Stiles était quelqu'un de patient, mais paradoxalement de facilement irritable. La personne qui l'agaçait le plus ? Lui-même. Parce qu'il pensait beaucoup. Trop, d'ailleurs. Et lorsqu'il se retrouvait seul, c'était encore pire. Si Jackson se trouvait dans son champ de vision à l'heure actuelle, Stiles ne serait pas en train de ruminer certaines pensées. Car songer à tout ce qu'il pouvait faire pour aider le loup-garou en temps réel l'aidait beaucoup à ne pas se pencher sur son propre cas. Pas qu'il soit désespéré, loin de là, simplement… Stiles était plus doué pour gérer les autres plutôt que de prendre soin de lui-même. L'habitude. Dans sa vie, il s'était toujours occupé d'autrui. D'abord par obligation, puis, à force, par choix. Un choix presque automatique.

Alors maintenant que Jackson s'était isolé dans sa chambre, Stiles se retrouvait à devoir se gérer, lui. Et c'était compliqué parce qu'il repensait à Scott, à sa visite aussi embêtante que déplacée. Sa proposition, toute aussi indécente que le reste. Indécente, car Scott savait qu'il ne fallait pas lui parler d'alcool. Stiles avait banni ce mot de sa vie des années plus tôt. Ces six lettres représentaient pour lui des années d'un cauchemar durant lequel il n'avait pas vraiment vécu, et son père non plus. Il rappelait à lui des souvenirs toujours douloureux, mais dont il ne parlait jamais. Et Scott. Le. Savait.

Il le savait et pourtant, il lui en avait proposé. Avait-il perdu la tête ? L'hyperactif retourna la chose dans tous les sens mais, épuisé, il ne réussit à trouver aucune réponse. Ainsi, il ne fit rien d'autre que repenser à ce passé qui lui faisait si mal, à ce pan de sa vie qu'il désirait oublier… Sans boire une goutte.

Lorsque Stiles alla se coucher quelques heures plus tard, le cerveau ruminant de pensées parasites, il rêva. Ses songes étaient mordorés, de la couleur d'une bouteille de whisky.

Stiles détesta sa nuit.

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Aujourd'hui était un jour sans saveur, comme aimait à les appeler Stiles. S'il avait fait quelques cauchemars, il avait quand même pu dormir un moment… Suffisamment en tout cas pour affronter sa journée. Toutefois, il restait passablement fatigué et nul doute qu'il se laisserait aller à une petite sieste dans l'après-midi. Quelque chose de court, de bref, mais qui suffirait toutefois à lui donner un petit coup de boost au moment où il se relâcherait le plus. Puis il n'aimait pas cette mollesse avec laquelle il se déplaçait… Chacun de ses mouvements était lent, brouillon, nul. D'ailleurs, Stiles cassa un mug par inadvertance. Poussant un profond soupir, il ramassa les plus gros morceaux à la main sans s'inquiéter du fait qu'il pourrait se couper, et balaya les plus petits, avant de passer un coup d'aspirateur sur la zone, au cas-où. Il remarqua alors une légère entaille au creux de sa paume. Evidemment. Il se blessait toujours et n'était pas vraiment étonné : lorsque ça le concernait, il n'arrivait pas à se montrer précautionneux. Disons qu'il était assez détaché de lui-même, et le phénomène était d'autant plus accentué que Stiles avait passé une nuit… Compliquée. Pas vraiment reposante. Il s'efforça, dans sa fatigue, à repousser les images teintées d'alcools de ses rêves.

- Merci Scott, maugréa-t-il en prenant un nouveau mug.

De là, se mit rapidement un pansement puis sortit tous les ingrédients dont il avait besoin pour son petit-déjeuner. Du chocolat en tablette, du sucre, du beurre, de la farine, un œuf. Et, parce qu'il n'était pas stupide, s'empara de sa petite balance de cuisine. Son péché mignon lorsqu'il n'était pas au plus fort de sa forme ? Un mugcake. Du sucré, en somme. Si Stiles ne prenait pas forcément toujours correctement soin de lui, il savait comment se faire plaisir – et n'y voyait aucun mal tant que ce n'était pas trop récurrent. Autrement, il se mettrait à culpabiliser. Chez lui, tout était une question de dosage. Un équilibre fragile qui maintenait sa vie en place.

Une fois que sa petite gâterie fut prête, Stiles s'empara d'une cuillère et la fit pénétrer dans sa préparation. Il apprécia d'ores et déjà la texture : fondante, mais pas trop. Ainsi, il savoura son mugcake avachi sur son canapé, devant un film fade. Peu importe ce qu'il regardait : l'important pour lui dans ce genre de moments, c'était de se savoir à ne rien faire. C'était sa manière de prendre soin de lui tout en faisant en sorte de ne pas s'amuser. Puis de toute façon, son attention s'en allait toujours rapidement. Il mangeait dans un geste automatique, ses yeux traînaient sur l'écran sans qu'il retienne quoi que ce soit du film. Son humeur jouait beaucoup là-dedans, et comme elle était fade… Le reste ne suivait pas vraiment. Stiles sut d'ailleurs tout de suite que sa journée ne serait pas productive et plutôt nulle.

Elle le fut davantage encore lorsque son père et Isaac passèrent en coup de vent pour lui dire qu'ils partaient en mission à l'autre bout du pays, comme cela leur arrivait de temps à autres.

- Faites attention à vous et je veux être tenu au courant si vous rencontrez le moindre problème, dit-il seulement.

Il ne chercha d'ailleurs pas à savoir de quel genre de mission il s'agissait – ce qu'ils pouvaient faire dans leur petite entreprise était varié –, ni où elle se passait. Il ne le demandait jamais. Ne pas savoir, c'était pour lui le meilleur moyen de ne pas y penser. Comme un oubli volontaire et bienheureux. De son côté, il avait de toute manière suffisamment de choses à gérer. Ce moment devant la télévision, c'était une pause. Ensuite, il irait voir si Jackson était réveillé et continuerait de s'occuper de lui, avec dans la tête l'espoir fleurissant que les choses continuent de s'améliorer.

Une heure plus tard, il passait la crème habituelle sur la peau frissonnante du blond qu'il hébergeait. Si Jackson restait muet et craintif, il essayait moins de se dérober à ses mains, semblait un peu moins appréhender son toucher. Il était toujours crispé, mais ça allait. Ce n'était pas comparable aux premiers jours du loup-garou à la maison Stilinski, quelques mois plus tôt. Stiles devait reconnaître, malgré son impatience, qu'il y avait du progrès. Rien qu'au niveau de ses blessures, l'on pouvait constater le mieux. Certaines plaies se transformaient en cicatrices. Jackson les garderait-il ou finiraient-elles par disparaître une fois qu'il irait mieux sur le plan moral ? Evidemment, Stiles savait que seul le temps lui donnerait la réponse. Et le temps avait beau passer, il était lent. Enfin, l'hyperactif n'avait d'autre choix que de patienter et en général… Il était très fort dans le domaine. C'était juste très difficile de voir son protégé souffrir encore et encore, craindre le moindre contact, le craindre lui. Enfin, il ne montra rien de son trouble, comme toujours. Sourit en faisant la conversation tout seul. Son but ? Le raccrocher à la réalité, lui montrer, comme toujours, que tout allait et irait bien.

Et Stiles aurait pu faire illusion, si Jackson n'était pas un loup-garou ou… S'il n'avait pas accès à ses sens. S'il ne le sentait pas aussi fatigué. S'il ne l'avait pas entendu casser par inadvertance un mug dans la matinée. S'il n'avait pas perçu son juron contre Scott McCall, son meilleur ami.

De son côté, Jackson n'aimait pas réellement Scott. Comme Stiles et Isaac, il l'avait connu à au lycée, des tas d'années plus tôt. McCall avait un air gentil, mais… Pour Jackson, ça s'arrêtait là. Peut-être sa vision des choses était-elle biaisée… Parce qu'après tout, en ce temps-là, Jackson paradait avec son argent, sa popularité et son air arrogant. Il ne cherchait pas à s'attacher à ceux qu'il considérait autrefois comme des « losers ».

Il n'avait jamais eu aussi tort de sa vie concernant Isaac et Stiles. Pour Scott, il n'en avait aucune idée. D'après Stiles, le latino ne connaissait rien au surnaturel et n'avait rien avoir avec leur petite entreprise obscure visant à aider les êtres magiques dans le besoin. Des gens comme lui, Jackson Whittemore. Par conséquent, il n'avait pas pu se forger d'avis tranché concernant Scott. Disons que le peu qu'il avait entendu la veille ne lui avait pas permis de le classer dans la même catégorie qu'Isaac, Stiles ou encore Noah. Le shérif aussi l'avait beaucoup surpris, et en bien : il n'avait pas fait cas de son nom, des différends qu'il avait eus avec son père avocat. Il l'avait aidé sans rien demander en retour, accueilli sans poser de condition.

Et Jackson n'arrivait toujours pas à s'y faire.

En tous les cas, il sentait la fatigue croissante de l'hyperactif qui, une fois son traitement fini, s'était emparé de la brosse pour démêler les nœuds incroyables de sa tignasse blonde. Elle commençait à atteindre une certaine longueur et Jackson se demanda s'il ne ferait pas mieux de la raccourcir. Enfin, il garda le silence, comme toujours, limitant la portée de ses pensées à sa tête. Par réflexe, il surveilla chacun des gestes de Stiles dans le miroir, à l'affut du moindre dérapage. Evidemment qu'il n'allait rien lui faire, évidemment qu'il adoucissait et faisait en sorte que chacun de ses mouvements soit plus lent en sa présence dans le but de le détendre… Mais Jackson mettrait du temps à perdre cette mauvaise habitude acquise par la force des choses.

Stiles sourit une fois son travail terminé et sortit de la salle de bain après avoir dit à Jackson qu'il pouvait tranquillement vaquer à ses occupations. De son côté, il allait préparer à manger. L'hyperactif frissonna alors qu'il sortait les ustensiles dont il avait besoin : un froid soudain s'emparant de lui, il alla chercher puis enfiler une veste, avant de retourner dans la cuisine. C'était dans ce genre moments où Stiles maudissait cette infâmie qu'était la fatigue. C'était désagréable, ça donnait froid, ça ralentissait et ramollissait tout…

Mais ça ne donnait pas de fièvre. Or, elle commençait doucement à monter.