Carlos avançait, le corps mort, dans le couloir vide. Il se rejouait encore et encore ce moment où son agresseur avait détourné son arme vers TK et lui avait tiré dessus, sans sommation, sans émotion. Il ne luttait pas, il ne pouvait plus, il se sentait comme une coquille vide, son âme était morte en même temps que TK.
Carlos entra dans la salle où neuf autres personnes étaient attachées à une canalisation et laissa son kidnappeur l'asseoir et lui lier les mains de la même manière sans résister. L'homme se plaça contre le mur, face à eux et s'immobilisa. Le jeune policier détourna le regard et fixa le sol, il ne voulait pas regarder celui qui venait d'abattre l'homme de sa vie, il ne voulait pas se dire que quelque chose clochait avec lui, il voulait mourir, rejoindre TK. Les yeux tournés vers le bitume, il repensa à ses derniers jours avec son mari. Ils étaient venus à New York pour la première fois ensemble, leurs premières vacances en dehors du Texas depuis leur voyage de noces, la première fois dans la grande pomme pour Carlos. Ils avaient passé une semaine magique à visiter la ville, profiter de sa vie nocturne et rendre visite aux proches de TK, comme son demi-frère. Tout avait été idyllique jusqu'à ce que le sol de l'aéroport ne se dérobe sous leurs pieds alors qu'ils s'apprêtaient à s'enregistrer sur le vol de retour à Austin. Carlos avait perdu son homme des yeux alors qu'ils chutaient suite à l'explosion et avait douloureusement atterri sur le ventre. Il lui avait fallu quelques instants pour reprendre ses esprits et se relever, paniqué à l'idée que le pire soit arrivé à TK. Il n'avait pas fait grand cas de ses propres côtes cassées ni de l'impression d'être perforé de l'intérieur à chaque fois qu'il respirait, il devait le retrouver.
Par miracle, il avait entendu la voix du secouriste venant du sol et avait réussi à identifier son emplacement. A travers les interstices formés par les gravats, il avait pu se rassurer quant à l'état de TK et s'était attelé à déplacer les pierres qui emprisonnaient le secouriste. Celui-ci était roulé en boule sous une arche métallique, mais ne semblait pas blessé. Ignorant ses souffrances, il utilisa toute sa force pour lui ouvrir un passage assez grand pour qu'il puisse se faufiler, mais il n'avait pas pu laisser Danny se débrouiller seul lorsqu'il l'avait entendu crier de douleur, TK l'avait encouragé à aller l'aider et il y était allé. Est-ce que ça aurait changé quelque chose s'il n'avait pas aidé ce policier ? Est-ce qu'il aurait pu libérer TK avant l'arrivée de leur agresseur ? Est-ce que ça aurait prévenu l'issue fatale de leur rencontre ? Il n'en savait rien, mais il ne pouvait pas s'empêcher de regretter ce temps perdu.
Les larmes coulaient en silence sur ses joues, il n'en avait rien à faire, il venait de perdre la personne la plus importante de sa vie. Il n'arrivait pas à croire que moins d'un an après avoir perdu son père, moins d'un an après avoir épousé TK, il le perdait lui aussi. Le jeune homme ne pouvait s'empêcher de se demander pourquoi le sort s'acharnait ainsi sur eux, sur lui.
Le temps passa et la tristesse de Carlos se teinta de colère, il ne put empêcher ses yeux de foudroyer la personne responsable de son malheur, de l'analyser, de chercher à comprendre, mais il ne trouvait rien. Cet homme était impassible, pareil à une statue il ne clignait même pas des yeux. Les bruits autour d'eux ne le faisaient pas tressaillir et l'entrée d'une femme d'une trentaine d'années, blonde, dans un costume de diable ailé ne le fit pas bouger d'un millimètre.
Elle portait un trépied pour smartphone qu'elle installa face aux prisonniers et sur lequel elle fixa un téléphone portable avant de venir auprès du kidnappeur. La diablesse se pencha à l'oreille de l'homme et lui murmura quelques mots. Il leva son arme, mais celle-ci trembla dans sa main avant que la femme ne lui parle à nouveau et que le coup parte.
Un cri de surprise et de peur retentit dans la pièce et l'homme à côté de Carlos s'affaissa, mort, une tâche rouge sur le front qui s'écoulait sur son visage. Le cœur du jeune policier battait à tout rompre, à la fois déçu que ça n'ai pas été lui et soulagé, il venait de réaliser qu'il ne voulait peut-être pas mourir tout de suite, tout du moins, pas sans avoir vengé TK. Il se mit alors à observer avec attention la scène qui se déroulait devant lui.
L'homme avait abaissé son arme alors que la diablesse sortait de son costume une seringue et une petite fiole. Elle aspira le produit de la fiole dans la seringue qu'elle piqua dans le bras du kidnappeur. Ce dernier tressaillit, mais ne bougea pas, son regard se fit encore plus lointain qu'auparavant et Carlos réalisa que les yeux bleus ne lui avaient pas semblé autant perdus la première fois qu'ils s'étaient posés sur lui. Il se demanda ce que ça signifiait, qui était cet homme et pourquoi était-il drogué par cette femme. Faisait-il partie des agresseurs ou des victimes ?
La diablesse quitta la salle, l'homme resta immobile et le temps sembla très long à Carlos qui n'avait plus rien à observer, n'avait aucun élément pour comprendre la situation dans laquelle il était, et n'avait aucune possibilité de se libérer. Le sang qui s'échappait du mort avait trouvé son chemin jusqu'au sol et commençait à tremper le pantalon de Carlos, créant un malaise en lui. Celui-ci était accentué par leur gardien dont l'immobilité n'était pas humaine, il ne clignait pas des yeux et ne semblait même pas respirer.
La situation se dégrada pour Carlos lorsque le sang passa à travers son pantalon et que la sensation d'humidité sur sa peau lui donna froid, l'air autour de lui était frais et son corps fut prit de petits tremblements qui accentuèrent les douleurs qu'il ressentait dans le torse à cause de ses côtes cassées.
