Je n'ai toujours pas pu faire les reviews, mais je peux continuer à publier !
Bonne lecture !
Chapitre 11
La sonnerie de son téléphone tira John du soleil, qui tendit une main à l'aveuglette pour appuyer sur l'écran, et faire cesser le réveil. Il n'avait pas la gueule de bois, mais suffisamment mal au crâne pour avoir envie de rester sous la couette. Rester au fond de son lit, et surtout ne pas réfléchir à hier soir.
— John, s'éleva une voix étouffée. John, tu m'entends ?
John ouvrit un œil, et jeta un regard à son téléphone. Ce n'était pas le réveil, mais un appel, qu'il avait malencontreusement décroché. En sourdine, Molly essayait de le joindre, pensant qu'il y avait un problème sur la ligne.
Sans trop réfléchir, le médecin saisit le portable et le cala contre son oreille avant que Molly ne pense à raccrocher, et essayer de le rappeler.
— Je suis là, grommela-t-il.
— Je te réveille, constata Molly à sa voix rauque et chiffonnée.
— Non, mentit John.
Il n'eut pas besoin de la réponse de Molly pour savoir qu'elle levait les yeux au ciel.
— Qu'est-ce que tu veux, de si bon matin ? demanda John en avisant qu'il était déjà neuf heures.
Si ce n'était pas une grasse matinée, ce n'était pas non plus l'aube. Il lui arrivait de se réveiller bien plus tôt que ça, et il était probable que Sherlock soit déjà levé.
— J'ai eu les résultats des analyses que tu m'as demandé, annonça la légiste. Tu as bien dit que c'était celles de Sherlock, hein ?
— Ouais, acquiesça John sans réfléchir.
Il ne se souvenait plus de ce qu'il avait dit, mais ça n'avait pas d'importance. Les analyses étaient toujours celles de Sherlock. Pour vérifier qu'il n'avait pas repris de drogues, ou qu'il n'était pas en train de couver une septicémie suite à une infection d'une vilaine plaie. Autant que faire se peut, Sherlock détestait aller à l'hôpital. Molly était très utile pour ça. Ce n'était pas fréquent, mais suffisamment régulier pour être habituel. Pour ce que John en savait, Mycroft se chargeait de payer les bonnes personnes pour que les analyses soient faites sans que les traces n'apparaissent dans aucun dossier de l'hôpital. La seule copie des résultats était transmise à Molly, qui les donnaient à John ou les détruisait quand il n'y avait rien d'alarmant.
Il n'y avait donc aucune raison que ces analyses ne soient pas celles de Sherlock. Parfois (souvent, même), Sherlock débarquait à Saint-Bart pour faire des analyses ou des expériences dans le cadre d'une enquête ou d'une piste suivie par le cerveau du détective, et parfois demandait à Molly de lui faire des recherches complémentaires, mais quand ça passait par John, c'était toujours le sang (ou les urines, ou n'importe quoi) de Sherlock qu'il fallait analyser.
Mais John n'était pas assez réveillé pour se demander pourquoi Molly posait une telle question, ni pourquoi il y avait une telle angoisse dans sa voix.
— C'est bien ce qui me semblait, reprit la légiste en essayant de maîtriser son souffle. Donc... est-ce que tu as une explication logique au taux d'œstrogène qu'on a établi ? Il y a un problème, John. Il n'y a pas de testostérone dans les résultats. Ce n'est pas... normal.
John manqua de lâcher son téléphone. Comment avait-il pu ne pas penser à ça ? Il était médecin ! Et Sherlock tout aussi versé que lui en sciences pour penser à un truc aussi simple !
— Merde, murmura John.
Il ne savait pas quoi dire. Qu'avait pu déduire Molly ? Certainement pas que Sherlock s'était changé en femme, c'était trop absurde. L'hypothèse que ça ne soit pas les analyses de Sherlock ? Qu'il ait échangé les tubes, les contenants, pour se moquer du médecin et de la légiste qui le surveillaient de près ? Et donc, fatalement, s'il avait fait ça, c'était pour cacher quelque chose, qui ne pouvait être que de la prise de drogue.
— Molly, je... commença John, sans avoir la moindre idée de comment il allait bien pouvoir poursuivre cette phrase.
— J'arrive, le coupa-t-elle. J'arrive immédiatement. On ne sera pas trop de deux pour gérer ça.
Elle raccrocha, laissant John vide et terrifié. Il n'avait pas pu lui dire de ne pas venir, et ne voyait aucune alternative pour l'empêcher de débarquer. Quoi qu'il essaye de faire, elle le prendrait comme un signe supplémentaire qu'il y avait un problème et qu'elle devait venir les aider.
— Oh Seigneur, murmura John au vide de la pièce.
Il n'entendait pas un bruit en bas, mais ça ne voulait rien dire sur l'absence ou la présence de Sherlock. Ils avaient peu de temps pour monter un plan, mais l'esprit de John était vide. Sherlock était en sécurité à l'appartement, c'était là où il devait être, où il devait rester. Il ne devait pas en partir. Pour autant, Molly ne devait pas le voir. ET ils devaient justifier d'analyses qui révélaient un taux d'œstrogène élevé. Élevé ou normal ? John ne savait plus ce qu'elle avait dit. Et si, en plus du reste, Sherlock avait un problème hormonal ? Ou pire, qu'il était enceinte ?
Ça n'avait absolument aucun sens, mais John était en train de paniquer.
Il mit un temps incroyablement long pour être capable de bouger, s'extirper du lit, s'habiller à la va-vite, et descendre rapidement au salon. Ils avaient perdu du temps pour monter un plan crédible.
Sherlock était là, sur son fauteuil, un ordinateur sur les genoux — le sien. Il paraissait (son corps mis à part), parfaitement comme d'habitude : habillé, soigné, le dos droit, les yeux incroyablement mobiles qui bondissaient d'un coin à l'autre de l'écran. C'était, sur l'échelle de leurs habitudes, une « bonne journée », une où Sherlock était prêt à tout plutôt que rester en pyjama dans le canapé. John allait gâcher ça en un clin d'œil.
— J'ai une mauvaise nouvelle, annonça John avant même la moindre salutation d'usage.
Sherlock releva le regard vers lui.
— Molly arrive.
— Pourquoi ? demanda le détective, sourcils froncés.
— Elle a le résultat de tes analyses.
— Ah. Il y a quelque chose de grave, alors.
John fut ébahi de constater que même le génial Sherlock ne pensait pas au truc le plus simple de tous les temps. Quand il faisait semblant que tout allait bien, il se montrait fort. Mais dans ces moments-là, sa carapace se fendillait, et John voyait à quel point il était secoué par toute cette histoire. Sa voix, en disant qu'il y avait un problème, était faible et résignée, comme si son changement de corps improbable était forcément un prérequis à un évènement grave, potentiellement mortel. Et John n'était pas prêt à le laisser mourir, pas si tôt après l'avoir vu revenir dans son existence.
— Non, contra-t-il. Il y a des œstrogènes dans tes analyses, et elle ne comprend pas pourquoi, évidemment. On fait quoi ?
Sherlock eut exactement la même tête que John quelques minutes plus tôt, cet air ébahi de ne pas y avoir pensé. Toute la gueule de bois ou la fatigue de John avaient disparu au profit de l'adrénaline.
— Elle arrive. On fait quoi ? demanda le médecin, stressé.
Lentement, Sherlock repoussa son ordinateur. John eut le temps d'apercevoir des programmes bizarres, du genre que Sherlock utilisait quand il essayait de pénétrer dans des bases de données illégales en tout genre. Il n'était pas un génie du hacking, mais il se débrouillait bien.
— Eh bien, prononça lentement le détective, on l'accueille avec courtoisie, j'imagine. Les bonnes manières nécessiteraient qu'on prépare du café. Je te laisse t'en charger.
John en resta comme deux ronds de flan, ce qui, avec sa tenue vaguement débraillée et passée à la va-vite, donnait un spectacle hautement comique.
— Tu... tu sais ce que tu viens de dire ?
— Oui, répliqua Sherlock. N'est-ce pas toi qui n'as cessé de me dire qu'on devait en parler à Molly, qu'elle me comprendrait mieux, qu'elle m'aiderait mieux que toi ? Eh bien voilà.
— Je t'ai suggéré l'idée, oui ! répliqua John. Mais que tu puisses choisir de le faire, pas que cela te soit imposé !
— Si je reste ici et que j'accueille Molly comme il se doit, je le choisis, non ? Sinon il me suffirait de fuir dans ma chambre.
John leva les yeux au ciel. La porte fermée n'arrêterait pas Molly bien longtemps. Elle était inquiète, voulait des réponses et ferait tout pour les obtenir, assurément.
— Donc, va préparer du café, conclut Sherlock.
John soupira, et secoua la tête en faisant demi-tour, direction la cuisine.
— Molly n'aime pas le café, abruti. Elle boit du thé.
L'information était quantité négligeable et Sherlock l'oublia presque aussitôt, tandis que son ami sortait la bouilloire, la théière, et préparait des biscuits, tout en mâchonnant un toast en guise de petit déj.
Sherlock resta assis dans son fauteuil sans bouger durant tout ce temps, mains jointes sous le menton. Du coup de l'œil, John le surveillait. Il savait que le détective ne réfléchissait pas, mais tentait de se contrôler. Quoi qu'il puisse en dire, la situation l'angoissait, et le ventre de John se tordait de stress également.
Le thé était prêt. Ils entendirent Molly avant de la voir. Elle monta les marches quatre à quatre. Vraiment très inquiète.
— Bonjour Molly ! la salua John d'un enthousiasme presque forcé dès qu'elle franchit le seuil de l'appartement. J'ai fait du thé ! Tu en veux ?
La jeune femme parut un instant déstabilisée par le trop-plein de bonne humeur de John et acquiesça distraitement en saluant son ami, tout en essayant d'entrer dans la pièce. John, plus ou moins volontairement, s'était positionné de sorte à lui cacher le spectacle du détective assis, mais cela ne dura pas bien longtemps. John dut bouger, Molly avança, et elle aperçut Sherlock dans le fauteuil, et poussa un cri perçant. S'ils l'avaient voulu, assis ainsi, ils auraient pu essayer de masquer ses nouvelles formes, mais il aurait fallu trouver une explication rationnelle à la présence d'hormones féminines, et il n'y en avait pas. Sherlock avait choisi de ne pas se cacher. Ses vêtements soulignaient son apparence féminine, et c'était impossible à ignorer.
— Oh mon Dieu, jura Molly. Je le savais ! Mon Dieu !
Cela eut le mérite de rendre Sherlock et John très perplexes. Elle avait deviné ? Comment ?
— Comment tu as deviné ? demanda John, la voix blanche.
Une partie de lui se demandait s'il n'avait pas atterri dans une dimension parallèle, ou se transformer subitement en une nuit en une personne du sexe opposé était quelque chose de banal. Depuis le retour d'entre les morts de Sherlock, John avait tendance à croire que tout (et n'importe quoi) était possible, mais simplement qu'on ne pensait pas à l'avertir que les lois de la physique, de la science et de la médecine ne s'appliquaient plus.
Mais Molly, de toute manière, ne lui répondit pas vraiment, et ne semblait même pas avoir entendu sa question. Elle poursuivit sur sa lancée.
— C'est pour ça que tu as mis autant de temps ! Tu avais dit que ça prendrait dix-huit mois. Mais tu en as profité pour commencer une cure, c'est ça ? Amorcer ta transformation physique ? Et tu es revenu pour voir des chirurgiens de pointe ? Tu aurais dû me le dire ! VOUS auriez dû me le dire ! Et les analyses ! Pourquoi moi ? Tes médecins ne peuvent pas le faire ? Par pitié Sherlock, dis-moi que tu es suivi par un vrai toubib, pas un charlatan des pays d'Amérique du Sud ! Je suis fière de toi, vraiment, c'est un combat courageux, mais vous auriez DÛ me le dire ! Enfin ! Vous n'avez quand même pas pensé que je le condamnerais ou que je ne comprendrais pas, les gars ! C'est vexant ! Oh mon Dieu, je dois m'habituer à utiliser le elle, désormais, pardon ! Est-ce que tu changes de prénom ? Dis-moi ce que je dois dire, je ne veux pas te blesser, pardon !
Elle les assomma de son babillage ininterrompu, et un instant, John et Sherlock restèrent totalement muets, incapables de comprendre ce que racontait la jeune femme. Puis, au même moment, la compréhension s'alluma dans leurs esprits, et ils eurent envie de rire et de pleurer tout à la fois. Molly s'imaginait que Sherlock avait entamé une thérapie de changement de sexe, qu'il était transgenre. Ils n'avaient même pas songé à cette possibilité, mais c'était assurément une hypothèse valable pour plein de gens.
Ce qu'ils ne s'expliquaient pas, c'était cette manière qu'elle avait d'englober John dans tout ça, supposant qu'il était forcément au courant, et en soutien de son ami, voire qu'il s'agissait d'une décision dont il était partie prenante. Ce qui n'avait aucun sens. Bien sûr que John aurait soutenu son meilleur ami dans n'importe quelle décision, mais pour autant, il n'aurait jamais eu le moindre poids dans cette décision.
— Molly, l'interrompit Sherlock. Molly.
Elle se tut enfin, et le regarda bien en face, la bouche un peu ouverte de surprise. John se souvenait de cette légère différence de son timbre, qui était le sien et pas le sien à la fois, et auquel il s'était habitué, désormais, mais qui surprenait Molly.
— Molly, tu as entièrement tort sur absolument tout, annonça posément Sherlock. Prends du thé, on va t'expliquer.
La jeune femme avait eu du mal à les croire, au début, parce que c'était impossible et qu'il n'y avait aucune explication scientifique à laquelle se raccrocher, et qu'elle était femme de sciences. Mais elle avait confiance en John, et elle savait qu'il était aussi fermement accroché à la science qu'elle, alors elle avait fini par le croire. Il avait fallu beaucoup de thé et de gâteaux pour ça, mais elle les avait crus.
Elle avait posé quelques questions gênantes, des détails très crus, et Sherlock avait essayé de répondre au mieux. Elle avait percuté pourquoi John lui avait demandé sa taille de soutien-gorge, et s'était lancée dans une explication pour régler des bretelles, au cas où.
Ils étaient installés tous les trois autour de la table de la cuisine, Sherlock côté expériences, John et Molly côté repas. La table était partagée en deux parties distinctes, parce que John et Sherlock faisaient des concessions et des partages pour beaucoup de choses.
Molly tapota sa cuillère contre sa tasse dans un geste nerveux.
— Je vais dire quelque chose que vous n'allez pas apprécier, mais je pense que c'est nécessaire.
John l'invita à poursuivre. Sherlock continua de regarder son microscope, comme si cette conversation dont il était le sujet principal ne le concernait pas. Il avait déjà eu assez de mal à tout raconter, et John l'avait beaucoup suppléé, il avait besoin de prendre du recul.
— Tes analyses sont normales, Sherlock. Normales pour une femme. Ton taux d'œstrogène est peut-être un peu élevé, mais ça dépend d'où tu en es sur ton cycle. Note le premier et le dernier jour de tes règles, d'accord ?
Le détective ne répondit rien. Il ne pouvait pas acquiescer à ça. Il se refusait même d'y penser.
— Mais étant donné la situation, je pense nécessaire que tu te fasses examiner par un gynéco, faire un frottis, une mammographie, également...
Le silence qui suivit la déclaration de Molly fut écrasant. John avait blêmi, mais ce n'était rien par rapport à Sherlock, dont la peau habituellement claire venait de virer au gris crayeux. John n'aurait pas été surpris qu'il se mette à vomir sur le champ.
— Ne faites pas ces têtes là les garçons, c'est pas la fin du monde ! On en subit régulièrement ! les morigéna la légiste.
Ça n'aida absolument pas. Sherlock paraissait figé. Le médecin arrivait assez bien à l'imaginer en train de courir dans son Palais Mental, pour se réfugier le plus profondément possible, là où personne ne le retrouverait, là où il pourrait rester pour l'éternité, là d'où il n'entendrait plus rien.
— Mais pourquoi ? réussit à dire John, exprimant clairement le positionnement de Sherlock également.
— Pour vérifier que tout va bien, répliqua Molly, implacable.
— Il n'y a aucune raison de penser que... enfin... qu'il y a quelque chose d'anormal...
— Parce que tu trouves la situation normale ? En tout état de cause, les femmes font ça régulièrement juste pour s'assurer que tout va bien. Nous n'avons aucune explication rationnelle à la situation, alors plus nous ferons de tests, mieux ça vaudra non ? Par exemple, il pourrait être pertinent de vérifier si Sherlock est fertile.
John s'étouffa avec la gorgée de thé qu'il s'apprêtait à prendre. Sherlock était définitivement perdu et muet.
— Je suis très sérieuse, poursuivit Molly. Il faudrait savoir avec précision si tout est absolument normal. Dans les moindres détails. Imagine un peu que ça soit temporaire. Que ça revienne à la normale du jour au lendemain, comme c'est apparu, et que Sherlock, avant, soit en mesure de tomber enceinte. Tombe enceinte. Puis récupère son corps d'homme dans la nuit, il advient quoi du bébé ? Qui n'a plus d'utérus pour grandir ?
John était à deux doigts de vomir à son tour. Le thé et les gâteaux avaient été une erreur. Il était trop tôt pour avoir cette conversation. Il serait toujours trop tôt pour avoir cette conversation.
— Tu lis trop de romans, Molly, murmura-t-il d'une voix blanche.
Cette dernière haussa les épaules.
— Peut-être. Mais j'essaye d'imaginer toutes les possibilités. La situation est de celle qui figurerait dans un roman. Quelques analyses supplémentaires ne peuvent pas faire de mal, pour pouvoir penser à tout par la suite.
Ça paraissait logique, mais John n'arrivait quand même pas à l'imaginer. Sherlock était totalement figé, muet, comme totalement absent. Il avait peut-être fait un malaise et s'était évanoui en restant totalement droit car les muscles tétanisés, tellement il était là sans l'être.
— Si ça te rassure, t'auras qu'à l'accompagner, poursuivit Molly à l'intention de John, sans réfléchir.
À une vitesse impressionnante, John vit défiler des images très perturbantes dans son esprit, de Sherlock son meilleur ami et colocataire, dans un corps de femme, assis sur une table d'examen, les pieds dans les étriers, des images de spéculum, des images de frottis, des images de mammographie... Il se détourna avec un haut-le-cœur.
Sherlock, lui, eut enfin une réaction : brusquement, il se leva, heurta la table avec un bruit sourd. La tasse de Sherlock vola à terre, celle de John se renversa, Molly eut à peine le temps de resserrer ses mains autour de la sienne. La théière trembla, une lamelle de microscope tomba sur le sol, le microscope lui-même bougea dangereusement vers le bord de la table. Le détective n'en avait cependant rien à faire, et ne sembla pas s'en rendre compte. Une seconde plus tard, heurtant derechef la table, il avait quitté la pièce à grands pas. Il n'aurait pas été surprenant qu'il aille directement vomir ou s'enfermer dans sa chambre pour toujours, voire les deux.
— Ouais, peut-être pas l'idée du siècle, commenta Molly à la réflexion.
Elle attrapa machinalement le microscope, le ramena plus au centre de la table, avant d'attraper une éponge pour essuyer le thé renversé, puis entreprendre de ramasser les morceaux de porcelaine et de verre.
John ne fit pas le moindre mouvement pour l'aider. Il craignait de vomir s'il faisait le plus petit geste, vu combien sa tête tournait, et cela n'avait définitivement plus rien à voir avec l'alcool ingurgité la veille.
— Je crois qu'on n'est pas prêts pour ça, souffla-t-il d'une voix blanche quand il parvint à se reprendre légèrement.
Molly, accoudée au plan de travail, le regardait avec un air qui disait « clairement pas prêts ».
— Ça ne fait que deux jours, Molly, murmura le médecin, sur un ton d'excuses.
— Je sais. Mais si j'étais vous, je partirais du principe que ça va se poursuivre ainsi. Il n'y a aucune raison que cela se soit produit, sinon le « maléfice » de la vieille dame, actuellement hospitalisée dans le coma, et on n'a peu d'espoir qu'elle se réveille prochainement pour lever cette situation... Alors je préconiserais de s'y habituer, et d'agir en conséquence.
En soi, elle avait sans doute raison, mais John n'arrivait pas à s'y résoudre. Imaginer que Sherlock resterait ainsi pour toujours ? Bien sûr, il était toujours Sherlock, il n'avait pas changé sinon physiquement, mais quand même. Une sorte de gêne angoissant John à l'idée qu'il ne retrouve jamais son meilleur ami, et soit obligé de le considérer comme sa meilleure amie.
— Va t'occuper de Sherlock, lui dit Molly plus doucement. On en reparlera plus tard. Je suis peut-être plus objective car moins impliquée, mais pas sans cœur. Je continue de penser que vous devriez le dire à d'autres gens... mais quand Sherlock sera prêt. On verra le reste plus tard.
Molly lui sourit gentiment, et John le lui rendit. Molly était de nouveau elle-même, la bienveillance et la douceur incarnée, au lieu d'avoir son visage de légiste qui observait tout de manière clinique et froide. Quoi qu'en pense Sherlock, elle pouvait avoir beaucoup plus en commun avec le détective qu'on ne le pensait.
— Merci, Molly. Désolé pour le dérangement.
— Je connais le chemin pour rentrer. Va t'occuper de lui.
Bizarrement, ce fut ce petit pronom qui permit à John de reprendre le dessus et se lever sans vomir totalement. Ce petit « lui », qui indiquait que Molly se référait encore à Sherlock comme un homme, malgré son corps de femme. Ça ne voulait sans doute absolument rien dire, mais John s'y accrocha comme une preuve que Sherlock serait et resterait un homme, et qu'ils trouveraient moyen de lui redonner son aspect d'origine, quoi qu'il en coûte.
Le médecin se leva, pressant la main de Molly en passage en signe de soutien et de reconnaissance. Il l'entendit se lever et ramasser ses affaires tandis que John passait dans le couloir, et vérifiait que Sherlock n'était pas dans la salle de bains.
Il s'apprêtait à frapper au battant de la chambre de Sherlock quand il entendit Molly le saluer et quitter l'appartement.
— Sherlock, je peux entrer ? demanda-t-il en grattant à la porte entrebâillée.
Il n'y eut pas de réponse.
— Sherlock, je vais entrer, annonça-t-il.
La sentence n'eut pas davantage de réaction, et John poussa la porte pour découvrir un spectacle qui lui brisa le cœur. Recroquevillé en position fœtale au milieu de son lit, bras croisés sur sa poitrine dans un réflexe de défense, Sherlock regardait dans le vide. Ses yeux étaient vitreux, il tremblait de manière spasmodique d'avant en arrière, son corps frottant contre les draps, sa tête imprimant un mouvement plus fort. Le seul point positif de sa crise de panique, c'était que sa respiration semblait hachée et compliquée, mais pas bloquée. Il n'y avait pas lieu de craindre qu'il s'étouffe par manque d'air dans ses poumons. John ne l'avait jamais vu aussi brisé et détruit de toute leur existence, et ça lui fit beaucoup plus mal qu'il ne le pensait. Il savait que Sherlock n'était pas aussi fort et détaché qu'il ne le proclamait haut et fort tout le temps (sociopathe, tu parles !), mais la vulnérabilité qu'il contemplait désormais était dévastatrice. Sherlock n'avait même pas conscience de sa présence, clairement.
— Sherlock, je suis là. Je suis dans ta chambre, et je vais m'approcher de toi, d'accord ? Je sais que tu m'entends, tout au fond de toi. Concentre-toi sur ma voix, je suis là. N'écoute pas les mots, je sais bien que tu ne les comprends pas. Concentre-toi juste sur ma voix.
John avait parfaitement conscience que Sherlock n'était pas en mesure de comprendre réellement les mots qu'on lui adressait, et donc qu'il était parfaitement stupide de lui dire de ne pas écouter les mots mais seulement la voix, mais ça lui permettait de parler, essayant de garder son ton le plus stable et apaisant possible, tout en s'approchant lentement du lit. Si l'inconscient de Sherlock ne le voyait pas venir et sursautait, la crise pouvait s'aggraver.
— Je suis là. Je vais m'assoir sur le lit à côté de toi, et toucher ton épaule, Sherlock, d'accord ? Je suis là.
Lentement, il joignit le geste à la parole, levant une main tendre pour venir étreindre l'épaule de Sherlock. Il tressaillit au contact, mais ne se déroba pas, et John vit dans ses yeux qu'il commençait à reprendre légèrement pied avec la réalité.
— C'est ça Sherlock. Tu es là, avec moi, je suis là, je te protège, il ne peut rien t'arriver, d'accord ? Je suis là. Reviens avec moi.
Il pressa un peu plus sur l'épaule, pour bien faire sentir à Sherlock sa présence. La respiration saccadée ralentit sensiblement, devenant plus lourde. Les yeux du détective s'éclaircirent un peu.
— Tu n'as pas de couverture lestée, hein ? Sinon tu te serais déjà mis en dessous. Je vais devoir m'en passer, alors. Je vais m'installer derrière toi et te serrer dans mes bras, d'accord Sherlock ? Ne t'en fais pas. Tout va bien. Je suis là.
Toujours aussi lentement, et sans jamais cesser de parler, John fit ce qu'il avait dit, et s'installa dans le dos de Sherlock, passant doucement un bras sur lui. Au prix de lents efforts, sans le brusquer, et en accompagnant ses mouvements de balancier, il parvint à glisser son deuxième bras sous le corps mince. Puis il se colla entre Sherlock, le plus possible, la poitrine contre son dos, essayant d'avoir le plus possible de son corps en contact avec celui du détective, ses bras encerclèrent la poitrine de Sherlock, et il le serra contre lui. Progressivement, pour ne pas lui faire mal et l'étouffer, sans jamais cesser de lui parler, des paroles sans logique et sans consistance, juste une mélopée calme et apaisante. Peu après, les tremblements de Sherlock s'espacèrent, sa respiration s'alourdit de nouveau, son cœur que John sentait battre ralentit.
John remplaça la couverture lestée pendant longtemps, jusqu'à ce que Sherlock se calme totalement, et n'arrive à parler.
— Merci, John.
Sa voix était rauque et éraillée du fait de la crise de panique, mais du coup elle ressemblait davantage à son timbre initial, et John sentit une bouffée d'affection l'étreindre.
— C'est normal, répondit-il doucement dans le cou du détective. Tu me dis quand tu as besoin que je te lâche.
Sherlock ne répondit rien, et John en conclut qu'il devait continuer de maintenir sa pression, ce qu'il fit.
— Je n'avais pas eu de crises comme ça depuis longtemps, murmura Sherlock au bout d'un moment.
— Depuis quand ?
— Je crois que j'avais sept ans. C'était quand Mycroft est parti pour Eton, il en avait quatorze. Il n'était plus là. L'école est devenue totalement insupportable.
John tenta de se figurer l'enfance des petits Holmes, y renonça. Autant il visualisait bien un petit Sherlock, autant il n'arrivait pas à se figurer Mycroft autrement qu'en adulte. Toutes les photos du monde n'y changeraient rien, Mycroft était né adulte dans sa tête.
— J'imagine que le bouleversement que tu vis aujourd'hui est plus grave que le départ de Mycroft. Tu n'as pas à en avoir honte.
La crispation des épaules de Sherlock se détendit d'un coup. John savait ce qu'il devait dire pour le rassurer, et encore plus que la pression qu'il exerçait sur son corps, cela apaisait Sherlock.
— Merci, John, répéta-t-il.
— C'est normal, répéta le médecin. Tu me dis quand tu as besoin que je te lâche.
Sherlock ne répondit rien. Égoïstement, il voulait en profiter encore un peu.
prochain chapitre le Me 23/08
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