Les portes du Palais de Cazador s'ouvraient à intervalles réguliers, déversant un flux de corps bien portants prêts à être remis à Cazador par Astarion. Ce dernier observait imperturbablement les visages entrer pour ne jamais en ressortir, devenant progressivement un spectateur impassible, presque dépourvu d'émotions. Astarion tenait aujourd'hui un enfant par la main, dans l'espoir que ce calice de vie puisse apaiser temporairement la faim insatiable de Cazador. Cependant, son maître n'avait pas la dignité du serpent qui savoure et digère sa proie lentement. Il aspirait la vie, laissant derrière lui un corps inerte avant de se tourner vers le suivant. Il se demandait parfois si Cazador ne se faisait pas violence pour prolonger son appétit au-delà de sa satiété. Peut-être, s'il pouvait goûter à ce sang humain, connaîtrait-il lui aussi une soif aussi dévorante ?

Lors des festins de Cazador, Astarion et ses frères et sœurs se surprenaient à rêver. Quel délice cela aurait pu être de savourer ne serait-ce qu'une goutte de ce sang. Le maître se délectait davantage des tourments qu'il infligeait à ses proies que de leur sang, transformant ses festins en une agonie lente mais pathétique pour ses rejetons. Il se lassait de nombreuses activités dans son palais, mais jamais de ses "dîners", qu'il s'efforçait de perpétuer comme une habitude. Car s'il existait une chose inextinguible chez ses semblables, c'était bien la soif de sang. C'était une agonie lente mais pathétique, sa manière de rappeler chaque soir qu'il détenait un contrôle absolu sur chacun de ses "enfants", que sa volonté était plus puissante que leur soif. Comme s'il dressait des bêtes sauvages contre leur propre nature.

Le seigneur vampire était méfiant, presque paranoïaque, mais ironiquement, sa vanité obscurcissait son jugement. Astarion pensait parfois que s'il était à sa place, il n'aurait pas commis les mêmes erreurs. Cazador avait un penchant pour l'ostentation, pour l'exhibitionnisme, en sécurité dans les murs de son palais, il organisait les soirées les plus somptueuses pour la noblesse baldurienne.

Astarion avait été un séducteur de son vivant, mais au cours de ces soirées, il avait affiné son talent pour manoeuvrer avec maestria les désirs débridés de ses frivoles convives. Ses doigts étaient comme des plumes habiles, glissant avec une délicatesse experte pour défaire les corsages sans jamais interrompre la cadence de ses caresses, chaque geste en suscitant un autre, dans une harmonie enivrante. Sa bouche esquissait les contours du désir avec une maîtrise croissante, traçant des cartes de passions toujours plus brûlantes. Ses lèvres, tels les seuls instruments de leur extase, les consumaient d'une passion dévorante, les incitant à offrir l'entièreté de leur âme pour prolonger cet instant divin. Il ressentait une répulsion grandissante, trop raffiné pour se mêler à ces orgies, cela dit, il avait trouvé quelque chose dans les regards suppliants de chacun de ses partenaires, il avait perçu le reflet du pouvoir qu'il exerçait sur eux.

Astarion n'avait pas immédiatement compris cette dynamique complexe. Au départ, il se voyait comme un Don Juan, un séducteur à ses heures de loisir, mais il n'avait pas consacré d'études particulières à cet son vivant, il avait toujours considéré l'obsession excessive pour les plaisirs charnels comme une décadence intellectuelle, bien différente de l'attitude de certains de ses amis débauchés. En comparaison, ses anciens compagnons de bibliothèque, en refusant catégoriquement de s'adonner à de telles interactions, semblaient être d'une rigidité extrême, à l'opposé de leurs amis débauchés qui savaient savourer la vie avec délice. Cependant, il avait une certaine appréciation pour ce second groupe en raison de leur pure naïveté, cette impression qu'il restait encore quelque chose à corrompre, même à leur insu.

Entre ses mains, il détenait maintenant des compagnons de peu de vertu, leur légèreté et leur obscénité s'exprimaient à travers des gestes sensuels et des paroles suggestives.Même durant l'intimité charnelle qui s'ensuivit, il regardait leurs mouvements avec une nonchalance déconcertante, comme s'il avait capturé quelque chose de trop évident, de trop trivial. Leurs attitudes prévisibles et leurs manières peu raffinées ne faisaient que renforcer son désir de quelque chose de plus captivant, de plus énigmatique, tandis qu'en lui, un sentiment de frustration grandissait, créant un étrange contraste entre la séduction extérieure, presque hypnotique, et l'insatisfaction intérieure qui le rongeait.

Ses doigts gardaient en mémoire les caresses prodiguées à certains de ces libraires, des hommes de lettres qui s'étaient égarés tard dans la nuit, se retrouvant seuls en sa étaient charmants, leurs sourires sporadiques réservés aux conversations autour de leur passion commune pour les livres. Ces sourires évoluaient en surprise, puis en une expression de plaisir coupable et indomptable lorsque ses mains osaient s'aventurer sous leurs chemises, caressant leur peau sensible avec une audace dévorante mais subtile. Certains étaient mariés, tandis que d'autres étaient des âmes solitaires par glissait tendrement ses mains le long de leurs hanches, un doux effleurement qui créait un lien intime entre déposait doucement ses lèvres sur leurs visages restaient gravés dans sa mémoire, leur souvenir hantait son esprit tandis qu'il s'effaçait progressivement, perdant peu à peu son identité.

Mais Cazador avait continué à s'égarer, de plus en plus, parmi les futurs cadavres qui pénétraient dans son domaine. Beaucoup en ressortaient vivants, comme ce marchand de tissus, car, après tout, il servait l'orgueil de Cazador. Pourquoi les éliminer ? Ou quelques nobles avec lesquels il entretenait des accords. Une pratique mondaine qui comblait le temps libre des puissants. Certains étaient habiles, et les conséquences de leurs intrigues pouvaient influencer la politique de la ville de Baldur. Pour la plupart, cependant, ces conversations étaient à peine capables de coordonner l'ordre des couverts à leur table de banquet.

Astarion était parfois contraint de supporter ces conversations, sa participation et ses opinions n'étaient pas sollicitées, mais il était observé avec admiration lorsque les idées brillantes se faisaient rares. Il incarnait mille fois l'homme qu'ils ne pourraient jamais être, son cœur bouillonnait de révolte face au vol de son précieux temps.

Puis, une femme fit son entrée en scène. Les femmes étaient une rareté dans l'entourage de Cazador, à moins qu'elles ne fussent irrémédiablement ensorcelées par son tieffeline au teint d'une pâleur presque surnaturelle, rivalisant avec celle d'Astarion, voire la dans son apparence ne laissait transparaître sa nature vampirique, ses yeux gardant leur éclat azur, bien éloignés du rouge caractéristique des buveurs de sang.

Elle se mêlait aux nobles avec une aisance déconcertante, et Astarion restait persuadé qu'un jour, sa présence finirait par lasser , elle revenait inlassablement, une énigme vivante dans le sillage du seigneur vampire. Si elle n'avait pas encore succombé à la mort, Astarion se demandait quel destin plus impitoyable encore lui réservait Cazador. Les dieux seuls savaient jusqu'où pouvait s'étirer son imagination cruelle.

Belana, ainsi se nommait-elle, prenait plaisir à taquiner chaque présentation de Cazador.

"Tu vois, Belana, ma demeure n'a rien à envier aux charmes des tiens. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu es si réticente à y séjourner."

La tieffeline croisa les jambes sous sa robe exquise, affichant un air pensif.

"Cazador, tu simules le plaisir, mais rien de ce que tu me montres ici ne saurait éveiller mon enthousiasme.""

Cazador claqua la langue contre son palais, la tieffeline était audacieuse, flirtant ouvertement avec la mort. Tenir de tels propos devant le maître de la maison était passible de terribles punitions. À ce moment-là, Astarion savait que cette tempête impétueuse allait retomber sur lui, une fois de plus.

"Astarion !"

Cazador appela son nom, hésitant à présenter son protégé favori à la pâle créature qui prenait régulièrement place à ses côtés. Mais il était désespéré, un désespoir grandiose et fastueux qu'il voulait exhiber devant la femme. Astarion se présenta après quelques minutes. Cazador souriait, empli de fierté. Oui, Belana était là pour évaluer la qualité de sa collection, un témoin privilégié et difficile à satisfaire. Peut-être était-ce la clé de sa longévité. Disparaîtrait-elle seulement si elle finissait par être convaincue par le joyau que Cazador gardait sous sa coupe ? Astarion avait hâte de le découvrir.

"Il incarne ma fierté, subjuguant tous les regards de Baldur en sa faveur, et il m'appartient en exclusivité. N'est-ce pas là l'apogée de la satisfaction ?"

Belana se contenta de fixer intensément l'homme aux cheveux d'ébène. Astarion cru discerner dans son regard une infime lueur de tendresse, une nuance qui lui parut complètement improbable. Comment quelqu'un pouvait-il éprouver de l'affection pour son maître ? C'était un concept qu'il avait depuis longtemps écarté de son esprit. Puis, les yeux bleus de Belana se posèrent sur le rejeton, accompagnés d'un sourire doux et raffiné. C'était ainsi que se révélait la véritable nature de la visiteuse, celle qui avait pitié de lui. Astarion avait enduré tant de souffrances que la douleur était devenue une compagne familière, mais en cet instant, une rage sourde monta en lui, une envie irrépressible d'étrangler cette femme pour tout ce qu'elle représentait, pour ce qu'il était redevenu à travers ses yeux clairs et lumineux. Il n'était rien de plus qu'une marionnette, le jouet d'un maître qui, pour être tout à fait honnête, ne dégageait aucun charisme remarquable. Il avait besoin d'être arraché à cette existence, mais il ne retrouverait jamais la personne qu'il avait été. Astarion avait envie de crier sa détresse et de laisser les larmes couler, car se sentir rabaissé de la sorte brisait invariablement une petite part de lui. Belana continua de scruter l'homme qui dévoilait son âme, puis elle prit la parole.

"Incontestablement, Cazador, tu as trouvé la distraction la plus splendide qui ait jamais croisé mon chemin. J'ose à peine imaginer combien d'âmes, hommes et femmes confondus, ont versé des larmes à la simple contemplation de sa perfection. Un être si sublime. Et pourtant, tu as entravé ses ailes, brisé sa splendeur. Nous ne partageons ni ne partagerons jamais la même conception du plaisir."

"La femme, une vision d'élégance avec sa chevelure d'une blancheur immaculée, caressa délicatement la petite table qui les séparait de ses doigts fins. Ses yeux d'un bleu perçant étaient rivés sur Cazador, épinglant son âme d'un regard incisif. Astarion, prisonnier de sa propre colère, demeura figé, observant le déroulement de cette scène hors du temps. Toutefois, l'exaspération de Cazador atteignit son apogée, l'incitant à mettre fin à cette joute verbale. Sa main s'abattit brutalement sur le visage de l'audacieuse invitée.

"Oh, Belana, est-ce que ta demeure n'est pas une alcôve de débauche, où l'on entre et sort à sa guise ? Et pourtant, tu te permets encore de me juger. Quitte ma maison !"

La gifle sembla plonger la femme dans un moment d'hébétude, ses yeux reflétant l'incompréhension alors qu'elle cherchait à retrouver ses esprits. Après un moment, elle se redressa avec une dignité inébranlable et quitta la pièce d'un pas mesuré. L'atmosphère était tendue à l'extrême, et Cazador semblait prêt à exploser à tout moment. Quant au vampire, il était partagé entre la crainte de la colère de son maître et la perplexité face à cette scène insolite. Pourquoi éliminer quelqu'un qu'il était inévitablement destiné à tuer un jour, alors que la source de son échec était assise sous ses yeux ? Astarion passa une nuit agitée, maudissant le jour où il avait croisé la route de Cazador, et plus encore celui où il avait rencontré Belana.