tissu dont était faite celle-ci était inconnu à la jeune femme. Il était à la fois léger et très coloré, une peut comme celui des Nobles sauf que les Nobles ne montraient pas leur torse de cette façon. Il était également vêtu d'un pantalon blanc fait d'une matière assez dense. Il était aussi très serré, principalement autour de ses cuisses qui étaient aussi épaisses que toute sa tête à elle. Ses pieds étaient chaussés de bottes ou peut-être de chaussure à bout long en cuir brun et qui était tellement verni que la lumière des lanternes qui éclairaient l'extérieur se reflétait dedans.

Ce n'était pas la seule chose dans laquelle la lumière se reflétait. En effet, l'homme portait quantité de bijoux en or, une grosse chaîne autour du cou, des plus fines autour de chaque poignet ainsi que des bagues à chaque doigt et des clous aux oreilles. En levant la tête, elle se rendit compte qu'elle ne pouvait pas voir ses yeux, car il portait aussi d'étranges lunettes dont les verres étaient sombres, cachant son regard.

Derrière lui, un peu dans l'ombre, elle aperçut également cinq personnes, 3 hommes et 2 femmes. Deux des hommes portaient une tenue tout en cuir, l'un avec un blouson fermé et une casquette et l'autre ouvert sur son torse, cheveux visibles et brillant comme s'ils étaient mouillés. Le troisième aussi était torse nu. Il avait un pantalon large serré à la taille et aux chevilles, un long manteau blanc et un bandeau de la même couleur dans les cheveux.

L'une des femmes était plus petite que les autres et son corps assez androgyne. Elle était vêtue d'une tunique avec un nœud au niveau de la poitrine et une jupe courte plissées, de longs bas roses et noirs et des chaussures noires à semelle très épaisse. Elle était fortement maquillée et ses cheveux roses étaient rassemblés en deux chignons sur les côtés de sa tête. Ils étaient si duveteux et frisés qu'on aurait dit des nuages.

La seconde, bien plus grande, portait un étrange pantalon rouge avec des taches plus sombres enfoncé dans de grosses bottes. Elle n'était pas torse nu comme la majorité des hommes, mais presque. Elle portait un curieux haut très court avec des bretelles qui maintenait plus qu'il ne dissimulait sa poitrine voluptueuse. Elle avait également un masque qui lui cachait le bas du visage et des mitaines. Ses cheveux étaient très courts avec un mélange de mèches rouges et noires.

Elle était la seule à être armée. En effet, elle portait nonchalamment sur l'épaule un étrange bâton de bois dont l'extrémité était entourée d'un fil métallique avec des pointes. Les autres avaient les mains vides ou c'est ce qu'il paraissait puisqu'ils étaient dans une position rigide, jambes écartées et bras dans le dos.

Un autre détail, ils étaient aussi tous extrêmement musclés. Chez certains, cela ne pouvait se deviner que sous les vêtements tandis que chez les autres, c'était très visible. C'était notamment le cas pour la seconde femme dont les bras épais et le ventre solide aux abdominaux apparents étaient bien mis en évidence dans son accoutrement plus que minimaliste. La Balafrée était certain que ce genre de femme ne plairait pas aux hommes qu'elle avait côtoyés jusque-là. En fait, la plupart des femmes la dénigreraient également à cause de son corps masculin et de son regard mauvais. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de la trouver extrêmement féminine.

Soudain, l'homme devant la porte se pencha pour que son visage soit plus au niveau du judas.

« Salut fillette » dit-il avec une voix grave en abaissant légèrement ses lunettes. « Tu nous laisses entrer ? »

Elle voulut répondre, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Le sourire de l'homme s'agrandit alors, révélant une série de dents pointue comme des crocs. Dans le même temps, ses yeux se mirent à briller d'un éclat jaune et sauvage.

« Alors ? » Demanda-t-il à nouveau.

Mais elle se rendit compte rapidement que ce n'était que pour la forme quand il défonça la porte et que ses cinq acolytes se jetèrent dans la pièce toutes griffes et tous crocs dehors pour se précipiter vers les brigands. Le premier à mourir fut Georgr, trop près de la porte. La femme au masque lui envoya un coup de son bâton qui lui arracha la peau du visage. Les autres suivirent immédiatement après, lacérés par les griffes et déchiquetés par les crocs de ces êtres en partie animaux.

Elle, avait été expulsée quand la porte avait presque volé en éclat. Elle s'était ensuite terrée dans un coin en espérant être oubliée. Cela n'avait pas été le cas, car, alors que le carnage continuait, l'homme s'était agenouillé devant elle. Il avait placé ses lunettes sur ses cheveux châtains coiffés en arrière et pris son menton entre ses doigts pour relever son visage. En voyant ses yeux, elle reconnut son regard. C'était un peu le même que celui de son premier maître. Le désir. Le désir tordu causé son visage scarifié. Elle s'était donc offerte en espérant être épargnée.

Les cadavres des brigands avaient été empilés. C'est sur ce fauteuil improvisé que l'homme l'avait prise. Il avait simplement posé des couvertures par-dessus pour que le sang ne tache pas ses habits. Assis dessus comme sur un trône, il avait ouvert son pantalon pour en sortir son sexe déjà dur et bien plus épais que ceux qu'elle n'avait jamais connus. Il ne s'était pas embarrassé de préliminaire. Il avait déchiré ses haillons de sa main griffue et l'avait soulevé comme un fétu de paille pour la planter sur son mât turgescent.

Grâce à sa force monstrueuse, il s'était mis à lever et à abaisser son corps frêle afin de l'emmancher. La douleur avait été terrible, mais elle avait l'habitude. Cependant, alors qu'il la besognait avec entrain, elle avait commencé à ressentir quelque chose qu'elle n'avait, de sa vie jamais ressentit. À Cause de cela, elle ne savait pas ce que c'était, seulement que c'était chaud et agréable et qu'elle en voulait plus. C'est pour cela qu'elle se mit d'elle-même à bouger des hanches sur le sexe épais. Mains sur ses genoux, elle soulevait son propre bassin avant de se remplir à nouveau de la chair dure de l'homme.

Elle venait de découvrir le plaisir.

« Ch… Chef ! Si vous m'aviez dit que vous aviez envie, je vous aurais offert mon corps avec plaisir ! » S'exclama la femme aux cheveux rouges au travers de son masque.

Elle avait les joues rouges en disant cela. Aussi rouge que ses cheveux ou que le sang qui dégoulinait de son bâton.

« Nous aussi, Boss ! » S'exclamèrent à leur tour les 3 hommes.

« Vous savez que nous ne vivons que pour vous faire plaisir » dit celui avec la veste de cuir ouverte en frottant son torse nu contre le bras de son chef.

« Barre-toi, n°5 ! » S'écria celui-ci avec une ruade. « Tu vas saloper ma chemise ! »

En effet, lui, comme les autres, avait la bouche maculée de sang et des gouttes avaient coulé sur sa poitrine et son ventre.

« Regardez plutôt ici. Boss, n°4 s'est faite toute propre en bas, rien que pour vous ! » Dit la femme plus petite avec une voix de fillette en relevant sa jupe.

Elle ne portait pas de culotte.

« C'est tout doux et tout chaud, Boss » gémit-elle en se tortillant. » Laissez la gentille n°4… »

« Mais putain, barrez-vous, vous tous ! » s'exclama l'homme. « Y'a encore des gens à buter alors allez me les buter, c'est clair ? »

« Oui, Boss Double B » dirent alors les 5 subordonnés en se mettant au garde à vous.

Bien sûr, les autres à tuer, c'était les esclaves, au moins une bonne centaine. Comme il ne devait y avoir aucun survivant, ils avaient du travail.

Enfin seul, Boss Double B, alias Big Bad Wolf, se concentra à nouveau sur la femme qui rebondissait avec entrain sur sa bite en poussant des gémissements. Se redressant légèrement, il l'attira contre son torse, plaquant son dos contre ses pectoraux et abdominaux extrêmement poilus et durs comme de la pierre alors que ses hanches reprenaient le mouvement.. D'une main, il se mit à peloter l'un de ses seins fermes alors que l'autre caressait sa cuisse, ses doigts suivant les cicatrices déjà présentes en perçant de temps en temps la chair de ses griffes.

Plongeant son visage dans le cou de son amante, il se mit à lécher et embrasser la peau crasseuse et sèche. La femme, elle, gémit de plaisir en sentant la langue râpeuse de l'homme ainsi que son début de barbe sur sa chair nue. Elle ne savait plus où tourner son attention. Ce visage fouisseur dans sa nuque, la main qui malaxait son sein, celle qui caressait et aiguillonne sa cuisse ou bien alors cette chaleur dans son ventre au passage de ce mât de chair dur qui emplissait les parois de son vagin. À chacun de ses passages, il lui semblait qu'il caressait quelque chose en elle. Quelque chose qui envoyait des frissons de plaisir dans son corps.

Elle avait connu des hommes. De nombreux hommes et de nombreuses fois. Mais aucun ne s'était jamais préoccupé de lui donner du plaisir. Il ne lui semblait pas que l'homme qui la violait de si délicieuse manière y fasse plus attention, mais il y était si doué qu'elle ne pouvait pas s'empêcher d'en jouir. Pendant longtemps, elle avait eu honte de ce que lui faisaient les hommes. Puis, cela ne lui avait plus rien fait. Ou plus grand-chose. Mais à présent, son corps ressentait des sensations qui lui étaient jusque-là inconnues et la honte n'en faisait pas partie. Si elle devait mourir, alors elle mourrait en ayant connu le plaisir.

« Ah putain ! Je vais jouir ! Je vais jouir ! » Grogna soudain l'homme.

Alors qu'il disait ces mots, elle sentait une autre sensation encore monter en elle. Elle qui pensait qu'elle ne pouvait pas ressentir plus de volupté, ce n'était rien par rapport à la vague qui déferla en elle alors que l'homme accélérait ses coups de reins et ses cris se firent plus fort. C'était comme des explosions dans son sexe et dans sa tête, un rayonnement qui embrasait son corps du haut de son crâne à la pointe de ses orteils qu'elle ne pouvait s'empêcher de serrer dans les spasmes de son orgasme.

Mais, tout à coup, une seconde sensation s'ajouta à la première. Une sensation à la fois contraire au désir et étrangement complémentaire. La douleur. Comme ses congénères, le visage de l'homme s'était déformé jusqu'à devenir une gueule béante et pleine de crocs qui s'était sauvagement refermée sur son épaule. Au même moment, une chaleur bien connue lui indiqua qu'il venait de jouir en elle. C'était donc sous les affres du sein propre orgasme qu'il l'avait mordu, arrachant quelques livres de sa chair et faisant couler son sang.

D'une main, l'homme la repoussa alors comme un déchet. Son sexe glissa hors d'elle et elle s'effondra sur le sol en un amas de sang et de foutre. Dans son dos, elle l'entendit mastiquer sa chair avant de pousser un souffle de soulagement et de roter assez fort.

« Ouf ! Putain ! J'adore baiser et bouffer en même temps ! » Dit-il.

Il souffla quelques instants avant de redresser à nouveau la tête.

« N°2 ! N°3 ! Puisque vous m'avez pas trop fait chier tout à l'heure, vous avez le droit de venir me nettoyer » Appela-t-il en claquant des doigts pour appuyer son ordre.

Aussitôt, l'homme en blanc et celui en cuir avec casquette se précipitèrent vers leur chef. Sans se préoccuper de la femme à ses pieds, ils se mirent à genoux pour lécher avec avidité son sexe dressé souillé de sperme et d'autres liquides.

« Dépêchez-vous ! Je commence à débander et je veux pas saloper mon fute ! »

Les deux hommes accélérèrent le mouvement avec plaisir. Celui en blanc prit la trique tout entière dans sa bouche alors que l'autre, celui à la caquette, léchait les lourds testicules extrêmement poilus. Finalement, Big Bad Wolf les repoussa. Il se releva, rangea son matos et referma son pantalon.

« Bon, les gars, on en est où ? »

« N°4 à zigouiller tout le monde ! » Dit celle-ci de sa voix aiguë et enthousiaste.

« Hey ! » S'exclamèrent les trois garçons en réponse.

« N°2, 3 et 5 ont aidé aussi » souffla N°4 en roulant des yeux. « Un peu. »

« Et N°1 ? » Demanda Big Bad Wolf en désignant la dernière de ses subordonnées qui frappait les corps avec sa batte recouverte de barbelés.

« Vérifications de dernières minutes » dit celle-ci en ahanant.

« Et ben voilà ! Ça, c'est du travail consciencieux ! » S'exclama Big Bad Wolf avec satisfaction. « C'est inutile parce qu'ils sont tous crevés, mais c'est consciencieux. »

S'il savait que tous les esclaves et brigands étaient morts, c'était parce que c'était un Assassin. Plus que ça, c'était un Maître Assassin, une Classe Supérieure. Grâce à elle et à sa nature de Lycanthrope (la forme évoluée du Loup-Garou), il pouvait repérer un battement de cœur à plusieurs centaines de mètres. C'est pour ça qu'il savait que les seuls qui restaient étaient le sien, celui de ses sbires… et celui de la femme.

À nouveau, il s'approcha d'elle. Il s'accroupit et prit son visage dans sa main pour le lever vers lui.

« Tu veux pas crever, toi, dis-moi » marmonna-t-il.

Il la détailla alors qu'elle le fixait de ses yeux sombres. De ses deux yeux. En effet, celui qui était aveugle commençait à perdre son voile laiteux, révélant l'iris brun en dessous. Ses cicatrices aussi étaient différentes. Moins boursouflés. Moins rougeâtres. Il était certain que sous peu, elles ne seraient plus que de fines lignes. Et puis, pour en revenir au regard, il y avait cette lueur tout au fond. Une lueur sauvage.

Sans lâcher le visage de la femme, il se mit à fouiller dans la poche de son pantalon avec son autre main. Il en sortit son CrysTel, l'alluma, et sélectionna l'un de ses contacts. Il posa ensuite l'appareil sur son oreille et attendit que l'autre décroche.

« Ouais, salut Boss, c'est moi » dit-il après qu'une voix ait répondu au bout du fil.

Les autres derrière lui se regardèrent. Le Boss avait appelé son Boss. Le Big Boss quoi. Harddyn Emeryas en personne.

« Ouais, on est sur les lieux. Juste, j'ai mordu une fille et… ouais. Je voulais savoir ce que vous vouliez que je fasse. »

Il y eut un temps de silence.

« Ok » dit simplement Big Bad Wolf après un moment.

Il mit fin à l'appel et rangea l'appareil dans sa poche. Puis, plus délicatement qu'il ne l'avait fait depuis le début, il retourna le corps meurtri de la femme pour la prendre dans ses bras.

« Boss, votre chemise ! » S'exclama N°3.

« Ta gueule ! » Lui jeta Big Bad Wolf d'un ton sec. « C'est différent maintenant. Regardez-la ! »

Il se tourna vers eux et leur montra son visage, son corps et surtout son épaule qui se régénérait.

« Elle change. C'est l'une des nôtres à présent. Elle fait partie de la meute. Le Boss a dit de la ramener avec nous à Nazarick et c'est ce qu'on va faire. Maintenant, brûlez-moi tout ça et on se taille avant que d'autres rappliquent ! »

La lumière de l'incendie fit retourner sa tête. Elle voyait ce qui avait été sa demeure pendant des années partir en fumée et cela ne lui faisait rien. Finalement, Big Bad Wolf se détourna du spectacle et commença à repartir vers l'endroit où un Portail les attendait.

« Allez, N° 6" dit-il. « On rentre à la maison. »

La nouvellement nommée cligna des yeux puis sourit. Une maison. Et aussi un nom.

N°6. Elle s'appelait N°6 à présent. Certains auraient pu dire que ce n'était pas vraiment un nom, elle s'en fichait. Nichée dans les bras de son violeur et ravisseur, elle s'endormit sereinement.

0o0o0

Il y avait une raison pour laquelle on avait créé l'expression de « monte-en-l'air ». Balcons, fenêtres, toits… tels étaient les terrains de jeux des Voleurs depuis toujours. Et pourtant, tout le monde s'ingéniait à ne jamais regarder ce qui se produisait au-dessus de leur tête. Ainsi, les membres du Département des Voleurs des Huit Doigts se déplaçaient-ils aisément à travers la ville de maison en maison en passant par-dessus les ruelles plutôt qu'au travers.

Le vol en lui-même demandait de l'adresse. Le cambriolage, lui, demandait une certaine force et de l'endurance. Il en fallait pour courrier sans fin sur les faits des toits, se jeter dans le vide pour traverser l'espace entre deux voies ou escalader une façade. Ainsi, chacun des membres de ce département était un expert dans le déplacement urbain.

C'est aussi la raison pour laquelle ils s'étaient installés dans l'ancien temple des Quatre Dieux. Il avait été abandonné lorsque de riches banquiers avaient fait offrande du nouveau à la ville. Bien évidemment, ces riches banquiers étaient contrôlés par les Huit Doigts. Ils avaient dépensé des sommes folles, mais le retour sur investissement abattit été prodigieux. Leur mécénat leur avait apporté le soutien des ecclésiastiques. De plus, la localisation du nouveau temple était, comme par hasard, en plein cœur du quartier des affaires ce qui lui a amené une affluence encore inégalée.

Enfin. Cela avait permis de vider un bâtiment pour le mettre entre les mains du département des Voleurs. C'était un endroit idéalement situé dans la ville, pas trop au centre, mais juste assez en-dehors pour rester sous les radars. Ancien lieu de culte. Il avait également été évité par la garde et protégé par la population. L'un comme l'autre ne voulait pas risquer que la précédente demeure des Dieux, où leur influence devait encore se faire ressentir, soit souillée par des fouilles intempestives. Tout cela sans compter le clocher qui, par sa hauteur, servait à présent de point de départ à toutes les déambulations nocturnes des maraudeurs de la capitale.

Dès le déménagement du clergé, portes et fenêtres avaient été barricadées pour en interdire l'accès. C'était ces barrières, simples, mais bien présentes, qui avaient permis à la population de faire pression pour que la garde n'investisse pas les lieux. Après tout, si ces scellés étaient toujours en l'état, cela voulait dire que personne n'était entré, n'est-ce pas ? Rassurés, les bonnes gens continuaient leur vie sans lever les yeux et sans voir le ballet incessant, parfois même diurne, des monte-en-l'air de glissant par l'une des seules ouvertures encore praticables : la trappe de la tour du clocher.

À partir de là, ils avaient investi les lieux depuis les cintres jusqu'à la nef, discrets et invisibles de l'extérieur. Toutefois, prudents, ils s'étaient pourvus d'une sortie de secours. Creusant le sol sacré, ils avaient ménagé un petit tunnel relié aux égouts. Ils n'avaient pas conscience que si le peu d'accès rendait leur forteresse imprenable, cela serait également leur perte.

Depuis leur création, les Voleurs se rassemblent à l'heure du loup, au moment où le jour laissait place à la nuit. C'était une sorte de rituel avant de s'éparpiller dans la ville. C'était l'occasion de voir qui manquait à l'appel, qui avait été attrapé ou qui était mort. C'était aussi l'occasion de partager des informations, de se vanter de ce qu'on avait dérobé ou qui allait l'être (sans trop donner de détail bien sûr, personne ne voulait se faire coiffer au poteau). Si on avait rien à faire, on pouvait également trouver quelques missions intéressantes. Et si on n'était pas assez rapide, les chefs vous en trouvaient à faire. C'était rarement les plus palpitantes ou lucratives. Elles devaient juste être faites. Sinon… On pouvait aussi boire, manger, acheter de l'équipement, échanger des butins et parfois s'amuser.

Toujours est-il que ce rituel dirait bien au moins quelques heures, le temps que la nuit s'installe. Quelques heures pendant lesquels absolument tous les Voleurs de Re-Estize membre des Huit Doigts (des criminels n'appartenant pas à l'organisation étaient de toute façon en fuite ou mort) se trouvaient réunis au même endroit, un lieu avec seulement 2 sorties.

Cela avait commencé par un tremblement de terre soudain. Pendant à peine quelques secondes, le sol avait vibré, faisant tituber tous les Voleurs présents dans la nef du temple. Des chopes de bière s'étaient renversées, des piles de documents s'étaient éparpillées et la bonne humeur habituelle qui régnait à ce moment-là s'était dissipée.

« C'est passé… je crois » dit Rimande au bout d'un moment.

Rimande était le Chef de Nuit. Il avait pris la place du Chef de Jour à l'heure du loup, au début du rassemblement. Au-delà d'un simple leader, c'est lui qui assurait la permanence durant les heures sombres de la journée. En effet. Il devait toujours y avoir quelqu'un au quartier général pour recevoir les ordres de l'organisation et les transmettre ou bien pour surveiller et réguler le comportement des membres qui y venaient. C'est pour ça que les deux bras droits du chef de département se partageaient la journée pour veiller sur le vieux temple et la nuit, c'était Rimande.

Celui-ci était inquiet et perplexe. Jamais encore de toute sa vie il n'avait ressentir de tremblement de terre ici, à la Capitale. Ce qui venait de se produire était totalement inédit. Cependant, pour le bien de leur département, il se devait de prendre les choses en main.

« Que tout le monde se ressaisisse » ordonna-t-il. « Que chacun évalue les dégâts ! Pour ce qui est des causes de cet… évènement, je vais désigner une équipe pour partir aux renseignements. »

À ce moment-là, un bruit leur fit tous lever la tête. Une silhouette sombre courait le long de la galerie haute du temple en direction des escaliers. Rapidement, il les dévala pour rejoindre Rimande devant lequel il arriva en ahanant. Il s'agissait de la vigie, un des membres de la guilde qui avait été désigné pour faire le guet tout en haut du clocher. Il devait s'assurer que ses camarades allants et venants ne soient pas repérés ni qu'un étranger ne pénètre dans leur sanctuaire. C'était généralement une punition d'être nommé Vigie ou une mission donnée par le Chef de Nuit. Après tout, rester au temple voulait dire pas de butin pour ce soir.

Le bruit qu'ils avaient entendu, c'était celui de la trappe d'accès à la tour. Dans sa précipitation, il l'avait fait claquer si fort qu'il s'était répercuté dans la nef. Quant au fait que, malgré ses capacités physiques, il soit aussi essoufflé, c'est parce qu'il venait tout bonnement de dévaler les escaliers au risque de se briser le cou pour rejoindre son supérieur.

« Qu'est-ce que tu as vu ? » Lui demanda celui-ci. « Ça a fait beaucoup de dégât ? »

« N… Non… ça… c'est ce que je venais… vous dire » dit la vigie en essayant de reprendre son souffle. « Rien… il y a rien eu dehors. C'est comme si seul le temple avait tremblé. »

« Quoi ? Mais c'est impossible ! » S'exclama Rimande.

À ce moment-là, un rire suraigu raisonné dans la nef. Faisant sursauter toutes les personnes présentes.

« T'as entendu ? Dis, t'as entendu ? » Dit la voix nasillarde à qui devait appartenir le rire. « Impossible il a dit ! Impossible !...

Ouais, t'as raison, c'est seulement impossible si on pense que ça l'est. »

Toutes les têtes se tournèrent alors dans la direction d'où provenait la voix. Le spectacle qui se présentait sous leurs yeux était des plus incongru. Là où quelques instants auparavant tous étaient sûrs qu'il n'y avait rien, se trouvait à présent une longue table rectangulaire décorée d'une nappe blanche. Celle-ci était recouverte d'un bric-à-brac de théières et de tasses dépareillées, empilées les unes sur les autres, renversées, ouvertes, vides ou pleines, de chandeliers, d'assiettes de biscuits et de pots de confiture. Autour de la table, il y avait des chaises, mais celles-ci étaient vacantes. La seule personne présente se trouvait assise tout au bout, dans un grand fauteuil rouge élimé.

Les plus proches reculèrent immédiatement d'horreur en voyant l'homme. Son visage et ses mains étaient recouverts d'énormes cicatrices dont les fils gris sale étaient bien visibles et ses paupières et ses lèvres étaient cousues ensemble par ces mêmes fils. Il portait un costume bariolé et usé ainsi qu'un chapeau haut de forme impeccable et décoré de plumes. Dans l'une de ses mains, il tenait une tasse à thé blanche et bleu et, malgré sa bouche obstruée, la portait à ses lèvres comme s'il buvait.

Son autre main, levée au niveau de son visage, était dissimulée par une étrange et rebutante marionnette de lapin. En observant bien, les Voleurs remarquèrent qu'il s'agissait en fait d'une véritable peau de lapin grossièrement enroulé et attaché autour du poignet de l'homme. La vraie tête de l'animal était comme posée au-dessus, ses yeux morts fixant l'assistance.

« Qu… qui êtes-vous ? »Demanda Rimande d'une voix forte.

En réponse à sa question, il vit avec horreur la mâchoire de la marionnette s'ouvrir et le même rire suraigu retentir à nouveau.

« T'entends ça, dis ? T'entends ça, Mad Hatter ? » S'exclama le lapin en se tournant vers l'autre. « Le gugusse il veut savoir qui on est ! »

L'effet était saisissant, mais Rimande n'était pas né de la dernière pluie. La main de l'homme devait actionner les mâchoires du crâne quant à la voix, il devait s'agir de l'une de ces techniques auquel il avait déjà assisté lors de foire de passages, les gens capables de parler du ventre sans bouger les lèvres. Oui, ça ne pouvait être que ça. Malgré la bouche cousue de l'intrus. Ça ne pouvait être que ça.

Celui-ci reposa sa tasse et se mit à gesticuler en direction du lapin. Il faisait de grands mouvements de mains et des mimiques alors que son interlocuteur hochait sa "tête". C'était comme s'il lui parlait. Un dialogue entre quelqu'un qui ne semblait pas pouvoir parler et quelqu'un qui ne devrait pas pouvoir parler.

« Ouais, ouais, comme tu dis » répondit finalement le lapin. « On va tous les… de quoi ? Tu veux que je répète ce que tu m'as dit ? Mais c'est chiant ça ! … Bon, ok! »

Le lapin se tourna alors à nouveau vers les Voleurs et se racla la gorge.

« Ce que mon pote veut dire… »

La main de l'homme qui supportait la marionnette se secoua légèrement, interrompant celle-ci.

« Ok, ok » dit finalement le lapin avec ce qui ressemblait à un soupir exaspéré. « Oyez, oyez, Voleurs des bas font de Re-Estize, moi, March, vais vous transmettre les mots de mon pote Mad… du sieur Hightop ici présent. »

Il s'exprimait d'une voix monocorde, comme si tout cela l'ennuyait profondément. Il n'avait même pas changé de ton quand l'homme avait secoué une nouvelle fois sa main pour le corriger.

« Sachez que dans la vie, il n'y a pas de bonne ou de mauvaise situation. La vie, c'est avant tout des rencontres, des gens qui croisent votre route. Ceux-ci peuvent vous tendre la main ou vous planter une dague dans le dos. C'est pour cela qu'il vous faut chanter la vie tant que vous le pouvez encore, car vous ne savez pas quelle rencontre sera la dernière… enfin, si, maintenant vous le savez » rajouta March d'une voix plus enjouée. « C'est celle-là, aujourd'hui. Parce qu'on va tous vous buter ! »

Il ponctua sa menace d'un éclat de rire suraigu qui glaça le sang de toutes les personnes présentes. Eux qui s'étaient toujours joué du danger, voilà qu'ils se retrouvaient pétrifiés face à un inconnu difforme et inquiétant qui leur promettait la mort. Tout le monde tourna alors son attention vers Rimande, mais celui-ci était figé.

Il s'était déjà retrouvé dans des impasses, pris au piège sans moyen de s'enfuir. Et pourtant dans ces moments-là, son esprit était perpétuellement en éveil, scrutant son environnement à la recherche d'une issue de secours quelconque. Et il en trouvait toujours une. Mais cette fois, c'était le vide. Il émanait de cet être fantasque et grotesque quelque chose de malsain, une impression de mort omniprésente… comme s'il l'était lui-même. Cette aura sombre et létale le paralysait complètement et rendait son esprit brumeux et totalement inutile.

« Quoi ? » Reprit le lapin en se tournant à nouveau vers l'homme. « Ah non ! Finis la parlotte ! Y'en a marre ! C'est l'heure du fun ! »

Le bras à la marionnette se tendit alors sur la table, mais c'était comme s'il était entraîné par celle-ci. Le lapin prit ensuite le couvercle d'une bouilloire entre ses mâchoires, le retira avant de le poser à côté.

« Allez, debout là-dedans, on se réveille ! » Se mit-il à crier à quelque chose se trouvant à l'intérieur de la théière.

Au début, il ne se passa rien, puis un museau surgit. Il était raccordé à une tête appartenant à un petit rongeur gris aux yeux fatigués.

« Allez, le Loir » dit le Lapin. « On se bouge ! C'est l'heure de jouer à chat ! »

Aussitôt, le pauvre animal pris de panique jaillit de la théière comme un diable de sa boîte et se mit à fuir. Il fut immédiatement suivi par une horde de rats qui jaillit à son tour du petit récipient. Il y en avait des dizaines, noirs, énormes, trop pour avoir été tout contenu à l'intérieur. Dans le même temps, d'autres surgirent d'un peu partout sur la table, de l'intérieur des théières et de sous les tasses. Bientôt, ce fut une véritable marée sombre et grouillante qui se déferla dans la nef… droit sur les Voleurs.

Les plus proches n'eurent pas le temps de réagir, les rongeurs les avaient déjà atteints. Ils grignotaient bottes et vêtements, grimpaient le long des jambes et du torse, se bousculaient, se marchaient dessus dans le seul but d'atteindre leur objectif : la nourriture. Les premiers cris de terreurs de ses subordonnés en train d'être dévorés vivants furent comme un courant électrique parcourant le corps de Rimande.

« Tous au clocher ! » S'écria-t-il alors par-dessus le vacarme de couinements et des cris.

Malheureusement, la peur d'être dévoré avait eu raison du sang-froid des Voleurs. Pris de panique, ils couraient vers la première sortie disponible : celle des égouts. Dans la cohue, certains trébuchaient et tombaient au sol. S'ils n'étaient pas morts piétinés par leurs camarades, alors c'était la horde des rats qui achevait méthodiquement le travail.

Finalement, le premier Voleur arriva au trou d'accès. Il ne prit pas la peine d'utiliser l'échelle et sauta directement à l'intérieur. Les autres s'apprêtaient à faire de même quand un cri de terreur atroce leur parvint depuis le fond. Ils virent alors deux mains ensanglantées se saisir des barreaux de l'échelle. Celui qui avait sauté apparut et tenta de remonter, mais quelque chose l'agrippa et le tira à nouveau vers les ombres du passage.

« Avancez ! Je vous en supplie ! » criaient les voleurs derrière.

Ceux-ci voyaient les rats se rapprocher derrière eux, mais ils ignoraient tout des dangers qui se trouvaient devant. Soudain, quelque chose émergea du trou. C'était une gueule. Une gueule colossale pleine de plusieurs rangées de crocs pointus et suintants de salive. Une gueule sans la moindre babine, que deux mâchoires telles de tenailles qui happaient l'air.

La gueule appartenait à la tête d'un énorme animal, un croisement entre un chat et un ours, aux petits yeux méchants et injectés de sang. Le corps de la bête semblait trop imposant pour sortir du trou, mais pas pour longtemps. En effet, celle-ci se débattait furieusement afin de pouvoir passer. Déjà, une patte grosse comme une miche de pain et aux griffes longues comme un bras émergeait de la terre. S'appuyant sur le sol, la bête parvint finalement à dégager son corps massif, plus gros que celui d'un bœuf, du trou. Sa queue, longue et préhensile ressemblait à un serpent et possédait en son extrémité un dard acéré. Tous ceux qui étaient touchés s'effondraient, morts ou simplement paralysée et servaient de repas aux rats. La bête elle-même fauchait de ses énormes pattes tous ceux passant à sa portée. Elle avait beau avoir pris pied dans le temple, elle ne s'éloignait pas du trou derrière elle, fermant l'accès aux égouts.

Fort heureusement, certains Voleurs avaient entendu les ordres de Rimande et l'avaient suivi dans les escaliers pour fuir par le clocher. Ils l'avaient pourtant dit et répété. Pour ceux qui volent, le salut est toujours au plus haut. S'ils avaient creusé un trou vers les égouts, c'était pour donner une fausse piste à quiconque voudrait les poursuivre. Rien de plus. Pour la fuite. Ce serait toujours par les toits.

Impuissant, il ne pouvait que regarder ses camarades se faire dévorer par les rats et la bête tout en essayant de mettre les survivants à l'abri. De là où il se trouvait, il pouvait également voir l'homme. Mad Hatter. Celui-ci marchait tranquillement sur les dalles souillées de sang de la nef, les rongeurs s'écartant sur son passage. De temps, en temps, il se baissait et ramassait quelques babioles sur les cadavres. Bagues, colifichets et autres bijoux, pièces et boutons qu'il portait sur lui ou les rangeait dans l'une des poches de son veston qui paraissait sans fond. Il collectait également tous les documents sur lesquels il pouvait poser la main. Ceux-ci semblaient être miraculeusement épargnés par les rats… ou peut-être pas si l'homme les contrôlait.

Rimande maudit le monstre qui les avait attaqués et il se promit de venger ses camarades. Mais pour l'instant, il devait s'occuper des survivants. Il attendit que le dernier franchisse la trappe de la tour du clocher puis grimpa à son tour et la referma derrière lui.

« Ça ne les retiendra pas longtemps » dit-il. « Pour le moment, il faut fuir. Nous nous retrouverons demain dans la grotte en dehors de la ville. Vous savez laquelle. À l'heure du loup ! »

« À l'heure du loup ! » Répondirent les autres pour conclure le rituel.

Rimande hocha la tête et commença à grimper les escaliers de bois qui serpentait sur les parois du clocher. Il allait mener ses hommes jusqu'au sommet et veiller à ce que chacun puisse s'enfuir. À tout moment, il s'attendait à ce que les rats ou la bête défoncent la trappe en dessous d'eux, mais il ne se passa rien. Peut-être que leur assaillant n'avait pas vu où ils étaient partis. Il ne semblait pas vraiment préoccupé par les fuyards quand il l'avait observé.

Le problème avec les Voleurs, c'est qu'ils avaient tellement l'habitude que les gens ne regardent pas au-dessus de leur tête, qu'ils ressentaient un sentiment de sécurité une fois sur les hauteurs. C'est au moment où Rimande arriva au sommet de la tour, là où se trouvait la cloche, qu'il comprit son erreur. Il aurait pourtant dû s'en douter. Leur assaillant avait piégé l'une de leurs sorties secrètes alors pourquoi pas l'autre ? Et c'était pour cela qu'il ne les avait pas poursuivis.

Quand il vit l'énorme oiseau qui occupait presque tout l'espace de la plateforme, il se jeta sur le côté grâce à ses fulgurants réflexes. Malheureusement, il ne put éviter un coup du bec acéré pourvu de petits crocs de l'animal. La douleur déchira son dos et l'empêcha de se réceptionner correctement. À cause de ça, il tomba lourdement sur le sol et sa tête heurta le rebord de pierre.

Quand il reprit ses esprits, il n'y avait pratiquement plus de bruit. Plus de cris, plus de couinements de rats… L'oiseau, lui, était toujours là. Grand comme un cheval, au plumage chamarré de tons de rouges, d'oranges et de noir, il avait des ailes immenses et une crinière de rémiges ébouriffée. Ses pattes aux serres énormes retenaient au sol un cadavre alors que le bec hérissé de crocs arrachait des lambeaux de viande qu'il avalait goulûment. Rimande pouvait voir le visage de sa victime. Il la reconnaissait. C'était une jeune fille qu'il avait lui-même introduite dans l'organisation à peine un an plus tôt. Il lui avait dit que son avenir était tout tracé. Il avait eu tort.

Soudain, un bruit dans les escaliers attira son attention. Voyant surgir l'homme à la marionnette, son premier réflexe fut de vouloir fuir, mais il se rendit compte qu'il ne pouvait pas bouger ses jambes. Il ressentait de la douleur dans tout son corps, mais il ne parvenait pas à faire répondre la partie inférieure. Ravalant sa terreur, il se décida à faire le mort.

Regardant dans le vide droit devant lui, il vit les chaussures à boucles râpées et éclaboussées de sang de Mad Hatter venir à lui et s'arrêter à son niveau. Rimande bloqua alors son souffle dans sa poitrine. L'homme s'était accroupi. Il vit la main scarifiée s'approcher de la sienne. Dans sa chute, son bras était tombé en avant.

D'un doigt sale, il le vit toucher la bague qu'il portait. C'était un simple anneau d'or décoré, mais il y tenait comme à la prunelle de ses yeux puisque c'était sa première vraie prise. Son maître lui avait ordonné de la dérober et il y était parvenu. Grâce à ça, il était devenu un Voleur accompli. C'est pour cela que quand l'homme voulut la lui retirer, il eut un mouvement de recul instinctif.

Aussitôt, l'autre main, celle avec la marionnette de March, jaillit. Ses mâchoires se refermèrent alors sur son bras, le plaquant au sol.

« Olala, dis-moi ! Mais ch'est qu'il fegeait chamblant che cornichon là ! » Dit-il comme s'il avait la bouche pleine.

« Lâche-moi, lapin ! » Gronda Rimande avec colère.

« Lapin ! » S'écria alors celui-ci en le libérant. « D'où tu me traites de lapin, toquard ! Je suis un lièvre ! March Hare, le Lièvre de Mars ! Rentre-toi ça dans ta petite tête de futur cadavre ! »

Il avait dit les derniers mots en tapant sur son crâne de manière agressive. Rimande aurait bien voulu répondre, mais à nouveau, les mâchoires de la marionnette se refermèrent sur son bras, l'emprisonnant comme dans un étau. Son maître se saisit alors de nouveau de la bague et le tira pour l'enlever.

« Ça y est ? T'es content ? » Demanda finalement March après avoir relâché Rimande.

Celui-ci vit ensuite elle lièvre rouler des yeux et prit le bijou entre ses dents pour tenter de la passer à l'un des doigts de son partenaire. Malheureusement, ceux-ci étaient trop gros. En fait, sa main entière semblait disproportionnée par rapport à son bras. Mad Hatter récupéra alors la bague dans la bouche de sa marionnette puis la replaça au doigt de Rimande. Il prit ensuite la main de celui-ci et la regarda sous toutes les coutures.

Puis soudain, il lâcha la main et se saisit des cheveux de Rimande pour lui relever la tête. Vu de près, son visage était encore plus horrible. Sa bouche cousue était déformée par un énorme sourire. Il la vit remuer puis les deux lèvres s'écarter lentement alors que les fils qui les retenaient se tendaient. Un souffle jaillit du fond de sa gorge et Rimande crut qu'il allait vomir. Son haleine sentait le charnier. Comme si des cadavres avaient macéré en lui. Il le vit alors avancer son visage vers lui et se pencher à son oreille.

« Dis-moi, cher petit aigrefin » dit-il alors d'une voix sèche comme des feuilles mortes frottées sur du sable, « pourquoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ? »

Rimande fronça les sourcils. Cette question. Elle était tellement absurde, tellement hors de propos, qu'il ne savait pas quoi répondre.

« Vous êtes fous… » parvint-il à articuler.

Mad Hatter haussa les épaules.

« La plupart des gens bien le sont. Alors ? Ta réponse ? »

« Pourquoi… pourquoi un corbeau ressemble à un bureau ? Mais je… je ne sais pas… je… »

« Oh ! Donc tu l'ignores » dit l'homme avec une grimace de tristesse. « Quel dommage ! Heureusement, je n'aurai pas tout perdu. »

À ce moment-là, les dents du lièvre se plantèrent à nouveau dans le bras de Rimande. Celui-ci cria de surprise. Mad Hatter ricana et plongea alors vers la chair nue de son avant-bras entre là où le maintenaient la marionnette et le poignet. Il mordit. Rimande hurla.

Mad Hatter Hightop contempla sa main où brillait une simple bande dorée.

« Qu'est-che que tu veux faire de chelle-là ? » Demanda March Hare.

Il tenait dans sa gueule une autre main. Plus épaisse, celle qui était auparavant attachée au bout du bras de l'homme.

Cet appendice m'a bien servi si tant est qu'une main de cette envergure puisse servir. Son office est rempli à présent et sa remplaçante me sied à un point inimaginable. Ses circonvolutions gracieuses sont un ravissement pour mon œil d'expert. Quant à cet anneau, sa simplicité est le pinacle de sa beauté. Je ne pourrais point être plus satisfait.

« Ouais ouais » grogna March. « En attendant, j'ai toujours la bouche pleine. »

Mad Hatter grimaça puis prit la main que tenait sa marionnette entre deux doigts comme si c'était un objet répugnant puis la jeta sur le cadavre de Rimande. Celui-ci s'était vidé de son sang depuis longtemps à cause de sa main arrachée. Il était mort.

Mad Hatter s'avança vers l'oiseau qui se trouvait encore là à dévorer quelques dépouilles et le caressa de sa nouvelle main.

Oh mon oiseau Jubjub, Seigneur du Ciel et de la Terreur, tu as bien travaillé. Ton bec et tes pattes ont apporté presque autant de morts que notre frumieux Bandersnatch et la horde de notre cher Loir. Ah comme j'aimerai à présent fêter notre réussite par un goûter, un rassemblement autour d'une tasse de thé… mais on dirait que ce projet est compromis…

En effet, des bruits leur parvenaient maintenant d'en bas. S'approchant du bord, Mad Hatter vit une troupe de soldats tenter d'enfoncer la porte avec un bélier improvisé. Il y avait une femme avec eux, ou plutôt une silhouette dont on devinait à peine la féminité, drapée dans une cape rouge et dont le visage était recouvert d'un masque blanc.

Alors qu'Evileye exhortait les guerriers à dégager l'entrée avant qu'elle ne s'en charge, elle sentit un regard sur elle. Aussitôt, elle leva les yeux vers le sommet du clocher et scruta les ombres au travers de son masque.

Mais il n'y avait rien.

À suivre.

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Et voilà un autre chapitre de terminé. J'ai encore fait une petite pause. Pour des vacances cette fois. Malheureusement, en rentrant, j'avais oublié que ce chapitre était en cours alors j'ai commencé celui de Check Mate DxD 😅. Bref, celui-ci a un peu de retard, mais j'espère qu'il vous a plu.

Si certains ont aimé la phrase « un trou est un trou et une bite n'a pas d'œil », sachez qu'elle n'est pas de moi. C'est quelque chose que disait un ami d'université. Par contre, il était hétéro et je n'ai jamais tenté de voir s'il tenait vraiment à respecter ce principe .

Il y a quelques modifications avec la description de Big Bad Wolf. J'ai modifié ça dans le chapitre 10 (pareil pour Mad Hatter). Par contre, j'ai vraiment l'impression de faire l'apologie du viol avec cette partie. Petit rappel : tout ce qui est dans cette histoire est de la fiction. On est bien d'accord ?

Toute ressemblance entre le discours de Mad Hatter (par la bouche de March) et une quelconque œuvre de fiction cinématographique française sur des Gaulois en Égypte est tout à fait fortuite (pas du tout).

L'idée des rats m'est venue assez récemment parce que je me suis mis à jouer à Plague Tale. Pour ceux qui connaissent pas, c'est un jeu d'aventure infiltration sur PlayStation où on incarne des personnages lors de l'épidémie de peste noire en France… et il y a énormément de rats de partout qu'il faut éviter. Passionnant. Et perturbant.

Et voilà. N'hésitez pas à me laisser un commentaire et je vous dis à la prochaine fois.