Bon aujourd'hui, on va pas vraiment s'intéresser au coeur du sujet de Sherlock devenu une femme, du moins pas dans l'analyse des questionnements de genre, c'est qu'ils ont aussi une enquête à faire avancer... ^^
Bonne lecture !
Chapitre 5
Le taxi les emmena jusqu'aux quartiers nord de Londres, comme la veille. Ils retrouvèrent sans difficulté la petite maison où s'entassait la famille de la victime, et dans laquelle ils avaient rencontré la vieille dame aveugle que Sherlock avait bêtement agressée, et qui semblait s'être vengée.
Il n'y avait plus de voiture de police, ni de bandeaux jaunes de police ou de scellés, et le taxi les déposa avant de s'en aller sans un mot.
— Tu crois que la famille a accepté l'autopsie, finalement ? Après ton petit numéro avec la vieille... demanda John.
Sherlock haussa les épaules, refusant de reconnaître qu'il s'était montré stupide et avait un peu cherché ce qui lui arrivait...
— Tu as eu des nouvelles de Lestrade ? demanda-t-il en guise de réponse.
— C'est toi le détective. C'est toi qui aurais dû en avoir.
— Tu sais très bien que Lestrade te donne les nouvelles autant qu'à moi.
— Oui, parce que tu ne daignes jamais lui répondre quand ça ne t'intéresse pas, et donc il n'est jamais certain que tu as eu le message ! Au moins, il est sûr que l'information est parvenue à bon port avec moi, et que je m'assure que tu l'aies aussi... il me traite comme ton putain de secrétaire quand tu es trop feignant pour attraper ton téléphone ou penser à le mettre à charger !
Sherlock balaya l'argument de la main, comme s'il était indigne de sa condition, puis piocha son téléphone au fond de la poche de son manteau.
— Je n'ai eu aucun message en ce sens, affirma-t-il en vérifiant l'écran, juste pour prouver à John qu'il avait tort.
Ce dernier leva les yeux au ciel. Lui non plus n'avait rien eu, au demeurant.
— Ça veut dire quoi, à ton avis ? demanda John. Qu'ils ont accepté ou non ?
— Difficile à dire. Lestrade allait réussir à les convaincre, avant que la sorcière n'arrive. Mais ensuite... tout a changé. Et j'ignore ce qui s'est produit par la suite, comment se sont déroulés les évènements.
Il était rare que Sherlock ne parvienne pas à deviner (pardon, déduire) un truc aussi basique. Il était sans doute plus mal que John ne l'avait cru, quand ils avaient quitté la scène de crime, puisqu'il avait été incapable d'enregistrer tous les détails utiles qui auraient pu l'informer sur ce qui allait se produire après leur départ.
John avait l'impression que sa forte fièvre et la brûlure qui se développait avaient eu lieu dans une autre vie, et pas moins de vingt-quatre heures auparavant. La matinée avait été si riche en émotions que cela lui paraissait totalement déconnecté de ce qui était leur nouvelle réalité, à laquelle ils ne se faisaient pas encore réellement, ni l'un ni l'autre.
Ils ne s'étaient pas concertés avant de sonner, mais ils connaissaient ce qu'ils devaient dire et faire. Et notamment que Sherlock devait se taire, dans un premier temps. Ce n'était jamais une bonne option qu'il commence les discussions, on leur claquait trop souvent la porte au nez dans ce cas-là.
— Bonjour, salua John avec un sourire charmeur à la jeune femme qui leur ouvrit la porte un instant plus tard. Je suis le docteur John Watson et voici le détective Sherlock Holmes. Nous étions là hier pour le meurtre de Jenny. Pourrions-nous entrer ?
Il n'était pas tout à fait certain que la jeune femme qui leur avait ouvert était majeure, et John n'avait aucune idée de qui c'était. La sœur de la victime ? Une cousine ? Une amie de la famille ? Sherlock l'avait sans doute déjà déduit, mais John n'avait aucune chance de le savoir. La famille était trop étendue pour ça.
— Euh, j'sais pas, j'dois demander à Maman...
Mineure, sans doute. La sœur, probablement. Et écrasée par le chagrin. Elle n'était pas surprise de trouver la police qui venait chez elle, mais elle n'avait pas les épaules pour gérer la situation. John culpabilisait un peu de l'abuser. Pour les gens mal informés, le titre de détective dont s'affublait Sherlock suffisait à croire qu'il était un honorable fonctionnaire de police. L'adolescente imaginait sans doute que si un médecin et un flic venaient, c'était pour leur annoncer quelque chose suite à l'analyse du corps. S'ils avaient finalement accepté l'autopsie, c'était encore moins surprenant. Ils n'avaient aucune chance de savoir que c'était bien trop rapide pour rendre des conclusions détaillées.
— C'est qui, chérie ? demanda une voix derrière la porte.
La mère de la victime, et probablement de la personne qui leur avait ouvert, arrivait du fond du couloir.
— C'est la police. Pour...
Elle n'arriva même pas à prononcer le nom de sa sœur.
— Je m'en occupe. Va surveiller ton frère. Il est dans sa chambre.
John se souvint du petit garçon déphasé, tandis que ses parents s'entretenaient avec Lestrade, dans la pièce qui contenait le corps de sa grande sœur, et eut le cœur serré en pensant à cette famille brisée. La mère de famille avait d'ailleurs les yeux aussi rouges et des larges cernes sur le visage que sa fille, un instant plus tôt.
Elle sembla vaguement les reconnaître, en s'approchant d'eux, mais d'une manière incertaine, comme on se souvient de quelqu'un qu'on a croisé, mais sans être capable de se rappeler du contexte. Ils avaient subi hier le ballet incessant de la police criminelle et de tous ses spécialistes, et même si l'esclandre de Sherlock avait pu marquer les esprits, elle avait suffisamment souffert pour qu'elle ne garde de lui qu'une image vague et lointaine.
Sherlock, par logique, referma et tint serré autour de son corps les pans de son manteau. L'avantage de son nom bizarre, c'était qu'il pouvait bien correspondre à une femme autant qu'à un homme, et il n'avait pas besoin de prétendre en porter un autre.
Quant à son corps, pour quelqu'un le connaissant bien, on savait immédiatement qu'il était différent, mais pour une inconnue à qui il masquait ses attributs féminins, alors même que sa mémoire avait un souvenir flou d'un homme, verrait-elle une femme en lui, désormais ?
Sherlock connaissait suffisamment bien le cerveau humain pour deviner que même si la mère le voyait comme une femme, son cerveau lui rappelant qu'il s'agissait d'un homme, il serait probable qu'elle se convainque rapidement de quelqu'un d'androgyne, expliquant sa méprise. Son esprit superposerait l'image de son souvenir et celle de la personne sur son pas de porte pour les fondre en une seule, qu'elle penserait sans doute homme tant qu'on ne lui disait pas l'inverse.
John, pendant que Sherlock restait muet et essayait de se faire oublier, un concept dont il n'était que peu familier, présentait ses condoléances à la pauvre femme. En quelques instants, rien qu'en lui demandant comment elle allait, il parvint à la faire parler. John avait ce talent d'empathie que Sherlock lui enviait.
Les yeux brillants de larmes, la voix à moitié brisée, elle expliqua qu'il avait autorisé les policiers à pratiquer certaines analyses, en attendant qu'elle prenne une décision pour l'autopsie, que la police avait emmené le corps, qu'ils ne savaient pas quand il leur serait rendu, qu'ils ne pouvaient pas organiser les funérailles tant qu'ils ne savaient pas quand ce serait, qu'ils n'avaient pas les moyens d'organiser des grandes funérailles de toute manière, que Marilyn était traumatisée d'avoir perdu sa grande sœur, que Ruben ne semblait pas tout comprendre parce qu'il était trop petit mais qu'il était évident qu'il souffrait et que...
Avant même que Sherlock n'ait réellement compris ce qui se passait, ils étaient dans la cuisine, la femme en larmes sur une chaise. Lui patientait dans un coin, stoïque, se faisant oublier. John faisait du café pour la mère éplorée, et la réconfortait.
Il parut à Sherlock qu'il s'était écoulé des heures durant laquelle la femme avait parlé (et pleuré) et John l'avait consolé, mais il savait que cela n'était pas si long. Il détestait ce rôle passif qu'il était obligé de tenir, mais John le connaissait trop bien. Dès qu'il faisait mine de bouger et de s'impatienter, le médecin lui renvoyait un regard noir sans que personne ne s'en rende compte, et il restait bien sagement assis sur sa chaise, sans rien dire, s'oubliant pour mieux se fondre dans le corps. Ce n'était pas dans sa nature, et ça le frustrait. Mais bizarrement, que John le connaisse par cœur et sache quand il commençait à en avoir ras-le-bol, cela avait tendance à lui réchauffer la poitrine d'une manière incompréhensible.
— Madame ? finit par dire John d'un ton doux. Nous avons quelques questions à vous poser, si vous le permettez ?
Elle hocha la tête, tamponnant ses yeux encore humides avec son mouchoir.
— Bien sûr, bien sûr, je suis désolée, je vous fais perdre votre temps.
— Ce n'est rien, madame. C'est normal. Nous aurions eu besoin de parler à... votre mère ? La vieille dame aveugle qui était là hier ?
La mère en deuil parut surprise. Sans doute essayait-elle de faire correspondre ce qu'elle savait de ce policier-pas-vraiment-policier-mais-médecin avec le fait qu'il veuille interroger sa mère. Et, de toute évidence, elle se souvenait de l'accusation qu'on avait porté contre la vieille dame.
— Mama n'est pas ma mère, c'est ma grand-mère... la matriarche de la famille... Mais, elle n'a rien fait, elle adorait Jenny, elle n'aurait jamais pu lui faire du mal !
— C'est évident, l'apaisa John. Nous voudrions simplement discuter avec elle. Ce serait possible ? Elle... parle anglais ?
La femme haussa les épaules.
— Oui, mais pas très bien, elle a gardé un fort accent. Quand j'étais petite, elle ne parlait qu'italien, je ne comprenais rien... Elle est la seule de la famille à ne pas être née ici. Elle a épousé mon grand-père, qui est anglais.
Du regard, John l'invita à poursuivre l'exposé de sa généalogie. Il savait très bien qu'il allait perdre le fil très rapidement, mais que Sherlock qui écoutait tout était capable de dessiner mentalement des arbres généalogiques d'une précision bluffante.
La mère de famille décrivit alors rapidement l'arrivée de sa grand-mère sur le territoire anglais, au siècle dernier, alors même qu'elle ne parlait pas un mot d'anglais. Elle ne savait pas grand-chose du passé de la vieille femme, sinon qu'elle était sicilienne, et que la famille avait toujours soupçonné qu'il y avait quelque chose de louche dans son passé. Les origines italiennes leur faisaient soupçonner une accointance avec la mafia. Elle avait épousé un anglais, fais des enfants, qui eux-mêmes avaient épousé des britanniques, fais des petits-enfants, puis des arrière-petits-enfants. Mama était la seule encore en vie. Elle avait même enterré plusieurs de ses enfants et beaux-enfants. Sa fille, mère de la personne qui leur parlait, était décédée d'un cancer du poumon quelques années auparavant. Du sang italien, il ne restait pas grand-chose, et personne de la génération actuelle ne parlait ce dialecte sicilien, pas même tout à fait de l'italien, que la vieille dame parlait. Il ne leur restait que cette propriété donnée à la famille, vivant tous ensemble, du moins dans le même quartier, sinon dans la même maison. Pendant des années, en tant que matriarche, elle avait mené la famille d'une main de fer, et gardé tout le monde près d'elle. Elle était aveugle depuis une quinzaine d'années au moins.
— D'une certaine manière, elle nous rassemble, souffla la femme. Nous nous occupons tous d'elle, à tour de rôle. Je ne sais pas ce qui restera de nous quand elle ne sera plus là... Mais en même temps, elle semble résister à tout.
C'était plus simple de parler de l'hypothétique fin d'une vieille dame qui avait tout connu, tout subi, que du deuil terrible et si soudain d'une jeune athlète dans la force de l'âge.
— Mais elle adorait son arrière-petite-fille. Elle était très fière d'elle. Nous le sommes... nous l'étions tous.
Elle écrasa un nouveau sanglot.
— Tu parles italien ? souffla John à voix basse en direction de Sherlock.
— Oui, répondit ce dernier sur le même ton. Mais pas sicilien. Angelo dit déjà que mon accent est épouvantable, alors pour un dialecte particulier... Mais je suis sûr qu'il est de mauvaise foi.
John leva les yeux au ciel, et n'eut pas le temps de répondre quoi que ce soit. Leur hôtesse s'était reprise.
— Venez, elle doit être dans sa chambre, je vais vous accompagner. Elle ne sort plus de la maison, et se déplace même assez peu. Elle se fatigue vite, pauvre Mama.
Ils suivirent la femme dans les étages, croisant des portes fermées et du bazar un peu partout, témoignant d'à quel point la maison accueillait trop de gens pour l'espace qu'elle fournissait. Pour finir, leur hôte frappa à une porte et l'ouvrit immédiatement.
— Mama ? Tu as de la visite !
Elle n'eut pas le temps de faire un pas dans la pièce qu'un hurlement retentit, un étage plus bas. Un gamin criait, et appelait sa mère. Une deuxième voix se fit entendre presque aussitôt. Une dispute entre frère et sœur, assurément. Leur mère sembla, un bref instant, terriblement lasse. Comme si avoir perdu sa fille ne suffisait pas, il fallait en plus qu'elle continue d'arbitrer les conflits entre ses enfants restants, qui se disputaient comme des chiffonniers, et exprimaient à leur manière le chagrin qu'il ressentait de voir leur famille voler en éclats.
Sans leur prêter plus d'attention que ça, elle s'excusa rapidement, et repartit en sens arrière, à toute vitesse, tandis que les cris continuaient de résonner.
John et Sherlock, pas plus perturbés que ça, entrèrent dans la pièce. La vieille aveugle était assise dans un fauteuil à bascule, dans un coin de la pièce. Comme la veille, elle était tout de noir vêtue, entourant tout son corps maigre sous des couches de tissus flottant qui lui donnait une apparence presque glaçante.
À leur entrée, elle tourna légèrement le visage vers eux. Ses yeux ne voyaient pas, mais ses oreilles fonctionnaient, de toute évidence. Elle les entendait.
— Ne touche à rien, murmura John à Sherlock.
Il connaissait suffisamment bien le détective pour savoir que ses yeux bondissaient d'un recoin à l'autre pour en apprendre le plus possible sur la pièce et son occupante en un coup d'œil. Il mourrait d'envie de fouiner partout, et la vieille dame ne s'en rendrait pas compte.
— Ne déplace pas ses repères, précisa le médecin, voyant que Sherlock avait du mal à se retenir de fureter.
Elle était de toute évidence aveugle, mais absolument pas impotente, et il était probable que comme de nombreux non-voyants, elle ait besoin que tout reste exactement à sa place afin de retrouver ses affaires et pouvoir se mouvoir librement dans la pièce.
— Bonjour Madame, prononça haut et fort John en s'approchant de la vieille dame. Je suis le docteur John Watson. Je vous adresse toutes mes condoléances pour la perte de votre arrière-petite-fille.
L'aïeule, qui n'avait pas spécialement réagi à leur approche, sinon se tourner vaguement vers eux, sembla soudain plus intéressée. Ses yeux blancs, vides de tout regard et toute expression, se posèrent sur John, qui détourna le regard, mal à l'aise. L'intérêt, de la vieille dame, cependant, fut de courte durée, et elle se laissa retomber presque aussitôt contre le dossier de sa chaise, comme si ce simple mouvement lui avait déjà coûté trop d'efforts.
— Moi et mon ami Sherlock Holmes, nous étions là hier, reprit John en s'agenouillant pour se mettre à la hauteur de la femme.
C'était absurde, bien sûr, parce qu'elle n'avait pas besoin de lever les yeux pour le regarder, puisqu'elle ne pouvait pas le voir, mais il se sentait mieux en étant au même niveau qu'elle.
Derrière lui, Sherlock se tenait debout, mains croisées dans le dos, ses pupilles scannaient la pièce, se retenant de tout toucher pour mieux appréhender ce qu'il voyait, pour savoir ce qui se cachait sous l'oreiller, dans le placard.
— Nous avons un problème, madame, poursuivit le médecin. Depuis que vous avez touché mon ami. Il s'est passé quelque chose... d'assez incroyable. Après sa brûlure. C'est vous qui l'avez brûlé ?
John avait conscience que, dans un monde rationnel, sa question était assez absurde. Mais depuis le matin-même, et les nouveaux organes féminins de Sherlock, ils ne vivaient plus dans un monde rationnel.
Il n'y eut d'abord aucune réponse, puis John entendit un murmure. Il se pencha un peu plus.
— Pardon ? Je ne vous entends pas.
La vieille dame continua de parler, un peu plus fort, mais la langue dans laquelle elle baragouinait était inconnue à l'oreille de John. Il jeta un regard à Sherlock, qui se pencha à son tour. Un bref instant, d'ailleurs, il tangua, peu habitué à son nouveau centre de gravité, au poids de ses seins qui tombaient en avant, eux aussi. Il se stabilisa, et écouta la psalmodie de la vieille femme.
— C'est de l'italien, ou du moins ça y ressemble... mais je ne comprends pas, marmonna Sherlock. Signora ? Tu mi capisci ? Capisci inglese ?
Elle continua à marmonner, sans paraître avoir réellement conscience de leur présence.
— J'ai compris quelques mots, indiqua soudain Sherlock. Elle a dit cœur. Et douleur, ou mal, ou souffrance, traduis ça comme tu veux.
John, soudain, regarda la femme un peu plus en face, et aperçut les larmes dans les yeux qui ne voyaient plus, et comprit la raison de la main crispée qui semblait se diriger vers sa poitrine.
— Oh mon Dieu, elle fait une crise cardiaque ! Sherlock, appelle une ambulance !
Heureusement pour la famille Afaldo, John et Sherlock étaient plutôt rompus à ce genre d'exercice. Le premier, de par sa qualification de médecin et son habitude du terrain en tant que militaire, le second de par sa propension à se fourrer dans des situations improbables. Sans la moindre hésitation, John fit les contrôles nécessaires pour vérifier si la vieille dame respirait, était conscience, blessée, avant de l'allonger et commencer le massage cardiaque. Sherlock, pendant ce temps, avait dégainé son téléphone et appelé les secours, et indiqué son nom, leur localisation exacte (pas seulement l'adresse, mais aussi où et comment les trouver dans la maison), leur besoin urgent d'une ambulance, puis enfin seulement la description du problème, relayant la voix de John, qui décrivait les problèmes médicaux au même rythme qu'il pratiquait le massage.
Avant même la fin de la conversation, une ambulance était en route.
Sherlock avait ensuite prévenu la famille, donné des ordres pour les portes soient ouvertes, les espaces dégagés pour permettre l'accès aux ambulanciers. Bien évidemment, cela avait provoqué beaucoup d'émoi et de panique chez les membres déjà éplorés de la famille, mais ils avaient été trop hébétés pour réagir, et ils avaient obéi à Sherlock sans sourciller.
Quelques minutes plus tard, et au prix de grands fracas, les services d'urgence avaient débarqué, un défibrillateur cardiaque en plus, et John lâchait la vieille dame pour laisser ses collègues faire leur boulot.
Il y eut encore de longues minutes de bruit et d'agitation, de cris et de hurlements, avant que, réanimée, la vieille dame ne parte en ambulance, sédatée et sans avoir prononcée un mot.
La petite-fille de la victime, qui les avait reçus, avait à peine eu le temps de les remercier pour avoir sauvé sa grand-mère qu'elle était partie avec l'ambulance, pour savoir qu'elles seraient les nouvelles. C'était un miracle que le cœur fonctionne encore, vu l'âge de l'aïeule, et toute la famille était déjà suffisamment éprouvée comme ça.
John et Sherlock se retrouvèrent sur le seuil de la maison, dans le silence soudain, quand les sirènes furent trop loin pour être audibles.
— Je crois... que notre seul indice vient de nous quitter définitivement, murmura John d'une voix blanche.
À ses côtés, Sherlock n'était pas dans un meilleur état. Dans un film, ça aurait correspondu au début de la nuit, au moment où la lumière baissait, pour les nimber dans l'obscurité et illustrer leur désespoir. Dans leur réalité, c'était le milieu de l'après-midi, et le soleil insolent semblait volontairement les baigner de lumière, de manière très agaçante, comme se moquant de leur malheur. Quand il faisait si beau en Angleterre, on avait l'impression que rien ne pouvait aller mal, et pourtant eux étaient au plus bas.
— Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ? demanda John.
Sherlock ne répondit pas davantage à cette question qu'à la première réplique de son ami. Se tournant pour mieux le regarder, John aperçut sa vulnérabilité, sa terreur à l'idée de rester ainsi pour toujours. Il ne pouvait pas réellement imaginer ce qui se passait dans l'esprit de Sherlock à cet instant précis, le traumatisme que cela générait.
Il était rare que Sherlock soit perdu, démuni, et John détestait contempler ce spectacle. Mais, paradoxalement, il détestait aussi le Sherlock trop arrogant qui ne doutait de rien, celui qui était parti détruire tout seul un réseau mondial de malfrats pour être sûr que John soit en sécurité, et qui était revenu deux ans plus tard, la bouche en cœur, persuadé que rien n'avait changé. Dans un premier temps, John avait refusé de lui pardonner juste pour prouver au grand Sherlock Holmes, une fois dans sa vie, pouvait avoir tort.
Il avait été incapable de résister très longtemps, quand il avait vu la douleur que cela avait provoqué chez son ami. John avait plus d'empathie en lui que de colère contre Sherlock. Et ne souhaitait à personne, pas même à Sherlock lui-même, de souffrir comme il avait souffert de son absence. Il avait pardonné.
Il ne supportait pas de voir souffrir son meilleur ami. Aujourd'hui, encore moins que d'habitude, parce qu'il n'avait aucun moyen de l'aider, de le protéger de ses afflictions, de résoudre le problème.
— Viens, Sherlock, murmura-t-il en lui prenant la main. Rentrons à la maison. Nous trouverons une solution. Il nous reste des options. Molly va faire nos analyses. On trouvera peut-être une solution là-dedans. Et sinon, la vieille a été transférée à St Bart. Je vais écrire à Mike pour qu'il se renseigne sur le service qui va la prendre en charge, pour qu'on puisse être tenus au courant de quand elle se réveillera, qu'on puisse lui parler à ce moment-là. On va trouver une solution, Sherlock. Je te le promets.
C'était illusoire et mensonger, comme les mensonges que les parents faisaient aux enfants pour les rassurer. Sherlock avait horreur de ce genre de propos, qui ne s'appuyaient pas sur des faits, qui étaient invérifiables, des promesses sans fondement, sans certitude.
Pourtant, en cet instant précis où son univers se délitait totalement, la main de John dans la sienne et ses fausses promesses étaient la seule chose à laquelle il pouvait se raccrocher. Presque sans y réfléchir, il resserra ses doigts autour de ceux de John. Aussi difficile que soit sa situation improbable, il lui restait une certitude, la même qui lui avait permis de tenir durant son exil volontaire : il avait un endroit où rentrer. Il avait une maison. Et pas seulement le 221B, Baker Street, mais John.
John était sa maison.
Lentement, il hocha la tête, et sans lâcher la main de John, il avança pour quitter les lieux et rentrer finalement chez eux.
Malheureusement, dans ce quartier résidentiel et pas très bien fréquenté, trouver un taxi relevait du miracle. Ils s'étaient éloignés, à pied, mais ça ne changeait pas grand-chose. Sherlock, qui refusait de se laisser abattre et adorait la technologie, pianotait sur ton téléphone pour leur trouver un véhicule, mais les conclusions n'étaient pas favorables.
— Rien de disponible ! râla-t-il, ayant retrouvé un peu de sa verve.
Ou bien faisait-il semblant de manière extrêmement convaincante.
— Le seul taxi possible peut arriver dans quinze minutes ! poursuivit-il, désespéré.
Ce n'était pas si long, mais pour Sherlock, c'était intolérable. Quant à John, son envie de passer quinze minutes dans un quartier pas toujours bien fréquenté, et avec tout dans leurs tenues et leurs postures qui indiquait qu'ils n'étaient pas d'ici, n'était définitivement pas au plus haut. Ce n'était pas qu'ils ne pouvaient pas se débarrasser de quelques abrutis de quartier, ni qu'il se sentait en danger... Mais il n'avait pas envie de se battre aujourd'hui. Et surtout, il ignorait ce que Sherlock avait gardé de ses réflexes et muscles d'avant. Ne leur en déplaise, un corps féminin était généralement moins musclé, moins puissant qu'un masculin. Sans compter que Sherlock tenait une grande partie de ses capacités dans son agilité, et le médecin avait bien remarqué que parfois, Sherlock était déséquilibré par ce nouveau corps et ses particularités. Il n'était pas pertinent de se lancer dans une bagarre aujourd'hui, assurément.
— Le métro est à sept minutes à pied, indiqua-t-il en étudiant son téléphone, lui aussi. Viens. Ce sera encore le plus simple.
Sherlock râla. Il n'aimait pas le métro. John le traita de snob. Sherlock répliqua qu'il n'était pas snob. John le traita de Mycroft en puissance. Sherlock s'insurgea.
Riant et se disputant faussement, ils se dirigèrent vers le métro.
Prochain chapitre : Me 12/07
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